Petites Chroniques pour 1877/Prologue

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Imprimerie de C. Darveau (p. v-xxxvi).


PROLOGUE



Encore des Chroniques ! Oui, encore. Je voudrais, dès la première page, déconseiller mes lecteurs de les lire. Et cependant elles sont ma seule ressource, à moi qui n’émarge à aucun budget, à moi, rouge avancé, tellement avancé que mes amis m’ont perdu de vue à leur avènement au pouvoir, il y a de cela bientôt quatre ans. Quatre ans ! ça n’est rien dans la vie des gouvernements, soit ; mais comme cela compte dans la vie des particuliers ! J’ai vu ma fortune décroître à mesure que grossissait le vote libéral, et quand la majorité des libéraux devint écrasante, je touchais juste à la famine.

Si mon parti restait au pouvoir encore deux ans, les ultramontains se verraient obligés de me faire enterrer à leurs frais, et… je serais vengé.

Je ne suis même pas encore honorable, malgré mes cheveux gris, et j’ai vu Fabre précipité au Sénat sans qu’un même sort semblât me menacer. Déjà je navigue à pleines voiles dans l’âge mûr, âge sans témérités parce qu’il est sans illusions, et je n’ai pas été fonctionnaire un seul jour ! Je ne connais pas le bonheur d’avoir un chef de bureau, et déjà mon passé se compte par lustres dont le nombre m’inspire de sérieuses inquiétudes sur le nombre de ceux qu’il me reste à parcourir. Toutes les félicités officielles me sont inconnues, et j’ai passé des nuits entières à rêver d’une sinécure qui m’eût permis d’édifier un monument littéraire pour la postérité, j’entends pour la postérité la plus rapprochée, celle qui suivrait de très-près l’édification du monument et s’en montrerait digne en me comblant de largesses.

Pourtant, je ne me suis jamais plaint de ceux qu’on reconnaît, à ma pénurie obstinée, pour être mes amis. Cela est trop vulgaire, et j’entends être au dessus d’une banalité impuissante. Ce dont je me plains, c’est de la chronique elle-même, parce que je lui dois beaucoup, ayant vécu par elle ; je me plains de ce qu’elle a été mon seul refuge, mais en me condamnant à subir le préjugé si commun, si futile et si injuste qui fait de moi un écrivain bon tout au plus à amuser. Ceux-là même qui m’accablent de l’épithète « léger » sont les premiers à me demander des écrits légers. Quiconque, parmi nous, arrive à dérider son lecteur est un homme incapable de toute autre chose. Il semblerait absurde d’attendre de lui les longues études qui font les œuvres durables. Dès lors qu’il a montré des qualités superficielles, toutes les autres lui sont refusées. Et le public ne s’aperçoit pas que c’est lui précisément qui n’est pas sérieux, puisqu’il s’obstine à ne vouloir rien que ce qui l’égaie sans lui apporter aucun fonds.

Quand je parle du public, je fais abstraction de quelques centaines de personnes pour qui l’étude est un attrait et qui n’estiment un livre qu’en autant qu’elles y puisent des connaissances, ou trouvent à y exercer toutes les facultés de leur esprit. Mais ce ne sont pas quelques centaines de personnes qui constituent un public pour l’écrivain. Obligé de se faire au grand nombre de ceux qui le lisent, il n’y parvient qu’à son propre détriment, à la condition de s’amoindrir lui-même, sciemment, et de faire le sacrifice de ses plus hautes aspirations. Comment me présenterais-je avec une œuvre longtemps étudiée, longtemps méditée ? Je verrais sur cette œuvre s’entasser la poussière des librairies, et mon nom cité peut-être, mais l’œuvre restée inconnue et par suite stérile.

Qui donc oserait se plaindre de ce que j’écris en ce moment ? Le premier qui ait droit de se plaindre, n’est-ce pas plutôt l’écrivain obligé d’accepter des conditions existantes et fatales, l’écrivain qui sent en lui une force supérieure à ces conditions et qui pourrait faire la loi aux intelligences, comme il la fait dans tous les pays où les lettres sont une carrière et un apostolat de l’esprit, au lieu d’avoir à subir le préjugé et de s’incliner devant l’ignorance ?

D’où viennent chez nous tant d’œuvres frivoles dont les mieux cotées, les plus connues renferment à peine la substance d’une page, si on voulait l’en extraire ? En premier lieu, de ce que le résultat ne saurait répondre à la grandeur de l’effort tenté pour produire une œuvre sérieuse. En second lieu, de ce que l’écrivain se sent arrêté dès le début par l’impossibilité d’aborder hardiment le vaste domaine intellectuel et qu’il est tenu de se renfermer dans un cadre immuable, d’où le lecteur ne le laisse sortir que pour faire de la fantaisie et des jouets littéraires, tels que la Chronique. De là vient que tout ce que produit la littérature canadienne de nos jours est à peu près fondu dans le même moule. Il n’y a pas de création, et l’on ne voit poindre nulle part l’idée autour de laquelle se livrent les combats de l’esprit. On ne voit pas la gestation dans l’œuvre, la patiente incubation de la pensée approfondissant son sujet et l’explorant dans tous les sens. Et pourquoi ? C’est que nos jeunes écrivains, pour la plupart, ne font pas les fortes études propres à leur donner le fonds nécessaire. Les grands ouvrages philosophiques et historiques leur sont inconnus ; ils ne se nourrissent à peu près que de littérature secondaire, celle surtout de notre siècle qui abonde en livres délicatement pensés, écrits dans un style où l’art exquis des nuances donne d’innombrables aspects à l’analyse de tous les sentiments humains. Cette littérature est séduisante, nous en convenons. Elle captive et absorbe ; mais il en est d’elle comme des desserts, qui ne constituent pas un repas, et qui empêcheront toujours ceux qui s’en nourrissent de pouvoir donner à un livre de la chair et du sang.

Le lecteur, de son côté, formé à une nourriture facile, qui ne demande aucun effort de pensée ou d’appréciation, n’en connaît et n’en réclame pas d’autre. À quelle école aurait-il appris à étudier et à méditer, et que peut-il exiger de son auteur ? Il n’en peut même rien attendre. Aussi la critique, par une conséquence naturelle et rigoureuse, devient-elle impossible, ne pouvant être en effet plus indépendante, plus approfondie ni plus sérieuse que les ouvrages mêmes qu’elle feint d’examiner et qu’elle a l’air de juger. Il en résulte que le premier venu se croit en état de tenir une plume et que l’on voit surgir presque chaque jour de ces écrivains improvisés qui ont eu le malheur de remporter des prix au collège. Chacun veut avoir fait un livre, n’importe de quoi, n’importe pourquoi. On ne s’occupe guère de ce qu’il peut y avoir dedans, pourvu que son nom soit dessus. L’essentiel n’est pas d’être, mais de paraître. On a lu dans les journaux : « Un tel (prosateur ou poëte) qui fait pâlir Jean Jacques, qui annule Victor Hugo… » et l’on veut essayer si, à son tour, on ne détrônerait pas George Sand ou Dumas, fils. On veut avoir aussi son joli petit volume, en papier rose et caractères mignons, et s’entendre, comme tant d’autres, appelé dans la presse « talent incomparable, auteur prodigieux, » fumée d’encens que ne peut recevoir sans être couvert de confusion tout homme ayant la moindre valeur. Ces sortes de grosses louanges, du reste stéréotypées, tournant invariablement en réclames pour l’imprimeur, peuvent convenir aux sots vaniteux, mais elles sont accablantes, souvent mortelles, pour les talents véritables.

On ne veut pas faire chez nous de travail intellectuel difficile ; on n’y a pas été formé. Or la critique, la vraie, est très-difficile ; elle l’est souvent même plus que l’œuvre sur laquelle elle s’exerce. En effet, la plupart des ouvrages modernes sont de pure imagination ; il n’y a qu’à laisser cours pour en enfanter, pourvu qu’on sache sa langue et qu’on ait observé avec fruit, tandis que la critique exige, outre des études extrêmement variées, un goût pour ainsi dire infaillible, tant de qualités et de talents divers qu’on peut la regarder à bon droit comme le plus redoutable des travaux de l’esprit.


II

La littérature canadienne d’il y a trente ans n’était pas aussi abondante que celle de nos jours ; elle doutait, d’elle même, se comptant pour si peu de chose, et n’avait pas eu le temps d’acquérir encore cette sérénité imposante qui ne vient qu’avec la perfection, avec la perfection qu’on croit avoir, ni cette certitude de savoir-faire qui rend la présomption prodigieusement féconde. Mais la littérature d’alors, à peine naissante, avait une bien autre vigueur, et surtout une bien autre portée que celle dont nous contemplons l’expansion sous nos yeux. Parmi les hommes qui l’ont illustrée figurent en tête l’historien Garneau et le publiciste Parent : on ne les a pas remplacés encore. Le Canada a eu, depuis, des écrivains plus aimables, mais aucun de leur valeur. M. Chauveau même, malgré son style châtié, sa facilité élégante, l’art qu’il prodigue dans la construction de sa phrase et l’harmonie qu’il lui donne, ne les atteint pas ; il n’a pas une égale hauteur de vues ni une pareille force dans la conception. Ces deux hommes ont laissé une empreinte à leur époque et ils resteront, tandis que nos génies modernes ne tarderont pas à s’étouffer dans les flots de leur admiration mutuelle.

M. Oscar Dunn est à peu près le seul qui, dans des opuscules bien mélangés de dissertation et de style, se soit montré digne de succéder à M. Parent ; mais il semble arrêté presque à chaque page par je ne sais quelle contrainte étrange qui empêche son essor et gêne le développement de sa pensée. Le docteur Hubert Larue a aussi montré dans ses « Mélanges », déjà vieux, d’excellentes qualités d’observateur et une vigueur incontestable d’idées et d’expressions ; mais le docteur Larue n’est pas précisément un littérateur, quoiqu’il ait le goût et les instincts littéraires ; c’est un homme occupé surtout des questions scientifiques qui l’absorbent et qu’il aime avec passion. Malheureusement pour lui, ces questions sont encore à l’état rudimentaire au Canada, et il ne saurait les traiter avec les ressources que lui offrent ses études et son talent.

MM. Parent et Garneau ont écrit à une époque où l’on ne songeait pas à faire de la littérature une carrière. Ils ont abordé l’un, l’histoire, l’autre, les questions sociales, indépendamment de l’effet et de la vogue. Ils n’attendaient pas après le produit de leurs livres ou de leurs articles, mais ils les faisaient pour instruire, pour nourrir l’amour de la patrie par le récit d’un passé glorieux, ou pour satisfaire le besoin d’une intelligence vigoureuse d’être à la hauteur de tous les sujets et de les traiter avec l’indépendance dont la pensée ne peut s’affranchir.

La littérature s’est gâtée chez nous du jour où l’on a voulu en faire une carrière. Alors, elle n’a plus eu d’objet, car toute littérature réelle est impossible dans un pays où l’on ignore les sciences et les arts ; son champ reste trop limité pour que des esprits sérieux et profonds s’y exercent ; aussi avons-nous vu, depuis un certain nombre d’années, des recherches historiques fort intéressantes, fort instructives, mais où la critique était absente.

Comment veut-on que la littérature soit une carrière dans un pays où chacun est constamment en présence des inflexibles nécessités de la vie, où le combat pour le pain quotidien ne laisse pas de loisirs et absorbe toute l’activité de l’esprit et du corps ? Nous possédons à peine les éléments même de la vie matérielle. Une foule de choses qui seraient d’un rapport aisé, et même très-lucratives, sont laissées de côté, faute de population et de moyens. Nous sommes tenus de résoudre l’existence dans un cadre restreint, quand d’inépuisables richesses naturelles sollicitent de toutes parts le travail et l’exploitation ; nous sommes trop clairsemés sur une vaste étendue de pays pour que des carrières nombreuses puissent se faire jour et espérer quelque chose de la fortune ; nous sommes trop préoccupés de répondre aux besoins immédiats, et ils nous donnent trop à faire, pour que nous puissions rien distraire de nos moyens et de notre temps pour des objets qui ne paraissent pas indispensables. Aussi les lettres ne peuvent-elles aspirer à devenir une carrière que dans les pays de civilisation très-avancée, où des fortunes nombreuses sont depuis longtemps acquises, où une très-grande partie du public a des loisirs, où les ressources du sol et de l’industrie, exploitées jusqu’à leur dernière limite, donnent de l’aisance à des centaines de milliers d’hommes et les obligent à avoir une certaine culture pour être au niveau de ce qui les entoure ; où, enfin, l’éducation générale, répandue sur une foule d’objets, dans les sciences et dans les arts, crée un besoin, non seulement d’activité, mais encore de jouissance intellectuelle, qui offre aux lettres une carrière pour ainsi dire toute tracée et comme nécessaire.

C’est ainsi que se forme un public liseur et que les livres trouvent à se débiter comme toute autre chose qui a un prix et que l’on recherche. Autour de l’écrivain se rassemble une multitude avide de connaître, la foule innombrable des esprits que passionnent les idées et le style, qui le stimule, crée autour de lui le milieu qui lui est nécessaire, l’enivre d’une noble émulation et le pousse aux conceptions les plus élevées. Au sein de ce monde qui attend impatiemment son œuvre, qui la discute dès qu’elle parait, qui l’apprécie de cent manières, qui s’en occupe plus que des grands événements militaires ou politiques, l’écrivain se sent dans l’atmosphère qu’il lui faut pour concevoir et pour produire ; l’écho lui renvoie de toutes parts une immense clameur d’admiration mêlée de critique ; il a frappé l’intelligence et le cœur de millions d’hommes et déjà, en un instant, il s’est répandu partout au dehors, envahissant le monde avec l’idée et sentant la chaleur de toutes les âmes animées de la sienne.

De pareilles conditions attendent-elles l’écrivain canadien et quel mouvement se fait-il autour de sa pensée ? Quel écho trouve-t’il, même dans le public qui le touche de tous les côtés à la fois ? Les libraires et les courtiers de livres vous répondront. Quiconque, parmi ceux qui se font imprimer, n’a pas eu le soin de faire souscrire à son ouvrage longtemps à l’avance, ne trouve pas d’acheteurs. Le public ne vient pas au devant de lui ; donc, il n’a pas besoin de lui ; donc, les lettres ne peuvent être une carrière, même pour les talents supérieurs, parce qu’ils sont appréciés par un trop petit nombre pour pouvoir se frayer une voie et s’assurer l’avenir.

Il n’y a rien de tel qu’une pareille situation pour encourager la médiocrité prétentieuse ou même l’incapacité qui aspire à prendre rang et qui vise surtout à avoir son bout de réclame. De là un véritable déluge de productions sans valeur comme sans objet, qui n’ont pas de base et que rien ne soutient, comme s’il suffisait de volumes proprement dits pour constituer une littérature, comme s’il suffisait, pour être homme de lettres, de posséder un éditeur qui vous fait imprimer avec goût, brocher avec élégance et relier même, quand la simple brochure ne suffit pas à attirer le regard. Mettra-t-on une fois dans la tête de ces entrepreneurs de lignes qu’un écrivain n’est pas un journalier, qu’on ne s’improvise pas écrivain et qu’on ne devrait prendre une plume, le plus difficile à manier de tous les instruments, que lorsqu’on y a quelque droit, que lorsqu’on a du moins la conviction modeste d’apporter un faible appoint de plus au fonds commun des Lettres ? Qu’est-ce que c’est qu’écrire pour écrire ? Et penserait-on par hasard que la littérature moderne, parce qu’elle s’est affranchie du classique, n’ait gardé aucune retenue et se gave de tout ce qu’on lui apporte ?

Cependant, voilà ce qu’on appelle le développement de la littérature nationale. Quoi ! Il n’y pas même de fondations ; que voulez-vous développer ? Nous avons perdu, en Canada, le génie de la langue française ; nous ne connaissons de cette langue qu’un certain nombre de phrases en dehors desquelles il est impossible de nous aventurer sans tomber dans l’anarchie et le barbarisme, et nous voulons, dans notre présomption arrogante, donner des ailes à ce qui manque de corps, étendre le vol de ce qui n’a pas envergure ! C’est du grotesque. Nous sommes comme les anciens Peaux-Rouges, nos prédécesseurs, dont la langue, très-imparfaite, ne leur offrait qu’un petit nombre de mots pour exprimer l’immense variété des objets, de telle sorte qu’un même mot s’appliquait souvent à bien des choses et que, lorsque le mot faisait absolument défaut, ils empruntaient à la nature même toute sorte d’images pittoresques qui rendaient sensible leur pensée. Si encore nous en faisions autant !

Rien ne frappe plus le lecteur étranger que ce que nous osons affirmer ci-dessus. Au grand nombre d’expressions que nos écrivains et nos journalistes emploient indistinctement, indifféremment, sans se rendre compte de leur signification réelle ; aux locutions bâtardes, aux constructions de phrases étranges, il reconnaît de suite que ce n’est pas un français qui écrit ainsi. Nous n’avons pas de patois au Canada, non, certes ; il ne manquerait plus que cela ! Mais nous avons assez d’anglicismes pour remplacer tous les patois de Bretagne et de Provence, et ce sont surtout les avocats et les marchands qui en sont affligés ; car on parle dans nos campagnes un français beaucoup plus pur que celui qui est parlé au sein des villes, parmi la classe réputée instruite.

C’est parce que nous n’avons pas le génie de la langue française que tant de nos écrivains ressassent invariablement les mêmes choses, tournent et retournent avec une allure uniforme dans le même cercle monotone d’idées vieillottes, qu’ils croient rajeunir en les habillant avec une défroque qui ne change jamais. Qu’on fasse, si l’on veut, un livre qui n’a en soi ni fonds ni portée, encore faut-il qu’il soit une des formes du mouvement intellectuel, qu’il indique le culte de l’art par l’éclat et le choix des expressions, qu’on y reconnaisse le véritable homme de lettres et qu’on puisse l’admirer dans une production à tous autres points de vue stérile. Il y a des centaines d’œuvres qui sont ainsi devenues immortelles et qui, cependant, semblent n’offrir à l’esprit aucun objet à étudier, qui sont de pure fantaisie, mais qui attestent aux yeux du connaisseur de longues et patientes études, et toutes les ressources de l’art mises au service d’une création futile en apparence. Il y a loin de là à ces essais puériles et présomptueux dont on inonde le domaine de notre littérature comme si ce domaine était un champ de déchets où chacun peut venir indistinctement jeter les produits baroques de son imagination. Il est temps, grandement temps de débarrasser le champ littéraire de ces parasites qui y portent le ravage avec leur fécondité désastreuse, qui s’abattent sur la littérature comme des insectes et y sèment leurs larves comme s’il devait en sortir des chefs-d’œuvre.


III


Ce qu’il y a de particulièrement douloureux pour l’écrivain digne de ce nom, c’est qu’il ne jouit au Canada d’aucune considération. Il n’y a qu’une petite partie du public qui fasse une différence entre lui et un faiseur de phrases ampoulées, un barbouilleur pâteux, ou un bourreau de langue dont chaque mot est un coin qui s’enfonce dans la phrase. Le public, dont ça n’est pas la faute, a vu tant d’écrits sans couleur, sans idées et sans style, qu’il n’a pu acquérir le sentiment de l’art littéraire, ni former son goût, ni savoir faire de distinction, Quand il lit dans les journaux des paragraphes, et mêmes des articles entiers bouffis d’encens à l’adresse du premier venu qui a fait éclore un objet fait en caractères d’imprimerie, divisé en pages et couvert d’une reliure, il ne sait que penser, il repousse tout instinct qui l’éclairerait et il se dit que ce qu’il voit doit être très-beau, puisque des gens compétents le déclarent tel et l’offrent à son admiration.

Aussi, qu’il paraisse à côté de cet objet un livre bien écrit et bien pensé, il n’aura pas de prix. Pourquoi en aurait-il ? De là vient que ce ne sont pas toujours les plus capables de tenir une plume qui se donnent la peine de produire. Nous en avons des exemples qui étonnent tout le monde. Fabre, qui est un esprit vraiment incomparable, sensible aux impressions les plus délicates et sachant les rendre dans un langage merveilleusement précis, d’une finesse telle qu’on n’en saisit pas toujours l’aiguillon et que la portée échappe au commun des lecteurs, Fabre, dont le sarcasme atteint souvent l’éloquence, qui trouve au besoin des accents chaleureux et des notes profondément touchantes, Fabre est affligé depuis longtemps d’un incurable dégoût. Henri Taschereau, qui serait devenu un écrivain remarquable, parce qu’il joint à une grande finesse d’observation des vues élevées, une manière large d’envisager et de traiter son sujet, une sobriété de style qui n’exclut pas l’ampleur de la période et l’harmonie de la phrase, a depuis longtemps abandonné le champ ingrat où ses débuts avaient apporté de si brillantes promesses. Le juge Routhier qui a, lorsqu’il le veut, de l’éclat dans le style et une causticité que n’adoucit pas toujours l’amour du prochain, malgré son énorme orthodoxie, s’égare sur un banc de combat où il développe avec fureur des considérants qui jettent le chaos dans tous les principes.

Nous en citerions encore d’autres qui, tous, pourraient faire de belles œuvres si le milieu dans lequel ils vivent leur était favorable ; mais à quoi bon ? L’évidence n’a pas besoin d’un entassement de démonstrations et l’on fait douter, même de ce qui saute aux yeux, en voulant trop le prouver.

Cependant, il est un nom qui vient naturellement sous ma plume, et je ne puis le laisser passer sous silence, quoique celui qui le porte semble se dérober le plus possible à la connaissance du lecteur. Ce nom est celui de M. Jacques Auger.

Jacques Auger qui, de temps à autre, veut bien nous faire part de ses irritations contre le clinquant littéraire et contre la médiocrité qui s’affiche, dépense un bien trop long temps à aiguiser sa plume, quand nous avons si grand besoin de critique sévère, portant droit et ferme comme celle qu’il a l’art d’infliger. Il se laisse dominer par ses dégoûts, lui qui a des idées et qui sait combien il nous en manque. C’est un tort, un bien grand tort, c’est une faute. Les quelques rares hommes qui tiennent une plume libre, indépendante des coteries, des cliques mesquines et risibles qui s’emparent chaque jour davantage du domaine de la littérature canadienne, ont des devoirs à remplir envers la partie saine des lecteurs. Ils n’ont pas le droit de réserver pour eux ce qu’ils pensent. L’idée, aussitôt éclose, appartient à tous ; elle est le patrimoine commun de tous ceux à qui il peut être utile ou avantageux de la connaître ; et l’écrivain, qui dédaigne de la communiquer, dérobe au public ce qui lui est dû ; il lui enlève la part qu’il doit contribuer à ses lumières et à ses progrès ; il s’esquive d’un devoir sacré dont rien ne saurait l’affranchir, pas même la désolante perspective de rester longtemps incompris ou de n’être pas écouté.

L’écrivain, comme tout ce qui vit, comme tout ce qui sent, est soumis à la condition essentielle de produire, loi supérieure pour lui en ce qu’il a le noble privilège de produire intellectuellement, de donner l’âme à chacune de ses œuvres ; loi consolante en même temps que fatale, parce qu’elle le protège contre les défaillances, le stimule par la conscience de son mérite et répare ainsi sans cesse l’injustice des dédains ou de l’indifférence. Où en serions-nous, s’il fallait succomber aux déceptions anticipées, à la crainte de tenter d’inutiles efforts ? Il faudrait tout abandonner aux abominables gâcheurs et aboyeurs de la presse, perdre jusqu’au droit d’être humiliés de l’affront qu’ils font tous les jours à notre nom et à notre langue, puisque, pouvant le réparer, nous en serions tacitement complices. Non, il y a autre chose à faire dans un jeune pays que de céder aux désenchantements, et l’irritation de l’écrivain, qui va jusqu’à lui faire rejeter sa plume, cesse d’être légitime.

M. Auger comprend cela aussi bien que personne. Il sait aussi très bien que notre public, loin d’être gâté, n’est pas même formé, et qu’il est aisément accessible à toutes les idées saines qu’on lui présentera avec mesure. À l’œuvre donc, et faites votre part, puisqu’elle vous est échue. D’autres viendront qui ne tarderont pas à subir la vertu de l’exemple, et c’est ainsi qu’on réussira à former une véritable littérature nationale ayant de la substance et de la portée. Si des esprits supérieurs se sauvent presque de la renommée dont ils sont dignes et de la gloire qui pourrait les attendre dans le champ des lettres, il n’en est pas ainsi d’un nombre tout-à-fait surprenant de génies opiniâtres et audacieux qui produisent à outrance, faisant fi du sens commun, de l’idée et de la langue. Ces gens là sont chez nous chez eux. Rien ne les déconcerte ; ils ont en eux-mêmes une foi telle qu’ils s’écrivent leurs propres réclames, se défiant de la tiédeur des journalistes, étant convaincus d’ailleurs qu’on ne peut assez les admirer et que leur supériorité est trop évidente pour qu’ils ne dédaignent pas une fausse modestie. Ceux-là aussi, je pourrais les nommer, mais c’est trop difficile et je suis certain qu’ils me croiraient jaloux d’eux. J’aime mieux m’en faire pour ne pas leur donner sujet d’écrire de nouveau sous prétexte de me répondre, n’attendant au reste rien du public pour le service que je lui rends.

Quoique la littérature ne soit pas une carrière dans notre pays, et peut-être même à cause de cela, nous sommes inondés d’écrits de toute provenance, les uns baroques et grotesques, les autres fades, incolores, prétentieux dans leur monotonie et superbes d’insignifiance. Oh ! ce qu’il ne faut tolérer à aucun prix, c’est la prétention. Elle gâte ou détruit toutes les bonnes intentions que pourrait avoir l’impertinent qui ose écrire sans le moindre principe littéraire, sans aucun goût ni guide, sans avoir passé pendant des années sous la férule implacable d’un professeur qui ne souffre ni tache ni faiblesse, sans avoir fait, en un mot, cet apprentissage pénible, mais fécond, qui seul permet de gravir tous les degrés d’un art. Une langue n’est pas un instrument ordinaire, qu’on manie à son gré et dont la présomption enseigne l’usage. C’est une abominable coquette qui fait semblant d’accorder des faveurs à tout le monde et qui surprend tout à coup par quelque noire trahison. Aussi, ne peut-on bien se risquer à l’aborder qu’avec beaucoup de modestie et de défiance, et non pas avec la présomption ridicule d’où naissent tant de ces écrits étranges qui passeraient, partout ailleurs qu’au Canada, pour des phénomènes absolument inexplicables, d’origine et d’espèce ne se rapportant à rien de connu. — Chez nous, « l’Album du Touriste » et d’autres semblables attentats sont tolérés, parce que nous sommes dans un pays où une langue mixte est en voie de formation, et que, par conséquent, nous sommes obligés d’attendre, avalant n’importe quoi dans l’attente.

Nous l’avons dit assez clairement dans tout ce qui précède, et nous le répétons. Beaucoup d’ouvrages canadiens ne méritent pas la lecture et il serait tout-à-fait impossible de leur faire voir le jour dans d’autres pays que le nôtre. Aussi, ils ne dépassent pas la frontière et meurent sous nos yeux. Tant qu’il n’y aura pas d’idées dans nos livres, nous ne pouvons pas nous attendre à les voir lus, étudiés et discutés dans le monde général des lettres où la plupart de nos auteurs n’ont pu encore pénétrer, même avec toutes les ressources de la contrebande.


VI


Cependant, n’allons pas trop loin. La critique est si voisine du réquisitoire !… et les meilleurs conseils ont quelque chose de vexatoire qui fait douter de l’intention qui les inspire. Tenons compte des tentatives plus ou moins sérieuses qui ont été faites depuis un certain nombre d’années pour fonder une littérature ayant un caractère national. Ce n’est pas la faute de ceux qui ont entrepris cette tâche difficile, si le milieu ne correspondait pas davantage à leurs efforts et si eux-mêmes ne soupçonnaient pas tout ce qui leur manquait. Produits bon gré mal gré d’un état de choses absolument rudimentaire, de conditions intellectuelles à peine sensibles, ils n’en ont pas moins affronté une langue depuis longtemps formée, successivement perfectionnée dans tous les genres par les maîtres qui ont écrit depuis trois siècles, et parvenue aujourd’hui à une telle variété, à une telle finesse de détails, qu’elle précise les impressions presque insaisissables et fixe l’image des plus fugitives nuances.

Il y avait donc contre les pionniers des lettres canadiennes tous les désavantages réunis et pas une seule des ressources qui s’offrent à l’écrivain des autres pays qui possèdent une littérature nationale. Partout ailleurs, en effet, l’homme de lettres prend autour de lui, comme dans un fonds sans cesse renouvelé, sans cesse alimenté, les formes infiniment multiples et changeantes qu’une langue peut revêtir et qui restent cependant conformes à son génie. Il puise ce génie à sa source même, il en est comme pénétré, imprégné, il en reçoit l’impression presque constante et de mille manières ; il agrandi avec cette langue qui, tous les jours, sous ses yeux, s’est élaborée, enrichie, développée ; il est elle et elle est lui. Mais l’écrivain canadien, au contraire, loin d’être l’expression d’une langue se constituant au fur et à mesure des progrès de l’esprit, a eu d’abord à retrouver et à ressaisir tout ce que cette langue avait perdu, tâche bien différente et surtout bien autrement difficile. Dans son ingénuité il a cru qu’il lui suffisait du simple instinct littéraire pour accomplir cette tâche, en faisant de lui un être à part au milieu des propensions d’un vulgaire positivisme ; il ne s’est pas rendu compte de tout ce qu’il lui aurait fallu acquérir, avant de produire, par l’étude raisonnée du cœur humain et par l’observation, conditions dont s’affranchissent imparfaitement à leurs débuts même les génies supérieurs et les talents de premier ordre.

Mais qu’à cela ne tienne. Il n’en est pas moins vrai que, depuis un certain nombre d’années, des efforts réels, et qui portent déjà leurs fruits, ont été faits pour créer au Canada une vie intellectuelle. Petit à petit nous sommes entrés dans le courant des transformations modernes, dans le giron commun où tous les peuples évoluent. Longtemps tenus à l’écart, nous nous sentons atteints chaque jour davantage par les mille souffles qui portent l’idée et par l’expansion envahissante des progrès scientifiques. Bon nombre de travaux de nature diverse ont été faits chez nous en dehors des œuvres purement littéraires ; il y a un mouvement incontestable et dont il serait absurde de ne pas vouloir convenir. Les précurseurs de la future littérature nationale méritent donc qu’on leur tienne compte, malgré d’inévitables imperfections, non pas tant de ce qu’ils ont produit que du sentiment qui les a inspirés, de l’esprit qui les anime, et comme l’a dit dans une page éloquente et profondément juste, M. l’abbé Casgrain, un vrai poëte qui fait plus de prose que de vers :

« Si, comme il est incontestable, la littérature est le reflet des mœurs et du génie d’une nation, si elle garde aussi l’empreinte des lieux d’où elle surgit, des sites, des perspectives, des horizons, la nôtre sera grave, méditative, religieuse, énergique et persévérante comme nos pionniers d’autrefois, mélancolique comme nos pâles soirs d’automne enveloppés d’ombres vaporeuses, comme l’azur profond, un peu sévère de notre ciel, chaste et pure comme le manteau virginal de nos longs hivers.

« Représentants de la race latine, notre mission est d’opposer au positivisme anglo-américain, à ses instincts matérialistes, à son égoïsme grossier, les tendances d’un ordre plus élevé.

« Vous avez devant vous une des plus magnifiques carrières qu’il soit donné à des hommes d’ambitionner. Issus de la nation la plus chevaleresque et la plus intelligente de l’Europe, vous êtes nés à une époque où le reste du monde a vieilli, dans une patrie neuve, d’un peuple jeune et plein de sève. Vous avez dans l’âme et sous les yeux toutes les sources d’inspirations, au cœur de fortes croyances, devant vous une gigantesque nature où semblent croître d’elles-mêmes les grandes pensées, une histoire féconde en dramatiques événements, en souvenirs héroïques. En exploitant ces ressources, vous pouvez créer des œuvres qui s’imposeront à l’admiration et vous mettront à la tête du mouvement intellectuel dans cet hémisphère. »

Voilà en effet notre mission à nous, représentants en Amérique du génie latin et cette mission a été comprise d’instinct par les jeunes gens qui se sont exercés dans les lettres. Ils ont ouvert la voie ; ils l’ont fait comme tous les initiateurs, avec les instruments quelconques qu’ils ont eus à leur disposition ; mais le point essentiel est qu’ils s’en soient servis et qu’ils aient eu la noble témérité de fonder, à douze cents lieues de la mère-patrie intellectuelle, un foyer d’où rayonnera son génie quoique affaibli et adapté à des conditions différentes. Qu’importe alors qu’ils soient puérils, naïfs, qu’ils se plaisent à des descriptions souvent grotesques, qu’ils se perdent dans les lieux communs, s’abandonnent avec une complaisance ingénue à une exposition minutieuse d’impressions et de sentiments beaucoup trop vieillis pour notre époque ! Qu’importe que l’imagination, l’originalité et le goût leur fassent trop souvent défaut ! On trouve en eux ce qu’on y cherche avant tout, de la jeunesse et cette audace inconsciente, presque aimable, qui fait qu’on leur sourit avec bienveillance et qu’on serait heureux de leur prodiguer les encouragements.

Nul n’a été l’expression du sentiment qu’on éprouve à la lecture des ouvrages canadiens mieux que M. le Consul actuel de France, le premier de tous les consuls français qui se soit occupé de notre littérature et qui ait voulu la faire connaître à l’extérieur.

M. Lefaivre a déjà fait sur notre compte trois conférences à Versailles, dans la première desquelles il s’est efforcé, comme il le rappelle, « de mettre en lumière les traits caractéristiques de l’ancienne colonie française, la persistance de sa vitalité nationale, son attachement à la langue, aux traditions de la mère-patrie, en un mot, tous les titres qui la recommandent à la sympathie d’un public français. » M. Lefaivre, en arrivant dans cette « ancienne colonie française, » a été étonné du grand nombre de productions indigènes qu’il voyait étalées chez les libraires ou bruyamment célébrées dans les journaux. Il s’est donné la peine de les lire toutes et de se mettre au courant de nos ambitions et de nos aspirations littéraires, de sorte qu’il a pu, non seulement prendre la mesure de nos capacités respectives, mais encore apprécier exactement tout ce que cette quantité de livres et de brochures contenait de germes et de promesses pour l’avenir. Il s’est senti pris de sollicitude pour les premiers essais de cette littérature enfantine qui émerge à peine des langes, et qui n’en est pas encore arrivée à l’âge de la correction. Il la regarde s’aventurer, il suit avec un intérêt touchant ses pas tantôt tremblants, tantôt hardis, tantôt hasardés, il étudie ses instincts et cherche à prévoir où ils la conduiront ; il cherche à reconnaître si, dans l’embryon qu’il découvre, il y a quelque espoir de future virilité. Mais il ne pousse pas cet examen trop loin. Avant tout, il se laisse aller au bonheur d’avoir retrouvé cette petite-fille de la France presque perdue au milieu d’un monde semi-barbare, malgré ses chemins de fer, ses bateaux-à-vapeur et ses télégraphes. L’existence de ce million de français groupés sur les deux rives d’un grand fleuve, et que la France elle-même ignore depuis plus d’un siècle, l’a séduit par l’espèce de poésie romanesque qui s’y rattache, et le charme d’une pareille découverte l’a empêché d’abord de voir autre chose que l’enfant retrouvé.

C’est là le sentiment qu’on retrouve presque à chaque page de ce qu’il a écrit sur le Canada et sur sa littérature. On sent qu’il a constamment envie de nous presser sur son cœur, qu’il s’ingénie de cent façons à éviter tout ce qui pourrait blesser notre susceptibilité si aisément mise en émoi, et qu’il donnerait tout au monde pour qu’il y eût véritablement des écrivains canadiens tels qu’il les peint, tels qu’il les habille pour les montrer à un public raffiné. On s’attend à tout moment à ce qu’il en invente pour qu’il n’en manque dans aucun genre et que nous n’ayons pas l’air de faire défaut en quoi que ce soit, tant son indulgence abonde et tant il semble craindre de n’avoir pas assez d’encouragements à verser dans nos âmes.

Cependant, M. Lefaivre revient de temps à autre à l’appréciation, comme dans cette page où il écrit :

« Au lieu d’exprimer l’ambition, l’humeur inquiète, les excitations fiévreuses, le go a head d’une nation sans passé, impatiente de croître et de s’enrichir, la littérature canadienne vit de traditions et de souvenirs, conserve de la déférence pour l’Europe, surtout pour l’Europe de l’ancien régime et se glorifie d’en avoir retenu L’empreinte. Ses prétentions sont aussi plus modestes. Elle ne se flatte pas d’inaugurer une ère nouvelle dans l’humanité et ne se propose pas pour guide et pour modèle au vieux monde ; mais elle se maintient dans une atmosphère plus sereine, plus favorable peut-être aux travaux désintéressés de l’esprit. »

« L’atmosphère sereine » est peut-être quelque peu risqué. Toute notre presse s’insurge contre cette expression. Il est vrai que nos journalistes ne sont pas des littérateurs ; mais, d’autre part, ceux qu’on accepte comme des littérateurs trouvent-ils autour d’eux une atmosphère aussi sereine que le dit M. le Consul ? Il est permis d’avoir là-dessus quelque appréhension. Quant à nous qui vivons dans ce milieu depuis des années, nous l’avons trouvé chargé de beaucoup de parti pris, de beaucoup d’exclusivisme, de beaucoup de cet esprit qui n’admet dans la littérature que la convention et rejette comme funeste tout ce qui sort de la routine ; nous l’avons trouvé, en un mot, rempli précisément de tout ce qui exclut cette sérénité native qui ferait le charme de nos écrivains et leur donnerait une originalité débonnaire.

Enfin, qu’importe ! nous sommes sereins, soit. La sérénité ! voilà le caractère de notre littérature nationale. « Avant tout, soyons sereins, » dira désormais la chanson en remplaçant canadiens par son synonyme. Nous arriverons à la postérité comme des chérubins reliés en rose, et nos successeurs, venant à leur tour dans cette atmosphère sans nuage, enfanteront comme nous des chefs-d’œuvre bénins dont on parlera longtemps à la campagne.

Oh ! M. le Consul, quels horizons vous nous avez ouverts !…