Petits Poèmes (Derème)/II

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Société française d’imprimerie et de librairie (p. 27-57).



DEUXIÈME PARTIE



Elle apparaît, riant sous sa petite ombrelle.


I



Vieille arquebuse entre les vieilles arquebuses,
pour me tenter encor c’est en vain que tu t’uses,
amour ! Mes chiens sont morts et mon rêve lointain.
Et n’étant plus de ceux qui partent au matin,
et foulent en chantant la luzerne qui plie,
je suspendrai ta rouille à quelque panoplie.
Que ceux-là seulement te viennent décrocher,
de qui l’espoir est plus solide qu’un rocher.
Qu’ils partent ! Les chemins sont blancs de tubéreuses.
L’oiseau jette à l’azur ses notes langoureuses.
Qu’ils partent ! Mais l’oiseau qui nargue le péril
avalera leurs plombs comme des grains de mil !




II



La maison où je l’ai connue
abrite un cuistre chauve et gras,
Où est la courbe de ses bras ?
Où est sa gorge dure et nue ?

Bon cuistre (hic, hœc, hoc, hujus,
hujus, hujus), parle-moi d’elle ;
que ta voix comme une chandelle
éclaire les plaisirs que j’eus.

Je viendrai dans l’étroite chambre,
et les souvenirs sur les murs
seront pareils à des fruits mûrs
sur les espaliers de septembre

Cuistre adorable (Hic, hœc, hoc),
son amant fleure-t-il le musc, le
réséda bleu ? Tend-il le muscle
du mollet comme un jeune coq ?

Voici le store et les persiennes.
La tendresse donnait le la.
Comme c’est drôle tout cela !
Oh ! les gravures anciennes !

Cuistre, je t’aime avec éclat,
car le cuir de ton crâne chauve
reflète l’ombre de l’alcôve
où l’amour aux dieux m’égala.

Une feuille de l’hiver blême
tombe sur la table où j’écris ;
et je raille malgré les cris
que j’entends au fond de moi-même.

Il faut être gai, voyez-vous,
comme un lièvre sur une touffe,
quand la tristesse vous étouffe
et vous fait ployer les genoux.

L’azur est clair, la vie est belle,
je meurs, tu meurs et nous mourons
J’ai de la terre plein le front
Ouvrez l’amour comme une ombrelle.

Ah ! ferme ces yeux obstinés
si rien au monde n’est durable,
et mets la lampe sous la table,
car l’encrier te rit au nez !




III



Entre la vie et moi tirant un voile épais,
j’enfermerai mon cœur et conquerrai la paix.
Je sèmerai dans mon oreille une tulipe ;
et quand j’aurai fumé mes cheveux dans ma pipe,
pour marquer la retraite où je m’ensevelis,
sur mon crâne rasé je ferai peindre un lis.




IV



Débouchons l’encrier et, du titre à la table,
j’écrirai, pour lui plaire, un livre lamentable
où, le cœur écrasé sous plusieurs univers,
je veux agoniser durant deux mille vers.
O prodige ! Ma plume au fond des écritoires
harponnera les adjectifs lacrymatoires
et vibrants comme les anguilles des fossés.
Et de petits mouchoirs seront dûment fixés
dans les marges de ces poèmes pathétiques.
Un volume in-dix-huit dans les bonnes boutiques…




V



À quoi bon te chercher, gloire, vieille étiquette !
Et quel rêve ai-je mis aux vers de ma plaquette ?
Le douloureux poème où s’exalte mon front,
au bouquiniste ceux que j’aime le vendront.
Devant la meute des grattoirs, vol de bécasses,
demain s’effaceront les mots des dédicaces ;
et si, dans le pays aimable où nous tombons,
Mon livre encor ne sert de cornet à bonbons.
du moins pourra-t-on voir l’amour que nous sentîmes,
en étalage, au prix de quarante centimes.




VI



Toi qui passes foulant la neige de la rue,
Vois sur ma porte deux lions et une grue
qu’un vieillard catalan dans la pierre a sculptés.
Médite, et que ton rêve aux lignes de clartés
neuves, pour picorer la grappe des étoiles,
ouvrant ses ailes d’or comme de grandes voiles,
plane, le col tendu, dans un ciel enchanté,
et raille les lions de la réalité.




VII



Quand on n’a plus ni sou, ni bûche, ni fagot,
quand on a le cœur froid comme un vieil escargot,
hélas ! et pas un brin de tabac pour trois pipes,
on évoque un jardin torride où des tulipes
fastueuses dans la fournaise des juillets
s’épanouissent ; et les yeux émerveillés,
l’on rêve. Mais alors doucement tu murmures,
ma lampe, et songeant au verger des figues mûres.
aux corbeilles de fruits lourds sur le guéridon,
le cœur s’en va comme un navire à l’abandon.




VIII



Si tu as bu le vin suprême des idées,
pour toi le ciel est noir et les vierges ridées.
Et, les contrevents clos aux splendeurs des étés,
tu t’exaltes devant tes livres annotés ;
les pages dans le soir vibrent comme des ailes
et l’encrier jette des gerbes d’étincelles.
Ainsi le front courbé sous la lampe tu lis,
drapant ton rêve dans l’orgueil aux larges plis,
jusqu’à l’heure où, poussant la porte d’un doigt frêle,
Elle apparaît, riant sous sa petite ombrelle.




IX



Elle disait : Le bonheur vient on ne sait d’où.
Bats le briquet contre la mèche d’amadou
et fume lentement et regarde les bûches
rougest Les heures sont douces comme des cruches
et tu les bois au bord torride des chemins.
L’amour est chaud comme une pipe au creux des mains
et rien ne vaut pour ta tristesse familière
la paisible maison qu’environne un lierre.
Il neige. Mets, ce soir, tes pieds sur les chenets.
Reste. Le feu jaillit des gerbes de genêts.
Reste là, caressant une large tulipe.
Ton rêve s’éteindra, s’il neige dans ta pipe.




X


Par les matins d’hiver, quand je lisais tes lettres,
des roses de juillet fleurissaient aux fenêtres
de mon rêve. Bravant le givre, le verglas,
les averses, le vent du Nord sonneur de glas,
je murmurais les mots en suivant les ruelles
tortueuses. Soudain les rafales cruelles
s’apaisaient ; le soleil inondait les maisons ;
je m’avançais sous de divines frondaisons,
et je voyais sourire au fond du paysage
la grâce et la candeur de ton jeune visage.




XI



J’ai laissé de mon cœur tout le long du chemin
 comme les brebis de leur laine,
et j’espérais toujours qu’un tiède lendemain
 m’ouvrirait une herbeuse plaine.

Et toujours sous mes pas l’ortie et les galets ;
 Car c’est en vain que tu annonces,
Après l’orage, espoir, les matins étoiles,
 et la luzerne après les ronces.

Marche donc, vieux mouton, et marche ! Il faut marcher
 Vers un but secret et suprême.
Mais méprise la fin, la route et le berger,
 et le destin comme toi-même !




XII



Les jours sont plats comme des soles
et la rouille a couvert mon cœur ;
Mais tu parais et tu consoles
mon amertume, ô remorqueur !

Amour, nous sommes les chaloupes
vides sur le flot des hivers,
et nous rêvons de Guadeloupes
où rugissent des lions verts.

Là-bas, vibrent des promontoires
sous le cri de tigres ailés ;
et dans des champs de roses noires
s’étirent des chats violets ;

des oiseaux sont couverts de feuilles,
des plumes poussent dans les prés.
Emmène-nous, toi qui recueilles
l’espoir des rêves déchirés.

Amour, jette-nous tes amarres,
Ouvre tes voiles et partons !
Les soirs dorment comme des mares,
Volez, volez, vieux hannetons !




XIII



Ce sera la maison blanche avec un arbuste
en fleurs sur le perron, et quand d’un geste brusque
tu ouvriras les volets jaunes, le jardin
mêlera, pour fêter ton rire et le matin,
l’odeur des seringats au parfum des framboises,
et les paons fastueux crieront sur les ardoises.




XIV


Dans l’odeur des œillets, du fenouil et du buis,
sur le vallon qui dort à la fraîcheur du puits,
ce sera, sous le toit rouge que l’aube mouille,
la maison blanche comme un ventre de grenouille,




XV


Ce soir d’octobre est lourd comme ta lourde chevelure,
 et jamais plus mes yeux ne te verront ;
  je n’entendrai plus ta voiture
  s’arrêter au bas du perron.
Tu n’apparaîtras plus ainsi qu’une aube printanière
  dans cette chambre où tu pleuras ;
  et jamais plus dans la lumière
ne s’ouvrira la courbe heureuse de tes bras.
La tempête a brisé la lampe familière
  qu’on ne rallumera jamais ;
sur tes épaules le temps verse sa poussière,
   et tes yeux sont fermés.




XVI


Aux soirs tristes, devant la table d’un café,
tandis que se trémousse un air ébouriffé
que chante avec aigreur une donzelle étique
auprès d’un violon enduit de cosmétique
dont le sourire fat dure depuis des ans,
je regarde flotter, sur les crânes luisants
des vieux habitués qui rêvent, la fumée
de ma pipe où sourit une figure aimée.




XVII


Si je dois ne jamais oublier les sentiers,
les hêtres, les ravins bordés de noisetiers,
les bruyères, les digitales diaphanes,
les touffes de chardon que broutèrent nos ânes
tandis que nous montions vers l’azur ; si je dois,
songeant avec tristesse aux bagues de tes doigts,
entendre dans la nuit brillante de rosée
un souvenir battre de l’aile à la croisée,
c’est que, magicienne aux gestes de clarté,
j’ai vu dans la tiédeur de cet arrière-été,
se mirer les genêts et la forêt pâlie
dans tes yeux de douceur et de mélancolie.




XVIII


Des mois ont fui ; mais ma pensée
vibre encor du même frisson.
Non, la corde n’est pas cassée,
et c’est toujours le même son.

En vain je raisonne, j’ergote,
mon cœur toujours d’elle est empli ;
telle une vieille redingote
garde un immuable faux pli.




XIX


Mon désespoir vers toi grave et silencieux
s’élève comme un lis d’automne vers les cieux ;
et devant notre rêve aux lentes agonies
mon cœur est plein ce soir de larmes infinies.
Bonheur frêle, jasmins, églantines, lilas,
les minutes en fleurs se flétrirent, hélas !
Et je sens, aujourd’hui que l’espoir me délaisse,
s’enrouler tendrement sur mon âme qu’il blesse
et qu’il enserre en la douleur de ses replis,
ton souvenir ainsi qu’un blanc volubilis.




XX


Je revis doucement d’anciennes pensées,
et leur frêle pâleur d’estampes effacées,
ravivant les douleurs graves du souvenir,
fait encore mon rêve à ton rêve s’unir.
Tendres comme des fleurs, légers comme des plumes,
voici passer tous les plaisirs que nous élûmes ;
et mon cœur pénétré de leur triste parfum
pleure les jours enfuis et le charme défunt.
Ah ! que l’heure de joie et de bonheur renaisse,
où glorieuse en la beauté de ta jeunesse,
et rayonnant ainsi qu’un splendide matin,
outre-ciel tu forgeais ton rêve ! — Le jardin
dans le silence étend ses désertes allées,
et la rouille s’attaque aux vasques ciselées,
Hélas ! — Et j’appartiens au passé radieux,
aux jours qu’illuminait la flamme de tes yeux,
où mon cœur ignorant des tristesses moroses
était doux et léger comme un parfum de roses.



XXI


Dans la froideur de l’aube hivernale, il bruine
sur les palais branlants et les murs en ruine ;
l’église où s’unissaient les myrrhes et les chants
croule ; sur les degrés pousse l’herbe des champs ;
et les toits éventrés par les quartiers de roche
s’effondrent ; le lierre aux gargouilles s’accroche.

Dans la ville déserte, aux lueurs des flambeaux,
je pénètre et fouillant les caves, les tombeaux,
de l’aube au crépuscule et du soir à l’aurore,
éperdu, je me mêle au passé que j’adore.
Et voici des miroirs, des perles, des colliers,
des anneaux précieux à tes doigts familiers,
et des lis trépassés dont tu respiras l’âme.
Et mon cœur de tristesse et de douleur se pâme
en évoquant, parmi ces décombres, tes yeux !

Ah ! laisse-moi verser des pleurs silencieux.



XXII


Parmi la brume et la tristesse du matin,
languissamment les fleurs s’effeuillent au jardin,
exhalant la douceur de leur âme embaumée :
et nos rêves aussi s’efl’euillent, bien-aimée.
La maison est déserte et nul ne s’assied plus
sous la tonnelle ; les deux bancs sont vermoulus ;
et, pareille à l’oubli, l’herbe envahit l’allée.
Ton souvenir emplit mon âme désolée,
et tristement je songe au soir où tu lias
parmi tes cheveux noirs de blancs camélias.





XXIII


Maintenant que tes yeux sont clos et que ta voix
ne murmurera plus les phrases d’autrefois ;
puisque je t’ai perdue, hélas ! et que la vie
est pareille au jardin solitaire, j’envie
le guerrier embrasé d’une héroïque ardeur,
qui, vêtu d’or, le glaive au poing, dans la splendeur,
blasphémant et dressé, farouche, sur la selle,
au milieu du tumulte et du sang qui ruisselle,
s’élance, frappe et meurt, troué de mille dards,
dans les plis triomphaux des rouges étendards !





XXIV


Le jardin bourdonnait de soleil et d’essors,
quand tu pris ton chapeau de paille à larges bords,
fleuri de liserons, fleuri de violettes ;
et les roses fumaient, vivantes cassolettes,
exhalant vers le ciel éblouissant et bleu
leur parfum plus subtil qu’une aiguille de feu.
J’écoute encor ta voix et je regarde encore
tes yeux illuminés aux fastes de l’aurore,
le sable humide et les grands lis que tu cueillais,
et les massifs bordés de sauges et d’œillets…

Heures parmi la joie et l’amour égrenées,
volubilis défunts et jacinthes fanées…





XXV


Maintenant que la neige a blanchi la maison,
promène ta douleur et vois à l’horizon,
au-dessus des cyprès funèbres et des tombes,
tes rêves s’effacer comme un vol de colombes.





XXVI


Souffle ta lampe ! Le matin
a frissonné sur les collines ;
et, morose, le cœur lointain,
dans la pénombre tu t’inclines,

Ouvre ta porte ! L’air léger
fera frémir les étagères.
Ouvre ta porte ! Le verger
est suave d’odeurs légères.

Et d’un esprit calme et plus pur,
loin des strophes que tu cisèles,
regarde vibrer sur l’azur
les colombes aux blanches ailes !