Persée et Démétrius
PHILIPPE, Roi de Macédoine.
PERSÉE, fils de Philippe.
DÉMÉTRIUS, fils de Philippe.
ANTIGONE, fille de Néoptolémus.
ÉRIXÈNE, Princesse de Thrace.
PHÉNICE, Confidente d’Érixène.
DIDAS, Favori de Philippe.
ANTIGONUS, Confident de Philippe.
ONOMASTE, Confident de Persée.
ACTE I
Scène première
En vain jusques ici résolu de me taire,
Je me suis déguisé les attentats d’un frère.
En vain, quoi que ma mort fût l’objet de ses voeux,
Du sang qui nous unit j’ai respecté les noeuds,
Sa haine chaque jour en devient plus ardente,
Plus je la dissimule, et plus elle s’augmente,
Et ne me plaindre pas de tout ce que je vois
C’est redoubler l’aigreur qui l’arme contre moi.
Démétrius jaloux du trône de mon père
Ne peut voir sans fureur que l’âge m’y préfère,
Et le titre d’Aîné qui m’acquiert ses États,
Est un crime trop grand pour ne m’en punir pas.
Dès hier, dans ce Spectacle où l’on voit chaque année
Du parti du Vainqueur l’adresse couronnée,
Si le mien n’eût cédé, son transport violent
D’un combat de plaisir en eût fait un sanglant.
Dans le festin qu’ensuite en triomphe il ordonne,
M’y croyant attirer, il veut qu’on m’empoisonne,
Et sûr par mes refus qu’on m’a de tout instruit,
Enfin à force ouverte il vient chez moi de nuit.
Seigneur, je connois trop avec quelle contrainte
Vous laissez contre un frère échapper votre plainte,
Et lorsqu’en mon secours vous cherchez quelque appui,
Je ne refuse point de parler contre lui.
Mon zèle seroit faux s’il craignoit de paroître
Pour celui que les Dieux me destinent pour Maître,
Et toujours prêt pour vous à signaler ma foi,
Puisque vous l’ordonnez, j’irai trouver le Roi ;
Mais dans les mouvements et de haine et de rage
Où l’ardeur de régner pousse un jeune courage,
Quoi que Démétrius vous force à redouter,
Examinez la suite avant que d’éclater.
Il n’est plus de milieu s’il faut qu’on se déclare ;
Chacun n’écoutera qu’une fureur barbare,
Et le sang qui vous joint ne servant qu’à l’aigrir,
Si vous ne le perdez il vous faudra périr.
De ces inimitiés la rage trop avide
Vole sans s’étonner au plus noir parricide,
Et pour en assouvir la brûlante fureur,
Les plus sanglants effets n’ont point assez d’horreur.
Je le sais, cher Didas, et voudrois encor feindre
Si ses emportements ne m’offroient tout à craindre.
Tant que sa jalousie a respecté mes jours,
J’ai traité de mépris ses insolents discours.
J’ai vu sans m’émouvoir qu’il ait avec audace
Publié que par lui le Sénat nous fit grâce,
Et qu’à la Macédoine à son choix malgré moi
Rome peut-être un jour saura donner un Roi.
Mais enfin aujourd’hui qu’une fureur ouverte
Le fait obstinément s’attacher à ma perte,
Pour en rompre le cours, c’est le moins que je puis
Que d’avertir le Roi du péril où je suis ;
Et de peur que l’ennui dont mon âme est atteinte
Ne me force à mêler trop d’aigreur à ma plainte,
Respectant des devoirs où je le vois manquer,
J’emprunte votre bouche afin de l’expliquer.
Votre propre intérêt à parler vous convie ;
Le rang que vous tenez hasarde votre vie,
Et le Prince ne peut achever ses desseins
Qu’il ne punisse en vous l’Ennemi des Romains.
Vos généreux conseils à sortir d’esclavage
Pour ces chers Favoris lui donnent de l’ombrage,
Et sans doute il vous hait d’oser trop soutenir
Un trône que sans eux il ne peut obtenir.
Contre leur fier orgueil tant qu’on me voudra croire,
De ce trône, Seigneur, je soutiendrai la gloire,
Et ne les verrai point s’établir à leur choix
Arbitres souverains des différents des Rois.
Il est temps après tout qu’une éclatante guerre
Nous fasse enfin braver ces Tyrans de la terre,
Et que nous acceptions d’un esprit moins soumis
L’avantage honteux qui nous rend leurs amis.
Ce glorieux projet charme tout mon courage,
Mais le Prince pour nous leur sert toujours d’otage,
Et leur intelligence est trop à redouter
Pour nous croire en pouvoir de rien exécuter.
Si j’en sais bien juger, Seigneur, le Roi n’aspire
Qu’à secouer le joug d’un si fâcheux empire,
Et se lasse de voir les droits abandonnés
Qu’usurpe le Sénat sur les fronts couronnés.
Ces ordres absolus dont la fierté le chasse.
De ce qu’il a conquis aux Côtes de la Thrace,
Semblent l’aigrir assez pour ne balancer pas
À repousser un jour de pareils attentats.
C’est à quoi je le porte, et si par mon adresse
J’apprends jusqu’où le Prince engage sa tendresse,
Si ses vrais sentiments pour lui me sont connus,
L’obstacle que je crains ne m’arrêtera plus.
J’en vais tenter l’épreuve, et vous en rendrai compte.
Vous voyez mon malheur connoissant notre honte.
Parlez, et de vos soins à l’État importants
Mon cœur croira tenir le trône que j’attends.
Scène II
Ainsi pour prévenir l’ambition d’un frère,
Le secours de Didas nous étoit nécessaire,
Le Roi l’écoutant seul, on n’eût pu rien sans lui.
Je n’ose encor pour vous m’en promettre l’appui ;
Il semble à s’expliquer, Seigneur, qu’il ait eu peine.
Mais il est ennemi de la Grandeur Romaine,
Et son faste insolent lui blesse trop les yeux.
Il faut pourtant songer à vous l’acquérir mieux.
Quoi qu’il vous ait promis, toute sa Politique
À sa seule grandeur sans relâche s’applique,
Et prêt des deus Partis à se joindre au plus fort,
Il attend que quelque autre en décide le sort.
Avec l’appui du peuple à ses vœux favorable,
Démétrius, Seigneur, lui paroît redoutable,
Et sans doute il craindra d’attirer son courroux
S’il ne voit que le Roi se déclare pour vous.
Cherchez donc à l’aigrir par tout ce que la plainte
Peut jeter dans son âme et d’horreur et de crainte,
D’un parricide affreux montrez-lui le projet,
Que sa tête et la vôtre en sont l’indigne objet,
Et songez que le droit d’un trône héréditaire
Ne vous demeure sûr qu’en perdant votre frère.
L’occasion est belle, et l’audace des siens
À vos ressentiments en offre les moyens.
Tout ce qui se fit hier prouve sa violence,
Et ce qui doit surtout servir votre vengeance,
Vous savez que de Rome on attend aujourd’hui
Ceux qu’envoya le Roi pour s’informer de lui.
Sous couleur d’Ambassade et d’affaires publiques,
Ils alloient épier des secrètes pratiques,
Et fût-il innocent, ils noirciront sa foi,
De tout ce qui la peut rendre suspect au Roi.
C’est là ce qu’en partant vous leur fîtes promettre,
Et si par le secours de quelque fausse lettre,
Il faut pour le convaincre étendre le forfait,
Le seing de Quintius se verra contrefoit.
Ne balançons donc plus une juste entreprise,
Où m’engage le trône, où l’amour m’autorise.
Perdons ce frère ingrat dont l’insolent pouvoir
Fait pour l’un et pour l’autre obstacle à mon espoir.
La Princesse de Thrace en vain m’est destinée,
En vain le Roi m’en veut assurer l’hyménée,
De mes tristes soupirs l’hommage dédaigné
Enorgueillit un cœur que le Prince a gagné ;
Ses soins qu’à préférer on voit qu’elle s’apprête,
Dérobent à mes vœux cette illustre conquête,
Et par ce fier Rival sans cesse traversé,
Je frémis de sa perte, et m’y trouve forcé.
Ce refus n’est-il pas une marque assurée
Qu’avec lui la Princesse a la vôtre jurée ?
La Thrace dès longtemps unie à nos États
La doit laisser Sujette à ne vous choisir pas,
Et dans l’ambition dont on la voit capable,
Croiriez-vous à ses yeux Démétrius aimable,
Si l’appui des Romains n’avoit su l’assurer
Qu’au trône malgré vous il a droit d’aspirer ?
En seroit-il aimé s’il ne la faisoit pas Reine ?
Non, Onomaste, non, et c’est ce qui me gêne
Que de son cœur en vain je tâche à l’éloigner,
Si sa mort ne me laisse assuré de régner.
Quoi, Seigneur, en effet vous cherchez à lui plaire.
D’abord je n’eus dessein que de nuire à ce frère.
Ayant su son amour, par un décret fatal,
Sans me sentir amant je me fis son Rival ;
Mais las ! Je n’appris pas longtemps à la connoître
Qu’en secret je devins ce que je feignois d’être.
Son mérite à mes yeux vivement exposé
Me fit naître un vrai mal d’un tourment supposé,
Et mon cœur qu’aux soupirs forçoit un peu d’étude
Ne s’en fit que trop tôt une douce habitude.
Seigneur, s’il est ainsi, j’imagine un dessein
Dont le succès pour vous ne peut être incertain,
Vous assurez vos droits, ou gagnez la Princesse.
Contre Démétrius faisons agir l’adresse,
Tant que le Roi craignant ses secrets attentats
Le force d’épouser la fille de Didas.
Pour s’assurer de lui le prétexte est plausible,
Didas garde pour Rome une haine invincible,
Et contre les projets dont s’alarme le Roi,
Le Prince étant son gendre, il répond de sa foi.
Mais sa brigue par là se rendroit plus puissante ?
Seigneur, à cet hymen vous croyez qu’il consente,
Lui qui pour la Princesse ardemment enflammé
Prétend n’aimer qu’autant qu’il se connoît aimé,
Non, non, je n’en mets point le refus en balance,
Il saura de Didas rejeter l’alliance,
Et d’un pareil mépris Didas trop indigné
Contre lui par nos soins sera bientôt gagné.
Jugez pour s’en venger ce qu’il doit entreprendre.
Mais si par Politique il s’en veut faire Gendre,
Didas que flatteront les orgueilleux desseins
Se peut mettre avec lui du parti des Romains ?
Alors si jusque-là son courage s’abaisse
Son infidélité vous acquiert la Princesse,
Qui dans les vifs transports de son juste courroux
Ne peut mieux le punir qu’en se donnant à vous.
Quant au trône, Seigneur, quoi que Didas pût faire,
Le Ciel qui vous y place en exclut votre frère,
Et pour vous maintenir dans ce rang glorieux,
Nous saurons, s’il le faut, prêter secours aux Dieux.
J’aurois tort de combattre un avis si fidèle,
Et m’abandonne entier à l’ardeur de ton zèle.
La Princesse paroît, adieu, retire-toi,
Tu peux sur ce dessein sonder l’esprit du Roi.
Scène III
Et bien, Madame, enfin un orgueil inflexible
Vous rendra-t-il toujours à mes maux insensible,
Et d’un feu si constant l’infatigable ardeur
N’aura-t-elle aucun droit de toucher votre cœur ?
Si le Ciel laisse en nous cette ardeur volontaire,
On doit n’aimer, Seigneur, qu’autant qu’elle peut plaire,
Et s’il contraint nos cœurs, ne m’accusez de rien ;
Comme il force le vôtre, il peut forcer le mien.
Ah, n’autorisez point ce mépris de ma flamme
Par ce que prend le Ciel d’empire sur une âme.
Je sais bien que l’Amour à vaincre intéressé,
Quand il occupe un cœur, n’en peut être chassé,
Mais bien loin que d’en haut l’ordre nous violente,
Il ne le surprend point que ce cœur n’y consente.
C’est par son seul aveu qu’on se laisse enflammer
Et l’on est toujours libre à commencer d’aimer.
S’il en est ainsi, Seigneur, que vous le voulez croire,
De cette liberté ne m’ôtez pas la gloire,
Et souffrez qu’à mon choix on me voie ordonner
Du seul bien que les Dieux semblent m’abandonner.
La Thrace où je naquis par vos armes conquise
Rend ma triste fortune à cet État soumise,
Et dans un sort si dur, ce m’est quelque douceur
Que je puisse du moins disposer de mon cœur.
Disposez-en, madame, et refusez de croire,
Que mon hymen sur vous pût jeter quelque gloire ;
Ne voyez point qu’un trône offert par cet accord
Vous auroit fait raison des outrages du Sort.
Ce frère dont l’audace à votre amour aspire
Vaut bien…
J’entends, Seigneur, ce que vous voulez dire,
De sa flamme à mon cœur les seuls charmes sont doux ;
Mais si vous le croyez, que me demandez-vous ?
Non, non, Madame, non, et malgré ma foiblesse
Je sais trop bien juger d’une illustre Princesse,
Pour croire que l’orgueil qui la doit animer
Borne son plus doux charme à la gloire d’aimer.
Un cœur qui pour le trône a mérité de naître,
Quand il prend de l’amour, s’en rend toujours le maître.
De ses vastes désirs l’insatiable ardeur
L’asservit en esclave au soin de sa grandeur,
Sa flamme s’accommode aux desseins qu’il achève,
Il ne la laisse agir qu’autant qu’elle l’élève,
Et ne cède aux transports qui forment de doux nœuds
Que quand l’ambition a rempli tous ses voeux.
C’est ainsi qu’à l’Amour votre cœur s’abandonne,
Son orgueil en secret accepte la Couronne,
De sa possession il se fait une loi,
Mais il l’attend plutôt d’un frère que de moi.
Vous voyez trop d’ardeur suivre son entreprise
Pour douter d’un projet où Rome l’autorise,
Et s’il y faut mon sang, c’est aux esprits mal faits
À craindre pour régner le remords des forfaits.
Certes, je dois beaucoup à cette haute estime
Qui dans Démétrius me fait presser un crime,
Et ne me rend sensible aux offres de sa foi
Qu’afin qu’un parricide en puisse faire un Roi.
Sans respecter en moi la Grandeur Souveraine,
Jugez, Prince, jugez au gré de votre haine ;
Pour venger cet affront, quoi que je veuille oser,
Tout l’éclat de la mienne est trop à mépriser.
Qu’elle éclate, Madame ; aussi bien, quoi qu’elle ose,
Qui souffre vos mépris peut souffrir toute chose.
Je ne vous dirai plus qu’un amour si parfoit
N’avoit point mérité l’outrage qu’on lui fait.
Du moins en l’étouffant assuré de vous plaire,
Je veux, s’il n’y consent, le forcer à se taire,
Et que votre fierté n’ait plus à s’indigner
De l’offre d’un hymen qui vous feroit régner.
J’en vais presser le Roi, mais dans ce sacrifice
Je vois ce qu’à mon rang vous faites d’injustice,
Et si pour vous encor le respect me retient,
Je suis sensible, et sais d’où l’injure me vient.
Adieu, Madame.
Scène IV
Ah Ciel ! Où me vois-je réduite.
De ce jaloux transport il faut craindre la suite.
Persée est violent, et dans son désespoir
Le sang pour l’arrêter aura peu de pouvoir.
De ses vœux rebutés l’impatient outrage
Contre Démétrius animera sa rage,
Et vos dédains pour lui hautement confirmés
La vont rendre funeste à ce que vous aimez.
Quel conseil prendre, dans ce désordre extrême ?
Vous devez accepter l’offre d’un Diadème.
Si pour Démétrius c’est montrer peu d’amour,
La constance n’est pas une vertu de Cour,
Et le cœur le plus ferme aisément se pardonne
Une infidélité qui vaut une Couronne.
Ah, si pour moi ton zèle a quelque droit d’agir,
Ne me conseille rien qui m’oblige à rougir.
Contre Démétrius sollicitant ma flamme,
Les défauts de Persée ont-ils frappé ton âme,
Et pourrois-tu souffrir qu’au mépris de ma foi
L’orgueil qui l’accompagne eût des charmes pour moi ?
Si dans un rang si haut l’orgueil est condamnable,
Démétrius, Madame, en est-il incapable,
Et quand vous estimez les devoirs qu’il vous rend,
Savez-vous quelle part l’ambition y prend ?
On dit qu’il veut régner, et dans cette pensée,
S’il ne peut arracher la Couronne à Persée,
C’est un espoir en lui facile à pénétrer
Que les droits de la Thrace où vous pouvez rentrer.
Ces bruits d’ambition dont on ternit sa gloire
Découvrent dans Persée une âme basse et noire ;
C’est par là qu’il prétend le punir aujourd’hui
D’avoir osé montrer plus de vertu que lui.
Sa haine dangereuse autant qu’elle est couverte
Fait naître ces soupçons pour avancer sa perte,
On m’a de tout instruite, et si jusques ici
Démétrius n’a pas…
Madame, le voici.
Scène V
Ah, Prince, il n’est plus temps d’opposer à l’orage
L’illustre fermeté d’un généreux courage,
Dans le pressant péril qu’il force à redouter
Ce n’est qu’en lui cédant qu’on le peut éviter.
Persée au désespoir de cette préférence
Qu’emportent vos vertus sur l’heur de sa naissance,
Blessé de leur éclat, s’en forme contre vous
Tout ce qui peut aigrir l’esprit le plus jaloux.
Le Peuple ici vous aime, et Rome vous estime.
Si c’est gloire pour vous ce n’est pas moins un crime,
Et ce crime est de ceux dont par la trahison
Un lâche ambitieux se peut faire raison.
Madame, je sais trop jusqu’où la jalousie
Porte l’indigne ardeur dont son âme est saisie,
Et que pour me noircir il répand en tous lieux
Ce que la calomnie a de plus odieux ;
Mais qui d’un noir dessein se connoît incapable,
Dans un autre jamais ne le trouve croyable,
Et si mon frère…
En vain vous voulez vous flatter,
Sa haine avecque moi vient encor d’éclater.
De ses vœux mal reçus l’injurieuse audace
En a poussé l’aigreur jusques à la menace,
Et pour porter le coup prêt à lever le bras,
J’ai découvert qu’il cherche à corrompre Didas.
Tous ceux en qui le Roi semble avoir confiance
Sont déjà contre vous de son intelligence,
Didas seul l’embarrasse et s’il peut le gagner,
Le sang n’aura plus rien qu’on lui voie épargner.
Didas auprès du Roi plus que tous est à craindre,
Mais, madame, à trembler voulez-vous me contraindre ?
Évitai-je par là le péril que je cours ?
Du moins l’éloignement vous offre du secours.
Fuyez, Prince, fuyez, la foudre est toute prête,
À son indigne éclat dérobez votre tête.
Rome où presque en naissant vous fûtes élevé,
Par elle avec plaisir vous verra conservé ;
L’asile est sûr pour vous.
Quel outrage à ma flamme !
Moi fuir ! Moi vous quitter !
Il le faut.
Ah, Madame,
Ai-je rien à prévoir dont les funestes coups
Approchent de l’horreur de m’éloigner de vous ?
Si vous l’avez pu croire, est-ce ainsi que l’on aime ?
En vous le conseillant j’agis contre moi-même,
Mais quoi que votre vue ait de quoi me charmer,
Qui se cherche en aimant n’est pas digne d’aimer.
Hélas, Madame, hélas ! Quand le sort nous accable,
Est-ce aimer comme il faut qu’être si raisonnable ?
Pour moi, dans le revers dont je suis combattu,
Je ne me pique point d’avoir tant de vertu.
Vous voir est le seul bien qui peut flatter ma flamme,
Avant que j’y renonce on m’arrachera l’âme,
Et quoi qu’on entreprenne, il me sera plus doux
De mourir à vos yeux que vivre loin de vous.
Ne vous aveuglez point quand le mal est extrême.
Mais, Madame, songez que mon frère vous aime,
Et que dans la douleur de se voir dédaigner,
Pour agir sans obstacle, il tâche à m’éloigner.
Quoi que de ses transports votre crainte soupçonne,
Ils sont pour votre cœur plus que pour la Couronne,
Et cherchent, en mettant ses menaces au jour,
À chasser un Rival qui nuit à son amour.
Si cet amour vous gêne, il me blesse, il m’irrite,
Mais lorsqu’en sa faveur le Roi me sollicite,
Mon cœur au plein mépris ne s’ose abandonner,
Tant que votre péril a de quoi m’étonner.
Fuyez donc, et par là dissipant la tempête
Laissez libre l’éclat où ma haine s’apprête.
Il verra de quel air j’en soutiendrai le cours,
Quand je n’aurai plus rien à craindre pour vos jours.
Qu’à l’envie contre moi la Terre au Ciel s’unisse,
Il me peut être aisé d’en braver l’injustice.
M’aimez-vous ?
Quand mon cœur se voudroit démentir,
Ce soupir échappé n’y pourroit consentir.
Mais encor une fois, Prince…
Mon heur suprême
C’est de voir, c’est d’ouïr que ma Princesse m’aime,
Et comme pour ma flamme il n’est point d’autre bien,
Après ce doux aveu, je n’écoute plus rien.
ACTE II
Scène première
Non, non, Antigonus, la grandeur de l’injure
N’étouffe point en moi la voix de la Nature,
Et mon cœur t’expliquant ce qui le fait souffrir,
Cherche à se soulager, et non pas à s’aigrir.
Quoi que dans ses projets Démétrius espère,
Je garde encor pour lui les sentiments de père,
Et toute la fureur de son ambition
N’excite qu’en secret mon indignation.
Je le vois, sur l’appui que le Sénat lui donne,
Contre moi, contre un frère, usurper la Couronne.
Et mes lâches Sujets à l’hommage contraints
Accepter pour leur Roi l’Esclave des Romains.
Dans les emportements qu’il ne peut plus contraindre
Je connois que Persée a raison de se plaindre,
Mais de peur d’un désordre à tous les deux fatal,
Sans prendre aucun parti je veux paroître égal.
Par là j’empêcherai que fort de ma colère
Persée injustement n’ose accuser son frère,
Et ma bonté peut-être aura quelque pouvoir
Pour rendre un fils rebelle aux lois de son devoir.
Quoi qu’assez rarement un ambitieux cède,
Il faut avant la force essayer ce remède,
Et voir si la douceur ne sauroit obtenir
Le remords d’un forfait que je crains de punir.
Seigneur, on ne peut trop louer cette prudence
Qui tient entre deux fils la Nature en balance ;
Mais gardez qu’en secret la pente où je vous vois
Contre Démétrius ne séduise un grand Roi.
Peut-il trouver en vous un Juge favorable
Si déjà sans l’ouïr vous le croyez coupable ?
Je sais que vos soupçons condamnent justement
Ce que pour les Romains il a d’attachement ;
Mais c’est pousser trop loin la fierté qui le guide
Que de la faire aller jusques au parricide.
Il est aimé du Peuple, et peut-être en ces lieux
Qui s’en peut faire aimer fait bien des envieux.
Quoi ? Tu ne veux pas voir qu’une ardeur criminelle
L’engage de ce Peuple à corrompre le zèle,
Et lui fait publier que rompant mes desseins
Lui seul l’a garanti des armes des Romains ?
Sur ce bruit qu’à semer son orgueil se hasarde
Pour son Libérateur je vois qu’on le regarde,
On le suit, on l’honore, et depuis son retour
À mes yeux à l’envi chacun lui fait sa cour ;
Mais à ce charme en vain ils aiment à se rendre
La guerre leur fait peur, et je veux l’entreprendre.
C’est trop, c’est trop rougir du joug impérieux
Qu’impose aux Souverains un Peuple ambitieux.
Il est temps de résoudre, et de parler en Maître,
Un Roi qui peut céder n’est point digne de l’être,
Et prêt à souffrir tout des plus fiers Ennemis,
Le trône a plus d’éclat renversé que soumis.
Ces sentiments sont grands, mais si comme l’on pense
Démétrius à Rome a de l’intelligence,
Doutez-vous que par lui le Sénat averti…
Nous forcerons l’Ingrat à prendre enfin parti.
Il faut sur un hymen à l’État nécessaire
Qu’il renonce aux Romains, ou s’arme contre un père,
Et si par son refus il s’y montre attaché,
Nous n’aurons plus du moins un Ennemi caché.
Scène II
Les Princes viennent-ils ?
Ils ne font plus qu’attendre,
Seigneur, dans l’antichambre ils sont venus se rendre,
Où pour vous avertir je viens de les quitter.
Qu’ils entrent, Onomaste, il les faut écouter.
Demeure Antigonus ; je veux qu’en ta présence
Deux Frères ennemis obtiennent audience ;
Déjà de l’un des deux m’expliquant le souci
Sur ce qui se fit hier Didas… Mais les voici.
Scène III
Seigneur, si je pouvois sans m’en rendre complice…
Prenez place tous deux, je vous ferai justice.
Voici le jour fatal où le ciel contre nous
Semble avoir réservé son plus âpre courroux.
La plainte ouverte enfin succédant au murmure
À la pleine révolte enhardit la nature,
J’en vois les droits partout honteusement trahis,
Il m’en faut être Juge, et c’est entre mes fils.
père trop malheureux qui, quoi que je me cache,
D’un crime dans mon sang ne saurois fuir la tache !
Un frère accuse l’autre, et le crime est douteux,
Mais l’effet m’en doit être également honteux.
Qu’il soit faux, qu’il soit vrai, la haine qui les guide
En fait pour moi toujours un lâche parricide.
Ou l’un d’eux aujourd’hui cherche à l’exécuter,
Ou l’autre le commet en l’osant inventer,
Et ma gloire ne peut qu’elle ne soit ternie,
Ou par son attentat, ou par sa calomnie.
Voilà ce que j’ai craint de ces dissensions
Dont l’aigreur soutenoit toutes vos actions ;
Mais comme il en est peu que le temps n’adoucisse,
J’ai cru qu’au sang enfin vous rendriez justice,
Et qu’après les avis que je vous ai donnés,
Vous n’oublieriez jamais ce que vous êtes nés.
Combien de fois, hélas ! Vous ai-je fait comprendre
Quels biens de la concorde on a sujet d’attendre ?
C’est par là que deux Rois avecque tant d’éclat
De Sparte si longtemps ont gouverné l’État,
Que d’un zèle pareil la conduite admirable
À ses plus fiers Voisins l’a rendu redoutable,
Et que ce même État n’a pu se maintenir
Dès que l’ambition a su les désunir.
Combien ai-je tâché de prévenir vos haines
Par l’exemple fameux et d’Attale et d’Euménès,
Que la concorde seule, où tous deux je les vois,
A faits aussi puissants qu’Antiochus, ou moi !
Honteux du nom de Rois qu’à peine ils vouloient prendre,
Ils ont droit aujourd’hui d’oser tout entreprendre ;
Et s’il faut mêler Rome aux autres Nations,
Voyez les Quintius, voyez les Scipions.
Dans l’éclat immortel qui suivra leur mémoire
De leur noble union voyez briller la gloire ;
Au lieu que des forfaits la plus pressante horreur
Toujours de la discorde a suivi la fureur.
Ni le crime des uns, ni la vertu des autres
Sur les grands sentiments n’ont pu régler les vôtres.
D’une coupable ardeur l’indigne emportement
Vous fait de votre rage aimer l’aveuglement.
Vous voulez que je vive, et souffrez que je règne
Tant que vous n’ayez plus d’obstacle qu’elle craigne,
Et que par l’attentat l’un de l’autre défait
Puisse en m’ôtant le jour jouir de son forfait.
Il n’est droit si sacré que votre orgueil révère,
Vous haïssez les noms et de père, et de frère,
Et du sang à l’envi brisant les plus doux noeuds,
Le trône est le Dieu seul qui mérite vos voeux.
Sus donc, immolez-lui de si chères victimes,
Et me faites trembler par l’horreur de vos crimes.
Attendant que le fer en règle les effets
Faites en ma présence un combat de forfaits.
Dites tout ce que peut, pour trahir la Nature,
Ou résoudre la rage, ou forger l’imposture,
J’écoute ; et je crains bien pour reproche éternel
De n’avoir à juger que du moins criminel.
Seigneur, j’ai dû sans doute abandonner ma tête
À l’éclat imprévu d’une affreuse tempête,
Puisque les attentats dont encor je frémis
Ne sauroient être crus s’ils n’ont été commis.
Ce n’est pas sans raison qu’un Peuple téméraire
Ne veut pour votre fils connoître que mon frère.
Si chez vous comme lui j’en obtenois le rang,
Vous trembleriez d’ouïr qu’on veut verser mon sang,
Et ne voudriez pas qu’un reproche semblable
Confondit l’Innocent avecque le Coupable.
Ayant à craindre tout, si sans rien découvrir
Vous voulez que je meure, et bien, il faut mourir,
J’y consens, et je croirai mon sort digne d’envie
Si ma mort avancée assure votre vie,
Et si l’indigne ardeur de ses transports jaloux
Peut s’étendre en mon sang sans aller jusqu’à vous ;
Mais si dans ce péril la plainte m’est permise,
Voyez-le contre moi s’armer avec surprise,
Et l’éclat de sa haine osant tout aujourd’hui,
Souffrez pour l’arrêter que je m’adresse à lui.
Qu’espérez-vous, mon frère, et sur quelles maximes
Courez-vous en aveugle au plus affreux des crimes ?
Dans l’orgueil de compter tant de Rois pour aïeux,
L’avidité du trône entraîne tous vos voeux,
Comme eux il faut régner, et cette noble envie
Pour remplir tout leur sort veut se voir assouvie ;
Mais si ce que je suis tient le vôtre borné
Prenez-vous-en aux Dieux qui m’ont fait votre aîné.
L’usage ici reçu, le jugement d’un père
Pour régner après lui veulent qu’on me préfère,
Et votre bras armé pour répandre mon sang
Vous peut seul donner droit de monter à son rang.
Le Ciel dont l’équité sur nos desseins préside
N’a pu souffrir encor un si noir parricide.
Hier dans ce faux combat que j’osai hasarder
Pour éviter ma perte il m’apprit à céder.
C’est lui qui s’opposant à l’espoir qui vous reste
Me fit fuir un festin qui m’eût été funeste,
Et le crime partout noircissant votre foi,
J’aurois dû cette nuit vous recevoir chez moi ?
Seigneur, sans mes refus nés d’une juste crainte,
Vous pleureriez ma mort où vous oyez ma plainte,
Et ce qu’entre deux fils vous avez à juger,
Ne vous auroit laissé que ma perte à venger.
Détestez maintenant l’ardeur insatiable
Où la soif de régner plonge une âme coupable,
Mais en la détestant daignez vous souvenir
Que vous avez à plaindre aussi bien qu’à punir.
Que celui dont la rage aspire à perdre un frère
Sente à jamais des Dieux l’implacable colère,
Mais qu’au moins l’opprimé, pour s’en mettre à couvert,
Dans l’appui de son Roi trouve un asile ouvert.
Contre la trahison c’est le seul que j’espère,
Je n’ai pour m’en sauver que les Dieux et mon père,
S’il me faut fuir ici de secrets attentats,
Je n’ai point de Romains qui me tendent les bras.
Leur haine de ma mort se fait un heur suprême
Parce que je soutiens l’honneur du Diadème,
Et ne leur laisse voir aucuns moyens offerts
De mettre, moi vivant, la Macédoine aux fers.
La plainte cependant, le murmure, l’outrage,
Sont le prix d’affranchir vos Sujets d’esclavage.
Vous l’avez vu, Seigneur, dans ces lâches Soldats
Qui hier même à vos yeux cherchèrent mon trépas.
Que dirai-je des Grands dont la molle foiblesse
À flatter les Romains à l’envi s’intéresse,
Et qui sur un espoir et vil et hasardeux
N’adorent que celui qui peut tout auprès d’eux ?
Ce n’est pas à moi seul qu’il voit qu’on le préfère,
Il l’emporte en secret sur son Roi, sur son père.
C’est lui qui dans l’orage où vous étiez compris
Des foudres du Sénat sauva vos cheveux gris.
Si vos Peuples sans guerre ont la douceur de vivre,
Des armes des Romains c’est lui qui les délivre,
Et tandis qu’en vous seul je fonde mon appui,
Vos Peuples, les Romains tout enfin est pour lui.
À quoi présumez-vous que Quintius aspire
Par tout ce qu’il se plaît sans cesse à vous écrire,
Quand pour entretenir l’amitié du Sénat
Il vous fait envoyer les Premiers de l’État ?
Démétrius a part à cette Politique,
Ses conseils sont sa règle en tout ce qu’il pratique,
Et dans ces Envoyés qu’ils ont l’art de gagner,
Ils cherchent du secours pour le faire régner.
Ceux qu’un pur intérêt, ceux qu’un vrai zèle y mène
N’en reviennent jamais qu’avec l’âme Romaine,
Le seul Démétrius est maître de leur foi,
Et déjà, vous régnant, ils l’appellent leur Roi.
Si l’indignation m’arrache quelque plainte,
De l’ardeur de régner j’ai soudain l’âme atteinte,
Chacun veut que ce crime ait pour moi des appas,
Et vous-même, Seigneur, ne m’en exemptez pas.
Mais à quoi cette ardeur et basse et criminelle,
Puisqu’au trône après vous ma naissance m’appelle ?
Vouloir pour y monter confondre tous les droits,
Renverser la Nature, anéantir les Lois,
Se faire une vertu d’un frère qu’on opprime ;
C’est là, Seigneur, c’est là ce qui s’appelle crime,
Et j’atteste les Dieux, si j’en prends quelque effroi,
Que je le crains pour vous beaucoup plus que pour moi.
Négligez ce péril où ma vie est réduite,
Détournez-en les yeux, mais voyez-en la suite,
Et songez, qu’où du sang on a brisé les noeuds,
Qui fait un parricide en peut commettre deux.
Si je parois surpris, Seigneur, j’ai pour excuse
Et le genre du crime, et celui qui m’accuse.
Pour m’ôter tous moyens de vaincre mon malheur,
Il veut auprès de vous corrompre ma douleur,
Et de ses feints soupirs l’injurieuse amorce
Tâche en la prévenant d’en détruire la force.
Sur vous d’un faux péril il fait tomber l’effroi,
Pour faire agir par vous sa rage contre moi.
Quoi que fort du secours de ma seule innocence,
Pour moi du Monde entier il arme la puissance.
Et d’asiles partout il aime à se priver,
Pour empêcher qu’en vous je n’en puisse trouver.
Dieux, qu’il prend pour témoins des motifs de sa crainte,
Aidez ceux qu’il abuse à pénétrer leur feinte,
Et puisqu’à m’en purger je me trouve réduit,
Éclairez ce grand crime où j’ai choisi la nuit.
Il l’expose à vos yeux l’âme encor toute émue,
Comme s’il ne formoit qu’une plainte imprévue,
Et que ces noirs complots dont il souille ma foi
Ne fussent pas des traits préparés contre moi.
Prince, si dès longtemps formant brigues sur brigues,
Je fais contre l’État de criminelles ligues,
Il falloit m’accuser de cette trahison
Avant qu’elle employât le fer et le poison.
Déjà pour m’en punir j’étois assez coupable
Sans que de cette nuit on y joignît la fable,
Mais pour mieux voir quel fruit j’en pourrois espérer,
Vous voulez tout confondre, il faut tout séparer.
Le grand titre d’aîné, le jugement d’un père,
Le droit des Nations, tout veut qu’on vous préfère,
Et pour en démentir l’aveugle choix du Sort,
Ma lâche ambition a juré votre mort.
Pourquoi donc m’imputer la coupable espérance
Dont l’appui des Romains flatte mon arrogance ?
Si jusqu’à faire un Roi vous portez leur crédit,
Qu’est-il besoin de crime où leur secours suffit ?
Est-ce afin que le trône ait plus de quoi me plaire,
Si j’en vois les degrés teints du sang de mon frère ?
Est-ce afin qu’auprès d’eux ce noir crime commis
M’ôte ce peu d’estime où la vertu m’a mis ?
Quintius qu’on me voit prendre partout pour guide,
M’aura-t-il conseillé cet affreux parricide,
Lui qui chérit son frère, et laisse à nos neveux
De l’union parfaite un exemple fameux ?
Pour m’élever au trône où mon orgueil aspire,
Vous voulez qu’à l’envi tout le monde conspire,
Et comme sans appui, pour unique recours,
Vous me faites du crime emprunter le secours.
Voyons-le tel qu’il est, où qu’on le fait paroître,
Ce crime qu’entre nous un père doit connoître.
On divise l’Armée, et d’une égale ardeur
Nous disputant le prix qu’on destine au Vainqueur.
Tous deux Chefs de parti nous cherchons la victoire,
Et quand sur vous enfin j’en emporte la gloire,
Ma haine, dites-vous, si l’on ne m’eût cédé,
Par un combat sanglant en auroit décidé.
Quelle plainte, grands Dieux, et qu’elle a de foiblesse !
Vous fûtes le témoin de ce combat d’adresse,
Seigneur, et vous savez ce qu’on me vit tenter,
Qui marque la fureur qu’il ose m’imputer ;
Mais la sienne, qu’anime une haine implacable,
Ne veut rien épargner pour me rendre coupable.
Dans la fête qu’ensuite on me voit ordonner
Je l’invite au festin, c’est pour l’empoisonner.
Sans nommer les témoins d’une trame si noire,
J’en suis trop convaincu parce qu’il la veut croire.
Le fer enfin succède, on me fait tout oser.
Prince, m’accuser trop, ce n’est pas m’accuser.
Pour rendre contre moi vos plaintes légitimes,
Un seul jour me pouvoit amasser moins de crimes
Je vais chez vous de nuit, et l’on doit soupçonner
Que j’y vais seulement pour vous assassiner ?
Puisque de ce forfait vous avez des indices,
J’étois accompagné, je livre mes Complices,
Qu’ils viennent, et par eux faites connoître à tous
L’ordre d’un attentat qu’ils apprendront de vous.
Mais que sert contre moi d’inventer cette fable ?
De tant de crimes faux passons au véritable.
Que ne me dites-vous, puisqu’il faut l’exprimer,
Pourquoi, Démétrius, t’es-tu fait estimer ?
Pourquoi de ta vertu la Macédoine éprise
Me voit-elle à regret une Couronne acquise,
Et quand de ma conduite on la voit s’indigner,
Pourquoi lui parois-tu plus digne de régner ?
Quelques déguisements qui cachent sa pensée,
C’est là, Seigneur, c’est là ce qui blesse Persée,
Et l’on s’empresseroit bien moins à me trahir,
Si par mes lâchetés je me faisois haïr ;
Mais comme avec le sang la vertu m’intéresse
À lui céder un trône acquis au droit d’Aînesse,
Ce même sang m’apprend à me montrer jaloux
De mériter l’honneur d’être sorti de vous.
Quant aux Romains, Seigneur, dont il veut prendre ombrage,
M’a-t-on vu demander à leur servir d’Otage.
Et si vers le Sénat vous m’avez député,
Ai-je de cet emploi brigué la dignité ?
Dans l’un et l’autre temps ma foi toujours sincère
N’a choisi pour objet que la gloire d’un père,
Et par vos ordres seuls ayant pris droit d’agir,
Ni pour vous ni pour moi je n’ai point à rougir.
Tant qu’avec eux la paix nous défendra les armes
Leur alliance offerte aura pour nous des charmes,
Mais si vous en rompez le nœud mal affermi
Ils trouveront en moi leur plus fier Ennemi.
De leur protection il n’est rien que j’attende ;
Qu’ils ne me nuisent point, c’est ce que je demande,
Et qu’un frère trop prompt à soupçonner ma foi
Ne prenne point chez eux des armes contre moi.
Si vous me condamniez, quelle que fût l’offense,
Ce seroit à lui seul à prendre ma défense,
Et c’est lui que je vois sur de faux attentats
Vouloir vous arracher l’arrêt de mon trépas.
Appelé sans savoir que j’eusse à me défendre,
Je n’ai pour y songer que le temps de l’entendre,
Tandis qu’à me noircir, et qu’à me déchirer
Sa haine industrieuse a su se préparer.
Hélas ! Dans ce malheur où seroit mon refuge,
Si tout autre que vous devoit être mon Juge ?
Contre un frère cruel qui veut trancher mes jours,
C’est un fils qui d’un père implore le secours.
Dans l’excès où sa rage a pu déjà paroître,
Que n’en craindrai-je point quand il sera mon Maître,
Et que sert qu’aujourd’hui l’on m’ose secourir,
Si par lui tôt ou tard j’ai toujours à périr ?
Seigneur, si ce qu’il craint…
Bornez-là votre plainte,
L’aigreur qui la soutient autorise sa crainte,
Et trop de pente à prendre un esprit soupçonneux
Éblouit votre haine, et vous trompe tous deux.
J’ai compris les raisons et de l’un et de l’autre,
Sans prendre son parti, ni m’attacher au vôtre,
Et comme entre deux fils j’aime à me partager,
C’est sur l’avenir seul que je prétends juger.
Vivez, et s’il se peut, qu’une amitié sincère
Du sang qui vous unit marque le caractère,
Et par ses plus doux nœuds épargne à mon courroux
La douleur de chercher un coupable entre vous.
La Nature l’ordonne, et je vous le demande.
Vous plaire est le seul bien, Seigneur, où je prétende,
Et de cette union le charme m’est si doux
Que j’aurois fait pour moi ce que j’ai fait pour vous.
L’assurance m’en plaît, mais pour l’avoir entière,
Contre vous à l’envie ôtons toute matière.
Étouffons un soupçon qui dans tous vos desseins
Vous fait d’intelligence avecque les Romains.
De ces Tyrans des Rois la fière Politique
Fait révolter Didas contre leur République,
Épousez-en la fille, et pour vous et pour moi
Faites leur Ennemi garant de votre Foi.
Je vous l’ai déjà dit, Seigneur, lorsque la paix rompue…
Faut-il vous l’ordonner de puissance absolue ?
Ne me résistez point ; au Prince, au Peuple, à tous,
Cet hymen seul a droit de répondre de vous.
Votre gloire sans lui par le crime est flétrie,
Je vous vois lâchement trahir votre Patrie,
Et par le sang d’un frère acheter des Romains
Les fers injurieux où vous tendez les mains.
Daignez moins exiger de la foi qu’il vous jure.
Pour lui de cet hymen la contrainte est trop dure,
Seigneur, et vous devez par des ordres plus doux
Essayer le respect qu’il veut avoir pour vous.
J’aurois peut-être lieu d’admirer par quel zèle
Qui veut me voir périr craint de me voir rebelle ;
Mais pour mes intérêts cessez de vous trahir,
Un père a commandé, je ne sais qu’obéir.
Puissé-je ainsi revoir le calme en ma Famille.
Scène IV
Didas, rends grâce au Prince, il épouse ta fille,
Et cet honneur sur toi justement répandu
Assure à tes travaux le prix qu’il leur est dû.
Seigneur…
S’il est plus grand que tu n’osois le croire,
Rends-lui ce que de toi demande tant de gloire,
Je te laisse avec lui. Vous, Prince, suivez-moi.
Scène V
Seigneur, sans trop d’orgueil puis-je croire le Roi,
Et se peut-il qu’un Prince et grand et magnanime
Pour le sang d’un Sujet conçoive tant d’estime,
Que d’un choix où jamais il n’auroit prétendu…
Obéissant au Roi, j’ai fait ce que j’ai dû ;
Mais je crois qu’imitant cet effort pour un autre,
Si j’ai fait mon devoir, vous songerez au vôtre,
Et n’en croirez pas tant des vœux trop élevés,
Qu’on vous voie oublier ce que vous me devez.
Le respect qui pour vous accompagne mon zèle
Ne marquera jamais une âme plus fidèle,
Et je sais trop, Seigneur, ce que vous doit ma foi…
Puisque vous le savez, allez trouver le Roi,
Et m’épargnant l’éclat où je sais qu’on aspire,
Sauvez-moi de l’hymen qu’on lui fait me prescrire.
Je vois d’où m’en vient l’ordre, et qu’un frère jaloux
Prétend par mes refus accroître son courroux.
Sachant que j’aime ailleurs, par cette loi cruelle
Il a cru me contraindre à me montrer rebelle,
Mais j’ai lieu d’espérer que de sa haine instruit
Vous ne souffrirez pas qu’il en cueille le fruit.
Rompez donc un Accord dont l’amour qui m’engage
Par estime pour vous ne veut pas voir l’outrage,
Et respectant les traits dont mon cœur est blessé,
Chargez-vous d’un refus où je serois forcé.
Quelque honneur où le Roi m’autorise à prétendre,
Vous pouvez arrêtez l’espoir qu’il m’en fait prendre ;
Mais vouloir qu’affectant un refus criminel
Moi-même…
Je vous plains d’un effort si cruel,
Mais il faut empêcher que l’on ne vous soupçonne
D’avoir eu quelque part à l’ordre qu’on me donne,
Et si vous m’en croyez, vous obtiendrez du Roi
Qu’il me laisse à mon choix disposer de ma foi.
Le Roi sait ce qu’il fait, et s’il cherche ma gloire,
Croyez, Seigneur…
Laissons ce que j’ai lieu de croire,
S’il vous fait malgré vous prendre un espoir trop haut,
Détournez-en l’effet, je croirai ce qu’il faut.
Seigneur, vous pourriez mieux…
Oui, je pourrois lui dire
Que s’il songe au néant dont sa faveur vous tire,
Il saura qu’à sa gloire il est injurieux
D’unir un sang trop bas au plus pur sang des Dieux ;
Qu’un Roi, quoique jaloux d’élever ce qu’il aime,
Doit à sa dignité beaucoup plus qu’à soi-même,
Et qu’il faut préférer dans le moindre projet
La majesté du trône à l’orgueil d’un Sujet.
Pour lui faire éviter la honte qu’il se cache,
Ou par vous ou par moi c’est ce qu’il faut qu’il sache,
Mais l’aigreur de l’avis ne regardant que vous,
Vous saurez le donner en des termes plus doux,
Et pour vos intérêts ma patience extrême
Veut bien pour l’expliquer s’en remettre à vous-même
Si c’est vous dire trop, accusez-en des vœux
Dont l’audace me force à plus que je ne veux.
Dans le peu que je suis, du moins…
Brisons, de grâce
Malgré mes Envieux je sais ce qui se passe,
Et qu’après cette plainte où le sang m’a trahi,
L’on devoit m’arrêter si je n’eusse obéi.
C’étoit pour m’y contraindre une méchante voie
Si je n’eusse à mon frère envié cette joie ;
Mais si votre insolence à me persécuter
Sur ce honteux hymen me force d’éclater,
Malgré tout ce que peut l’injuste appui d’un père,
Peut-être aurez-vous lieu de craindre ma colère.
C’est à vous d’y penser.
Vous serez satisfait,
Seigneur, et cet hymen n’aura jamais d’effet.
ACTE III
Scène première
Oui, je le sais, Phénice, en de pareils outrages
Le moindre emportement sied mal aux grands courages,
Et j’ai lieu de rougir d’avoir peine à calmer
L’impatient courroux qui cherche à m’animer ?
Mais plus je vois son crime, et moins de ma foiblesse
Malgré tout mon orgueil je puis être maîtresse.
Dieux ! Peut-il être vrai que l’infidélité
De tant de vœux offerts souille la pureté ?
Incapable jamais de trahir ce que j’aime
Je dédaigne pour lui l’éclat du Diadème,
Et sur un lâche espoir dont il goûte l’appas,
Il m’ose préférer la fille de Didas ?
Tu l’avois bien jugé ; quoi qu’il en ait pu dire,
Après ce trône seul le parjure soupire,
Et croit en voir pour lui les droits moins incertains.
Gendre d’un Favori qu’il acquiert aux Romains.
Qu’il règne, que par eux sa puissance affermie
D’un si honteux hymen répare l’infamie,
Quelque éclat qu’elle assure à ses vœux insensés,
Par sa gloire flétrie il s’en punit assez.
Son infidélité ne vous peut trop surprendre,
Mais d’abord sans aigreur vous avez pu l’apprendre,
Votre esprit semble calme, et plus de fermeté…
Te le dirai-je, hélas ! D’abord j’en ai douté.
D’abord pour cet ingrat ma flamme intéressée
A vu dans Onomaste un Agent de Persée
Mais quand Antigonus par mon ordre amené
M’a confirmé l’avis qu’on m’en avoit donné,
Que lui-même excusant sa lâche obéissance,
De cet hymen pour lui m’a montré l’importance,
Tout ce qu’a de pressant la plus jalouse ardeur
Aux plus âpres transports a livré tout mon cœur.
Mille serments trahis par l’espoir qui l’anime
Pour aigrir ma colère ont redoublé son crime,
Et leur image offerte à mon ressentiment
Des plus noires couleurs m’a peint son changement.
S’il en eût craint l’affront, c’est par son seul silence
Qu’il auroit fait juger de son obéissance,
Et sa flamme aussitôt venant s’en plaindre à moi,
Eût démenti la honte où l’eût forcé le Roi ;
Mais pour gagner Didas, sa lâche politique
Veut que sa trahison aux yeux de tous s’explique,
Et qu’un indigne aveu lui fasse mériter
L’appui dont pour le trône il se laisse flatter.
Tandis qu’à soupirer ma fierté se ravale,
Il est, il est, Phénice, auprès de ma Rivale,
Et rit du vain courroux qu’il voudra présumer
Que son crime en mon cœur ait eu lieu d’allumer.
Montrer si peu de force à braver cet outrage,
C’est lui donner, Madame, un peu trop d’avantage,
Et ces ressentiments…
Daignes-en mieux juger.
Avec toi ma douleur aime à se soulager,
Mais ailleurs, les transports qu’irrite son offense ;
N’armeront contre lui que mon indifférence,
Et du moins mon orgueil n’en pouvant triompher,
Sous l’éclat du mépris saura les étouffer.
Vous promettez beaucoup, mais comme, quoi qu’on fasse,
Il n’est rien qu’un remords dans un grand cœur n’efface
Si de Démétrius…
Ah, pour fléchir le mien
Ne crois pas que jamais le remords puisse rien.
Plus l’amant nous fut cher, plus son ingratitude
Rend le coup qui nous blesse et surprenant et rude,
Et sa peine attirant nos plus ardents souhaits,
Si l’amour n’en meurt point, il n’en guérit jamais.
Je te dirai bien plus ; quand par une foiblesse
Dont le sang qui m’anime exempte une Princesse,
Tout mon cœur contre moi lâchement révolté
En faveur d’un ingrat trahiroit ma fierté,
Quand en le punissant du mépris de ma flamme
Je me verrois forcée à l’adorer dans l’âme,
À quelque dur malheur que me livrât le sien,
Je mourrois mille fois plutôt qu’il en sût rien,
Et mes derniers soupirs par ma fausse victoire
D’un triomphe effectif lui voleroient la gloire.
Qu’il se repente ou non, il m’a manqué de foi,
Et je me souviendrai de ce que je me dois.
Pour plaire à mon courroux, en remplir l’arrogance,
Il faut que mon amour tremble sous ma vengeance,
Qu’aux dépens d’un repos qui lui sembla si doux…
Le Roi peut vous entendre, il s’avance vers nous.
Scène II
Madame, enfin du Ciel la bonté Souveraine
De deux Frères jaloux semble étouffer la haine,
Et j’ai lieu d’espérer qu’un plus heureux destin
À leurs divisions va mettre quelque fin.
Contre Démétrius sur de vaines maximes
Le défiant Persée a trop cru de faux crimes,
Et le seul dont j’ai vu la fuite à redouter,
C’est l’appui qu’aux Romains on lui faisoit prêter ;
Mais l’hymen où contre eux un vrai zèle l’engage,
De sa fidélité me doit être un sûr gage,
Et de cette union les favorables nœuds
Par la foi de Didas m’assurent tous ses voeux.
Ainsi loin qu’il me reste à craindre un fils rebelle…
Seigneur, j’ai déjà su cette grande nouvelle,
Et c’est avec plaisir qu’après tant de souhaits,
Où le trouble a régné, je vois régner la paix.
Pour n’en revoir jamais la douceur en balance,
Achevez aujourd’hui ce que le Ciel commence,
Et daignant de Persée autoriser l’espoir,
Du Sceptre qui l’attend partagez le pouvoir.
Rome par cet hymen, à quoi qu’elle s’apprête,
Perdra l’injuste droit de régler ma conquête,
Et se verra forcée après tant de débats,
De voir la Thrace entière unie à mes États.
Quoi que du sort jaloux l’injuste violence
En ait soumis l’Empire à votre obéissance,
Rendant ce que je dois à l’éclat de son sang,
J’ai cru pouvoir garder tout l’orgueil de mon rang
C’est sur ce noble orgueil que tant de fois pressée,
D’accepter et le cœur et la main de Persée,
D’un œil indifférent j’ai semblé toujours voir
La gloire qui par là s’offroit à mon espoir.
Jalouse de l’éclat du trône où je suis née,
Je voulois y rentrer avant cet hyménée,
Et qu’on ne pût penser que le don de ma foi
Eût moins suivi mon choix que les ordres d’un Roi.
Si de tels sentiments sont d’une âme trop vaine,
Peut-être sont-ils beaux dans celle d’une Reine,
Et leur fierté n’a rien qu’on me vit démentir
Si vos dissensions m’y laissoient consentir ;
Mais enfin dans le trouble où Rome vous expose
J’en hais trop les effets pour en nourrir la cause,
Et vouloir que par moi, sur des droits incertains,
Les ordres du Sénat traversent vos desseins.
C’est de là que j’ai vu par des motifs contraires
La discorde à vos yeux ouverte entre deux Frères,
Et mon cœur, quand leur haine est prête à s’apaiser,
Pour seconder vos soins n’a rien à refuser.
Que Persée est heureux, et qu’après tant d’alarmes
Un aveu si propice aura pour lui de charmes !
Mais comme un prompt succès dans de si grands desseins
Met un plus sûr obstacle aux malheurs que je crains,
Pour voir plutôt le calme éloigner la tempête,
Quoi que vos ordres seuls…
Ma main est toute prête,
Seigneur, et dès demain il ne tiendra qu’à vous
Qu’un hymen glorieux n’en fasse mon Époux,
Je vois vos intérêts, et de quelle importance
De Didas contre Rome est pour vous l’alliance,
Et si par politique, ou par légèreté,
Démétrius osoit en rompre le Traité,
Après ce que de moi Persée a voulu croire
Je veux être en état qu’on respecte ma gloire,
Et que ce changement ne se puisse imputer
À l’espoir dont ma main auroit pu le flatter.
Ô d’un charmant espoir agréable surprise !
Scène III
Enfin, Didas, enfin le ciel me favorise,
Et nous verrons demain éclater le grand jour
Qui contre la discorde intéresse l’amour.
C’est peu qu’au plus haut rang ta fille soit placée,
La Princesse consent à l’hymen de Persée,
Et dans l’heureux succès dont je me sens charmer,
Mon cœur ne conçoit plus de souhaits à former.
Pour rompre les malheurs dont le péril vous presse
Il est beau que Persée épouse la Princesse,
L’État à cet hymen se doit intéresser,
Mais pour Démétrius, il n’y faut point penser.
Loin d’accepter la gloire où pour moi l’on s’apprête,
Je viens, Seigneur, vous apporter ma tête.
Dans le peu que je suis c’est le moins que je dois
À l’insolent refus des bontés de mon Roi.
De quel trouble nouveau reçois-je la menace ?
De ce fils téméraire explique-moi l’audace.
Se voudroit-il dédire, et dégager sa foi
Par le refus forcé qu’il exige de toi ?
Non, Seigneur, et c’est là ce qui me rend coupable.
Le Prince à vos désirs s’est montré favorable,
Et sur ce grand hymen dont vous m’aviez flatté,
Je l’ai vu de mes vœux enhardir la fierté,
Mais son sang dont par là la splendeur se ravale
Ne souffre point du mien l’union inégale,
Et quoi que votre aveu semble l’autoriser,
Je me rends criminel si j’ose en abuser.
C’est ce qu’avec respect, pour vous le faire entendre,
J’ai cru devoir tâcher de lui faire comprendre,
Mais malgré tous mes soins, mon zèle et mon respect
N’ont eu rien que soudain il n’ait trouvé suspect,
Et sur un vain soupçon dont son âme est blessée
Me croyant contre lui du parti de Persée,
Plus d’accord, plus d’hymen ; loin d’en souffrir les nœuds
Ma perte désormais est l’objet de ses voeux.
Quoi que tente, Seigneur, son aveugle colère,
J’aurai tout mérité si j’ai su vous déplaire,
Et si mon sang au vôtre indigne de s’unir
Est un crime qu’en moi vous trouviez à punir.
Quoi, c’est peu que l’appui de toute ma puissance
Pour suppléer l’éclat qui manque à ta naissance,
Et ma faveur pour toi n’offre rien dont l’effort
Suffise à réparer l’injustice du Sort ?
Trop, Seigneur, mais enfin si j’ose vous le dire,
La gloire des grandeurs n’est pas celle où j’aspire,
Et mes désirs jamais ne prendront pour objet
Que l’honneur éclatant de vivre bon Sujet.
Dans ce nouveau degré de gloire et de puissance,
De l’ardeur de ton zèle ai-je moins d’assurance,
Et ta foi…
Je serai toujours ferme, soumis ;
Mais je crains l’apparence, et j’ai des Ennemis.
Que peut-on contre toi, si, quoi qu’on puisse faire,
Toujours sur tes avis…
Souffrez-moi de me taire,
Seigneur, et ne voyez que ma témérité
Quand je refuse un bien que j’ai peu mérité.
Non, non, explique-toi.
Que puis-je vous apprendre
Que ce qu’un bruit commun vous a pu faire entendre ?
Seigneur, jusques ici, pour ne vous aigrir pas,
J’ai de Démétrius caché les attentats.
Par mes soins redoublés veillant sur sa conduite
Je me suis contenté d’en prévenir la suite,
Et s’il souffre l’hymen que lui prescrit son Roi,
C’est qu’il cherche une voie à s’assurer de moi ;
Car enfin ce n’est pas sans raison qu’on soupçonne
Que son ambition en veut à la Couronne,
Ses brigues dont par moi l’effet s’est vu détruit,
De l’orgueil de ses vœux ne m’ont que trop instruit.
Le Sénat avec lui toujours d’intelligence
Par un appui secret en soutient l’arrogance,
Et pour voir jusqu’ici Rome donner la loi,
Quintius a juré de le couronner Roi.
Peut-être que déjà malgré ma vigilance
Le péril de l’orage est plus près qu’on ne pense,
Et que ceux où je mets notre plus ferme appui,
Gagnés par son adresse, oseront tout pour lui.
Si devenu mon Gendre il attente, il s’oublie,
Qu’est-ce que l’imposture aussitôt ne publie,
Et qui ne croira point que d’un si noir forfait,
Pour voir régner mon sang, j’aurai pressé l’effet ?
Non, non, pour ce refus s’il faut donner ma tête,
J’y consens, ordonnez, la voilà toute prête.
J’aurai la joie au moins de voir par là ma foi
Jusqu’au dernier soupir vous répondre de moi.
Dieux, quand votre courroux contre moi se déploie,
N’a-t-il pour me punir que cette seule voie,
Et si Rome en secret me fait des Ennemis,
Le verrai-je toujours à craindre dans un fils ?
Didas, ton trop de zèle a trahi ta prudence,
Il falloit de ce fils gagner la confiance,
Et tirer de l’hymen que j’avois arrêté
Le droit de voir son crime avec plus de clarté.
Si sa lâche fureur par toi n’eût pu s’éteindre,
Du moins j’aurois connu ce qu’il m’eût fallu craindre,
Au lieu que mes soupçons, qu’en vain j’ai cru bannir.
Ayant à craindre tout, n’ont rien à prévenir.
Mais pardonnez, madame, à l’ennui qui me presse,
J’abuse des bontés d’une illustre Princesse,
Et ce n’est pas ici qu’il faut voir quel secours
Peut forcer le péril qui menace mes jours.
La part que m’y fait prendre une auguste alliance…
Scène IV
Seigneur, vos Envoyés demandent audience,
Ils arrivent de Rome.
Allons les écouter,
Nous pourrons savoir d’eux ce qu’il faut redouter.
Cependant trouvez bon qu’un heureux hyménée
M’assurant dès demain…
Ma parole est donnée,
Seigneur, et s’il vous peut rendre le sort plus doux,
Disposez de ma main, j’attends l’ordre de vous.
Scène V
Je triomphe, Phénice, et ma vengeance est sûre,
D’un infidèle amant je puis braver l’injure,
Sans jouir de son crime il me verra régner.
Le Ciel pour le punir ne veut rien épargner ;
Mais enfin je voudrois qu’à dédaigner sa flamme
La seule ambition eût pu forcer votre âme,
Et que ce grand hymen qui rend Persée Heureux
Par l’ardeur d’être Reine attirât tous vos voeux.
Quoi, si pour cet hymen je me fais violence
Est-ce un bien si commun qu’une pleine vengeance,
Que quoi qu’à mon amour elle doive coûter,
Tu penses que jamais il pût trop l’acheter ?
Non, non, quelques malheurs dont ce projet m’accable,
Il suffit que je vois Démétrius coupable.
Ce seul objet m’arrête, et dans son peu de foi
Tout ce qui le punit a des charmes pour moi.
Si pour une vengeance où la gloire autorise,
On court même à des maux qu’aucun art ne déguise,
Juge de la douceur quand on fait présumer
Que ce qui nous l’assure a de quoi nous charmer.
Démétrius par là verra croître sa peine,
J’oserai m’applaudir de vain titre de Reine,
Et porterai si haut l’éclat de ce revers
Qu’il ne pourra savoir qu’à regret je le perds.
Cette douceur pour vous doit avoir bien des charmes,
Mais si j’ose expliquer mes secrètes alarmes,
Cet hymen qui du Roi vous soumets les États,
Me semble un peu bien prompt pour ne vous gêner pas.
Vous haïssez Persée, et comme de la haine
Vers un penchant plus doux le temps seul nous ramène,
C’est hasarder beaucoup, de ne prendre qu’un jour
Pour vous accoutumer à souffrir son amour.
Moi, par l’indigne crainte où ton zèle te jette,
Consentir à laisser ma vengeance imparfaite !
Ce cœur dont tu veux voir le repos affermi
Était d’intelligence avec mon Ennemi.
Par de fausses clartés dont je fus éblouie,
Pour me le faire aimer c’est lui qui m’a trahie,
Et sous un choix funeste accablant mon amour,
Je veux pour m’en venger le trahir à mon tour.
Il faut qu’il soit puni d’avoir su mal connoître
Qu’aimant Démétrius il brûloit pour un traître,
Que d’un dehors trompeur l’injurieux éclat…
Ce grand triomphe est beau, mais craignez le combat,
Démétrius paroît.
Scène VI
Que m’apprend-on, Madame ?
On vous fait de Persée autoriser la flamme,
Et si je puis sans crime en croire un bruit confus,
Dès demain son bonheur doit vaincre vos refus.
J’admire que ce bruit ait de quoi vous surprendre
Dans le peu d’intérêt que vous y devez prendre.
Du Gendre de Didas les desseins mal cachés…
Ah, Madame, est-ce vous qui me le reprochez,
Et le déguisement dont j’ai puni ce Traître,
Peut-il abuser ceux qui me doivent connoître ?
Réduit à m’en servir contre un destin jaloux,
Ce qui l’est pour le Roi ne peut l’être pour vous.
Cependant quand ma foi croit être en assurance,
Didas… Ce nom fatal fait trembler ma constance,
Mon cœur s’en épouvante, et son espoir flottant
N’ose l’abandonner à tout ce qu’il entend.
J’ignore ce qu’il craint, mais je puis vous apprendre
Qu’il cherche à se flatter dans ce qu’il doit entendre,
S’il doute que le mien ne ressente pour vous
Ce que l’indifférence eut jamais de plus doux.
Dans cet heureux état qui me rend à moi-même,
Persée avec son cœur m’offre le Diadème,
Et nul exemple encor n’a paru m’enseigner
À n’être point sensible à l’ardeur de régner.
Cachez mieux à mon cœur le mal qu’il appréhende.
J’entends peut-être plus qu’on ne veut qu’il entende,
Et vous vois malgré moi dans ce funeste jour
Mendier un prétexte à trahir mon amour.
Si quelque dur éclat marquoit votre colère,
Je croirois que ma feinte auroit pu vous déplaire,
Et qu’une injuste erreur vous auroit fait penser
Que jusques à Didas je voudrois m’abaisser ;
Mais l’air indifférent dont ma perte est conclue
Marque une âme à l’oubli dès longtemps résolue,
Et je vois en secret la vôtre s’applaudir
D’avoir trouvé par où s’y pouvoir enhardir.
Des grandes passions c’est le cours ordinaire,
Que le cœur qui les change en prend une con traire,
Et quand ses vœux trahis exigent ce retour,
S’il ne sent point de haine, il n’eut jamais d’amour.
Ne rejetez donc point sur ma fausse inconstance
Celle où l’ambition pousse votre vengeance.
Quelque crime qu’en moi vous ayez présumé,
Je serois innocent si vous m’aviez aimé.
Ces grandes passions qu’en suit une contraire,
N’entrent point dans une âme au-dessus du vulgaire,
Qui maîtresse des vœux qu’il lui plaît de former,
De la seule vertu prend les ordres d’aimer.
Du tumulte des sens l’impérieuse amorce
Pour troubler sa raison n’a point assez de force,
Et toujours à ses lois jalouse d’obéir,
Ce qui la fait aimer, ne la fait point haïr.
Tant que vos vœux ont eu ce précieux suffrage,
Je ne cèle point, j’en ai chéri l’hommage ;
L’inconstance sur eux commence de régner
Je ne m’en souviens plus que pour les dédaigner,
Et je me sens une âme et trop haute et trop vaine
Pour croire que l’outrage ait mérité ma haine.
Quel outrage, grands Dieux ! Et quand contre Didas…
Je le tiens si léger qu’il ne m’ébranle pas.
Puis-je à vos feux naissants rendre plus de justice ?
Vous aimerez ailleurs sans que je vous haïsse,
Et donnant votre cœur, ne serez point gêné
D’en voir au moindre ennui le mien abandonné.
Non, non, si j’ai failli, ma timide espérance
Préfère votre haine à votre indifférence,
Et la foudre, et l’orage auront moins de rigueur,
Que le calme odieux qui règne en votre cœur.
Mais quel crime ai-je fait quand j’ai craint pour vous plaire
Le piège dangereux que me tendoit un frère ?
Mandé sur un hymen par Didas concerné,
Si je résiste au Roi, je dois être arrêté,
Et…
C’est l’avoir servi plus qu’on ne sauroit croire
Que de cette injustice avoir sauvé sa gloire,
Et consenti plutôt à souiller votre foi
Que de lui voir rien faire indigne d’un grand Roi.
Si son ordre d’abord ne m’a point vu rebelle,
Blâmez un malheureux plutôt qu’un infidèle.
Contre cet ordre, hélas ! bien loin d’y déférer,
Partout de mes Amis je viens de m’assurer.
C’est pour gagner ce temps que d’un Roi, que d’un père
J’ai par un faux aveu suspendu la colère,
J’en voyois l’éclat prêt, et feignant d’obéir…
Ah, qui sait bien aimer ne feint point de trahir.
L’horreur que dans son âme imprime l’inconstance
Lui fait du plus noir crime en traiter l’apparence,
Et l’amant qui s’en peut déguiser le forfait,
Cherche à se voir contraint de trahir en effet.
Quelque dur que me soit un reproche semblable,
Puisque vous m’accuser, je veux être coupable ;
Mais si mon innocence a pour vous quelque appas,
Pour me justifier faites parler Didas.
Qu’il dise de quel air ma juste impatience
De ses vœux arrogants a traité l’insolence,
Et de quels ordres exprès il a reçus de moi
Contre le fier espoir dont le flatte le Roi.
Ces ordres, ces mépris doivent peu me surprendre
Quand sa fidélité vous dédaigne pour Gendre,
Et que vous n’avez pu me croire un cœur si bas
Que j’estimasse encor le rebut de Didas.
Pour cacher son refus avez-vous pu moins faire ?
Quoi, Didas…
Malgré vous Didas n’a pu se taire.
Mais quoi que son rapport mérite aller de soi,
Je veux sur ce refus qu’il ait trompé le Roi.
Si le vôtre a puni l’audace qui l’entraîne,
Du remords des ingrats vous avez craint la gêne,
Et la honte attachée à des vœux inconstants
Ne vous a pu souffrir de me trahir longtemps ;
Mais quand du plus beau feu l’on s’est montré capable,
Qui trahit un moment reste toujours coupable,
Et ce moment qu’il donne à l’infidélité
Par le plus vif remords n’est jamais racheté.
Continuez, Madame, et sur cette maxime
De votre ambition faites-moi la victime,
Quoi que vous m’imputiez, l’éclat d’un trône offert
Fait seul auprès de vous le crime qui me perd.
C’est lui qui pour prétexte offre à votre vengeance
L’irréparable affront d’un moment d’inconstance,
Et tâche, en noircissant et mon zèle et ma foi,
D’autoriser en vous ce qu’il punit en moi.
Je ne demande plus par quel charme séduite
Avec tant de chaleur vous m’ordonniez la fuite.
Prête à m’ôter la vie en m’ôtant votre cœur,
Mes reproches pour vous avoient trop de rigueur.
Ce dur éloignement que pressoit votre crainte
D’un amant outragé vous épargnoit la plainte ;
Mais n’en redoutez point le vif ressentiment,
Abandonné, trahi, je suis toujours amant.
Toujours ma passion aussi noble que pure
À tout ce qui vous plaît sait m’offrir sans murmure,
Et quand ma triste mort a de quoi vous flatter,
L’ordre est de ma Princesse, il faut le respecter.
Si sur un trône offert votre lâche inconstance
Se veut croire permis d’en rejeter l’offense,
À la favoriser je prends tant d’intérêt
Que je lui veux laisser une erreur qui lui plaît.
Adieu.
Quoi, me quittez ! Eh de grâce, Madame,
Daignez ouïr… Hélas ! Rien ne touche son âme,
Et l’affreuse disgrâce où le Ciel me fait choir,
Pour en finir l’horreur, n’a que mon désespoir.
ACTE IV
Scène première
Quoi, jusqu’à m’arrêter étendre votre audace ?
Madame, accordez-moi cette dernière grâce,
Et si sur le rapport qu’un imposteur a fait
Votre ressentiment juge de mon forfait,
Songez qu’à pénétrer l’offense est si facile…
C’est faire à l’adoucir un effort inutile ;
Je vous l’ai déjà dit, je la néglige au point
D’en voir toute l’injure, et ne m’en plaindre point.
La honte de mes vœux par ce calme effacée
Les abandonne entiers à l’hymen de Persée,
Et sa foi que pour vous ils osaient dédaigner,
M’assure dès demain la gloire de régner.
Enfin elle vous charme, et dans le coup funeste
Qui me doit arracher le seul bien qui me reste,
Ce bien devient si foible à flatter mon amour
Qu’il ne lui permet plus que l’espoir d’un seul jour.
Demain il m’est ôté, demain votre injustice
M’abandonne à l’horreur du plus affreux supplice,
Et vous vous répondez d’assez de dureté
Pour jouir sans remords de cette cruauté ?
Ah, Madame, est-ce ainsi que vous faites connoître
Que la raison éteint le feu qu’elle fit naître,
Et ce cœur contre moi de vengeance animé,
Me perd-il sans regret si vous m’avez aimé ?
Quand j’affranchis ce cœur de sa lâche tendresse,
Que ne puis-je avec vous douter de ma foiblesse,
Ou du moins étouffer l’odieux souvenir
D’un amour que ma gloire aimoit à soutenir !
Je ne rougirois point d’avoir été trop prompte
À céder au penchant qui m’en cachoit la honte,
Et de n’avoir pu fuir l’indigne trahison
Que mes sens subornés faisoient à ma raison.
Ce reproche est le seul qui me tienne alarmée,
Si ma flamme s’éteint, elle fut allumée,
Et pour voir tout mon cœur de regret consumé,
C’est assez de songer qu’il ait jamais aimé.
Et bien, éteignez-la, cette innocente flamme,
Dont l’ardeur si longtemps sembla charmer votre âme,
De toute sa tendresse étouffez les appas,
Perdez-moi sans regret, mais ne vous perdez pas,
Et reculant l’hymen dont la gloire avancée
Des rigueurs de mon sort fait triompher Persée,
Cessez de lui promettre en un moment si doux,
Ce qui peut-être encor ne sera pas à vous.
Si le cœur pour aimer se fait une habitude
De ce qu’en son estime il sent d’inquiétude,
Quelque suite de temps qu’il faille à la former,
Il en faut beaucoup moins que pour cesser d’aimer,
On a beau sur ce cœur user de tyrannie,
Sa flamme tout d’un coup ne peut être bannie,
Et l’effort violent qu’on fait pour l’amortir
Laisse durer le mal qu’on croit ne plus sentir.
De cette guérison le temps seul est le maître,
Et si vos sens aigris vous le font mal connoître
Croyez-en un amant dont les tristes avis,
Tout ingrat qu’on le croit, peuvent être suivis
Consentez à vous voir entre les bras d’un autre,
Mais faites son bonheur sans renoncer au vôtre,
Et lui donnant ce cœur dont je m’étois flatté,
Soyez sûre du moins de me l’avoir ôté.
Rendez-vous toute à vous avant qu’il vous obtienne.
Ce qui touche votre âme étonne peu la mienne,
Les Dieux en prendront soin.
Par tout ce que pour vous
L’empire de mon cœur eut jamais de plus doux,
Par ce profond respect, par ce parfoit hommage…
Prince, c’est perdre temps qu’en parler davantage.
Si quelque espoir encor s’obstine à vous flatter,
Voici Persée, oyez s’il vous en doit rester.
Scène II
Seigneur, quoi qu’il soit vrai qu’une secrète flamme
Ait pour Démétrius sollicité mon âme,
Je vous estime trop pour oser présumer
Que sa vue ait ici de quoi vous alarmer.
La parole des Grands est toujours un sûr gage,
Et s’il faut devant lui que la mienne s’engage,
J’autorise vos vœux à l’assurer pour moi
Que demain je suis prête à vous donner ma foi.
Scène III
Ah, ne l’accepter point cette foi qui m’est due,
Elle est encor à moi, je ne l’ai point rendue,
Et quoi qu’un fier courroux lui fasse imaginer,
Elle vous promet plus qu’elle ne peut donner.
Seigneur, elle se trompe, et vous trompe après elle.
Je n’attendois pas moins qu’un avis si fidèle,
Mais sa sincérité vous donne trop de jour
À finir une erreur qui plaît à mon amour.
Si sa foi, ce haut prix où le vôtre s’oppose,
Est tellement à vous qu’en vain elle en dispose,
Comme c’est le seul bien où je veuille aspirer,
Du moins jusqu’à demain laissez-moi l’espérer.
Le terme est assez court, et sûr, quoi que je tente,
De voir mes vœux trompés confondre mon attente.
Par pitié jusque-là vous pouvez me souffrir
La douceur d’un espoir qu’ils aiment à nourrir.
Bravez un malheureux, et pour aigrir ma rage
Faites que la Princesse ait part à cet outrage ;
Mais enfin cet hymen qui fait votre bonheur,
En vous donnant sa foi, vous donne-t-il son cœur ?
Ce cœur, le prix du mien, ce cœur dont j’ai pour gage
Tout ce qui d’un beau feu peut rendre témoignage.
Hélas, ce même cœur, quoi qu’ose son courroux,
Par tant de droits à moi, pourra-t-il être à vous ?
De tels soins touchent peu les têtes couronnées,
Le seul bien des États règle leurs hyménées,
Et sans voir quelle part l’amour y peut avoir,
Il suffit qu’un grand cœur sait toujours son devoir.
Ainsi j’envierai peu le bien que je vous laisse
Quand ce devoir pour moi pressera la Princesse.
Content de cet appui, sans en être alarmé,
Je verrai qu’en secret vous vous croyez aimé,
Et tandis que demain, au défaut de sa flamme,
Sa foi m’assurera l’empire de son âme,
J’abandonne sans peine à vos désirs jaloux
La douceur de penser que son cœur est à vous.
Et bien dédaignez-en la charmante conquête,
Mais quand un coup affreux menace notre tête,
Si la pitié partout a des droits assurés,
Prenez-en d’un amant que vous désespérez,
D’un amant qui se perd dans l’ennui qui le presse.
Seigneur, au nom des Dieux laissez-moi ma Princesse,
De quelque aimable Objet cherchez ailleurs la foi,
Il en est tant pour vous, il n’en est plus pour moi.
Dans le fatal revers dont je vois la menace,
Jugez jusqu’où s’étend l’horreur de ma disgrâce,
Puisque pour tout refuge en de si rudes coups
Elle peut me réduire à n’espérer qu’en vous,
En vous de qui la haine à ma perte animée
Du plus âpre courroux tient votre âme enflammée,
Du plus âpre courroux tient tout prêt de combler
Le mortel désespoir qui me doit accabler.
Je le sais, je le vois, mon cœur en sent l’outrage,
Il s’en émeut de honte, il en frémit de rage,
Et toutefois ce cœur qui ne sauroit céder,
Sûr de n’obtenir rien, s’obstine à demander.
Pendant votre triomphe on a vu ma constance
Faire un si long assai d’aimer sans espérance,
Qu’il vous sera moins dur de voir qu’à votre tour
Une vertu si rare exerce votre amour ;
Mais pour le dérober au charme qui l’abuse,
S’il ne faut qu’obtenir l’aveu qu’on vous refuse,
J’emploierai vers Didas…
Ah, c’est trop m’outrager,
Je vois ce que sur lui le Ciel m’offre à venger.
Ce Ministre insolent animant votre rage
Par sa lâche imposture en achève l’ouvrage.
C’est lui dont l’artifice à mon amour fatal
Va du bien qu’on me vole enrichir mon Rival,
Mais je jure les Dieux qu’avant ce coup funeste
Mon bras…
Voici le Roi, vous lui direz le reste.
Scène IV
Quoi, toujours quereller ! Quelle nouvelle aigreur
De vos divisions réveille la fureur ?
Est-ce là cette paix ?
Seigneur, je me retire.
Contre Démétrius je n’ai rien à vous dire,
Et suspect, si ma plainte implore votre appui,
Il ne m’est plus permis de rien craindre de lui.
Je vous dois ce respect, et saurai vous le rendre.
Scène V
Non, non, je n’ai parlé que pour me faire entendre,
Et quoi que son faux zèle aime à vous déguiser,
S’il ne m’accuse pas, je me veux accuser.
Abîmé dans la rage où son bonheur me jette
Je n’ai plus d’intérêt à la tenir secrète,
Il est temps qu’elle éclate, et que mon désespoir
Me venge aux yeux de tous de mon lâche devoir.
C’est lui qui m’a perdu, lui qui m’a su contraindre
D’affecter par respect la bassesse de feindre.
Auprès de ma Princesse on s’en sert contre moi,
On me vole son cœur, on me vole sa foi ;
Du Traître que je vois l’outrageante imposture
De mes propres refus tourne sur moi l’injure ;
Mais ses voeux, de ma perte ont beau s’être applaudis,
Je l’ai dit à Persée, et je vous le redis.
Ou le public aveu de sa coupable adresse
Justifiant ma foi me rendra ma Princesse,
Ou de mes tristes jours par lui précipités,
Son sang, son lâche sang…
Insolent, arrêtez.
L’abus où pour un fils aime à tomber un père
Dérobe en vain le vôtre à ma juste colère,
Si plus ma patience en suspend les effets,
Plus je vous autorise à de nouveaux forfaits.
Leur charme vous emporte, et jusqu’à la menace
Vous laissez à mes yeux échapper votre audace ;
Mais puisque ni devoir ni respect écoute…
Pour l’écouter encor il m’en a trop coûté.
J’ai craint votre colère, et me forçois à feindre,
Mais qui vit sans espoir n’a plus rien de la craindre ;
Après avoir perdu ce qui fut tout mon bien,
Périsse l’Univers, je ne craindrai plus rien.
Ma Princesse rendoit ma gloire sans seconde,
Son cœur me tenoit lieu de l’empire du monde,
Et sa seule conquête offroit à mes désirs
De quoi remplir l’orgueil de mes plus fiers soupirs.
Cependant sur ma vaine et fausse obéissance
Didas de ce refus établit l’insolence ;
Il feint qu’il me dédaigne, et de sa trahison
Je pourrois balancer à me faire raison ?
Il saura l’imposteur…
Ah, c’est trop me contraindre,
Vous l’oser menacer, je vous le ferai craindre.
À moi, Gardes.
Seigneur, où vous emportez-vous ?
Tout mon sang ne vaut pas l’éclat de ce courroux.
Le Prince est votre fils, et ce vif caractère
Qu’en secret la Nature imprime au cœur d’un père…
Ah, de quelques forts traits qu’il soit au mien tracé,
Par sa coupable audace il est trop effacé,
Je ne vois plus de fils où la noirceur du crime…
Oui, le mien contre moi vous rend tout légitime,
J’arrache votre gloire à l’indigne projet
D’unir un sang auguste au sang le plus abject.
De ce mélange impur la honte repoussée
L’affranchit de l’affront où vous l’auriez forcée,
Et rompre un lâche hymen qui la devoit ternir,
C’est faire un attentat qu’on ne peut trop punir.
Si pourtant pour sauver l’honneur du Diadème,
Je puis vous conseiller ici contre moi-même,
Malgré votre courroux j’oserai vous porter
À perdre le dessein de me faire arrêter.
Peut-être que le Peuple indigné qu’on m’opprime
Voudra s’autoriser à juger de mon crime,
Et de peur qu’avec vous il n’en fût pas d’accord,
Il vaut mieux qu’en secret vous résolviez ma mort.
Mais si vous achevez un hymen qui me tue,
Faites qu’elle soit prompte aussi bien qu’imprévue ;
Autrement de nouveau j’en jure tous les Dieux,
Ma rage immolera ce perfide à vos yeux,
Et saura par sa perte, à moins qu’on me prévienne,
Lui ravir la douceur de jouir de la mienne.
Voilà de mon amour ce que veut l’intérêt,
Prononcez là-dessus, j’attendrai votre arrêt.
Scène VI
Oui, je prononcerai malgré tout le murmure
Qu’en mon âme étonnée excite la Nature,
Et puisque l’on m’y force, il doit m’être permis
De renoncer aux noms de père et de fils.
Dieux, a-t-on vu jamais pousser si loin l’audace ?
De ma seule clémence il peut espérer grâce,
Et son coupable orgueil, bien loin de s’abaisser,
Porte encor sa fureur jusques à menacer.
Seigneur, puisque ma mort est tout ce qu’il souhaite
Je ne mérite pas que l’on s’en inquiète,
Et j’en vois naître en vous des transports superflus
Pourvu que vous n’ayez rien à craindre de plus.
Rien à craindre de plus ? Et sans que je m’étonne
Il se sacrifiera l’appui de ma Couronne ?
Mais je veux qu’en ta mort l’État ne perde rien,
Oubliant ton péril, oublierai-je le mien ?
Ce que Rome a de part dans ces noires pratiques
Dont par nos envoyés j’ai découvert les ligues,
Ce que sur ses projets Quintius lui répond…
À dire vrai, Seigneur, tout cela me confond ;
Mais comme Quintius, appuyant son audace,
N’abandonne à ses vœux que le trône de la Thrace,
La peur de lui déplaire, et d’aigrir le Sénat,
De son ambition pourra borner l’éclat.
Il faut donc voir toujours que ce Sénat me brave,
Qu’au milieu de ma Cour il me traite en esclave,
Et que son fier orgueil dont j’ai trop pris la loi
Me souffre par pitié le vain titre de Roi ?
C’est un joug dont la guerre a droit de me défendre,
J’y porte tous mes voeux, mais puis-je l’entreprendre,
Tant que ce lâche fils séduit par les Romains,
Pour les en mieux instruire, épiera mes desseins ?
Non, non, puisqu’à me craindre on ne peut le réduire,
Il faut le mettre enfin hors d’état de me nuire,
Il faut que l’arrêtant…
Seigneur, le pourrez-vous
Sans voir soudain pour lui le Peuple contre nous ?
Par ce qu’il vient de dire il en a l’assurance,
Et comme il vous faudra forcer son insolence,
Gardez qu’en l’essayant vous ne hasardiez tout,
Si vous l’entreprenez sans en venir à bout.
Qui combat sa fureur l’irrite s’il lui cède.
Dieux, mon mal est tel qu’il n’ait plus de remède ?
Il en reste un, Seigneur, mais si dur, si fatal,
Qu’il vous seroit encor plus affreux que le mal ;
Moi-même j’en frémis quand je me le propose.
Ah, pour vivre sans Maître il n’est rien que je n’ose.
C’est trop voir les Romains pousser les Rois à bout,
Fais-m’en braver l’empire, et je consens à tout.
Ce noble et juste orgueil n’offre qu’un choix à faire,
Pour être roi, Seigneur, il faut n’être plus père.
La saine politique a pour seul fondement
L’inébranlable ardeur de régner sûrement,
Et qui craint dans un mal une suite funeste,
Purge le mauvais sang qui corrompoit le reste.
Un fils à la Nature a beau servir d’objet,
Sitôt qu’il est coupable, il n’est plus que Sujet,
Et quand contre l’État Démétrius conspire,
Sa mort seule… mais quoi ? Votre cœur en soupire !
Je vous l’avois bien dit, le remède est affreux.
Souffre cette foiblesse en un Roi malheureux.
D’abord pour braver Rome, un mouvement sévère
M’a fait voir comme à toi cette mort nécessaire,
Mais de tant de rigueur tous mes sens indignés
Étouffant malgré moi…
Servez donc, et craignez.
Pour conserver un fils il faut souffrir un Maître.
Tombe plutôt ce trône où le Ciel m’a fait naître.
Ce n’est plus ton péril que j’aime à repousser,
C’est l’affront d’obéir que je veux effacer.
Que me viens-tu donc dire, indiscrète Nature ?
Pour un indigne fils fais cesser ton murmure.
Pourquoi m’offrir des droits qu’il ne respecte pas ?
C’en est fait, j’ai ordonné l’arrêt de son trépas,
Je me rends, il mourra, sa perte est résolue.
Tout autre dès longtemps l’auroit déjà conclue,
Mais comme votre cœur est moins dur que le sien,
Avant qu’en donner l’ordre, examinez-vous bien.
Qui peut craindre un remords s’apprête un sort bien rude,
Et quelque dure aux Rois que soit la servitude,
C’est à vous à juger s’il peut être permis
D’en préférer la honte à la perte d’un fils.
Non, non, il faut régner, et que l’Ingrat périsse.
Je dois au nom de Roi ce triste sacrifice,
La Nature y consent, songeons à le hâter ;
Mais nous avons toujours le Peuple à redouter.
Pour forcer sa prison, s’il peut tout entreprendre,
Quand il saura sa mort vous le verrez se rendre ;
Étouffer un éclat qui seroit sans soutien.
Où l’on manque de Chef la révolte n’est rien.
Mais si de sa fureur vous craignez les menaces,
Il ne faut qu’en secret nous assurer des Places,
Tenir nos Amis prêts, les répandre en tous lieux.
Que pourront entreprendre alors les factieux ?
Étonnés par sa chute oseront-ils paroître ?
De ce Peuple insolent va donc te rendre maître,
Et t’étant assuré de la Ville et du Fort,
Viens résoudre avec moi l’ordre de cette mort.
Le poison, surprenant ce fils trop téméraire,
Avecque moins d’éclat saura nous en défaire,
Mais le temps presse, va.
C’est vouloir être Roi,
Seigneur, mais…
Va, te dis-je, et ne crains rien de moi.
Scène VII
Enfin, Sénat superbe, il faut te satisfaire.
C’est peu pour ta fierté qu’un hommage ordinaire,
Et mon cœur pour remplir tes vœux ambitieux
Consent à te traiter comme il traite les Dieux.
Il tient de tes autels le culte légitime,
Mon fils fut ton Esclave, il en fait ta Victime,
Et ce noir sacrifice à ton orgueil offert
Va faire voir à tous de quel zèle il te sert.
Mais où va contre lui la fureur qui me guide ?
Est-ce en le commettant qu’on venge un parricide ?
Et si les droits du sang ne peuvent l’ébranler,
Parce qu’il les trahit, dois-je les violer ?
Ah, Roi né pour servir, tu frémis, tu t’étonnes !
Veux-tu rougir toujours des fers que tu te donnes ?
Et pour un peu de sang qu’il t’en pourra coûter,
As-tu le cœur si bas qu’il tremble à les quitter ?
Non, non, c’est trop gémir, bravons la tyrannie.
Scène VIII
Seigneur, l’ordre est donné pour la cérémonie.
Le grand Prêtre demain en superbe appareil…
PHILIPPE, sans écouter Antigonus.
Ce seroit perdre temps qu’assembler mon Conseil,
Qu’il y consente ou non, la guerre est résolue.
Seigneur.
J’ai trop souffert sa puissance absolue,
Il est temps qu’elle cède, et que ce fier Sénat
Perde l’injuste espoir que lui donne un Ingrat.
Par mes secrets trahis son orgueil de redouble,
Mais…
Il n’achève point, Seigneur, d’où naît ce trouble ?
Vous semblez inquiet, et vos sens interdits…
Peuvent-ils l’être moins ? J’ai condamné mon fils,
Et l’arrêt de sa mort…
Seigneur, est-il croyable ?
Ah, ne l’excuse point, il n’est que trop coupable,
Et tant de noirs complots dont j’aimois à douter,
Ne sont plus des soupçons qu’on puisse rejeter.
Dans Rome où tout conspire à nourrir son audace,
Va de nos Envoyés savoir ce qui se passe,
Et s’il t’en faut encor un témoin plus certain,
Écoute Quintius, et reconnois sa main.
"Rome à vous voir régner se trouve intéressée
Pour le trône de Thrace espérez son appui ;
Mais elle hait le crime encor plus que Persée,
Et vous n’en devez rien attendre contre lui.
Quintius. "
Doute encor des forfaits de ce Traître.
Déments jusqu’à tes yeux qui te les font connoître,
N’en crois point Quintius.
J’y vois tant de fureur
Que le plus dur supplice en punit mal l’horreur ;
Mais si le nom de fils n’a rien qu’il considère
Pouvez-vous oublier que vous êtes son père,
Et la Nature…
Hélas ! Tout coupable qu’il est,
C’est moi bien plus que lui que perdra son arrêt.
Déjà la triste mort à mille morts m’expose,
Je souffre de l’effet, je souffre de la cause,
Je vois par ses forfaits ma gloire se ternir,
Leur peine me fait peur, mais il les faut punir.
Il est juste, Seigneur, et dans un si grand crime
Pour en rompre l’effet sa mort est légitime ;
Mais pour le prévenir ; n’est-il rien de plus doux ?
Le faisant arrêter tout sera contre nous.
Prétendre par l’exil punir son arrogance,
Au plus funeste éclat c’est porter la vengeance.
Quelque ordre qu’il en ait, voudra-t-il obéir ?
Oui, si vous consentez que j’ose vous trahir.
L’instruisant du péril, où sa vie est réduite
Je puis par un billet le forcer à la fuite,
Et me feignant suspect si j’ose lui parler,
Lui montrer le poison tout prêt à l’immoler.
Attendra-t-il l’éclat, menacé de la foudre ?
Dans le trouble où je suis je ne sais que résoudre,
Partout sous même horreur tremblent mes vœux confus.
Ne dis rien à Didas, et ne me quitte plus.
ACTE V
Scène première
Quoi, sans qu’à la pitié vous ayez pu vous rendre,
Vous avez de nouveau refusé de l’entendre,
Et je vois tout à coup chanceler ce courroux…
Souffre un peu de relâche à mon esprit jaloux ;
De mes feux mal éteints ma raison peu maîtresse
Eût peut-être à ses yeux exposé ma foiblesse.
Ses plaintes, ses soupirs auroient pu m’émouvoir,
Et pour fuir ce péril, j’ai dû ne le plus voir ;
Mais si de ce dehors la trompeuse apparence
Du courroux qui m’anime étale l’arrogance,
La fierté qui me livre à ses transports ardents,
Me peut-elle affranchir des troubles du dedans ?
Comme pour un grand cœur il n’est rien de si rude
Qu’un beau feu lâchement payé d’ingratitude,
D’abord sans voir l’abîme où nous portons nos pas,
Tout ce qui nous en venge est pour nous plein d’appas ;
Mais cette vive ardeur dont nous goûtons l’amorce,
Au point d’exécuter perd beaucoup de sa force,
L’Amour parle, et le cœur malgré tout son dépit
Se sent toujours forcé d’écouter ce qu’il dit ;
Non qu’à mes yeux du Prince il dérobe le crime,
Je vois de son orgueil quelle fut la maxime,
Et qu’en vain de sa foi j’oserois me flatter,
Si Didas pour sa fille eût voulu l’accepter,
Ma gloire à l’en punir est trop intéressée,
Il le faut, je le dois ; mais j’épouse Persée,
Et quelque trahison dont il se soit noirci,
C’est m’en venger sur moi que le punir ainsi.
J’ai prévu ce remords, mais de quoi qu’il vous flatte,
Prête d’aller au Temple est-il temps qu’il éclate ?
Dans ce Temple déjà pour tout le monde ouvert,
Le grand Prêtre…
Ah, c’est là que ma raison se perd.
Si je ne touchois pas à l’heure infortunée
Où se doit achever ce funeste hyménée,
J’en croirois de nouveau l’impatient courroux
Qui porta ma vengeance à choisir un Époux.
Pour punir mon Ingrat du choix qu’il me préfère,
De nouveau je voudrois me promettre à son frère,
Par cet affreux hymen combler son désespoir,
Au moins, Phénice, au moins je croirois le vouloir.
Mais quand le coup approche, et qu’il faut sans remise
Donner aux yeux de tous la foi que j’ai promise,
Dans l’horreur qui s’oppose à ce don de ma foi,
Je ne répondrois pas de l’obtenir de moi.
Si ton zèle jamais parut pour ta Princesse,
Sauve-la du péril de montrer sa foiblesse,
Prends pitié de sa gloire, et sans trop m’engager,
Tire-moi de l’abîme où j’ai su me plonger.
Cherche Démétrius ; si ma rigueur le pique,
Fais si bien qu’avec toi son désespoir s’explique.
S’il menace, il suffit pour ne rien achever
Tant qu’on ait prévenu ce qui peut arriver,
Quelque retardement paroîtra nécessaire ;
Et j’aurai tout gagné pourvu que l’on diffère.
Mais, Madame, songez…
Je vois Antigonus,
Va, tu me donnerois des avis superflus.
Scène II
Que venez-vous m’apprendre ?
Une étrange nouvelle.
Les Dieux de l’innocence embrassent la querelle.
Déjà par un sanglant et déplorable arrêt,
Contre Démétrius le poison étoit prêt…
Quoi, de tant de rigueur le Roi seroit capable ?
J’ai détourné ce coup, quoi qu’il le crût coupable,
Et d’un si triste sort je l’ai fait consentir
Que par un faux billet je pourrois l’avertir,
C’est ce que j’ai su faire, et par ce stratagème
Le Roi forçoit le Prince à se bannir soi-même,
Et chercher dans la fuite un secours assuré
Contre le poison qu’il se croit préparé.
Ah, ne présumez pas que cet avis suffise.
Le Prince craindra peu cette lâche entreprise,
Et sans songe à fuir…
Le Ciel vient d’y pourvoir,
Apprenez ce qu’enfin il nous a fait savoir.
Ayant vu que le Roi dans toute sa colère
Pour ce fils malheureux se montroit encor père,
J’ai su si bien agir que je l’ai disposé
À revoir les Témoins qui l’avoient accusé.
Amenez en secret, et pressez de répondre,
Leur surprise a suffi d’abord à les confondre,
Et sur quelque scrupule heureusement offert,
Menacés de la gêne, ils ont tout découvert,
Que Persée en partant avoit su les instruire
De ce qu’à leur retour ils diroient pour lui nuire ;
Que Quintius en vain le chargeoit d’un forfait,
Que la Lettre étoit fausse, et son seing contrefoit,
Et qu’avec les Romains ces bruits d’intelligence
Du Prince injustement accabloient l’innocence.
Dieux ! Et que dit Persée !
Il n’a rien encor su,
Mais enfin son espoir se va trouver déçu,
Puisque le Roi m’envoie avertir le grand Prêtre
Qu’en vain pour votre hymen…
Moi, l’Épouse d’un Traître !
Si ma main pour ses vœux est un espoir si doux…
Souffrez que je vous quitte, il s’avance vers vous.
Scène III
Après tant de soupirs, tant de rudes alarmes,
Enfin voici ce jour pour moi si plein de charmes,
Où pour prix de ma flamme obtenant votre foi,
Je vais me voir ensemble heureux amant et Roi.
Attendant qu’en ces lieux j’obtienne une Couronne,
Il m’est doux que l’Amour par vos mains me la donne.
C’est ce que votre hymen va faire aux yeux de tous,
Pour son auguste pompe on n’attend plus que vous.
Allons, allons, Madame, et de l’heur que j’espère…
Seigneur, l’ordre du Roi m’est ici nécessaire.
C’est par lui que pour vous mon cœur s’est engagé,
Et puisqu’il tarde tant, il peut être changé.
Si ce seul changement pour ma flamme est à craindre,
À ce scrupule en vain vous voulez vous contraindre.
Le Roi pour cet hymen s’intéresse à tel point…
Allez l’en consulter, et ne m’en croyez point.
Non qu’enfin affectant un scrupule frivole
Je cherche à m’affranchir de lui tenir parole,
Mais je lui ferois tort si j’avois quelque effroi
Qu’il en pressât l’effet que pour le fils d’un Roi.
J’ai promis pour un Prince et grand et magnanime,
Jaloux de la vertu, plein d’horreur pour le crime,
Digne de voir par moi ses hommages reçus,
Je ne m’en dédis point, jugez-vous là-dessus.
Ah, si d’un pur amour les pressants témoignages
Vous faisoient de mon cœur estimer les hommages,
Vous ne douteriez point si je puis mériter
Que vous vous abaissiez jusqu’à les accepter.
Vous trouveriez en moi ce Prince magnanime,
Jaloux de la vertu, plein d’horreur pour le crime,
Et cesseriez de dire en outrageant ma foi,
Que vous n’avez promis que pour le fils d’un Roi.
Ne vous déguisez plus, et malgré vos promesses
Laissez, laissez agir vos premières tendresses.
Quand je touche au moment qui me doit rendre heureux,
Démétrius vaut bien un remords généreux.
D’un cœur que l’on rejette, il est beau qu’une Reine
Au refus de Didas daigne flatter la peine,
Que d’un parjure amant l’indigne trahison…
Je n’ai pas oublié que je m’en dois raison,
Mais la plus vive ardeur presse en vain ma vengeance.
Quand on le punit trop on lui rend l’innocence,
Et de Didas sur moi quoi qu’ait pu le rapport,
Tout me devient suspect si tôt qu’on veut sa mort.
Sa mort ! Qui vous fait prendre une frayeur si vaine ?
Les crimes dont le charge une implacable haine ;
Non qu’on en puisse trop punir l’indignité,
S’il a su les commettre, il a tout mérité,
Mais puisque vous voulez qu’avec vous je m’explique,
On les croit un effet de votre Politique,
Et dans vos Envoyés si votre espoir fut mis,
Ils vous ont mal tenu ce qu’ils vous ont promis.
Quoi, si ce qu’ils ont dit à ses desseins peut nuire,
Ils parlent par mon ordre, et j’ai su les séduire ?
Vous le saurez du Roi, je parle seulement
De ce qu’un bruit confus m’apprend obscurément ?
Mais sur ce doute enfin je crois devoir attendre
À partager ce trône où vous pouvez prétendre,
Et j’aime mieux plus tard avoir droit d’y monter,
Que me mettre en péril de le trop acheter.
Ah, ce seroit trop peu que borner votre haine
À différer l’effet d’un accord qui vous gêne.
Sur l’exemple d’un Traître il vous sera plus doux
De vous montrer pour moi ce qu’on l’a vu pour vous.
Ne considérez point sur ce grand hyménée
Ni mes vœux acceptés, ni votre foi donnée,
S’il osa vous trahir en faveur de Didas,
Vous l’avez trop aimé pour ne l’imiter pas.
J’avois dû le prévoir, et lorsque l’on me quitte,
Mon espoir trop crédule a l’affront qu’il mérite.
Donnez à mon Rival la douceur d’en jouir,
Vous le pouvez aimer, vous pouvez me haïr,
Mais avant que sa foi sur ma flamme confuse
Emporte avec le cœur la main qu’on me refuse,
Pour lui ravir un bien qu’il m’ose disputer,
J’irai jusqu’aux forfaits qu’on me veut imputer.
Puisque l’on me soupçonne il faut par de vrais crimes
Rendre enfin contre moi vos soupçons légitimes.
Si j’attaque des jours que je dois respecter,
C’est votre seul arrêt que j’ose exécuter ;
C’est vous qui malgré moi cherchez à m’y contraindre,
C’est vous…
Voici le Roi, vous pouvez vous en plaindre.
Scène IV
Seigneur, apprenez-moi s’il ne m’est plus permis
De me flatter d’un bien que vous m’aviez promis.
Il semble que le sort toujours prêt à me nuire
N’ait voulu m’élever que pour mieux me détruire.
Ma gloire fait ma honte, et contraint de céder,
Plus on m’a vu d’espoir, et moins j’en puis garder.
De cet injuste espoir si l’on m’a vu complice,
Ingrat, le Ciel se plaît à me rendre justice,
Et dès le premier pas sa bonté nous fait voir
Combien la soif du trône a sur toi de pouvoir.
L’hymen qui te l’assure est un foible avantage,
Tant qu’un père importun avec toi le partage.
À la perte d’un fils tu voulois m’engager
Pour en prendre sur moi le droit de le venger.
Le succès a trompé tes damnables maximes,
J’ai sauvé malgré toi ma gloire de tes crimes,
Et si le sang d’un frère a pour toi tant d’appas,
Il te faut pour l’épandre emprunter d’autres bras.
Ne songez plus, Madame, à couronner un lâche.
Je vois pour vous enfin quelle en seroit la tache.
Et garant de l’hymen où j’osois vous porter,
Je vous rends un aveu qu’il n’a pu mériter.
De quelque dur revers que le Sort me menace,
Je ne demande point d’où me vient ma disgrâce.
Ce sont les mêmes traits toujours empoisonnés
Qu’en vain jusques ici ma plainte a détournés,
Le mépris dont enfin elle fut hier suivie,
À la rage d’un frère abandonna ma vie,
Et quand j’en expliquai les secrets attentats,
Ce fut les approuver que ne les punir pas.
Je n’en murmure point, et dois voir sans surprise
Qu’à me persécuter votre aveu l’autorise ;
Mais que je sache au moins quel indigne rapport
D’un hymen souhaité vous fait rompre l’accord.
Fais-moi servir ta haine, et joins à cette injure
Tout ce qui peut au crime endurcir la Nature.
Démens ces Envoyés qui subornés par toi,
Avec tant de fureur noircirent hier sa foi.
Veux-tu que l’imposture aujourd’hui découverte
Fasse voir qu’ils suivoient tes ordres pour sa perte,
Et qu’instruits par ta rage, ils viennent déclarer,
Quels jaloux mouvements te l’avoient fait jurer ?
Veux-tu que Quintius sur un faux caractère…
Que l’erreur qui nous flatte aisément nous est chère !
Pour ce fils contre moi noirci de lâchetés,
Laissez-vous éblouir à de fausses clartés
Cédez à ce penchant dont l’indigne imposture
Toujours en sa faveur suborna la Nature ;
Mais vous en fierez-vous à des âmes sans foi,
Qui d’abord contre lui, sont enfin contre moi ?
C’est par là qu’à ma mort leur trahison aspire.
Ils ne l’ont accusé qu’afin de s’en dédire,
Et rejeter sur moi le plus noir attentat
Qui de votre courroux pût mériter l’éclat.
Je vous le disois hier, plus d’espoir d’innocence.
Vos Peuples sont pour lui, Rome prend sa défense,
Le sang même conspire à le favoriser,
Et pour me voir coupable il n’a qu’à m’accuser.
Mais au moins pour avoir des preuves plus certaines,
Livrez les Imposteurs aux plus cruelles peines.
Dans leurs derniers remords cherchez des vérités…
Va, n’en demande point de plus vives clartés.
Loin de les souhaiter dans un destin si rude
J’aime à laisser ton crime en quelque incertitude,
Et quoi que leur rapport me montre à prévenir,
J’en veux douter exprès pour n’oser t’en punir.
Mais comme je vois trop que rien n’est plus capable
D’arracher l’innocent aux fureurs du coupable,
Il faut rompre un péril qui jusqu’ici douteux,
Pourroit se rendre enfin funeste à tous les deux.
Vous le pouvez, Madame, et dissiper la crainte
Dont Persée aujourd’hui fait l’appui de sa plainte.
D’une sourde pratique il prendra peu d’effroi
Si de Démétrius vous daignez faire un Roi.
De quelque ambition qu’il ait l’âme saisie,
Il le verra chez vous régner sans jalousie,
Et cessera de croire un soupçon odieux
Quand il n’aura plus rien qui lui blesse les yeux.
Je vous rends vos États, vous leur devez un Maître.
Et si le triste état où vous me voyez être,
Pour un fils malheureux…
Seigneur, permettez-moi
De remonter au trône avant que faire un Roi.
Plus de gloire y suivra l’heureux choix de ma flamme ;
Et si Démétrius…
Ah, c’en est trop, Madame,
Quelque pressant respect qui cherche à m’arrêter,
Vous forcez malgré moi ma rage d’éclater.
En vain mon désespoir voudroit encor se taire.
Seigneur, n’épargnez rien pour élever mon frère,
Donnez-lui votre Sceptre, et le couronnez Roi,
Vous ne lui donnez rien qui soit encor à moi,
Et quelque injuste rang que vous lui fassiez prendre,
Au trône, vous vivant, je n’ai rien à prétendre.
C’est assez que le Ciel m’y réserve mes droits ;
Mais pour placer ses vœux faites un autre choix.
Pour lui contre ma flamme en vain on s’intéresse,
Il m’a vu recevoir la foi de la Princesse,
Et les ordres cruels qui l’en veulent flatter,
M’arracheront le jour avant que me l’ôter.
Votre orgueil de mon choix s’est pu faire l’arbitre,
Tant qu’on ne m’a laissé de Reine que le titre,
Mais enfin on me rend le pouvoir Souverain,
Et quand il me plaira disposer de ma main…
Disposez-en, Madame, et puisque son audace
Par ses emportements veut hâter sa disgrâce,
Il faut qu’aux yeux de tous ses forfaits étalés
Découvrent mieux quels droits sa rage a violés.
Qu’on amène son frère, afin qu’en sa présence…
Oui, Seigneur, achevez d’assouvir sa vengeance.
Sans rien examiner, puisque ma mort lui plaît,
À son impatience accordez-en l’arrêt.
Aussi bien ce haut prix qu’on destine à sa flamme,
Sans verser tout mon sang…
Scène V
Ah, Seigneur ! Ah, Madame !
De quel présage, hélas ! est pour moi ce transport !
Parle, Démétrius ?
Plaignez son triste sort,
Démétrius n’est plus.
Il est mort ?
PHILIPPE, à Persée.
Ah, Perfide !
Je suis coupable encor de ce noir parricide ?
Sur quel autre que toi d’un soupçon si pressant…
Seigneur, il a parlé, Persée est innocent.
Enfin le Ciel s’explique, et lorsque tout m’accable,
Malgré vous sa justice entraîne le coupable.
Au moins si l’on dédaigne et ma main et ma foi,
Je n’ai plus de Rival qui triomphe de moi.
C’est un charme secret dont la douceur me flatte,
Et lorsque par sa mort mon innocence éclate
Je me retire exprès de peur de vous blesser
Par la joie où mon cœur a peine à renoncer.
Je la sens malgré moi qui vient y prendre place,
Et c’est assez, Seigneur, que le respect me chasse.
Scène VI
Va, ris des vœux d’un père interdit et confus.
Phénice, il est donc vrai que mon fils ne vit plus.
Oui, Seigneur, et du Sort les plus dures menaces
N’ont fait suivre jamais de pareilles disgrâces.
J’étois dans le jardin quand une prompte horreur
Par un objet affreux s’empare de mon cœur.
Du Prince tout sanglant le spectacle funeste
Me fait craindre un forfait que mon âme déteste.
Je m’écrie, et tremblant à le voir aux abois,
À peine ai-je parlé qu’il reconnoît ma voix.
Il soupire, et faisant effort sur sa foiblesse,
"J’exécute, a-t-il dit, l’ordre de ma Princesse,
Et la mets en pouvoir de donner une foi
Qui n’auroit pu sans crime être à d’autres qu’à moi.
C’est le moins que je dusse au beau feu qui m’anime
Que rendre par ma mort son hymen légitime.
Je l’aimois chèrement ; mais malgré tant d’amour,
Qui n’en est plus aimé n’est plus digne du jour.
Du moins en la quittant j’ai la douceur de croire
Que si l’Envie encore ose attaquer ma gloire,
Elle repoussera ces bruits injurieux
Qui n’ont fait voir en moi qu’un Prince ambitieux.
Averti du poison qu’un père me prépare,
J’évitois par la fuite un ordre si barbare,
Et si pour les grandeurs mon cœur eût soupiré,
J’avois chez les Romains un asile assuré ;
Mais j’aurois de mon feu cru trahir la tendresse
Et j’eusse refusé ma vie à ma Princesse.
Comme pour elle seule on m’a vu la chérir,
Quand elle veut ma mort il m’est doux de mourir,
Assure-t-en, Phénice, et que jamais une âme…"
Son cœur pousse à ces mots un soupir tout de flamme ;
Ses regards sur les miens s’arrêtent tristement,
Il nomme la Princesse, et meurt en la nommant.
Et bien es-tu content, malheureux Politique ?
Le Ciel selon tes vœux pour ta grandeur s’explique,
Et si Rome aspiroit à te faire la loi,
Aux dépens de ton sang enfin te voilà Roi.
Satisfois tout l’orgueil de ce fier caractère,
Tu ne le peux remplir qu’en cessant d’être père.
Un fils te reste encor ; ose, achève, et ne crains
Ni la foudre des Dieux, ni celle des Romains.
C’est lui dont les soupçons pressant ta défiance
Ont fait servir ta crainte à sa lâche vengeance.
Le sang contre le sang à la fin t’a séduit,
Et cette mort funeste en est l’indigne fruit.
Fuyez, fuyez, Madame, un père abominable.
On partage un forfait à souffrir le coupable
Rentrez dans votre Thrace où les Dieux ennemis
Pour régner avec vous ont refusé mon fils,
Ce fils que de ma rage ils ont fait la victime,
Ce fils…
C’est trop, Seigneur, vous charger de mon crime.
L’accablement stupide où mes sens sont forcés
De la main qui le perd vous éclaircit assez.
Je l’aimois, et Didas me donnant lieu de croire
Qu’un choix et bas et lâche avoit souillé sa gloire,
Jalouse autant que fière, aux dépens de mon feu,
Je l’ai voulu punir d’un trop honteux aveu.
Sa mort en est l’effet, et quand j’en sens l’atteinte,
N’attendez point qu’ici je m’arrête à la plainte.
Je sais ce qu’on doit faire en de pareils malheurs.
Pour le sang d’un Héros c’est trop peu que des pleurs.
Sa gloire tant de fois indignement blessée
Demande à ma vengeance et Didas et Persée.
La Thrace ne m’est rien ; qu’il périssent tous deux,
Soit que j’y rentre ou non, j’ai tout ce que je veux.
Si votre âme à leur perte a peine à se résoudre,
Les Dieux à ce défaut me prêteront leur foudre.
J’en vais presser l’éclat, et vous laisse ordonner
Du Sceptre qu’en naissant ils m’avoient su donner.
Elle sort.
Ah, pour une vengeance et si juste et si chère,
C’est peu du sang du fils, versez celui du père,
Il est prêt, et déjà le remords…
Scène VII
Ah, Seigneur,
D’un Peuple mutiné redoutez la fureur.
Il sait la mort du Prince, et tant de violence
Suit la rage où le porte une aveugle vengeance,
Qu’ayant trouvé Didas qui rentroit au Palais,
On l’en a vu sur lui pousser les premiers traits ;
Mais c’est peu que d’abord il l’ait pris pour victime.
De Persée à hauts cris il déteste le crime,
La menace est mêlée à d’insolents discours,
Et s’il s’osoit montrer je craindrois pour ses jours.
Qu’il périsse, aussi bien de sa jalouse haine
Il faut que tôt ou tard il ressente la peine.
C’est elle dont l’ardeur, pour régner sûrement,
M’en a fait partager l’indigne aveuglement.
Le Ciel l’a pu souffrir, mais s’il lui rende justice,
Ce qui causa son crime en sera le supplice,
Et ces mêmes Romains qui l’ont tant fait trembler,
Sous le poids de leurs fers le sauront accabler.
La honte du triomphe à son orgueil est due.
Mais à quoi, mes ennuis, arrêtez-vous ma vue ?
Démétrius attend les honneurs du tombeau,
Il a cessé de vivre, et je suis son bourreau.
À ce penser affreux ma constance me laisse.
Prêtez, Antigonus, quelque aide à ma foiblesse,
Et qu’on me mène ailleurs, après un tel malheur,
Sous mes tristes remords expirer de douleur.