Petites Supercheries et grande érudition des contrefacteurs
LETTRE À UN JOURNAL DE LEIPZIG.
Quel que soit le dégoût que l’on éprouve à descendre dans certaines questions, à s’occuper de certains hommes, il est des faits d’une telle audace et d’une telle jonglerie, que l’on est bien forcé, malgré soi, de les dénoncer à la conscience des honnêtes gens de tous les pays. Que si, en semblable occurrence, le langage n’est pas toujours dans le ton, d’avance on prie de le pardonner ; comment refouler tous les sentimens qu’inspirent et méritent si bien des adversaires qu’aucun scrupule, aucune pudeur ne saurait arrêter ?
Que l’officine de contrefaçons, à Bruxelles, qui a pour raison sociale Meline et Cans (un représentant prêtant son nom à un commerce de piraterie, belle recommandation dans un parlement !), multiplie les brochures les plus naïves, pour défendre in extremis son industrie, condamnée par toutes les voix morales de l’Europe, — et hier encore par l’Edinburgh Review, — c’est un droit accordé aux plus mauvaises causes. Aussi négligeons-nous les brochures de ces messieurs, qui ont trouvé d’ailleurs de rudes contradicteurs à Bruxelles même, car il faut bien savoir que tous les hommes considérés de la Belgique supportent avec peine le voisinage de la contrefaçon littéraire. Tout récemment, un éditeur intelligent de Bruxelles, M. Charles Muquardt, a fait justice de ces factums ; sans en avoir l’air, il a réduit à leur juste valeur leurs hâbleries et leur touchant appel au droit civilisateur dans un, écrit, qui juge la contrefaçon aussi sévèrement que nous pourrions le faire, et cela en vue même des intérêts de son pays. M. Muquardt a vu depuis vingt ans la contrefaçon à l’œuvre, et il démontre parfaitement ses torts et ses ruines en Belgique[1].
Nous voulons seulement dire un mot des supercheries nouvelles qu’inspire à cette honteuse industrie le sentiment de sa chute prochaine. Les événemens de décembre, qui la menacent particulièrement, lui fournissent pourtant jusqu’ici, le croirait-on ? le moyen d’abuser les lecteurs étrangers sur la valeur de sa marchandise. Ces honnêtes commerçans du bien d’autrui, à la tête desquels figure si plaisamment le député Cans, dont la position industrielle doit peser d’un certain poids à la dignité de la chambre des représentans, ne perdent aucune occasion de faire insérer dans les journaux des réclames qui n’ont d’autre but que de tromper le public européen. Ainsi nous avons lu dans les journaux belges et dans les journaux allemands, fourvoyés sans doute par les contrefacteurs, que la censure ne permet plus guère à Paris que des éditions mutilées, mais que la scrupuleuse contrefaçon belge va se charger du soin de restituer les parties supprimées dans des éditions authentiques et complètes dont la France seule ne jouira pas, si la contrebande des contrefacteurs ne réussit à les introduire par notre frontière du nord et de l’est. Les pays étrangers auront ainsi une édition authentique et seule complète (sic) des Mémoires de M. Alexandre Dumas, tronqués, dit-on, par la censure, lesquels volumes cependant n’ont pas été soumis à la censure ! L’autre jour aussi, on imprimait dans la Gazette de Cologne une fabuleuse anecdote sur l’Histoire de la Restauration de M. de Lamartine, mutilée aussi par la censure, qui n’a pas eu non plus à les examiner ; on annonçait en même temps que la contrefaçon allait restituer ces deux volumes dans leur intégrité. Si la contrefaçon belge veut devenir un instrument politique, cela ne nous regarde pas ; c’est le nouveau gouvernement que cela touche. Nous laisserons également aux écrivains et aux éditeurs de Paris intéressés dans la question le soin de démasquer ces fourberies ; nous nous contentons de répondre à des annonces non moins mensongères de la contrefaçon à propos de la Revue des Deux Mondes, et voici la note non confidentielle que nous adressons au journal de la librairie de Leipzig.
La direction de la Revue des Deux Mondes n’a eu que tardivement connaissance de l’incroyable annonce insérée dans votre journal du 30 janvier par les contrefacteurs Cans et Meline de Bruxelles.
Il faut que les contrefacteurs Cans et Meline aient une hardiesse plus qu’ordinaire pour oser dire publiquement que leur contrefaçon de la Revue, si grossièrement imprimée sur papier inférieur, est identique à l’édition originale de Paris, qu’elle en est la reproduction fidèle, et qu’elle contiendra nos cartes et nos portraits, nos portraits gravés sous la direction de M. Henriquel Dupont ! C’est avoir une singulière confiance dans la crédulité ou la complaisance des lecteurs étrangers que d’espérer qu’on leur fera admettre un seul instant des assertions aussi peu conformes aux faits, et dont il est si facile de vérifier l’énormité. Dans tous les cas, c’est abuser plus qu’il n’est permis, même à des contrefacteurs, des moyens de publicité qu’on croit avoir loin des fondateurs d’une entreprise littéraire honorable, afin de surprendre la bonne foi du public. Pour le mettre en garde contre de pareilles supercheries, une réponse est donc nécessaire.
Nous prions d’abord les hommes éclairés de l’Allemagne de comparer les deux éditions originales que nous envoyons à Leipzig[2] avec la contrefaçon Cans et Meline, imprimée sur méchant papier, paraissant beaucoup plus tard, contenant souvent des suppressions ou des additions que nous désavouons et que nous dénonçons au jugement de l’Europe lettrée. Que l’on prenne pour point de comparaison même notre petite édition, destinée à remplacer la contrefaçon belge, et on verra la distance qui sépare l’édition originale de la contrefaçon, indigne de figurer dans une bibliothèque.
Les contrefacteurs Cans et Meline prétendent contrefaire nos cartes et nos portraits ! Mais on ne peut contrefaire des œuvres d’art comme on contrefait, quoique fort grossièrement, une œuvre d’impression ordinaire. On ne contrefait pas surtout en dix ou quinze jours des cartes ou des portraits gravés par les premiers artistes de France, et qui leur demandent souvent trois ou quatre mois de travail. Cela est si vrai, que nous mettons les contrefacteurs au défi de donner les portraits que nous allons faire paraître, à partir du 15 mars prochain, dans nos livraisons, avec des articles biographiques et littéraires. Il est facile de voir, en effet, que le temps manquera aux contrefacteurs Cans et Meline pour faire la contrefaçon la plus grossière de ces cartes et de ces portraits. De deux choses l’une, ou les contrefacteurs reproduiront nos articles biographiques et littéraires sans les portraits, ou ils seront forcés de retarder la publication de leur contrefaçon pour donner une misérable lithographie de nos gravures. Les contrefacteurs Cans et Meline trompent donc sciemment le public allemand en faisant des promesses qu’ils sont dans l’impossibilité matérielle de tenir. En veut-on une preuve d’ailleurs ? Nous prenons pour juges les lecteurs mêmes de la contrefaçon belge. La Revue des Deux Mondes du 15 janvier dernier contenait une belle carte des Côtes de Chine, gravée par M. Jacobs, graveur du ministère de la marine, et accompagnant le curieux voyage de M. le capitaine de vaisseau Jurien de la Gravière. La contrefaçon de Bruxelles de notre no du 15 janvier ne contenait pas la carte. Si les contrefacteurs donnent plus tard cette carte des Côtes de Chine, ce ne peut être qu’un décalquage, une lithographie, vaille que vaille, exécutée après coup et ne paraissant pas en même temps que le texte.
Que sera-ce donc quand il faudra contrefaire des portraits qui demandent tout le talent, tout le tact et toute la délicate patience du peintre et du graveur ? La contrefaçon belge, qui n’est pas assez riche ou qui n’est pas assez honnête (nous lui laissons le choix) pour payer le travail et les œuvres des écrivains qu’elle reproduit, est encore moins en mesure ou moins en humeur de consacrer 1,500 ou 2,000 francs à l’exécution de chaque portrait, ainsi que le fait la direction de la Revue pour l’édition originale. Ce dont est capable en ce genre cette triste industrie, on peut déjà le voir en comparant nos portraits de l’Annuaire des Deux Mondes, notamment ceux du sultan Abdul-Medjid et du général Rosas, avec les caricatures qu’elle met à la place dans la contrefaçon belge, qui n’a pas encore paru intégralement - depuis six mois que l’édition originale circule dans toute l’Europe.
Voilà les perfectionnemens que des contrefacteurs sans goût et sans littérature prétendent avoir ajoutés à une œuvre considérable, qui a coûté tant de travaux à la rédaction de la Revue ! Quant aux modifications que les contrefacteurs Cans et Meline se sont permis de faire à cet Annuaire, elles consistent en véritables soustractions, en falsifications et en additions intéressées que les auteurs de l’Annuaire des Deux Mondes dénoncent encore au monde littéraire et aux défenseurs autorisés du droit international intellectuel, qui veut qu’on n’attribue pas à des écrivains ce qu’ils n’ont pas écrit ni voulu écrire. C’est là ce qu’il est bon d’apprendre à ces trafquans sans droit des œuvres d’autrui, à ces violateurs insolens du nom et de la propriété de nos écrivains.
À la vérité, les éditeurs belges de l’Annuaire, — c’est ainsi vraiment qu’ils se nomment, — ont tenu à mettre dans leur contrefaçon quelque chose qui fût de leur crû. Comme pour justifier le reproche d’ignorance et de falsification que nous leur avions adressé dans ce livre même, ils y ont introduit des erreurs grossières avec quelques bribes pillées çà et là dans les journaux belges et français. Ils paraissent fiers surtout d’une transposition de chapitres dont le résultat est de rompre l’économie du plan : ils ont eu l’ingénieuse idée de détacher la Belgique des pays de race latine et de l’éloigner du voisinage de la France, pour la placer parmi les peuples germaniques, entre le Danemark et la Hollande, afin d’insulter du même coup la géographie, l’histoire et le bon sens. Ils nous enseignent que, si de Dunkerque à Maestricht, on tire ce que dans leur langage welche ils appellent une ligne un peu flexueuse, on partage la Belgique en deux zones ; et comme les populations de l’une de ces zones parlent, disent-ils, l’idiome thiois, ils en concluent que la constitution belge n’est point écrite en français, que l’on ne discute point en français dans les chambres belges (cela est peut-être vrai pour le député Cans ), que la Belgique en un mot, en dépit de ses traditions et de son génie, n’appartient point à la famille latine, et qu’elle tient justement le milieu entre la Scandinavie et l’Allemagne. Voilà ce que l’on démontre avec l’argument triomphant de la ligne un peu flexueuse et de l’idiome thiois ! Entraîné par son enthousiasme, le Vadius welche oublie jusqu’à son industrie, qui est peut-être la meilleure preuve qu’il vit au milieu d’une race française. — Est-ce en effet notre littérature ou la littérature germanique que vous détroussez depuis vingt ans ?
Les contrefacteurs sont peut-être encore moins heureux dans les rectifications de noms et de faits qu’ils ont tentées à plusieurs endroits, afin d’avoir l’air de comprendre ce qu’ils copiaient. Ils ont imaginé, par exemple, de suivre généralement l’orthographe allemande pour les dénominations d’hommes et de villes, au lieu d’adopter avec notre Annuaire l’orthographe particulière à chaque pays. C’est ainsi qu’ils substituent partout au mot danois Slesvig le mot allemand Schleswig. Ils pensent de même nous apprendre que l’héritier de la couronne de Russie porte un titre officiel qu’ils écrivent césarewitch. Puisqu’ils se piquent de raffiner, nous sommes obligés de leur dire que ce mot n’est pas plus russe que français. C’est tsésarévitch qu’ils devaient écrire. Ne nions point cependant leur génie inventif ; ils ont fait une découverte : l’impératrice de Russie n’est point, comme nous l’avons dit, la sœur du roi de Prusse actuel, mais de Frédéric-Guillaume III, son père[3] ! On conçoit que des écrivains de cette force sur les généalogies princières possèdent aussi une statistique qui leur soit propre, et qu’après ces substitutions d’actes de naissance ils ne se fassent aucun scrupule de vous débaptiser les gens par centaines de mille. Tant pis pour les Croates, qui se vantent d’être des catholiques de la plus pure orthodoxie : ils sont grecs schismatiques sans le savoir, — et il y a quelqu’un en Belgique qui le sait pour eux, c’est le député-contrefacteur Cans et compagnie ! Nous avouons qu’en apercevant les ridicules bévues de ces dignes compagnons, débitées avec ce ton de suffisance, nous n’avons pas pris la peine d’examiner de bien près les prétendues additions dont se vantent des industriels si adroits dans l’art des soustractions ; mais il n’est pas besoin d’un grand effort d’entendement pour reconnaître que ces curieux appendices ne leur ont pas coûté plus cher que notre Annuaire. Ils ont dévalisé en partie quelques pauvres almanachs qui ne valaient pas sans doute la peine d’être pillés entièrement. Ils ont dérobé jusqu’aux haillons dont ils affublent notre Annuaire, pour lui ôter sa couleur nationale, tout en le débitant sous sa marque française. — Quoi ! ces pauvretés elles-mêmes seraient au-dessus de leur génie ! — Oui, nous en avons l’assurance : il n’y a dans leur édition falsifiée que les sottises qui leur appartiennent sans conteste, et qui portent l’empreinte évidente de leur personnalité.
Maintenant, pour les erreurs de dates et de noms propres qu’ils nous attribuent, on nous permettra bien de nier la compétence des éditeurs welches, et ce qu’il peut y avoir de tant soit peu fondé sous ce rapport avait été corrigé déjà par nous dans un erratum que depuis six mois nous avons mis à la disposition de nos lecteurs. Faut-il donc apprendre aussi à ces scrupuleux et savans contrefacteurs que nous apportions une telle surveillance dans la révision de cette œuvre, que nous avons presque toujours eu recours à l’obligeance des agens étrangers résidant à Paris, les priant de relire les épreuves des chapitres de l’Annuaire consacrés à leurs pays ? M. le ministre de Belgique à Paris (nous lui demandons pardon de cet aveu, que nous arrache malgré nous la sotte jactance de ses compatriotes de la contrefaçon) nous a notamment rendu le service de revoir les épreuves du chapitre belge, que le copiste inintelligent prétend rectifier en y ajoutant des interpolations dont nous sommes obligés de désavouer l’esprit et le style. Eh ! de bonne foi, à qui persuadera-t-on que des hommes de cet ordre, des gens de ce savoir, puissent en remontrer à qui que ce soit, et à plus forte raison à des hommes qui ont leur place dans les lettres françaises ? Jusqu’ici, la contrefaçon s’était contentée d’exercer son industrie en silence et dans une prudente modestie à l’égard des gens qu’elle dépouillait ; il était réservé au député-contrefacteur Cans d’introduire les habitudes de M. Trissotin dans son code de la piraterie.
Les contrefacteurs Cans et Melime assurent aussi avec leur aplomb ordinaire qu’ils fabriquent mieux et à meilleur marché que l’imprimerie française. Ceci n’est pas plus exact que le reste, c’est une forfanterie plus risible encore. Ils n’offrent pas, tant s’en faut, même cet avantage aux lecteurs étrangers, tout en s’emparant, sans bourse délier, du travail et des œuvres des autres. En publiant une contrefaçon de la Revue des Deux Mondes, ils n’ont pourtant à supporter aucuns premiers frais d’établissement, ni dépenses de rédaction et de corrections, ni souci de travaux à faire ou à inspirer, de notes et documens à récrire ou à écarter ; ils en seraient certes, — ces mornes parasites des lettres, — bien incapables : chose qui met à nu mieux que tous les raisonnemens la moralité de leur industrie, car si les réimprimeurs Cans et Meline peuvent être des écrivains, s’ils sont capables de diriger une revue, pourquoi ne prennent-ils pas à Bruxelles ce rôle périlleux et difficile ? Pourquoi ne viennent-ils même pas l’essayer à Paris ? Il est plus facile de se poster à la frontière pour guetter sa proie au passage ! — Malgré tous ces frais, malgré tous ces soins dispendieux de moins[4], la contrefaçon des réimprimeurs Cans et Meline, d’une exécution déplorable, coûte aussi cher que notre petite édition originale, qu’on trouve chez MM. Michelsen et Twietmeyer à Leipzig, et qui contient les cartes et les portraits originaux. Les contrefacteurs Cans et Meline ne l’ignorent pas, car un grand nombre de leurs souscripteurs ont eu le bon esprit de quitter la contrefaçon pour recevoir l’édition originale. Dans leur propre pays, en Belgique même, où cette édition est envoyée seulement depuis le 1er janvier 1852, la contrefaçon s’est vue aussi abandonnée par une grande partie de ses lecteurs. C’est qu’en Belgique on connaît mieux encore qu’en Allemagne les retards et l’infériorité de la contrefaçon, et qu’on sait également que celle-ci touche à son heure suprême.
Les contrefacteurs Cans et Meline annoncent encore (que n’annoncent-ils pas !) que la contrefaçon fonctionne et fonctionnera en vertu d’un droit international, et qu’elle dédaigne de répondre aux attaques violentes des auteurs et des éditeurs français. — Voyez notre audace, voyez notre violence d’oser défendre notre bien ! — Il paraît que l’arme favorite de la contrefaçon est toujours le contrepied de la vérité, le contraire de l’état réel des choses. Jamais ce prétendu droit international de la contrefaçon n’a été admis en principe dans le code d’aucun peuple ; le droit opposé est même déjà écrit dans les lois de la plupart des pays civilisés, et le contrefacteur Cans, en sa qualité de législateur, ne peut ignorer que tous les gouvernemens, depuis deux années, ont négocié ou négocient pour faire reconnaître le droit de la propriété littéraire, que ce droit aujourd’hui est notamment admis par l’Angleterre, par la France, l’Espagne, le Portugal, le Hanovre et la Sardaigne, que maintenant même le gouvernement belge négocie avec le gouvernement français la reconnaissance des droits sacrés du travail intellectuel, pour effacer du sol de la Belgique une industrie qui lui pèse, qui lui suscite et peut lui susciter encore plus d’un embarras, qui ne l’honore guère d’ailleurs et l’enrichit encore moins. Les malheureux actionnaires des sociétés de contrefaçon, ceux de la société Cans et Meline entre autres, ne le savent que trop, eux qui ne sont guère moins à plaindre que l’écrivain que l’on prétend réimprimer à leur profit ! Nos maîtres-pirates savent aussi parfaitement, de leur côté, que la contrefaçon est condamnée en Belgique même par le gouvernement et par les chambres, comme par tous les hommes bien placés dans l’opinion et respectés dans le pays, et qu’elle devra disparaître avant la fin de 1852 ; mais les habiles gens se gardent bien d’aborder ce côté de la question. Loin de là, ils s’obstinent, en pécheurs endurcis, dans la mauvaise voie où ils sont engagés, promettant ce qu’ils ne pourront tenir, insultant maladroitement ceux qui les font vivre, et qu’ils devraient honorer. Il est vrai que leur rancune contre les écrivains et les éditeurs français, qui ne veulent plus être spoliés, a bien quelque fondement.
C’est sur les réclamations de ces écrivains et de ces éditeurs que succombe la contrefaçon. Leur voix a été entendue, elle le sera de plus en plus. Un de ces jours, la France reconnaîtra la propriété intellectuelle de la Prusse et de la Bavière, dont les lois nous offrent la réciprocité, et la contrefaçon belge sera chassée du territoire allemand, bien qu’elle menace (la pauvrette !) de porter ses officines à Leipzig. Quoi de plus simple, en effet, que le gouvernement français défende une gloire et une industrie de la France ? Voilà ce qui émeut les contrefacteurs Cans et Meline, eux qui ont eu la noble pensée de monopoliser l’honorable commerce de la contrefaçon à Bruxelles, qui ont imaginé une société commerciale pour étouffer et absorber toutes les autres à leur profit, qui ont voulu se créer une propriété littéraire vraiment, sans la payer et en niant celle des autres encore, et qui voient, hélas ! toutes leurs espérances englouties, une ruine imminente allant s’ajouter à toutes celles qu’ils ont faites. Leur trouble en est si grand, qu’ils invoquent en termes pathétiques le droit civilisateur, dont ils se proclament les ministres ! Ces intrépides disciples de M. Proudhon, qui ont déjà imprimé en tête de leurs plaidoyers : « La propriété littéraire n’est pas une propriété, » en viennent presque à dire : « La civilisation, c’est le vol. » Mais leur consolation, c’est d’ajouter : « Vous êtes des juges intéressés, puisque nous vous dépouillons. » Eh bien ! renvoyons-les au dernier numéro de l’Edinburgh Review, qui n’est cependant pas sous le coup de la contrefaçon de la société Cans et Bleline, et qui n’hésite point néanmoins à les traiter fort durement et nominativement de pirates.
La vraie question, la voici en dehors de toute invective (l’invective répugne, on le sait assez, à nos habitudes, quand nous avons devant nous d’honnêtes adversaires) :
Les auteurs et les éditeurs français défendent les droits de leur travail et de leur propriété. Les contrefacteurs Cans et Meline voudraient continuer à les violer sous le silence de la loi belge ; le sens moral est tellement oblitéré chez eux, qu’ils trouvent la chose toute simple, la plus simple du monde !
Telle est la situation réduite à ses véritables termes. Les honnêtes gens de tous les pays. prononceront ; ils prononceront d’autant mieux dans notre cause, quand ils sauront que la Revue des Deux Mondes, pour éteindre, en ce qui la touche, une industrie de rapine sans vergogne, sans utilité, funeste à la Belgique, dangereuse pour l’Europe, avait payé sa rançon comme un bâtiment arrêté sur mer en pleine piraterie, et que les libraires Meline et Cans sont encore sous le coup d’un jugement rendu contre eux contradictoirement, le 26 mai 1851, à Paris, pour avoir violé les conditions de la rançon.
Pour la direction de la Revue et la rédaction de l’Annuaire des Deux Mondes,
- ↑ De la Propriété littéraire internationale, de la Contrefaçon et de la Liberté de la Presse ; Bruxelles, 1852.
- ↑ Chez MM. Michelsen et Twietmeyer.
- ↑ On nous le déclare par une note formelle de la page 724 de la contrefaçon, sans doute pour nous donner une leçon d’histoire contemporaine. Il est facile de voir que le député de Bruxelles n’a pas encore eu l’idée de contrefaire et de perfectionner l’Almanach de Gotha.
- ↑ Ces premiers frais seuls vont à plus de 100,000 fr. par an.