Pensées, remarques et observations de Voltaire/Édition Garnier
Inscription pour une estampe représentant des gueux : Rex fecit.
Un médecin croit d’abord à toute la médecine ; un théologien, à toute sa philosophie. Deviennent-ils savants, ils ne croient plus rien ; mais les malades croient, et meurent trompés.
Celui qui a dit qu’il était le très-humble et le très-obéissant serviteur de l’occasion a peint la nature humaine.
Aujourd’hui, 23 juin 1754, dom Calmet, abbé de Sénones, m’a demandé des nouvelles ; je lui ai dit que la fille de Mme de Pompadour était morte. Qu’est-ce que madame de Pompadour ? a-t-il répondu. Felix errore suo.
L’orgueil fait autant de bassesses que l’intérêt.
Un malheureux qui se croit célèbre est consolé.
Qui doit être le favori d’un roi ? Le peuple[2] ; mais le peuple parle trop haut.
L’imagination galope ; le jugement ne va que le pas. Il faut avoir une religion, et ne pas croire aux prêtres ; comme il faut avoir du régime, et ne pas croire aux médecins.
En ayant bien dans le cœur que tous les hommes sont égaux, et dans la tête que l’extérieur les distingue, on peut se tirer d’affaire dans le monde.
Plusieurs savants[3] sont comme les étoiles du pôle, qui marchent toujours et n’avancent point.
On dit des gueux qu’ils ne sont jamais hors de leur chemin : c’est qu’ils n’ont point de demeure fixe. Il en est de même de ceux qui disputent sans avoir des notions déterminées.
Nous traitons les hommes comme les lettres que nous recevons ; nous les lisons avec empressement, mais nous ne les relisons pas[4].
Ou mon remède est bon, ou il est mauvais : s’il est bon, il faut le prendre ; s’il est mauvais… mais il est bon. — Langage de charlatans en plus d’un genre.
Bayle dit quelque part que les courtisans sont comme des laquais, parlant entre eux de leurs gages, de leurs profits, se plaignant, et médisant de leurs maîtres. Et milord Halifax, que les cours sont un assemblage de gueux du bel air et de mendiants illustres. Il dit que quand on n’a pas quelquefois plus d’esprit et de courage qu’il ne faut, on n’en a pas souvent assez.
Cromwell disait qu’on n’allait jamais si loin que quand on ne savait plus où on allait.
L’Estoc le chirurgien avait fait deux enfants à la princesse Élisabeth, et l’avait faite impératrice pour récompense il lui demanda la permission de se retirer : Vous voilà souveraine ; si je demeure, je suis perdu. Il est en Sibérie.
Le plus petit commis eût pu en affaires tromper Corneille et Newton et les politiques osent se croire de grands génies !
On peut dire de la plupart des compilateurs d’aujourd’hui ce que disait Balzac de la Mothe Le Vayer : Il fait le dégât dans les bons livres.
Les rois sont trompés sur la religion et sur les monnaies, parce que sur ces deux articles il faut compter et s’appliquer. La philosophie seule peut rendre un roi bon et sage. La religion peut le rendre superstitieux et persécuteur. Il y a toujours à parier qu’un roi sera un homme médiocre : car sur cent hommes, quatre-vingt-dix sols ; sur vingt millions, un roi ; donc dix-huit millions à parier contre deux qu’un roi sera un pauvre homme.
Tous les faits principaux de l’histoire doivent être appliqués à la morale et à l’étude du monde, sans cela la lecture est inutile.
Denys le Tyran traitait les philosophes comme des bouteilles de bon vin : tant qu’il y avait de la liqueur, il s’en servait ; n’y avait-il plus rien, il les cassait[5]. Ainsi font tous les grands.
Les beaux dits des héros ne font effet que quand ils sont suivis du succès. — Tu conduis César et sa fortune… Mais s’il s’était noyé ? — Et moi aussi si j’étais Parménion ?… Mais s’il avait été battu ? — Prends ces haillons, et rapporte-les-moi dans le palais Saint- James… Mais Édouard est battu.
Tous les siècles se ressemblent-ils ? Non, pas plus que les différents âges de l’homme. Il y a des siècles de santé et de maladie.
La raison a fait tort à la littérature comme à la religion : elle l’a décharnée. Plus de prédictions, plus d’oracles, de dieux, de magiciens, de géants, de monstres, de chevaliers, d’héroïnes. La raison seule ne peut faire un poëme épique.
On aime la gloire et l’immortalité comme on aime sa race, qu’on ne peut voir.
Confucius dit : Jeûner, vertu de bonze ; secourir, vertu de citoyen.
Les savants entêtés sont comme les Juifs, qui croyaient que l’Égypte était couverte de ténèbres, et qu’il ne faisait jour que dans le petit canton de Gessen.
Les grammairiens sont pour les auteurs ce qu’un luthier est pour un musicien.
Les femmes ressemblent aux girouettes ; quand elles se rouillent, elles se fixent.
César laisse tomber de sa main la condamnation de Ligarius quand Cicéron parle pour lui. Cela est plus beau que le trait d’Alfonse, roi de Naples, qui ne chassa une mouche de dessus son nez qu’après avoir été harangué.
Ce que l’Inquisition a craint le plus, c’est la philosophie. Pourquoi a-t-on persécuté les philosophes, qui ne peuvent faire de mal ? C’est qu’ils méprisent ce qu’on enseigne : c’est l’insolence de l’amour-propre qui persécute. Pays d’Inquisition, pays d’ignorance. La France, plus libre, a été plus savante ; l’Angleterre, plus philosophe.
Pourquoi de tout temps a-t-on crié contre la royauté et contre le sacerdoce, et jamais contre la magistrature ? C’est que la magistrature est fondée sur l’équité, que tout le monde aime ; la royauté, sur la puissance ; et le sacerdoce, sur l’erreur, que tout le monde hait.
Jean Craig, mathématicien écossais, a calculé les probabilités pour la religion chrétienne ; et il a trouvé qu’elle en a encore pour 1350 ans. Cela est honnête.
La faim et l’amour, principe physique pour tous les animaux : amour-propre et bienveillance, principe moral pour les hommes. Ces premières roues font mouvoir toutes les autres, et toute la machine du monde est gouvernée par elles. Chacun obéit à son instinct. Dites à un mouton qu’il dévore un cheval, il répondra en broutant son herbe ; proposez de l’herbe à un loup, il ira manger le cheval. Ainsi personne ne change son caractère. Tout suit les lois éternelles de la nature. Nous avons perfectionné la société : oui ; mais nous y étions destinés, et il a fallu la combinaison de tous les événements pour qu’un maître à danser montrât à faire la révérence. Le temps viendra où les sauvages auront des opéras, et où nous serons réduits à la danse du calumet.
L’intérêt public est partout que le gouvernement empêche la religion de nuire. Impossible de remédier à la rage des sectes que par l’indifférence. La religion n’est bonne qu’autant qu’elle admet des principes dont tout le monde convient ; de même qu’une loi n’est bonne qu’autant qu’elle fait la sûreté de tous les ordres de l’État : donc il faut laisser à la religion ce qui est utile à tous les hommes, et retrancher tout le reste.
La théologie est dans la religion ce que le poison est parmi les aliments.
En Angleterre, peu de fourbes, et point d’hypocrites : c’est la suite de leur gouvernement ; mais ce gouvernement est la suite de l’esprit de la nation.
Les rois et leurs ministres croient gouverner le monde. Ils ne savent pas qu’il est mené par des capucins et gens de cette espèce : ce sont ces prêtres obscurs qui mettent dans les têtes des opinions souveraines des rois.
Le médecin Colladon[6], voyant le père de Tronchin prier Dieu plus dévotement qu’à l’ordinaire, lui dit : « Monsieur, vous allez faire banqueroute ; payez-moi. »
Le comte de Könismarck, depuis général des Vénitiens, pressé par Louis XIV de se faire catholique, lui répondit : « Sire, si vous voulez me donner trente mille hommes, je vous promets de rendre toute la France turque en moins de deux ans. »
J’ai ouï dire au duc de Brancas que Louis XIV, après la bataille de Ramillies, avait dit : « Est-ce que Dieu aurait oublié ce que j’ai fait pour lui ? »
Culte, nécessaire ; vertu, indispensable ; crainte de l’avenir, utile ; dogme, impertinent ; dispute sur le dogme, dangereuse : persécution, abominable ; martyr, fou. — La religion est, entre l’homme et Dieu, une affaire de conscience ; entre le souverain et le sujet, une affaire de police ; entre homme et homme, de fanatisme et d’hypocrisie. Les petits embrassent les sectes pour devenir égaux aux grands ; ils s’en détachent ensuite, parce qu’ils sont écrasés par les grands.
Le rachat des péchés est un encouragement au péché. Il vaut mieux s’en tenir à dire : « Dieu vous ordonne d’être juste, » que d’aller jusqu’à dire : « Dieu vous pardonnera d’avoir été injuste. »
La force et la faiblesse arrangent le monde. S’il n’y avait que force, tous les hommes combattraient ; mais Dieu a donné la faiblesse ainsi le monde est composé d’ânes qui portent, et d’hommes qui chargent.
L’homme n’est point né méchant : tous les enfants sont innocents ; tous les jeunes gens, confiants, et prodiguant leur amitié ; les gens mariés aiment leurs enfants ; la pitié est dans tous les cœurs les tyrans seuls corrompirent le monde. On inventa les prêtres pour les opposer aux tyrans ; les prêtres furent pires. Que reste-t-il aux hommes ? La philosophie.
Les jansénistes ont servi à l’éloquence, et non à la philosophie.
Il est égal pour le peuple non pensant qu’on lui donne des vérités ou des erreurs à croire, de la sagesse ou de la folie ; il suivra également l’un ou l’autre : il n’est que machine aveugle. Il n’en est pas ainsi du peuple pensant ; il examine quelquefois, il commence par douter d’une légende absurde, et malheureusement cette légende est prise par lui pour la religion ; alors il dit : Il n’y a point de religion, et il s’abandonne au crime. Celui qui doute à Naples de la réalité du miracle de saint Janvier[7] est près d’être athée ; celui qui s’en moque en d’autres pays peut être un homme très-religieux.
Nous avons beaucoup d’erreurs, dit milord Orrery ; mais elles sont humaines, et nos principes sont divins.
La plupart des victoires sont comme celles de Cadmus : il en naît des ennemis.
Un simple imitateur est un estomac ruiné qui rend l’aliment comme il le reçoit : un plagiaire est un faussaire.
On propose aux hommes de dompter leurs passions : essayez seulement d’empêcher de prendre du tabac à un homme accoutumé à en prendre.
Il faut s’oublier avec tous les hommes : si vous leur parlez de vous, vous risquez le mépris ou la haine.
L’honneur est un mélange naturel de respect pour les hommes et pour soi-même.
L’homme doit s’applaudir d’être frivole : s’il ne l’était pas, il sécherait de douleur en pensant qu’il est né pour un jour entre deux éternités, et pour souffrir onze heures au moins sur douze.
Quelque parti qu’on embrasse, l’instinct gouverne la terre. Si on avait attendu des notions distinctes de métaphysique et de logique pour former les langues, on n’aurait jamais parlé. Les langues cependant sont toutes fondées sur une métaphysique très-fine dont on a l’instinct. Ainsi les mécaniques existent avant la géométrie.
Si Henri IV avait eu un premier ministre tel que le cardinal de Richelieu, il était perdu ; si Louis XIII n’avait pas eu le cardinal de Richelieu, il était détrôné.
[8] La religion fut d’abord aristocratique : plusieurs dieux. La philosophie la fit monarchique : un seul principe. L’inscription d’Isis est du temps de la philosophie : « Je suis tout ce qui est et sera ; nul mortel ne lèvera mon voile. »
Pourquoi dit-on toujours mon Dieu et Notre Dame ?
Nous sommes esclaves au point que nous ne pouvons nous empêcher de nous croire libres.
Le bonheur est un état de l’âme : par conséquent il ne peut être durable. C’est un nom abstrait composé de quelques idées de plaisir.
Turc, tu crois en Dieu par Mahomet ; Indien, par Fo-hi ; Japonais, par Xa-ca ; etc. — Eh ! misérable, que ne crois-tu en Dieu par toi-même ?
L’amour est de toutes les passions la plus forte, parce qu’elle attaque à la fois la tête, le cœur et le corps.
L’homme doit être content, dit-on ; mais de quoi ?
L’abbé de Saint-Pierre a voulu la paix universelle : il ne connaissait pas les lois du monde. Un homme éternue ; un chien épouvanté mord un âne ; l’âne renverse la faïence d’un pauvre homme ; la faïence renversée blesse un petit enfant. Procès.
Qui a dit que les paroles sont les jetons des sages et l’argent des sots ?
L’ennuyeux est la torpille qui engourdit, et l’homme d’imagination est la flamme qui se communique.
La plupart des hommes pensent comme entre deux vins. N’est-ce pas, monsieur de M… ?
Le lit découvre tous les secrets : Nox nocti indicat scientiam.
On s’est réduit partout à la vie simple. La semaine sainte de Rome et le carnaval de Venise n’ont plus de réputation. On va au bal comme à la messe, par habitude.
Les avares sont comme les mines d’or qui ne produisent ni fleurs ni feuillages.
L’honneur est le diamant que la vertu porte au doigt.
Peser le mérite des hommes ! il faudrait avoir la main bien forte pour soutenir une telle balance.
La science est comme la terre : on n’en peut posséder qu’un peu.
Pénétration, science, invention, nettetté, éloquence : voilà l’esprit.
L’âme est un timbre sur lequel agissent cinq marteaux : chacun frappe en un endroit différent. Il n’y a pas de point mathématique : donc l’âme est étendue, donc elle est matérielle.
Dois-je dépouiller un être de toutes les propriétés qui frappent mes sens, parce que l’essence de cet être m’est inconnue ? Il se peut faire que nous devenions quelque chose après notre mort : une chenille se doute-t-elle qu’elle deviendra papillon ?
Ceux qui se rendent au dernier avis sont comme ces Indiens qui croyaient qu’on allait au ciel avec ses dernières pensées.
Tout corps animé est un laboratoire de chimie : Deus est philosophus per quem.
Quand Roland eut repris son sens commun, il ne fit presque plus rien. Belle leçon pour finir en paix sa vie !
Les poëtes, qui ont tout inventé excepté la poésie, ont inventé les enfers et s’en sont moqués les premiers.Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari !
On demandait grâce à Épaminondas pour un officier débauché : il la refuse à ses amis, et l’accorde à une courtisane.
Christophe Colomb devine et découvre un nouveau monde ; un marchand, un passager lui donne son nom. Bel exemple des quiproquos de la gloire !
Ambassade d’un peuple de sauvages à Cortez : « Tiens, voilà cinq esclaves si tu es dieu, mange-les ; si tu es homme, voilà des fruits et des coqs d’Inde. »
Réponse d’un roi de Sparte à des orateurs de Clazomène : « De votre exorde il ne m’en souvient plus ; le milieu m’a ennuyé ; et quant à la conclusion, je n’en veux rien faire. »
C’est la réponse de Dieu aux suppliques des dévots.
Le roi Amasis, parvenu d’une condition servile au trône, fit fondre une cuvette dans laquelle il se lavait les pieds, et en fit un dieu.
On ne dit guère aujourd’hui un philosophe newtonien, parce qu’à l’attraction près, qui est si probable, tout est démontré dans Newton, et que la vérité ne peut porter un nom de parti. On disait les philosophes cartésiens, parce que Descartes n’avait que des imaginations, et que ceux qui suivaient sa doctrine étaient du parti d’un homme, et non de la vérité.
Aristote était un grand homme, sans doute ; mais que m’importe ? je n’ai rien à apprendre de lui. C’était un grand génie, je le veux ; mais il n’a dit que des sottises en philosophie. — Manco-Capac et Odin, Confucius. Zoroastre, Hermès, auraient peut-être été de nos jours de l’Académie des sciences. L’homme de génie serait tombé aux pieds du savant.
Le siècle présent n’est que le disciple du siècle passé. On s’est fait un magasin d’idées et d’expressions où tout le monde puise.
Qui est-ce qui disait que son fils allait étudier, et qu’il prêchait en attendant ?
La religion est comme la monnaie. les hommes la prennent sans la connaitre.
Belles paroles de Susanne de Suse en mourant : « Grand Dieu, je t’apporte quatre choses qui ne sont pas dans toi : le néant, la misère, les fautes et le repentir. »
Les paroles sont aux pensées ce que l’or est aux diamants : il est nécessaire pour les enchâsser, mais il en faut peu.
Lord Peterborough en voyant Marly dit : « Il faut avouer que les hommes et les arbres plient ici à merveille. » Il disait de George Ier : « J’ai beau appauvrir mes idées, je ne puis me faire entendre de cet homme. » Et pourtant milord ne se faisait entendre de Mlle Lecouvreur qu’à force d’or.
Il est aisé de tromper les savants. Michel-Ange fait une statue que tous les connaisseurs prennent pour une antique. Boulogne fait un tableau qu’on vend pour un Paul Véronèse ; et Mignard, attrapé, lui dit : « Faites donc toujours des Paul, et jamais des Boulogne ! »
La superstition est tout ce qu’on ajoute à la religion naturelle. Les philosophes platoniciens affermirent la religion chrétienne ; les nouveaux philosophes l’ont détruite. Tout auteur d’une religion nouvelle est nécessairement persécuté par l’ancienne ; mais la nouvelle persécute à son tour. La morale est la même d’un bout du monde à l’autre. Confucius, Cicéron, Platon, le chancelier de l’Hospital, Locke, Newton, Gassendi, sont de la même Église. Dieu a fait l’or ; les alchimistes veulent en faire.
Les jacobins ont une bulle qui leur ordonne de célébrer la fête de l’Immaculée Conception, et une bulle qui leur permet de n’y pas croire. Quand ils sont docteurs, ils jurent l’Immaculée ; reçus dominicains, ils l’abjurent.
Chaque nation a son grand homme : on fait sa statue d’or ; on jette au rebut les autres métaux dont l’idole était composée ; on oublie ses défauts. Voilà comme on canonise les saints ; on attend que les témoins de leurs vices soient morts.
L’amour vit de contrastes. La Béjart disait qu’elle ne se consolerait jamais de la perte de ses deux amants : l’un était Gros-René, et l’autre le cardinal de Richelieu[9].
Les protestants ont réformé l’Église romaine en la rendant plus attentive sur elle-même ; mais cette Église, devenant plus décente et plus sévère a anéanti le génie italien. Il n’a plus été permis de penser en Italie. La liberté a enlevé le génie anglais ; l’esclavage a flétri l’esprit italien.
Les idées sont précisément comme la barbe ; elle n’est point au menton d’un enfant : les idées viennent avec l’âge.
Dryden, dans le Spanish Friar, dit : « Il reste à savoir si le mariage est un des sept sacrements, ou un des sept péchés mortels. » C’est l’un et l’autre.
Un protestant avait converti sa première femme ; il ne put convertir la seconde : ses arguments n’étaient plus si forts. Newton faisait souvent ce conte.
Il ne faut pas forcer le peuple ; c’est une rivière qui creuse elle-même son lit on ne peut faire changer son cours.
Il n’y a point d’avare qui ne compte faire un jour une belle dépense : la mort vient et fait exécuter ses desseins par un héritier. C’est l’histoire de plus d’un roi de ma connaissance.
Πολιτικός signifiait citoyen : il signifie aujourd’hui ennemi des citoyens.
Pourquoi la liberté est-elle si rare ? Parce qu’elle est le premier des biens. Pourquoi est-elle le premier des biens ? Parce qu’elle n’est pas de ce monde.
Il en est des différents ouvrages comme de la vie civile. Les affaires demandent du sérieux, et le repas de la gaieté. Mais aujourd’hui on veut tout mêler : c’est mettre un habit de bal dans un conseil d’État. Il faut qu’il y ait des moments tranquilles dans les grands ouvrages, comme dans la vie après les instants de passion.
L’auteur le plus sublime doit demander conseil. Moïse, malgré sa nuée et sa colonne de feu, demandait le chemin de Jethro.
Ô grandeur des gens de lettres ! Qu’un premier commis fasse un mauvais livre, il est excellent ; que leur confrère en fasse un bon, il est honni.
Prière des pèlerins de la Mecque : « Mon Dieu, délivre-nous des visages tristes ! » Ces pèlerins-là avaient été à Pompignan.
La plus grande dignité pour un homme de lettres est sa réputation.
Le père Tournon a fait six volumes de l’Histoire des dominicains. — et je n’en ai fait que deux de celle de Louis XIV ! Et j’en ai fait un de trop.
Le Welche me dit qu’on gâte son esprit en voulant l’orner ; mais puisque l’esprit est une fête qu’on donne à la pensée, pourquoi ne pas y mettre des fleurs ?
La cause de la décadence des lettres, c’est qu’on a atteint le but ; ceux qui viennent après veulent le passer.
Tout est devenu bien commun. Tout est trouvé ; il ne s’agit que d’enchâsser.
Le premier qui a dit que les roses ne sont point sans épines, que la beauté ne plait point sans les grâces, que le cœur trompe l’esprit, a étonné. Le second est un sot.
- ↑ Il parut en 1802, dans les formats in-12 et in-8°, un volume intitulé Pensées, Remarques, et Observations de Voltaire ; ouvrage posthume. Il me sembla que Voltaire devait être l’auteur d’une partie de ce volume ; mais qu’on pouvait avoir des doutes sur beaucoup d’articles. Ce fut en ces termes que j’en parlai à Laharpe, que j’étais allé voir dans son exil à Corbeil, et qui, quelques jours après (le 17 juin 1802), m’écrivit : « Je suis absolument de votre avis sur ces informes et misérables rapsodies que l’on nomme Tablettes de Voltaire. »
M. A.-A. Renouard a le premier, en 1821, admis dans les Œuvres de Voltaire (tome XLIII de son édition) un choix fait par lui de ces Pensées, et c’est ce choix que je reproduis aujourd’hui, comme l’ont fait mes prédécesseurs. (B.)
- ↑ Voltaire a cité cette pensée comme étant d’un ancien ; voyez tome XIX, page 93.
- ↑ Jouy, citant cette pensée comme un propos, écrit : « Nos savants d’Allemagne. »
- ↑ Laharpe remarquait, à l’occasion de cette phrase, qu’on relit les lettres d’amour, et qu’on revoit les personnes qui plaisent. (B.)
- ↑ Voilà pourquoi Voltaire donnait à Frédéric le nom de Denys ; voyez sa lettre à d’Alembert, du 28 septembre 1763.
- ↑ Voltaire a parlé plusieurs fois des Colladon, ancienne famille de Genève.
- ↑ Voyez la note, tome XIII, pages 96-97.
- ↑ Pensées écartées par Renouard et Beuchot, comme n’étant pas de Voltaire.
- ↑ Gros-René (Duparc) mourut le 4 novembre 1664 ; le duc de Richelieu était mort le 4 décembre 1642. Cet intervalle de vingt-deux ans rend le propos attribué à la Béjart bien peu vraisemblable.