Pendant l’armistice

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F. Aureau, Imprimerie de Lagny (p. 63-64).


PENDANT L’ARMISTICE


« Et le Fils de l’homme sera livré
« pour être crucifié. »


Laissez ! j’ai vu traîner la France dans l’arène,
Mes yeux ont vu pâlir sa tête souveraine
                Et son front se heurter
Au sable que rougit le sang de la martyre ;
Le mes doigts frémissants je vais briser ma lyre :
                Je ne veux plus chanter !

Je ne veux plus chanter, car je t’aimais, ô France !
Plus que le jeune cœur sa première espérance,
                Plus que l’oiseau son nid !
Des mondes gravitants si j’avais eu les flammes,
Afin de te sauver, j’en aurais fait des âmes
                Aux masses de granit.

Hélas ! hélas ! j’ai vu la trahison qui rampe
Jusqu’à ton cœur sacré lever sa sourde lampe,
                Et j’ai vu triomphants,
Féroces et dévots, les princes homicides
Mettre, au nom du Seigneur, des poignards parricides
                Aux mains de tes enfants…

D’un criminel baiser, la lâche félonie
A donc déjà troublé ta cruelle agonie,
                Fille du Dieu vivant.

Que pour mieux insulter à tes vertus divines,
Voici qu’on a tressé ta couronne d’épines,
                Et que, te poursuivant,

Le Germain dont grandit la haine séculaire
à tes vaillants efforts assouvit sa colère
                En préparant ta croix !
Ne pleure pas sur toi ! pleure l’aveugle rage
De ceux qu’irrite encor ton sublime courage
                Et qui servent les rois !

Le Christ vendu, trahi, délaissé du ciel même,
Cloué sur le gibet, avait la foi suprême
                De sa divinité.
Ô France abandonnée, épuisée et meurtrie,
Crois en toi, crois en toi ! Dans ton sein, ô patrie !
                Bat l’immortalité.

Malheur à ceux qui t’ont ou vaincue, ou livrée !
Les larmes germeront dans notre âme navrée,
                Et nous verrons encor
Ceux qui vont n’outrageant les héros qu’au Calvaire,
Tremblants, se prosterner la face contre terre,
                À l’heure du Thabor…

Aux vents de l’univers jette le nom magique,
Le nom libérateur et saint de République !
                Laboureur, prends le grain :
Répands dans les sillons la féconde semence,
Qu’importe l’ouragan !… le grand travail commence,
                L’épi naîtra demain.

Eugénie GUINAULT