Physiologie du Mariage/23

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Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 540-545).

TROISIÈME PARTIE.

DE LA GUERRE CIVILE.

Belles comme les Séraphins de Klopstock, terribles comme les diables de Milton.
Diderot.

MÉDITATION XXIII.

DES MANIFESTES.

Les préceptes préliminaires par lesquels la science peut armer ici un mari sont en petit nombre, il s’agit bien moins en effet de savoir s’il ne succombera pas, que d’examiner s’il peut résister.

Cependant nous placerons ici quelques fanaux pour éclairer cette arène où bientôt un mari va se trouver seul avec la religion et la loi, contre sa femme, soutenue par la ruse et la société tout entière.



LXXXII.

On peut tout attendre et tout supposer d’une femme amoureuse.


LXXXIII.

Les actions d’une femme qui veut tromper son mari seront presque toujours étudiées, mais elles ne seront jamais raisonnées.


LXXXIV.

La majeure partie des femmes procède comme la puce, par sauts et par bonds sans suite. Elles échappent par la hauteur ou la profondeur de leurs premières idées, et les interruptions de leurs plans les favorisent. Mais elles ne s’exercent que dans un espace qu’il est facile à un mari de circonscrire ; et, s’il est de sang-froid, il peut finir par éteindre ce salpêtre organisé.


LXXXV.

Un mari ne doit jamais se permettre une seule parole hostile contre sa femme, en présence d’un tiers.


LXXXVI.

Au moment où une femme se décide à trahir la foi conjugale, elle compte son mari pour tout ou pour rien. On peut partir de là.


LXXXVII.

La vie de la femme est dans la tête, dans le cœur ou dans la passion. À l’âge où sa femme a jugé la vie, un mari doit savoir si la cause première de l’infidélité qu’elle médite procède de la vanité, du sentiment ou du tempérament. Le tempérament est une maladie à guérir ; le sentiment offre à un mari de grandes chances de succès ; mais la vanité est incurable. La femme qui vit de la tête est un épouvantable fléau. Elle réunira les défauts de la femme passionnée et de la femme aimante, sans en avoir les excuses. Elle est sans pitié, sans amour, sans vertu, sans sexe.


LXXXVIII.

Une femme qui vit de la tête, tâchera d’inspirer à un mari de l’indifférence ; la femme qui vit du cœur, de la haine ; la femme passionnée, du dégoût.


LXXXIX.

Un mari ne risque jamais rien de faire croire à la fidélité de sa femme, et de garder un air patient ou le silence. Le silence surtout inquiète prodigieusement les femmes.


XC.

Paraître instruit de la passion de sa femme est d’un sot ; mais feindre d’ignorer tout, est d’un homme d’esprit, et il n’y a guère que ce parti à prendre. Aussi dit-on qu’en France tout le monde est spirituel.


XCI.

Le grand écueil est le ridicule. — Au moins aimons-nous en public ! doit être l’axiome d’un ménage. C’est trop perdre que de perdre tous deux l’honneur, l’estime, la considération, le respect, tout comme il vous plaira de nommer ce je ne sais quoi social.

Ces axiomes ne concernent encore que la lutte. Quant à la catastrophe elle aura les siens.




Nous avons nommé cette crise guerre civile par deux raisons : jamais guerre ne fut plus intestine et en même temps plus polie que celle-là. Mais où et comment éclatera-t-elle cette fatale guerre ?

Hé ! croyez-vous que votre femme aura des régiments et sonnera de la trompette ? Elle aura peut-être un officier, voilà tout. Et ce faible corps d’armée suffira pour détruire la paix de votre ménage.

— Vous m’empêchez de voir ceux qui me plaisent ! est un exorde qui a servi de manifeste dans la plupart des ménages. Cette phrase et toutes les idées qu’elle traîne à sa suite, est la formule employée le plus souvent par des femmes vaines et artificieuses.

Le manifeste le plus général est celui qui se proclame au lit conjugal, principal théâtre de la guerre. Cette question sera traitée particulièrement dans la Méditation intitulée : De s différentes armes, au paragraphe : de la pudeur dans ses rapports avec le mariage.

Quelques femmes lymphatiques affecteront d’avoir le spleen, et feront les mortes pour obtenir les bénéfices d’un secret divorce.

Mais presque toutes doivent leur indépendance à un plan dont l’effet est infaillible sur la plupart des maris et dont nous allons trahir les perfidies.

Une des plus grandes erreurs humaines consiste dans cette croyance que notre honneur et notre réputation s’établissent par nos actes, ou résultent de l’approbation que la conscience donne à notre conduite. Un homme qui vit dans le monde est né l’esclave de l’opinion publique. Or un homme privé a, en France, bien moins d’action que sa femme sur le monde, il ne tient qu’à celle-ci de le ridiculiser. Les femmes possèdent à merveille le talent de colorer par des raisons spécieuses les récriminations qu’elles se permettent de faire. Elles ne défendent jamais que leurs torts, et c’est un art dans lequel elles excellent, sachant opposer des autorités aux raisonnements, des assertions aux preuves, et remporter souvent de petits succès de détail. Elles se devinent et se comprennent admirablement quand l’une d’elles présente à une autre une arme qu’il lui est interdit d’affiler. C’est ainsi qu’elles perdent un mari quelquefois sans le vouloir. Elles apportent l’allumette, et, long-temps après, elles sont effrayées de l’incendie.

En général, toutes les femmes se liguent contre un homme marié accusé de tyrannie ; car il existe un lien secret entre elles, comme entre tous les prêtres d’une même religion. Elles se haïssent, mais elles se protégent. Vous n’en pourriez jamais gagner qu’une seule ; et encore pour votre femme, cette séduction serait un triomphe.

Vous êtes alors mis au ban de l’empire féminin. Vous trouvez des sourires d’ironie sur toutes les lèvres, vous rencontrez des épigrammes dans toutes les réponses. Ces spirituelles créatures forgent des poignards en s’amusant à en sculpter le manche avant de vous frapper avec grâce.

L’art perfide des réticences, les malices du silence, la méchanceté des suppositions, la faussé bonhomie d’une demande, tout est employé contre vous. Un homme qui prétend maintenir sa femme sous le joug est d’un trop dangereux exemple, pour qu’elles ne le détruisent pas ; sa conduite ne ferait-elle pas la satire de tous les maris ? Aussi, toutes vous attaquent-elles soit par d’amères plaisanteries, soit par des arguments sérieux ou par les maximes banales de la galanterie. Un essaim de célibataires appuie toutes leurs tentatives, et vous êtes assailli, poursuivi comme un original, comme un tyran, comme un mauvais coucheur, comme un homme bizarre, comme un homme dont il faut se défier.

Votre femme vous défend à la manière de l’ours dans la fable de La Fontaine : elle vous jette des pavés à la tête pour chasser les mouches qui s’y posent. Elle vous raconte, le soir, tous les propos qu’elle a entendu tenir sur vous, et vous demandera compte d’actions que vous n’aurez point faites, de discours que vous n’aurez pas tenus. Elle vous aura justifié de délits prétendus ; elle se sera vantée d’avoir une liberté qu’elle n’a pas, pour vous disculper du tort que vous avez de ne pas la laisser libre. L’immense crécelle que votre femme agite vous poursuivra partout de son bruit importun. Votre chère amie vous étourdira, vous tourmentera et s’amusera à ne vous faire sentir que les épines du mariage. Elle vous accueillera d’un air très-riant dans le monde, et sera très-revêche à la maison. Elle aura de l’humeur quand vous serez gai, et vous impatientera de sa joie quand vous serez triste. Vos deux visages formeront une antithèse perpétuelle.

Peu d’hommes ont assez de force pour résister à cette première comédie, toujours habilement jouée, et qui ressemble au hourra que jettent les Cosaques en marchant au combat. Certains maris se fâchent et se donnent des torts irréparables. D’autres abandonnent leurs femmes. Enfin quelques intelligences supérieures ne savent même pas toujours manier la baguette enchantée qui doit dissiper cette fantasmagorie féminine.

Les deux tiers des femmes savent conquérir leur indépendance par cette seule manœuvre, qui n’est en quelque sorte que la revue de leurs forces. La guerre est ainsi bientôt terminée.

Mais un homme puissant, qui a le courage de conserver son sang-froid au milieu de ce premier assaut, peut s’amuser beaucoup en dévoilant à sa femme, par des railleries spirituelles, les sentiments secrets qui la font agir, en la suivant pas à pas dans le labyrinthe où elle s’engage, en lui disant à chaque parole qu’elle se ment à elle-même, en ne quittant jamais le ton de la plaisanterie, et en ne s’emportant pas.

Cependant la guerre est déclarée ; et si un mari n’a pas été ébloui par ce premier feu d’artifice, une femme a pour assurer son triomphe bien d’autres ressources que les Méditations suivantes vont dévoiler.