Texte validé

Petite Nell/Un nouveau Milieu

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Verlag Von Raimund Gerhard (p. 9-15).


CHAPITRE III.

Un nouveau Milieu.


Tante Olympe avait retrouvé sa demeure comme elle l’avait laissée, ses piles de draps à leur place et ses clefs dans la poche de son neveu ; toutes ses terreurs s’étaient évanouies du même coup. Aucune étrangère n’avait mis les pieds dans son domaine et oncle Nestor, qui trouvait son tour bien réussi, en rit tout seul au-dedans de lui.

Le temps perdu fut bientôt rattrapé, et son jardin, le plus grand du village, ne tarda pas à être, comme toujours, le plus propre et le plus avancé.

Deux semaines déjà s’étaient écoulées, quand elle put enfin profiter d’un jour de pluie pour préparer la chambre destinée à sa nièce. La jupe et les manches retroussées, elle lavait, frottait, essuyait, mettait tout sens dessus dessous pour avoir le plaisir de tout remettre en place.

— Si elle n’est pas contente, ce ne sera pas ma faute, pensait-elle, en promenant un long regard de satisfaction tout autour de la chambrette. Je suis sûre qu’elle va dormir comme une reine dans ce grand lit qu’Eugène aimait tant ; la glace est bien un peu petite, mais sa figure n’est pas grande non plus. Si seulement Maxime venait pour suspendre les rideaux.

Au même instant, et comme pour répondre à son souhait, la porte s’ouvrit et son neveu parut sur le seuil, une énorme botte de fleurs des champs sur un bras et un gros vase de faïence sur l’autre.

— Je t’en prie, ôte tes souliers ou mon plancher sera abîmé.

Le brave garçon se mit à rire.

— Impossible sans votre aide, tante.

— Au nom du ciel, pourquoi as-tu été chercher cette brassée de foin ? Il y a dans mon jardin des capucines et des œillets qui auraient fait un bien plus beau bouquet, ajouta tante Olympe en débarrassant les bras de son neveu.

— Je ne sais que vous dire, répondit-il en pénétrant avec respect dans le petit sanctuaire, je crois que les gens des villes aiment ça ; ne savez-vous pas qu’Anna Davy en fait de superbes bouquets qui se vendent au marché comme du pain ?

Tante Olympe ne répondit pas et le regarda faire, pendant qu’il arrangeait soigneusement sa gerbe dans le vieux vase.

— Là, fit-il en l’élevant à la hauteur de ses yeux, n’est-ce pas joli ?

— Est-ce avec Anna que tu as appris à faire les bouquets ? demanda malicieusement tante Olympe.

Le jeune homme se mit à rire.

— Ça se pourrait, répondit-il d’un air de joyeux mystère. Maintenant, aux rideaux. Passez-les-moi, tante.

Ceux-ci posés, il s’éloigna de quelques pas pour juger de l’effet de la blanche cotonnade.

— Très joli, fit-il, tout est très bien ; mais, tante, il n’y a qu’une chaise et un tabouret dans cette chambre.

— Eh bien, n’est-ce pas assez ?

— Assez, oui, mais pas très confortable ; si l’on avait pu ajouter un fauteuil ou… ou un canapé.

— Un fauteuil ! pourquoi faire ? Est-ce qu’à son âge je m’étais jamais assise dans un fauteuil ou sur un canapé ?

Il y eut un silence que le brave garçon employa à passer et repasser la main dans ses cheveux.

— Tu peux prendre le mien, dit enfin sa tante d’un ton un peu piqué, je m’en passerai.

— Votre fauteuil, jamais ; où feriez-vous votre somme de l’après-midi ? Non, laissez-moi réfléchir, je finirai bien par trouver une solution.

Le lendemain, après avoir mis son plus bel habit et s’être coiffé d’un chapeau de paille tout neuf, orné d’un large crêpe, Maxime partit au meilleur trot de sa petite jument.

— Tu reviendras avant la nuit, cria tante Olympe, et tu n’oublieras pas de lui donner mon châle aussitôt le soleil couché.

— N’ayez pas peur, j’en prendrai soin comme de ma prunelle, répondit-il, en tournant vers elle sa bonne figure souriante.

— Que d’embarras pour peu de chose ! marmotta maître Nestor, comme sa belle-sœur passait près de lui en courant.

Mais sans y prendre garde, tante Olympe rentra dans la cuisine et se mit à pétrir de la pâte pour faire des gâteaux.

— C’est à croire que votre nièce est un ogre, fit le paysan, ou bien allons-nous manger du gâteau tous les jours ?

Tante Olympe ne daigna pas répondre et continua à pétrir dans un silence plein de dignité.

Quand elle eut fini, elle enleva son tablier de toile blanche et quitta la cuisine, mais pour reparaître, une demi-heure plus tard, la figure rouge et luisante de propreté. Un bonnet blanc couvrait ses cheveux gris, et une robe de percale noire à pois blancs ornait sa personne.

— Jusqu’à quand resterez-vous là à fumer comme une locomotive, beau-frère ? fit-elle brusquement en saisissant une poêle à frire ; il me semble que vous pourriez bien vous reblanchir aussi un peu, et votre barbe est d’une longueur !…

— Je fais ma barbe le dimanche matin, sœur Olympe, et nous ne sommes qu’à vendredi soir, répondit tranquillement le paysan.

— Mais il me semble que, pour le premier jour, vous pourriez faire une exception.

— Et moi je pense que le premier jour doit ressembler au second, c’est pourquoi je reste comme je suis. Je n’entends pas, ajouta-t-il entre ses dents, que ces deux citadins viennent me faire la loi chez moi.

Sur ce, il reprit sa pipe et disparut bientôt littéralement aux yeux de tante Olympe.

— J’entends la voiture, fit-elle tout-à-coup, peut-être que vous voudrez bien tenir la poële pendant que j’irai recevoir votre nièce.

Il la lui prit des mains et elle n’eut que le temps d’ouvrir la porte, Maxime venait de déposer Petite Nell sur le pavé de la cour.

— Comme tu as maigri dans ces quelques jours, s’écria la paysanne en embrassant la petite figure qui se levait vers la sienne. J’espère que tu n’es pas malade ?

— Non, tante Olympe, je me porte très bien.

— Et ton frère ?

— Louis aussi, et il se réjouit beaucoup de vous revoir, il viendra aussitôt qu’il pourra.

Pendant ce temps, Maxime avait porté les malles de sa cousine dans sa chambre.

— Maintenant, viens, ma petite, dit tante Olympe, oui, entre seulement. Beau-frère, voici notre nièce.

— Bonjour, oncle Nestor, fit Petite Nell, de sa jolie voix un peu basse, j’espère que vous vous portez bien.

Le paysan jugea qu’il était bon d’abandonner sa pipe et quitta, non sans regret, le voisinage du potager.

— Oui, oui, je suis bien, je vous remercie ; et il prit, d’un air très gauche, la petite main gantée que lui tendait la fillette. J’espère aussi que vous avez fait bon voyage, dit-il ; puis, comme s’il était tout à coup frappé de la pâleur douloureuse de cette petite figure, il ajouta d’une voix qu’il essayait d’adoucir :

— Vous avez joliment besoin de l’air de la campagne, je n’ai jamais vu de joues pareilles aux vôtres.

— Oh ! ce n’est rien ; je n’ai jamais eu de couleurs, mais je me porte très bien quand même, oncle Nestor.

— À présent viens, Nellie, fit tante Olympe, en la précédant dans l’escalier. Là, ne t’ai-je pas préparé une jolie chambre ? ajouta-t-elle, en ouvrant la porte ; mais elle s’arrêta interdite : vers la fenêtre ouverte, un joli fauteuil, recouvert d’une cotonnade aux brillantes couleurs, tendait ses bras aux visiteuses.

— Très jolie, merci, tante Olympe, vous êtes trop bonne. Oh ! les belles fleurs !

— Il paraît que Maxime avait raison, fit la brave femme en riant, c’est lui qui les a cueillies ; quant au fauteuil, en vérité, je ne sais pas où il se l’est procuré, il faudra que je le lui demande.

Et elle sortit pour satisfaire sa curiosité. Un peu plus tard, quand Petite Nell rentra à la cuisine où le souper était servi, elle alla droit à Maxime et lui tendit la main.

— Merci, dit-elle, vous êtes trop bon, cousin Max.

— Moi, répondit le jeune garçon d’un air passablement embarrassé, ça ne vaut pas la peine d’en parler, cousine Nellie.

Après le souper, tante Olympe se hâta de laver la vaisselle pour rejoindre sa nièce qui l’attendait dans la pièce voisine.

— Enfin, dit-elle, nous voilà seules, parle-moi de Louis, j’espère qu’il ne travaille pas trop, le brave enfant.

Un peu d’étonnement se peignit dans le regard que Nell jeta à sa tante.

— Non, dit-elle, je ne crois pas qu’il travaille trop.

— Maintenant, raconte-moi ce que vous avez fait depuis que je vous ai quittés.

Petite Nell obéit, mais elle fut vite au bout de sa tâche.

Décidément, pensa la paysanne, elle n’est pas la moitié aussi causeuse que son frère ; mais comme elle a pauvre mine, elle est peut-être bien fatiguée.

— Aimerais-tu aller te coucher, Nellie ? fit-elle, à bout de ressource.

— Oh ! oui, tante Olympe.

— Eh bien ! je t’accompagnerai, car l’escalier est très sombre. J’espère, ajouta-t-elle en découvrant le lit, que tu ne feras qu’un somme jusqu’à demain. Bonne nuit, ma petite.

— Bonne nuit, tante Olympe.

Pauvre Petite Nell ; la tête cachée sous ses couvertures, les deux mains pressées sur ses lèvres, elle s’efforçait de ne trahir ni par un son ni par un cri, le vide, la faim, la soif qui la dévoraient.

— Maman, maman ! c’était tout ce que la pauvre enfant pouvait dire.