Pensées philosophiques/Notice préliminaire

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Pensées philosophiques
Pensées philosophiques, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierI (p. 125-126).

NOTICE PRÉLIMINAIRE


Les Pensées philosophiques furent composées, dit-on, du vendredi saint au lundi de Pâques 1746. Les 50 louis qu’elles produisirent à l’auteur étaient destinés, comme on le sait déjà, à Mme de Puisieux qui, par ses exigences réitérées, a puissamment excité la verve créatrice de Diderot et par conséquent mérite quelque reconnaissance. Un arrêt du Parlement, en date du 7 juillet 1746, condamna le petit volume au feu.

On sait que ces condamnations s’exécutaient ordinairement en effigie et qu’on brûlait de vieux papiers sans valeur à la place du livre lui-même : l’édition de 1746 (in-12) n’est donc pas rare. Elle est ornée d’un joli frontispice, non signé, dans le genre d’Eisen, représentant la Vérité enlevant son masque à la Superstition renversée sur un sphinx et un dragon et tenant d’une main son sceptre rompu, tandis que sa couronne roule à terre.

L’ouvrage eut un grand retentissement. Il reparut en 1757 sous le titre : Étrennes aux Esprits forts, avec une Épître en vers à un philosophe. Chez Porphyre, in-18. Une édition portant le même titre, avait été faite, paraît-il, dès 1746, et avait été attribuée à Voltaire. Une autre qui porte cette date 17008 (sic), Londres, contient des notes qui ne sont point de Diderot. Une autre encore, Londres (Amsterdam) 1777, en français et en italien est suivie de l’Entretien d’un philosophe avec Madame la duchesse de *** donné comme œuvre posthume de Thomas Crudeli. Enfin, en 1801, le premier et unique volume d’un Apocalypse de la raison fut de nouveau consacré à la reproduction de ces Pensées.

Des controverses nombreuses s’établirent à ce propos. On peut citer : Pensées philosophiques (de Diderot) et Pensées chrétiennes (par Georges de Polier) mises en parallèle, La Haye, 1746, in-12 ; l’ouvrage de Diderot y est attribué à La Mettrie, qui s’en défendit ; et Pensées raisonnables opposées aux Pensées philosophiques, par Formey, Berlin (Amsterdam) 1749, 1756, in-8o. Voltaire, dans une prétendue lettre de Formey, lui fait dire : « J’apprends qu’un savant de Wittemberg a écrit contre mon titre, et qu’il y trouve une double erreur. »

Un autre opuscule, écrit par le P. Senemaud, jésuite, sous le titre de Pensées philosophiques d’un citoyen de Montmartre (1756, in-12), est assez maltraité dans la correspondance de Grimm. En 1761, des Pensées philosophiques sur divers sujets, avec cette épigraphe : Utimur exemplis parurent à La Haye. L’auteur n’est pas connu. L’ouvrage contient 104 Pensées qui réfutent en les paraphrasant celles de Diderot.

Il y eut encore : Lettres sur l’écrit intitulé Pensées philosophiques et sur le livre des Mœurs, 1749, in-12. L’auteur y peint l’ouvrage comme « dangereux et séduisant » et dit comme conclusion : « Je finis en plaignant l’auteur des Pensées philosophiques du temps qu’il a perdu à les compiler… Je souhaiterais que ce philosophe en détrempe daignât lire avec toute l’attention dont je ne le crois pas tout à fait incapable, le Traité de la vraie religion, en cinq volumes. » Or, l’auteur du Traité est le même que celui des Lettres : l’abbé Fr. Ilharat de la Chambre et nous avons vu que Diderot l’avait lu, puisqu’il le cite plusieurs fois dans l’Essai sur le mérite et la vertu. Ce qui prouve que l’abbé s’exagérait un peu la puissance de sa dialectique.

Outre ces critiques directes et peut-être un peu pesantes, il y eut pendant longtemps, à chaque page, dans les brochures et dans les journaux dirigés contre les Encyclopédistes, des allusions aux Pensées philosophiques. Palissot se distingua surtout dans cette guerre d’escarmouche et rien n’égale sa colère contre le préambule des Pensées si ce n’est sa fureur contre le premier mot de l’Interprétation de la nature.

Comme on le remarquera, Diderot n’est point encore ici ce que Naigeon le fait : purgé de toute matière superstitieuse. Il est toujours déiste ; il a soin seulement de distinguer entre son Dieu et celui des dévots. Il lisait alors Bayle, et, à l’exemple de ce sceptique qui a fourni autant d’arguments aux défenseurs de l’Église qu’à ses ennemis, il avait pris l’habitude de ne pas décider de lui-même, laissant le lecteur glisser du côté où son penchant l’entraînait, après lui avoir montré les deux voies. On retrouvera (Pensées xxii et xxiii surtout) les arguments contre l’athéisme dont il s’était déjà servi dans les Notes de l’Essai sur le mérite et la vertu.

On trouvera même, dans la lviiie pensée, une profession de foi de catholicisme qui aurait dû faire réfléchir les juges qui condamnèrent l’ouvrage, mais qui n’a pas suffi à les désarmer.