Pensées d’un esprit droit/Mœurs et caractère. Notes de J. J. Rousseau

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MŒURS ET CARACTÈRE.


Notes


DE J. J. ROUSSEAU

Mœurs et Caractère.

Notes manuscrites.

Mœurs et Caractère.

Confessions.

1.

Je ne sais si la bibliothèque est un meuble à mon usage[1].

1.

J’ignore s’il a une bibliothèque et si c’est un meuble à son usage[2].

2.

Je ne crois devoir à personne plus de ménagement qu’à moi-même.

2.

Malgré le sentiment de mes vices, j’ai pour moi une haute estime.

4e Lettre à M. de Malesherbes, 1762.

3.

Je n’ai jamais connu l’ennui, même

4.
censure de la sorbonne

De quoi se mêlait-elle ? voulait-elle assurer que je n’étais pas catholique ? Tout le monde le savait. Voulait-elle prouver que je n’étais pas bon calviniste ? c’était prendre un soin bien singulier ; c’était se faire les substituts de nos ministres.

4.
censure de la sorbonne.

De quoi pouvait se mêler la Sorbonne dans cette affaire ? Voulait-elle assurer que je n’étais pas catholique ? Tout le monde le savait. Voulait-elle prouver que je n’étais pas bon calviniste ? que lui importait ? C’était prendre…

Le reste comme dans le manuscrit.

Confess., ann. 1762.

5.
Portrait de milord Maréchal.

Il n’est pas sans défauts : c’est un sage, mais c’est un homme. Avec l’esprit le plus pénétrant, le tact le plus fin qu’il soit possible d’avoir, avec la plus profonde connaissance des hommes, il se laisse abuser quelquefois, et ne revient pas. Il a l’humeur singulière, quelque chose de bizarre, d’étranger dans son tour d’esprit. Il paraît oublier les gens qu’il voit tous les jours, et se souvient d’eux au moment qu’ils y pensent le moins. Ses attentions paraissent hors de propos ; ses cadeaux sont de fantaisie et non de convenance. Il donne ou envoie à l’instant ce qui lui passe par la tête, de grand prix ou de nulle valeur, indifféremment.

5.
Portrait de milord Maréchal.

Milord Maréchal n’est pas sans défaut ; c’est un sage, mais c’est un homme. Avec l’esprit le plus pénétrant, avec le tact le plus fin qu’il soit possible d’avoir, avec la plus profonde connaissance des hommes, il se laisse abuser quelquefois, et n’en revient pas. Il a l’humeur singulière, quelque chose de bizarre, et d’étranger dans son tour d’esprit…

Le reste comme dans le manuscrit.

Confess., ann. 1762.

6.

Depuis que j’ai perdu le sommeil, je l’ai peu regretté. L’oisiveté me suffit, et pourvu que je ne fasse rien, j’aime encore mieux rêver éveillé qu’en songe.

6.

J’ai toujours peu regretté le sommeil. L’oisiveté…

Le reste comme dans le manuscrit.

Confess., ann. 1765.

7.

Je n’aime pas la compagnie, où l’on ne fait rien ; et j’aime la solitude pour ne rien faire. N’est-ce pas une contradiction ? S’il y en a, elle est du fait de la nature, et non pas du mien : mais il y en a si peu, que c’est par là précisément que je suis toujours moi.

7.

Ceux qui me reprochent tant de contradictions ne manqueront pas ici de m’en reprocher encore une. J’ai dit que l’oisiveté des cercles me les rendait insupportables, et me voilà recherchant la solitude, uniquement pour me livrer à l’oisiveté. C’est pourtant ainsi que je suis. S’il y a là de la contradiction, elle est du fait de la nature, et non pas du mien : mais il y en a si peu, que c’est par là précisément que je suis toujours moi.

ibid.
8.

L’oisiveté des cercles est tuante, parce qu’elle est de nécessité ; celle de la solitude est charmante, parce qu’elle est libre et de volonté. Dans une compagnie, il m’est cruel de ne rien faire, parce que j’y suis forcé, ayant tout à la fois l’ennui de l’oisiveté, et le tourment de la contrainte ; obligé d’être attentif à tout ce qui se dit, et de fatiguer mon esprit, pour placer quelques mots. Vous appelez cela de l’oisiveté, c’est un tourment de forçat.

8.

L’oisiveté des cercles est tuante, parce qu’elle est de nécessité ; celle de la solitude est charmante, parce qu’elle est libre et de volonté. Dans une compagnie, il m’est cruel de ne rien faire, parce que j’y suis forcé. Il faut que je reste là cloué sur une chaise ou debout planté comme un piquet, sans remuer ni pied ni patte, n’osant ni courir, ni sauter, ni chanter, ni crier, ni gesticuler quand j’en ai envie ; n’osant pas même rêver, ayant à la fois tout l’ennui de l’oisiveté, et tout le tourment de la contrainte ; obligé d’être attentif à toutes les sottises qui se disent et à tous les complimens qui se font, et de fatiguer incessamment ma Minerve pour ne pas manquer de placer à mon tour mon rebus et mon mensonge ; et vous appelez cela de l’oisiveté ! c’est un travail de forçat.

Confess., ann. 1765.

9.

J’ai dit que l’oisiveté des cercles me les rendait insupportables ; et je recherche la solitude uniquement pour me livrer à l’oisiveté.

9.

J’ai dit que l’oisiveté des cercles me les rendait insupportables, et me voilà recherchant la solitude uniquement pour me livrer à l’oisiveté.

ibid.

10.

Vivre sans gêne dans un loisir éternel, est la vie des bienheureux dans le ciel[3] ; j’en faisais mon bonheur suprême dans ce monde-ci.

10.

Il ne me restait pour dernière espérance que celle de vivre sans gêne, dans un loisir éternel. C’est la vie des bienheureux dans l’autre monde, et j’en faisais désormais mon bonheur suprême dans celui-ci.

Confess., ann. 1765.

11.

Je ne trouve pas de plus doux hommage à la Divinité que l’admiration muette qu’excite la contemplation de ses œuvres. Je ne puis comprendre comment des campagnards, et surtout des solitaires peuvent ne pas avoir de foi ; comment leur âme ne s’élève pas cent fois le jour, avec extase, à l’auteur des merveilles qui les frappent. Dans ma chambre, je prie plus rarement et sèchement : mais à l’aspect d’un beau paysage, je me sens ému.

11.

Je ne trouve point de plus digne hommage à la Divinité que cette admiration muette qu’excite la contemplation de ses œuvres, et qui ne s’exprime point par des actes développés. Je comprends comment les habitans des villes qui ne voient que des murs, des rues et des crimes, ont peu de foi ; mais je ne puis comprendre comment des campagnards, et surtout des solitaires peuvent n’en point avoir. Comment leur âme ne s’élève-t-elle pas cent fois le jour, avec extase, à l’auteur des merveilles qui les frappent ? Pour moi, c’est surtout à mon lever, affaissé par mes insomnies, qu’une longue habitude me porte à ces élévations de cœur qui n’imposent point la fatigue de penser ; mais il faut pour cela que mes yeux soient frappés du ravissant spectacle de la nature. Dans ma chambre je prie plus rarement et sèchement : mais à l’aspect d’un beau paysage, je me sens ému sans pouvoir dire de quoi.

Confess., ann. 1765.
12.

Une vieille femme, pour toute prière, ne savait dire que Oh !… l’évêque lui dit : « Bonne femme, continuez de prier ainsi, votre prière vaut mieux que les nôtres. » Cette meilleure prière est aussi la mienne.

12.

J’ai lu qu’un sage évêque, dans la visite de son diocèse, trouva une vieille femme qui pour toute prière, ne savait dire que Oh ! il lui dit : « Bonne mère, continuez de prier toujours ainsi, votre prière vaut mieux que les nôtres. » Cette meilleure prière est aussi la mienne.

Confess., ann. 1765.

13.

L’oisiveté que j’aime n’est pas celle d’un fainéant qui reste les bras croisés dans l’inaction, et ne pense pas plus qu’il n’agit. C’est à la fois celle d’un enfant qui est toujours en mouvement pour ne rien faire, et celle d’un radoteur dont la tête bat la campagne sitôt que ses bras sont en repos. J’aime à m’occuper sans cesse, à faire des riens, à commencer cent choses et n’en achever aucune, à aller et venir comme la tête me chante, à changer à chaque instant de projet, à suivre une mouche dans toutes ses allures à vouloir déraciner un rocher, à entreprendre sans crainte un travail de dix ans, et à l’abandonner au bout de dix minutes ; à muser enfin toute la journée sans ordre et sans suite, et ne suivre en toute chose que le caprice du moment.

13.

L’oisiveté que j’aime n’est pas celle d’un fainéant qui reste là les bras croisés dans une inaction totale, et ne pense pas plus qu’il n’agit. C’est à la fois celle d’un enfant qui est sans cesse en mouvement pour ne rien faire, et celle d’un radoteur qui bat la campagne, tandis que[4] ses bras sont en repos. J’aime à m’occuper à faire des riens, à commencer cent choses et n’en achever aucune, à aller et venir comme la tête me chante, à changer à chaque instant de projet, à suivre une mouche dans toutes ses allures, à vouloir déraciner un rocher pour voir ce qui est dessous, à entreprendre avec ardeur un travail de dix ans, et à l’abandonner sans regrets au bout de dix minutes ; à muser enfin toute la journée sans ordre et sans suite, et à ne suivre en toute chose que le caprice du moment.

Confess., ann. 1765.

14.

Les après-diners, je me livrais totalement à mon humeur oiseuse et nonchalante, et à ne suivre sans règle que l’impulsion de la fantaisie.

FIN.

FIN.

  1. M. Desjobert, ancien grand-maître des eaux et forêts, à qui ce manuscrit a appartenu, écrivit à la suite de cette réflexion : Oui, car ses ouvrages moraux sont des extraits de Cicéron, Senèque, Montaigne, Charron, Plutarque, qu’il exagéré lui-même en disant ne pas savoir si une bibliothèque était un meuble à son usage ? il ne paraît pas avoir jamais eu de bibliothèque. Il pouvait connaître peu de livres ; mais ils furent bien choisis, et il les avait bien lus.
  2. Rousseau parle ici de M. Laliaud de Nîmes. Voy. la notice qui le concerne, dans l’Histoire de la vie et des ouvrages de J. J. Rousseau, par M. D. Musset Pathay, ouvrage plein de recherches et d’intérêt.
  3. Première leçon du manuscrit, raturée par l’auteur : « Vivre sans gêne dans un commerce éternel avec des bienheureux dans le ciel, etc. »
  4. Variante citée en note dans l’édition de Dupont : « Un radoteur dont la tête bat la campagne sitôt que ses etc. »