Physiologie du Mariage/Post-scriptum

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Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 617-620).

POST-SCRIPTUM.

— Et, vous marierez-vous ?… demanda la duchesse à qui l’auteur venait de lire son manuscrit.

(C’était l’une des deux dames à la sagacité desquelles l’auteur a déjà rendu hommage dans l’introduction de son livre.)

— Certainement, madame, répondit-il. Rencontrer une femme assez hardie pour vouloir de moi sera désormais la plus chère de toutes mes espérances.

— Est-ce résignation ou fatuité ?…

— C’est mon secret.

— Eh ! bien, monsieur le docteur ès-arts et sciences conjugales, permettez-moi de vous raconter un petit apologue oriental que j’ai lu jadis dans je ne sais quel recueil qui nous était offert, chaque année, en guise d’almanach. Au commencement de l’empire, les dames mirent à la mode un jeu qui consistait à ne rien accepter de la personne avec laquelle on convenait de jouer sans dire le mot Diadesté. Une partie durait, comme bien vous pensez, des semaines entières, et le comble de la finesse était de se surprendre l’un ou l’autre à recevoir une bagatelle sans prononcer le mot sacramentel.

— Même un baiser ?

— Oh ! j’ai vingt fois gagné le Diadesté ainsi ! dit-elle en riant.

— Ce fut, je crois, en ce moment et à l’occasion de ce jeu, dont l’origine est arabe ou chinoise, que mon apologue obtint les honneurs de l’impression. — Mais, si je vous le raconte, dit-elle en s’interrompant elle-même pour effleurer l’une de ses narines avec l’index de sa main droite par un charmant geste de coquetterie, permettez-moi de le placer à la fin de votre ouvrage…

— Ne sera-ce pas le doter d’un trésor ?… Je vous ai déjà tant d’obligations, que vous m’avez mis dans l’impossibilité de m’acquitter : ainsi j’accepte.

Elle sourit malicieusement et reprit en ces termes : — Un philosophe avait composé un fort ample recueil de tous les tours que notre sexe peut jouer ; et, pour se garantir de nous, il le portait continuellement sur lui. Un jour, en voyageant, il se trouva près d’un camp d’Arabes. Une jeune femme, assise à l’ombre d’un palmier, se leva soudain à l’approche du voyageur, et l’invita si obligeamment à se reposer sous sa tente, qu’il ne put se défendre d’accepter. Le mari de cette dame était alors absent. Le philosophe se fut à peine posé sur un moelleux tapis, que sa gracieuse hôtesse lui présenta des dattes fraîches et un al-carasaz plein de lait ; il ne put s’empêcher de remarquer la rare perfection des mains qui lui offrirent le breuvage et les fruits. Mais, pour se distraire des sensations que lui faisaient éprouver les charmes de la jeune Arabe, dont les piéges lui semblaient redoutables, le savant prit son livre et se mit à lire. La séduisante créature, piquée de ce dédain, lui dit de la voix la plus mélodieuse : — Il faut que ce livre soit bien intéressant, puisqu’il vous paraît la seule chose digne de fixer votre attention. Est-ce une indiscrétion que de vous demander le nom de la science dont il traite ?… Le philosophe répondit en tenant les yeux baissés : — Le sujet de ce livre n’est pas de la compétence des dames ! Ce refus du philosophe excita de plus en plus la curiosité de la jeune Arabe. Elle avança le plus joli petit pied qui jamais eût laissé sa fugitive empreinte sur le sable mouvant du désert. Le philosophe eut des distractions, et son œil, trop puissamment tenté, ne tarda pas à voyager de ces pieds, dont les promesses étaient si fécondes, jusqu’au corsage plus ravissant encore ; puis il confondit bientôt la flamme de son admiration avec le feu dont pétillaient les ardentes et noires prunelles de la jeune Asiatique. Elle redemanda d’une voix si douce quel était ce livre, que le philosophe charmé répondit : — Je suis l’auteur de cet ouvrage ; mais le fond n’est pas de moi, il contient toutes les ruses que les femmes ont inventées. — Quoi !…toutes absolument ? dit la fille du désert. — Oui, toutes ! Et ce n’est qu’en étudiant constamment les femmes que je suis parvenu à ne plus les redouter. — Ah !… dit la jeune Arabe en abaissant les longs cils de ses blanches paupières, puis, lançant tout à coup le plus vif de ses regards au prétendu sage, elle lui fit oublier bientôt et son livre et les tours qu’il contenait. Voilà mon philosophe le plus passionné de tous les hommes. Croyant apercevoir dans les manières de la jeune femme une légère teinte de coquetterie, l’étranger osa hasarder un aveu. Comment aurait-il résisté ? le ciel était bleu, le sable brillait au loin comme une lame d’or, le vent du désert apportait l’amour, et la femme de l’Arabe semblait réfléchir tous les feux dont elle était entourée : aussi ses yeux pénétrants devinrent humides ; et, par un signe de tête qui parut imprimer un mouvement d’ondulation à cette lumineuse atmosphère, elle consentit à écouter les paroles d’amour que disait l’étranger. Le sage s’enivrait déjà des plus flatteuses espérances, quand la jeune femme, entendant au loin le galop d’un cheval qui semblait avoir des ailes, s’écria : — Nous sommes perdus ! mon mari va nous surprendre. Il est jaloux comme un tigre et plus impitoyable… Au nom du prophète, et si vous aimez la vie, cachez-vous dans ce coffre !… L’auteur épouvanté, ne voyant point d’autre parti à prendre pour se tirer de ce mauvais pas, entra dans le coffre, s’y blottit ; et, la femme le refermant sur lui, en prit la clef. Elle alla au-devant de son époux ; et, après quelques caresses qui le mirent en belle humeur : — Il faut, dit-elle, que je vous raconte une aventure bien singulière. — J’écoute, ma gazelle, répondit l’Arabe qui s’assit sur un tapis en croisant les genoux selon l’habitude des Orientaux. — Il est venu aujourd’hui une espèce de philosophe ! dit-elle. Il prétend avoir rassemblé dans un livre toutes les fourberies dont est capable mon sexe, et ce faux sage m’a entretenue d’amour. — Eh ! bien.. s’écria l’Arabe. — Je l’ai écouté !… reprit-elle avec sang-froid, il est jeune, pressant et… vous êtes arrivé fort à propos pour secourir ma vertu chancelante !… L’Arabe bondit comme un lionceau, et tira son cangiar en rugissant. Le philosophe qui, du fond de son coffre, entendait tout, donnait à Arimane son livre, les femmes et tous les hommes de l’Arabie-Pétrée. — Fatmé !… s’écria le mari, si tu veux vivre, réponds !… Où est le traître ?… Effrayée de l’orage qu’elle s’était plu à exciter, Fatmé se jeta aux pieds de son époux, et, tremblant sous l’acier menaçant du poignard, elle désigna le coffre par un seul regard aussi prompt que timide. Elle se releva honteuse, et, prenant la clef qu’elle avait à sa ceinture, elle la présenta au jaloux ; mais au moment où il se disposait à ouvrir le coffre, la malicieuse Arabe partit d’un grand éclat de rire. Faroun s’arrêta tout interdit, et regarda sa femme avec une sorte d’inquiétude. — Enfin j’aurai ma belle chaîne d’or ! s’écria-t-elle en sautant de joie, donnez-la-moi, vous avez perdu le Diadesté. Une autre fois ayez plus de mémoire. Le mari, stupéfait, laissa tomber la clef, et présenta la prestigieuse chaîne d’or à genoux, en offrant à sa chère Fatmé de lui apporter tous les bijoux des caravanes qui passeraient dans l’année, si elle voulait renoncer à employer des ruses si cruelles pour gagner le Diadesté. Puis, comme c’était un Arabe, et qu’il n’aimait pas à perdre une chaîne d’or, bien qu’elle dût appartenir à sa femme, il remonta sur son coursier et partit, allant grommeler à son aise dans le désert, car il aimait trop Fatmé pour lui montrer des regrets. La jeune femme, tirant alors le philosophe plus mort que vif du coffre où il gisait, lui dit gravement : — Monsieur le docteur, n’oubliez pas ce tour-là dans votre recueil.

— Madame, dis-je à la duchesse, je comprends ! Si je me marie, je dois succomber à quelque diablerie inconnue ; mais, j’offrirai, dans ce cas, soyez-en certain, un ménage modèle à l’admiration de mes contemporains.

Paris, 1824-1829.