Physiologie du ridicule/Aphorismes

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(p. 241-244).


APHORISMES


Les grandes passions ne sont jamais ridicules, aussi conduisent-elles à la misère, au meurtre, à la démence, au suicide.


La haine et l’envie, ces deux monstres acharnés au mérite, aux talents, s’apaisent à la seule vue d’un ridicule.


Voulez-vous paraître étrange ? Faites le bien à votre goût, n’imitez personne.


Quoi de plus heureux que deux amants qui s’admirent, qui s’adorent tout haut ! eh bien, que sont-ils ?…


Le ridicule est l’enseigne du talent, le cachet du génie : Pascal avait peur du diable.

Racine craignait Pradon.

Molière était jaloux.

La Fontaine faisait rire de lui par ses inconcevables distractions.

Boileau, par ses infortunes comiques.

L’auteur de la Pucelle communiait à Genève.

J.-J. Rousseau s’habillait en Arménien.

Crébillon travaillait entouré de corbeaux ; c’était, disait-il, sa cabale.

Le grand despote Frédéric faisait de la philanthropie épistolaire.

Goëthe était superstitieux ; madame de Staël, si admirable à lire, se faisait peindre.

L’empereur Napoléon, ce géant de notre siècle, le maître de tant de peuples, était l’esclave de sa tabatière, et dansait la monaco.

Enfin, l’abbé Delille se laissait battre par sa femme.

Nous ne parlerons pas des ridicules de nos grands hommes vivants, mais ils sont là pour servir de preuves à l’appui de notre système sur la vaste puissance du ridicule.