Petrus Borel le lycanthrope/Encore un mot

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Petrus Borel le lycanthrope : sa vie, ses écrits, sa correspondance, poésies et documents inédits
René Pincebourde (Bibliothèque originale) (p. 134-136).



VIII

ENCORE UN MOT.


Telle fut cette vie, telle fut cette œuvre. Il faut les prendre comme elles sont avec la flamme et les scories. — Yo soy que soy, c’était la devise de Pétrus Borel : — Je suis ce que je suis. — Cette destinée a pourtant trouvé des juges sévères. Je lisais hier dans un pamphlet sur les Hommes et les mœurs en France sous le règne de Louis-Philippe, des pages violentes et chargées de reproches où toute cette école de fantaisistes, — les grands écervelés, les sublimes gamins de 1830, — est traitée durement. Et quant à ce qui touche à Borel : « Pourquoi finir par des chevaux (dit le pamphlétaire, qui prétend que Borel était inspecteur des haras), pourquoi finir par des chevaux, quand on a porté un pourpoint de velours ? »

Pourquoi ? — Pourquoi la vie ne tient-elle pas toutes ses promesses ? Pourquoi les espérances s’enfuient-elles ? Pourquoi cette force qui nous abandonne ? Pourquoi le temps marche-t-il ? Pourquoi tant d’orages et de misères, tant de triomphes sans lendemain, de journées commencées par l’aurore souriante, terminées par la pluie et la boue ? Pourquoi le vent du sort nous balaye-t-il tous comme des feuilles mortes ? Pourquoi tant d’essors brisés et tant d’Icares tombés de si haut ?

En vérité, ce n’est pas à l’homme que le pamphlétaire devait adresser une telle question. Le hasard seul, peut-être, l’aveugle hasard, pouvait répondre.

Quand Borel eut usé son pourpoint de velours, le pourpoint romantique, il ôta ce pauvre vieux costume devenu haillon ; mais loin de le rejeter, comme l’ont fait tant d’autres, où l’on jette les choses inutiles, il le conserva pieusement, en quelque recoin caché, et parfois, — qui sait ? — peut-être le revêtait-il tristement, demandant à la pauvre défroque ce qu’elle pouvait donner encore de souvenirs, la regardant avec émotion, avec regret, jamais avec colère, — prêt à recommencer sa vie assurément, cette vie de lutte, de sacrifice, d’orgueil indompté, d’honnêteté inattaquée, d’ambition inassouvie…

Et sans doute alors, relisant la préface des Rhapsodies :

« — Si je suis resté obscur et ignoré, se disait-il, si jamais personne n’a tympanisé pour moi, si je n’ai jamais été appelé aiglon ou cygne, en revanche je n’ai jamais été le paillasse d’aucun ; je n’ai jamais tambouriné pour amasser la foule autour d’un maître, et nul ne peut me dire son apprenti. »

Hélas ! en 1832, quand il croyait tracer une profession de foi, Pétrus Borel ne se doutait pas qu’il écrivait un testament.


Avril 1865.