Perverse/10

La bibliothèque libre.
Antony et Cie (p. 125-134).

X

AMOURS DE JOCKEYS

De plus en plus, Paula devinait que l’amour avait d’autres mystères qu’on ne lui dévoilait pas.

Tous étaient venus, tous étaient passés, sans laisser à son corps les cicatrices, par intuition soupçonnées, qu’elle désirait avoir, dût-elle en souffrir.

En effet, jusqu’ici ses amants avaient été de beaux hommes ; Gaston de Plombières, l’ingénieur et le docteur du navire, son mari, malgré l’expérience qu’ils avaient de l’amour, avaient laissé subsister dans son imagination un quelque chose de vague et de doux vers quoi ses rêves montaient, la nuit.

Le printemps, revenu avec ses fleurs et ses parfums, émoustillait ses désirs de chair.

Mais c’était toujours la même gamme à monter et à descendre, le plaisir pareil et la monotonie de l’amour banal l’agaçaient et lui faisaient horreur.

Cependant, elle demeurait l’assoiffée, courant à la joie, avide, lasse et subitement reposée, qui veut du nouveau et appelle l’inconnu.

Son âme perverse, jalouse d’apprendre, escaladait des régions où son corps ne pouvait atteindre, et dans tout son être frémissant passaient les douleurs des déceptions sans cesse renouvelées.

Enfin, le printemps, à son tour, fit place à l’été. Autour d’elle, on parlait du Grand-Prix et des toilettes de circonstance.

— Tu m’accompagneras, dit-elle à Gaston de Plombières, j’irai à Longchamps.

Et, les journées qui précédèrent le grand jour hippique, on vit Paula errer dans le pesage, causer aux jockeys en renom, apprendre le langage des books, et parier de grosses sommes, au hasard, sur des favoris désignés.

Les jockeys l’intéressaient au plus haut point.

Elle avait envie de savoir jusqu’à quel degré l’homme existait dans ces petits monstres horriblement bâtis, maigres et usés, autour desquels tournaient les femmes à la mode.

Boon, Dodge, White, Morland, Watkins, Bridgeland, Childs, French, Barker, tous les avortons du sport demeuraient une énigme. Elle les considérait mal sur l’oreiller. Que pouvaient bien être, en amour, ces artistes de cheval qui, pareils à des singes vêtus de couleurs chatoyantes au soleil, collaient leur caducité aux reins des purs-sang ?

Jusqu’où l’homme existait-il chez ces êtres bizarres, dont les plus belles femmes attendaient un conseil qui ne venait pas, un sourire prometteur de gain ?

Et puis, Paula qui s’était décidée à jouer, ne voulait pas être une joueuse malheureuse. Elle jetterait à poignées l’or gagné, mais elle ne voulait pas perdre pour satisfaire son orgueil.

Tour à tour, alléchés dans leur impuissance, agacés dans leur fatuité, les jockeys du Grand-Prix passèrent dans les bras de Paula. Ils dévoilèrent les secrets d’écurie, ils vantèrent tant leurs montes qu’à la fin. Paula ne vit, dans les seize partants, que seize gagnants certains.

Le samedi, elle s’offrait à un entraîneur de derrière les fagots, devenu obèse depuis qu’il avait été disqualifié à vie comme jockey.

— Omnium II claquera comme une bourrique, dit-il entre deux hoquets.

Omnium II était le grand favori, cependant.

Mais l’homme l’amusait avec ses petites jambes sous son bedon.

Et toute une nuit elle oublia qu’elle serait le lendemain, dans une toilette inédite, mêlée au Tout Paris qui étincelle.

Au pesage, conduite par de Plombières, elle vit le roi Milan qui, derrière la bizarrerie de son nez de travers, regardait sans sourciller les bêtes et les gens.

L’allure du roi, si simple et si digne, lui plut souverainement, elle tenta un regard qui rencontra des yeux blasés d’homme qui se moque de l’amour et s’en tient à ses habitudes. Il fumait une cigarette comme un mortel de la plus modeste espèce ; et, sans aucune attention pour la galerie qui disait tout bas son nom, l’air ennuyé, las, seul, il semblait heureux de se frôler à la canaille aristocratique, financière et amoureuse, qui épiait ses gestes de roi.

Paula le suivit, escortée par de Plombières, elle le vit ponter sur Andrée, la pouliche de M. Lebaudy, elle paria, pareillement, sur l’écurie du baron de Schikler, en souveraine qui ne compte pas, livrant un match muet au roi détrôné, elle, la reine du million.

Andrée gagna, le roi Milan aussi.

Paula passa plusieurs fois aux côtés du monarque, elle aurait voulu être la possession de cet homme qui ne devait pas ressembler aux autres : mais on ne la remarqua point, on ne sourit pas à son appel de femme qui demande, et qui, au bras d’un amant cavalier, cherche un amant nouveau.

En compagnie de Suzanne de Chantel, elle aperçut son père et, de loin, le salua.

Quelques minutes après, elle croisa son mari conduisant une femme très jolie, au milieu des groupes, elle détourna la tête et fit semblant de ne le point voir.

M. de San-Pedro avait en effet conquis un véritable joyau de femme, Mariette d’Anjou.

Mariette était une trouvaille de Gaston de Plombières, il l’avait présentée à San-Pedro qui l’avait acquise pour l’aimer.

Institutrice dans une famille bourgeoise, Mariette n’avait que dix-huit ans, était belle et souffrait de la médiocrité qui semblait devoir être la récompense de sa vertu. Ambitieuse et intelligente, aux premiers mots de de Plombières qui furent les banales paroles de tout individu qui s’adresse pour la première fois à une belle fille, elle se sentit des dispositions pour la noce, oublia de rentrer chez ses bourgeois, et lança sa candeur,

ravagée par des rêves constants, au premier tas d’orties qu’elle découvrit dans une ruelle de chambre meublée, derrière Saint-Philippe-du-Roule, où elle avait suivi de Plombières.

Après souper, après l’amour :

— Es-tu contente de ton sort, Mariette ? dit le marquis.

— Mon sort me dégoûte, répondit la naïve enfant.

— Veux-tu être à moi, bien à moi ? Tous les deux, unis pour la lutte, à la conquête de la fortune, nous réussirons.

— Ça m’est égal.

— Pourras-tu m’aimer ? je t’aime.

— Toi ou un autre, répondit la vierge de la veille.

— As-tu des scrupules ?

— Je n’en aurai plus, s’il est nécessaire de n’en plus avoir.

— Et bien, si tu suis mes conseils, dans un an nous aurons cinquante mille francs de rentes assurées, en valeurs sur l’État.

— J’accepte tes conseils. Que faut-il faire ?

— Il faut devenir la maîtresse d’un homme que je te présenterai.

— Tu fais le rabat, alors ?

— Non, ce n’est pas ma spécialité. Mais tu ne dois pas critiquer mes conseils, tu dois les suivre.

— Alors ?

— Alors, tu seras la maîtresse d’un miché millionnaire, dont tu tireras tout ce que tu pourras. Un an peut suffire. De mon côté, je ramasserai tout ce que je pourrai, nous nous marierons et nous ferons des enfants qui seront à nous deux, et nous vivrons, comme des gens chics, comme les gens chics qui donnent mille francs par an au bureau de bienfaisance. Ça te va ?

— Absolument.

— Je t’avertis, pour que l’avenir ne vienne pas t’apporter trop de désillusions, que je ne suis pas plus marquis de Plombières que tu ne t’appelles Mariette d’Anjou. Mais comme les particules ne gênent pas et peuvent servir, je m’en suis orné. Une femme entretenue qui n’a pas un de devant son nom est une femme à la mer…

— Tu deviens cambronien.

— Oh ! si tu veux, tu n’as qu’à mettre une particule au bout. Abondance de biens ne nuit pas. Tu vas donc être une femme épatante, entretenue par un Américain qu’entretient sa femme, laquelle m’entretient, et dont le père entretient Suzanne de Chantel, qui m’entretient aussi. Les bénéfices devront être respectables, et je t’assure que, dans un an, nous aurons un hôtel au Parc Monceau ou du côté de l’Étoile, pour récompenser nos efforts communs et les sacrifices considérables imposés à notre honneur et à notre orgueil.

— Tu parles comme un curé, marquis.

— Je parle comme un bonhomme qui sait son métier, marquise.

— Tu m’épates !

— Tant mieux, il y aura assez d’autres serins à côté de toi qui ne te produiront pas le même effet.