Pensées (Pascal)/2e éd. Desprez/XV

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Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, qui ont esté trouvées après sa mort parmy ses papiers (1670)
Guillaume Desprez (p. 113-125).

XV.

Preuves de Jésus-Christ par les prophéties.



La plus grande des preuves de Jésus-Christ ce sont les prophéties. C’est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu ; car l’événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l’Église jusqu’à la fin. Ainsi Dieu a suscité des Prophètes durant seize cents ans ; et pendant quatre cents ans après il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de Jésus-Christ, dont l’Évangile devant être cru par tout le monde, il a fallu non seulement qu’il y ait eu des prophéties pour le faire croire, mais encore que ces prophéties fussent répandues par tout le monde, pour le faire embrasser par tout le monde.

[§] Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de Jésus-Christ pour le temps, et pour la manière, et que Jésus-Christ serait venu conformément à ces prophéties, ce serait une force infinie. Mais il y a bien plus ici. C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans, qui constamment et sans variation viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce, et qui subsiste pendant quatre mille années, pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont, et dont ils ne peuvent être détournés par quelques menaces et quelque persécution qu’on leur fasse : ceci est tout autrement considérable.

[§] Le temps est prédit par l’état du peuple Juif, par l’état du peuple Païen, par l’état du temple, par le nombre des années.

[§] Des prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie, il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps ; et ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Daniel seraient accomplies ; que le sceptre fût alors ôté de Juda ; et qu’alors le Messie arrivât. Et Jésus-Christ est arrivé alors qui s’est dit le Messie.

[§] Il est prédit que dans la quatrième Monarchie, avant la destruction du second temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée, et en la septantième semaine de Daniel, les Païens seraient instruits, et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs ; que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, et remplis de sa crainte et de son amour.

Et il est arrivé qu’en la quatrième Monarchie, avant la destruction du second temple, etc. les Païens en foule adorent Dieu, et mènent une vie angélique ; les filles consacrent à Dieu leur virginité, et leur vie ; les hommes renoncent à tout plaisir : ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits, une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants par la vertu de peu de paroles.

Qu’est-ce que tout cela ? C’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant. Effundam spiritum meum super omnem carnemJoël 2, 28.. Tous les peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence ; toute la terre devient ardente de charité : les Princes renoncent à leurs grandeurs : les riches quittent leurs biens ; les filles souffrent le martyre ; les enfants abandonnent la maison de leurs pères, pour aller vivre dans les déserts. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.

Depuis deux mille ans le Dieu des Juifs était demeuré inconnu parmi l’infinie multitude des nations païennes ; et dans le temps prédit les Païens adorent en foule cet unique Dieu : les temples sont détruits : les Rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est-ce que tout cela ? C’est l’Esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.

[§] Il est prédit que le Messie viendrait établirJér. 23-7 une nouvelle alliance qui ferait oublier la sortie d’Égypte ; qu’il mettrait sa loi non dans l’extérieur, mais dans les cœursIsaïe, 51.7
Jér. 31-33
Idem 32-40
 ; qu’il mettrait sa crainte, qui n’avait été qu’au dehors, dans le milieu du cœur.

Que les Juifs réprouveraient Jésus-Christ, et qu’ils seraient réprouvés de Dieu, parce que la vigne élueIs. 5, 2, 3, 4 etc. ne donnerait que du verjus. Que le peuple choisi serait infidèle, ingrat et incrédule, populum non credentem, et contradicentemIs. 65, 2. Que Dieu les frapperait d’aveuglementDeut. 18, 28 et 29., et qu’ils tâtonneraient en plein midi comme des aveugles.

Que l’Église serait petite en son commencementÉzéch. 17, et croîtrait ensuite.

Il est prédit qu’alors l’idolâtrie serait renverséeÉzéch. 30, 13 ; que ce Messie abattrait toutes les idoles, et ferait entrer les hommes dans le culte du vrai Dieu.

Que les temples des idoles seraient abattus, et que parmi toutes les nations, et en tous les lieux du monde on lui offrirait une hostie pureMalachie 1, 11, et non pas des animaux.

Qu’il enseignerait aux hommes la voie parfaite.

Qu’il serait Roi des Juifs et des Gentils.

Et jamais il n’est venu ni devant ni après aucun homme qui ait rien enseigné approchant de cela.

[§] Après tant de gens qui ont prédit cet avènement, Jésus-Christ est enfin venu dire : me voici, et voici le temps. Il est venu dire aux hommes, qu’ils n’ont point d’autres ennemis qu’eux-mêmes ; que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu ; qu’il vient pour les en délivrer, et pour leur donner sa grâce, afin de former de tous les hommes une Église sainte ; qu’il vient ramener dans cette Église les Païens et les Juifs ; qu’il vient détruire les idoles des uns, et la superstition des autres.

Ce que les prophètes, leur a-t-il dit, ont prédit devoir arriver, je vous dis que mes Apôtres vont le faire. Les Juifs vont être rebutés ; Jérusalem sera bientôt détruite ; les Païens vont entrer dans la connaissance de Dieu ; et mes Apôtres les y vont faire entrer, après que vous aurez tué l’héritier de la vigne.

Ensuite les Apôtres ont dit aux Juifs : vous allez être maudits : et aux Païens : vous allez entrer dans la connaissance de Dieu.

À cela s’opposent tous les hommes par l’opposition naturelle de leur concupiscence. Ce Roi des Juifs et des Gentils est opprimé par les uns et par les autres qui conspirent sa mort. Tout ce qu’il y a de grand dans le monde s’unit contre cette Religion naissante, les savants, les sages, les Rois. Les uns écrivent, les autres condamnent, les autres tuent. Et malgré toutes ces oppositions, voilà Jésus-Christ, en peu de temps, régnant sur les uns et les autres ; et détruisant et le culte Judaïque dans Jérusalem qui en était le centre, et dont il fait sa première Église ; et le culte des idoles dans Rome qui en était le centre, et dont il fait sa principale Église.

Des gens simples et sans force, comme les Apôtres et les premiers Chrétiens, résistent à toutes les puissances de la terre ; se soumettent les Rois, les savants, et les sages ; et détruisent l’idolâtrie si établie. Et tout cela se fait par la seule force de cette parole, qui l’avait prédit.

[§] Les Juifs, en tuant Jésus-Christ pour ne pas le recevoir pour Messie, lui ont donné la dernière marque de Messie. En continuant à le méconnaître, ils se sont rendus témoins irréprochables. Et en le tuant et continuant à le renier, ils ont accompli les prophéties.

[§] Qui ne reconnaîtrait Jésus-Christ à tant de circonstances qui en ont été prédites ? Car il est dit :

Qu’il aura un PrécurseurMalachie 3, 1.

Qu’il naîtra enfantIs. 9, 6.

Qu’il naîtra dans la ville deMichée 5, 2 Bethléem ; qu’il sortira de la famille de Juda et de David ; qu’il paraîtra principalement dans Jérusalem.

Qu’il doit aveugler les sages et les savantsIs. 6, 8 et 29, 18, et annoncer l’Évangile aux pauvres et aux petits ; ouvrir les yeux des aveugles, et rendre la santé aux infirmes, et mener à la lumière ceux qui languissent dans les ténèbres.

Qu’il doit enseigner la voie parfaiteIs. 42. 55, et être le précepteur des Gentils.

Qu’il doit être la victimeIs. 53 pour les péchés du monde.

Qu’il doit être la pierreIs.28.15 fondamentale et précieuse.

Qu’il doit être la pierre d’achoppementIs.8.14 et de scandale.

Que Jérusalem doit heurter contre cette pierreibid. 15.

Que les édifiants doivent rejeter cette pierrePs. 117.

Que Dieu doit faire de cette pierre le chef du coinibid..

Et que cette pierre doit croître en une montagne immenseDeut. 2, 35, et remplir toute la terre.

Qu’ainsi il doit être rejeté, méconnu, trahi, vendu Zach. 11, 12, souffleté, moqué, affligé en une infinité de manières, abreuvé de fielPs. 69, 21 ; qu’il aurait les pieds et les mains percéesPs. 22, 17, qu’on lui cracherait au visageIs. 50, 6, qu’il serait tuéDaniel 9, 26, et ses habits jetés au sortPs. 22 18.

Qu’il ressusciterait le troisième jourPs. 16, 10
Osée 6, 2
.

Qu’il monterait au ciel, pour s’asseoir à la droite de DieuPs. 109, 1.

Que les rois s’armeraient contre luiPs. 2. 2.

Qu’étant à la droite du Père, il sera victorieux de ses ennemisPs. 109, 1.

Que les Rois de la terre, et tous les peuples l’adoreraientIs. 60, 10.

Que les Juifs subsisteront en nationJérémie 31, 36.

Qu’ils seront errants, sans Rois, sans sacrifice, sans autel, etc.Osée 3, 4 sans Prophètes ; attendant le salut, et ne le trouvant pointAmos. Is. 41.

[§] Le Messie devait lui seul produire un grand peuple, élu, saint, et choisi ; le conduire, le nourrir, l’introduire dans le lieu de repos et de sainteté ; le rendre saint à Dieu, en faire le temple de Dieu, le réconcilier à Dieu, le sauver de la colère de Dieu, le délivrer de la servitude du péché qui règne visiblement dans l’homme ; donner des lois à ce peuple, graver ces lois dans leur cœur, s’offrir à Dieu pour eux, se sacrifier pour eux, être une hostie sans tache, et lui-même sacrificateur ; il devait s’offrir lui-même, et offrir son corps et son sang, et néanmoins offrir pain et vin à Dieu. Jésus-Christ a fait tout cela.

[§] Il est prédit qu’il devait venir un libérateur, qui écraserait la tête au démon, qui devait délivrer son peuple de ses péchés, ex omnibus iniquitatibus : qu’il devait y avoir un nouveau Testament qui serait éternel ; qu’il devait y avoir une autre prêtrise selon l’ordre de Melchisedech ; que celle-là serait éternelle ; que le Christ devait être glorieux, puissant, fort, et néanmoins si misérable qu’il ne serait pas reconnu ; qu’on ne le prendrait pas pour ce qu’il est, qu’on le rejetterait, qu’on le tuerait ; que son peuple qui l’aurait renié, ne serait plus son peuple ; que les idolâtres le recevraient, et auraient recours à lui ; qu’il quitterait Sion pour régner au centre de l’idolâtrie ; que néanmoins les Juifs subsisteraient toujours ; qu’il devait sortir de Juda, et qu’il n’y aurait plus de Rois.

[§] Les prophètes sont mêlés de prophéties particulières, et de celles du Messie ; afin que les prophéties du Messie ne fussent pas sans preuves, et que les prophéties particulières ne fussent pas sans fruit.

[§] Non habemus Regnem nisi Cæsarem[1], disaient les Juifs. Donc Jésus-Christ était le Messie ; puisqu’ils n’avaient plus de Roi qu’un étranger, et qu’ils n’en voulaient point d’autre.

[§] Les septante semaines de Daniel sont équivoques pour le terme du commencement, à cause des termes de la prophétie, et pour le terme de la fin, à cause des diversités des Chronologistes. Mais toute cette différence ne va qu’à deux cents ans.

[§] Les prophéties qui représentent Jésus-Christ pauvre, le représentent aussi maître des nations.

Les prophéties qui prédisent le tempsIs. 53. Zach. 9, 9, ne le prédisent que maître des Gentils et souffrant, et non dans les nues ni juge. Et celles qui le représentent ainsi jugeant les nations et glorieux, ne marquent point le temps.

[§] Quand il est parlé du MessieIs. 65, 15-16, comme grand et glorieux, il est visible que c’est pour juger le monde, et non pour le racheter.

  1. Nous n’avons de roi que César. Jean 19, 15. (les notes de traduction sont de Wikisource)