Pernette/Les Francs-chasseurs

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CHANT SIXIÈME

LES FRANCS-CHASSEURS




Vers les bois, à travers champs et chemins en pente,
Des hommes, du bétail, la foule au loin serpente ;
Les bâtons et les cris, le fouet des conducteurs,
Pressent les longs troupeaux du côté des hauteurs.
Tout se hâte et si bien, par les prés, par les landes,
Que vaches, ni brebis, ni les chèvres gourmandes
N’ont pu même, en longeant les ravins sinueux,
Tondre ou l’herbe odorante ou le bourgeon mielleux.

Chargés des fardeaux lourds, sur ce sol difficile,
Les mulets au pied sûr se suivent à la file ;
Les ânes, harcelés par de bruyants garçons,
Bercent dans leurs paniers mères et nourrissons.
Montés d’une fillette et d’un vieux patriarche,


Les chevaux écumeux trottent fermant la marche.
Sur les flancs, quelques chars à quatre forts taureaux,
Criant sur leurs essieux, contournent les coteaux.
Jusqu’au fond des forêts, nos bûcherons sauvages
Savent par où guider ces fauves attelages ;
Par les plus durs sentiers, ces bœufs aux cous tendus,
Traînant les longs sapins, sont souvent descendus.
Mais aujourd’hui, plus haut, vers les grottes celtiques,
Montez, tirez nos chars et leurs trésors rustiques,
Allez servir encore, ô nobles animaux !
Dans sa fuite au désert, le peuple des hameaux.

Voici près des manoirs le meurtre et l’incendie !
 
Résolus d’étouffer la révolte hardie,
Furieux, rugissant par la voix du tambour,
D’innombrables soldats marchent contre le bourg.

Hélas ! le fier tocsin n’a réveillé personne !
Aux pas de l’étranger la terre s’abandonne ;
Nul volcan ne jaillit de nos vieux monts gaulois.
Des proscrits, des enfants frappés d’injustes lois,
Seuls de l’antique honneur ont entendu la plainte,
Et sur le sol natal tenté la guerre sainte ;
Attirant par ce coup sur leurs pauvres maisons
L’ennemi rassemblé de tous les horizons.

Alors, il fallut fuir ; vers nos cimes ardues
Par les noirs défilés, par les bois défendues.
On courut, on refit le chemin des aïeux,
Emmenant les troupeaux, les meubles précieux.
Ainsi qu’aux anciens jours, la race émigrait toute ;


Tout ce qui peut combattre, et tout ce qui redoute
Plus cruel que la mort un outrage insolent ;
Tout ce qui peut marcher d’un pas ferme ou tremblant.

Il ne demeure au bourg, dans les maisons sans maître,
Que d’infirmes vieillards sous la garde du prêtre,
Quelque être sans famille et qui veut mourir seul,
Quelques petits enfants soignés par un aïeul,
Tous ceux dont la faiblesse innocente et les larmes
À la fureur des forts ôtent parfois ses armes.

Or, nos braves d’hier, protégeant le départ,
Couvrent les fugitifs d’un mobile rempart.
Le fusil sur l’épaule et le front sans cocarde,
Pierre et ses compagnons forment l’arrière-garde.
Pâtres et laboureurs marchent à côté d’eux.
Jacque, enfin, retrouvait les hommes de l’an deux.
Un vouloir obstiné se lit sur leurs visages ;
La gloire n’est pour rien dans ces mâles courages.

Aux périls de ton clan tu n’aurais pas manqué,
Brave docteur ! c’est là que ton poste est marqué.
Comme un vieux général qui de rien ne s’étonne,
Au galop de la Grise il parcourt sa colonne,
Inspecte, ordonne et gronde. À chacun paternel,
Il va, tantôt railleur et tantôt solennel,
Masque de gais propos le souci qui l’accable,
Et soutient les esprits par sa verve indomptable.

Prêt à porter encor conseils, ordres urgents,
Entre ses deux amis, parmi les jeunes gens,
Il rentrait, il marchait à pied, de verte allure ;


Le cavalier prudent soulageait sa monture.
Alors la causerie allait son plus grand train ;
Le vieux Jacque entonnait son magique refrain,
Et tous deux suscitaient dans l’âme populaire
Tantôt la bonne humeur et tantôt la colère.

« Bien, disait le docteur, nous avons du jarret !
En trois pas nous serons chez nous, dans la forêt.
Nos vrais remparts sont là, sous ces vertes murailles ;
Nous pouvons, à coup sûr, y livrer nos batailles ;
Que l’étranger y monte, il n’en reviendra plus.
Défendons ces créneaux en hommes résolus.
Là, contre des soldats dressés dans une ville,
Aux mains du franc-chasseur un fusil en vaut mille.
Au bord de ces ravins où l’on rampe à genoux,
Chaque arbre nous connaît et combattra pour nous.
Bois sacrés, chemins verts, défilés des montagnes,
Où nous avons tous fait nos premières campagnes,
Où joyeux, oublieux du froid et de la faim,
Menant la chasse ardente ou les rêves sans fin,
Nous avons dans l’air vif trempé nos jeunes fibres
Et connu le bonheur d’être seuls, d’être libres !
Tant que vous prêterez votre ombre à ces sommets,
L’étranger contre nous ne prévaudra jamais,
Et nul homme de cœur ne subira de maîtres,
S’il a pour vieux amis vos sapins et vos hêtres.
Respectez, laboureurs, ces forêts des hauts lieux ;
Gardez à vos enfants ce legs de vos aïeux ;
N’allons pas de nos mains, ô Celtes infidèles,
Démanteler, là-haut, nos vieilles citadelles ;
Conservons aux vaincus ces abris redoutés !
Qui sape nos forêts, sape nos libertés. »


Sombre entre tous, chantant, jusqu’alors, sans mot dire,
Le vieux soldat du Rhin eut un amer sourire ;
Il secoua la tête et, d’un ton méprisant,
Il s’écria, honteux des hommes d’à présent :

« Les bois sont des remparts, mais il faut les défendre,
Et quand le tocsin parle il faut savoir comprendre.
Il faut qu’un peuple entier ne soit pas endormi,
Lorsque les gens de cœur marchent à l’ennemi.
Combien se sont levés dans toute notre France ?
Quel bourg a fortement voulu sa délivrance ?
Nous voilà seuls, trahis, pas un n’ose bouger ;
Comme un libérateur on reçoit l’étranger.
Toute la nation, dans ses cités en fêtes,
Semble se réjouir de ses propres défaites,
Je ne reconnais plus la terre où je suis né !
A quoi, sur mes vieux jours, suis-je donc condamné !
Moi, qui l’ai vu, ce peuple, en sa liberté fière,
De vingt rois en un jour nettoyer sa frontière !
Le vieux Jacque en était, de ces durs bataillons.
Qui donc en chiens couchants m’a changé ces lions ?
Oui, certes, à défaut du plomb sur qui je compte,
Moi, qui vis ces temps-là, je mourrai de ma honte. »

Ces mots touchèrent droit chez l’indulgent docteur
Le seul ressentiment qui vibrât dans son cœur ;
Le seul nom qu’ici-bas il ne pouvait absoudre
Passa dans son esprit comme un feu sur la poudre ;
La colère éclata chez cet homme de paix ;
Ses yeux dardaient l’éclair sous leurs sourcils épais.
Et, quittant sa douceur et les notes frivoles,
Sa voix comme un clairon fit sonner ces paroles :


<< Tu sais bien qui nous vaut cette honte et ce deuil !
Quel est l’homme enivré de sang et fou d’orgueil,
Qui nous ôta l’honneur et corrompit l’histoire
En nous tenant quinze ans gorgés de fausse gloire ;
Qui courba tant de fronts fiers devant les bourreaux,
Qui fit tant de laquais avec tant de héros ;
Ce contempteur profond de la nature humaine
Qu’il nous faut, à jamais, charger de notre haine !
L’invasion du sol, les périls d’aujourd’hui,
Nos propres lâchetés, tout est son œuvre à lui !
Chacun, lui rétorquant sa première insolence,
A droit de lui crier : Qu’as-tu fait de la France ?
Mais laissons là cet homme et son trône abattu,
Nous chez qui le vieux sang garde quelque vertu,
Qui, sauvés à demi par notre solitude,
Sommes demeurés purs malgré la servitude ;
Oublions notre haine et ce joug détesté :
Montrons ce que l’on peut avec la liberté !
Je sais qu’en ces déserts où Dieu seul nous contemple
Nous luttons ignorés, sans même être un exemple !
Pour l’honneur du pays nos combats seront vains,
Mais notre propre honneur reste entier dans nos mains ;
Et plus d’un parmi nous va couronner sa vie
Par une de ces morts qu’à tout âge on envie.
Dieu veuille, mes enfants, se souvenir des vieux,
Et m’adresser un coup dont je serai joyeux !
De par mes cheveux blancs j’ai droit de préséance ;
Je servais avant vous et j’adorais la France ;
Puissé-je, en vous léguant un avenir plus doux,
Moi, venu le premier, m’en aller avant vous ;
Heureux de voir crouler d’une chute profonde
Ce despote sanglant qui pesait sur le monde ! »


À ces mots du vieillard on ne répondit rien ;
Mais tous les cœurs battaient à l’unisson du sien,
Et d’un plus ferme pas le bataillon rustique,
Comme pour applaudir, frappa le sol antique.
Au fond de chaque mot sans pénétrer toujours.
Ces braves gens sentaient l’âme de ce discours :
À ces fières hauteurs ils s’élevaient sans peine.
Car c’est ainsi qu’on parle à la nature humaine :
Qu’on s’adresse aux plus grands, aux plus humbles esprits,
Plus le langage est noble et mieux il est compris.

Le docteur, soulagé de sa sainte colère,
Reprit ses doux besoins de gaîté familière,
Et, comme il le faisait à tout bout de chemin,
Sur l’épaule de Pierre il frappa de la main.

Sans perdre un seul accent du discours qui s’achève,
Le jeune chef semblait absorbé dans un rêve,
Tant ses yeux pleins d’éclairs rayonnaient vaguement
De sa troupe aux forêts, des prés au firmament…

Quelle est donc ta vertu d’embellir toutes choses,
O jeunesse, ô printemps qui mets partout des roses ?
Les plus sombres déserts, vus à tes blonds soleils,
S’ornent d’épis dorés et de raisins vermeils.
Ta faiblesse en remontre aux âmes les plus fortes ;
Les dévouements sacrés sont les fruits que tu portes ;
Tu fournis tes combats sans haine et sans orgueil.
Un espoir t’illumine à travers chaque deuil ;
La mort même t’invite, et, sans rien de farouche,
T’emporte en souriant, une fleur à la bouche.


Ainsi Pierre, enivré de sa sève d’avril,
Se sentait deux fois vivre à l’heure du péril ;
Jamais si large flot d’émotions sereines
N’avait si fortement palpité dans ses veines.
Avec tous ses amours, sous un ciel radieux,
Il s’avançait armé sur le sol des aïeux,
Libre en sa jeune audace et fier de ce qu’il ose ;
Prêt à livrer combat pour la plus sainte cause,
Chef élu de soldats qu’il sait tous par leurs noms,
Ayant pour vieux amis ses jeunes compagnons,
Entouré des lieux chers, des souvenirs d’enfance,
Et dans sa volonté debout pour leur défense !
Voici les bois connus, la croix sur le rocher,
Là-bas la maison blanche et la tour du clocher,
Son univers à lui tout entier le regarde…
Pernette est son témoin, Pernette est sous sa garde !
Il va, l’amour le porte ; il va la joie au cœur,
Léger, tranquille, heureux comme un jeune vainqueur :
Des ardeurs de la lutte où sa vertu l’entraîne,
Il a gardé l’ivresse et dépouillé la haine ;
Il a même oublié, tant ses rêves sont hauts,
L’homme, l’homme fatal qui nous fit tous ces maux.

Il marchait, attentif aux vieillards, en silence,
Sans quitter le ciel pur où son âme s’élance ;
Et, jugeant, pour répondre, un discours superflu,
Il leur serra la main d’un geste résolu.

Déjà vers les hauteurs de pourpre ruisselantes,
Les heures s’inclinaient et paraissaient moins lentes ;
Tout se hâtait ; déjà le rideau noir des ifs
Abritait de sa nuit le gros des fugitifs.


Sur les chaumes, encor, depuis le bord des vignes,
Femmes, enfants, montaient en sinueuses lignes.
Entre les derniers ceps, protégés de buissons,
Marchaient nos jeunes gens armés de cent façons ;
Les longs fusils brillaient sur l’églantier des haies,
Et les vaillants propos croisaient les chansons gaies.

Ils vont, ils ont bientôt laissé loin derrière eux
Les vignobles penchants bordés de chemins creux.

Sur ces verts parapets, une halte ordonnée
Retint quelques instants la troupe bien menée,
Durant que les troupeaux, les rustiques convois
Achevaient de gagner l’asile sûr des bois.
Seules restaient, portant l’aiguillon dans les âmes,
Près des hommes armés quelques vaillantes femmes ;
Comme, à tous nos combats mêlant tous nos amours,
Dès le temps des aïeux nous en vîmes toujours.

On se mêle, on s’assied ; on tire des corbeilles
Les miches de pain blanc, quelques vieilles bouteilles ;
On se refait le corps ; et la rouge liqueur
Et les mâles baisers refont aussi le cœur :
Et, là-bas, dans la plaine où leur blancheur rayonne,
On revoit sans pleurer les murs qu’on abandonne.
 
Pauvres murs, greniers pleins, manoirs, riches celliers,
Toit rouge où s’ébattaient les pigeons familiers,
Êtes-vous condamnés à la flamme, au pillage ?

Voilà que l’ennemi rentre dans le village !
Le vent vers la montagne apporte des bruits sourds,


Roulement des canons, des fourgons, des tambours.
Les clairons, tout à coup, de leurs voix plus perçantes,
Jettent sur ces rumeurs des notes menaçantes.
Plus proche et plus strident et par l’écho redit,
Éclatant hors du bourg, le son vole et grandit ;
La troupe a dépassé la dernière muraille,
Et bientôt se déploie en ligne de bataille.
Des mille étroits sentiers bordés par les enclos,
Pressés, les noirs soldats sortaient comme des flots,
Jaloux de châtier par une attaque prompte
Tous ces vils paysans et de venger leur honte.

Alors tout se leva, là-haut ; le jeune chef,
Comme un vieux capitaine, ordonna d’un ton bref,
Et chacun, observant un terrible silence,
Se hâta vers son poste indiqué par avance.
Les femmes, à grands pas, dans les hauts genêts verts,
Priant et sanglotant par les sentiers couverts,
Joignirent les sapins, dernières citadelles.

Madeleine et sa bru marchaient loin derrière elles.

De nos braves amis, on n’en voyait plus un.
Les francs-chasseurs guettaient le moment opportun.
À genoux, accroupi, chacun reste immobile ;
Buissons et chemins creux cachent leur longue file ;
Distants de quelques pas, chaque homme à son créneau.
D’un rempart invisible ils bordaient le coteau ;
À peine respirant et prêts aux moindres signes…

Les Barbares montaient lentement par les vignes.


Muse des lieux que j’aime, esprit sombre des bois,
Qui sonnas le Bardit sous le grand chef gaulois,
Qui fis trembler César dans nos vallons arvernes,
Sors, après deux mille ans, de tes vieilles cavernes !
Non pour dicter des vers qui vibrent un instant ;
Laisse là le chanteur et vole au combattant !
Laisse-moi seul ! sois toute à nos vaillants ! Qu’importe
Que languisse ma voix, tant que leur âme est forte ?
Donne aux yeux de tes fils tes regards acérés,
À leurs reins la vigueur de nos chênes sacrés.
Fais que du plomb rapide, ou de l’acier tenace,
Chacun d’eux frappe au cœur l’ennemi de sa race.

L’étranger aux pas lourds s’étendait sans soupçons,
Devant nos chemins creux couverts par les buissons ;
Quand jaillit, à travers les ronces et les lierres,
Un sifflement aigu suivi de cent tonnerres…
L’écho crépite et gronde, et nos vaillants conscrits,
Dressés et triomphants, s’élancent à grands cris :
Pas un coup de fusil qui n’ait touché son homme,
Et la balle a choisi tous les chefs qu’on renomme !

Surpris et foudroyé, le bataillon trop lent
Hésita, froids soldats, braves, mais sans élan.
Tandis qu’ils frappaient l’air d’une vaine riposte
Et s’alignaient chacun incertain de son poste,
Nos conscrits, bondissant à travers les halliers,
Fiers louveteaux à qui ces bois sont familiers.
Avaient refait, dans l’ombre, une halte invisible
Et répété trois fois la décharge terrible.

Le feu de nos chasseurs remontait par degré,


Pleuvait de chaque roche et de chaque fourré,
Et l’étranger laissait des morts sur chaque étage.
À chaque pas, du nombre il perdait l’avantage.
Il montait, mais d’un pied qui va se ralentir,
Chaque arbre recelait un coup prêt à partir ;
Et déjà, de très haut, dans leur savante fuite,
Nos chasseurs dominaient cette vaine poursuite.
Ils touchaient aux grands bois dont les troncs vénérés,
Comme des combattants étroitement serrés,
Autour des longs rochers, donjons à tête grise,
Font une palissade où tout assaut se brise.
De ces forts boucliers habile à se couvrir,
La troupe s’arrêta pour vaincre ou pour mourir.

Encor bien loin, là-bas, dans les ronces grimpantes,
L’étranger gravissait péniblement les pentes,
Harassé, décimé. Nos braves jeunes gens
L’écrasaient de leurs feux rapides et plongeants ;
Et, déjà, les rochers roulés, par intervalles,
Suffisaient, épargnant le trésor de nos balles.

Pierre en vieux capitaine avait conduit les siens.
Le front de la forêt, bordé d’arbres anciens,
Lançait des coups certains comme une citadelle.
Ces créneaux abritaient chacun sa sentinelle.

Mais cherchons dans l’horreur du combat meurtrier
Celles que Dieu destine à pleurer, à prier.
Je voudrais en lieu sûr, pour y reprendre haleine,
Conduire, pas à pas, Pernette et Madeleine.

L’obscurité des pins cachait depuis longtemps

 
Mères, filles et sœurs, bien loin des combattants ;
L’étranger, patient dans sa longue escalade,
Avec nos francs-tireurs croisait sa fusillade…
Les balles qui sifflaient, qui pleuvaient sur les monts,
Rien n’avait pu hâter celles que nous aimons.
Leur lenteur s’obstinait ; leurs yeux, de place en place,
Suivaient le jeune chef de leur rayon tenace ;
Comme si ce regard, couvant l’être chéri,
Pouvait doubler sa force ou lui donner abri.
Se réglant sur son pas, dans sa fuite intrépide,
Elles marchaient d’un pas plus lent ou plus rapide,
Faisant, ainsi que lui, des retours hasardeux,
Et, quand il s’arrêtait, s’arrêtant toutes deux.

Chacune, alors, montrait son âme tout entière :
L’une, en ses pâles mains jointes pour la prière,
Serrait son chapelet avec plus de ferveur,
Et, mère, elle invoquait la mère du Sauveur.
Mais Pernette ! on eût dit que, dans sa main crispée,
La vierge allait brandir ou la hache ou l’épée.
Debout et le front haut, elle avait dans les yeux
Cet éclair qu’adoraient nos farouches aïeux,
Quand, du fond des forêts, les fauves druidesses
Soufflaient le feu sacré des guerres vengeresses.
Elle ne quittait pas nos vaillants du regard ;
De la bataille ardente, elle aspirait sa part ;
Épiant, de là-haut, si quelque main frappée
Livrerait à la sienne une arme inoccupée ;
Prête, au fond de son cœur, à ces sombres exploits
Qui vous sont familiers, ô filles des Gaulois !
Car, sous vos fronts charmants, Dieu mit de fortes âmes
Et fit ses plus grands coups par la main de nos femmes.


Chez nous et chez nous seuls, terribles aux bourreaux,
Les vierges aux doux yeux ont des cœurs de héros,
Et nul peuple, si loin que sa bannière flotte,
France ! n’eut comme toi sa Jeanne et sa Charlotte.

Or, des fauves Teutons toujours plus destructeur,
Pied à pied, le combat montait vers la hauteur.
Les femmes, avant nous, dans les forêts connues,
Parmi les hauts sapins sont déjà parvenues.
Déjà, nos francs-chasseurs aux créneaux de ces murs
S’embusquent à loisir et tirent à coups sûrs ;
C’est ici la victoire et la suprême halte !
De nos soldats d’un jour le jeune orgueil s’exalte.
Contre un large sapin, Madeleine, à genoux,
Dit avec plus d’espoir son : Jésus, sauvez-nous !
Et, toute à son ardeur amoureuse et guerrière,
Pernette a pris sa place au combat, près de Pierre.
Que d’ivresse à le voir, — mais aussi que d’effroi, —
Calme et fier, parlant haut, obéi comme un roi !
Il semble que lui seul, de son bras noir de poudre,
De ces mille fusils secoue au loin la foudre ;
Mais, aussi, que le plomb, sifflant dans le fourré,
Ne s’adresse d’en bas qu’à ce cœur adoré.

Tout va bien ! tout va bien ! Le feu du lourd barbare,
Loin de se rapprocher, languit, déjà plus rare ;
Les quartiers de granit, le plomb de nos vaillants
Plcuvent à plus grands flots contre les assaillants ;
Malgré la voix des chefs leur bataillon s’arrête.
Enfin le clairon sonne, ordonnant la retraite…
Et, pour mieux l’assurer, mille coups à la fois
Roulent dans les échos, tonnant contre nos bois.


Les rameaux des sapins que leur grêle fracasse
Craquent, tels que, l’hiver, sous le givre et la glace.

Attentif et suivant l’ennemi du regard,
Pierre s’était penché hors de l’ombreux rempart ;
Tout à coup il se dresse, il tressaille, il chancelle ;
Sur sa large poitrine un flot de sang ruisselle…
Prompte comme le vent, Pernette est près de lui,
L’enlace… Et dans ses bras, ferme et flexible appui,
Lentement, sur la feuille et sur la mousse épaisse,
Les deux genoux ployés, le bien-aimé s’affaisse.