Petite grammaire bretonne/XIV

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XIV

VERSIFICATION

75. Il faut considérer : la mesure ou nombre des syllabes, la césure ou coupe après une de ces syllabes, et la rime ou rapport de la finale de plusieurs vers.

76. Les vers bretons ont rarement moins de six syllabes, et quand cela arrive, ils sont d’ordinaire mêlés à d’autres plus longs :

Ni zo bepred

Bretoned

Bretoned, tud kaled.

Nous sommes toujours Bretons, Bretons de race forte.

Brizeux, Telen Arvor (La harpe d’Armorique).

Petra c’hanaz ? Ne gredfe dmi :

Eul logoden.

Qu’enfanta-t-elle (la montagne) ? Personne ne le croirait : une souris.

G. Milin, Marvailhou grac’h-koz (Les contes de vieille).

Gant ann arme razed hi a vije distro

D’à bro.

Avec l’armée des rats elle serait de retour à leur pays.

Ibid.

En hano an Tad,

En hano ar Mab,

En hano ar Spered,

En hano an Drindet.

Au nom du Père, au nom du Fils, au nom de l’Esprit, au nom de la Trinité.

Luzel, Bepred Breizad (Toujours Breton).

77. Les vers de six syllabes peuvent s’assembler en strophes plus ou moins longues :

Pegouls, o ma Jésus !

Vo an de evurus

Ma in me d’ho kwelet

D’ho paies hiniget ?

Quand, ô mon Jésus, sera le jour heureux où j’irai vous voir à votre palais béni ?

Cantique du paradis, dans Mezellour an ineo (Le Miroir des âmes).

Epad eun nozvez han,

Gand eurvad e karah

Gwelet drem gaer al loar,

Ar rouanez dispar ;

Ar stered hep niver
Hadet gand ar Cliroiier,
Egiz da vleunioit tan
Dre volzou an oabl splan.

Par une nuit d’été, avec bonheur j’admire le bel aspect de la lune, cette reine incomparable ; et les étoiles sans nombre semées par le Créateur comme des fleurs de feu, par les voûtes du ciel splendide.

P. Proux}}, Bombard Kerne (La bombarde, le hautbois de Cornouaille).

78. Il en est de même pour les vers de 7, 8 et 9 syllabes. Les plus usités sont ceux de 8 syllabes, et le couplet le plus commun celui de 4 vers.

Na wel med aour o lintri,
Mellezouriou o skedi,
War ann daol eur stal blajoii,
Leun a bep seurt madigou.

Il ne voit qu’or reluisant, brillants miroirs ; sur la table une foule de plats pleins de toutes sortes de friandises.

Ibid.

Eul lifiser loenn ha pemp planken,
Eun dorchen blouz dindan ho penn,
Pemp troaiad douar ivar cliorre,
Sein madoii ar bed er be.

Un drap blanc et cinq planches, un bourrelet de paille sous la tête et cinq pieds de terre par dessus, voilà les biens du monde (qu’on emporte) au tombeau.

Barzaz-Breiz, Chants populaires de la Bretagne, publiés par le vicomte H. de la. Villemarqué.

D’an emgan ma unan ne dann ket, Santez Anna zo ganin kevred.

Je ne viens pas seul au combat ; sainte Anne est avec moi.

Ibid.

79. C*est seulement à partir de 10 syllabes que la place de la césure est fixée, de celle façon : 10 = 4 + 6 et 5 + 5 ; 12 = 6 + 6 ; 13 = 7 + 6, quelquefois 6 + 7 ; 15 = 8 + 7 ; et même 17 = 8 + 9.

80. Les diphtongues peuvent, en général^ compter pour une ou pour deux syllabes ; mais il ne faut pas abuser de cette dernière prononciation, surtout quand on écrit dans un autre dialecte que celui du Léon.

81. On vient de voir que la rime est quelquefois remplacée par une simple assonance : tad, map. Les finales dures s’accordent avec les douces : ket, kevred, puisqu’on pourrait écrire aussi ked et kevret.

Nous n’avons donné d’exemples que de rimes plates ; les rimes croisées ou mêlées autrement sont beaucoup moins fréquentes.

82. Le langage poétique a des inversions spéciales, et quelques formes qui lui sont propres, commme merc’hat filles, pour merc’hed (à la rime). Enfin, il admet plus facilement que la prose le mélange des trois dialectes. Il peut ainsi contribuer à les faire mettre en commun leurs principaux moyens d’expression, ce qui serait très désirable pour l’avenir de la langue bretonne.