Petit dictionnaire ministériel/Texte entier/C

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C.

Cabinet. C’est là que se passent toutes les transactions qu’on n’oserait hautement avouer. Celui qui serait à même de révéler tous les secrets de cabinet depuis quelques années, ne pourrait que produire du scandale. Le cabinet des Tuileries, c’est-à-dire le ministère français, est le très humble serviteur des cabinets de Saint-James, de Vienne, de Berlin, etc. On dit que quand on vante tel ou tel projet de la politique villéliste à M. Canning, le diplomate anglais répond par ce vers connu :

Sans mentir, il est bon à mettre au cabinet.

Caissier du ministère. Coffre vivant, chargé de tenir à portée de Son Excellence les écus qu’elle serait obligée d’envoyer quérir au trésor royal.

Ce coffre a le secret des dépenses secrètes.

Carême. Les abbés le prêchent, et s’en moquent in petto. Les ventrus ne veulent pas même qu’on leur en parle !

Un pénitent a face blême
Leur dit un jour : mes fils, jeûnez-vous en carême ?
— Nous, jeûner ! ah, l’original !
Non, corbleu ! le carême est notre carnaval.

Cartons. Cimetière des pétitions.

Cela ne me concerne pas. Solution très convenable qu’un chef de bureau jette sans cesse au nez des solliciteurs après leur avoir fait longuement détailler leur affaire.

Censeur. Ferme soutien des saines doctrines ministérielles ; Parque littéraire chargée de rogner les ailes aux écrivains qui veulent prendre un généreux essor et qui rougiraient de ramper comme elle. Un censeur n’est pas toujours favorablement apprécié. Il est, a-t-on dit mille fois,

Comme l’eunuque au milieu du sérail.
Il ne fait rien et nuit à qui veut faire

Centralisation. Ceux qui tonnent contre elle se trouvent sans doute à l’extrémité des rayons, rien n’est plus avantageux que d’être fait centre. Là où le pouvoir centralise, toute l’attraction se réunit au siége des grandes administrations, ou, si l’on veut, des ministères. Quelque chétif que vous soyez, ne vous flattez pas d’échapper à cette force attractive. Qui de nous, par exemple, ne s’est pas vu contraint une fois dans sa vie de faire une pétition à quelque Excellence ? nous sommes autant de petites aiguilles aimantées dont le pouvoir est le pôle.

Charade.

Dans mon second, si mon entier
Allait visiter le Tartare,
Qu’avec plaisir, dans mon premier,
On sonnerait une fanfare !

(Par un employé du Ministère de l’intérieur).

Charité. Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Charte. Voyez Hors-d’œuvre.

Chef de bureau des dépenses intérieures. C’est une miniature du secrétaire-général. Ce chef crie par état à l’économie, ce qui n’est pas mal joué : il plaint le papier, les plumes, l’encre ; il va sans cesse soufflant les chandelles, retirant des poeles les bûches que la main prodigue du commis y précipite. C’est un véritable éteignoir.

Circulaire. Son nom exprime assez bien qu’elle est appelée à faire le tour du royaume ; elle est l’idole du commis ministériel et l’effroi des commis départementaux ; elle jouit du privilége de nommer des députés et de destituer des préfets.

Clôture. Texte de tous les discours de ces messieurs ; ce mot renferme toute leur éloquence. M. le baron d’Anthès a été surnommé le général de la clôture.

Cœur. Les royalistes se seraient presque rangés de l’avis de Sganarelle, et auraient bien voulu placer le cœur à droite ; ils l’ont laissé à gauche pour échapper au ridicule. Les ministériels ne sont pas si timorés : ils l’ont relégué avec leur conscience ; ils ont conséquemment le cœur au ventre, en dépit du qu’en dira-t-on ?

Comité du conseil d’état. Chaque ministère emporte avec lui une section du conseil d’état, composée de six conseillers, deux maîtres de requêtes et d’un vice président. Ce comité est purement consultatif. Les ministres sont à son égard comme ces Léandre de comédie qui cherchent auprès d’un oncle des avis sur le mariage qu’ils ont envie d’accomplir. « Je ne vous le conseille pas, reprend l’oncle consulté. » Léandre prend femme le lendemain.

Commis. Les rois de l’antiquité avaient coutume de sacrifier quelques quadrupèdes en signe d’alliance : c’était une génisse blanche ou un mouton. Les alliances d’un ministre avec le côté économique de la chambre exigent aussi des victimes : ce sont les commis.

Commissaire de police. Le fonctionnaire le plus éminemment utile après le receveur des contributions.

Conscience. On demandait à quelqu’un quel était l’homme de France qui avait le plus de conscience ; c’est M. de Villèle, répondit-on. — Pourquoi ? — Parce que c’est lui qui en a le plus acheté.

Conspiration. Procédé ministériel fort commode pour se débarrasser de quelques mauvaises têtes et obtenir des lois d’exception.

Convertir.

Un monseigneur, financier des plus minces,
Et qui se croit un grand homme d’état,
N’a pas long-temps dit à certain prélat :
Convertit on un peu dans vos provinces ?

L’homme de Dieu lui répond : Monseigneur,
Croyez qu’afin de gagner un pecheur,
Nous sommes tous remplis de saintes flammes.
Lors brusquement lui répond le Crésus
Eh donc ! sandis[illisible], il s’agit des cens[illisible],
Quant à présent, et pas du tout des âmes

Convocation des colléges. Distribution de dindes truffées, de bureaux de tabac et de croix de la Légion-d’honneur.

Conseil des ministres. Pétaudière où M. de Villèle raisonne morale ; M. de Corbière, bouquins ; M. de Peyronnet, tierce, quarte et dégagez. On s’y occupe de tout, excepté des intérêts de l’état.

Constructions. Nécessité ruineuse pour le budjet, mais très profitable aux architectes du gouvernement.

Contribuable. Citoyen français.

Cordon rouge et Cordon bleu. Les ministres s’en servent pour mener les hauts ventrus en lesse. Le cordon rouge était naguère le plus estimé ; aujourd’hui le cordon bleu obtient la préférence. Les cuisinières en font un grand cas, et, vice versâ, ceux qui le sollicitent font grand cas des cuisinières.

Courbette. Moyen d’élévation.

Cuisine. La cuisine d’un ministère n’a pas moins d’importance que les bureaux ; elle a ses directeurs généraux, ses chefs et ses employés, qui n’ont ni moins d’orgueil, ni moins de vanité que les commis, auxquels même ils ne craignent pas d’emprunter le vocabulaire administratif. On les surprend à dire qu’ils sont de conseil, qu’ils ont comité : c’est tout simplement une réunion où il s’agit de délibérer sur le choix du rôti. On a quelquefois entendu le chef d’office refuser une invitation en donnant pour excuse que c’était son jour de travail avec le ministre : ce qui veut dire tout bonnement qu’il prendra les ordres du secrétaire-intime pour connaître le nombre des convives.

Cuisinier. Être universel, qui imprime le mouvement à toute la machine politique.

Un cuisinier est tout en maître de la terre
Il tient dans ses poelons et la paix et la guerre,
Fricasse des faveurs, assaisonne un emploi ;
Aux postes eminens ses ragoût font élire :
Et c’est lui qui peut vraiment dire :
Place, messieurs, l’état, c’est moi !