Les Gaietés/Petit Vaudeville
PETIT VAUDEVILLE.
Qu’un vieux baron couvert de rouille,
Exhumé d’un sombre manoir,
Sur la Charte qui le dépouille
Veuille poser son éteignoir,
Passons-lui ce petit manège…
Autrefois, ce bon châtelain
Pendait les gens pour un lapin :
Il n’a plus ce doux privilège.
Qu’aujourd’hui, grâce à la sottise
De nos élégants un peu fous,
Les lourds pantins de la Tamise
Viennent donner le ton chez nous,
D’un tel caprice je me raille,
Car, n’en déplaise à Wellington,
La gloire de donner le ton
Nous revient un jour de bataille.
Certaine pièce courageuse
Allait, dit-on, paraître au jour,
Quand une police ombrageuse
Vient lui jouer un vilain tour[1].
Pauvre auteur ! ta bile s’allume…
Tu me fais rire, en vérité !
Pourquoi parler de liberté
Avant d’avoir vendu ta plume ?
Entendez-vous à la tribune
Cet orateur aux cheveux roux,
Contre un membre qui l’importune,
Par ordre, exhaler son courroux ?
« Eh ! messieurs, regardez au centre…
Du roi voilà les vrais sujets ! »
C’est juste ! ils enflent vos budgets
Selon que vous enflez leur ventre.
Ministres de miséricorde,
Dans vos pieuses missions,
Sans doute, la douce concorde
Conduit vos saintes légions ?
« Pour prêcher la paix, l’Évangile,
Chers frères, nous vous invitons… »
Demandez plutôt aux Bretons
Qui les ont chassés de leur ville[2] ?
Trestaillons du Gard et du Rhône,
Qui voilant vos affreux desseins,
Au nom de l’Église et du Trône,
Naguère étiez nos assassins ;
Monstres souillés de tant de crimes,
Craignez un sanglant souvenir !…
La justice est prête à punir…
On ose pleurer vos victimes.
— Quel outrage ! quelle injustice !
— Quoi donc ? — Fameux par tant d’exploits,
Nos braves souffriraient qu’un Suisse
Gardât le palais de nos rois !…
Calmez l’humeur qui vous emporte ;
Chacun son métier, mes amis :
Le Français bat les ennemis
Et le Suisse garde la porte[3].