Petite grammaire bretonne/III

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III

MUTATIONS DE CONSONNES INITIALES


4. La plupart des consonnes initiales souffrent, en certains cas, une ou deux altérations, d’après le tableau suivant :

Radicales K P T S (suivi d’une voyelle) M G GW (tréc.) GU (léon.) B D J V (tréc.) Z (tréc.)
Affaiblies G B D Z V H W V V Z » » »
Renforcées » » » » » K KW KU P T CH F S
Aspirées C’H F Z Z » » » » » » » » »

L’affaiblissement de d en z ; n’a pas lieu dans une partie du pays trécorois. Ce dialecte prononce souvent v au lieu de f l’aspiration de p, et vw l’affaiblissement de gw.

Le g affaibli ne reste pas souvent h : ou ce son tombe entièrement, ou il est remplacé par un c’h d’ordinaire plus doux que les autres (qui pourrait se noter g’h).

5. L’affaiblissement des initiales muables se fait après les mots ou préfixes suivants :

a de, par ; qui ; particule verbale.

da à ; ton, ta, tes ; te^ toi.

endra tant que.

na, ne ne… pas.

pa quand, a-ba depuis,

ra, tréc. da que, signe du subjonctif.

dre par.

e (tréc. i) son, sa, ses (à lui) ; le, lui.

pe quel ?

re trop.

ar re ceux qui sont, les (vieux, etc.)

an hini (féminin) celle qui est, la.

daou, fém. diou, dî deux.

en em se, signe du verbe réfléchi.

en eur en, signe du participe présent,

seul, sul (tréc. sal) d’autant (plus).

var, war sur, divar, diwar dessus.

hanter demi, à moitié.

holl tout.

eil- second ; pour une seconde fois.

dam-, dem-, à demi.

di- non, sans, in-(utile), dé-(gagé).

gour- petit.

peur (tréc. per-) tout à fait.

Exemple : an hini gôz, corn, an hani gous la vieille (premiers mois d’une chanson connue, dont les Hauts Bretons ont fait à la nigousse !)

Une mutation exigée par un mot persiste quand ce mot est tombé dans la prononciation : guelet (tréc. gwelet) voir ; me a vel, me vel, (tréc. me a wel, me wel) moi qui vois, je vois ; tréc. na welan ket, welan ket je ne vois pas.

Après les prépositions citées, l’affaiblissement n’est pas obligé si le nom a pour complément un autre nom : dre vor par mer, dre doul ou tout an alc’houe(z) par le trou de la serrure (littéralement de la clef).

On pourrait citer aussi quelques exemples exceptionnels d’absence de mutation après eil-, hanter, holl, sal.

6. Après les articles, l’affaiblissement a lieu, sauf pour d, au singulier des noms féminins, et au pluriel des noms masculins de personnes : bâz bâton, ar vâz le bâton, plur. ar bizier (tréc. ar béjer) ; eur belek un prêtre, pl. ar veleien ; ar verc’h la fille, pl. ar merc’hed ; an dôen le toit, pl. an tôennou ; an tôer le couvreur, pl. an dôerien.

Restent invariables, par exception, le sing. fém. plac’h jeune fille, et les plur. masc. meriou maires, tadou pères, testou témoins, priedou, priejou époux, conjoints, Turked Turcs ; l’usage est incertain pour breudeur frères, mipien fils (tréc. ar mibien, ar mabo).

De plus, le plur. des noms commençant par k prend c’h au fém. : ar galoun (tréc. -on) le cœur, pl. ar c’halounou (tréc. -ono), et g ou c’h au masc. animé : ar c’hereourien, (tréc. ar gereerien, ar c’hereerien) les cordonniers.

L’h initial n’est pas senti après l’article.

Le d initial tombe dans dôr porte : an ôr.

7. L’article affaiblit les initiales muables de l’adjectif, sauf d : tener tendre, an denera la plus tendre ; kaer beau, eur gaer a vuoch « une belle (de) vache, » comme en français « un drôle d’homme. »

Cet affaiblissement se produit d’ordinaire, dans les adj. ordinaux, même pour le masc. : an drede deiz, tréc. an drede dé le troisième jour.

8. L’adjectif qui suit un nom fém. sing., ou un nom masc. pluriel de personne, s’affaiblit, à moins qu’il ne commence par k, p, t, le nom finissant par une autre lettre qu’une voyelle ou une liquide (l, m, n, r) : ar verc’h vâd la bonne fille, pl. ar merc’hed mâd ; ar botred vâd les bons garçons.

L’adjectif qui commence par d ne s’affaiblit pas après d, t, s, z ; il peut rester intact, après n, même en Léon.

Le mot plac’h maintient aussi l’initiale suivante intacte, ce qui confirme la corrélation entre les règles de l’article et celles de l’adjectif.

La règle ne s’applique pas toujours rigoureusement, -en ce qui concerne les pluriels.

9. La restriction relative aux consonnes k, p, t, est de nature générale. Elle se retrouve pour le préfixe peuz- presque, pour le nom complément qui suit un substantif féminin : poan ben mal de tête, de pen, mais eur votes koad « une chaussure de bois, » un sabot, et pour le nom qui suit, par exception, son adjectif (§ 39).

Il arrive même que le cf se renforce en t après s ou z, sans qu’on ait égard au genre du premier mot : Tréc. bennes Toue d’ac’h « bénédiction de Dieu à vous, » merci ; paour kés Toue « pauvre cher de Dieu. »

10. Ceci permet de comprendre les mutations qui suivent o en, signe du participe présent, e que ; particule verbale ; ma que, où ; si : ces mots, qui se terminaient anciennement par un z, affaiblissent m, g, gw, b, laissent intacts k, p, s, et renforcent d en t : mont, dont aller, venir, o vont hag o tont en allant et venant.

11. L’adj. ou le nom commun s’affaiblit souvent après un prénom masc. ou fém., avec lequel il forme une désignation habituelle : Pipi gôs le vieux Pierre (mais Fanch kôs le vieux François, § 8, 9), Pipi gouer « Pierre paysan » le Jacques Bonhomme breton ; Maria goant la belle Marie, Ian vrâs le grand Jean, sant Ian Vade(z)our saint Jean-Baptiste. L’usage varie quand le second substantif est un nom propre ; et dans les cas comme sant Mark saint Marc, sant Vaze saint Mathieu.

On peut ajouter ici quelques expressions masc, comme vikel vrâs grand vicaire, laer vôr « voleur de mer, » pirate.

12. Régulièrement le second terme d’un nom composé ne s’affaiblit que s’il est déterminé par le premier (à moins que celui-ci ne soit féminin, voir § 9) : môr-vrân corbeau de mer, cormoran.

13. Il y a des affaiblissements spéciaux à quelques locutions, comme bete vreman jusqu’à présent ; dindan boan sous peine ; tréc., ti bî ? chez qui ? (léon. e ti piou ?) ; ober vâd faire le bien, ober mâd (ou ober ervâd) faire bien, bien faire. On dit souvent en Léon hellout pour gellout, gallout pouvoir, et surtout va mon pour ma.

Après dek dix et ses composés, le b seul s’affaiblit : dek vloaz, tréc. deg ’la dix ans. Le son du g se perd quelquefois dans celui du k précédent ; mais en Tréguier cela n’arrive guère que dans dek kwennek dix sous (où l’on n’entend qu’un des deux k consécutifs) ; il y a une distinction nette entre dek gwele dix lits et dek koéle dix taureaux.

14. Le renforcement se fait après les pronoms de la seconde personne d’az, tréc. d’à, plus souvent d’es à ton ; à te, pour le ; az, tréc. a, plus souvent es te, toi ; ez, tréc. ’n es dans ton ; ho votre ; vous (en moyen breton hoz ; voir § 9, 10) :

Tréc. béz eun dén d’es kir sois un homme de parole (littéralement « à ta parole ») ; léon. d’azkuelet (je viens) pour te voir ; me ho pev je vous nourris.

En Léon, 6 et gf se renforcent quelquefois après pemp cinq ; en Tréguier, cela n’arrive que pour pem kwennek cinq sous ; on dit pem buoc’h cinq vaches, pem gat cinq lièvres, etc.

15, L’aspiration se fait après ma, léon. va mon, ma ; me, moi ; am mon ; me, moi ; em, tréc. ’n em dans mon ; he, tréc. ht son, sa (à elle) ; la, elle ; o leur ; les, eux ; et les noms de nombre trois, quatre, neuf : va fen, ma tête, d’am fen à ma tête ; tréc. mar am c’haret si vous m’aimez.

Il en est de même pour hon notre ; nous, en Tréguier : hon c’hi notre chien, hon feden, hon veden notre prière, hon fidin nous prier, hon zât notre père ; le léon. dit hor c’hi ; hor zac’h notre sac, mais hor pidi, hon tâd.

En Tréguier, les liquides l, m, n, r se redoublent souvent dans la prononciation, après he, hi son, sa (à elle) ; la, elle.

16. L’aspiration de k a lieu après l’r des articles, dans les noms et adj. masc. sing., et dans les noms plur., voir § 6 ; de même après le pronom her le, lui : her c’hridi le croire (tréc. hen kridin).

L’r se fait suivre de z au lieu de t ou d dans quelques cas comme leur-zi plancher, dour tom, parfois dour dom, dour zom eau chaude.

17. Certaines confusions peuvent résulter des mutations initiales : ainsi eur c’har = une voiture (kar, m.) ou une jambe (gar f.) ; varv appartient à barv barbe, comme à marv mort ; léon. vin à guin vin comme à min mine ; z, vient de d (surtout en léon.) et de s ; etc.

18. Les consonnes fortes et faibles peuvent s’échanger à la fin des mots, (voir § 2). D’ordinaire les faibles dominent devant une voyelle initiale, et les fortes devant un h, qui alors ne se prononce pas.