Physique d'Aristote (Jules Barthélemy Saint-Hilaire)

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TABLE DES MATIÈRES.


DU PREMIER VOLUME
DE LA PHYSIQUE D’ARISTOTE.
Séparateur


PAGES.
Préface 
 i
Paraphrase de la Physique d’Aristote 
 1
Dissertation sur la composition de la Physique. 
 415
Leçons de Physique, Livre I 
 429
Table des matières du premier volume 
 496
TABLE DES MATIÈRES
du second volume
DE LA PHYSIQUE D’ARISTOTE

PAGES.
Leçons de Physique, Livre II 
 1
Leçons de Physique, Livre III 
 67
Leçons de Physique, Livre IV 
 138
Leçons de Physique, Livre V 
 273
Leçons de Physique, Livre VI 
 337
Leçons de Physique, Livre VII 
 413
Leçons de Physique, Livre VIII 
 453
Table générale des matières 
 571
Table des matières du second volume 
 639

fin.

Fac-simile La Physique d’Aristote

LIVRE PREMIER
DES PRINCIPES DE L’ÊTRE

CHAPITRE PREMIER.

De la méthode à suivre dans l’étude de la nature : Il faut procéder des faits particuliers et composés, qui sont pour nous les plus notoires et les plus clairs, et remonter par l’analyse jusqu’aux principes universels, aux causes des choses, et à leurs éléments simples, qui sont les plus clairs et les plus notoires en soi. — Exemple des noms par rapport à la définition ; exemple des enfants.

§ 1[1]. Comme on ne parvient à comprendre et à savoir quelque chose dans tout sujet de recherches méthodiques où il y a des principes, des causes et des éléments, que du moment où on les connaît ; car on ne pense jamais connaître une chose que quand on en connaît les causes premières, les principes premiers, et jusqu’à ses éléments ; de même aussi pour la science de la nature, il est évident que l’on doit tout d’abord prendre soin de déterminer ce qui regarde les principes.

§ 2[2]. La marche qui semble ici toute naturelle, c’est de procéder des choses qui sont plus connues et plus claires pour nous, aux choses qui sont plus claires et plus connues par leur propre nature. En effet, les choses qui sont notoires absolument, et les choses qui sont notoires pour nous, ne sont pas les mêmes ; et voilà comment c’est une nécessité de commencer par les choses qui, bien que plus obscures par nature, sont cependant plus notoires pour nous, afin de passer ensuite aux choses qui sont naturellement plus claires et plus connues en soi. § 3[3]. Ce qui est d’abord pour nous le plus notoire et le plus clair, c’est ce qui est le plus composé et le plus confus. Mais ensuite en partant de ces composés mêmes, les éléments et les principes nous sont rendus clairs par les divisions que nous en faisons. § 4[4]. Ainsi donc il faut s’avancer du général au particulier ; car le tout que donne la sensation est plus connu ; et le général est une espèce de tout, puisque le général contient dans son ensemble une foule de choses à l’état de simples parties. § 5[5]. C’est un rapport assez analogue à celui-là, que les noms des choses soutiennent avec les définitions. Les noms, en effet, expriment aussi une totalité quelconque ; mais ils l’expriment d’une manière indéterminée ; par exemple, le mot Cercle, que la définition résout ensuite dans ses éléments particuliers. § 6[6]. C’est encore ainsi que les enfants appellent d’abord Papa et Maman, tous les hommes, toutes les femmes, qu’ils voient ; mais plus tard ils les distinguent fort bien les uns et les autres.


CHAPITRE II

Des principes ; unité et pluralité des principes : Parménide et Mélissus, les philosophes Ioniens et Démocrite. — L’unité absolue de l’être implique la négation de tous principes et détruit l’étude de la nature ; thèse d’Héraclite ; erreur grossière de Mélissus, l’être n’est point immobile ; il y a des êtres soumis au mouvement. — Méthode des Géomètres ; démonstration d’Antiphon. Méthode à suivre pour critiquer les théories antérieures.

§ 1[7]. Nécessairement il doit y avoir dans l’être ou un principe unique ou plusieurs principes. En supposant que ce principe soit unique, il doit être, ou immobile, comme le prétendent Parménide et Mélissus, ou mobile, comme l’affirment les Physiciens, soit qu’ils trouvent ce premier principe dans l’air, soit qu’ils le trouvent dans l’eau. En admettant qu’il y a plusieurs principes, ces principes sont en nombre fini et infini ; s’ils sont finis, mais en étant toujours plus d’un, ils sont alors deux, trois, quatre ou tel autre nombre ; s’ils sont infinis, ils peuvent être comme l’entend Démocrite, d’un seul et même genre, ne différant qu’en figure et en espèce ; ou bien ils vont même jusqu’à être contraires.

§ 2[8]. C’est encore une étude toute pareille que font les philosophes qui recherchent quel est le nombre des êtres ; car ils recherchent d’abord si la source d’où sortent les êtres et les choses, est un principe unique, ou bien si ce sont plusieurs principes ; puis en supposant qu’il y ait plusieurs principes, ils se demandent s’ils sont finis ou infinis. Par conséquent, c’est rechercher encore si le principe et l’élément des choses est unique, ou s’il y en a plusieurs. § 3[9]. Cependant, étudier cette question de savoir si l’être est un et immobile, ce n’est plus étudier la nature ; car de même que le Géomètre n’a plus rien à dire à un adversaire qui lui nie ses principes, et que cette discussion appartient dès lors à une autre science que la géométrie ou à une science commune de tous les principes, de même le philosophe qui s’occupe des principes de la nature, ne doit pas accepter la discussion sur ce terrain. Du moment, en effet, que l’être est un, et un au sens d’immobilité où on le prétend, il n’y a plus à proprement dire de principe, puisqu’un principe est toujours le principe d’une ou de plusieurs autres choses. § 4[10]. Examiner si l’être est en ce sens, revient tout a fait à discuter telle autre thèse tout aussi vaine, parmi celles qui ne sont avancées que pour le besoin de la dispute, comme la fameuse thèse d’Héraclite. Autant vaudrait soutenir que l’être entier se concentre dans un seul individu de l’espèce humaine. § 5[11]. Au fond, c’est simplement réfuter un argument captieux, défaut que présentent les deux opinions de Mélissus et de Parménide ; car elles reposent toutes deux sur des prémisses fausses, et elles ne concluent pas régulièrement. Mais le raisonnement de Mélissus est encore le plus grossier, et il ne peut pas même causer la moindre hésitation ; car il suffit d’une seule donnée absurde pour que toutes les conséquences le soient également ; et c’est une chose des plus faciles à voir.

§ 6[12]. Quant à nous, posons comme un principe fondamental que les choses de la nature, soit toutes, soit quelques-unes au moins sont soumises au mouvement ; et c’est là un fait que l’induction ou l’observation nous apprend avec toute évidence. § 7[13]. Mais, en même temps, nous ne prétendrons point répondre à toutes les questions, et nous ne réfuterons que les erreurs que l’on commet dans les démonstrations en partant des principes ; nous laisserons de côté toutes celles qui n’en partent pas. C’est ainsi, par exemple, que c’est au géomètre de réfuter la démonstration de la quadrature du cercle par les segments ; mais le géomètre n’a plus rien à faire avec celle d’Antiphon. § 8[14]. Néanmoins, comme sans traiter précisément de la nature, ces philosophes touchent à des questions physiques, il sera peut-être utile d’en dire ici quelques mots : car ces recherches ne laissent pas que d’avoir leur côté de philosophie.


CHAPITRE III.

Critique des théories qui admettent l’unité de l’être ; ce qu’on entend par l’unité de l’être ; acceptions diverses des mots Être et Un ; théorie de Mélissus sur l’infinité de l’être, et de Parménide sur la finitude de l’être. Confusion absolue des êtres dans la théorie d’Héraclite et de Lycophron. — L’être n’est pas un ; et les êtres sont multiples.

§ 1[15]. Comme le mot d’Être reçoit plusieurs acceptions, notre point de départ le plus convenable sera d’examiner d’abord ce qu’on entend quand on dit que l’être est un. Comprend-on par là que tout l’être est substance, ou bien que tout l’être est ou quantité ou qualité ? Si tout est substance dans l’être, comprend-on que c’est une substance unique qui est tout l’être ? et, par exemple, un homme un, un cheval un, une âme une, qui serait la substance de tout l’être ? Si tout est qualité dans l’être, comprend-on que c’est une qualité unique ? et, par exemple, que c’est le blanc, le chaud, ou telle autre qualité du même genre ? Ce sont-là des points de vue très différents ; mais ils sont tous également impossibles à soutenir. § 2[16]. En effet, si l’être est substance et quantité et qualité, que d’ailleurs la qualité, la quantité et la substance soient indépendantes et séparées les unes des autres ou ne le soient pas, il en résulte toujours qu’il y a plusieurs sortes d’êtres. § 3[17]. Si l’on dit que les êtres tout entiers sont qualité ou quantité, en admettant d’ailleurs ou en rejetant la substance, c’est une opinion absurde, si l’on peut qualifier d’absurde ce qui est impossible ; car rien ne peut exister séparément, si ce n’est la substance, puisque tout le reste se dit comme attribut de la substance qui est le seul support. § 4[18]. Mélissus soutient que l’être est infini ; à ses yeux, l’être est donc une certaine quantité, puisque l’infini est dans la quantité. Or, la substance, pas plus que la qualité ou l’affection, ne saurait jamais être infinie, si ce n’est accidentellement, c’est-à-dire à moins d’être en même temps considérée comme des quantités à un certain point de vue. La définition de l’infini emprunte l’idée de quantité, mais ne suppose point celle de substance, ni celle de qualité. Si donc l’être est à la fois substance et quantité, dès lors il est deux et non plus un. § 5[19]. Si l’être n’est que substance, il n’est plus infini ; il n’a même plus de grandeur quelconque ; car il faudrait qu’il fût une quantité.

§ 6[20]. D’une autre part, comme le mot Un se prend en plusieurs acceptions tout aussi bien que le mot Être, il faut examiner à ce nouveau point de vue en quel sens on dit que tout l’être est un. Un se dit pour exprimer qu’une chose est continue ou qu’elle est indivisible ; ou ce mot s’applique aux choses dont la définition essentielle, destinée à expliquer ce qu’elles sont, est une seule et même définition, comme, par exemple, la définition du Jus de la treille et celle du Vin.

§ 7[21]. Si par Un on entend continu, l’être alors est multiple, puisque le continu est divisible à l’infini. § 8[22]. Mais ici l’on élève sur les rapports de la partie et du tout une question qui, sans tenir peut-être bien directement à notre sujet, mérite néanmoins par elle-même qu’on l’examine, c’est de savoir si le tout et la partie sont une seule chose ou plusieurs choses ; de quelle manière ils sont ou une seule chose ou plusieurs ; en supposant que ce sont plusieurs choses, comment cette multiplicité a lieu, recherche qui peut également s’appliquer à des parties non continues ; et enfin si chacune de ces parties, en tant qu’indivisible, est une avec le tout, attendu que chacune de ces parties constitue aussi une unité par elle-même.

§ 9[23]. Si l’être est un en tant qu’indivisible, il n’est plus alors ni quantité ni qualité, et il cesse d’être infini comme le croit Mélissus. Il n’est pas davantage fini, comme le soutient Parménide, puisque c’est la fin, la limite seule qui est indivisible, et non point du tout le fini lui-même. § 10[24]. Si l’on dit que tous les êtres peuvent être un, parce qu’ils auraient une définition commune, comme, par exemple, Vêtement et Habit se définissent de même, on ne fait plus alors que reproduire l’opinion d’Héraclite. Désormais tout se confond ; le bien se confond avec le mal, ce qui n’est pas bon avec ce qui est bon ; le bien et ce qui n’est pas bien sont identiques ; l’homme et le cheval sont tout un. Mais alors ce n’est plus affirmer vraiment que tous les êtres sont un, c’est affirmer qu’ils ne sont rien, et que la qualité et la quantité sont identiques.

§ 11[25]. Du reste, les plus récents, tout aussi bien que les anciens, se sont beaucoup troublés de la crainte de prêter tout ensemble à une même chose l’unité et la multiplicité. Pour échapper à cette contradiction, les uns ont supprimé le verbe d’existence et retranché le mot Est, comme Lycophron. Les autres ont atténué l’expression pour la mettre en harmonie avec leurs idées ; et pour ne pas dire que l’homme cet blanc, ils disaient qu’il blanchit ; au lieu de dire qu’il est marchant, ils disaient qu’il marche ; et tout cela pour éviter, en admettant le mot Est, de faire plusieurs êtres de ce qui est un, supposant sans doute que l’Un et l’Etre ne peuvent avoir qu’une seule acception. § 12[26]. Mais les êtres sont multiples, d’abord par leur définition ; car la définition de blanc, par exemple, est autre que celle de musicien, bien que ces deux qualités puissent appartenir à un seul et même être ; et, par conséquent, l’Un est multiple ; ou bien les êtres sont multiples aussi par la division, comme le tout et les parties. Sur ce dernier point, les philosophes dont nous parlons s’embarrassaient fort, et ils avouaient que l’Un est multiple, comme si la même chose ne pouvait pas être une et plusieurs à la fois, en ce sens seulement qu’elle ne peut avoir à la fois les qualités opposées, puisque l’Un peut exister et en simple puissance, et en réalité complète ou entéléchie.

§ 13[27]. En suivant la méthode qui vient d’être exposée, on peut conclure qu’il est impossible que les êtres soient un seul et même être.


CHAPITRE IV.

Réfutation de Mélissus ; réfutation de Parménide ; conséquences insoutenables de ces deux systèmes. — L’unité de l’être ne peut se comprendre. — Systèmes qui ont admis à la fois l’unité et la division de l’être ; réfutation de ces systèmes.

§ 1[28]. Même en partant des principes que ces philosophes admettent dans leurs démonstrations, il n’est pas difficile de résoudre les questions qui les arrêtent. Le raisonnement de Mélissus et de Parménide est également captieux ; ils ont l’un et l’autre des prémisses fausses, et ils ne concluent pas régulièrement. Mais le raisonnement de Mélissus est encore plus grossier et ne peut pas même causer la moindre hésitation. Il suffit d’une seule donnée absurde pour que toutes les conséquences le soient également ; et c’est une chose des plus faciles à voir. § 2[29]. Il est de toute évidence que Mélissus raisonne mal ; car il admet cette hypothèse, que du moment que tout ce qui a été produit a un principe, ce qui n’a pas été produit ne doit point en avoir. § 3[30]. C’est encore une erreur non moins grave de supposer que toute chose a un commencement et que le temps n’en a point ; qu’il n’y a point de principe pour la génération absolue, mais qu’il y en a pour l’altération, comme s’il n’y avait pas tel changement complet qui se produit tout d’une pièce. § 4[31]. Ensuite, pourquoi l’être doit-il être immobile, parce qu’il est un ? En effet, quand une partie du tout qui est bien une, de l’eau, par exemple, se meut par elle-même, pourquoi l’être entier ne pourrait-il pas se mouvoir, lui aussi, de la même façon ? Et pourquoi l’altération y serait-elle impossible ? § 5[32]. Enfin, il ne se peut pas que l’être soit un en espèce, à moins que ce ne soit par l’identité du principe d’où il sort. Il est même certains physiciens qui entendent l’unité de l’être entier en ce dernier sens, et qui ne l’entendent pas dans l’acception précédente ; car, disent-ils, l’homme, par exemple, est en espèce différent du cheval, et les contraires diffèrent également d’espèce entre eux.

§ 6[33]. Les mêmes arguments peuvent être employés contre Parménide, bien qu’on puisse aussi lui en opposer de spéciaux ; et la réfutation consiste encore pour lui à démontrer d’une part que ses données sont fausses, et d’autre part qu’elles ne concluent pas. § 7[34]. D’abord la donnée est fausse en ce qu’il suppose que le mot Être n’a qu’un seul sens, tandis qu’il en a plusieurs. § 8[35]. En second lieu, il ne conclut pas régulièrement en ce qu’en admettant même que le blanc soit un, les objets blancs n’en sont pas moins plusieurs et non point un seul évidemment. En effet, le blanc n’est un ni par la continuité, ni par la définition ; car l’essence de la blancheur est autre que l’essence de l’être qui reçoit cette blancheur ; et, en dehors de l’être qui est blanc, il n’existe pas de substance séparée, puisque ce n’est pas en tant que la blancheur est séparée qu’elle diffère de l’être blanc. Mais, encore une fois, c’est que l’essence de la blancheur est autre que l’essence de l’être à qui cette blancheur appartient ; or, c’est ce que Parménide n’a pas su voir.

§ 9[36]. Ainsi donc, quand on soutient que l’être est un, il faut de toute nécessité admettre non seulement que l’être exprime l’Un, bien que l’Un lui soit attribué, mais qu’il exprime aussi tout ensemble et l’existence réelle de l’être, et l’existence réelle de l’Un, puisque l’accident est toujours attribué à un sujet. Par suite le sujet auquel alors on applique l’être comme attribut, n’a plus d’existence propre puisqu’il est différent de l’être ; et voilà un être sans existence qui existe. C’est que de fait rien n’a l’existence substantielle que ce qui est réellement ; car il ne se peut pas qu’un être soit son attribut à lui-même, à moins que le mot Être n’ait plusieurs sens qui permettent d’attribuer l’existence à chacune de ces choses particulières. Mais on suppose que l’Être ne signifie que l’Un. § 10[37]. Si donc l’être réel n’est jamais l’attribut accidentel de quoi que ce soit, mais qu’il reçoive au contraire les attributs, comment pourra-t-on dire que l’être vrai signifie l’être plutôt que le non-être ? Car si l’être réel se confond avec le blanc par exemple, et que l’essence du blanc ne soit pas identique à celle de l’être, puisqu’aucun être ne peut jamais être l’attribut du blanc, il s’en suit qu’il n’y a d’être que l’être réel ; et le blanc dès lors n’est pas, non point en ce sens qu’il n’est pas tel être, mais en ce sens qu’il n’est pas absolument du tout. Ainsi l’être réel devient un non-être ; car il est exact de dire qu’il est blanc, et le blanc n’exprimait pas l’être. § 11[38]. En résumé, si le blanc exprime un être réel, il faut reconnaître dès lors que le mot Être peut avoir plusieurs sens divers.

§ 12[39]. L’être, tel que le comprend Parménide, ne sera même plus susceptible d’une dimension quelconque, du moment que ce seul être est l’être réel, puisque chacune des deux parties du tout a toujours un être différent. § 13[40]. Pour se convaincre que l’être réel se divise essentiellement en un autre être, il suffit de regarder à la définition d’un être quelconque. Par exemple, si l’homme est défini un certain être réel, il faut absolument que l’animal et le bipède soient également des êtres ; car si ce ne sont pas des êtres, ce sont des accidents, soit de l’homme soit de tout autre sujet ; ce qui est évidemment impossible. § 14[41]. En effet on entend par accident ou attribut dans le langage ordinaire, d’abord ce qui peut indifféremment être et ne pas être dans le sujet, et ensuite ce dont la définition comprend l’être dont il est l’attribut. Ainsi être assis est un simple accident d’un être quelconque, en tant qu’accident séparable ; mais dans l’attribut Camard, il y a la définition de nez ; car c’est du nez seul que nous disons qu’il peut accidentellement être camard.

§ 15[42]. Il faut ajouter encore que tout ce qui est compris dans la définition essentielle d’une chose, ou qui en forme les éléments, ne comprend pas néanmoins nécessairement dans sa définition, la définition du tout lui-même. Ainsi, la définition de l’homme n’est pas dans celle du bipède ; ou bien encore celle de l’homme blanc n’est pas dans la définition du blanc. § 16[43]. Si donc il en est ainsi, et que le bipède soit un simple accident de l’homme, il faut nécessairement que l’accident soit séparable, c’est-à-dire que l’homme puisse n’être pas bipède ; ou autrement, la définition de l’homme serait impliquée dans l’idée de bipède. Mais c’est là ce qui est impossible, puisqu’au contraire c’est l’idée de bipède qui est impliquée dans la définition de l’homme. § 17[44]. Si bipède, ainsi qu’animal, peut être l’accident d’un autre être, il s’ensuit que ni l’un ni l’autre ne sont des êtres réels, et que l’homme est aussi au nombre des accidents qui peuvent être attribués à un autre être. Mais l’être réel est précisément ce qui ne peut jamais être accident ou attribut de quoi que ce soit ; c’est le sujet auquel s’appliquent les deux termes, soit chacun séparément, soit même réunis dans le composé total qu’ils forment.

§ 18[45]. Ainsi donc, l’être total est composé d’indivisibles.

§ 19[46]. Quelques philosophes ont donné les mains aux deux solutions à la fois ; d’une part, à celle qui admet que tout est un, si l’être signifie l’un, et que le non-être lui-même est quelque chose ; et, d’autre part, à celle qui arrive par la méthode de division successive en deux, par la dichotomie, à reconnaître des existences et des grandeurs individuelles. § 20[47]. Mais, évidemment, il est faux de conclure, parce que l’être signifierait l’un, et parce que les contradictoires ne peuvent être vraies à la fois, qu’il n’y a pas de non-être ; car rien ne s’oppose à ce que le non-être soit non pas absolument quelque chose qui n’est pas, mais qu’il ne soit pas un certain être. Ce qui est absurde c’est de soutenir que tout est un par cela seul qu’il n’existe rien en dehors de l’être lui-même ; car qui pourrait comprendre ce qu’est l’être, s’il n’est pas un certain être réel ? Et, s’il en est ainsi, rien ne s’oppose à ce que les êtres soient multiples, ainsi que je l’ai dit.

§ 21[48]. Il est donc de toute évidence qu’à ce point de vue il est impossible de dire que l’être soit un.


CHAPITRE V.

Réfutation de quelques autres systèmes sur l’unité de l’être : les Physiciens, Platon, Anaximandre, Empédocle. Réfutation spéciale d’Anaxagore. Il n’est pas possible que tout soit dans tout ; démonstration de l’absurdité de ce principe. Autre erreur d’Anaxagore sur la génération des choses. Empédocle.

§ 1[49]. Pour étudier ce que disent les Physiciens, il faut distinguer deux systèmes. § 2[50]. Les uns, trouvant l’unité de l’être dans le corps qui sert de sujet substantiel aux attributs, ce corps étant pour eux, soit un des trois éléments, soit tel autre corps, plus grossier que le feu et plus subtil que l’air, en font sortir tout le reste des êtres, dont ils reconnaissent la multiplicité, par les modifications infinies de la condensation et de la raréfaction, de la densité et de la légèreté. Mais ce sont là des contraires qui, d’une manière générale, ne sont qu’excès et défaut, comme le dit Platon en parlant du grand et du petit. Seulement Platon fait de ces contraires la matière même, réduisant l’unité de l’être à la simple forme, tandis que ces physiciens appellent matière le sujet qui est un, et appellent les contraires des différences et des espèces.

§ 3[51]. Quant aux autres physiciens, ils pensent que les contraires sortent de l’être un qui les renferme, comme le croient Anaximandre et tous ceux qui admettent à la fois l’unité et la pluralité des choses, par exemple, Empédocle et Anaxagore. Car ces deux derniers philosophes font sortir aussi tout le reste du mélange antérieur ; et la seule divergence de leurs opinions, c’est que l’un admet le retour périodique des choses, tandis que l’autre n’y admet qu’un mouvement unique ; c’est que l’un regarde comme infinies les parties similaires des choses et les contraires, tandis que l’autre ne reconnaît pour infinis que ce qu’on appelle les éléments.

§ 4[52]. Si Anaxagore a compris de cette façon l’infinité de l’être, c’est, à ce qu’il semble, parce qu’il se rangeait à l’opinion commune des Physiciens, que rien ne peut venir du néant ; car c’est par le même motif qu’il soutient que « tout à l’origine était mêlé et confus » et que « tout phénomène est un simple changement,» comme d’autres soutiennent encore qu’il n’y a jamais dans les choses que composition et décomposition. § 5[53]. Anaxagore s’appuie de plus sur ce principe que les contraires naissent les uns des autres ; donc ils existaient antérieurement dans le sujet ; car il faut nécessairement que tout ce qui se produit vienne de l’être ou du néant ; et s’il est impossible qu’il vienne du néant, axiome sur lequel tous les physiciens sont unanimement d’accord, reste cette opinion qu’ils ont dû accepter, à savoir que de toute nécessité les contraires naissent d’éléments qui existent déjà et sont dans le sujet, mais qui grâce à leur petitesse échappent à tous nos sens. § 6[54]. Ils soutenaient donc que tout est dans tout, parce qu’ils voyaient que tout peut naître de tout, et ils prétendaient que les choses ne paraissent différentes et ne reçoivent des noms distincts, que d’après l’élément qui domine en elles par son importance, au milieu du mélange des parties dont le nombre est infini. Ainsi, jamais le tout n’est purement ni blanc, ni noir, ni doux, ni chair, ni os ; mais c’est l’élément prédominant qui est pris pour la nature même de la chose.

§ 7[55]. Cependant, si l’infini, en tant qu’infini, ne peut être connu, l’infini en nombre et en grandeur étant incompréhensible dans sa quantité, et l’infini en espèce l’étant dans sa qualité, il s’ensuit que du moment que les principes sont infinis en nombre et en espèce, il est impossible de jamais connaître les combinaisons qu’ils forment, puisque nous ne croyons connaître un composé que quand nous savons l’espèce et le nombre de ses éléments. § 8[56]. De plus, si une chose dont la partie peut être d’une grandeur ou d’une petitesse quelconque, doit être elle-même susceptible de ces conditions, j’entends une de ces parties dans lesquelles se divise le tout ; et s’il est possible qu’un animal ou une plante soit d’une dimension arbitraire en grandeur ou en petitesse, il n’est pas moins clair qu’aucune de ses parties non plus ne peut être d’une grandeur quelconque, puisqu’alors le tout en serait également susceptible. Or, la chair, les os et les autres matières analogues sont des parties de l’animal, comme les fruits le sont des plantes ; et il est parfaitement évident qu’il est de toute impossibilité que la chair, l’os ou telle autre partie aient une grandeur quelconque indifféremment, soit en plus soit en moins.

§ 9[57]. En outre, si toutes les choses, telles qu’elles sont, existent les unes dans les autres et si elles ne peuvent jamais naître, ne faisant que se séparer du sujet où elles sont antérieurement, et étant dénommées d’après ce qui domine en elles, alors tout peut naître de tout indistinctement ; l’eau provient de la chair, d’où elle se sépare ; ou la chair provient de l’eau indifféremment. Mais alors tout corps fini est épuisé par le corps fini qu’on en retranche, et l’on voit sans peine qu’il n’est pas possible que tout soit dans tout ; car si de l’eau on retire de la chair, et que d’autre chair sorte encore du résidu, par voie de séparation, quelque petite que soit de plus en plus la chair ainsi tirée de l’eau, elle ne peut jamais, par sa ténuité, dépasser une certaine quantité appréciable. Par conséquent, si la décomposition s’arrête à un degré précis, c’est que tout n’est pas dans tout, puisqu’il n’y a plus de chair dans ce qui reste d’eau ; et si la décomposition ne s’arrête pas, et qu’il y ait séparation perpétuelle, dès lors il y aura dans une grandeur finie des parties finies et égales entr’elles qui seront en nombre infini ; et c’est là une chose impossible.

§ 10[58]. J’ajoute que, quand on enlève quelque chose à un corps quelconque, ce corps entier devient nécessairement plus petit. Or, la quantité de la chair est limitée soit en grandeur soit en petitesse. Ainsi, évidemment, de la quantité la plus petite possible de la chair, on ne pourra plus séparer aucun corps ; car, alors, il serait moindre que la quantité la plus petite possible. § 11[59]. D’autre part, il y aurait déjà, dans les corps supposés infinis, une chair infinie, du sang et du cerveau en quantité infinie, éléments séparés tous les uns des autres, mais qui n’en existent pas moins cependant, et chacun d’eux serait infini ; ce qui est dénué de toute raison. § 12[60]. Prétendre que jamais la séparation des éléments ne sera complète, c’est soutenir une idée dont peut-être on ne se rend pas bien compte, mais qui, au fond, n’en est pas moins juste. En effet, les qualités affectives des choses en sont inséparables. Si donc les couleurs et les propriétés des êtres, étaient primitivement mêlées à ces êtres, du moment qu’on les aura séparées, il y aura quelque qualité, par exemple, le blanc ou le salubre, qui ne sera absolument que salubre ou blanc, et qui ne pourra plus même alors être l’attribut d’aucun sujet. Mais l’Intelligence supposée par Anaxagore tombe dans l’absurde quand elle prétend réaliser des choses impossibles, et quand elle veut, par exemple, séparer les choses, lorsqu’il est de toute impossibilité de le faire, soit en quantité soit en qualité ; en quantité, parce qu’il n’y a pas de grandeur plus petite ; en qualité, parce que les affections des choses en sont inséparables.

§ 13[61]. Enfin, Anaxagore n’explique pas bien la génération des choses en la tirant de ses espèces similaires. En un sens, il est bien vrai que la boue se divise en d’autres boues ; mais, en un autre sens, elle ne s’y divise pas ; et si l’on peut dire que les murs viennent de la maison et la maison des murs, ce n’est pas du tout de la même manière qu’on peut dire que l’air et l’eau sortent et viennent l’un de l’autre. § 14[62]. Il vaudrait mieux admettre des principes moins nombreux et finis, comme l’a fait Empédocle.


CHAPITRE VI.

Tous les physiciens s’accordent à regarder les contraires comme des principes ; Parménide, Démocrite. — Les contraires sont en effet des principes ; démonstration de cette théorie, qui est exacte. Considérations générales sur les contraires ; conciliation des différents systèmes. Les principes sont nécessairement contraires entr’eux.

§ 1[63]. Tous les Physiciens sans exception, regardent les contraires comme des principes. C’est l’opinion de ceux qui admettent l’unité de l’être, quel qu’il soit, et son immobilité, comme Parménide, qui prend pour ses principes le froid et le chaud qu’il appelle la terre et le feu. C’est l’opinion de ceux qui admettent le rare et le dense, ou, comme le dit Démocrite, le plein et le vide, l’un de ces contraires étant l’être aux yeux de ces philosophes et l’autre le non-être. Enfin, c’est l’opinion de ceux qui expliquent les choses par la position, la figure, l’ordre, qui ne sont que des variétés de contraires : la position étant, par exemple, en haut, en bas, en avant, en arrière ; la figure étant d’avoir des angles, d’être sans angles, d’être droit, circulaire, etc. Ainsi, tout le monde s’accorde, de façon ou d’autre, à reconnaître les contraires pour principes.

§ 2[64]. C’est d’ailleurs avec toute raison ; car les principes ne doivent ni venir les uns des autres réciproquement, ni venir d’autres choses ; et il faut, au contraire, que tout le reste vienne des principes. Or, ce sont là précisément les conditions que présentent les contraires primitifs. Ainsi, en tant que primitifs, ils ne dérivent pas d’autres choses ; et, en tant que contraires, ils ne dérivent pas les uns des autres. Mais il faut voir, en approfondissant encore cette théorie, comment les choses se passent.

§ 3[65]. Il faut poser d’abord cet axiome que, parmi toutes les choses, il n’y en a pas une qui puisse naturellement faire ou souffrir au hasard telle ou telle action de la part de la première chose venue. Une chose quelconque ne peut pas venir d’une autre chose quelconque, à moins qu’on n’entende que ce ne soit d’une manière purement accidentelle. § 4[66]. Comment, par exemple, le blanc sortirait-il du musicien, à moins que le musicien ne soit un simple accident du blanc ou du noir ? Mais le blanc vient du non-blanc, et non pas du non-blanc en général, mais du noir et des couleurs intermédiaires. De même le musicien vient du non-musicien, mais non pas du non-musicien en général, mais il vient de ce qui n’a pas cultivé la musique ou de tel autre terme intermédiaire analogue. § 5[67]. D’autre part, une chose quelconque ne se perd pas davantage dans une chose quelconque. Ainsi, le blanc ne se perd pas dans le musicien, à moins que ce ne soit encore en tant que simple accident ; mais il se perd dans le non-blanc, et non point dans un non-blanc quelconque, mais dans le noir, ou telle autre nuance de couleur intermédiaire. Tout de même le musicien se perd dans le non-musicien ; et non point dans un non-musicien quelconque, mais dans ce qui n’a pas cultivé la musique, ou dans tel autre terme intermédiaire.

§ 6[68]. Cet axiome s’applique également à tout le reste, et les êtres qui ne sont plus simples, mais composés, y sont pareillement soumis. Mais, en général, on ne tient pas compte de tous ces rapports, parce que les propriétés opposées des choses n’ont pas reçu dans le langage de dénomination spéciale. § 7[69]. Car il faut nécessairement que ce qui est organisé harmonieusement vienne de ce qui n’est pas organisé, et que ce qui n’est pas organisé vienne de ce qui l’est. Il faut, en outre, que l’organisé périsse dans l’inorganisé, et non point dans un inorganisé quelconque ; mais dans l’inorganisé opposé. § 8[70]. Peu importe qu’on parle ici d’organisation, ou d’ordre, ou de combinaison des choses. Évidemment cela revient toujours au même. Ainsi, la maison, pour prendre cet exemple, ou la statue ou telle autre chose, se produisent absolument de même. La maison vient de la combinaison de telles matières qui n’étaient pas antérieurement réunies de telle façon, mais qui étaient séparées. La statue, ou tout autre chose figurée, vient de ce qui était antérieurement sans figure. Et, de fait, chacune de ces choses n’est qu’un certain ordre ou une certaine combinaison régulière.

§ 9[71]. Si donc cette théorie est vraie, tout ce qui vient à naître naît des contraires ; tout ce qui vient à se détruire se résout en se détruisant dans ses contraires ou dans les intermédiaires. Les intermédiaires eux-mêmes ne viennent que des contraires ; et, par exemple, les couleurs viennent du blanc et du noir. Par conséquent, toutes les choses qui se produisent dans la nature, ou sont des contraires, ou viennent de contraires.

§ 10[72]. C’est jusqu’à ce point que sont arrivés comme nous la plupart des autres philosophes, ainsi que nous venons de le dire. Tous, sans peut-être en avoir d’ailleurs logiquement bien le droit, appellent du nom de contraires les éléments, et ce qu’ils qualifient de principes ; et l’on dirait que c’est la vérité elle-même qui les y force. § 11[73]. La seule différence entr’eux, c’est que les uns admettent pour principes des termes antérieurs, et les autres des termes postérieurs ; ceux-ci, des idées plus notoires pour la raison, ceux-là, des idées plus notoires pour la sensibilité ; pour les uns c’est le froid et le chaud ; pour les autres le sec et l’humide ; pour d’autres encore le pair et l’impair ; pour d’autres enfin l’amour et la haine, qui sont les causes de toute génération. Mais tous ces systèmes ne diffèrent entr’eux que comme je viens de l’indiquer. § 12[74]. J’en conclus que tous en un sens s’accordent, et qu’en un sens tous se contredisent. Ils se contredisent sur les points où le voit de reste tout le monde ; mais ils s’accordent par les rapports d’analogie qu’ils soutiennent entr’eux. Ainsi tous s’adressent à une seule et même série ; et, toute la différence, c’est que parmi les contraires qu’ils adoptent, les uns enveloppent et que les autres sont enveloppés. C’est donc à ce point de vue que ces philosophes s’expriment de même et qu’ils s’expriment différemment, les uns mieux, les autres moins bien, ceux-ci, je le répète, prenant des notions plus claires pour la raison, ceux-là des notions plus claires pour la sensibilité. Ainsi, l’universel est bien plus notoire pour la raison ; c’est l’individuel qui l’est davantage pour les sens, puisque la sensation n’est jamais que particulière. Par exemple, le grand et le petit s’adressent à la raison ; le rare et le dense s’adressent à la sensibilité. § 13. En résumé, on voit clairement que les principes doivent nécessairement être des contraires.


CHAPITRE VII.

Du nombre des principes : les principes sont finis suivant Empédocle ; et infinis, suivant Anaxagore. — Il n’y a pas un principe unique ; et les principes ne sont pas infinis. Le système le plus vrai peut-être, c’est d’admettre trois principes : l’unité, l’excès et le défaut ; ancienneté de ce système ; recherche de l’élément primordial.

§ 1[75]. Pour faire suite à ce qui précède, on peut rechercher si les principes de l’être sont au nombre de deux, de trois ou davantage. § 2[76]. D’abord, il est impossible qu’il n’y en ait qu’un seul, puisque les contraires sont toujours plus d’un. § 3[77]. Mais il est impossible, d’autre part, qu’ils soient en nombre infini ; car, alors, l’être serait inaccessible à la science. § 4[78]. Et, dans tout genre qui est un, il n’y a qu’une seule opposition par contraires ; or, la substance est un genre qui est un. § 5[79]. Mais les choses peuvent bien venir aussi de principes finis ; et, si l’on en croit Empédocle, il vaut mieux qu’elles viennent de principes finis que de principes infinis ; car il croit pouvoir expliquer par des principes finis tout ce qui Anaxagore explique avec ses infinis. § 6[80]. Il y a en outre des contraires qui sont antérieurs à d’autres contraires ; et il y en a qui viennent de contraires différents : ainsi, le doux et l’amer, le blanc et le noir. Mais, quant aux principes, ils doivent toujours rester immuables. § 7. Je tire de tout ceci la conclusion, d’une part, qu’il n’y a pas un principe unique des choses, et, d’autre part, que les principes ne sont pas en nombre infini.

§ 8[81]. Du moment que les principes sont limités, il y a quelque raison de supposer qu’ils ne peuvent pas être seulement deux ; car alors on pourrait également se demander, ou comment la densité peut jamais faire quelque chose de la rareté, ou à l’inverse comment la rareté produirait jamais la moindre action sur la densité ; et de même pour toute autre opposition par contraires. Par exemple, l’Amour ne peut pas se concilier la Haine, ni en tirer quoi que ce soit, pas plus que la Haine ne peut rien faire de l’Amour. Mais tous les deux agissent sur un troisième terme qui est différent de l’un et de l’autre ; et voilà pourquoi certains philosophes ont imaginé plus de deux principes pour expliquer le système entier des choses.

§ 9[82]. Une autre difficulté qu’on rencontrerait si l’on refusait d’admettre qu’il y a une nature différente servant de support aux contraires, c’est que, comme l’observation nous le démontre, les contraires ne sont jamais la substance de rien. Or, le principe ne peut pas du tout être l’attribut de quoi que ce soit ; car alors il y aurait un principe du principe, puisque le sujet est principe, et qu’il est antérieur à ce qui lui est attribué. § 10[83]. De plus, nous soutenons que la substance ne peut être contraire à la substance ; et, alors, comment la substance pourrait-elle venir de ce qui n’est pas substance ? Et comment ce qui n’est pas substance serait-il antérieur à la substance même ? § 11[84]. Il résulte de ceci que si l’on admet à la fois l’exactitude de notre premier raisonnement et l’exactitude de celui-ci, il faut nécessairement, pour sauver la vérité des deux, admettre un troisième terme outre les deux contraires. § 12[85]. C’est du reste ce que font les philosophes qui constituent l’univers avec une nature et un élément uniques, prenant l’eau ou le feu, ou un élément intermédiaire. § 13[86]. Mais il nous semble que c’est plutôt à cet intermédiaire qu’il faudrait prêter ce rôle, puisque le feu, la terre, l’air et l’eau sont toujours, entremêlés de quelques contraires. Aussi, on peut ne pas trouver déraisonnables ceux qui pensent que le sujet est encore quelqu’autre chose que les éléments ; puis, viennent ceux qui prennent l’air pour premier principe ; car l’air est celui de tous les éléments dont les différences sont le moins sensibles ; puis, enfin, ceux qui prennent l’eau pour principe de tout. § 14[87]. Mais tous ces philosophes s’accordent à transformer leur principe unique par des contraires, telles que la rareté, la densité ; le plus, le moins ; et, comme nous le faisions remarquer un peu plus haut, ce n’est là, en résumé, qu’excès ou défaut. § 15[88]. C’est, du reste, je crois, une opinion fort ancienne que de trouver dans l’excès ou le défaut tous les principes des choses. Seulement, tout le monde n’entend pas ceci de la même manière ; car les anciens prétendaient que ce sont les deux derniers qui agissent et que c’est l’unité qui souffre, tandis que quelques-uns des philosophes postérieurs avancent au contraire, que c’est bien plutôt l’unité qui agit, et que les deux autres ne font que souffrir son action.

§ 16[89]. Ce sont ces arguments-là et des arguments analogues qui donneraient à penser, non sans raison, que les éléments sont au nombre de trois, comme nous venons de le dire. § 17[90]. Mais on ne peut aller jusqu’à soutenir qu’ils sont plus de trois. Car, d’abord, l’unité suffit à souffrir les contraires. § 18[91]. Puis, si l’on admet qu’ils sont quatre, il y aura dès lors deux oppositions par contraires, et il faudra, en outre, pour chacune d’elles séparément une autre nature intermédiaire. Or, s’ils peuvent, en étant simplement deux, s’engendrer l’un par l’autre, il y a, par conséquent, l’une des deux oppositions qui devient parfaitement inutile. § 19[92]. Enfin, il est également impossible qu’il y ait plus d’une seule opposition primordiale par contraires ; car la substance étant un genre unique de l’être, les principes ne peuvent différer entr’eux qu’en tant que les uns sont postérieurs et les autres antérieurs. Mais ils ne différent plus en genre, un genre ne pouvant jamais contenir qu’une seule opposition, et toutes les oppositions pouvant, en définitive, être ramenées à une seule.

§ 20[93]. Ainsi, évidemment, il ne se peut pas qu’il n’y ait qu’un élément unique ; il ne se peut pas non plus qu’il y en ait plus de deux ou trois. Où est ici le vrai ? C’est ce qu’il est très difficile de savoir, ainsi que je l’ai dit.


CHAPITRE VIII.

Méthode à suivre dans cette recherche. Théorie générale de la génération des choses : la substance et la forme ; la substance demeure et ne change point ; la forme, au contraire, change sans cesse ; rapports de la substance et de la forme. — Les principes sont au nombre de trois : le sujet, la privation et la forme ; ou ils ne sont que deux, si l’on réunit le sujet et la privation. De la matière première de l’être ; Idée qu’on doit s’en faire. — Résumé.

§ 1[94]. La méthode que nous comptons suivre sera de traiter d’abord de la génération des choses dans toute son étendue ; car il est conforme à l’ordre naturel d’expliquer en premier lieu les conditions communes, pour arriver ensuite à étudier les propriétés particulières. § 2[95]. Quand nous disons qu’une chose vient d’une autre chose, et que telle chose devient différente de ce qu’elle était, nous pouvons employer ou des termes simples ou des termes composés. Or, voici ce que j’entends par là : quand je veux exprimer, par exemple, qu’un homme devient musicien, je puis dire ou que le non-musicien devient musicien, ou qu’un homme qui n’est pas musicien devient un homme musicien. J’appelle terme simple ce qui devient quelque chose, soit ici l’homme, soit le non-musicien ; et ce qu’il devient est également un terme simple, à savoir musicien. Au contraire, le terme s’appelle composé quand on exprime à la fois et le sujet qui devient quelque chose et ce qu’il devient : par exemple, quand on dit que l’homme non-musicien devient homme musicien. § 3[96]. De ces deux expressions, l’une signifie non seulement qu’une chose devient telle chose, mais encore qu’elle provient de telle situation antérieure ; et, ainsi, un homme devient musicien de non-musicien qu’il était auparavant. Mais l’autre expression ne se prend pas universellement ; car elle ne veut pas dire que d’homme l’être est devenu musicien ; mais elle dit seulement que l’homme est devenu musicien. § 4[97]. Dans les choses qui se produisent ainsi, au sens où nous entendons que des termes simples peuvent devenir quelque chose, il y a une partie qui subsiste en devenant quelque chose, et une autre qui ne subsiste pas. Ainsi, l’homme en devenant musicien subsiste en tant qu’homme, et il est homme ; mais le non-musicien, ou ce qui n’est pas musicien, ne subsiste point, que ce terme d’ailleurs soit simple ou complexe.

§ 5[98]. Ceci une fois établi, on peut, dans tous les cas de génération, observer, pour peu qu’on y regarde, qu’il faut toujours, ainsi que nous venons de le dire, qu’il y ait une certaine partie qui subsiste et demeure pour supporter le reste. § 6[99]. Ce qui subsiste, bien qu’il soit toujours un sous le rapport du nombre, ne l’est pas toujours dans la forme ; et, par la forme, j’entends aussi la définition qui remplace le sujet. L’un subsiste, tandis que l’autre ne subsiste pas. Ce qui subsiste, c’est ce qui n’est pas susceptible d’opposition, et l’homme subsiste de cette manière ; mais le musicien et le non-musicien ne subsistent pas ainsi, pas plus que ne subsiste le composé sorti de la combinaison des deux termes : je veux dire l’homme non-musicien. § 7[100]. Mais cette expression qu’une chose sortant de tel état, devient ou ne devient pas telle autre, s’applique plus particulièrement aux choses qui, par elles-mêmes, ne subsistent pas : par exemple, on dit que de non-musicien on devient musicien ; mais on ne dit pas que d’homme on devienne musicien. Néanmoins, on emploie parfois une pareille locution même pour les substances ; et l’on dit à ce point de vue que la statue vient de l’airain, et non pas que l’airain devient statue. En parlant de ce qui est opposé et ne subsiste pas, on se sert indifféremment des deux expressions, et l’on dit ou que la chose vient de telle autre chose ou qu’elle devient telle autre chose. Ainsi, de non-musicien on devient musicien, et le non-musicien devient musicien. Voilà comment on s’exprime aussi de même pour le composé, puisque l’on dit également que de l’homme non-musicien vient le musicien, ou bien que l’homme non-musicien devient musicien. § 8[101]. Comme le mot Devenir peut avoir plusieurs acceptions, et comme on doit dire de certaines choses non pas qu’elles deviennent et naissent d’une manière absolue, mais qu’elles deviennent quelqu’autre chose, Devenir pris absolument ne pouvant s’appliquer qu’aux seules substances, il est clair que pour tout le reste il faut nécessairement qu’il y ait, au préalable, un sujet qui devient telle ou telle chose. Ainsi, la quantité, la qualité, la relation, le temps, le lieu, ne deviennent et ne se produisent qu’à l’occasion d’un certain sujet, attendu que la substance est la seule qui n’est jamais l’attribut de quoi que ce soit, tandis que tous les autres termes sont les attributs de la substance. § 9[102]. Que les substances proprement dites, et en général tous les êtres qui existent absolument, viennent d’un sujet antérieur, c’est ce qu’on voit clairement, si l’on veut y regarder. Toujours il y a un être subsistant préalablement d’où naît celui qui naît et devient : les plantes et les animaux, par exemple, qui viennent d’une semence. Tout, ce qui naît et devient, généralement parlant, naît, soit par une transformation, comme la statue qui vient de l’airain ; soit par une addition, comme tous les êtres qui s’accroissent en se développant ; soit par une réduction, comme un Hermès, qu’on tire d’un bloc de pierre ; soit par un arrangement, comme la maison ; soit enfin par une altération, comme les choses qui souffrent un changement dans leur matière. Or, il est bien clair que, pour tout ce qui naît et se produit ainsi, il faut que tout cela vienne de sujets qui existent antérieurement.

§ 10[103]. Il résulte donc clairement de tout ce qui précède que tout ce qui devient et se produit est toujours complexe, et qu’il y a tout à la fois et une certaine chose qui se produit et une certaine autre chose qui devient celle-là. J’ajoute qu’on peut même distinguer deux nuances dans cette dernière : ou c’est le sujet même, ou c’est l’opposé ; j’entends par l’opposé le non-musicien, et le sujet c’est l’homme, dans l’exemple cité plus haut. L’opposé, c’est ce qui est privé de la forme, ou de la figure, ou de l’ordre ; et le sujet, c’est l’or, l’airain ou la pierre.

§ 11[104]. Une conséquence évidente de ceci, c’est que, puisqu’il y a des principes et des causes de tous les êtres qui sont dans la nature, principes primordiaux qui font de ces êtres ce qu’ils sont et ce qu’ils deviennent, non point par accident, mais tels que chacun d’eux est dénommé dans son essence, tout ce qui devient et se produit vient à la fois et du sujet et de la forme. Ainsi, l’homme devenu musicien est d’une certaine façon composé de l’homme et du musicien, puisque vous pourriez résoudre les définitions de l’un dans les définitions des deux autres ; et, par conséquent, on peut dire évidemment que tout ce qui devient et se produit vient toujours de ces principes. § 12[105]. Le sujet est un numériquement, bien que spécifiquement il soit deux. Aussi, l’homme ou l’or, ou, d’une manière générale, la matière, est numérable ; car elle est davantage telle ou telle chose réelle, et ce qui se produit ne vient pas d’elle seulement par accident, tandis que la privation et l’opposition sont purement accidentelles. § 13[106]. Quant à l’espèce, elle est une ; et, par exemple, c’est l’ordre, la musique, ou tel autre autre attribut de ce genre.

§ 14[107]. Ainsi, on peut dire en un sens que les principes sont au nombre de deux, et l’on peut dire en un autre sens qu’ils sont trois. § 15[108]. En un sens aussi ce sont des contraires, quand on dit, par exemple, le musicien et le non-musicien, le chaud et le froid, l’organisé et l’inorganisé ; mais, à un autre point de vue, ce ne sont pas des contraires, puisqu’il est impossible que les contraires agissent jamais l’un sur l’autre. Mais on peut répondre à cette difficulté, en disant que le sujet est différent et qu’il n’est pas du tout un contraire. § 16[109]. Par conséquent, en un certain sens, les principes ne sont pas plus nombreux que les contraires, et ils sont pour ainsi dire deux numériquement. Toutefois, ils ne sont pas absolument et purement deux, attendu que leur essence est différente ; et ils sont plutôt trois, puisque, par exemple, l’essence de l’homme est autre que l’essence du non-musicien, comme celle du non-figuré est autre que celle de l’airain.

§ 17[110]. Nous avons donc exposé quel est le nombre des principes dans la génération des choses naturelles, et nous avons expliqué ce nombre. De plus, il est également clair qu’il faut un sujet aux contraires et que les contraires sont deux. Mais, à un autre point de vue, ceci même n’est pas nécessaire ; et l’un des deux contraires suffit pour produire le changement par sa présence ou par son absence. § 18[111]. Pour bien savoir ce qu’est cette nature, cette matière première qui sert de support, on peut recourir à une analogie : ainsi, ce que l’airain est à la statue ou ce que le bois est au lit, ou bien encore ce que sont à toutes les choses qui ont reçu une forme, la matière et le non-figuré avant qu’ils aient pris leur forme propre, cette nature qui sert de support l’est à la substance, à l’objet réel, à ce qui est, à l’être. § 19. Elle est donc à elle seule un principe ; mais elle n’est pas une, et elle ne fait pas un être, comme le fait un objet individuel et particulier ; elle est une seulement en tant que sa notion est une, bien qu’elle ait en outre son contraire, qui est la privation.

§ 20[112]. En résumé, on a expliqué dans ce qui précède comment les principes sont deux et comment ils sont aussi davantage ; car, d’abord on avait montré que les principes ne peuvent être que les contraires, et ensuite on a dû ajouter qu’il fallait nécessairement un sujet à ces contraires, et que par conséquent il y a trois principes. Maintenant ce qu’on vient de dire ici montre bien quelle est la différence des contraires, comment les principes sont les uns à l’égard des autres, et ce que c’est que le sujet qui sert de support. Ce qui n’est pas encore éclairci, c’est de savoir si l’essence des choses est ou la forme ou le sujet. Mais ce qu’on sait à cette heure, c’est qu’il y a trois principes ; c’est en quel sens ils sont trois, et de quelle façon ils le sont. Telle est notre théorie sur le nombre et sur la nature des principes.


CHAPITRE IX.

Explication de l’erreur des anciens philosophes sur l’immobilité et l’unité de l’être : distinction sur le sens des mots Être et Non-être. — Autre explication par la distinction de l’acte et de la puissance.

§ 1[113]. Après ces développements, disons que cette théorie est déjà une manière de résoudre la question débattue par les anciens. § 2[114]. Les premiers philosophes, malgré leur amour pour la vérité et leurs recherches sur la nature des choses, s’égarèrent, poussés en quelque sorte dans une autre voie par leur inexpérience, et il soutinrent que rien ne se produit et que rien ne périt, parce qu’il y a nécessité, suivant eux, que ce qui naît et se produit vienne de l’être ou du non-être, et qu’il y a pour l’un et pour l’autre cas égale impossibilité. Car, d’abord, disaient-ils, l’être ne devient pas puisqu’il est déjà ; et en second lieu, rien ne peut venir du néant, du non-être, puisqu’il faut toujours qu’il y ait quelque chose qui serve de support. § 3[115]. Puis, aggravant encore les conséquences de ce système, ils ajoutaient que l’être ne peut pas être plusieurs, et ils ne reconnaissaient dans l’être que l’être seul. § 4[116]. Déjà nous avons fait voir comment ils ont été amenés à cette opinion. § 5[117]. Mais à notre avis, entre ces diverses expressions, à savoir qu’une chose vient de l’être ou du non-être, ou bien que l’être ou le non-être fait ou souffre quelque chose, ou enfin que telle chose devient telle autre chose quelconque, il n’y a pas en un certain sens plus de différence que de dire ou que le médecin, par exemple, fait ou souffre telle chose, ou bien que de médecin l’être devient ou est telle autre chose. § 6[118]. Mais comme cette dernière expression a un double sens, il est clair que celles-ci, à savoir que la chose vient de l’être et que l’être agit ou souffre, ont également deux acceptions. § 7[119]. Si en effet le médecin vient à construire une maison, ce n’est pas en tant que médecin qu’il construit ; mais c’est en tant qu’architecte. S’il devient blanc, ce n’est pas davantage en tant que médecin, mais c’est en tant qu’il était noir, tandis que s’il guérit ou s’il échoue en tentant la guérison d’une maladie, c’est en tant que médecin qu’il agit. § 8[120]. Mais comme on dit au sens propre, éminemment, que c’est le médecin qui fait quelque chose ou souffre quelque chose, ou devient quelque chose de médecin qu’il était, quand c’est en tant que médecin qu’il fait cette chose ou qu’il la souffre ou qu’il devient quelque chose, il est clair que, quand on dit qu’une chose vient du non-être, ou devient ce qu’elle n’était pas, c’est en tant que cette chose n’était pas ce qu’elle devient.

§ 9[121]. C’est parce que les philosophes n’ont pas fait cette distinction qu’ils se sont tant égarés ; et cette première erreur les a conduits jusqu’à soutenir cette absurdité que rien autre chose en dehors de l’être ne se produit ni n’existe, et jusqu’à nier toute génération des choses. § 10[122]. Nous aussi, nous disons bien avec eux que rien ne peut, absolument parlant, venir du non-être ; mais nous admettons cependant que quelque chose peut venir du non-être, et, par exemple, indirectement et par accident. La chose vient alors de la privation, qui, en soi, est le non-être, et elle devient ce qu’elle n’était pas. Du reste, cette proposition est faite pour étonner, et il semble toujours impossible que quoi que ce soit puisse même ainsi venir du non-être. § 11[123]. C’est encore de la même façon qu’il faut comprendre que l’être ne peut pas plus venir même de l’être que du non-être, si ce n’est par accident. § 12[124]. L’être vient de l’être absolument de la même manière que si l’on disait que de l’animal vient l’animal, aussi bien que de tel animal particulier vient tel animal particulier aussi ; et par exemple, si l’on disait qu’un chien vient d’un cheval. Le chien alors pourrait venir non seulement d’un certain animal, mais encore de l’animal en général ; mais ce ne serait pas en tant qu’animal qu’il en viendrait, puisqu’il est déjà animal lui-même. Quand un animal doit devenir animal autrement que par accident, ce n’est pas de l’animal en général qu’il vient ; et si c’est d’un être réel qu’il s’agit, il ne viendra ni de l’être ni du non-être ; car nous avons expliqué qu’on ne peut comprendre cette expression, venir du non-être, qu’en tant que la chose n’est pas ce qu’elle devient. § 13[125]. De cette façon, nous ne détruisons pas ce principe que toute chose doit être ou n’être pas.

§ 14[126]. Voilà donc une première manière de résoudre la question posée par les anciens philosophes.

§ 15[127]. Il y en a encore une autre qui consiste en ce qu’on peut parler des mêmes choses, soit en tant que possibles soit en tant qu’actuelles ; mais nous avons exposé cette théorie de la puissance et de l’acte avec plus de précision dans d’autres ouvrages.

§ 16[128]. En résumé, nous venons de résoudre, comme nous l’avions promis, les difficultés qui ont amené nécessairement les anciens philosophes à nier quelques-uns de nos principes. C’est aussi la même erreur qui les a tant écartés de la route où ils auraient pu comprendre la génération et la destruction des choses, en un mot, le changement ; et cette nature première, s’ils avaient su la voir, aurait suffit pour dissiper leur ignorance.


CHAPITRE X.

Erreur de quelques autres philosophes, qui, comme Parménide, admettant l’unité de l’être, n’ont pas distingué dans cette unité l’acte de la puissance. Définition générale de la matière et de la forme. — Fin de la théorie des principes de l’être, de leur nature et de leur nombre.

§ 1[129]. Il y a bien quelques autres philosophes qui ont touché à cette théorie de la nature première ; mais ils ne l’ont pas fait d’une manière suffisante. § 2[130]. D’abord ils reconnaissent avec nous que quelque chose peut venir absolument du non-être, et qu’en ceci Parménide a toute raison. § 3[131]. Mais ensuite ils prétendent que, la nature première étant une numériquement, elle ne doit également qu’être une en puissance ; or, c’est là une différence aussi énorme que possible. § 4[132]. Pour notre part, nous affirmons que la privation et la matière sont des choses très diverses ; que la matière est le non-être par accident, tandis que la privation est le non-être en soi ; et que la matière fort voisine de la substance est, à certains égards, substance elle-même, tandis que la privation ne l’est pas du tout. § 5[133]. Mais d’autres philosophes placent le non-être dans le grand et le petit indifféremment, soit en les réunissant tous les deux ensemble, soit en les prenant chacun séparément ; et, par conséquent, cette manière qu’ils ont d’entendre la triade est absolument différente de celle qui vient d’être indiquée. En effet, ils sont bien allés jusqu’à ce point d’admettre comme nécessaire l’existence d’une nature qui doit servir de support ; mais ils ont supposé que cette nature est une ; et si quelque philosophe admet une dyade en la reconnaissant dans le grand et le petit, il n’en fait pas moins encore comme eux, puisqu’il oublie l’autre partie de l’être qui est la privation.

§ 6[134]. L’une de ces parties, en effet, qui demeure et subsiste, concourt avec la forme pour produire comme une mère tous les phénomènes qui adviennent ; mais quant à l’autre partie de l’opposition des contraires, elle pourrait bien plus d’une fois faire l’effet de ne point exister du tout, pour celui qui ne regarderait en elle que son côté destructif. § 7[135]. En effet, comme il y a dans les choses un élément divin, excellent et désirable, nous disons que l’un de nos deux principes est contraire à cet élément, tandis que l’autre est fait par sa propre nature pour rechercher et désirer cet élément divin. Mais dans les théories que nous combattons, il arrive que le contraire désire sa propre destruction. Cependant il est à la fois impossible, et que la forme se désire elle-même, parce qu’elle n’a aucune défectuosité, et que le contraire la désire, puisque les contraires se détruisent mutuellement. Mais c’est là précisément le rôle de la matière ; et elle est comme la femelle qui désire devenir mâle, ou le laid qui veut devenir beau ; car la matière n’est pas le laid en soi ; elle n’est laide que par accident ; elle n’est pas non plus femelle en soi ; elle ne l’est qu’accidentellement. § 8[136]. Dans un sens, la matière périt et naît ; et dans un autre sens, elle ne naît ni ne périt. Ce qui périt en elle, c’est la privation ; mais en puissance elle ne naît ni ne périt en soi. Loin de là ; il y a nécessité qu’elle soit impérissable et incréée. En effet, si elle naissait, il faudrait qu’il y eût antérieurement un sujet originaire d’où elle pût venir ; mais c’est là justement sa nature propre ; et alors la matière existerait avant même de naître ; car j’appelle matière ce sujet primitif qui est le support de chaque chose, et d’où vient originairement, et non par accident, la chose qui en sort. Si l’on dit que la matière peut périr, elle rentrera en elle-même, puisqu’elle est le terme extrême, et il s’en suivrait que la matière aurait péri avant même de périr.

§ 9[137]. Quant au principe particulier de la forme, c’est le devoir de la Philosophie première de déterminer avec précision si ce principe est unique ou multiple, et d’étudier la nature de ce principe spécial, ou de ces principes, s’il y en a plusieurs. Nous renverrons donc pour cette occasion la théorie que nous ne faisons qu’indiquer ici, et nous nous réservons seulement de parler des formes naturelles et périssables dans les démonstrations qui vont suivre.

§ 10[138]. En résumé, nous nous sommes borné jusqu’à présent à établir qu’il y a des principes ; nous en avons déterminé la nature et le nombre. Abordons à cette heure une autre théorie, en prenant un autre point de départ.


LIVRE DEUXIÈME.
DE LA NATURE.

CHAPITRE PREMIER.

Définition de la nature : elle est, dans les êtres, le principe du mouvement et du repos. Des êtres naturels. L’existence de la nature est évidente ; il n’est pas nécessaire de la démontrer. — La matière des choses n’est pas leur nature ; étrange opinion d’Antiphon. Définitions diverses de la nature ; unité et pluralité des principes ; la nature est surtout la forme des êtres. De la privation.

§ 1[139]. Parmi les êtres que nous voyons, les uns existent par le seul fait de la nature ; et les autres sont produits par des causes différentes. § 2[140]. Ainsi, c’est la nature qui fait les animaux et les parties dont ils sont composés ; c’est elle qui fait les plantes et les corps simples, tels que la terre, le feu, l’air et l’eau ; car nous disons de tous ces êtres et de tous ceux du même genre qu’ils existent naturellement. § 3[141]. Tous les êtres que nous venons de nommer présentent évidemment, par rapport aux êtres qui ne sont pas des produits de la nature, une grande différence ; les êtres naturels portent tous en eux-mêmes un principe de mouvement ou de repos ; soit que pour les uns ce mouvement se produise dans l’espace ; soit que pour d’autres ce soit un mouvement de développement et de destruction ; soit que pour d’autres encore, ce soit un mouvement de simple modification dans les qualités. Au contraire, un lit, un vêtement, ou tel autre objet analogue n’ont en eux-mêmes, en tant qu’on les rapporte à chaque catégorie de mouvement, et en tant qu’ils sont les produits de l’art, aucune tendance spéciale à changer. Ils n’ont cette tendance qu’en tant qu’ils sont indirectement et accidentellement ou de pierre ou de terre, ou un composé de ces deux éléments.

§ 4[142]. La nature doit donc être considérée comme un principe et une cause de mouvement et de repos, pour l’être où ce principe est primitivement et en soi, et non pas par simple accident. § 5[143]. Voici ce que j’entends quand je dis que ce n’est pas par simple accident. Ainsi, il peut très bien se faire que quelqu’un qui est médecin se rende à lui-même la santé ; cependant ce n’est pas en tant qu’il est guéri qu’il possède la science de la médecine ; et c’est un pur accident que le même individu soit tout ensemble et médecin et guéri. Aussi est-il possible que ces deux choses soient parfois séparées l’une de l’autre. § 6[144]. Il en est de même pour tous les êtres que l’art peut faire. Il n’est pas un seul d’entre eux qui ait en soi le principe qui le fait ce qu’il est. Mais, pour les uns, ce principe est dans d’autres êtres, et il est extérieur, par exemple, une maison, et tout ce que pratique la main de l’homme. Pour les autres, ils ont bien en eux ce principe ; mais ils ne l’ont pas par leur essence, et ce sent tous ceux qui ne deviennent qu’accidentellement les causes de leur propre mouvement. § 7. La nature est donc ce que nous venons de dire. § 8[145]. Les êtres sont naturels et ont une nature, quand ils ont le principe qui vient d’être défini ; et ils sont tous de la substance : car la nature est toujours un sujet, et elle est toujours dans un sujet. § 9[146]. Tous ces êtres existent selon la nature, ainsi que toutes les qualités qui leur sont essentielles ; comme, par exemple, la qualité inhérente au feu de monter toujours en haut ; car cette qualité n’est pas précisément une nature, et n’a pas de nature à elle ; seulement elle est dans la nature et selon la nature du feu. § 10[147]. Ainsi, nous avons expliqué ce que c’est que la nature d’une chose, et ce qu’on entend par être de nature et selon la nature.

§ 11[148]. Mais essayer de prouver l’existence de la nature, ce serait par trop ridicule ; car il saute aux yeux qu’il y a une foule d’êtres du genre de ceux que nous venons de décrire. Or, prétendre démontrer des choses d’une complète évidence au troyen de choses obscures, c’est le fait d’un esprit qui est incapable de discerner ce qui est ou n’est pas notoire de soi. C’est là, du reste une erreur très concevable, et il n’est pas malaisé de s’en rendre compte. Que quelqu’un qui serait aveugle de naissance s’avise de parler des couleurs, il pourra bien sans doute prononcer les mots ; mais nécessairement il n’aura pas la moindre idée des choses que ces mots représentent. § 12[149]. De même, il y a des gens qui s’imaginent que la nature et l’essence des choses que nous voyons dans la nature, consiste dans l’élément qui est primitivement dans chacune de ces choses, sans avoir par soi-même aucune forme précise. Ainsi, pour ces gens-là, la nature d’un lit, c’est le bois dont il est fait ; la nature d’une statue, c’est l’airain qui la compose. § 13[150]. La preuve de ceci, au dire d’Antiphon, c’est que si on enfouissait un lit dans la terre, et que la pourriture eût assez de force pour en faire encore sortir un rejeton, ce n’est pas un lit qui serait reproduit mais du bois, parce que, disait-il, l’un n’est qu’accidentel, à savoir une certaine disposition matérielle qui est conforme aux règles de l’art, tandis que l’autre est la substance vraie qui demeure, tout en étant continuellement modifiée par les changements. Et Antiphon ajoutait que, chacune des choses que nous voyons soutenant avec une autre chose un rapport tout à fait identique, par exemple, le rapport que l’airain et l’or soutiennent à l’égard de l’eau, ou bien les os et les bois à l’égard de la terre, et de même pour tout autre objet, on peut dire que c’est là la nature et la substance de ces choses.

§ 14[151]. Voilà comment certains philosophes ont cru que la nature des choses, c’est la terre, d’autres que c’est le feu, d’autres que c’est l’air, d’autres que ce sont quelques-uns de ces éléments, et d’autres enfin que ce sont tous les éléments réunis, Car l’élément dont chacun de ces philosophes admettait la réalité, soit qu’il n’en prît qu’un seul, soit qu’il en prît plusieurs, devenait entre leurs mains, principe unique ou principes multiples, la substance tout entière des êtres ; et tout le reste alors n’était plus que les affections, les qualités et les dispositions de cette substance. § 15[152]. On ajoutait que chacune de ces substances est éternelle, attendu qu’elles n’ont pas par elles-mêmes de cause spontanée de changement, tandis que tout le reste naît et périt des infinités de fois.

§ 16[153]. Ainsi, en un sens, on peut appeler nature cette matière première placée au fond de chacun des êtres qui ont en eux-mêmes le principe du mouvement et du changement. § 17[154]. Mais à un autre point de vue, la nature des êtres, c’est la forme, et l’espèce, qui est impliquée dans la définition ; car de même qu’on appelle art ce qui est conforme à l’art et qui est un produit de l’art, de même on appelle nature ce qui est selon la nature et ce qui est un produit de la nature. Mais de même que nous ne dirions jamais qu’une chose est conforme aux règles de l’art, ou qu’il y ait de l’art en elle, si elle n’est encore qu’en puissance, un lit, par exemple, et si ce lit n’a point encore reçu la forme spécifique d’un lit ; de même non plus, en parlant des êtres que fait la nature ; car la chair et l’os, lorsqu’ils ne sont qu’en puissance, n’ont pas encore leur nature propre, jusqu’à ce qu’ils aient revêtu cette espèce et cette forme qui est impliquée dans leur définition essentielle, et qui nous sert à déterminer ce qu’est la chair et ce qu’est l’os. On ne peut pas dire alors davantage qu’ils sont de nature ; et par conséquent, en un sens différent de celui qui vient d’être indiqué, la nature pour les êtres qui ont en eux-mêmes le principe du mouvement, serait la figure et la forme spécifique, qui n’est séparable de ces êtres que par la raison et pour le besoin de la définition.

§ 18[155]. D’ailleurs, le composé qui ressort de ces éléments n’est pas précisément la nature de cette chose ; il est seulement dans la nature : l’homme, par exemple. § 19[156]. La nature ainsi comprise, est plutôt nature que ne l’est la matière, puisque chaque être reçoit la dénomination qui le désigne bien plutôt quand il est en acte et en entéléchie que lorsqu’il est simplement en puissance. § 20[157]. A un autre point de vue, un homme vient d’un homme ; mais un lit ne vient pas d’un lit. Aussi, les philosophes dont on vient de parler disent-ils que la nature du lit n’est pas sa configuration, mais le bois dont il est formé, attendu que s’il venait à germer encore, il en proviendrait non pas un lit, mais du bois. Si donc la configuration du lit est de l’art précisément, la forme est la nature des êtres, puisque l’homme naît de l’homme.

§ 21[158]. Quant à la nature qu’on entend au sens de génération, on devrait dire d’elle bien plutôt que c’est un acheminement vers la nature ; car il n’en est pas ici comme de la médication que fait un médecin, laquelle est non pas un acheminement à la médecine, mais à la santé, puisque la guérison que le médecin opère doit nécessairement venir de la médecine et ne tend pas à la médecine. Or, la nature n’est pas dans ce rapport avec la nature. L’être que la nature produit va de quelque chose à quelque chose, ou se développe naturellement pour aller à quelque chose. A quoi va-t-il par ce mouvement naturel ? Ce n’est pas apparemment à ce dont il vient ; mais c’est à ce qu’il doit être. Donc la nature, c’est la forme. § 22[159]. Je rappelle d’ailleurs qu’on peut donner deux acceptions diverses à ces mots de forme et de nature, puisque la privation est bien aussi en quelque façon une forme et une espèce. § 23[160]. Quant à savoir si, en outre, la privation est ou n’est pas une sorte de contraire en ce qui regarde la génération au sens absolu, ce sera l’objet d’une recherche ultérieure.


CHAPITRE II.

Rapports et différences des mathématiques et de la physique. Critique de la théorie des Idées, qui se perd dans les abstractions. — Deux aspects de la nature, la matière et la forme ; les anciens philosophes, Empédocle, Démocrite, etc., n’ont étudié que la matière. Le vrai physicien doit étudier la matière et la forme tout ensemble. Citation du traité Sur la philosophie.

§ 1[161]. Après avoir parcouru toutes les acceptions du mot de nature, nous devons dire maintenant en quoi l’étude des mathématiques diffère de l’étude de la physique ; car les corps de la nature ont des surfaces, des solidités, des lignes et des points, qui sont les objets particuliers des recherches du mathématicien.

§ 2[162]. Il faut voir en outre si l’astronomie diffère de la physique, ou si elle n’en est qu’une branche. § 3[163]. Car si c’est au physicien qu’il appartient de savoir ce que sont le soleil ou la lune dans leur essence, on pourrait trouver étrange qu’il ne lui appartint pas aussi d’étudier les phénomènes secondaires que ces corps présentent, surtout quand on voit qu’en général ceux qui s’occupent de l’étude de la nature traitent aussi de la figure du soleil et de la lune, et qu’ils recherchent, par exemple, si la terre et le monde sont sphériques ou ne le sont pas. § 4[164]. Le mathématicien, quand il étudie les surfaces, les lignes et les points, ne s’en occupe pas en tant que ce sont là les limites d’un corps naturel, et il ne regarde pas davantage aux propriétés qui peuvent accidentellement leur appartenir en tant que ces propriétés appartiennent à des êtres réels : aussi il peut abstraire ces notions, que l’entendement, en effet, sépare sans peine du mouvement ; et cette abstraction, qui n’amène aucune différence, n’est pas faite pour produire d’erreur § 5[165]. C’est là ce que font précisément aussi ceux qui admettent le système des Idées, sans d’ailleurs s’en apercevoir ; car ils abstraient les choses physiques, qui sont bien moins susceptibles d’abstraction que les choses mathématiques. § 6[166]. Ceci devient parfaitement clair, quand on se donne la peine de comparer de part et d’autre les définitions de ces choses et de leurs accidents. Ainsi, le pair et l’impair, le droit et le courbe, et d’un autre point de vue, le nombre, la ligne, la figure, peuvent exister sans le mouvement, tandis que des choses telles que la chair, les os, l’homme, ne peuvent pas se concevoir sans mouvement ; et l’on dénomme toutes ces dernières choses comme on dénomme le nez camard, et non comme on le fait pour le courbe. § 7[167]. C’est bien là encore ce que prouvent les parties des mathématiques qui se rapprochent le plus de la physique ; l’optique, l’harmonie et l’astronomie. En un certain sens, elles sont tout à fait l’inverse de la géométrie. Ainsi, tandis que la géométrie étudie la ligne qui est bien physique, mais qu’elle ne l’étudie pas telle que cette ligne est dans la nature, l’optique, au contraire, étudie la ligne mathématique, non pas en tant que mathématique, mais en tant qu’elle joue un rôle dans la réalité naturelle.

§ 8[168]. Comme le mot de Nature peut être pris en un double sens, et qu’il signifie à la fois la forme et la matière, il faut étudier ici ce mot, comme nous le ferions si nous avions à nous demander ce que c’est que la qualité de Camus car les choses de ce genre ne peuvent exister sans matière, et pourtant elles ne sont pas purement matérielles. § 9[169]. Mais du moment qu’on reconnaît deux natures, on peut hésiter doublement à savoir, d’une part, de laquelle des deux doit s’occuper le physicien, et d’autre part, s’il ne doit pas s’occuper uniquement de leur résultat commun. Mais s’il doit étudier ce résultat, ne faut-il pas aussi qu’il les étudie l’une et l’autre ? Par suite, connaître chacune de ces deux natures, est-ce le fait d’une même science ou d’une science différente ? § 10[170]. Si l’on regarde aux anciens philosophes, on pourrait croire que l’objet de la physique n’est que d’étudier la matière ; car Démocrite et Empédocle ont à peine effleuré la question de la forme et de l’essence. § 11[171]. Mais s’il est vrai que l’art imite la nature, on peut dire que c’est à une seule et même science d’étudier jusqu’à un certain point et tout à la fois la forme et la matière. Si par exemple, c’est au médecin d’étudier la santé, et de plus la bile et le flegme dans lesquels la santé consiste ; si de même l’architecte s’occupe tout ensemble de la forme de la maison et de la matière de la maison, les murailles et les bois, et ainsi de tout le reste, on en peut conclure que la physique doit étudier les deux natures à la fois. § 12[172]. Ajoutez que c’est à une seule et même science d’étudier et le pourquoi et la fin des choses, et tous les éléments qui y concourent. Or la nature est la fin et le pourquoi des choses ; car là où le mouvement étant continu, il y a une fin au mouvement, cette fin est le dernier terme et le pourquoi. Aussi l’exclamation du poète est-elle assez ridicule, quand il dit :« C’est la fin pour laquelle il avait été fait ! »Car, il ne suffit pas qu’un terme soit le dernier pour qu’il soit toujours une fin véritable, et il n’y a que le bien qui en soit une. § 13[173]. Ainsi les arts travaillent la matière ; mais les uns la travaillent purement et simplement, tandis que les autres la façonnent du mieux qu’ils peuvent à notre usage ; et nous nous servons des choses comme si elles n’existaient qu’en vue de nous, puisqu’en effet nous aussi nous sommes bien une sorte de fin. Car le pourquoi peut s’entendre de deux façons, ainsi que nous l’avons dit dans nos livres intitulés : De la Philosophie. Il y a donc deux espèces d’arts qui commandent à la matière et qui en jugent, l’un de ces arts étant celui qui emploie les choses, et l’autre dirigeant comme un habile architecte, l’industrie qui les façonne. L’art qui emploie les choses joue bien aussi en quelque sorte le rôle d’architecte dirigeant ; mais il y a cette différence entre les deux arts que l’un, l’art architectonique, connaît de la forme, tandis que l’autre, qui façonne les choses, connaît de la matière. Ainsi, le pilote du navire connaît quelle doit être la forme du gouvernail et la commande, tandis que le constructeur sait de quel bois le gouvernail doit être fait, et quels mouvements on en exige. Dans les produits de l’art, c’est nous qui façonnons la matière en vue de l’œuvre à laquelle nous la destinons ; mais dans les choses de la nature, la matière est toute faite. § 14[174]. Enfin, il faut ajouter que la matière n’est qu’une relation, puisque la matière varie avec la forme et qu’à une autre forme répond une autre matière.

§ 15[175]. Mais jusqu’à quel point le physicien doit-il étudier la forme et l’essence des choses ? Doit-il les connaître comme le médecin connaît ce que c’est que les nerfs, ou le fondeur ce que c’est que l’airain qu’il fond, c’est-à-dire dans une certaine mesure, chacune de ces choses servant en effet à une certaine destination ? et doit-il s’occuper des choses qui, bien que séparables au point de vue de la forme, n’en sont pas moins toujours dans la matière ? Car l’homme et le soleil engendrent l’homme. Quant à savoir ce que c’est que le séparable, et quelle est son essence, c’est une question spécialement réservée à la philosophie première.


Des causes ; de leur nombre et de leur nature ; quatre espèces de causes : la matière, la forme, le mouvement et la fin, ou le pourquoi des choses. — Modes divers des causes ; une même clisse peut avoir plusieurs causes ; il y a des choses qui sont réciproquement causes les unes des autres ; causalité des contraires ; acceptions propres et accidentelles du mot de cause. Causes en acte et en puissance ; causes individuelles ; causes génériques. — Méthode à suivre dans l’étude des causes.

§ 1[176]. Après les explications précédentes, nous devons étudier les causes pour en déterminer les espèces et le nombre. Comme ce traité, en effet, a pour objet de faire connaître la nature, et qu’on ne croit connaître une chose que quand on sait le pourquoi, en d’autres termes la première cause, il est clair que nous aussi nous devons faire cette étude en ce qui regarde la génération et la destruction des choses, c’est-à-dire tout changement naturel, afin qu’une fois que nous connaîtrons les principes de ces phénomènes, nous puissions essayer de rapporter à ces principes tous les problèmes que nous agitons.

§ 2[177]. D’abord, en un premier sens, on appelle cause ce qui est dans une chose et ce dont elle provient ; ainsi, l’airain est en ce sens la cause de la statue ; l’argent est cause de la burette, ainsi que tous les genres de ces deux choses. § 3[178]. En un autre sens, la cause est la forme et le modèle des choses ; c’est-à-dire la notion qui détermine l’essence de la chose, et tous ses genres supérieurs. Par exemple, en musique, la cause de l’octave est le rapport de deux à un ; et, d’une manière générale, c’est le nombre et les éléments de la définition essentielle du nombre. § 4[179]. Dans une troisième acception, la cause est le principe premier d’où vient le mouvement ou le repos. Ainsi, celui qui a donné le conseil d’agir est cause des actes qui ont été accomplis ; le père est la cause de son enfant ; et, en général, ce qui fait est cause de ce qui est fait ; ce qui produit le changement est cause du changement produit. § 5[180]. En dernier lieu, la cause signifie la fin, le but ; et c’est alors le pourquoi de la chose. Ainsi, la santé est la cause de la promenade. Pourquoi un tel se promène-t-il ? C’est, répondons-nous, pour conserver sa santé ; et, en faisant cette réponse, nous croyons indiquer la cause qui fait qu’il se promène. C’est en ce sens aussi qu’on appelle causes tous les intermédiaires qui contribuent à atteindre la fin poursuivie, après qu’une autre chose a eu commencé le mouvement. Par exemple, la diète et la purgation sont les causes intermédiaires de la santé, comme le sont aussi les remèdes ou les instruments du chirurgien. En effet, tout cela concourt à la fin qu’on se propose ; et, la seule différence entre toutes ces choses, c’est que les unes sont des actes, et les autres, de simples moyens.

§ 6[181]. Voilà donc à peu près toutes les acceptions du mot de cause. § 7[182]. Par suite de ces diversités de sens, il peut se faire qu’une même chose ait plusieurs causes, sans que ce soit même indirectement et par accident. Ainsi, pour la statue, c’est à la fois l’art du statuaire et l’airain qui en sont causes, non pas sous un autre rapport, mais en tant que statue. Seulement ce n’est pas de la même façon ; car l’une de ces causes est prise comme matière, et l’autre comme le principe d’où part le mouvement. § 8[183]. Il y a en outre des choses qui sont réciproquement causes les unes des autres ; ainsi, l’exercice est cause de la santé, et la santé à son tour cause l’exercice ; mais ce n’est pas de la même façon ; car ici la cause est considérée comme fin, et là comme principe de mouvement. § 9[184]. C’est précisément ainsi qu’une seule et même chose est cause des contraires ; car le même objet qui, étant présent, est cause de tel effet, est aussi quelquefois considéré par nous, quand il est absent, comme cause de l’effet contraire. Ainsi, l’absence du pilote est considérée comme cause de la perte du navire, parce que la présence de ce même pilote est considérée comme la cause du salut.

§ 10[185]. Toutes les causes dont nous venons de parler peuvent donc être ramenées à quatre classes qui sont les plus évidentes de toutes. Ainsi les lettres sont causes des syllabes ; la matière est cause de ce que l’art fabrique ; le feu et les éléments analogues sont causes du corps ; les parties sont causes du tout ; les propositions sont causes de la conclusion ; et ce sont là des causes en tant que c’est ce dont vient la chose. De toutes ces causes, les unes sont prises comme le sujet de la chose, et telles sont les parties relativement au tout ; les autres sont prises comme l’essence, et tels sont le total, la combinaison et la forme. Mais le germe, le médecin, le conseiller, et d’une façon générale l’agent, sont autant de causes d’où vient le principe du changement, soit mouvement, soit repos ; et la dernière classe de causes est celle où la cause est prise comme la fin et le bien de tout le reste ; car le pourquoi a droit d’être regardé comme ce qu’il y a de meilleur, dans les choses, et comme la fin de tout ce qui s’y rapporte. Ce ne fait rien d’ailleurs que ce soit réellement le bien ou simplement ce, qui paraît le bien.

Telle est donc la nature des causes, et tel en est spécifiquement le nombre.

§ 11[186]. Les modes des causes peuvent sembler très multipliés ; mais on peut aussi les réduire en les résumant. En effet, le mot de cause peut avoir plusieurs acceptions diverses ; et ainsi, même dans des causes d’espèces pareilles, l’une peut être antérieure ou postérieure à l’autre. C’est en ce sens que le médecin et l’homme de l’art sont causes de la santé ; c’est le double et le nombre qui sont causes de l’octave en fait d’harmonie, et d’une manière générale, les contenants par rapport à tous les objets particuliers qu’ils embrassent. § 12[187]. Parfois les causes et leurs différents genres peuvent être considérés aussi comme agissant indirectement et par accident. Ainsi c’est autrement que Polyclète est cause de la statue, et autrement que le statuaire en est cause ; car Polyclète ne peut être dit la cause de la statue qu’en tant que c’est un accident du statuaire d’être Polyclète. On appelle aussi causes en ce sens, les genres qui renferment et impliquent l’accident. Par exemple, on pourrait dire que c’est l’homme qui est cause de la statue, ou même d’une manière encore plus générale que c’est l’être vivant. § 13[188]. Il y a en effet des accidents qui sont plus éloignés ou plus rapprochés les uns que les autres, comme si l’un allait, par exemple, jusqu’à dire que c’est l’homme blanc, ou bien l’homme disciple des Muses, qui est la cause de la statue.

§ 14[189]. Après toutes ces acceptions de l’idée de cause, soit propres, soit accidentelles et indirectes, il faut encore distinguer les causes qui peuvent agir et celles qui agissent en effet. Ainsi, la cause de la construction de la maison, c’est ou le maçon qui pourrait la construire, ou le maçon qui la construit réellement.

§ 15[190]. Ces distinctions de causes que nous venons d’énumérer devront s’appliquer également aux effets dont elles sont les causes ; et, par exemple, on peut distinguer et cette statue qu’on a sous les yeux, ou la statue en général, ou même plus généralement encore l’image ; ou bien encore cet airain qu’on a là, sous la main, ou l’airain en général, ou plus généralement encore la matière. Même remarque en ce qui concerne les accidents de ces effets. § 16[191]. Enfin on peut même encore réunir ces diverses espèces de causes ; et au lieu de considérer à part Polyclète, puis le statuaire, on peut dire le statuaire Polyctète. § 17[192]. Quoiqu’il en soit, toutes ces nuances sont au nombre de six ; et elles sont chacune, susceptibles de deux sens divers : soit au point de vue de la cause même, soit au point de vue de son genre ; soit comme accident, soit comme genre de l’accident ; soit combinées, soit absolues et isolées, dans les mots qui les expriment ; enfin, toutes peuvent être distinguées, soit comme étant en acte réellement, soit comme étant en simple puissance. § 18[193]. La seule différence, c’est que les causes en acte et les causes particulières sont, ou ne sont pas, en même temps que les choses dont elles sont causes. Par exemple, ce médecin particulier qui guérit existe en même temps que le malade particulier qu’il soigne ; ce constructeur particulier existe en même temps que cette maison particulière qu’il construit. Quant aux causes en puissance, elles ne sont pas toujours contemporaines à leurs effets ; et, par exemple, la maison et le maçon ne périssent pas en même temps.

§ 19[194]. Il faut toujours, en recherchant la cause d’une chose quelconque, remonter aussi haut que possible, comme dans toute autre recherche. Par exemple, l’homme construit la maison, parce qu’il est constructeur. Il est constructeur en se conformant à l’art de la construction. Cet art se trouve donc être la première cause, la cause antérieure ; et ainsi de tout le reste. § 20[195]. Il faut remarquer en outre que les genres sont causes des genres, et que les individus sont causes des choses individuelles. Ainsi, le statuaire est génériquement la cause de la statue ; mais c’est tel individu statuaire qui est cause de telle statue spéciale. Les causes en puissance sont causes des choses en puissance ; et les causes en acte, causes des choses en acte.

§ 21[196]. Telles sont les considérations que nous avions à présenter sur le nombre des causes et sur leurs nuances.


CHAPITRE IV.

Du hasard et de la spontanéité. — Théories diverses sur le hasard ; les unes le nient positivement, et les anciens sages ne l’ont pas admis dans leurs systèmes ; les autres, et parmi eux Empédocle, admettent le hasard comme cause du ciel et des phénomènes du monde, tout en ne le reconnaissant point pour cause des animaux et des plantes. D’autres théories font du hasard quelque chose de divin, qui est au-dessus de l’homme.

§ 1[197]. Parfois aussi on met le hasard et la spontanéité au rang des causes ; et l’on dit de bien des choses qu’elles sont produites, ou qu’elles existent, d’une manière spontanée et par hasard. Examinons donc de quelle façon il est possible de placer parmi les causes énumérées par nous le hasard et le spontané ; examinons de plus si fortune et spontanéité sont la même chose ou des choses différentes, en un mot, ce que c’est que spontanéité et hasard.

§ 2[198]. Il y a des philosophes qui révoquent en doute l’existence du hasard, et qui soutiennent que rien ne se produit jamais par hasard, attendu que toutes les choses qu’on prend pour l’effet du hasard et qu’on croit spontanées, ont toujours une cause déterminée. Ainsi, disent-ils, quelqu’un va par hasard au marché, et il y rencontre une personne qu’il voulait joindre, mais qu’il ne pensait pas trouver là ; or, la cause de ce prétendu hasard, c’est la volonté qu’on avait d’aller au marché acheter quelque emplette. De même pour tous les autres cas qu’on attribue au hasard ; et en y regardant de près, on y découvre toujours une cause qui n’est pas du tout le hasard qu’on suppose. § 3[199]. On ajoute que si en effet le hasard était quelque chose de si réel, il serait vraiment par trop étrange, et tout à fait incroyable, qu’aucun des anciens sages, en étudiant les causes de la production et de la destruction des choses, n’en eût pas dit un seul mot ; et l’on en conclut que ces sages étaient persuadés aussi que rien ne vient du hasard.

§ 4[200]. Cependant ce silence même est fait pour étonner ; car il y a une foule de choses qui se produisent et qui sont par l’effet du hasard et spontanément ; et bien qu’on n’ignore pas qu’on peut les rapporter chacune à quelqu’une des causes ordinaires, comme le veut cette maxime de la sagesse antique qui nie le hasard, cependant tout le monde n’en dit pas moins que certaines choses viennent du hasard et que d’autres n’en viennent pas. § 5[201]. Il fallait donc que d’une façon ou d’une autre les sages dont nous venons de parler, fissent mention de ces doutes ; et parmi eux pourtant, personne n’a cru que le hasard fût un de ces principes : par exemple, ou l’Amour, ou la Haine, ou le feu, ou l’Intelligence, ou quelqu’autre principe analogue. Il est donc bien étrange que les sages n’aient pas admis le hasard ; ou s’ils le reconnaissaient, qu’ils l’aient si complètement passé sous silence. § 6[202]. Plus d’une fois cependant ils en ont fait usage ; et c’est ainsi qu’Empédocle prétend que l’air ne se secrète pas toujours dans la partie la plus haute du ciel, mais qu’il se secrète au hasard selon que cela se trouve. Dans sa cosmogonie, il dit en propres termes :« L’air alors court ainsi, mais parfois autrement. »Il dit encore que les parties des animaux sont presque toutes le produit d’un simple hasard.

§ 7[203]. Il y en a d’autres qui rapportent le ciel tel que nous le voyons, et tous les phénomènes cosmiques à une cause toute spontanée. Selon eux, c’est le hasard qui a produit la rotation, ainsi que le mouvement qui a divisé les éléments et combiné l’univers entier, selon l’ordre où il est aujourd’hui. § 8[204]. Mais c’est ici qu’il y a vraiment de quoi s’étonner ; car on soutient que les animaux et les plantes ne doivent point leur existence et leur reproduction au hasard, et que la cause qui les engendre est ou la nature ou l’Intelligence, ou tel autre principe non moins relevé, attendu que la première chose venue ne nuit pas fortuitement d’un germe quelconque, mais que de tel germe c’est un olivier qui sort, tandis que de tel autre c’est un homme ; et en même temps on ose prétendre que le ciel et les choses les plus divines, parmi les phénomènes visibles, sont le produit spontané du hasard, et que leur cause n’est pas du tout analogue à celle qui produit les animaux et les plantes. § 9[205]. Mais même en admettant qu’il en soit ainsi, un tel sujet pris à un tel point de vue mérite assurément qu’on s’y arrête, et il est bon d’en parler quelque peu ; car outre que cette opinion est absurde à bien d’autres égards, ce qu’il y a de plus absurde encore, c’est de la soutenir quand d’ailleurs on voit soi-même que rien dans le ciel ne se produit fortuitement, et que dans des phénomènes d’où l’on prétend exclure le hasard, il y a cependant beaucoup de choses qui sont produites par lui. Or, on devrait à ce qu’il semble, se former une opinion précisément contraire.

§ 10[206]. Enfin il y a des philosophes qui, tout en faisant du hasard une cause, le regardent comme impénétrable à l’intelligence de l’homme, en tant que c’est quelque chose de divin et de réservé aux esprits et aux démons.

§ 11[207]. Ainsi donc, il nous faut étudier ce que c’est que le hasard et le spontané ; il nous faut voir si c’est une seule et même chose ou des choses distinctes, et enfin comment ils rentrent dans les causes que nous avons reconnues et déterminées.


CHAPITRE V.

Suite de la théorie du hasard. — Le hasard n’est cause ni de ce qui est constant ni de ce qui est habituel et ordinaire ; le hasard est en dehors de l’un et de l’autre ; il est cause de ce qui se produit accidentellement, même dans les choses qui ont une fin. — Le hasard est indéterminé et toujours obscur pour l’homme ; il n’est pas raisonnable. Bonheur ou malheur qu’il cause ; inconstance de la fortune.

§ 1[208]. Un premier point évident, c’est que, parmi les choses, les unes étant éternellement d’une manière uniforme et les autres étant d’une certaine façon dans la pluralité des cas, le hasard ni rien de ce qui vient du hasard, ne peut du tout être la cause ni des uns ni des autres, c’est-à-dire, ni de ce qui est nécessairement et toujours, ni de ce qui est dans la pluralité des cas. Mais comme il y a encore des choses qui ont lieu en dehors de celles-là, et que tout le monde reconnaît dans ces autres choses l’effet du hasard ; il est incontestable que le hasard et la spontanéité sont quelque chose : car nous disons à la fois et que les choses de ce genre viennent du hasard, et que les choses qui viennent du hasard sont du genre de celles-là.

§ 2[209]. Parmi toutes les choses qui ont lieu, les unes sont produites en vue d’une certaine fin ; les autres ne sont pas produites ainsi. Dans les premières, il y a tantôt préférence et intention ; tantôt il n’y en a pas. Mais ces deux cas n’en rentrent pas moins dans les choses produites en vue d’une fin. Par conséquent, il se peut évidemment que, même parmi les choses qui sont contre le cours nécessaire ou ordinaire des choses, il y en ait qui ont un certain but. Les choses ont un but toutes les fois qu’elles sont faites, ou par l’intelligence de l’homme, on par la nature ; et si ces choses arrivent indirectement et accidentellement, nous les rapportons au hasard. § 3[210]. De même, en effet, que l’être est ou en soi, ou par accident, de même, la cause peut être ou en soi, ou simplement accidentelle. Ainsi, la cause en soi de la maison, c’est ce qui est capable de bâtir les maisons ; indirectement et accidentellement, c’est le blanc ou le musicien. § 4[211]. La cause en soi est toujours déterminée et précise ; mais la cause par accident est indéterminée ; car un seul être peut avoir un nombre infini d’accidents. § 5[212]. Je le répète donc : lorsque dans les choses qui ont lieu en vue d’une certaine fin, il s’en produit une accidentellement, on dit alors qu’elle est fortuite et qu’elle est spontanée. Plus tard, nous expliquerons la différence que nous mettons entre ces deux termes ; mais ici nous nous bornons à dire qu’évidemment tous deux expriment des choses qui ont un but et un pourquoi. § 6[213]. Par exemple, quelqu’un serait bien allé au marché pour y ravoir son argent, s’il avait su qu’il pût en rapporter le prix de sa créance ; mais il n’y est pas allé dans cette intention ; et c’est accidentellement qu’il y est allé et qu’il a fait ce qu’il fallait pour rapporter son argent. Rencontrer son débiteur et se rendre dans ce lieu, n’était pour le créancier, ni un acte ordinaire, ni une nécessité. § 7[214]. Ici la fin, c’est-à-dire le recouvrement de l’argent, n’est point une des causes qui sont dans la chose même ; c’est un acte de préférence réfléchie et d’intelligence ; et dans ce cas, on dit que l’individu est allé au marché par hasard. Mais s’il y est allé de propos délibéré et pour cet objet spécial, soit qu’il y allât toujours ou le plus ordinairement pour recouvrer sa dette, on ne peut plus dire que c’est par hasard qu’il est allé au marché.

§ 8[215]. Donc évidemment, le hasard est une cause accidentelle dans celles de ces choses qui visant à une fin, dépendent de notre libre choix. § 9[216]. C’est là ce qui fait aussi que le hasard et l’intelligence se rapportent à un même objet ; car il n’y a pas de choix et d’intention réfléchie sans intervention de l’intelligence. § 10[217]. Ainsi, les causes qui produisent les effets du hasard sont nécessairement indéterminées ; et cela donne à croire que le hasard est dans le domaine de l’indéterminé, et qu’il reste profondément obscur pour l’homme. § 11[218]. Aussi en un certain sens, il semble que rien ne peut venir du hasard, et toutes ces opinions peuvent se soutenir, parce qu’elles sont très rationnelles. A un point de vue, la chose vient du hasard ; car elle se produit indirectement et accidentellement ; et dès lors la fortune peut être considérée comme cause en tant que le fait est accidentel. Mais à parler absolument, le hasard n’est jamais cause de quoique ce soit. § 12[219]. Par exemple, en soi la cause de la maison est le maçon qui la construit ; indirectement et accidentellement, c’est le joueur de flûte ; et il peut y avoir un nombre infini de causes qui font qu’un homme qui va sur la place publique en rapporte son argent, sans y être du tout allé dans cette intention, y allant simplement pour y voir une personne, ou parce qu’il poursuit quelqu’un en justice, ou parce qu’il y est poursuivi.

§ 13[220]. On peut dire aussi avec toute vérité que le hasard est quelque chose de déraisonnable ; car la raison éclate dans les choses qui restent éternellement les mêmes, et dans celles qui sont le plus souvent d’une certaine façon. Le hasard, au contraire, ne se rencontre que dans les choses qui ne sont ni éternelles, ni ordinaires ; et comme les causes de ce dernier ordre sont toujours indéterminées, le hasard est indéterminé comme elles. § 14[221]. Néanmoins on peut, dans quelques cas, se demander si ce sont bien les premières choses venues qui peuvent être les causes du hasard ; par exemple, on peut se demander si la cause de la guérison d’un malade est le bon air que le malade a pris, ou la chaleur qu’il a ressentie, et non pas la coupe de ses cheveux ; car même, parmi les causes accidentelles, il y en a qui sont plus rapprochées les unes que les autres.

§ 15[222]. On dit que le hasard est heureux, quand il survient quelqu’heureux événement ; on dit que le hasard est malheureux, quand il survient quelque malheur. § 16[223]. Si ces mêmes événements prennent quelque grandeur, on dit que c’est de la prospérité ou de l’infortune ; et même lorsqu’il s’en faut de très peu que le mal ou le bien ne deviennent considérables, on dit encore que c’est de l’infortune ou de la prospérité, parce que la pensée voit le mal et le bien comme s’ils étaient déjà réalisés ; et quand il s’en manque de si peu, on peut croire qu’il ne s’en manque de rien. § 17[224]. On a d’ailleurs bien raison de dire que la prospérité est inconstante ; car la fortune elle-même est pleine d’inconstance, puisque rien de ce qui vient du hasard ne peut être ni toujours, ni même le plus fréquemment.


CHAPITRE VI.

Suite de la théorie du hasard ; comparaison du hasard et du fortuit, qui se produit spontanément ; différence du spontané et du hasard ; l’idée de hasard implique toujours l’idée de liberté ; opinion ridicule de Protarque sur les pierres des autels ; l’idée du spontané exclut au contraire l’idée de réflexion et de libre arbitre. — Des choses faites en vain. — Le hasard et le spontané font tous deux partie des causes motrices ; mais ce sont des causes postérieure. L’Intelligence et la nature sont les causes supérieures de tout l’univers.

§ 1[225]. Ainsi que je l’ai dit plus haut, le hasard et le spontané, c’est-à-dire ce qui se produit de soi-même, sont tous deux des causes indirectes et accidentelles, dans les choses qui ne peuvent être ni absolument toujours, ni dans la majorité des cas, et parmi ces choses, dans celles qu’on peut regarder comme se produisant en vue d’une certaine fin. § 2[226]. La différence entre le hasard et le spontané, c’est que le spontané, ou ce qui arrive de soi-même, est plus compréhensif que le hasard, attendu que tout hasard est du spontané, tandis que tout spontané n’est pas du hasard.

§ 3[227]. En effet, le hasard et tout ce qui est de hasard n’est jamais rapporté qu’aux êtres qui peuvent avoir aussi un hasard heureux, du bonheur, et d’une manière générale, une activité. C’est là ce qui fait encore que nécessairement le hasard ou la fortune ne peut concerner que les choses où l’activité est possible ; et ce qui le prouve, c’est que la prospérité se confond avec le bonheur, ou du moins s’en rapproche beaucoup ; et que le bonheur est en effet une activité d’un certain genre, puisque c’est une activité qui réussit et fait bien. J’en conclus que les êtres auxquels il n’est pas permis d’agir, ne peuvent rien faire non plus qui soit attribuable au hasard. § 4[228]. C’est pour cela que ni l’être inanimé, ni la brute, ni même l’enfant, ne font rien qu’on puisse qualifier de hasard, parce qu’ils n’ont pas de préférence libre et réfléchie dans leurs actes. Quand donc on parle pour ces êtres de bonheur et de malheur, ce n’est que par une simple assimilation, tout comme Protarque prétendait que les pierres qui entrent dans la construction des autels, sont heureuses parce qu’on les adore, tandis que d’autres pierres de la même nature qu’elles, sont foulées aux pieds. § 5[229]. Mais il se peut que les êtres que nous venons de nommer souffrent par hasard de certaine façon, quand on fait quelqu’acte qui les concerne et qu’on le fait par hasard ; mais autrement ce n’est pas possible.

§ 6[230]. Quant au spontané, qui se produit de lui seul, on le trouve à la fois dans des animaux autres que l’homme, et même dans la plupart des êtres inanimés. Par exemple, un cheval s’est mis de lui-même en marche spontanément, ce mouvement lui a bien sauvé la vie ; mais il ne l’avait pas fait en vue de son salut. Autre exemple ; le trépied est tombé fortuitement et de lui-même ; dans sa chute, il s’est placé de manière qu’on pût s’asseoir dessus ; mais le trépied n’est pas tombé pour offrir un siège à quelqu’un. § 7[231]. Il est donc évident que, dans les choses qui arrivent en général en vue de quelque fin, quand une chose dont la cause est extérieure arrive sans que ce soit pour l’effet même qui se produit, on dit que cette chose se produit spontanément et d’elle-même. On dirait au contraire que c’est du hasard, si c’était de ces choses qui se produisent fortuitement dans les actes libres des êtres qui sont donnés de libre arbitre. § 8[232]. La preuve, c’est qu’on dit qu’une chose est faite en vain, quand le résultat en vue duquel on agissait ne se produit pas, mais que se produit seulement la chose faite en vue de ce résultat. Par exemple, on se promène pour se relâcher le ventre ; mais si le relâchement de ventre ne suit pas la promenade, on dit que l’on s’est promené en vain et que la promenade a été vaine. C’est ainsi que l’on dit qu’une chose a été faite en vain, quand, faite naturellement pour une autre, elle n’accomplit pas l’objet qu’elle avait pour fin, et pour lequel la nature l’avait faite. Ce serait un non sens ridicule de dire qu’on s’est baigné en vain, parce qu’il n’a point eu d’éclipse de soleil ; puisqu’en effet le bain n’a pas été pris en vue de l’éclipse de soleil qui a manqué. Ainsi, comme l’indique l’étymologie même du mot en grec, on dit d’une chose qu’elle est spontanée, et est arrivée de soi-même, quand cette chose même a été vaine ; et, par exemple, la pierre est tombée sans que ce fût pour donner un coup à quelqu’un ; elle est donc, en ce cas, tombée spontanément et fortuitement, puisqu’elle pourrait aussi tomber par la volonté formelle de quelqu’un qui aurait l’intention de porter un coup à une autre personne.

§ 9[233]. C’est surtout dans les choses qui se produisent par le fait seul de la nature, qu’on peut distinguer et séparer le hasard du spontané. Quand un phénomène a lieu contre les lois naturelles, nous disons qu’il est spontané bien plutôt que nous ne disons que c’est un hasard ; car il y a cette différence que la cause est intérieure pour l’un, et toute externe pour l’autre.

§ 10[234]. On doit voir par ce qui vient d’être dit ce qu’on entend par le hasard et le spontané ; on doit voir, en outre, les différences de l’un et de l’autre. § 11[235]. Quant à leur mode d’action comme causes, tous deux doivent être également classés parmi les causes d’où vient le principe du mouvement ; car ils sont causes de choses qui sont dans la nature ou qui viennent de l’Intelligence ; mais le nombre des phénomènes est indéterminé. § 12[236]. D’autre part, comme le hasard et le spontané sont causes de choses que l’Intelligence ou la nature pourrait produire, à savoir toutes les fois que l’Intelligence et la nature produisent quelque chose accidentellement ; et comme ce qui est accidentel ne peut être antérieur aux choses en soi, il est clair que jamais non plus la cause accidentelle n’est antérieure à la cause essentielle. Donc, le hasard et le spontané ne viennent qu’après l’Intelligence et la nature, du telle sorte que si le spontané était à toute force la cause du ciel, il n’en faudrait pas moins nécessairement que l’Intelligence et la nature fussent les causes antérieures de bien d’autres choses, et les causes de tout cet univers.


CHAPITRE VII.

Le physicien, en étudiant le pourquoi des phénomènes, doit considérer quatre sortes de causes : l’essence, le mouvement, la fin et la matière ; il y a dans la physique trois recherches principales, sur l’immobile, sur le mobile impérissable et sur le périssable. Le moteur peut être de deux genres, primitif ou intermédiaire.

§ 1[237]. Il est donc manifeste qu’il y a des causes, et que le nombre de ces causes est bien tel que nous l’avons établi, puisque la recherche de la cause embrasse précisément ce nombre de questions. Ainsi, la cause d’une chose se ramène : soit à l’essence même de l’objet, terme dernier dans les choses où il n’y a pas de mouvement, et par exemple, dans les mathématiques, où la recherche extrême vient aboutir à la définition de la ligne droite, ou à celle de la proportion ou de telle autre idée ; soit au moteur primordial ; et, par exemple, d’où vient que tel peuple a fait la guerre ? C’est qu’on l’avait pillé ; soit au but qu’on se propose ; et, par exemple encore, pourquoi tel peuple a-t-il fait la guerre ? C’est afin d’obtenir la domination ; soit enfin à la matière, dans les objets qui naissent et sont produits.

Ainsi, la nature et le nombre des causes sont bien ce que nous venons de dire.

§ 2[238]. Du moment qu’il y a quatre causes, le physicien doit les connaître toutes les quatre ; et c’est en rapportant le pourquoi des phénomènes à ces quatre causes qu’il rendra compte en vrai physicien, et d’après les lois naturelles, de la matière, de la forme, du mouvement et du but final des choses.

§ 3[239]. Souvent trois de ces causes se réduisent à une seule. Ainsi l’essence et la fin se réunissent ; et de plus, la cause d’où vient le mouvement initial se confond spécifiquement avec ces deux-là ; comme, par exemple, l’homme engendre l’homme ; ce qui a lieu généralement dans toutes les choses qui, après avoir reçu le mouvement, le transmettent à leur tour. Quant à celles qui ne transmettent point le mouvement pour l’avoir reçu, elles ne sont plus du domaine de la Physique ; car ce n’est pas parce qu’elles ont en elles-mêmes un mouvement qui leur soit propre ou un principe de mouvement, qu’elles peuvent le communiquer : mais elles le donnent tout en étant immobiles elles-mêmes. § 4[240]. Il y a donc ici trois études distinctes : l’une sur ce qui est immobile ; l’autre sur ce qui est mobile, mais impérissable ; et la dernière sur toutes les choses qui périssent. § 5[241]. Par conséquent, la cause des choses se trouve, soit en étudiant leur matière, soit en étudiant leur essence qui les fait ce qu’elles sont, soit enfin en étudiant le moteur initial. C’est par cette méthode, en effet, quand il s’agit de la génération des choses qu’on en recherche surtout les causes en se demandant quel phénomène se produit après tel autre, quel a été le premier agent, quel effet a éprouvé l’être que l’on considère, et en se posant toujours des questions analogues à celles-là. § 6[242]. Il y a deux principes qui, dans la nature, peuvent mouvoir les choses ; l’un n’est pas du domaine de la Physique, attendu qu’il n’a pas en lui-même l’origine du mouvement ; et tel est l’être, s’il en est un, qui peut mouvoir sans être mu, comme le ferait l’être absolument immobile, et antérieur à tous les êtres ; l’autre principe, c’est l’essence et la forme, parce que la forme est la fin en vue de laquelle est fait tout le reste. § 7[243]. Et, par suite, comme la nature agit en vue d’une certaine fin, il faut aussi que le physicien l’étudie et la connaisse sous ce rapport.

§ 8[244]. En résumé, le physicien doit expliquer de toutes les façons la cause des choses, et démontrer, par exemple, que telle chose vient nécessairement de telle autre, qu’elle en vienne d’ailleurs soit d’une manière absolue et constante, soit dans la pluralité des cas ; il faut qu’il puisse prévoir que telle chose aura lieu, comme des prémisses on augure et on tire la conclusion ; enfin il doit dire ce qu’est l’essence de la chose qui la fait ce qu’elle est, et expliquer pourquoi elle est mieux de telle façon que de telle autre, non pas absolument, mais eu égard à la substance de chacune des choses.


CHAPITRE VIII.

La nature agit toujours en vue d’une fin ; intervention de la nécessité dans la nature ; objection ; hypothèse d’Empédocle sur les premiers êtres. Analogies de l’art et de la nature ; l’une et l’autre se proposent toujours une fin. La fin est manifeste dans les animaux ; elle l’est même dans les plantes. — Anomalie des monstres ; la nature se trompe comme l’art ; antériorité des germes. — Croire au hasard, c’est nier la nature ; le moteur n’en est pas moins réel pour être invisible.

§ 1[245]. D’abord, il faut bien expliquer comment la nature est une des causes qui agissent en vue d’une certaine fin ; puis ensuite, nous montrerons comment la nécessité entre pour une part dans les choses de la nature. C’est en effet à la nécessité que tous les philosophes ramènent la cause des phénomènes, quand, après avoir exposé ce que sont dans la nature le chaud, le froid ou tel autre fait de cet ordre, ils ajoutent que ces choses sont et se produisent de toute nécessité ; et même, quand ils ont l’air d’admettre une cause différente de celle-là, ils ne font que toucher cette autre cause et ils l’oublient aussitôt ; celui-ci, l’Amour et la Discorde ; et celui-là, l’Intelligence.

§ 2[246]. Mais ici l’on élève un doute. Qui empêche, dit-on, que la nature agisse sans avoir de but et sans chercher le mieux des choses ? Jupiter, par exemple, ne fait pas pleuvoir pour développer et nourrir le grain ; mais il pleut par une loi nécessaire ; car, en s’élevant, la vapeur doit se refroidir ; et la vapeur refroidie, devenant de l’eau, doit nécessairement retomber. Que si ce phénomène ayant lieu, le froment en profite pour germer et croître, c’est un simple accident. Et de même encore, si le grain que quelqu’un a mis en grange vient à s’y perdre par suite de la pluie, il ne pleut pas apparemment pour que le grain pourrisse ; et c’est un simple accident, s’il se perd. Qui empêche de dire également que dans la nature les organes corporels eux-mêmes sont soumis à la même loi, et que les dents, par exemple, poussent nécessairement, celles de devant, incisives et capables de déchirer les aliments, et les molaires, larges et propres à les broyer, bien que ce ne soit pas en vue de cette fonction qu’elles aient été faites, et que ce soit une simple coïncidence ? Qui empêche de faire la même remarque pour tous les organes où il semble qu’il y ait une fin et une destination spéciales ? § 3[247]. Ainsi donc, toutes les fois que les choses se produisent accidentellement comme elles se seraient produites en ayant un but, elles subsistent et se conservent, parce qu’elles ont pris spontanément la condition convenable ; mais celles où il en est autrement périssent ou ont péri, comme Empédocle le dit « de ses créatures bovines à proue humaine. » § 4. Telle est l’objection qu’on élève et à laquelle reviennent toutes les autres.

§ 5[248]. Mais il est bien impossible que les choses se passent comme on le prétend. Ces organes des animaux dont on vient de parler, et toutes les choses que la nature présente à nos regards, sont ce qu’elles sont, ou dans tous les cas ou dans la majorité des cas ; mais il n’en est pas du tout ainsi pour rien de ce que produit le hasard, ou de ce qui se produit spontanément, d’une manière fortuite. On ne trouve point en effet que ce soit un hasard ni une chose accidentelle qu’il pleuve fréquemment en hiver ; mais c’est un hasard, au contraire, s’il pleut quand le soleil est dans la constellation du chien. Ce n’est pas davantage un hasard qu’il y ait de grandes chaleurs durant la canicule ; mais c’en est un qu’il y en ait en hiver. Si donc il faut que les phénomènes aient lieu soit par accident soit en vue d’une fin, et s’il n’est pas possible de dire que ces phénomènes sont accidentels ni fortuits, il est clair qu’ils ont lieu en vue d’une fin précise. Or, tous les faits de cet ordre sont dans la nature apparemment, comme en conviendraient ceux-là, même qui soutiennent ce système. Donc il y a un pourquoi, une fin à toutes les choses qui existent ou se produisent dans la nature.

§ 6[249]. J’ajoute que partout où il y a une fin, c’est pour cette fin qu’est fait tout ce qui la précède, l’antérieur, et tout ce qui le suit. Ainsi donc, telle est une chose quand elle est faite, telle est sa nature ; et telle elle est par sa nature, telle elle est quand elle est faite, toutes les fois que rien ne s’y oppose. Or, elle est faite en vue d’une certaine fin ; donc elle a cette fin par sa nature propre. En supposant qu’une maison fût une chose que fit la nature, la maison serait par le fait de la nature ce qu’elle est aujourd’hui par le fait de l’art ; et si les choses naturelles pouvaient venir de l’art aussi bien qu’elles viennent de la nature, l’art les ferait précisément ce que la nature les fait ; donc l’un est fait pour l’autre. En général, on peut dire que tantôt l’art fait des choses que la nature ne saurait faire, et tantôt qu’il imite la nature. Or, si les choses de l’art ont un pourquoi et une fin, il est de toute évidence que les choses de la nature doivent en avoir une également. D’ailleurs, dans les produits de l’art et dans les produits de la nature, les faits postérieurs sont avec les faits antérieurs dans une relation toute pareille. § 7[250]. Ceci est surtout manifeste dans les animaux autres que l’homme, qui ne font ce qu’ils font ni suivant les règles de l’art, ni après étude, ni par réflexion ; et de là vient que l’on s’est parfois demandé si les araignées, les fourmis et tous les êtres de ce genre n’exécutent pas leurs travaux à l’aide de l’intelligence ou d’une autre faculté non moins haute. En faisant quelques pas de plus sur cette route, on voit que dans les plantes elles-mêmes se produisent les conditions qui concourent à leur fin ; et que, par exemple, les feuilles sont faites pour garantir le fruit. Si donc c’est par une loi de la nature, si c’est en vue d’une fin précise que l’hirondelle fait son nid, et l’araignée sa toile, que les plantes portent leurs feuilles, et qu’elles poussent leurs racines en bas et non en haut pour se nourrir, il est clair qu’il y a une cause du même ordre pour toutes les choses qui existent, ou qui se produisent, dans la nature entière.

§ 8[251]. Mais la nature peut se comprendre en un double sens : d’une part, comme matière ; et d’autre part, comme forme. Or, la forme étant une fin, et tout le reste s’ordonnant en vue de la fin et du but, on peut dire que la forme est le pourquoi des choses et leur cause finale. § 9[252]. Mais il y a chance d’erreur même dans les productions de l’art ; et, par exemple, le grammairien peut faire une faute d’orthographe, ou le médecin peut donner une potion contraire. De même évidemment l’erreur peut se glisser aussi dans les êtres que produit la nature. Si dans le domaine de l’art, les choses qui réussissent sont faites en vue d’une certaine fin, et si dans les choses qui échouent, l’art a seulement fait effort pour atteindre le but qu’il se proposait sans y parvenir, il en est de même dans les choses naturelles ; et les monstres ne sont que des déviations de ce but vainement cherché. Ainsi donc, dans ces organisations primitives, les créatures bovines que nous rappelions tout à l’heure, si elles ne pouvaient arriver à un certain but et à une fin régulière, se produisaient par suite d’un principe corrompu, comme aujourd’hui les monstres se produisent par la perversion de la semence et du germe. § 10[253]. Encore faut-il nécessairement que le germe ait été le premier ; et les animaux n’ont pas pu naître tout d’un coup ; et c’est « la matière indigeste et universelle » dont on nous parle, qui a été le germe primitif. § 11[254]. Dans les plantes elles-mêmes, il y a bien aussi un pourquoi ; seulement, il est moins distinct ; et puisque dans les animaux il y avait « des créatures bovines à proue humaine, » pourquoi n’y aurait-il point eu dans les plantes « des espèces de vignes à proue d’olivier ? » Dit-on que c’est absurde ? Je ne le nie pas ; mais il fallait admettre des plantes de ce genre, puisqu’il y avait alors dans les animaux les anomalies qu’on prétend. § 12[255]. Enfin, il fallait aussi que la même confusion se retrouvât dans les germes.

§ 13[256]. Soutenir un pareil système, c’est nier toutes les choses naturelles ; c’est nier absolument la nature ; car on entend par choses naturelles toutes celles qui, mues continûment par un principe qui leur est intime, arrivent à une certaine fin. De chacun de ces principes, ne sort pas pour chaque espèce de chose un résultat identique, de même qu’il n’en sort pas un résultat arbitraire ; mais toujours le principe tend au même résultat, à moins d’obstacle qui l’arrête. § 14[257]. Mais, dit-on, le pourquoi des choses et le moyen employé en vue de ce pourquoi, peuvent venir aussi du hasard. Un hôte, pour citer cet exemple, est venu par hasard chez vous ; et il y a pris un bain, absolument comme s’il était venu tout exprès pour se baigner ainsi. Cependant ce n’est pas dans cette intention qu’il est venu, et ce n’a été qu’un hasard et un pur accident ; car le hasard, ainsi que nous l’avons dit plus haut, doit être rangé parmi les causes accidentelles. Mais quand c’est toujours ou du moins le plus ordinairement qu’une chose arrive, ce n’est plus ni par accident ni par hasard ; or, dans la nature, les choses se produisent éternellement de la même façon, si rien ne s’y oppose.

§ 15[258]. D’ailleurs il serait absurde de croire que les choses se produisent sans but, parce qu’on ne verrait pas le moteur délibérer son action. L’art non plus ne délibère point ; et si l’art des constructions navales était dans l’intérieur du bois, l’art agirait tout comme la nature. Par conséquent, si l’art se propose un but, la nature s’en propose un aussi ; et c’est ce qu’on peut voir manifestement, lorsque quelqu’un se sert à soi-même de médecin, image assez exacte des opérations de la nature.

§ 16[259]. Donc, en résumé, la nature est une cause évidemment, et une cause agissant en vue d’une fin.


CHAPITRE IX.

De la nécessité dans la nature. Le nécessaire n’a qu’une existence dérivée et conditionnelle ; il n’est point absolu ; certaines choses étant données, d’autres choses qui suivent celles-là sont nécessaires ; exemples de la maison et de la scie. Du nécessaire en mathématiques. Dans la nature le nécessaire est la matière avec ses mouvements. — Le physicien doit étudier la matière et surtout la fin des choses.

§ 1[260]. Le nécessaire a-t-il dans les choses une existence simplement conditionnelle et consécutive à l’hypothèse que nous venons d’admettre ? Ou bien a-t-il une existence absolue ? § 2[261]. De nos jours, on comprend la nécessité dans la génération des choses comme quelqu’un qui prétendrait que la muraille a été nécessairement construite, parce que les corps graves étant naturellement portés en bas, et les corps légers à la surface, les pierres du muret les fondements qu’elles forment ont dû être mis en bas, tandis que la terre qui est plus légère a été mise en haut, et que les bois qui sont les parties les plus légères de toutes sont à l’extérieur. § 3[262]. Il est certain qu’il est impossible que le mur existe sans ces matériaux ; mais ce n’est pas pour eux qu’il est fait, si ce n’est en tant qu’ils en sont la matière ; et, le mur n’a été vraiment fait qu’en vue de garantir et de conserver les choses renfermées dans la maison. Cette remarque s’applique à toutes les autres choses qui, étant faites en vue d’une certaine fin, ne pourraient exister sans des éléments nécessaires d’une certaine nature, mais qui ne sont faites pour ces éléments qu’en tant qu’ils en sont la matière, et qui ont une destination spéciale. Ainsi, pourquoi la scie est-elle faite de telle manière ? C’est pour former tel instrument, et en vue de tel usage. Sans doute l’acte en vue duquel la scie est faite, ne pourrait avoir lieu si elle n’était point en fer ; et par conséquent, il est nécessaire qu’une scie soit en fer pour qu’elle soit une scie, et pour que son œuvre s’accomplisse ; mais il est clair que le nécessaire n’est ici que comme condition de l’hypothèse, et non comme fin absolue. Ainsi, le nécessaire n’est que dans la matière ; et le pourquoi, la fin, est dans la raison qui la comprend et la poursuit.

§ 4[263]. Du reste, le nécessaire se retrouve dans les sciences mathématiques, à peu près ce qu’il est dans les choses de la nature. Ainsi, l’angle droit étant défini de telle manière, il y a nécessité que le triangle ait ses trois angles égaux à deux droits. Mais ce n’est pas parce que cette dernière propriété existe que la première a lieu. Seulement si les trois angles ne sont pas égaux à deux droits, l’angle droit n’est pas non plus ce qu’on a dit. Or, c’est précisément l’inverse dans les choses qui se produisent en vue d’un certain but. Si la fin doit être ou si elle est, l’antécédent doit être ou est comme elle. Mais si cet antécédent n’existe pas, de même que dans l’exemple qui vient d’être cité, quand la conclusion n’a pas lieu, le principe n’existe pas non plus, de même ici c’est la fin poursuivie et le pourquoi, qui ne pourront plus avoir lieu ; car la fin est le principe, non pas seulement de l’acte, mais aussi du raisonnement, tandis que dans les mathématiques, ce n’est que le principe du raisonnement, puisqu’en elles il n’y a point d’actes à produire. Par conséquent, s’il doit y avoir une maison, il faut de toute nécessité que tels matériaux aient été formés ou qu’ils puissent servir ou qu’ils existent préalablement ; en un mot, il faut qu’il y ait la matière employée en vue d’une certaine fin, et que, dans le cas spécial de la maison, il y ait des pierres de taille et des moellons. Néanmoins, la fin n’a pas ces matériaux en vue, si ce n’est comme matière ; et ce n’est pas pour eux qu’elle sera accomplie. Seulement, sans ces éléments nécessaires, il n’y aura de possible ni maison, ni scie : l’une, s’il n’y a pas de pierres ; l’autre, s’il n’y a pas de fer ; de même que dans les mathématiques, les principes ne peuvent être vrais que si le triangle a trois angles égaux à deux droits.

§ 5[264]. Ainsi, il est bien évident que le nécessaire dans les choses de la nature, est ce que l’on y regarde comme matière, avec les mouvements que cette matière reçoit.

§ 6[265]. Ces deux espèces de causes, matière et fin, doivent être expliquées par le physicien ; mais il doit s’attacher davantage à la cause finale ; car la fin est cause de la matière, tandis que la matière n’est pas cause de la fin. Or, la fin est le pourquoi qui fait agir, et le principe qu’on peut tirer de la définition et de la conception des choses. De même que pour tout ce que fait l’art, une maison, par exemple, étant telle chose, il faut nécessairement que telles choses aussi se produisent et existent ; ou bien que la santé étant telle chose, telles conditions se produisent et existent également de toute nécessité ; de même, si l’homme est un être de telle espèce, il faut nécessairement qu’il existe aussi telles conditions, et ces conditions existant, que telles autres conditions existent préalablement. § 7[266]. Peut-être même on peut dire que le nécessaire se retrouve aussi jusque dans la définition ; et, par exemple, si l’on veut définir l’opération de scier, il faut expliquer que c’est telle manière spéciale de diviser les choses ; puis, ajouter que cette division ne peut avoir lieu, à moins que la scie n’ait des dents faites de telle manière ; et que ces dents ne seront point ainsi faites, à moins que la scie ne soit en fer ; car il y a aussi dans la définition, certaines parties qui sont en quelque sorte la matière de la définition.


FIN DU LIVRE II



LIVRE III
DÉFINITION DU MOUVEMENT. — THÉORIE DE L’INFINI.

CHAPITRE PREMIER.

De la théorie du mouvement ; importance de cette théorie. — Divisions et catégories de l’être ; acte ou entéléchie et puissance. — Le mouvement n’est point en dehors des choses, il y a autant de genres du mouvement qu’il y a de genres de l’être. Définition du mouvement ; démonstration de l’exactitude de cette définition ; examen des opinions des autres philosophes. Difficulté de bien définir le mouvement.

§ 1[267]. La nature étant le principe du mouvement et du changement, et notre étude actuelle s’appliquant à la nature, il faut nous rendre bien compte de ce que c’est que le mouvement ; car, ignorer ce qu’il est, ce ne serait pas moins qu’ignorer la nature entière. Puis, une fois que nous aurons expliqué le mouvement, il faudra tacher d’aborder de la même manière les phénomènes qui l’accompagnent. Le mouvement peut être rangé, à ce qu’il semble, parmi les quantités continues ; et le premier caractère du continu, c’est d’être infini. Aussi, en définissant le continu, fait-on fréquemment usage de la notion de l’infini, comme si le continu n’était que ce qui est divisible à l’infini. En outre, il n’y a point de mouvement possible sans espace, sans vide, et sans temps. Donc évidemment, par ces motifs, et aussi parce que l’espace, le vide, le temps et le mouvement sont communs à tout et sont universels, nous devons étudier préalablement chacun d’eux séparément ; car l’étude des propriétés spéciales des choses ne doit venir qu’après l’étude de leurs propriétés communes. Commençons donc, ainsi que nous venons de le dire, par le mouvement.

§ 2[268]. Rappelons d’abord que l’être est tantôt seulement en entéléchie, en réalité ; et tantôt tout ensemble en puissance et en entéléchie ; tantôt encore il est substance ; tantôt, quantité ; tantôt qualité, et ainsi de suite pour toutes les autres catégories de l’être. § 3[269]. Quant au relatif, il est exprimé tantôt par l’excès ou par le défaut qui le désigne ; tantôt il est passif et actif ; et d’une manière générale, il est moteur mobile ; car le moteur est ce qui meut le mobile, et le mobile est mû par le moteur. § 4[270]. Mais il n’existe point de mouvement en dehors des choses ; car l’être qui change doit toujours changer, soit dans sa substance, soit dans sa quantité, soit dans sa qualité, soit de lieu. Or, il n’y a rien de commun entre tous ces termes, nous le répétons, qui ne soit pas aussi ou quantité, ou qualité, ou quelqu’une des autres catégories. Par conséquent, il ne peut y avoir ni mouvement, ni changement, pour quoi que ce soit qui ne serait point les catégories qui viennent d’être énumérées, puisqu’il n’existe pas d’autre être que ceux-là.

§ 5[271]. Mais chacune de ces catégories peut être à toutes choses de deux façons : par exemple, dans la substance, il y a la forme et la privation ; dans la qualité, l’être est blanc et il est noir ; dans la quantité, il est complet et incomplet ; et de même dans la translation, il va en haut et il va en bas, c’est-à-dire qu’il est léger et qu’il est pesant. § 6[272]. Par conséquent, il y a autant de genres de mouvement et de changement qu’il y a de genres de l’être. § 7[273]. Et comme dans chaque genre on peut distinguer l’être en acte ou entéléchie et l’être en puissance, l’acte ou entéléchie, c’est-à-dire la réalisation de l’être qui était en puissance, selon ce qu’est cet être, c’est le mouvement. § 8[274]. Ainsi l’altération est le mouvement de l’être altéré en tant qu’altéré ; le développement et la réduction sont le mouvement de l’être qui se développe, et de l’opposé, à savoir l’être qui se réduit ; car il n’y a pas ici d’expression commune pour ces deux idées ; la génération et la destruction sont le mouvement de l’être qui est engendré et qui se détruit ; de même que la translation est le mouvement de l’être transféré.

§ 9[275]. Ce qui prouve bien l’exactitude de cette définition du mouvement, c’est que, par exemple, quand une chose constructible, en tant que nous ne la considérons qu’à cet égard, est en entéléchie et se réalise, elle est construite ; le mouvement alors est la construction ; de même encore pour l’acte d’apprendre, l’acte de guérir, l’acte de rouler, de sauter, l’acte d’arriver à l’âge mûr, à la vieillesse, etc. § 10[276]. D’autre part, les mêmes choses pouvant être en puissance et en acte, sans que ce soit d’ailleurs à la fois, ni relativement à une même chose, comme un objet est chaud, par exemple, en puissance, et froid en réalité, il y aura beaucoup de choses qui agiront ou souffriront les unes par les autres. Tout sera également actif et passif, de telle sorte que le moteur naturel sera mobile à son tour, parce que tout ce qui meut dans la nature a d’abord été mu lui-même. § 11[277]. C’est là ce qui fait que certains philosophes croient que tout moteur, sans exception reçoit le mouvement. Nous nous réservons de démontrer ailleurs ce qu’il en est à cet égard et de prouver qu’il y a un moteur qui est lui-même immobile § 12[278]. Mais pour nous, le mouvement est l’acte ou entéléchie de l’être en puissance, lorsque cet être agit actuellement, en tant que mobile, soit en restant lui-même, soit en devenant autre. Quand je dis En tant que mobile, j’entends par exemple, que l’airain est la statue en puissance, bien que l’acte ou entéléchie de l’airain, en tant qu’airain, ne soit pas le mouvement ; car ce n’est pas essentiellement la même chose d’être de l’airain et d’être mobile en puissance, puisque si c’était absolument et rationnellement identique, l’acte ou entéléchie de l’airain, en tant qu’airain, serait le mouvement. Mais encore une fois ce n’est pas la même chose ; et l’on peut s’en convaincre en regardant aux contraires. Ainsi, c’est chose fort différente de pouvoir se bien porter et de pouvoir être malade, puisque, s’il en était autrement, être malade et se bien porter se confondraient. C’est le sujet qui est le même et qui reste un, soit en santé, soit en maladie, par l’effet de l’humeur ou du sang. Mais comme le sujet et sa puissance ne sont pas la même chose, pas plus que la couleur ne se confond avec le visible, il faut évidemment en conclure que le mouvement est l’acte, l’entéléchie du possible en tant que possible.

§ 13[279]. Il est donc bien certain que c’est là ce qu’est le mouvement ; qu’une chose n’est en mouvement qu’au moment où cette entéléchie a lieu ; et qu’il n’y a de mouvement ni après ni auparavant ; car toute chose peut tantôt être en acte, et tantôt n’y être pas ; et c’est, par exemple, une chose qui peut être construite, en tant qu’elle est constructible. § 14[280]. L’acte de la chose constructible, en tant que chose qui peut être construite c’est la construction ; car il n’y a ici que la construction, c’est-à-dire l’acte de la chose qui peut être construite, ou bien la maison. Mais une fois qu’il y a la maison, la chose constructible n’est plus, parce que la chose constructible est construite ; donc, nécessairement la construction est bien l’acte. Ainsi, la construction est un mouvement d’une certaine espèce ; et la même définition pourra également convenir aux autres espèces de mouvement.

§ 15[281]. Il suffit, pour prouver la vérité de cette définition, de voir ce que les autres philosophes ont dit du mouvement, et aussi la difficulté de le définir autrement qu’on ne le fait ici. En effet, il serait bien impossible de classer le mouvement et le changement dans un autre genre ; et l’on risque de se tromper, quand on le considère d’une façon différente de celle-ci. § 16[282]. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder ce que devient le mouvement dans ces théories qui en font ou une diversité, ou une inégalité, ou même le non-être. Mais il n’y a pas de mouvement nécessaire ni pour ce qui est divers, ni pour ce qui est inégal, ni pour ce qui n’existe point. § 17[283]. Le changement n’aboutit pas plus à ces termes qu’il ne vient d’eux ou de leurs opposés. § 18[284]. Ce qui fait que les philosophes dont nous parlons ont réduit le mouvement à ces termes, c’est qu’ils ont supposé que le mouvement est quelque chose d’indéfini ; et que les principes de leur autre série correspondante sont indéfinis, par cela même qu’ils sont privatifs ; car aucun d’eux n’est ni substance, ni qualité, ni aucune des catégories. § 19[285]. Ce qui fait encore que le mouvement semble indéfini, c’est qu’il est impossible de le placer d’une manière absolue, soit dans la puissance, soit dans l’acte des êtres ; et, par exemple, ni ce qui peut devenir une quantité ni ce qui actuellement en est une, n’est nécessairement en mouvement. Le mouvement paraît bien une sorte d’acte, mais d’acte incomplet ; et cela tient à ce que le possible, dont le mouvement est l’acte, est incomplet lui-même.

§ 20[286]. Ceci montre donc qu’il y a grand’peine à savoir ce qu’est au juste le mouvement ; car il faut de toute nécessité le classer ou dans la privation, ou dans la puissance, ou dans l’acte absolu ; et en même temps aucune de ces hypothèses ne semble satisfaisantes. Reste donc à le concevoir, ainsi que nous l’avons fait, comme un acte d’un certain ordre ; mais cet acte même, tel que nous l’avons expliqué, est difficile à bien comprendre, quoique ce ne soit pas impossible.


CHAPITRE II.

Suite de la définition du mouvement. Rapports du moteur et du mobile ; nécessité du contact ; le mouvement est en acte dans le mobile, et en puissance dans le moteur. — Objection contre cette théorie ; réponse à l’objection.

§ 1[287]. Ainsi qu’on l’a dit, tout moteur est mu lui-même, parce qu’il est mobile en puissance et que son immobilité est le repos ; car le repos est l’immobilité de ce qui, par nature, possède le mouvement. Agir sur le mobile en tant que mobile, c’est précisément là ce que c’est que mouvoir. Mais le moteur ne peut faire cela que par contact, de telle sorte qu’il est passif en même temps qu’il agit. Aussi le mouvement est-il l’entéléchie, l’acte du mobile en tant que mobile ; et, pour que ce phénomène ait lieu, il faut, je le répète le contact du moteur, qui souffre alors en même temps qu’il agit.

§ 2[288]. Mais toujours le moteur apportera quelque forme à l’être qu’il meut, soit en substance, soit en qualité, soit en quantité, laquelle forme sera le principe et la cause du mouvement quand le moteur le donne. Par exemple, l’homme en entéléchie, fait un homme réel de l’homme qui n’est qu’en puissance. § 3[289]. Il est dès lors évident, et sans qu’il puisse subsister de doute, que le mouvement est dans le mobile dont il est en effet l’entéléchie, et que le mouvement vient de ce qui peut le donner. § 4[290]. Or, l’acte de ce qui peut mouvoir ne doit point être autre que celui du mobile, puisqu’il faut que l’un et l’autre aient leur entéléchie. Le moteur en puissance est, par cela seul qu’il peut mouvoir ; le moteur réel est, parce qu’il agit et meut. Il est l’agent du mobile, et, par conséquent, il n’y a qu’un seul acte pour le moteur et le mobile également. C’est ainsi qu’il n’y a qu’un seul et même intervalle de un à deux, de deux à un, soit que l’on monte, soit que l’on descende ; car les deux choses n’en font qu’une, bien que d’ailleurs la définition ne soit point unique. Il en est absolument de même aussi pour le moteur et pour le mobile qu’il meut.

§ 5[291]. Mais ici se présente une objection purement logique, et la voici. Il y a peut-être nécessité que l’acte soit un peu différent, pour ce qui est actif et pour ce qui est passif ; d’un côté c’est l’activité ; d’autre part, c’est la passivité ; l’œuvre et la fin de l’un, c’est un résultat produit ; l’œuvre et la fin de l’autre, c’est un simple état passif. § 6[292]. Mais puisque l’on fait de toutes les deux des mouvements, on demande, en supposant qu’elles sont autres, dans quoi elles se trouvent. Ou toutes les deux sont dans ce qui souffre l’action et qui est mu ; ou bien l’action se trouve dans ce qui agit, et la souffrance se trouve dans ce qui subit l’action. Mais si l’on donne également le nom d’action à cette passivité, c’est une pure équivoque de mots ; et, si l’action est dans l’agent, et la passivité dans le patient, il s’ensuivra que le mouvement est dans le moteur, puisqu’on applique le même rapport, de l’action et de la passion au moteur et au mobile qu’il meut. Par conséquent, ou conclura que tout ce qui meut est mu à son tour, ou bien que ce qui a le mouvement ne sera pas mu. Que si l’on prétend que l’action et la passion sont toutes les deux dans le mobile et le patient, de même que l’enseignement et l’étude sont cependant réunis dans celui qui étudie, bien que ce soit deux choses distinctes, il en résultera d’abord que l’acte d’un être quelconque n’est plus dans cet être ; ensuite, il en résultera cette autre conséquence non moins absurde qu’une chose peut avoir deux mouvements en même temps. En effet, quelles peuvent être deux altérations diverses, d’un seul et même être, tendant vers une seule et même forme ? Évidemment, c’est impossible.

§ 7[293]. Dira-t-on qu’il n’y a qu’un seul et même acte pour l’agent et le patient ? Mais il est contre toute raison de soutenir que deux choses différentes en espèce puissent avoir un seul et même acte. § 8[294]. En outre, si l’on confond et si l’on identifie l’enseignement et l’étude, l’action et la passion, il faudra aussi qu’enseigner et étudier soient la même chose ; que souffrir et agir soient tout un ; et l’on arrivera nécessairement à cette conséquence que celui qui enseigne étudie toujours, et que celui qui agit est aussi celui qui souffre. § 9[295]. Mais ne peut-on pas dire qu’il n’est pas absurde de soutenir que l’acte d’une chose puisse être dans une autre chose ? L’enseignement, en effet, est l’acte de celui qui peut enseigner ; mais cet acte, qui est dans un certain être, n’y est pas séparé et isolé complètement ; il y est l’acte de cet être dans tel autre être. Ne peut-on pas dire encore que rien n’empêche que le même acte appartienne à deux choses, non pas parce que cet acte serait essentiellement identique, comme le sont un habit et un vêtement, mais parce qu’il sera à ces choses dans ce rapport où ce qui est en puissance est à ce qui est en acte ? § 10[296]. Ce n’est pas davantage une conséquence nécessaire que celui qui enseigne étudie en même temps ; et en supposant même qu’agir et souffrir se confondent, ce n’est pas cependant comme se confondent les choses dont la définition essentielle est identiquement la même, par exemple, celle de l’habit et celle du vêtement, mais c’est seulement comme le chemin est le même de Thèbes à Athènes ou d’Athènes à Thèbes, ainsi que je viens de le dire un peu plus haut. C’est qu’en effet les choses identiques ne sont pas identiques tout entières aux choses qui sont les mêmes qu’elles d’une façon quelconque, mais seulement à celles qui ont la même essence. § 11[297]. Mais même en admettant que l’enseignement à autrui soit la même chose que l’étude personnelle, il ne s’ensuivrait pas que étudier se confonde avec enseigner ; de même que la distance restant toujours une et la même entre deux points distants, on ne peut pas dire que ce soit une seule et même chose d’aller de celui-ci à celui-là et de celui-là à celui-ci.

§ 12[298]. Pour nous résumer en quelques mots, nous dirons qu’à proprement parler, ni l’enseignement et l’étude, ni l’action et la passion, ne sont une même chose ; la seule chose identique ici, c’est le mouvement auquel ces diverses propriétés se rapportent ; car l’acte de telle chose agissant sur telle chose, et l’acte de telle chose souffrant par telle chose, ce sont là des idées rationnelles.


CHAPITRE III.

Résumé de la définition du mouvement.

§ 1[299]. Nous avons donc expliqué ce qu’est le mouvement, soit en général, soit dans ses espèces particulières : et l’on ne peut plus être embarrassé pour définir chacune de ses espèces. Ainsi l’altération, par exemple, sera définie l’acte, l’entéléchie de l’être qui peut être altéré, en tant qu’il peut subir une altération. § 2[300]. On définira plus clairement encore le mouvement, en disant qu’il est l’acte de ce qui, en puissance, peut agir et souffrir, en tant qu’il est ce qu’il est. Et cela, soit d’une manière absolue, soit pour chaque cas particulier : ici, l’acte de la construction ; ailleurs, l’acte de la guérison que le médecin opère ; et l’on emploiera le même procédé pour définir chacune des autres espèces du mouvement.


CHAPITRE IV.

Théorie de l’infini : cette étude appartient spécialement à la physique ; exemple des philosophes antérieurs ; théories des Pythagoriciens et de Platon sur l’infini ; théories d’Anaxagore et de Démocrite. Tous les philosophes ont fait de l’infini un principe ; Anaximandre l’a même confondu avec la divinité.

§ 1[301]. La science de la nature s’occupant des grandeurs, du mouvement et du temps, trois choses qui sont de toute nécessité ou infinies ou finies, bien que d’ailleurs on ne puisse pas dire que tout sans exception soit infini ou fini, par exemple la qualité dans les choses et le point en mathématiques, les choses de ce genre ne devant peut-être pas nécessairement être rangées dans l’une : ou l’autre de ces deux classes, il convient, quand en traite de la nature, d’étudier aussi l’infini et de rechercher s’il est ou s’il n’est pas ; et dans le cas où il est, ce qu’il est. § 2[302]. Une preuve manifeste que cette recherche sur l’infini appartient en propre à la science de la nature, c’est que tous ceux qui ont traité avec une véritable autorité cette partie de la philosophie, se sont occupés de l’infini. Tous en ont fait un principe des êtres. § 3[303]. Les uns, comme les Pythagoriciens et Platon, pensant que l’infini est en soi ce principe, en ont fait non pas l’attribut et l’accident d’une autre chose, mais une substance qui existe par elle-même. § 4[304]. La seule différence, c’est que les Pythagoriciens mettent l’infini parmi les choses sensibles ; car ils ne supposent pas que le nombre est séparé des choses ; et l’infini est pour eux ce qui est en dehors du ciel. Platon, au contraire, pense qu’en dehors du ciel il n’y a rien, pas même les Idées, qui d’ailleurs ne sont nulle part ; et il n’en soutient pas moins que l’infini est dans les choses sensibles et dans les Idées. § 5[305]. Les Pythagoriciens disent encore que l’infini est le pair ; car selon eux, c’est le pair qui, enveloppé et complété par l’impair, donne aux êtres l’infinitude. Ils allèguent en preuve ce qui se passe dans les nombres, où en ajoutant les gnomons à l’unité, et séparément, on obtient tantôt une figure toujours différente et tantôt une figure pareille. De son côté, Platon distingue deux infinis, qui sont le grand et le petit. § 6. Les philosophes physiciens supposent tous à l’infini une autre nature, et lui prêtent celle des éléments qu’ils admettent, tels que l’eau, l’air, et les intermédiaires analogues. § 7[306]. Parmi ceux qui reconnaissent que les éléments sont en nombre fini, personne n’a jamais songé à les faire infinis en grandeur. § 8[307]. Mais ceux qui croient les éléments infinis en nombre, comme Anaxagore et Démocrite, l’un les composant de ses parties similaires ou Homoeoméries, et l’autre de ses formes partout répandues comme des germes, ceux-là pensent que l’infini est continu par le contact universel des choses. § 9[308]. Anaxagore affirme qu’une partie quelconque d’une chose est un mélange pareil au reste de l’univers, parce que selon lui on peut observer que tout vient de tout. C’est là aussi ce qui lui faisait dire qu’à l’origine toutes choses étaient pêle-mêle les unes avec les autres, et que, par exemple, ce qui est actuellement de la chair était aussi ce qui est actuellement des os et telle autre chose, que tout en un mot était tout, et que toutes choses étaient par conséquent confondues ensemble ; car selon lui, non seulement il y a dans chacune un principe de distinction pour cette chose même, mais un principe de distinction pour toutes les autres. Mais comme il est bien vrai, en effet, que tout ce qui se produit vient d’un corps analogue, qu’il y a réellement génération de tout, sans que d’ailleurs cette génération soit simultanée, ainsi que le croit Anaxagore, et comme enfin il faut un principe précis de génération, ce principe est certainement unique, et c’est ce qu’Anaxagore appelle l’Intelligence. Or, l’Intelligence en agissant intellectuellement doit partir d’un certain principe déterminé. Donc, nécessairement tout était jadis pêle-mêle ; et les choses ont dû commencer à recevoir le mouvement. Quant à Démocrite, il pense que jamais dans les éléments primordiaux l’un ne peut venir de l’autre ; mais que cependant c’est le même corps commun qui est le principe de tous les autres, ne variant jamais que par la grandeur et la forme de ses parties.

§ 10[309]. Ce qui précède doit nous prouver que l’étude de l’infini appartient bien aux physiciens.

§ 11[310]. Tous d’ailleurs ont eu pleine raison de faire de l’infini un principe ; car il n’est pas possible que l’infini ait été fait pour rien ; et on ne peut pas lui attribuer une autre valeur que celle de principe. Tout, en effet, est principe ou vient d’un principe ; mais il ne peut pas y avoir un principe de l’infini, puisqu’alors ce serait une limite qui le rendrait fini. § 12[311]. Il faut de plus que l’infini, en tant que principe d’un certain genre, soit incréé et impérissable ; car ce qui est créé doit avoir une fin ; et il y a un terme à tout dépérissement. Aussi, nous le répétons, il n’y a pas de principe de l’infini, et c’est lui qui semble le principe de tout le reste. § 13[312]. « Il embrasse tout, il gouverne tout, » comme le disent ceux qui ne reconnaissent point en dehors de l’infini d’autres causes telles que l’Intelligence ou l’Amour. § 14[313]. Ils ajoutent que l’infini est le divin, puisqu’il est immortel et indestructible, ainsi que le disait Anaximandre, et avec lui, le plus grand nombre des philosophes Naturalistes.


CHAPITRE V.

Cinq arguments pour démontrer l’existence de l’infini ; le temps, la divisibilité des grandeurs, la génération des choses, la nécessité d’une limite absolue, et le nombre conçu par la pensée. — Difficultés inévitables de la théorie de l’infini.

§ 1[314]. Pour démontrer l’existence de l’infini, on peut recourir à cinq arguments principaux.

§ 2[315]. D’abord, le temps, qui est infini. § 3[316]. Puis, la divisibilité dans les grandeurs ; car les mathématiciens emploient aussi la notion de l’infini. § 4[317]. En troisième lieu, l’infini se prouve par cette considération que le seul moyen que la génération et la destruction ne défaillent jamais, c’est qu’il y ait un infini d’où sorte sans cesse tout ce qui se produit. § 5[318]. Quatrièmement, tout ce qui est fini est toujours fini relativement à quelque chose ; et nécessairement il n’y aurait jamais de limite ni de fin, s’il fallait toujours nécessairement qu’une chose se limitât relativement à une autre. § 6[319]. Enfin, le plus puissant argument, et qui embarrasse tous les philosophes également, c’est que dans la pensée il n’y a pas de limitation possible, et qu’en elle le nombre est infini, aussi bien que les grandeurs mathématiques, et l’espace qui est en dehors du ciel. Cet extérieur du ciel étant infini, il faut bien qu’il y ait un corps infini, ainsi que des mondes sans fin. Car pourquoi le vide serait-il dans telle partie plutôt que dans telle autre ? Par conséquent, s’il y a du plein en un seul endroit, le plein doit être aussi partout. En admettant même qu’il y ait du vide, il n’en faut pas moins nécessairement que l’espace soit infini, et que le corps soit infini également ; car dans les choses éternelles, il n’y a aucune différence entre pouvoir être et être.

§ 7[320]. Mais la théorie de l’infini présente toujours une difficulté très grande, et l’on tombe dans une foule d’impossibilités, soit qu’on en admette soit qu’on en rejette l’existence. § 8[321]. Puis, comment l’infini existe-t-il ? Existe-t-il comme substance ? Ou bien n’est-il qu’un accident essentiel dans quelque substance naturelle ? Ou bien encore n’existe-t-il ni de l’une ni de l’autre façon ? L’infini n’existe pas moins cependant, tout aussi bien qu’il y a des choses qui sont en nombre infini. § 9[322]. Mais ce qui regarde par dessus tout le physicien, c’est de savoir s’il y a une grandeur sensible qui soit infinie.


CHAPITRE VI.

Sens divers du mot Infini. — Discussion des opinions diverses ; réfutation de la théorie Pythagoricienne ; l’infini ne peut être séparé des choses sensibles ; et s’il n’est qu’un accident, on ne peut plus en faire un principe ; contradiction des Pythagoriciens qui font de l’infini une substance divisible.

§ 1[323]. Un premier soin qu’il faut prendre, c’est de définir les acceptions diverses du mot Infini. § 2[324]. En un sens, on appelle infini ce qui ne peut être parcouru, attendu que par sa nature il ne peut être mesuré, de même que la voix par sa nature est invisible. En un autre sens, l’infini est ce dont le cours est sans terme ou à peu près sans terme ; ou bien ce qui par nature pouvant avoir un terme qui finisse son cours, n’en a pas cependant et n’a pas de limite. § 3[325]. Enfin tout peut être considéré comme infini, soit sous le rapport de l’addition, soit sous le rapport de la division, soit sous ces deux rapports à la fois.

§ 4[326]. Il est impossible que l’infini soit séparé des choses sensibles, et que ce quelque chose soit lui-même infini ; car si l’infini n’est ni grandeur ni nombre, et qu’il soit essentiellement substance et non point accident, dès lors il est indivisible, puisque le divisible est toujours, ou une quantité, ou un nombre. Mais s’il est indivisible, il n’est plus infini, si ce n’est comme on dit que la voix est invisible. Or, ce n’est pas ainsi que le considèrent les philosophes qui affirment son existence, et ce n’est pas sous cet aspect que nous l’étudions nous-mêmes. C’est seulement comme ne pouvant être parcouru. § 5[327]. D’autre part, si l’infini existe comme simple accident, il n’est plus dès lors un élément des êtres en tant qu’infini, pas plus que l’invisible n’est l’élément du langage, bien que la voix soit invisible. § 6[328]. De plus, comment comprendrait-on que quelque chose puisse par soi-même être l’infini, quand le nombre et la grandeur dont l’infini est essentiellement une propriété, ne seraient point séparés eux-mêmes des choses ? Car il y aura moins de nécessité pour cette chose d’être infinie que pour le nombre et la grandeur.

§ 7[329]. Il est évident encore que l’infini ne peut pas plus être en acte, qu’il ne peut être substance et principe, car alors toute partie qu’on lui emprunterait serait infinie, puisqu’il est divisible ; et que l’infini et l’essence de l’infini se confondent, du moment que l’infini est une substance et qu’il n’est pas un attribut dans un sujet. Par conséquent, ou l’infini est indivisible, ou il est divisible en d’autres infinis. Mais il ne se peut pas que la même chose soit plusieurs infinis. Cependant il faudrait que de même que l’air est une partie de l’air, de même il pût y avoir un infini d’infini, si l’on admet l’infini comme substance et principe. Donc l’infini est sans parties, et il est indivisible. Mais il est impossible que l’être en acte soit infini, puisqu’il faut nécessairement qu’il soit une quantité déterminée. § 8[330]. Par conséquent, l’infini n’existe que comme accident. Mais s’il en est ainsi, nous avons dit qu’on ne peut plus l’appeler un principe ; et alors le véritable principe, c’est ce dont l’infini est l’accident, soit l’air, soit le nombre pair, etc. § 9[331]. C’est donc se tromper étrangement que de traiter l’infini comme le font les Pythagoriciens, qui tout à la fois en font une substance et le divisent en parties.


CHAPITRE VII.

Suite de la théorie de l’infini. — Il n’y a pas de corps perceptible à nos sens qui soit infini ; raisons logiques ; raisons physiques. Aucun des éléments ne peut être infini ; opinion d’Héraclite, qui croit que tout a été jadis du feu. — De l’immobilité et du mouvement de l’infini ; opinion d’Anaxagore réfutée ; manière d’entendre l’immobilité de l’infini.

§ 1[332]. Peut-être faudrait-il encore généraliser davantage cette étude, puisque l’infini se rencontre, non seulement dans la nature, mais aussi dans les mathématiques, dans les choses de l’entendement et dans celles qui n’ont pas de grandeur. Mais quant à nous, ne nous occupant que des choses sensibles, et des sujets que nous traitons spécialement ici, nous nous demanderons si, parmi les choses que perçoivent nos sens, il n’y a pas un corps dont le développement soit infini.

§ 2[333]. En se bornant à des considérations logiques, voici les arguments qui donneraient à croire que ce corps n’existe pas. § 3[334]. Si, en effet, on peut définir le corps : Ce qui est limité par une surface, un corps infini n’est plus dès lors possible, ni pour la raison, ni pour les sens. § 4[335]. Mais le nombre lui-même des choses n’est pas infini, de même qu’il est abstrait ; le nombre n’est que ce qui est numérable ou ce qui a un nombre ; or, puisqu’on peut toujours nombrer le numérable, il s’en suivrait qu’on pourrait aussi parcourir l’infini.

§ 5[336]. Mais physiquement, les considérations sont encore plus frappantes. § 6[337]. Et elles démontrent que le corps infini ne peut être, ni composé, ni simple. § 7[338]. Ainsi, le corps infini ne peut pas être composé, si l’on suppose que ses éléments sont en nombre fini ; car il faut nécessairement que les éléments contraires soient toujours plus d’un ; et comme ils s’équilibrent sans cesse, un seul d’entre eux ne peut être infini. Si, en effet, la puissance qui est dans un seul corps est inférieure en quoi que ce soit à celle qui est dans l’autre ; et si, par exemple, le feu est limité et l’air infini, et que le feu suffisamment multiplié, mais toujours en ayant un nombre déterminé, l’emporte en puissance sur une égale quantité d’air, évidemment l’infini n’en surpassera pas moins toujours le fini qu’il annulera. § 8[339]. Mais il n’est pas plus possible que chaque élément du corps sensible infini, soit infini ; car le corps est ce qui a une dimension en tous sens ; et l’infini est ce qui a des dimensions infinies. Par conséquent, le corps infini aura des dimensions infinies dans tous les sens possibles.

§ 9[340]. Il ne se peut pas non plus que le corps sensible infini soit un et simple ; il n’est pas possible, ni qu’il soit ce qui est en dehors des éléments, comme le disent certains philosophes qui les en font sortir et naître, ni même qu’il soit du tout.

§ 10[341]. Car il y a des philosophes qui conçoivent l’infini de cette façon, sans vouloir le placer dans l’air ou le feu, de peur de détruire les autres éléments par celui d’entre eux qu’on ferait infini. Les éléments ont en effet, les uns à l’égard des autres, une opposition qui en fait des contraires. Ainsi, l’air est froid, l’eau est humide, le feu est chaud ; et si l’un de ces éléments était infini, les autres seraient à l’instant détruits par lui. C’est pour cela que nos philosophes font du principe d’où viennent les éléments, quelque chose de différent des éléments eux-mêmes. § 11[342]. Mais il est impossible qu’il existe un tel corps, non pas seulement en tant qu’infini ; car on peut dire de lui à cet égard, précisément ce qu’on dirait tout aussi bien de l’air, de l’eau ou de tout autre élément ; mais parce qu’il ne peut pas y avoir de corps sensible de ce genre, en dehors de ce qu’on appelle les éléments. Tout en effet se résout en définitive dans l’élément d’où il vient, de telle sorte qu’il faudrait ici un élément autre que l’air, le feu, la terre et l’eau ; mais évidemment il n’y en a pas. § 12[343]. Mais ni le feu ni aucun des autres éléments ne peut pas non plus du tout être infini ; car, absolument parlant, et à moins que l’un d’eux ne soit infini, il est impossible que l’univers, fût-il même limité, soit ou devienne un seul de ces éléments, uniquement, suivant l’opinion d’Héraclite, qui prétend que jadis tout a été feu. § 13[344]. Ce même raisonnement peut s’appliquer à ce principe unique que les physiciens imaginent en dehors des éléments ordinaires, attendu que tout changement se fait du contraire au contraire, et, par exemple, du chaud au froid.

§ 14[345]. C’est d’après ce qui précède qu’il faut voir d’une manière générale s’il est possible ou impossible qu’il y ait un corps sensible infini. § 15[346]. Mais voici maintenant des raisons qui semblent démontrer qu’il est absolument impossible qu’il y ait un corps sensible infini. D’après les lois de la nature, tout corps sensible est dans un lieu ; or, il y a un lieu propre pour chaque corps ; et ce lieu est le même pour la partie que pour le tout ; par exemple, pour toute la terre en masse et pour une seule motte de terre, pour le feu et pour une étincelle. § 16[347]. Par conséquent, si la partie est homogène au tout, ou elle sera éternellement immobile, ou elle sera éternellement en mouvement ; or, cela est cependant tout à fait impossible ; car, pourquoi le mouvement irait-il plutôt en bas qu’en haut, ou dans tout autre sens ? Je prends l’exemple de la motte de terre et je demande : Dans quel lieu la portera le mouvement ? Ou dans quel lieu restera-t-elle immobile, si le lieu du corps qui lui est homogène est supposé infini ? Remplira-t-elle tout l’espace ? Mais comment cela se pourrait-il ? Quel sera son repos et son mouvement ? Où seront-ils l’un et l’autre ? Sera-t-elle partout en repos ? Alors elle ne sera jamais en mouvement. Ou bien son mouvement sera-t-il partout ? Mais alors elle ne sera jamais en repos.

§ 17[348]. Si la partie est d’une autre espèce que le tout, les lieux où seront le tout et la partie seront également différents. § 18[349]. Et d’abord le corps que forme le tout ne peut plus être un et avoir d’unité, si ce n’est par la contiguïté des parties. § 19[350]. Ensuite, toutes les parties dont il se compose seront ou finies ou infinies en espèces. § 20[351]. Or, il n’est pas possible qu’elles soient finies ; car, si le tout est infini, il faut que, des parties qui le forment, les unes soient infinies, et que les autres ne le soient pas, le feu ou l’eau, par exemple ; et ce serait là précisément la destruction des contraires, ainsi qu’on l’a dit plus haut. § 21[352]. Voilà pourquoi aucun des philosophes qui ont traité de la nature n’ont jamais imaginé que l’un et l’infini puissent être le feu ou la terre ; mais ils ont supposé que c’était ou l’eau, ou l’air, ou le corps intermédiaire entre ces deux éléments. C’est que le lieu de l’un et de l’autre, de la terre et du feu, est évidemment déterminé, et que ces deux éléments se dirigent, celui-ci en haut et l’autre en bas. § 22[353]. Si les parties sont infinies et simples, les lieux sont par suite infinis aussi ; et les éléments sont infinis également. Mais si c’est là une impossibilité et si les lieux sont eux-mêmes en nombre fini, nécessairement le tout sera fini comme eux ; car il est impossible que le lieu et le corps ne soient pas conformes et égaux l’un à l’autre. Ainsi, d’une part, le lieu tout entier n’est pas plus grand que le corps ne peut l’être en même temps que lui, puisque en même temps le corps cesserait d’être infini ; et d’autre part, le corps ne peut être plus grand que le lieu ; car, ou il y aura du vide, ou il y aura un corps qui ne pourra plus être naturellement en aucun lieu.

§ 23[354]. Anaxagore se trompe étrangement sur l’immobilité de l’infini, quand il prétend que l’infini se fixe et se soutient lui-même ; et cela, parce qu’il existe en lui seul, attendu que rien ne peut le contenir. § 24[355]. On croirait, à l’entendre, qu’il suffit qu’une chose soit dans un lieu quelconque, pour que ce soit sa nature d’y être ; mais cela n’est pas exact ; car une chose peut être par force dans un certain lieu, sans être là où sa nature voudrait qu’elle fût. § 25[356]. Si donc c’est surtout de l’ensemble des choses, de l’univers, que l’on doit dire qu’il n’est pas mis en mouvement, puisque de toute nécessité ce qui ne s’appuie que sur soi-même et n’existe que par soi seul est absolument immobile, il faudrait nous dire pourquoi il n’est pas dans sa nature de se mouvoir. Il ne peut suffire ici de se débarrasser de la difficulté par cette simple assertion qu’il en est ainsi ; car tout autre corps quelconque peut n’être pas davantage en mouvement, bien que par sa nature il soit fait pour se mouvoir. Ainsi, la terre n’a pas de mouvement de translation ; et, fût-elle infinie, elle ne serait pas pour cela déplacée du milieu et du centre ; elle resterait au milieu, non pas seulement parce qu’il n’y aurait point de lieu différent où elle pourrait être portée, mais de plus parce qu’il est dans sa nature de demeurer au centre et de ne point aller ailleurs. Cependant on pourrait dire aussi de la terre qu’elle s’appuie et se soutient elle-même. Si donc ce n’est pas parce que la terre est infinie qu’elle reste ainsi au centre, mais à cause de sa pesanteur et parce que ce qui est pesant reste au milieu comme la terre y reste, on peut dire que l’infini reste également en lui-même par quelqu’autre cause ; et ce n’est pas non plus du tout parce qu’il est infini qu’il se soutient lui-même. § 26[357]. Il est en même temps évident que, d’après les théories d’Anaxagore, il faudrait aussi qu’une partie quelconque de l’infini fût en repos comme lui ; car, de même que l’infini se soutenant lui-même se repose en soi, de même, si on en prend une partie quelconque, il faut que cette partie soit également en repos sur elle-même. Car les lieux sont identiques spécifiquement pour le tout et pour la partie ; et, par exemple, le lieu de la terre prise en masse et celui d’une simple motte de terre sont également en bas ; le lieu du feu entier et celui d’une étincelle sont en haut. Par conséquent, si le lieu de l’infini est d’être en soi, ce sera aussi le lieu de la partie, qui aura également son repos en elle-même

§ 27[358]. Mais on voit sans la moindre peine qu’il est absolument impossible de dire à la fois, et qu’il y a un corps sensible infini, et que les corps ont un lieu propre. Tout corps sensible est ou pesant ou léger. S’il est pesant, il a sa tendance naturelle vers le centre ; s’il est léger, il l’a en haut. Or, l’infini aussi est soumis nécessairement à cette condition. Mais il est impossible ni que l’infini tout entier ait indifféremment l’une ou l’autre de ces propriétés, ni que dans ses moitiés l’infini les ait toutes les deux. Comment en effet diviser l’infini ? Et comment une partie de l’infini sera-t-elle en bas et l’autre en haut ? En d’autres termes, comment l’une sera-t-elle à l’extrémité, tandis que l’autre serait au centre ?

§ 28[359]. De plus, tout corps perceptible à nos sens est dans un lieu ; or, les espèces et les différences du lieu sont le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche ; et ces distinctions ne se rapportent pas seulement à nous et à la position respective des choses ; elles se retrouvent encore également déterminées dans l’univers lui-même, dans le tout. Or, il est bien impossible qu’elles se rencontrent dans l’infini. Si donc le lieu ne peut pas absolument être infini, et que tout corps soit dans un lieu, il est impossible également qu’un corps sensible quelconque soit infini. § 29[360]. Mais ce qui est quelque part est dans un lieu, et ce qui est dans un lieu est quelque part. Si donc l’infini ne peut pas non plus être une certaine quantité, car la quantité est quelque chose de déterminé, comme, par exemple, deux coudées, trois coudées, expressions qui toutes ne signifient que la quantité, de même l’infini ne peut pas être davantage ce qui est dans ne lieu, parce que ce qui est dans un lieu est quelque part, c’est-à-dire soit en haut soit en bas, soit dans une autre des six positions ; or, chacune de ces positions est une limite d’une certaine espèce.

§ 30[361]. En résumé, toute cette discussion prouve évidemment qu’il n’y a pas de corps, actuellement perceptible à nos sens, qui soit infini.


CHAPITRE VIII.

Suite ; on ne peut nier l’existence de l’infini, sans arriver à des conséquences absurdes. Le temps, les grandeurs et les nombres sont infinis. — Double existence de l’infini, en puissance et en acte ; véritable notion de l’infini qui est toujours en puissance et n’est jamais en soi et en acte ; il est également par addition et par division ou retranchement. — Les deux infinis de Platon.

§ 1. D’un autre côté, si l’on nie absolument l’existence de l’infini, on ne se crée pas moins d’impossibilités ; car il faudrait alors que le temps eût un commencement et une fin ; il faudrait que les grandeurs ne fussent pas divisibles en grandeurs et que le nombre ne fût pas infini. § 2[362]. Mais comme après les considérations qui viennent d’être présentées, il semble également impossible que l’infini soit et ne soit pas, il faut évidemment en conclure qu’en un sens l’infini existe et qu’en un sens il n’existe point. § 3[363]. Être peut signifier tantôt être en puissance, et tantôt être actuellement. § 4[364]. Et l’infini peut se former également soit par addition soit par retranchement. § 5[365]. Nous avons déjà démontré que la grandeur en acte ne peut être infinie ; mais elle peut l’être sous le rapport de la divisibilité ; car il est aisé de réfuter la théorie des lignes insécables. Reste donc que l’infini existe en puissance. § 6[366]. Mais quand on dit en puissance, on ne doit pas prendre cette expression dans le sens où l’on dit, par exemple, que, si telle matière peut devenir une statue, cette matière sera effectivement une statue ; et l’on ne doit pas croire qu’il y a de même un infini qui puisse exister actuellement. Mais comme le mot d’Être a plusieurs acceptions, il faut comprendre que l’infini peut être de la même manière qu’est le jour ou qu’est la période des jeux Olympiques, parce que sans cesse il devient autre et toujours autre. Car pour ces dates solennelles des Jeux, on peut distinguer aussi la puissance et l’acte puisque l’on compte les Olympiades à la fois par les jeux qui peuvent avoir lieu et par ceux qui ont lieu en effet actuellement.

§ 7[367]. Mais, évidemment, l’infini est tout autrement dans le temps, et dans la succession, par exemple, des générations humaines, qu’il n’est dans la divisibilité des grandeurs. § 8[368]. D’une manière générale, l’infini existe en tant qu’il peut toujours être pris quelque chose d’autre et de toujours autre, et que la quantité qu’on prend, bien que toujours finie, n’en est pas moins toujours différente et toujours différente. L’infini n’est donc pas à considérer comme quelque chose de spécial et de précis, un homme, par exemple, une maison ; mais il faut comprendre l’existence de l’infini comme on dit que sont le jour ou l’Olympiade, auxquels l’être n’appartient pas comme étant telle ou telle substance, mais qui sont toujours à devenir et à périr, limité et fini sans doute, mais étant toujours autre et toujours autre. § 9[369]. Mais il y a cette différence, en ce qui concerne les grandeurs, que le phénomène a lieu, la quantité qu’on a prise subsistant et demeurant, tandis que pour les générations successives des hommes et pour le temps, ils s’éteignent et périssent de façon qu’il n’y ait jamais d’interruption ni de lacune.

§ 10[370]. Quant à l’infini par addition, il en est à peu près de même que pour l’infini par division. Car soit une quantité finie ; l’infini par addition s’y produit à l’inverse. En tant qu’on voit cette quantité finie divisée à l’infini, il paraîtra qu’on ajoute indéfiniment à la quantité déterminée. En effet si, dans une grandeur finie, on prend une partie qui reste toujours déterminée, et que l’on continue de prendre dans la même proportion, sans prendre une grandeur constamment égale de la grandeur entière, on n’épuise pas le fini. Mais on l’épuisera, si l’on accroît la proportion de telle sorte qu’on prenne toujours la même quantité, parce que toute quantité finie doit finir par s’épuiser, si on lui ôte toujours une quantité finie quelle qu’elle soit.

§ 11[371]. L’infini n’existe pas, si on le considère autrement que je ne le fais ici ; mais il est de la façon que je viens de dire. La notion qu’il faut s’en faire, c’est qu’il est en puissance, par divisibilité ou retranchement ; et il n’est en acte que comme y est le jour, comme y est l’Olympiade. Il est en puissance comme la matière : et il n’est jamais en soi comme le fini. Pour ce qui regarde l’addition, l’infini y est en puissance de la même façon à peu près où nous entendons qu’il y est aussi dans la division, attendu qu’il serait toujours possible d’en prendre quelque quantité nouvelle en dehors de ce qu’on a déjà. § 12[372]. Cependant, l’infini par addition ne dépassera point la grandeur finie tout entière, de même que dans la division il dépasse toujours la quantité finie en étant plus petit qu’elle. Par conséquent, surpasser toute la grandeur finie par addition successive n’est pas même possible en puissance, puisque l’infini en acte n’existe pas comme attribut et accident, dans le sens où les physiciens regardent comme infini le corps qu’ils imaginent en dehors du monde, et dont la substance est l’air ou tel autre élément analogue. Mais s’il ne se peut pas qu’un corps sensible de ce genre soit infini en acte, il est évident que l’infini ne peut pas davantage être en puissance par addition, si ce n’est à l’inverse de la division, ainsi qu’on vient de le dire.

§ 13[373]. Si donc Platon a également reconnu deux infinis, c’est que l’infini semble tout aussi bien se produire par l’addition, qui se développe sans cesse, que par le retranchement, qui peut de même être infini. § 14[374]. Il est vrai qu’après avoir admis ces deux infinis, Platon n’en fait aucun usage ; car, selon lui, dans les nombres il n’y a pas d’infini par retranchement, puisque l’unité est à ses yeux ce qu’il y a de plus petit ; et il n’y en a pas davantage par accroissement, puisqu’il ne compte plus le nombre au-delà de la décade.


CHAPITRE IX.

Suite ; réfutation des théories antérieures ; véritable définition de l’infini opposée à la définition vulgaire. Parménide et Mélissus.

§ 1[375]. Il se trouve que l’infini est tout le contraire de ce que disent nos philosophes ; car l’infini n’est pas du tout ce en dehors de quoi il n’y a rien, mais il est précisément ce qui a perpétuellement quelque chose en dehors. § 2[376]. La preuve, c’est qu’ils qualifient eux-mêmes d’infinis les anneaux qui n’ont pas de chaton, parce qu’on peut toujours prendre un point en dehors de celui auquel on s’arrête ; mais ce n’est là qu’une espèce de similitude qu’ils peuvent employer à leur gré ; ce n’est pas cependant une expression propre. Il faut bien en effet pour l’infini que cette condition existe, et aussi que jamais le même point n’y soit repris : or, il n’y a rien de pareil dans le cercle, et le point nouveau n’est autre que parce qu’on le prend à la suite d’un point qui précède. Donc l’infini est ce qui peut toujours, en dehors de la quantité qu’on a, fournir quelque chose, qui soit une quantité nouvelle. § 3[377]. Au contraire, ce en dehors de quoi il n’y a plus rien peut s’appeler le parfait, le tout, l’entier ; car on entend par le tout, par l’entier, ce à quoi rien ne manque en fait de parties : par exemple, un homme complet et entier, un coffre entier et complet. Car de même que la définition s’applique à chaque objet particulier, elle s’applique aussi de même au terme propre et absolu ; et par exemple, le tout, l’entier, signifie ce en dehors de quoi il n’y a plus rien. Mais ce en dehors de quoi reste quelque chose qui lui manque, n’est plus entier, quelque soit ce qui lui manque. L’entier et le parfait sont des termes absolument identiques, ou du moins ils sont d’une nature bien voisine. Or, rien n’est parfait qui n’ait une fin ; et la fin, c’est la limite. § 4[378]. Aussi doit-on trouver que Parménide était plus dans le vrai que Mélissus ; car celui-ci disait que l’infini est l’entier, tandis que celui-ci prétendait que l’entier est limité et fini :« De tous côtés égal, à partir du milieu. »

Car confondre l’infini avec le tout et avec l’entier, ce n’est pas précisément joindre un bout de fil à un autre bout de fil.


CHAPITRE X.

Suite ; complément de la définition de l’infini.

§ 1[379]. C’est qu’en effet si l’on trouve une si haute importance à l’infini, qui, dit-on, embrasse toutes choses et qui renferme tout l’univers en soi, c’est qu’il a bien quelque ressemblance avec un entier, avec un tout. § 2[380]. L’infini est, on peut dire, la matière de la perfection que peut recevoir la grandeur. § 3[381]. Il est l’entier, le tout en puissance, mais non point en acte. § 4[382]. Il est divisible, soit par le retranchement, suit par l’addition prise en sens inverse. § 5[383]. Il devient entier, si l’on veut, et fini, non pas en soi, mais relativement à un autre terme. § 6[384]. À vrai dire, il ne contient pas ; mais il est contenu, en tant qu’infini. § 7[385]. Et ce qui fait qu’il est impossible de le connaître en tant qu’infini, c’est que la matière n’a pas de forme. § 8[386]. Donc il est évident que l’idée de l’infini est plutôt renfermée dans la notion de partie que dans la notion d’entier et de tout ; car la matière est une partie du tout, de l’entier, comme l’airain est une partie de la statue, dont il est la matière. § 9[387]. Du reste, si dans les choses sensibles et intelligibles, c’est le grand et le petit qui embrassent toutes choses, il faudrait aussi qu’ils embrassassent les intelligibles ; mais il est absurde et impossible que ce soit l’inconnu et l’indéterminé qui embrassent les choses, et les fassent connaître en les déterminant.


CHAPITRE XI.

Suite ; l’infini est plutôt le contenu que le contenant ; et c’est la forme qui contient. Dans les nombres, on peut admettre l’infini par accroissement perpétuel ; dans les grandeurs, l’infini n’est qu’en division et en petitesse. Différence de l’infini dans les nombres et dans les grandeurs. Emploi de l’infini dans les mathématiques. — L’infini est cause en tant que matière ; opinion commune des philosophes.

§ 1[388]. Il est tout à fait rationnel que l’infini par addition semble ne pas pouvoir exister de manière à surpasser toute la grandeur, tandis qu’au contraire l’infini semble pouvoir exister par division ; car l’infini est contenu lui aussi, tout comme la matière, à l’intérieur de l’être ; et c’est la forme qui contient. § 2[389]. Il semble également conforme à la raison d’admettre que pour le nombre il y a une limite dans le sens de l’extrême petitesse, et qu’en allant dans le sens de l’accroissement, on peut toujours dépasser un nombre quelque grand qu’il soit, tandis que pour les grandeurs il semble, tout au contraire, que si l’on va en diminuant, on peut toujours dépasser une grandeur quelque petite qu’elle soit ; et qu’en augmentant, il n’est pas possible qu’il y ait de grandeur infinie. § 3[390]. Cette différence tient à ce que l’unité est indivisible, quelle que soit d’ailleurs cette imité ; et ainsi, par exemple, l’homme n’est jamais qu’un homme et ne peut être plusieurs hommes, tandis que le nombre est toujours plus que l’unité ; et il est un ensemble de quantités d’un certain genre. Il y a donc nécessité de s’arrêter à l’individu. Deux, Trois, etc., ne sont que des dénominations dérivées et paronymes ; et l’on en peut dire autant de tous les autres nombres. § 4[391]. Mais, dans le sens de l’augmentation, il est toujours possible de penser un nombre plus grand, parce que les divisions de la grandeur en deux sont toujours indéfiniment possibles. Par conséquent, l’infini est toujours en puissance et jamais en acte ; mais la quantité nouvelle qu’on imagine dépasse toujours toute quantité déterminée. D’ailleurs ce nombre n’est pas indépendant et séparé de la division par deux ; et l’infinitude, loin de s’arrêter, devient et se forme sans cesse, comme le temps et le nombre du temps. § 5[392]. C’est tout l’opposé pour les grandeurs. Le continu y est bien divisible aussi par parties infinies en nombre ; mais il n’y a pas d’infini dans le sens de l’accroissement ; car il ne peut être en acte que tout juste autant qu’il peut être en puissance. Donc, puisqu’aucune grandeur sensible n’est infinie, il n’est pas possible que toute grandeur déterminée soit dépassée ; car, dès lors, il y aurait quelque chose qui serait plus grand que le ciel.

§ 6[393]. L’infini n’est pas identique pour la grandeur, pour le mouvement et pour le temps, comme le serait une seule et unique nature ; mais l’infini postérieur n’est dénommé que d’après celui qui le précède. Ainsi le mouvement ne se comprend que s’il existe préalablement une grandeur dans laquelle il y a mouvement, ou altération, ou croissance, etc.; et le temps ne se comprend que par le mouvement.

§ 7[394]. Pour le moment, bornons-nous à employer ces idées ; plus tard, nous essaierons d’expliquer ce que sont chacune de ces choses, et pourquoi toute grandeur est divisible en d’autres grandeurs. § 8[395]. Mais notre définition de l’infini ne porte aucune atteinte aux spéculations des mathématiciens, en niant son existence de telle manière que, sous le rapport de l’accroissement il soit tout à fait irréalisable en acte ; car, à leur point de vue, les mathématiciens n’ont pas besoin de l’infini, et ils n’en font aucun usage ; ils se contentent de toujours supposer la ligne finie aussi grande qu’ils le veulent. Or, on peut toujours, en conservant la même proportion que pour la grandeur la plus grande possible, diviser indéfiniment une autre grandeur aussi petite que l’on voudra. Ainsi, l’infini n’importe en rien aux mathématiciens en ce qui regarde leurs démonstrations ; mais quant à la réalité de l’infini, elle n’est dans les grandeurs réelles qu’au sens où on l’a dit. § 9. D’ailleurs, parmi les quatre espèces de causes admises par nous, il est clair que l’infini n’est cause que comme matière. § 10. Son être, c’est la privation ; ce qui est et subsiste par soi, c’est le continu et le sensible. § 11. Tous les autres philosophes ont ainsi que nous considéré l’infini comme matière ; et c’est pour cela qu’ils ont un si grand tort de faire de l’infini le contenant et non pas le contenu.


CHAPITRE XII.

Suite et fin : réfutation des arguments qui représentent l’infini comme déterminé ; se défier des arguments purement logiques ; regarder surtout aux réalités. — Résumé de la théorie de l’infini.

§ 1[396]. Il nous reste à examiner les arguments qui font paraître l’infini, non pas comme étant simplement en puissance, mais comme étant aussi quelque chose de déterminé. De ces arguments, les uns n’arrivent pas à des conclusions nécessaires ; les autres peuvent être réfutés par des raisons décisives § 2[397]. Ainsi, il n’est pas besoin que l’infini soit en acte un corps sensible pour que la génération des êtres puisse ne jamais défaillir ; car il se peut fort bien que, même le tout étant limité et fini, la destruction d’une chose soit réciproquement la génération d’une autre. § 3[398]. De plus, ce sont deux choses très différentes que le contact et la limitation. L’une est relative et dépendante ; car tout ce qui touche quelque chose, et toucher est l’attribut d’une chose finie et limitée, tandis que l’autre, le limité, le fini, n’est pas relatif ; et une chose quelconque ne peut pas, au hasard, toucher la première chose venue. § 4[399]. L’argument tiré de la pensée est insoutenable ; l’accroissement excessif et l’excessive réduction ne sont pas dans l’objet ; ils ne sont que dans la pensée qui les suppose ; car il est loisible à quelqu’un d’imaginer l’un de nous mille fois plus grand qu’il n’est, en l’accroissant à l’infini ; et il ne suffit pas, pour qu’une personne soit hors de la ville ou qu’elle ait une taille égale à la nôtre, que quelqu’un le suppose ; mais il faut que cela soit, et la conjecture de ce quelqu’un n’est qu’un pur accident sans réalité. § 5[400]. Quant au temps et au mouvement, ils ne sont infinis aussi bien que la pensée qu’en ce sens que rien de ce qu’on en considère ne subsiste ni ne demeure. § 6[401]. Enfin, il n’y a pas de grandeur qui soit infinie par le retranchement, ni par l’addition que la pensée peut toujours faire.

§ 7[402]. Mais arrêtons-nous ; car nous avons dit de l’infini comment il est et n’est pas, et ce qu’il est.

FIN DU LIVRE IΙI.



LIVRE IV
DE L’ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS.

CHAPITRE PREMIER.

Théorie de l’espace ou du lieu ; nécessité de cette théorie ; ses difficultés ; insuffisance des recherches antérieures.

§ 1[403]. Le physicien doit nécessairement savoir aussi de l’espace, tout comme de l’infini, s’il existe ou n’existe pas, et déterminer comment l’espace existe et ce qu’il est. § 2[404]. Ainsi tout le monde admet que ce qui est, est en quelque lieu de l’espace, et que ce qui n’est pas n’est nulle part ; car où sont, par exemple, le bouc-cerf et le sphinx ? § 3[405]. Puis, parmi les mouvements, le plus commun de tous et celui qui mérite le plus spécialement ce nom, c’est le mouvement qui se fait dans l’espace et que nous appelons la translation. § 4[406]. Mais il y a plus d’une difficulté à savoir précisément ce qu’est l’espace ; car il ne se présente pas de la même manière sous toutes les faces où on le considère. § 5[407]. Ajoutons enfin que les autres philosophes, ou ne nous ont rien donné sur ce sujet, ou n’en ont pas donné des explications satisfaisantes.


CHAPITRE II,

Démonstration de l’existence de l’espace ; succession des corps dans un même lieu ; propriété de l’espace ; mouvements spontanés des éléments ; preuves tirées des mathématiques et de l’hypothèse du vide ; Hésiode.

§ 1[408]. Une preuve manifeste de l’existence de l’espace, c’est la succession des corps qui se remplacent mutuellement dans un même lieu. Là où il y a de l’eau maintenant, arrive de l’air quand l’eau sort de ce lieu, comme quand elle sort par exemple d’un vase ; et c’est un autre corps qui vient occuper ce même lieu que le premier corps abandonne. L’espace se distingue donc de toutes les choses qui sont en lui et qui y changent ; car là où actuellement il y a de l’air, l’eau se trouvait antérieurement. Par conséquent, l’espace ou le réceptacle qui contient successivement l’air et l’eau, est différent de ces deux corps, espace où ils sont entrés et d’où ils sont sortis. § 2[409]. À un autre point de vue, les déplacements des corps naturels et simples, le feu, la terre et les autres, ne démontrent pas seulement que l’espace est quelque chose ; mais ils démontrent en outre qu’il a une certaine propriété. Ainsi chacun de ces éléments est porté, quand rien ne s’y oppose, dans le lieu qui lui est propre. Celui-ci va en haut, celui-là va en bas. Or le haut et le bas, et chacune des autres directions, en tout au nombre de six, sont des parties et des espèces de l’espace et du lieu. § 3[410]. Mais ces directions ne sont pas seulement relatives à nous, la droite et la gauche, le haut et le bas ; car elles ne restent pas constantes pour nous, et elles se diversifient selon la position que nous prenons nous-mêmes en nous tournant, puisque souvent une même chose est pour nous à droite et à gauche, au-dessous et au-dessus, devant et derrière. Dans la nature, au contraire, chacune de ces positions est séparément déterminée. Le haut n’est pas un lieu quelconque ; c’est le lieu où se dirige le feu, et en général les corps légers. Le bas n’est pas davantage arbitraire, et c’est le lieu où se dirigent tous les corps qui ont de la pesanteur, et qui sont composés de terre. Par conséquent, ces éléments ne diffèrent pas seulement par leur position ; ils diffèrent encore par leur propriété et leur puissance.

§ 4[411]. C’est bien là aussi ce que prouvent les mathématiques. Les êtres dont elles s’occupent ne sont pas dans l’espace ; cependant par la position qu’ils occupent relativement à nous, ils sont à droite et à gauche ; c’est la pensée seule qui fait leur position, sans qu’ils en aient naturellement aucune.

§ 5[412]. D’autre part, en admettant l’existence du vide, on affirme aussi celle de l’espace, puisqu’on définit le vide, un lieu, un espace, où il n’y a pas de corps.

§ 6[413]. Ainsi, toutes ces raisons se réunissent pour prouver que l’espace est quelque chose de réel indépendamment des corps, et que tout corps sensible est dans l’espace. § 7[414]. Aussi Hésiode paraît-il avoir raison quand il place le chaos à l’origine des choses, et quand il dit :Bien avant tout le reste, apparut le chaos ;Puis la terre au sein vaste…Le poète suppose donc qu’il faut avant tout pour les êtres un lieu où ils se placent, et par là Hésiode se conforme à l’opinion commune qui croit que toutes les choses sont quelque part et dans l’espace. S’il en est ainsi, le lieu, l’espace a une propriété merveilleuse et la première de toutes en date ; car ce sans quoi rien de tout le reste ne peut être, tandis qu’il existe lui-même sans le reste, est nécessairement antérieur à tout, puisque l’espace n’est pas détruit quand les choses qu’il renferme sont détruites.


CHAPITRE III.

Questions qu’il faut se poser pour expliquer la nature de l’espace ; des dimensions de l’espace ; de la confusion de l’espace et des corps ; des éléments de l’espace ; de sa grandeur ; de la causalité de l’espace. Du lieu de l’espace ; Zénon. Du développement des corps.

§ 1[415]. Une fois fixés sur l’existence de l’espace, il n’en reste pas moins difficile de savoir ce qu’il est. L’espace est-il la masse quelconque d’un corps ? Ou est-il quelque nature différente ? Notre première recherche, en effet, doit être de savoir à quel genre il appartient. § 2[416]. L’espace a bien les trois dimensions, longueur, largeur et profondeur, qui déterminent toute espèce de corps. Mais il est impossible que l’espace soit un corps ; car il y aurait ainsi deux corps dans un même lieu. § 3[417]. D’autre part, le corps devant avoir un lieu et une place, il est évident aussi que la surface et les autres limites du corps doivent également en avoir une ; car le même raisonnement peut s’appliquer à elles, puisque là où il y avait antérieurement les surfaces de l’eau, il peut y avoir ensuite les surfaces de l’air, qui en auront pris la place, Toutefois il n’y a aucune différence appréciable entre le point et le lieu du point, de telle sorte que, si le lieu du point n’est pas autre que le point lui-même, le lieu ne différera non plus dans aucun des autres cas ; et l’espace alors n’est absolument rien en dehors de chacun de ces objets. § 4[418]. Qu’est-ce donc que l’espace devra être pour nous et comment faut-il le considérer ? Avec la nature qu’il a, il ne peut ni être un élément, ni être un composé d’éléments, soit corporels, soit incorporels. Il a de la grandeur sans cependant être un corps ; or, les éléments des corps sensibles sont des corps eux-mêmes ; et les éléments purement intelligibles ne forment jamais une grandeur.

§ 5[419]. On demande en outre : De quoi l’espace peut-il être considéré comme cause pour les êtres ? On ne trouve en lui aucune des quatre causes ; et l’on ne peut le regarder ni comme la matière des êtres, puisqu’aucun être n’est composé d’espace, ni comme la forme et la raison des choses, ni comme leur fin, pas plus qu’il ne peut en être le moteur.

§ 6[420]. Ajoutez ceci encore : Si l’espace lui-même doit compter parmi les êtres, où sera-t-il placé ? Et alors le doute de Zénon ne laisse pas que d’exiger quelque réponse ; car si tout être est dans un lieu, il est clair qu’il y aura un lieu pour le lieu lui-même, et ceci à l’infini.

§ 7[421]. Enfin, si de même que tout corps est dans un lieu qu’il occupe, il faut aussi que le corps soit dans l’espace tout entier ; comment expliquerons-nous le développement des corps qui croissent ? Car, d’après ces principes, il faut nécessairement que le lieu qu’ils occupent se développe en même temps qu’eux, si le lieu de chaque chose ne peut être, ni plus grand, ni plus petit que la chose même.

§ 8[422]. Telles sont les questions qu’il faut nécessairement résoudre pour savoir non pas seulement ce qu’est l’espace, mais même pour savoir si il est.


CHAPITRE IV.

L’espace est le lieu absolu où sont les choses ; Platon dans le Timée, a tort de confondre la matière et le lieu. L’espace n’est ni la matière ni la forme des choses.

§ 1[423]. De même que l’être peut être considéré ou en soi, ou relativement à un autre être, de même l’espace, dans son acception commune, est celui où sont tous les corps que nous voyons ; mais dans son acception propre, c’est celui où ils sont primitivement. Je m’explique. Par exemple, vous êtes actuellement dans le ciel, puisque vous êtes dans l’air, et que l’air est dans le ciel ; et vous êtes dans l’air, puisque vous êtes sur la terre ; et semblablement, vous êtes sur la terre, parce que vous êtes dans tel lieu de la terre qui ne renferme absolument plus rien que vous. § 2[424]. Si donc l’espace est ce qui, primitivement, renferme chacun des corps, il est une limite ; et, par suite, le lieu pourrait être considéré comme la forme et la figure de chaque chose, qui détermine la grandeur et la matière de la grandeur ; car la forme est la limite de chaque corps. Donc à ce point de vue, l’espace, le lieu, est la forme des choses. § 3[425]. Mais en tant que l’espace semble aussi la dimension et l’étendue de la grandeur, on le prendrait pour la matière des choses ; car la matière est différente de la grandeur même, et elle est ce qui est enveloppé par la forme et ce qui est déterminé par la surface et par la limite. Or, c’est là précisément ce qu’est la matière et l’indéterminé ; car si vous enlevez à une sphère sa limite et ses diverses conditions, il ne reste plus rien que la matière qui la compose. § 4[426]. Aussi Platon n’hésite-t-il pas dans le Timée, à identifier la matière des choses et la place des choses ; car le récipient, capable de participer à la forme, et la place des choses, c’est tout un pour lui. Bien que Platon, dans ce même traité, emploie ce mot de récipient en un autre sens qu’il ne le fait dans ce qu’on appelle ses Doctrines non écrites, cependant il a confondu l’espace et la place des choses. Ainsi, pendant que tous les autres philosophes se contentent d’affirmer simplement l’existence de l’espace, Platon est le seul que ait essayé d’en préciser la nature.

§ 5[427]. À s’en tenir à ces considérations, il pourrait paraître difficile de se rendre compte de ce qu’est exactement l’espace, si on le prend indifféremment ou pour la matière on pour la forme des choses ; car il n’y a guère de recherche plus haute que celle-là ; et il n’est pas aisé de comprendre la matière et la forme isolément l’une de l’autre. § 6[428]. Voici toutefois ce qui fera voir sans trop de peine que l’espace ne peut être ni la matière ni la forme : c’est que la forme et la matière ne se séparent jamais de la chose, tandis que le lieu, l’espace peut en être séparé. Là où il y avait de l’air vient plus tard de l’eau, ainsi que je l’ai dit, l’air et l’eau permutant l’un et l’autre de place, comme peuvent aussi le faire bien d’autres corps. § 7[429]. Par conséquent, l’espace n’est ni une partie, ni une qualité des choses, et il est séparable de chacune d’elles. § 8[430]. L’espace nous apparaît donc comme jouant en quelque sorte le rôle de vase ; car le vase est, on peut dire, un espace transportable ; et le vase n’est rien de la chose qu’il contient. § 9[431]. Ainsi, l’espace, en tant qu’il est séparé de la chose, n’en est pas la forme ; et en tant qu’il embrasse les choses, il est tout différent de la matière. § 10[432]. mais il semble bien que ce qui est quelque part est toujours lui-même quelque chose de réel, et que toujours aussi il y a quelqu’autre chose en dehors de lui.

§ 11[433]. Cependant, Platon aurait bien dû dire, si l’on nous permet cette digression, pourquoi les Idées et les nombres ne sont pas dans l’espace, puisque selon lui le récipient c’est l’espace, que d’ailleurs ce récipient qui participe aux Idées soit le grand et le petit, ou qu’il soit la matière, comme Platon l’a dit dans le Timée. § 12[434]. En outre, comment un corps serait-il porté dans le lieu propre qui lui appartient, si l’espace était la matière ou la forme ? Car il est bien impossible qu’il y ait un lieu qui n’ait point de mouvement ni en haut ni en bas ; or, c’est dans les différences de ce genre qu’il faut chercher l’espace. § 13[435]. Mais si l’espace est dans l’objet lui-même, et il le faut bien, si l’on en fait la forme ou la matière des choses, l’espace alors sera dans l’espace ; car la forme et l’indéterminé, c’est-à-dire la matière, changent et se meuvent en même temps que la chose, sans rester toujours dans le même lieu, mais allant où est aussi la chose ; et, par conséquent, il y aurait un espace pour l’espace, un lieu pour le lieu. § 14[436]. Enfin, il faudrait dire encore que, quand la place de l’air survient de l’eau, l’espace disparaît et périt, puisque le corps qui arrive n’est pas dans le même lieu. Mais qui pourrait comprendre cette destruction prétendue de l’espace ?

§ 15[437]. Voilà donc de quels arguments on peut tirer nécessairement la preuve que l’espace est réellement quelque chose, et conjecturer aussi quelle en est la nature essentielle.


CHAPITRE V.

L’espace est en soi et non dans autre chose. Quand on dit qu’une chose est dans une autre, cette expression peut présenter plusieurs acceptions diverses. Être en soi, être dans une autre chose ; exemple de l’amphore et du vin. — Doute de Zénon sur la nécessité de placer l’espace dans un autre espace. Si on le fait un être réel ; solution de cette objection ; nature véritable de l’espace. — Résumé de ces considérations préliminaires.

§ 1[438]. Ceci posé, il faut expliquer en combien de sens on peut dire qu’une chose est dans une autre chose. Selon une première acception, c’est comme on dit que le doigt est dans la main, et d’une manière générale que la partie est dans le tout. Une acception inverse, c’est quand on dit que le tout est dans les parties ; car, en dehors des parties, le tout n’existe pas. Dans un troisième sens, on dit que l’homme est dans l’animal ; et, d’une manière générale, que l’espèce est dans le genre. En un autre sens encore, c’est comme le genre dans l’espèce, et, d’une manière générale, le genre de l’espèce dans la définition de l’espèce. Être dans une chose peut avoir aussi le sens où l’on dit que la santé est dans les influences du chaud et du froid, c’est-à-dire d’une manière générale comme la forme dans la matière. De plus, c’est comme quand on dit que les affaires de la Grèce sont dans les mains du Roi, c’est-à-dire à considérer la chose d’une manière générale, dans le premier moteur. Une autre acception où l’on dit qu’une chose est dans une autre, c’est quand on la considère comme étant dans le bien, et généralement dans la fin, c’est-à-dire le pourquoi, le but où elle tend. Enfin, l’acception la plus propre de toutes, c’est celle où l’on dit que la chose est dans une autre, comme dans un vase, et, d’une manière générale, dans un lieu, dans l’espace.

§ 2[439]. Maintenant on peut se demander s’il est possible qu’une chose, restant telle qu’elle est, soit elle-même dans elle-même, ou si rien ne peut être de la sorte, et si toutes les choses doivent ou ne point être du tout ou être dans une autre. § 3[440]. Mais quand on dit qu’une chose est dans quelque chose, cette expression a un double sens, et c’est ou en soi ou relativement à un autre. § 4[441]. Ainsi, comme les parties d’un tout sont à la fois et la partie qui est dans le tout et ce qui est dans cette partie, on pourra dire en ce sens que le tout est dans lui-même ; car le tout est aussi dénommé d’après les parties. Par exemple, on dit d’un homme qu’il est blanc, parce que sa surface est blanche ; et l’on dit qu’il est savant, parce que sa partie raisonnable est savante. Mais on ne peut pas dire que l’amphore soit dans elle-même, non plus que le vin ; seulement on peut dire que l’amphore de vin est dans elle-même ; car le vin qui est dans le vase et le vase dans lequel il est sont tous les deux les parties d’un même tout. En ce sens donc, une chose peut être elle-même dans elle-même. § 5[442]. Mais ces expressions ne peuvent jamais signifier que la chose est primitivement dans elle-même ; par exemple, la blancheur est bien dans le corps, puisque la surface qui est blanche est dans le corps ; la science est bien aussi dans l’âme ; et les appellations sont formées d’après ces choses qui sont de simples parties, en ce sens qu’elles sont dans l’homme. Mais l’amphore et le vin, considérés isolément l’un de l’autre, ne sont pas des parties d’un tout ; ce ne sont des parties que quand on les réunit tous les deux. Lors donc qu’il s’agit des parties, on pourra dire que la chose même est dans elle-même. Ainsi, la blancheur est dans l’homme, parce qu’elle est dans le corps ; et elle est dans le corps, parce qu’elle est dans la surface ; car la blancheur n’est plus dans la surface médiatement et par une autre chose ; mais c’est que la blancheur et la surface sont d’espèce différente, et qu’elles ont chacune une nature et une propriété diverses.

§ 6[443]. En recourant à l’induction, nous voyons que rien n’est dans soi-même suivant aucune des définitions ci-dessus données. § 7[444]. Et la raison aussi suffit à démontrer que c’est impossible ; car il faudra que chacune des deux choses soient à la fois l’une et l’autre ; par exemple, l’amphore devra être à la fois le vase et le vin ; et, à son tour, le vin devra être le vin et l’amphore, du moment qu’on admet qu’une chose peut être elle-même dans elle-même. § 8[445]. Par conséquent, les deux objets auraient beau être le plus complètement possible l’un dans l’autre, l’amphore contiendra toujours le vin, non pas en tant qu’elle est elle-même le vin, mais en tant que le vin est ce qu’il est ; et réciproquement, le vin sera dans l’amphore, non pas en tant qu’il est lui-même l’amphore, mais en tant que l’amphore est ce qu’elle est. Donc il est évident qu’essentiellement le vin et l’amphore sont autres ; car la définition du contenant est différente de la définition du contenu.

§ 9[446]. Même sous le simple point de vue de l’accident, ce n’est pas plus possible ; car il faudrait en ce cas que deux corps fussent à la fois dans un seul et même corps. Ainsi, d’une part, l’amphore même serait dans elle-même, si une chose dont la nature est d’en recevoir une autre, peut être dans elle-même ; et d’autre part, il y aurait de plus dans l’amphore ce qu’elle peut recevoir, c’est-à-dire du vin, si c’est du vin qu’elle reçoit. Donc évidemment il ne se peut jamais qu’une chose soit primitivement dans elle-même.

§ 10[447]. Quant au doute de Zénon, qui demandait dans quoi on placera l’espace si l’on fait de l’espace quelque chose de réel, il n’est pas difficile d’y répondre. Rien en effet n’empêche que le lieu primitif, l’espace primitif ne soit dans une autre chose sans y être cependant comme dans un lieu, mais en y étant comme la santé est dans la chaleur, en tant que disposition et habitude, et comme la chaleur est dans le corps en tant qu’affection corporelle. Par conséquent, il n’est pas besoin de remonter à l’infini. § 11[448]. Évidemment, comme le vase n’est rien de ce qui est en lui, puisque le contenant primitif et le contenu sont choses fort distinctes, il s’ensuit que l’espace n’est ni la matière, ni la forme, et qu’il est tout autre chose ; car la matière et la forme sont l’une et l’autre les éléments de ce qui est dans l’espace.

§ 12[449]. Telles sont donc en résumé les discussions qui ont été soulevées relativement à la nature de l’espace.


CHAPITRE VI.

De la nature de l’espace ; méthode à suivre dans cette étude. On ne peut comprendre l’espace qu’à la condition du mouvement ; considérations générales sur le mouvement. — L’espace n’est ni la forme, ni la matière, ni l’intervalle des corps ; discussion de ces trois théories ; l’espace est la première limite immobile du contenant ; et c’est là sa définition.

§ 1[450]. Maintenant, voici comment on arriverait à voir nettement ce que peut être l’espace ; § 2[451]. et à découvrir avec exactitude en ce qui le concerne, tous les caractères qui semblent lui appartenir essentiellement et en lui-même. Ainsi, d’abord nous posons comme principe certain que l’espace, ou le lieu, est le contenant primitif de tout ce dont il est le lieu, et qu’il ne fait en rien partie de ce qu’il renferme. Nous admettons encore que le lieu primitif, l’espace primitif, n’est ni plus petit ni plus grand que ce qu’il contient, qu’il n’est jamais vide de corps, et qu’il est séparable des corps. Nous ajoutons enfin que tout espace, tout lieu, a le haut et le bas, et que par les lois mêmes de la nature, chaque corps est porté ou demeure dans les lieux qui lui sont propres, c’est-à-dire soit en bas soit en haut. Ces principes posés, passons à l’examen des conséquences qui en sortent.

§ 3[452]. Nous devons tâcher de diriger notre étude de manière qu’elle nous fasse connaître ce qu’est l’espace. Par là nous serons en état de résoudre les questions qu’on a élevées, de démontrer que les attributs qui semblaient lui appartenir, lui appartiennent bien réellement, et de faire voir clairement d’où viennent la difficulté de la question et les problèmes auxquels on s’arrête. C’est là, selon nous, la meilleure méthode pour éclaircir chacun des points que nous traitons.

§ 4[453]. D’abord, il faut se dire qu’on n’aurait jamais songé à étudier l’espace s’il n’y avait pas une certaine espèce de mouvement qui est le mouvement dans l’espace ; et ce qui fait surtout que nous croyons le ciel dans l’espace, c’est que le ciel est éternellement en mouvement. § 5[454]. Or, dans le mouvement on distingue différentes espèces, ici la translation, là l’accroissement et la décroissance ; car dans la décroissance et l’accroissement, il y a mutation de lieu ; et ce qui était antérieurement en tel ou tel point, s’est déplacé ensuite pour arriver à être ou plus petit ou plus grand. § 6[455]. Quant au mobile, c’est-à-dire ce qui reçoit le mouvement, il faut distinguer ce qui est en soi actuellement mobile et ce qui ne l’est que par accident. § 7[456]. Le mobile accidentel peut aussi être mu en soi, comme les parties du corps et un clou dans un navire ; ou bien, il ne peut pas être mu en soi seul, et il reste toujours mu accidentellement : par exemple, la blancheur et la science, toutes choses qui changent de place uniquement parce que le corps où elles sont vient à en changer.

§ 8[457]. Quand on dit d’un corps qu’il est dans le ciel, comme dans son lieu, c’est parce que ce corps est dans l’air, et que l’air est dans le ciel ; mais on ne veut pas dire que c’est dans l’air tout entier qu’est ce corps. Au fond, on dit qu’il est dans l’air uniquement par rapport à l’extrémité de l’air et à la partie de l’air qui l’embrasse et l’enveloppe. En effet, si c’était l’air tout entier qui fût le lieu des corps, le lieu de chaque corps ne serait plus égal à chaque corps lui-même, tandis qu’au contraire il semble qu’il y est tout à fait égal ; et que tel est précisément le lieu primitif dans lequel est la chose. § 9[458]. Lors donc que le contenant n’est pas séparé, mais qu’il est continu, on ne dit plus que la chose est dans ce contenant comme dans son lieu ; mais on dit qu’elle y est comme la partie dans le tout. Quand au contraire le contenant est séparé et qu’il est contigu à la chose, alors la chose est dans un certain primitif qui est l’extrémité, la surface interne du contenant, et qui n’est ni une partie de ce qui est en lui, ni plus grand que la dimension du corps, mais qui est égal à cette dimension même, puisque les extrémités des choses qui sont contiguës se confondent en un seul et même point. § 10[459]. Quand il y a continuité, le mouvement n’a pas lieu dans le contenant, mais avec le contenant ; quand au contraire il y a séparation, le contenu se meut dans le contenant ; et cela n’en est pas moins, soit que d’ailleurs le contenant aussi se meuve réellement, ou qu’il ne se meuve pas.

§ 11[460]. Quand il n’y a pas séparation, on parle alors de la chose comme on le fait de la partie dans le tout ; par exemple, la vue dans l’œil, la main dans le corps. Mais quand la chose est séparée en tant que contiguë, on dit alors qu’elle est dans un lieu, comme par exemple, l’eau dans le tonneau et le vin dans la cruche ; car la main se meut avec le corps, tandis que c’est dans le tonneau que l’eau se meut. § 12[461]. On doit comprendre maintenant, et d’après ces considérations, ce que c’est que l’espace ou le lieu ; car il ne peut guère y avoir que quatre choses dont l’espace doit nécessairement être l’une : ou la forme, ou la matière, ou l’intervalle entre les extrémités des corps, ou enfin ces extrémités elles-mêmes, s’il n’y a aucun intervalle possible indépendamment de l’étendue du corps qui s’y trouve. § 13[462]. Or, il est clair que sur ces quatre choses il y en a trois que l’espace ne peut pas être. § 14[463]. Mais comme il enveloppe les corps, on pourrait croire qu’il est leur forme, puisque les extrémités du contenant et du contenu, se rencontrent et se confondent en un même point. § 15[464]. Il est bien vrai que la forme et l’espace sont tous deux des limites ; mais ce ne sont pas les limites d’une même chose. La forme est la limite de la chose dont elle est la forme ; l’espace est la limite du corps qui contient la chose et la limite du contenant. § 16[465]. Mais comme le contenu et le séparable peut très souvent changer, par exemple l’eau sortant du vase, tandis que le contenant subsiste et demeure, il semble que la place où sont successivement les corps, est un intervalle qui aurait sa réalité en dehors du corps qui vient à être déplacé. § 17[466]. Mais cet intervalle n’existe pas ; et c’est seulement que, parmi les corps qui se déplacent et peuvent, par leur nature, être en contact avec le contenant, il s’en est trouvé un qui est venu à entrer dans le vase. § 18[467]. S’il y avait réellement un intervalle qui, par sa nature, fût et restât dans le même lieu, alors les lieux seraient en nombre infini ; car l’eau et l’air venant à se déplacer, toutes les parties feraient dans le tout ce que l’eau elle-même en masse fait dans le vase. § 19[468]. En même temps aussi, l’espace changerait de place ; et par conséquent il y aurait un autre espace pour l’espace, et une foule de lieux coexisteraient pour un seul corps. § 20[469]. Mais il n’y a point, pour la partie, un autre lieu dans lequel elle se meuve, quand le vase tout entier vient à être déplacé, et son lieu reste le même ; car l’air et l’eau, ou les parties de l’eau, se remplacent et se succèdent dans le lieu où ces corps sont renfermés, et non pas dans l’espace où on les transporte ; et ce dernier espace est une partie de celui qui est l’espace même du ciel entier.

§ 21[470]. On pourrait prendre aussi l’espace pour la matière des corps, en observant ce qui se passe dans un corps en repos non divisé, mais continu. De même, en effet, qu’on peut remarquer que, si ce corps se modifie, il y a en lui quelque chose qui maintenant est blanc et qui d’abord était noir, qui maintenant est dur et qui d’abord était mou, ce qui nous fait dire que la matière est réellement quelque chose ; de même l’espace, grâce à quelque illusion de ce genre, nous semble aussi être quelque chose de réel.

§ 22[471]. Mais il y a cette différence toutefois que ce qui était de l’air tout à l’heure est maintenant de l’eau, tandis que pour l’espace il y a de l’eau là où tout à l’heure il y avait de l’air. § 23[472]. Mais, ainsi que je l’ai dit antérieurement, la matière n’est jamais séparée de la chose qu’elle forme ; elle ne contient jamais cette chose, tandis que l’espace fait l’un et l’autre. § 24. Si donc l’espace n’est aucune de ces trois choses, et s’il ne peut être ni la forme, ni la matière, ni une étendue qui serait toujours différente de l’étendue de la chose qui se déplace, reste nécessairement que l’espace soit la dernière des quatre choses indiquées, c’est-à-dire la limite du corps qui enveloppe et contient. § 25[473]. Et j’entends par le contenu, le corps qui peut être mu par déplacement et translation. § 26[474]. Mais ce qui fait croire qu’il y a grande difficulté à comprendre l’espace, c’est que d’abord il a la fausse apparence d’être la matière et la forme des choses, et ensuite, c’est que le déplacement du corps qui est transporté, a lieu dans le contenant qui demeure en place et en repos. Dès lors, il paraît qu’il peut être l’intervalle interposé entre les grandeurs qui s’y meuvent et distinct de ces grandeurs. Ce qui aide encore à l’erreur, c’est que l’air semble être incorporel et alors ce ne sont plus seulement les limites du vase qui paraissent être le lieu ; et c’est aussi l’intervalle entre ces limites en tant que vide. § 27[475]. Mais de même que le vase est un lieu, un espace transportable, de même l’espace, le lieu est un vase immobile. Quand donc une chose se meut dans un mobile, et que ce qui est dans l’intérieur de ce mobile vient à se déplacer, comme un bateau sur une rivière, ce qui se déplace ainsi emploie le contenant plutôt comme un vase que comme un lieu et un espace. Or, le lieu, l’espace doit être immobile. Aussi est-ce plutôt le fleuve entier qu’il faudrait regarder dans ce cas comme l’espace, le lieu, parce que le fleuve pris dans son entier est sans mouvement.

§ 28[476]. Donc en résumé, la limite première immobile du contenant, c’est là précisément ce qu’il faut appeler l’espace ou le lieu.


CHAPITRE VII.

Suite de la théorie sur la nature de l’espace ; le haut et le bas absolus ; les corps légers et les corps graves ; le mouvement circulaire ; le ciel ; les choses sont dans l’espace soit en puissance soit en acte, selon qu’elles sont considérées isolément ou dans les parties homogènes qui les composent. — Fin de la théorie de l’espace.

§ 1[477]. Le centre du ciel et l’extrémité de la révolution circulaire, autant que nous pouvons la voir, passent aux yeux de tout le monde pour être, à proprement parler, l’un le haut et l’autre le bas ; et le motif de cette opinion c’est que le centre du ciel est éternellement en place, et que l’extrémité du cercle reste toujours telle qu’elle est. Par conséquent, comme le léger est ce qui est naturellement porté en haut, tandis que le lourd est ce qui est porté en bas, la limite qui enveloppe les corps vers le centre est le bas, et c’est le centre lui-même la limite qui est à l’extrémité est le haut, et c’est l’extrémité elle-même. § 2[478]. Voilà comment l’espace, le lieu, semble être une sorte de surface et de vase, et comment il semble contenir et envelopper les choses. § 3[479]. En outre, on peut dire en quelque façon que le lieu coexiste à la chose qu’il renferme ; car les limites coexistent au limité. § 4[480]. Ainsi donc, le corps qui a extérieurement un autre corps qui l’enveloppe, ce corps-là est dans un lieu, dans l’espace ; et celui qui n’en a pas n’y est point. § 5[481]. Aussi même en supposant que l’eau formât l’univers tout entier, ses parties seraient bien en mouvement ; car elles s’envelopperaient les unes les autres. Mais quant à l’ensemble universel des choses, en un sens il se meut, et en un autre sens il ne se meut pas. En tant que totalité, il ne peut changer de lieu en masse ; mais il peut avoir un mouvement circulaire, puisque c’est là aussi le lieu de ses parties. § 6[482]. Car il y a des parties du ciel qui sont mues, non pas en haut et en bas, mais circulairement ; et il n’y a que celles qui peuvent devenir plus denses ou plus légères qui soient portées en bas ou en haut.

§ 7[483]. Ainsi que je l’ai déjà dit, certaines choses ne sont dans un lieu, dans l’espace, qu’en puissance ; d’autres, au contraire, y sont en acte. Ainsi, quand un corps formé de parties homogènes reste continu, les parties ne sont dans un lieu qu’en puissance ; mais quand elles sont séparées et qu’elles se touchent chacune, comme les grains d’une masse de blé, alors elles y sont en acte. § 8[484]. Parmi les choses, il y en a qui sont en soi dans l’espace, dans un lieu ; et, par exemple, tout corps qui se meut, soit par translation, soit par simple accroissement, est en soi dans un lieu, tandis que l’univers, comme je viens de le dire, n’est point tout entier quelque part. Il n’est pas dans un lieu précis, puisqu’aucun corps ne l’embrasse ; mais c’est seulement en tant qu’il se meut, qu’on peut dire que ses parties ont un lieu ; car chacune de ses parties sont à la suite l’une de l’autre. Au contraire, il est d’autres choses qui sont dans un lieu, non en soi, mais par accident : l’âme, par exemple, et le ciel. Ainsi, les parties si nombreuses du ciel ne sont dans un lieu qu’à certains égards. En effet, dans le cercle, une partie en enveloppe une autre ; et voilà pourquoi le haut du ciel n’a qu’un mouvement circulaire. Mais l’univers, le tout ne peut être en un certain lieu ; car, pour qu’un objet soit dans un lieu, il faut d’abord que cet objet soit lui-même quelque chose, et il faut qu’il y ait en outre quelque chose dans quoi il est, quelque chose qui l’enveloppe. Mais en dehors du tout et de l’univers, il ne peut rien y avoir qui soit indépendant de ce tout et de cet ensemble universel. § 9[485]. Aussi toutes les choses sont-elles dans le ciel sans la moindre exception ; car le ciel c’est l’univers, à ce qu’on peut supposer ; et le lieu n’est pas le ciel, mais une certaine extrémité du ciel, la limite immuable confinant et touchant au corps qui est en mouvement. § 10[486]. Ainsi la terre est dans l’eau ; l’eau est dans l’air ; l’air lui-même est dans l’éther ; et l’éther est dans le ciel. Mais le ciel, l’univers, n’est plus dans autre chose.

§ 11[487]. On doit voir d’après tout ceci qu’en comprenant l’espace comme nous le faisons, on résout toutes les questions qui offraient tant de difficulté. Ainsi, il n’y a plus nécessité, ni que le lieu s’étende avec le corps qu’il contient ; ni que le point ait un lieu ; ni que deux corps soient dans un seul et même lieu ; ni que l’espace soit un intervalle corporel ; car ce qui se trouve dans le lieu, dans l’espace est un corps, quel que soit ce corps ; mais ce n’est pas l’intervalle d’un corps. Le lieu lui-même est bien quelque part ; mais il n’y est pas comme dans un lieu ; il y est uniquement comme la limite est dans le limité ; car tout ce qui est n’est pas nécessairement dans un lieu, et il n’y a que le corps susceptible de mouvement qui y soit. § 12[488]. Chaque élément se porte dans le lieu qui lui est propre ; et cela se comprend bien ; car l’élément qui vient à sa suite et qui le touche, sans subir de violence, lui est homogène. Les choses qui ont une nature identique n’agissent pas l’une sur l’autre ; mais c’est seulement quand elles se touchent, qu’elles agissent les unes sur les autres et se modifient mutuellement. § 13[489]. C’est par des lois aussi naturelles et aussi sages que chaque élément en masse demeure dans le lieu qui lui est propre ; et telle partie est dans l’espace total comme une partie séparable est au tout duquel elle est détachée ; et ainsi, par exemple, quand on met en mouvement et qu’on déplace une partie d’eau ou d’air. Or, c’est là précisément le rapport de l’air à l’eau ; l’eau est, on peut dire, la matière, tandis que l’air est la forme ; l’eau est la matière de l’air ; et l’air est en quelque sorte l’acte de l’eau, puisqu’en puissance l’eau est de l’air, et que l’air lui-même à un autre point de vue est de l’eau en puissance. Mais nous reviendrons plus tard sur ces théories. Ici nous n’en disons absolument, par occasion, que ce qui est indispensable ; et nos explications qui maintenant restent peut-être obscures, deviendront plus claires dans la suite. Si donc la même chose est à la fois matière et acte, l’eau étant air et eau tout à la fois, mais l’un en puissance et l’autre en acte, le rapport serait alors en quelque sorte celui de la partie au tout. Aussi les deux éléments dans ce cas ne sont qu’en contact ; mais leur nature se confond lorsqu’en acte les deux n’en font plus qu’un.

§ 14[490]. Telle est notre théorie sur l’espace, sur son existence et sur sa nature.


CHAPITRE VIII.

Théorie du vide ; il faut appliquer à cette étude lamine méthode qu’à l’étude de l’espace. — Examen sommaire des théories antérieures qui admettent ou qui repoussent l’existence du vide. Opinion d’Anaxagore ; son expérience sur l’air pour démontrer le vide ; Démocrite et Leucippe ; Mélissus nie le vide et affirme l’immobilité de l’univers ; les pythagoriciens admettaient le vide, qu’ils plaçaient primitivement dans les nombres.

§ 1[491]. Il semble que c’est par la même méthode employée pour l’espace que le physicien doit étudier le vide, et savoir si le vide est ou n’est pas, comment il est et ce qu’il est ; car on peut avoir sur le vide à peu près les mêmes doutes ou les mêmes convictions que sur l’espace, d’après les systèmes dont il a été l’objet. En effet, ceux qui croient au vide le représentent en général comme un certain espace et une sorte de vase et de récipient. On croit qu’il y a du plein quand ce récipient contient le corps qu’il est susceptible de recevoir ; et quand il en est privé, il semble qu’il y a du vide. Donc, on suppose que le vide, le plein et l’espace sont au fond la même chose, et qu’il n’y a entr’eux qu’une simple différence de manière d’être.

§ 2[492]. Pour commencer cette recherche, il faut recueillir d’abord les arguments de ceux qui croient à l’existence du vide, puis ensuite les arguments de ceux qui nient l’existence du vide, et, en troisième lieu, les opinions communément répandues sur ce sujet.

§ 3[493]. Ceux qui s’efforcent de prouver qu’il n’y a point de vide, ont le tort de ne point attaquer précisément l’idée que les hommes se font généralement de ce qu’ils appellent le vide, mais les définitions erronées qu’ils en donnent. C’est ce que fait Anaxagore et ceux qui l’imitent dans son procédé de réfutation. Ainsi, ils démontrent fort bien l’existence de l’air et toute la puissance de l’air, en pressant des outres d’où ils le font sortir, et en le recevant dans des clepsydres. Mais l’opinion vulgaire des hommes entend, en général, par le vide, un intervalle dans lequel il n’y a aucun corps perceptible aux sens ; et comme on croit vulgairement aussi que tout ce qui existe a un corps, on dit que le vide est ce dans quoi il n’y a rien. Par suite, le vide n’est que ce qui est plein d’air. Mais ce dont il s’agit ce n’est pas de démontrer que l’air est quelque chose ; c’est de prouver qu’il n’existe point d’étendue, d’intervalle différent des corps, ni séparable d’eux, ni en acte, qui pénètre tout corps quel qu’il soit, de telle sorte que le corps n’est plus continu, opinion que soutiennent Démocrite et Leucippe, et tant d’autres naturalistes ; et enfin qu’il peut y avoir encore quelque chose comme le vide hors du corps entier qui reste continu, Ainsi, les philosophes dont je parle n’ont pas même posé le pied sur le seuil de la question.

§ 4[494]. Ceux qui affirment l’existence du vide se sont rapprochés davantage de la vérité. Un premier point qu’ils soutiennent, « c’est que sans le vide il n’y a pas de mouvement possible dans l’espace ; et, par le mouvement dans l’espace, on entend ou le déplacement ou l’accroissement sur place, puisque le mouvement, s’il n’y avait a point de vide, ne pourrait avoir lieu. Le plein évidemment ne peut rien admettre ; et s’il admettait quelque chose et qu’il y eût alors deux corps dans un seul et même lieu, il n’y aurait pas de raison pour que tous les corps, quel qu’en fût le nombre, ne pussent s’y trouver en même temps ; car on ne saurait indiquer ici une différence qui ferait que cette supposition cessât d’être admissible. Mais si cela est possible, le plus petit pourrait alors recevoir et contenir le plus grand, puisque la réunion de beaucoup de petites choses en forme une grande ; et, par conséquent, si plusieurs choses égales peuvent être dans un seul et même lieu, plusieurs choses inégales pourront y être tout aussi bien. » § 5[495]. C’est même en partant de ces principes que Mélissus prétend démontrer que l’univers est immobile. « Pour que l’univers se meuve, dit-il, il faut nécessairement du vide ; mais le vide ne compte pas parmi les êtres. »

§ 6[496]. Ainsi, à l’aide de ces principes, ces philosophes démontrent d’une première façon l’existence du vide. Mais ils la démontrent encore d’une autre manière, en observant qu’il y a des choses qui semblent se rapprocher et se contracter. Par exemple, disent-ils, les tonneaux contiennent le vin avec les outres, comme si le corps se condensait dans les vides qui se trouvent à son intérieur. § 7[497]. Dans un autre ordre de faits, il paraît bien que dans tous les êtres le développement ne peut se faire qu’à la condition du vide ; car les aliments que les êtres absorbent sont un corps ; et il est impossible que deux corps soient ensemble dans un seul et même lieu. § 8[498]. Enfin, on donne encore pour preuve de l’existence du vide le phénomène de la cendre, qui reçoit autant d’eau que peut en contenir le vase où elle est quand il est vide.

§ 9[499]. Les Pythagoriciens aussi soutenaient l’existence du vide ; et selon eux, c’est par l’action du souffle infini, que le vide entre dans le ciel qui a une sorte de respiration ; dans leurs théories, le vide est ce qui limite les natures, comme si le vide était une sorte de séparation des corps qui se suivent, et comme s’il était leur délimitation. À en croire les Pythagoriciens, le vide se trouve primitivement dans les nombres ; car c’est le vide qui détermine leur nature propre et abstraite.

§ 10[500]. Tel est à peu près l’ensemble de toutes les idées que l’on a émises, dans un sens ou dans l’autre, soit pour affirmer, soit pour nier l’existence du vide.


CHAPITRE IX.

Définition du mot de vide ; double sens qu’on donne à ce mot ; erreur de quelques philosophes qui ont confondu le vide et la matière.

§ 1[501]. Pour savoir entre ces deux opinions ce qu’il en est, il faut connaître d’abord ce que veut dire le mot lui-même. § 2[502]. En général, on entend par le vide un espace dans lequel il n’y a rien. § 3[503]. Cette idée vient de ce qu’on regarde toujours l’être comme un corps, et que tout corps est dans un lieu, dans un espace. Par conséquent, le vide est l’espace où il n’y a aucun corps ; et s’il est un espace où il n’y ait pas de corps, on dit que là il y a le vide. D’autre part, on suppose que tout corps, quel qu’il soit, est tangible, et que c’est là une propriété de tout ce qui a pesanteur ou légèreté. En continuant ce raisonnement on arrive donc à dire que le vide est ce dans quoi il n’y a rien, ni de pesant ni de léger. Telles sont les conséquences où le raisonnement conduit, ainsi que nous l’avons dit antérieurement. § 4[504]. Mais il serait absurde de prétendre que le point est le vide, puisqu’il faut que le vide soit l’espace, où est l’étendue du corps tangible. § 5[505]. Ainsi en un sens, vide semble vouloir dire ce qui n’est pas plein d’un corps sensible au toucher ; et sensible au toucher, c’est tout ce qui a ou légèreté ou pesanteur. § 6[506]. Aussi peut-on se demander ce qu’on penserait si l’étendue avait ou une couleur ou un son. Croirait-on alors que c’est du vide, ou que ce n’en est pas ? Ou bien est-il clair qu’on dirait qu’il y a du vide, si l’étendue pouvait recevoir un corps tangible, et qu’on ne trouverait pas de vide, si elle ne le pouvait pas ? § 7[507]. En un autre sens, ou entend par vide l’espace où il n’y a pas de chose distincte ni aucune substance corporelle. § 8[508]. C’est là ce qui a fait que des philosophes ont soutenu que le vide est la matière des corps, et ce sont ceux qui ont confondu aussi, bien à tort du reste, l’espace avec la matière ; car la matière n’est pas séparable des corps, tandis qu’ils regardent toujours le vide qu’ils cherchent comme en étant séparé.


CHAPITRE X.

Essai de démonstration de l’existence du vide ; l’idée du mouvement n’implique pas la nécessité du vide ; les corps peuvent se mouvoir, et s’accroître sans qu’il y ait du vide, comme ils peuvent se condenser.

§ 1[509]. Après avoir étudié l’espace et démontré que le vide ne peut être que l’espace, s’il est ce qui est privé de corps ; et après avoir expliqué également comment l’espace est et n’est pas, il doit être évident que dans ce sens le vide n’existe pas non plus davantage, ni inséparable ni séparable des corps ; puisque le vide n’est pas un corps, et qu’il est bien plutôt l’intervalle du corps. Aussi le vide ne semble-t-il être quelque chose de réel, que parce que l’espace l’est aussi, et par les mêmes motifs ; car le mouvement dans l’espace est admis également, et par ceux qui soutiennent que l’espace est quelque chose de distinct des corps qui s’y meuvent, et par ceux qui soutiennent que le vide existe. On pense que le vide est la cause du mouvement, en tant qu’il est l’endroit où le mouvement se passe ; et c’est là précisément le rôle que d’autres philosophes prêtent à l’espace. § 2[510]. Mais il n’est pas du tout nécessaire, parce que le mouvement existe, qu’il y ait aussi du vide ; et le vide ne peut pas du tout être pris pour la cause de toute espèce de mouvement quel qu’il soit, observation qui a échappé à Mélissus ; car le plein lui-même peut parfaitement changer par une simple altération. § 3[511]. Mais il n’est pas même besoin de vide pour le mouvement dans l’espace ; car il se peut fort bien aussi que les corps se remplacent réciproquement les uns les autres, sans qu’il y ait un intervalle séparable et distinct des corps qui se meuvent. C’est ce qu’on peut très aisément voir dans les relations des corps solides et continus, aussi bien que dans celles des corps liquides. § 4[512]. Les corps peuvent même aussi se condenser sans que ce soit dans le vide, mais par cela seul que certaines parties qu’ils contiennent en sont expulsées, comme l’air s’échappe de l’eau quand on la presse. § 5[513]. De plus, les corps peuvent s’accroître non pas seulement par l’introduction de quelque chose d’étranger, mais aussi par une simple modification, comme par exemple, l’eau devenant air. § 6[514]. Mais absolument parlant, cette explication du vide, tirée de l’accroissement des corps et de l’eau versée dans la cendre, est contradictoire. En effet, l’on arrive à dire ou que toute partie du corps ne s’accroît pas ou que rien ne s’accroît matériellement ; ou que deux corps peuvent être dans le même lieu ; et alors on peut bien croire qu’on a résolu une objection vulgaire et commune, mais on n’a point pour cela démontré l’existence du vide ; ou bien enfin, on arrive à dire que le corps est tout entier nécessairement vide, si l’on admet qu’il s’accroît de toutes parts, et qu’il s’accroît grâce au vide. Le même raisonnement s’appliquerait au phénomène de la cendre.

§ 7[515]. On voit donc qu’il est assez facile de réfuter les explications qu’on a données pour démontrer l’existence du vide.


CHAPITRE XI.

Le vide n’existe pas séparément des choses ; il n’est pas la cause du mouvement ; le vide empêcherait plutôt le mouvement ; exemple de la terre. Deux espèces du mouvement, naturel ou forcé ; le vide n’explique ni l’un ni l’autre ; théorie de la marche des projectiles ; théorie de la chute des corps plus ou moins rapide, selon le poids du corps ou selon la résistance du milieu ; dans le vide le mouvement serait infini ou indéterminé ; le vide ne peut avoir aucun rapport proportionnel avec le plein. — Démonstrations diverses.

§ 1[516]. Répétons encore qu’il n’y a pas de vide séparément des choses, ainsi qu’on l’a parfois soutenu. § 2[517]. En effet, si pour chacun des corps simples il y a une tendance naturelle qui les porte, par exemple, le feu en haut, et la terre en bas et vers le centre, il est clair que le vide ne peut pas être cause de cette tendance. De quoi le vide sera-t-il donc cause ? puisqu’on paraissait croire qu’il est la cause du mouvement dans l’espace, et que, en réalité cependant, il ne l’est pas. § 3[518]. De plus, si le vide, quand on en admet l’existence, est quelque chose comme l’espace privé de corps, on peut demander dans quelle direction sera porté le corps qu’on y suppose placé ? Certainement ce corps ne peut être emporté dans toutes les parties du vide. C’est la même objection que contre ceux qui supposent que l’espace où se meut l’objet qui se déplace, est quelque chose de séparé. Comment, en effet, le corps qu’on suppose dans le vide y serait-il mu ? Comment y restera-t-il en place. Le même raisonnement, qu’on appliquait au bas et au haut, pour l’espace, s’applique également au vide : et c’est avec toute raison, puisque ceux qui soutiennent l’existence du vide en font de l’espace. § 4[519]. Mais alors comment la chose pourra-t-elle être soit dans l’espace soit dans le vide ? Il est impossible qu’elle soit dans l’un ou l’autre, quand on suppose que cette chose tout entière est placée dans l’espace qui forme un corps séparé et permanent ; car la partie, à moins qu’elle ne soit isolée, sera non pas dans l’espace, triais dans le tout dont elle fait partie. § 5[520]. Ajoutez que, si en ce sens il n’y a pas d’espace, il ne peut pas y avoir davantage de vide.

§ 6[521]. C’est d’ailleurs se tromper si étrangement de croire que le vide est nécessaire, par cela même qu’on admet le mouvement, que ce serait bien plutôt le contraire ; et, en y regardant de près, on pourrait dire que le mouvement n’est plus possible du moment qu’il y a du vide. Car, de même qu’il y a des philosophes qui soutiennent que la terre est en repos à cause de l’égalité de la pression, de même il est nécessaire que tout soit en repos dans le vide ; car il n’y a pas, dans le vide, de lieu vers lequel le corps doive plus ou moins se mouvoir, puisque, en tant que vide, il ne présente plus aucune différence. § 7[522]. D’abord, on doit se rappeler que tout mouvement est ou forcé ou naturel ; et, nécessairement, s’il y a un mouvement forcé, il faut aussi qu’il y ait un mouvement naturel. Le mouvement forcé est contre nature, et le mouvement contre nature ne vient qu’après le mouvement naturel. Par conséquent, si pour chacun des corps qui sont dans la nature il n’y a pas de mouvement naturel, il ne peut pas y avoir non plus aucune autre espèce de mouvement. Mais comment pourra-t-il y avoir ici mouvement naturel, puisqu’il n’y a plus aucune différence dans le vide et dans l’infini ? Dans l’infini, il n’y a plus ni bas, ni haut, ni milieu ; et, dans le vide, le bas ne diffère plus en rien du haut ; car, de même que le rien, le néant, ne peut présenter de différence, de même il n’y en a point pour ce qui n’est point. Or, il semble que le vide est un non-être et qu’il est une privation plutôt que tout autre chose. Mais le mouvement naturel présente des différences ; et, par conséquent, les choses qui existent naturellement sont différentes entre elles. Ainsi donc, de deux choses l’une : ou aucun corps n’aura une tendance naturelle vers aucun lieu ; ou, si cela est, il n’y a pas de vide.

§ 8[523]. De plus, on peut observer que les projectiles continuent à se mouvoir, sans que le moteur qui les a jetés continue à les toucher, soit à cause de la réaction environnante, comme on le dit parfois, soit par l’action de l’air qui, chassé, chasse à son tour, en produisant un mouvement plus rapide que ne l’est la tendance naturelle du corps vers le lieu qui lui est propre. Mais, dans le vide, rien de tout cela ne peut se passer ; et nul corps ne peut y avoir un mouvement que si ce corps y est sans cesse soutenu et transporté, comme le fardeau que porte un char. § 9[524]. Il serait encore bien impossible de dire pourquoi, dans le vide, un corps mis une fois en mouvement pourrait jamais s’arrêter quelque part. Pourquoi, en effet, s’arrêterait-il ici plutôt que là ? Par conséquent, ou il restera nécessairement en repos, ou nécessairement s’il est en mouvement, ce mouvement sera infini, si quelqu’obstacle plus fort ne vient à l’empêcher. § 10[525]. Dans l’opinion de ces philosophes, il semble que le corps se meut vers le vide, parce que l’air cède devant lui ; mais, dans le vide, le même phénomène se produit dans tous les sens, de sorte que c’est aussi dans tous les sens indifféremment que le corps pourra s’y mouvoir.

§ 11[526]. Ce que nous disons ici peut s’éclaircir encore par les considérations suivantes. Évidemment il y a deux causes possibles pour qu’un même poids, un même corps reçoive un mouvement plus rapide : ou c’est parce que le milieu qu’il traverse est différent, selon que ce corps se meut dans l’eau, dans la terre ou dans l’air ; ou c’est parce que le corps qui est en mouvement est différent lui-même, et que toutes choses d’ailleurs restant égales, il a plus de pesanteur ou de légèreté. § 12[527]. Le milieu que le corps traverse est une cause d’empêchement la plus forte possible, quand ce milieu a un mouvement en sens contraire, et ensuite quand ce milieu est immobile. Cette résistance est d’autant plus puissante que le milieu est moins facile à diviser ; et il résiste d’autant plus qu’il est plus dense. § 13[528]. Soit un corps A, par exemple, traversant le milieu B dans le temps C ; et traversant le milieu D, qui est plus ténu, dans le temps E. Si la longueur de B est égale à la longueur de D, le mouvement sera en proportion de la résistance du milieu. Supposons donc que B soit de l’eau, par exemple, et D de l’air. Autant l’air sera plus léger et plus incorporel que l’eau comparativement, autant A traversera D plus vite que B. Évidemment la première vitesse sera à la seconde vitesse dans le même rapport que l’air est à l’eau ; et si l’on suppose, par exemple, que l’air est deux fois plus léger, le corps traversera B en deux fois plus de temps que D ; et le temps C sera double du temps E. Donc, toujours le mouvement du corps sera d’autant plus rapide que le milieu qu’il aura à traverser sera plus incorporel, moins résistant et plus aisé à diviser.

§ 14[529]. Mais il n’y a pas de proportion qui puisse servir à comparer le vide avec le corps, et à savoir de combien le corps le surpasse, de même que le rien (zéro) n’a point de proportion possible avec le nombre. En effet, si quatre surpasse trois de un ; s’il surpasse deux davantage, et s’il surpasse un et deux davantage encore, il n’y a plus de proportion dans laquelle on puisse dire qu’il surpasse le rien ; car, nécessairement, la quantité qui surpasse une autre quantité se compose, d’abord de la quantité dont elle surpasse l’autre, et ensuite de la quantité même qu’elle surpasse ; et, par conséquent, quatre sera et la quantité dont il surpasse, et le rien. C’est là ce qui fait que la ligne ne peut pas surpasser le point, puisqu’elle n’est pas elle-même composée de points. Par la même raison aussi, le vide ne peut avoir aucun rapport proportionnel avec le plein. Par conséquent, le mouvement dans le vide n’en a pas davantage ; et si, dans le milieu le plus léger possible, le corps franchit tel espace en tant de temps, dans le vide ce même mouvement dépassera toute proportion possible. Soit donc F le vide, et d’une dimension égale à celles de B et de D. Si donc le corps A traverse le vide et le franchit dans un certain temps G, supposé plus court que le temps E, ce sera là le rapport du vide au plein. § 15[530]. Mais, dans ce même temps G, le corps A ne franchira de D que la portion H. § 16[531]. Le corps traversera le milieu F qui est beaucoup plus léger que l’air, avec une vitesse proportionnellement égale au rapport du temps E au temps G ; car si le vide F surpasse l’air en légèreté dans la proportion où le temps E surpasse le temps G, à l’inverse le corps A, quand il est en mouvement, traversera le vide F avec une vitesse qui correspond précisément à G. Si donc il n’y a pas de corps dans F, A devra s’y mouvoir d’autant plus vite. Mais tout à l’heure il traversait aussi H dans le temps G. Donc le corps franchit la distance dans le même temps, soit dans le plein, soit dans le vide. Or, comme cela est de toute impossibilité, il est clair par suite que, si l’on suppose un certain temps dans lequel un corps quelconque traverse le vide, on arrive à cette absurdité, qu’un corps traverse indifféremment dans un même temps le plein ou le vide ; car il y aura toujours un certain corps qu’on pourra supposer, relativement à un autre corps, dans le même rapport que le temps est au temps.

§ 17[532]. Afin de résumer cette discussion en peu de mots, nous dirons que la cause du résultat auquel nous aboutissons, c’est qu’il y a toujours un certain rapport d’un mouvement à un autre mouvement ; car le mouvement se passe dans le temps, et il y a toujours un rapport possible d’un temps à un autre temps, l’un et l’autre étant également finis, tandis qu’il n’y a aucun rapport possible du vide au plein. Telles sont les conséquences qu’amène la diversité des milieux traversés.

§ 18[533]. Voici celles qui résultent de la supériorité relative des corps qui se meuvent dans ces milieux. On peut remarquer d’abord que les corps animés d’une force plus grande, ou de pesanteur ou de légèreté, les conditions de forme restant d’ailleurs égales, parcourent plus rapidement une même étendue, et la parcourent dans le rapport même où ces grandeurs sont entr’elles. Par conséquent, ils la parcourraient aussi dans le vide ; mais c’est là ce qui est impossible. Dans le vide, en effet, quelle cause pourrait accélérer le mouvement ? Dans le plein, c’est une nécessité que le mouvement s’accélère, puisque le plus fort des deux mobiles divise plus rapidement aussi le milieu par sa force même ; car le corps qui tombe ou qui est lancé, divise ce milieu soit par sa forme, soit par l’impulsion qu’il possède. Donc, tous les corps auraient dans le vide la même vitesse, et ce n’est pas admissible.

§ 19[534]. Ce que nous venons de dire doit montrer que l’existence du vide, en admettant qu’il existe, entraîne des conséquences tout à fait contraires à ce qu’attendaient ceux qui bâtissent ce système. Ils s’imaginent, parce qu’il y a du mouvement dans l’espace, que le vide doit exister séparé et en soi. Mais cela revient à dire que l’espace doit être aussi quelque chose de séparé des corps ; et nous avons démontré antérieurement que cela n’est pas possible.


CHAPITRE XII.

Suite ; expérience du cube placé successivement dans l’eau, qu’il déplace d’une quantité égale à la sienne, et dans l’air, où le même phénomène se passe, quoique non visible ; dans le vide, en phénomène est impossible ; donc le vide n’existe point séparément des corps.

§ 1[535]. A regarder la chose en elle-même, on pourrait trouver que ce qu’on nous donne pour le vide est bien parfaitement vide en effet. § 2[536]. En voici une nouvelle preuve. Si l’on plonge un cube dans l’eau, il y aura autant d’eau déplacée que le cube est grand, et ce même déplacement a lieu dans l’air, bien qu’alors le phénomène échappe à nos sens. Ainsi, pour tout corps quelconque qui doit se déplacer de cette façon, il y a nécessité constante, à moins qu’il ne se concentre et ne se comprime, qu’il se déplace dans le sens qui lui est naturel, et qu’il se dirige toujours en bas, si sa tendance naturelle est en bas comme celle de la terre ; ou en haut, comme le feu ; ou dans les deux sens comme l’air ; et cela, quel que soit le corps qui se trouve dans le milieu traversé. Or, dans le vide, rien de tout cela n’est possible ; car le vide n’est pas un corps. Mais il semble que ce même intervalle, qui tout à l’heure était dans le vide ; doit pénétrer le cube dans cette même dimension, comme si l’eau et l’air, au lieu de céder la place à ce cube de bois, le pénétraient l’un et l’autre de part en part. § 3[537]. Cependant le cube a tout autant d’étendue qu’en occupe le vide ; et, ce corps a beau être chaud ou froid, pesant ou léger, il n’en est pas moins différent par essence de toutes les affections qu’il subit, bien que d’ailleurs il n’en soit pas séparable. J’entends la masse du cube que je suppose être de bois. Par conséquent, en admettant même qu’il soit séparé de toutes ses autres qualités, et qu’il ne soit ni lourd ni léger, il occupera une égale quantité de vide, et il sera dans la partie de l’espace, ou la partie du vide, qui lui est égale. Alors, en quoi donc le corps de ce cube différera-t-il d’un espace égal ou d’un vide égal à lui ? Et, s’il en est ainsi pour deux corps, pourquoi des corps en un nombre quelconque ne seraient-ils pas aussi dans un seul et même lieu ? Voilà une première absurdité et une première impossibilité.

§ 4[538]. Mais, en outre, il est clair que ce cube, tout en se déplaçant, conservera les propriétés qu’ont tous les autres corps, [c’est-à-dire les trois dimensions]. Si donc il ne diffère point de l’espace qui le contient, à quoi sert alors d’imaginer pour les corps un espace séparé de l’étendue de chacun d’eux, si cette étendue reste immuable ? Car il n’est que faire d’un autre intervalle qui entoure le corps, en étant égal à lui et tel que lui.

§ 5[539]. On doit voir d’après ce qui précède que le vide n’est pas séparé des choses.


CHAPITRE XIII.

Le vide n’est pas plus dans les corps qu’il n’en est séparé ; le dense et le rare ne supposent pas le vide. Observations diverses de phénomènes naturels ; preuves qu’on en peut tirer contre l’existence du vide, tel qu’on le conçoit ordinairement. — Fin de la théorie du vide.

§ 1[540]. Il y a des philosophes qui ont soutenu que la densité et la raréfaction des corps prouvent évidemment qu’il y a du vide : « Selon eux, sans la densité et la raréfaction, il n’est pas possible que les corps se resserrent et se compriment ; et sans cette faculté, ou le mouvement ne peut plus du tout avoir lieu, ou l’univers est condamné à une fluctuation perpétuelle comme le disait Xuthus ; ou l’air et l’eau se changent toujours en même quantité l’une dans l’autre ; et je veux dire par là que, si l’air vient d’une simple coupe d’eau, cette même quantité d’eau devrait toujours venir d’une quantité d’air égale ; ou bien le vide existe de toute nécessité, parce qu’autrement il ne serait pas possible que les corps pussent se condenser et se dilater. »

§ 2[541]. Nous répondons que, si l’on entend par rare ce qui a beaucoup de vides séparés les uns des autres, il est clair que, si le vide, ne pouvant pas être séparé des choses pas plus que l’espace, ne peut avoir une étendue spéciale à lui, le rare ne peut pas davantage exister de cette façon. § 3[542]. Mais si l’on dit que le vide, sans être séparé, n’en est pas moins dans leur intérieur, cette hypothèse est moins inacceptable ; mais en voici les conséquences. D’abord le vide n’est plus la cause de toute espèce de mouvement, mais seulement la cause du mouvement qui se dirige en haut, puisqu’un corps qui est rare est léger ; et c’est ainsi que ces philosophes disent que le feu est léger. § 4[543]. Secondement, le vide ne sera pas cause du mouvement en ce sens qu’il est le lieu où le mouvement se passe. Mais de même que les outres gonflés d’air en s’élevant elles-mêmes en haut y élèvent aussi ce qui tient à elles, de même le vide aura la propriété de se porter en haut. Mais pourtant comment est-il possible que le vide ait une direction, ou que le vide ait un lieu ? Car alors il y a pour le vide un vide où il peut se diriger. § 5[544]. Autre objection. Comment les partisans de cette hypothèse pourront-ils expliquer que le poids se porte en bas ? § 6[545]. Il est évident que, si le corps monte d’autant plus vivement en haut qu’il est plus rare et plus vide, il y montera le plus vite possible s’il est absolument vide. Mais peut-être est-il impossible que le vide puisse jamais avoir de mouvement ; car le même raisonnement qui prouvait que tout doit être immobile dans le vide, prouve encore que le vide lui-même est immobile aussi ; et les vitesses y sont incommensurables.

§ 7[546]. D’ailleurs, tout en niant l’existence du vide, nous n’en reconnaissons pas moins la vérité des autres explications, à savoir que, si l’on n’admet pas la condensation et la raréfaction des corps, le mouvement n’est plus concevable ; ou bien que le ciel est dans une perpétuelle oscillation ; ou bien encore que toujours une même quantité d’eau viendra d’une même quantité d’air, ou réciproquement l’air de l’eau, quoiqu’il soit évident que de l’eau il vient une plus grande masse d’air. Donc s’il n’y a pas compression dans les corps, il faut nécessairement ou que le continu, poussé de proche en proche, communique la fluctuation jusqu’à l’extrémité ; ou bien qu’une égale quantité d’air se change quelque part ailleurs en eau pour que le volume total de l’univers entier reste toujours égal ; ou enfin il faudra que rien ne puisse être en mouvement. § 8[547]. En effet, la compression aura toujours lieu quand un corps se déplace, à moins qu’il ne tourne toujours en cercle ; mais le déplacement des corps n’est pas toujours circulaire ; et c’est aussi en ligne droite qu’il a lieu.

§ 9[548]. Tels sont à peu près les motifs qui ont déterminé certains philosophes à reconnaître l’existence du vide. § 10[549]. Quant à nous, nous disons, d’après les principes posés par nous, que la matière des contraires est une seule et même matière, par exemple du chaud et du froid, et de tous les autres contraires naturels ; que de ce qui est en puissance vient ce qui est en acte ; que la matière n’est pas séparée des qualités, bien que son être soit différent ; et enfin que numériquement elle est une ; par exemple, si l’on veut, pour la couleur, pour le chaud, le froid, etc. § 11[550]. La matière d’un corps reste également la même, que le corps soit grand ou petit : et la preuve évidente, c’est que, quand l’eau se change en air, c’est bien la même matière qui est changée sans avoir reçu rien d’étranger ; et c’est seulement que ce qui était en puissance est arrivé à l’acte, à la réalité. Il en est tout à fait de même, quand c’est l’air, au contraire, qui se change en eau ; et tantôt c’est la petitesse qui passe à la grandeur : et tantôt c’est la grandeur qui passe à la petitesse. Donc c’est le même phénomène encore quand l’air en grande masse se réduit à un moindre volume, ou lorsque de plus petit qu’il était il devient plus grand. La matière, qui est en puissance, devient également l’un et l’autre. § 12[551]. Car de même que, quand de froid le corps devient chaud, et que de chaud il devient froid, la matière reste identique, parce qu’elle était en puissance ; de même aussi, le corps déjà chaud devient plus chaud, sans que rien dans la matière devienne chaud qui ne fût pas chaud auparavant, alors que le corps avait moins de chaleur. De même encore que, quand la circonférence et la convexité d’un cercle plus grand devient la circonférence d’un cercle plus petit, que ce soit d’ailleurs la même circonférence ou une circonférence différente, aucune partie n’acquiert de convexité qui, auparavant, aurait été non pas convexe, mais droite, puisqu’entre le plus et le moins il n’y a pas d’interruption, pas plus que dans la flamme il ne serait possible de trouver une portion qui n’eût ni blancheur ni chaleur ; de même, c’est un rapport tout à fait pareil qui unit la chaleur initiale à la chaleur qui la suit. Par conséquent aussi, la grandeur et la petitesse d’un volume perceptible à nos sens se développent, non parce que la matière reçoit quelque chose d’étranger, mais seulement parce que la matière est en puissance susceptible des deux également. Ainsi enfin, c’est le même corps qui est successivement rare et dense ; et la matière est identique pour ces deux propriétés. § 13[552]. Mais le dense est lourd ; et le rare est léger ; car ces deux propriétés appartiennent à l’un et à l’autre, c’est-à-dire au dense et au rare. Le lourd et le dur font l’effet d’être denses ; les contraires, je veux dire le léger et le mou, l’ont l’effet d’être rares, quoique le lourd et le dur ne se correspondent plus également dans le plomb et le fer. § 14[553]. De tout ce qui précède, il résulte que le vide n’est point séparé, qu’il n’existe point absolument, qu’il n’est pas dans ce qui est rare, et qu’il n’est pas non plus en puissance, à moins qu’on ne veuille à toute force appeler vide la cause de la chute des corps. Ce serait alors la matière du léger et du lourd, en tant que telle, qui serait le vide ; car le dense et le rare, opposés comme ils le sont à ce point de vue, produisent la chute des graves. En tant que dur et mou, ils sont causes de la passivité ou de l’impassibilité des corps ; mais ils ne sont pas causes de leur chute, et ils le seraient plutôt de leur altération. § 15[554]. Ici finit ce que nous avions à dire sur le vide pour expliquer comment il est et comment il n’est pas.


CHAPITRE XIV.

Théorie du temps. — Raisons générales et extérieures qui peuvent faire douter de l’existence du temps ; défaillance perpétuelle du temps ; ses parties ont été ou seront ; elles ne sont jamais — Idée qu’on doit se faire du présent ; difficulté de le comprendre ; de la succession des instants ; conclusion de ces considérations préliminaires.

§ 1[555]. A la suite de tout ce qui vient d’être dit, il convient d’étudier le temps. En premier lieu, il sera bon de présenter les doutes que cette question soulève, et de la traiter, même par des arguments extérieurs et vulgaires, pour savoir si le temps doit être rangé parmi les choses qui sont ou celles qui ne sont pas ; puis, ensuite, nous rechercherons quelle en est la nature.

§ 2[556]. Voici quelques raisons qu’on pourrait alléguer pour prouver que le temps n’existe pas du tout, ou que s’il existe c’est d’une façon à peine sensible et très obscure. Ainsi, l’une des deux parties du temps a été et n’est plus ; l’autre partie doit être et n’est pas encore. C’est pourtant de ces éléments que se composent et le temps infini et le temps qu’on doit compter dans une succession perpétuelle. Or, ce qui est composé d’éléments qui ne sont pas, semble ne jamais pouvoir être regardé comme possédant une existence véritable. § 3[557]. Ajoutez que, pour tout objet divisible, il faut de toute nécessité, puisqu’il est divisible, que, quand cet objet existe, quelques-unes de ses parties ou même toutes ses parties existent aussi. Or, pour le temps, bien qu’il soit divisible, certaines parties ont été, d’autres seront, mais aucune n’est réellement. § 4[558]. Mais l’instant, le présent n’est pas une partie du temps ; car, d’un côté, la partie d’une chose sert à mesurer cette chose ; et, d’un autre côté, le tout doit se composer de la réunion des parties. Or, il ne paraît pas que le temps se compose de présents, d’instants. § 5[559]. De plus, cet instant, ce présent lui-même qui sépare et limite, à ce qu’il semble, le passé et le futur, est-il un ? Reste-t-il toujours identique et immuable ? Ou bien, est-il différent et sans cesse différent ? Toutes questions qu’il n’est pas facile de résoudre. § 6[560]. En effet, si l’instant est perpétuellement autre et toujours autre ; s’il ne peut pas y avoir dans le temps une seule de ses parties différentes qui coexiste avec une autre, sans d’ailleurs l’envelopper, tandis que l’autre est enveloppée par elle, comme un temps plus court est enveloppé dans un plus long ; et si enfin l’instant qui n’est pas à présent, mais qui a précédemment été, doit nécessairement avoir péri à un moment donné, alors les instants successifs ne pourront jamais exister simultanément les uns avec les autres, puisque l’antérieur aura dû toujours nécessairement périr. Or, il n’est pas possible que l’instant ait péri en lui-même, puisqu’il existait alors ; et il n’est pas possible davantage que l’instant antérieur ait péri dans un autre instant. Par conséquent, il faut admettre qu’il est impossible que les instants tiennent les uns aux autres, comme il est impossible que le point tienne au point. Si donc l’instant ne peut pas avoir été détruit dans celui qui l’a suivi, et s’il l’a été dans un autre, alors il aura pu durant les instants intermédiaires, qui sont en nombre infini, coexister avec eux ; or, c’est là une impossibilité.

§ 7[561]. Mais il n’est pas non plus possible que ce soit éternellement le même instant qui demeure et subsiste ; car, dans les divisibles, il n’est pas de chose finie qui n’ait qu’une seule limite, soit qu’elle n’ait de continuité qu’en un seul sens, soit qu’elle en ait en plusieurs sens. Mais l’instant est une limite, et il est facile de prendre un temps qui soit limité. § 8[562]. Enfin, si coexister chronologiquement et n’être ni antérieur ni postérieur, c’est être dans le même temps, et, par conséquent, dans le même instant, et si les faits antérieurs et les faits postérieurs coexistent dans l’instant présent, alors il faut admettre que ce qui s’est passé il y a dix mille ans, est contemporain de ce qui passe aujourd’hui ; et il n’y a plus rien qui soit antérieur et postérieur à quoi que ce soit. § 9[563]. Tels sont à peu près les doutes que peuvent faire naître l’existence et les propriétés du temps.


CHAPITRE XV.

Les systèmes antérieurs n’ont pas éclairci suffisamment la question du temps ; on a confondu bien souvent le mouvement et le temps ; profondes différences du temps et du mouvement ; on ne peut les identifier, puisque c’est le temps qui mesure le mouvement.

§ 1[564]. Qu’est-ce que le temps ? Quelle est sa nature véritable ? C’est ce qui reste également obscur, soit d’après les systèmes qui sont venus jusqu’à nous, soit d’après les considérations que nous avons nous-mêmes antérieurement présentées. § 2[565]. Les uns ont prétendu que le temps est le mouvement de l’univers ; les autres en ont fait la sphère même du monde. § 3[566]. Bien qu’une partie de la révolution circulaire soit une portion du temps, la révolution n’est pas le temps pour cela. La portion du temps que l’on considère n’est qu’une partie de la révolution ; mais encore une fois, ce n’est pas la révolution même. § 4[567]. En outre, s’il y avait plus d’un ciel, le temps serait de même le mouvement de chacun de ces deux ; et, par conséquent, il y aurait plusieurs temps à la fois. § 5[568]. Ce qui fait qu’on a pu confondre le temps avec la sphère du monde, c’est que toutes choses, sans aucune exception, sont dans le temps, et qu’elles sont toutes aussi dans la sphère universelle. Du reste, cette assertion par trop naïve ne mérite pas qu’on examine les impossibilités qu’elle renferme. § 6[569]. Mais comme le temps semble être avant tout, un mouvement et un changement d’une certaine espèce, c’est là ce qu’il faut étudier. Le mouvement et le changement de chaque chose est ou exclusivement dans la chose qui change, ou bien dans le lieu où se trouve la chose qui change et se meut. Mais le temps est égal et par tout et pour tout, sans exception. § 7[570]. Ajoutons que tout changement, tout mouvement est ou plus rapide ou plus lent ; mais le temps n’est ni l’un ni l’autre. Le lent et le rapide se déterminent par le temps écoulé ; rapide, c’est ce qui fait un grand mouvement en peu de temps ; lent, c’est ce qui fait un faible mouvement en beaucoup de temps. Mais le temps ne se mesure et ne se détermine pas par le temps, ni en quantité ni en qualité. Ceci suffit pour faire voir clairement que le temps n’est pas un mouvement. D’ailleurs nous ne mettons pour le moment aucune différence entre ces deux mots de Mouvement ou de Changement.


CHAPITRE XVI.

De la nature du temps ; nous ne percevons réellement la durée que par les modifications successives de notre âme ; il n’y a de temps pour nous qu’à la condition du mouvement ; le temps ne se confond pas avec le mouvement ; mais il est un des éléments du mouvement ; antériorité et postériorité dans le mouvement et dans le temps. — Définition du temps ; le temps est une sorte de nombre.

§ 1[571]. Nous convenons cependant que le temps ne peut exister sans changement ; car nous-mêmes, lorsque nous n’éprouvons aucun changement dans notre pensée, ou que le changement qui s’y passe nous échappe, nous croyons qu’il n’y a point eu de temps d’écoulé. Pas plus qu’il n’y en a pour ces hommes dont on dit fabuleusement qu’ils dorment à Sardos auprès des Héros, et qu’ils n’ont à leur réveil aucun sentiment du temps, parce qu’ils réunissent l’instant qui a précédé à l’instant qui suit, et n’en font qu’un par la suppression de tous les instants intermédiaires, qu’ils n’ont pas perçus. Ainsi donc, de même qu’il n’y aurait pas de temps, si l’instant n’était pas autre, et qu’il fût un seul et même instant, de même aussi quand on ne s’aperçoit pas qu’il est autre, il semble que tout l’intervalle n’est plus du temps. Mais si nous supprimons ainsi le temps, lorsque nous ne discernons aucun changement et que notre âme semble demeurer dans un instant un et indivisible, et si, au contraire, lorsque nous sentons et discernons le changement, nous affirmons qu’il y a du temps d’écoulé, il est évident que le temps n’existe pour nous qu’à la condition du mouvement et du changement. Ainsi, il est incontestable également, et que le temps n’est pas le mouvement, et que sans le mouvement le temps n’est pas possible.

§ 2[572]. C’est en partant de ce principe que nous saurons, puisque nous recherchons la nature du temps, ce qu’il est par rapport au mouvement. D’abord nous percevons tout ensemble et le mouvement et le temps ; ainsi l’on a beau être dans les ténèbres et le corps a beau être dans une impassibilité complète, il suffit qu’il y ait quelque mouvement dans notre âme, pour qu’aussitôt nous ayons la perception d’un certain temps écoulé. Réciproquement, dès l’instant qu’il semble qu’il y a du temps, il semble aussi du même coup qu’il y a eu mouvement. Par conséquent, de deux choses l’une : ou le temps est le mouvement, ou il est quelque chose du mouvement. Mais comme il n’est pas le mouvement, il faut nécessairement qu’il en soit quelque chose.

§ 3[573]. Comme tout corps en mouvement se meut toujours d’un point vers un autre point, et que toute grandeur est continue, le mouvement accompagne la grandeur. Or, c’est parce que la grandeur est continue que le mouvement est continu comme elle, et le temps aussi n’est continu que par le mouvement ; car, selon que le mouvement est grand, autant de son côté le temps semble toujours avoir de grandeur. § 4[574]. Sans doute l’antériorité et la postériorité se rapportent primitivement au lieu ; et, dans le lieu, elles se distinguent par la situation. Mais comme dans la grandeur, il y a également antériorité et postériorité, il faut qu’il y ait aussi l’une et l’autre dans le mouvement, d’une manière analogue à ce qu’elles sont dans la grandeur. Or, dans le temps aussi, il y a antérieur et postérieur, parce que le temps et le mouvement se suivent toujours et sont corrélatifs entr’eux. § 5[575]. Ainsi, l’antériorité et la postériorité du temps sont dans le mouvement, ce qui est bien aussi être du mouvement en quelque sorte ; mais leur manière d’être est différente, et ce n’est pas du mouvement à proprement parler. § 6[576]. C’est qu’en effet nous ne connaissons réellement la durée qu’en déterminant le mouvement et en y distinguant l’antérieur et le postérieur ; et nous n’affirmons qu’il y a eu du temps d’écoulé, que quand nous avons la perception de l’antériorité et de la postériorité dans le mouvement. Or, cette détermination du mouvement n’est possible que si nous reconnaissons que ces deux choses diffèrent l’une de l’autre, et qu’il y a entr’elles un intervalle différent d’elles. Quand nous pensons que les extrêmes sont autres que le milieu, et quand l’âme affirme deux instants, l’un antérieur et l’autre postérieur, alors aussi nous disons que c’est là du temps ; car ce qui est limité par l’instant semble être du temps, et c’est là la définition que nous en proposons. Lors donc que nous sentons l’instant actuel comme une unité, et qu’il ne peut nous apparaître ni comme antérieur ou postérieur dans le mouvement, ni, tout en restant identique, comme appartenant à quelque chose d’antérieur et de postérieur, il nous semble qu’il n’y a point eu de temps d’écoulé, parce qu’il n’y a pas eu non plus de mouvement. Mais, du moment qu’il y a antériorité et postériorité, nous affirmons qu’il y a du temps. § 7[577]. En effet, voici bien ce qu’est le temps : le nombre du mouvement par rapport à l’antérieur et au postérieur. § 8[578]. Ainsi donc, le temps n’est le mouvement qu’en tant que le mouvement est susceptible d’être évalué numériquement. Et la preuve, c’est que c’est par le nombre que nous jugeons du plus et du moins, et que c’est par le temps que nous jugeons que le mouvement est plus grand ou plus petit. Donc, le temps est une sorte de nombre. § 9[579]. Mais comme le mot Nombre peut se prendre en deux sens, puisque tout à la fois on appelle nombre et ce qui est nombre et numérable, et ce par quoi l’on nombre, le temps est ce qui est nombré, et non ce par quoi nous nombrons ; car il y a une différence entre ce qui nous sert à nombrer et ce qui est nombré.


CHAPITRE XVII.

De l’instant ; identité et diversité constantes de l’instant ; idée qu’il faut s’en faire ; rapport de l’instant et du temps ; on ne peut les concevoir l’un sans l’autre ; c’est l’instant qui fait que le temps est continu et divisible, sans être d’ailleurs une partie du temps ; il est au temps comme un point est à la ligne.

§ 1[580]. De même que le mouvement est perpétuellement et perpétuellement autre, de même le temps l’est ainsi que lui, bien que le temps dans son ensemble soit éternellement le même ; car l’instant d’à présent est identiquement le même que celui qui était auparavant ; seulement son être est différent ; et c’est l’instant qui mesure le temps, en tant qu’il est antérieur et postérieur. § 2[581]. Ainsi, en un sens, l’instant est le même ; et, en un autre sens, il n’est pas le même. En effet, il est autre en tant qu’il est dans un certain temps et dans un autre temps, et c’était là précisément la condition inévitable de l’instant. Mais en tant qu’il est ce qu’il était dans un temps donné, il est identique ; car le mouvement, ainsi que je viens de le dire, suppose toujours la grandeur, et le temps, je le répète, suppose toujours aussi le mouvement ; de même que le corps qui se meut, le mobile qui nous fait connaître le temps, et dans le temps l’antérieur et le postérieur, suppose aussi le point. Or, ce mobile est bien à un moment donné tout à fait le même, que ce soit d’ailleurs un point, une pierre ou telle autre chose ; mais, rationnellement, il est différent. Cela, du reste, rappelle l’assertion des Sophistes qui prétendent que Coriscus dans le Lycée est autre que Coriscus dans la place publique ; et il faut reconnaître qu’il est autre, en ce sens qu’il est d’abord dans tel lieu, puis ensuite dans tel lieu différent. Mais l’instant est corrélatif au corps qui se meut, comme le temps est corrélatif au mouvement, puisque c’est par le corps qui se meut que nous percevons l’antérieur et le postérieur dans le mouvement ; et que c’est en tant que l’antérieur et le postérieur sont susceptibles d’être nombrés que l’instant existe. C’est là, sans contredit, l’idée la plus claire que l’on puisse se faire du temps. On perçoit le mouvement par le corps qui se meut, et le déplacement par le corps déplacé ; car ce corps qui est déplacé est matériellement quelque chose de réel et de distinct, tandis que le mouvement lui-même ne l’est pas. Ainsi, ce qu’on appelle l’instant est en un sens toujours identique et le même, et, en un autre sens il ne l’est pas ; et il en est de même du corps qui se déplace.

§ 3[582]. Il est clair d’ailleurs que s’il n’y avait pas de temps, il n’y aurait pas non plus d’instant ; et, réciproquement, s’il n’y avait point d’instant, il n’y aurait pas non plus de temps. Ils sont tous deux simultanés ; et de même que le déplacement et le corps déplacé sont simultanés, de même aussi le nombre du corps déplacé et le nombre du déplacement sont simultanés également ; car le temps est le nombre du déplacement ; et l’instant, ainsi que le corps déplacé, est en quelque sorte l’unité du nombre.

§ 4[583]. Il faut dire encore que c’est par l’instant que le temps est continu, et que c’est aussi par l’instant que le temps se divise. Du reste, cette propriété se retrouve dans le déplacement et le corps déplacé ; car le mouvement est un, ainsi que le déplacement, pour le corps déplacé, parce que ce corps est un et n’est pas tel autre corps quelconque ; car alors il pourrait y avoir une lacune dans le mouvement. Mais il est autre rationnellement, puisque c’est lui qui fixe et détermine l’antériorité et la postériorité du mouvement. § 5[584]. Cette propriété est aussi à certains égards celle du point ; car le point tout à la fois continue la longueur et la termine. Il est le commencement de telle longueur et la fin de telle autre. § 6[585]. Mais lorsque l’on prend le point qui est un, de telle manière qu’on le considère comme s’il était deux, alors il faut nécessairement un temps d’arrêt, puisque le même point est à la fois commencement et fin. Quant à l’instant, il est toujours autre, parce que le corps qui se déplace se meut d’une manière continue.

§ 7[586]. Ainsi, le temps est un nombre, non comme étant le nombre d’un seul et même point, parce qu’il serait tout ensemble commencement et fin, mais bien plutôt comme étant les extrémités et non pas les parties d’une même ligne. On vient d’en expliquer la raison : c’est que le milieu de la ligne peut être considéré comme double ; et qu’en ce point, le corps se trouvera nécessairement en repos. Mais il est clair en outre que l’instant n’est pas une portion du temps ; pas plus que la division du mouvement n’est une partie du mouvement ; pas plus que les points ne sont une partie de la ligne, tandis que les lignes, quand elles sont deux, sont des parties d’une même ligne unique. § 8[587]. Ainsi, en tant que l’instant est une limite, il n’est pas du temps ; et il n’est qu’un simple accident du temps. Mais en tant qu’il sert à nombrer les choses, il est nombre ; car les limites ne sont absolument qu’à la chose dont elles sont les limites, tandis que le nombre, par exemple le nombre dix, qui sert à compter ces dix chevaux qu’on regarde, peut tout aussi bien se retrouver ailleurs et compter autre chose.


CHAPITRE XVIII.

Le temps est long ou court ; il n’est pas lent ou rapide, parce que le nombre ne l’est pas non plus ; il n’est que petit ou grand. Le temps et le mouvement se servent réciproquement de mesure, comme la grandeur et le mouvement peuvent se servir aussi de mesuré, réciproque.

§ 1[588]. On vient de voir que le temps est le nombre du mouvement par rapport à l’antériorité et à la postériorité, et qu’il est continu, parce qu’il est le nombre d’un continu. § 2[589]. Le plus petit nombre possible, à prendre le mot de nombre d’une manière absolue, c’est deux ; mais pour un nombre particulier et concret, si en un sens ce moindre nombre est possible, en un autre sens il ne l’est pas ; et, par exemple, si pour la ligne, le plus petit nombre en quantité numérique, c’est deux lignes et même une seule ligne ; en grandeur, il n’y a pas de plus petit nombre possible pour la ligne, puisque toute ligne est indéfiniment divisible. Par suite, le temps est tout à fait comme elle ; car au point de vue du nombre, le plus petit temps c’est un ou deux temps ; mais sous le rapport de la grandeur, il n’y a pas de plus petit temps possible. § 3[590]. On comprend bien d’ailleurs pourquoi on ne peut pas dire du temps qu’il est lent ou rapide, et qu’on dit seulement qu’il y a beaucoup de temps ou peu de temps, et que le temps est long ou court. En tant que continu, le temps est long et court ; en tant que nombre, il y a beaucoup de temps et peu de temps. Mais il n’est pas rapide au lent, parce que le nombre qui nous sert à nombrer n’est jamais ni lent ni rapide. § 4[591]. C’est le même temps qui coexiste partout à la fois ; mais en tant qu’il y a antériorité et postériorité, le temps n’est plus le même, parce que le changement aussi, quand il est actuel et présent, est un, et que le changement passé et le changement futur sont autres. Le temps est bien un nombre ; mais ce n’est pas celui qui nous sert à compter, c’est celui qui est compté lui-même. Or, ce temps-là est toujours différent sous le rapport de l’antérieur et du postérieur, parce que les instants sont toujours autres, tandis que le nombre est toujours un et le même, soit qu’il s’applique ici à cent chevaux et là à cent hommes ; il n’y a de différence qu’entre les choses dénombrées, c’est-à-dire que ce sont seulement les chevaux et les hommes qui diffèrent proprement dit.

§ 5[592]. D’ailleurs, de même que, par un retour constamment pareil, le mouvement peut être constamment un et identique, de même aussi le temps peut être identique et un périodiquement : par exemple, une année, un printemps, un automne. § 6[593]. Et non seulement nous mesurons le mouvement par le temps ; mais nous pouvons encore mesurer le temps par le mouvement, parce qu’ils se limitent et se déterminent mutuellement l’un par l’autre. Le temps détermine le mouvement, puisqu’il en est le nombre ; et réciproquement, le mouvement détermine aussi le temps. Quand nous disons qu’il y a peu ou beaucoup de temps d’écoulé, nous le mesurons par le mouvement, de même qu’on mesure le nombre par la chose qui est l’objet de ce nombre ; et, par exemple, c’est par un seul cheval qu’on mesure le nombre des chevaux. Ainsi nous connaissons quelle est la quantité totale des chevaux par le nombre ; et, réciproquement, c’est en considérant un cheval seul que le nombre même des chevaux se trouve connu. Le rapport est tout à fait pareil entre le temps et le mouvement, puisque nous calculons de même le mouvement par le temps, et le temps par le mouvement. § 7[594]. C’est d’ailleurs avec toute raison ; car le mouvement implique la grandeur, et le temps implique le mouvement, parce que ce sont là également et des quantités, et des continus, et des divisibles. C’est parce que la grandeur a telles propriétés que le temps a tels attributs ; et le temps ne se manifeste que grâce au mouvement. Aussi nous mesurons indifféremment la grandeur par le mouvement et le mouvement par la grandeur ; nous disons que la route est longue si le voyage a été long ; et réciproquement, que le voyage est long si la route a été longue. De même aussi, nous disons qu’il y a beaucoup de temps, s’il y a beaucoup de mouvement ; et réciproquement, beaucoup de mouvement, s’il y a beaucoup de temps.


CHAPITRE XIX.

Explication de cette expression : Être dans le temps ; les choses éternelles ne sont pas dans le temps. — Le temps est la mesure du repos aussi bien que du mouvement ; le non-être n’est pas dans le temps. — Le présent ou l’instant est la continuité et la limite du temps ; analogie de l’instant et de la ligne ; de l’instant et du cercle. — Explications d’expressions diverses qui marquent le temps : A l’instant, Un jour ou Alors, Tout-à-l’heure, Récemment, Jadis, Tout-à-coup.

§ 1[595]. Le temps est donc la mesure du mouvement et de l’être même du mouvement ; il mesure le mouvement, parce qu’il limite et détermine un certain mouvement qui sert à mesurer le mouvement total, de même que la coudée mesure la longueur, parce qu’elle détermine une certaine dimension qui sert à mesurer tout le reste de cette longueur. Pour le mouvement, être dans le temps, c’est être mesuré par le temps, soit en lui-même, soit dans sa réalité ; car le temps mesure tout à la fois, et le mouvement, et la réalité du mouvement ; et, pour le mouvement, être dans le temps, c’est avoir son existence mesurée par lui. § 2[596]. Il est clair que pour toutes les autres choses également, être dans le temps, c’est aussi avoir leur propre existence mesurée par le temps. Être dans le temps ne peut signifier que l’une de ces deux choses : être quand le temps est ; ou bien être comme sont certaines choses dont on dit qu’elles sont dans le nombre. Or, être dans le nombre revient à dire ou que la chose est une partie et une propriété du nombre, et d’une façon générale un élément quelconque du nombre ; ou bien que c’est le nombre de cette chose. Mais le temps lui-même étant un nombre, l’instant présent, l’antérieur, et toutes les distinctions analogues sont dans le temps, comme sont dans le nombre l’unité, le pair et l’impair ; d’une part des éléments du nombre, et d’autre part des éléments du temps. Quant aux choses, elles sont dans le temps, comme elles sont dans le nombre ; et par suite, cela étant, elles sont renfermées par le nombre, absolument comme les choses qui sont dans l’espace, sont renfermées par l’espace. § 3[597]. On doit voir aussi qu’être dans le temps, ce n’est pas simplement être quand le temps est, de même que ce n’est pas être en mouvement ou dans un lieu, que d’être quand le mouvement est ou que le lieu est ; car si être dans quelque chose avait ce sens, toutes les choses seraient alors dans une chose quelconque ; et le ciel tiendrait dans un grain de millet, puisque le ciel est en même temps qu’est le grain de millet. Or, cette coïncidence n’est qu’un simple accident. Mais une conséquence absolument nécessaire, c’est que, si quelque chose est dans le temps, il y ait du temps, du moment que cette chose existe ; et que si quelque chose est en mouvement, c’est qu’il y ait du mouvement.

§ 4[598]. Mais comme être dans le temps ressemble à être dans le nombre, il y aura un temps plus grand que tout ce qui est dans le temps. § 5[599]. Voilà comment tout ce qui est dans le temps est nécessairement renfermé par le temps, comme d’ailleurs toutes les choses qui sont dans quelque chose y sont renfermées ; et, par exemple, celles qui sont dans le lieu sont renfermées par le lieu. § 6[600]. Il faut également que les choses soient affectées de quelque manière par le temps, comme le prouve le langage ordinaire, où l’on dit que le temps détruit tout, que tout vieillit avec le temps, qu’avec le temps tout s’efface et s’oublie, Mais le temps n’accroît pas notre science, le temps ne nous rajeunit pas, le temps ne nous embellit pas ; c’est qu’en lui-même le temps est bien plutôt une cause de ruine, puisqu’il est le nombre égal du mouvement, et que le mouvement transfigure tout ce qui est.

§ 7[601]. Une conséquence évidente de ceci, c’est que les choses qui sont éternelles, en tant qu’éternelles, ne sont pas dans le temps ; car elles ne sont pas renfermées par le temps ; leur existence n’est pas mesurée par lui ; et ce qui le prouve bien, c’est qu’elles ne subissent de sa part aucune action, soustraites au temps dont elles ne font pas partie.

§ 8[602]. Mais le temps, puisqu’il est la mesure du mouvement, sera aussi la mesure du repos, bien qu’indirectement ; car tout repos est dans le temps. § 9[603]. Or, si ce qui est dans le mouvement doit nécessairement être mu, il n’en est pas de même pour ce qui est dans le temps ; car le temps n’est pas le mouvement ; il n’est que le nombre du mouvement ; et ce qui est en repos peut fort bien être aussi dans le nombre du mouvement, puisqu’on ne dit pas de toute chose immobile qu’elle est en repos, mais qu’on le dit seulement, ainsi que nous l’avons expliqué plus haut, d’une chose qui est privée du mouvement que naturellement elle devrait avoir. § 10[604]. Mais quand on dit qu’une chose est en nombre, cela signifie qu’il y a un certain nombre de cette chose ; et que l’être de cette chose est mesurée par le nombre dans lequel elle est. Par conséquent, si la chose est dans le temps, elle est mesurée par le temps. Or, le temps mesurera et le mobile qui se meut et le corps qui reste inerte, l’un en tant qu’il est mu, l’autre en tant qu’il reste dans son inertie ; car il mesurera la quantité et de leur inertie et celle de leur mouvement, de telle sorte que le corps qui est en mouvement ne sera pas absolument mesuré par le temps sous le rapport de la grandeur qu’il peut avoir, mais sous le rapport de la grandeur de son mouvement. § 11[605]. Donc, les choses qui ne sont ni en mouvement ni en repos, ne sont pas dans le temps ; car être dans le temps, c’est être mesuré par le temps ; et le temps ne mesure que le mouvement et l’inertie. § 12[606]. On doit voir encore que jamais le non-être ou ce qui n’est pas ne peut être dans le temps : par exemple, toutes les choses qui ne peuvent pas être autrement que n’être jamais, comme le diamètre, qui ne peut jamais être commensurable au côté. § 13[607]. D’une manière générale, si le temps est en soi la mesure du mouvement, et n’est qu’indirectement la mesure du reste, il est évident que toutes les choses dont le temps mesure l’être, ne peuvent jamais avoir leur être que dans le repos ou le mouvement, Donc aussi, toutes les choses périssables et créées, en d’autres termes, toutes celles qui peuvent tantôt être et tantôt n’être pas, sont nécessairement dans le temps, puisqu’il y a un temps plus vaste qui dépasse leur être, et qui dépasse le temps même qui mesure la durée de leur existence. Mais pour les choses qui n’existent pas, toutes les fois que le temps les renferme, ou bien c’est qu’elles ont été, comme Homère a été jadis ; ou bien c’est qu’elles seront, comme tout ce qui est de l’avenir. Le temps les renferme de l’une ou de l’autre des deux façons ; et s’il les renferme des deux façons à la fois, c’est qu’elles peuvent tout à la fois avoir été dans le passé et être encore dans l’avenir. Mais pour les choses que le temps ne renferme d’aucune manière, elles n’ont point été, elles ne sont pas et elles ne seront jamais. Or, parmi les choses qui ne sont pas, celles que le temps ne renferme pas sont toutes les choses dont les contraires sont éternels. Ainsi, par exemple, l’incommensurabilité du côté au diamètre étant éternelle, le côté incommensurable au diamètre ne sera point dans le temps ; et par suite, le côté commensurable n’y sera point davantage. Donc éternellement aussi il n’est point, puisqu’il est contraire à une chose qui est éternelle. Mais toutes les choses dont le contraire n’est pas éternel, peuvent être et n’être pas, et elles sont sujettes à naître et à périr. § 14[608]. Quant à ce qui regarde l’instant présent, il est, ainsi que je l’ai dit, la continuité du temps ; car il réunit continuement le temps passé au temps à venir ; et d’une manière générale, il est la limite du temps, commencement de l’un et fin de l’autre. Mais ceci n’est pas évident pour l’instant, comme ce l’est pour la ligne, qui demeure immobile. L’instant ne partage et ne divise le temps qu’en puissance ; en tant qu’il divise, il est toujours autre ; en tant qu’il réunit et continue, il est toujours le même. C’est comme le point dans les lignes mathématiques ; car pour la raison, le point n’est pas toujours un seul et même point, puisqu’il est autre, quand on divise la ligne, et qu’il est absolument le même en tant qu’il est un. De même aussi pour l’instant ; tantôt il est en puissance la division du temps, tantôt il est la limite et l’union des deux à la fois. Mais la division et l’union sont la même chose et soutiennent le même rapport ; seulement leur manière d’être n’est pas la même. Telle est une première façon de comprendre l’instant. § 15[609]. Il en est une autre ; et c’est lorsque le temps de l’instant dont on parle est proche de celui où l’on est. Ainsi on dit de quelqu’un : Il viendra à l’instant, pour dire qu’il viendra aujourd’hui ; il est venu à l’instant, pour dire que c’est aujourd’hui qu’il est venu. Mais pour les événements d’Ilion, on ne dit point qu’ils se sont passés à l’instant, pas plis qu’on ne dit que le déluge a en lieu à l’instant. Cependant le temps est continu en remontant jusqu’à ces événements ; mais ces événements ne sont pas proches de nous. § 16[610]. L’expression de Alors, Un jour, indique un temps déterminé, par rapport à un instant antérieur ou postérieur. Ainsi l’on dit par exemple : Un jour ou Alors, Ilion a été prise ; Alors ou Un jour, une inondation aura lieu ; car c’est nécessairement un temps déterminé par rapport à l’instant actuel. Il y aura donc d’une part, une certaine quantité de temps qui s’écoulera vers l’événement à partir de l’instant où nous sommes, et d’autre part, il s’en est écoulé pour remonter à l’événement dont on parle, s’il s’agit de quelque chose qui concerne le passé. § 17[611]. S’il n’est point de temps duquel on ne puisse dire Un jour, alors toute espèce de temps quel qu’il soit peut toujours être fini. § 18[612]. Le temps viendra-t-il donc jamais à défaillir ? Ou plutôt ne doit-on pas dire qu’il ne défaillira jamais ? En effet, le temps ne peut jamais défaillir, puisque le mouvement est éternel. § 19[613]. Le temps est-il donc toujours autre ? Ou est-ce le même qui revient à plusieurs fois ? il est clair que tel est en cela le mouvement, tel est aussi le temps. Si le mouvement peut être toujours un et le même, le temps aussi sera également un et identique ; si le mouvement ne l’est pas, le temps ne le sera pas davantage. § 20[614]. Mais puisque l’instant présent est la fin et le commencement du temps, non pas du même temps, il est vrai, mais la fin du passé et le commencement de l’avenir, on peut dire qu’il en est ici comme du cercle, où dans le même point se trouvent en quelque sorte à la fois le convexe et le concave. Le temps aussi en est toujours à commencer et à finir ; et c’est là ce qui fait que le temps paraît toujours autre. Car le présent n’est pas le commencement et la fin du même temps, parce que, si c’était le même temps, les opposés coexisteraient ensemble et relativement à un seul et même objet. Mais le temps ne viendra non plus jamais à défaillir, parce qu’il en est toujours à commencer. § 21[615]. Tout à l’heure exprime une partie du temps à venir, proche de l’instant présent, lequel est indivisible. Quand vous promènerez-vous ? Tout à l’heure, répond-on ; et ceci veut dire que le temps où l’on ira se promener est proche. Tout à l’heure peut signifier aussi une partie du temps passé peu éloigné de l’instant actuel. Quand vous promènerez-vous ? Je me suis promené tout à l’heure ; je me suis déjà promené. Mais on ne dit pas qu’Ilion ait été saccagée tout à l’heure, parce que cet événement est par trop éloigné de l’instant présent où l’on parle. § 22[616]. Récemment se dit de ce qui est proche de l’instant actuel tout en faisant partie du passé. Quand êtes-vous arrivé ? Récemment ou à l’instant, et cela ne se dit que quand le temps est rapproché du moment même où l’on est. § 23[617]. Jadis exprime au contraire l’éloignement des choses. § 24[618]. Tout à coup s’emploie pour exprimer que la chose survient par un dérangement subit dans un temps qui, par sa petitesse, est imperceptible. § 25[619]. Or, tout changement est, par sa nature même, cause d’un dérangement ; c’est dans le temps que toutes choses naissent et périssent. Aussi a-t-on dit parfois que le temps est tout ce qu’il y a de plus sage et de plus savant ; mais Paron, le Pythagoricien avait peut-être plus raison de dire que le temps est tout ce qu’il y a de plus ignorant ; car c’est avec le temps qu’on oublie tout. En soi, en effet, le temps est bien plutôt cause de ruine que de génération, ainsi que je l’ai déjà dit ; car le changement pris en lui-même est toujours un dérangement de ce qui a été ; et ce n’est qu’indirectement que le temps est cause de la génération et de l’être. Une preuve bien suffisante c’est que rien ne peut naître sans éprouver une sorte de mouvement et d’action, tandis qu’une chose peut au contraire périr, sans le moindre mouvement ; et c’est là surtout ce qu’on entend par la destruction que cause le temps. Néanmoins et à vrai dire ce n’est pas même le temps qui produit cette destruction, et c’est seulement que ce changement-là, aussi bien que les autres, se produit dans le temps. § 26[620]. Jusqu’ici nous avons donc démontré l’existence du temps, et défini ce qu’il est ; nous avons aussi expliqué les différentes acceptions du mot Instant et le sens de ces autres expressions : Un jour, Tout à l’heure, Récemment, Jadis, Tout à coup.


CHAPITRE XX.

Dernières considérations sur le temps ; tout changement a lieu dans le temps. — Sens différents des mots antérieur et postérieur, selon qu’il s’agit du passé ou de l’avenir. — Rapport de la pensée au temps ; le temps existe-t-il sans l’âme qui le perçoit ? — Identité du temps ; ses rapports avec le mouvement et avec le nombre. — Fin de la théorie du temps.

§ 1[621]. Après l’énumération que nous venons de faire, il est clair que nécessairement tout changement et tout mobile sont dans le temps ; car tout changement est ou plus rapide ou plus lent ; et c’est là ce qu’on peut observer dans tous les cas. Je dis d’une chose qu’elle se meut plus rapidement qu’une autre, quand elle change antérieurement à cette autre pour arriver à l’état qui est en question, tout en parcourant la même distance, et en étant douée d’un mouvement uniforme : par exemple, lorsque dans le mouvement de translation, les deux choses que l’on compare se meuvent circulairement, ou se meuvent en ligne droite ; et de même pour tout le reste. Mais Antérieurement est dans le temps ; et antérieur et postérieur ne se disent que par rapport à leur éloignement, de l’instant présent. Or, le présent, l’instant, est la limite du passé et de l’avenir. Par conséquent, le présent étant dans le temps, l’antérieur et le postérieur y seront aussi ; car là où est le présent, là est aussi l’éloignement par rapport au présent. Mais Antérieurement s’entend d’une manière inverse, selon qu’il s’agit du temps passé ou du temps futur. Ainsi dans le passé, nous appelons antérieur ce qui est le plus éloigné du présent, et postérieur ce qui s’en rapproche davantage. Pour le futur, au contraire, l’antérieur est ce qui est plus rapproché du présent ; le postérieur ce qui en est le plus loin. Donc, l’antérieur étant toujours dans le temps, et l’antérieur étant toujours aussi une conséquence du mouvement, il est clair que tout changement ou tout mouvement est dans le temps.

§ 2[622]. Une chose bien digne d’étude, c’est de rechercher quel est le rapport du temps à l’âme qui le perçoit, et comment il nous semble qu’il y a du temps en toute chose, la terre, la mer et le ciel. § 3[623]. Est-ce parce que le temps est une propriété, ou un mode du mouvement, dont il est le nombre, et que toutes ces choses sont mobiles ? Car tout cela est dans l’espace ; et le temps et le mouvement coexistent toujours l’un à l’autre, soit en puissance soit en acte. § 4[624]. Mais si l’âme par hasard venait à cesser d’être, y aurait-il encore ou n’y aurait-il plus de temps ? C’est là une question qu’on peut se faire ; car lorsque l’être qui doit compter ne peut plus être, il est impossible également qu’il y ait encore quelque chose de comptable ; et par suite évidemment, il n’y a plus davantage de nombre ; car le nombre n’est que ce qui a été compté ou ce qui peut l’être. Mais s’il n’y a au monde que l’âme, et dans l’âme l’entendement, qui ait la faculté naturelle de compter, il est dès lors impossible que le temps soit, si l’âme n’est pas ; et par suite, le temps n’est plus dans cette hypothèse que ce qu’il est simplement en soi, si toutefois il se peut que le mouvement ait lieu sans l’âme. Mais l’antérieur et le postérieur sont dans le mouvement, et le temps n’est au fond que l’un et l’autre, en tant qu’ils sont numérables.

§ 5[625]. On peut encore se demander de quelle espèce de mouvement le temps est le nombre. Ou bien est-il le nombre d’un mouvement quelconque ? Ainsi c’est dans le temps que les choses naissent, périssent et s’accroissent ; c’est dans le temps qu’elles changent et qu’elles se meuvent. Le temps est donc le nombre de chacune de ces espèces de mouvement en tant que chacune d’elles est mouvement ; et voilà comment d’une manière générale le temps est le nombre du mouvement continu, et non pas de telle espèce particulière de mouvement. § 6[626]. Mais il est possible que deux choses différentes se meuvent au même instant, et le temps alors serait le nombre de l’une et l’autre à la fois. Le temps dans ce cas est-il autre aussi ? Et est-il possible qu’il y ait deux temps égaux simultanément ? Ou bien n’est-ce pas chose impossible ? Le temps tout entier est un, semblable et simultané pour tout ; et même les temps qui ne sont pas simultanés n’en sont pas moins de la même espèce. C’est comme le nombre qui est bien toujours le même, qu’il s’agisse d’ailleurs ici de chiens et là de chevaux, si l’on veut, de part et d’autre au nombre de sept. Pareillement, le temps est le même pour des mouvements qui s’accomplissent ensemble. Seulement le mouvement est tantôt rapide, et tantôt il ne l’est pas ; tantôt il est un déplacement, et tantôt une simple altération de qualité. Mais pourtant c’est bien le même temps, puisque de part et d’autre, il est bien aussi le nombre égal et simultané et du déplacement et de l’altération. Ce qui fait que les mouvements sont différents et séparés, tandis que le temps demeure partout le même, c’est que le nombre reste partout un et le même pour des mouvements et des êtres égaux et simultanés.

§ 7[627]. Comme il existe un mouvement de translation, dont une espèce est la translation circulaire ; et comme toute chose se compte et se mesure par une seule et unique chose du même genre qu’elle, les unités par une unité, les chevaux par un cheval, etc.; de même le temps se compte et se mesure par un certain temps déterminé ; et le temps, ainsi que nous l’avons déjà dit, se mesure par le mouvement et le mouvement par le temps ; c’est-à-dire que c’est par le temps d’un mouvement déterminé que se mesure la quantité et du mouvement et du temps. § 8[628]. Si donc le primitif est toujours la mesure de tous les objets homogènes, la translation circulaire, uniforme comme elle l’est, doit être la mesure par excellence, parce que son nombre est de tous le plus facile à connaître. L’altération, l’accroissement, la génération même n’ont rien d’uniforme ; il n’y a que la translation qui le soit. § 9[629]. Aussi ce qui fait que le temps a été pris pour le mouvement de la sphère, c’est que c’est là le mouvement qui mesure tous les autres, et qui mesure aussi le temps. § 10[630]. Ceci même explique et justifie le dicton ordinaire qui ne voit qu’un cercle dans les choses humaines, comme dans toutes les autres choses qui ont un mouvement naturel, et qui naissent et meurent. Cette opinion vient de ce que toutes ces choses sont appréciées d’après le temps, et qu’elles ont une fin et un commencement, comme si c’était par une sorte de période régulière. Or, le temps lui-même ne semble être qu’un cercle de certain genre ; et si à son tour, il a cette apparence, c’est qu’il est la mesure de cette translation circulaire ; et que réciproquement il est lui-même mesuré par elle. Par conséquent, dire que toutes les choses qui se produisent forment un cercle, revient à dire qu’il y a aussi une espèce de cercle pour le temps. En d’autres termes, c’est dire encore que le temps est mesuré par le mouvement de translation circulaire ; car, à côté de la mesure, l’objet mesuré ne paraît être dans sa totalité rien autre chose qu’un certain nombre accumulé de mesures.

§ 11[631]. D’ailleurs, on a bien raison de dire que le nombre est toujours le même d’une part pour les moutons, par exemple, et pour les chiens d’autre part, si le nombre de ces animaux est égal de part et d’autre ; mais que la dizaine n’est pas la même, non plus que les dix objets ne sont pas les mêmes. C’est absolument comme les triangles qui ne sont pas les mêmes, quand l’un est équilatéral et l’autre scalène. Cependant, la figure est bien la même, puisque tous deux sont des triangles. Car on dit d’une chose qu’elle est identique à une autre, quand elle n’en diffère point dans sa différence essentielle ; et elle cesse d’être identique, quand elle en diffère ainsi. Le triangle, par exemple, ne diffère d’un autre triangle que par une simple différence de triangle ; et il n’y a alors que les triangles qui soient différents. Mais ils ne diffèrent pas de figure, et tous deux sont dans une seule et même division de figures ; car telle figure est un cercle et telle autre figure est un triangle ; et dans le triangle, tel triangle est isocèle, tandis que tel autre est scalène. La figure est donc la même ; et c’est telle figure, par exemple, un triangle ; mais le triangle n’est pas le même. C’est de cette façon que le nombre aussi est le même ; car le nombre des chiens ne diffère pas de celui des moutons par une différence de nombre ; seulement la dizaine n’est pas la même, parce que les objets auxquels elle s’applique sont différents entr’eux, ici des chiens et là des chevaux.

§ 12[632]. Nous terminons ici ce que nous avions à dire, et du temps considéré en lui-même, et de ceux de ses attributs qui appartiennent spécialement à cette étude.


LIVRE V.
DU MOUVEMENT.

CHAPITRE PREMIER.

Théorie générale du mouvement ; espèces diverses du changement confondu avec le mouvement ; mouvement indirect et accidentel ; mouvement partiel, et mouvement en soi et total. Ces distinctions s’appliquent au moteur comme au mobile. — Le changement ne peut être séparé du mouvement ; changement par accident ; changement partiel ; changement en soi. Mouvement à partir du centre vers les extrêmes, qui sont contraires entr’eux, comme le milieu est contraire à l’un et à l’autre tout ensemble.

Il faut remarquer que ce premier chapitre du Livre V se lie au précédent par une particule adversative, qui fait en quelque sorte une phrase unique de celle qui termine le IVe Livre, et de celle qui commence celui-ci. Ce n’est pas là une preuve bien forte que le Ve Livre soit la suite régulière des autres ; mais ce qui le démontre péremptoirement, c’est que toutes les théories antérieures n’ont été présentées que comme des préliminaires à la théorie du mouvement. Sans cette dernière, la Physique serait complètement mutilée ; et elle n’aurait aucun sens. Ainsi le Ve Livre tient aux autres par les rapports les plus étroits et les plus évidents. Voir plus haut, Livre III, ch. 1, § 1 ; et aussi la Dissertation préliminaire sur la composition de la Physique. Ce premier chapitre sur le mouvement se trouve analysé et parfois textuellement reproduit dans la Métaphysique, Livre XI, ch. 44, p. 1067, édit. de Berlin.§ 1[633]. Tout ce qui change vient à changer, soit par accident, comme, par exemple, lorsqu’on dit que le musicien marche, parce que l’être pour lequel c’est un accident d’être musicien se met à marcher ; soit quand on dit d’une manière absolue qu’une chose change, parce qu’une partie de cette chose vient à changer, comme cela se dit de toutes les choses dont le changement n’est considéré que dans leurs parties ; ainsi on dit que le corps de quelqu’un se guérit, parce que l’œil, ou la poitrine se guérissent, quoique ces organes ne soient que des parties du corps entier. Enfin, dans un dernier et troisième sens, on dit d’une chose qu’elle se meut, non plus parce qu’elle se meut par accident, ni parce que quelqu’une de ses parties est en mouvement, mais parce qu’elle se meut primitivement elle-même, et c’est là ce qu’est le mobile en soi. § 2[634]. Mais dans chaque espèce de mouvement, le mobile en soi est différent : par exemple, un être qui s’altère ; et dans le mouvement même de l’altération, l’être devient différent, selon qu’il se guérit ou qu’il s’échauffe.§ 3[635]. Du reste ces distinctions sont tout à fait les mêmes pour le moteur. Ainsi ou le moteur meut accidentellement ; ou il meut partiellement, parce qu’une de ses parties peut créer le mouvement ; ou bien enfin, il meut en soi primitivement ; par exemple, le médecin guérit, et la main frappe.§ 4[636]. Il y a donc ici plusieurs termes à considérer : d’abord le moteur initial ; puis le mobile, ou l’objet mu ; en troisième lieu, le temps dans lequel le mouvement se fait ; enfin, outre ces trois termes, il y a encore le point d’où l’on part, et celui où l’on arrive ; car tout mouvement part d’un certain point pour arriver à un autre point ; et l’on doit distinguer comme très différents et le premier mobile, et le point vers lequel ce mobile est poussé par le mouvement, et le point d’où il est parti. Soient, par exemple, le bois, le chaud et le froid. De ces trois termes, l’un désigne l’objet, l’autre désigne l’état où il tend, et le dernier l’état d’où il part. C’est évidemment dans le bois qu’est le mouvement, et non point dans sa forme ; car la forme ne donne ni ne reçoit le mouvement, non plus que le lieu ou la quantité ne le reçoivent ni ne le donnent. Mais il y a là un moteur, un mobile et un état vers lequel le mobile est mu ; or, c’est l’état vers lequel tend le mouvement qui décide du nom donné au changement bien plutôt que l’état d’où le mouvement est parti. Voilà comment la destruction des choses est leur changement en non-être, bien que la chose détruite ne puisse changer qu’en venant de l’Être ; et la génération est un changement vers l’être, bien que ce soit du non-être qu’elle parte. § 5[637]. On se rappelle que nous avons défini plus haut la nature du mouvement. § 6[638]. Quant aux formes, aux affections et au lieu vers lequel se meuvent toutes les choses qui se meuvent, ils sont immobiles, comme, par exemple, la science ou la chaleur. § 7[639]. Toutefois on peut se poser cette question : Si les affections des choses sont des mouvements, et si la blancheur est une affection, il pourrait donc y avoir un changement qui tendrait au mouvement. § 8[640]. A cela il faut peut-être répondre que ce n’est pas la blancheur elle-même qui est un mouvement, mais que c’est le blanchissement. § 9[641]. Mais ici encore on peut distinguer comme tout à l’heure et le mouvement par accident, et le mouvement d’une partie, c’est-à-dire le mouvement relatif à un autre, et le mouvement primitif qui n’a point un autre pour objet. Soit, par exemple, une chose qui devient blanche. Elle ne change qu’accidentellement en ce qu’on pense ; car, pour la couleur, c’est un pur accident d’être pensée ; elle change en une couleur ; car le blanc est une partie de la couleur ; elle change en étant en Europe ; car Athènes où elle est fait partie de l’Europe ; mais en soi, elle change en couleur blanche.§ 10[642]. Ainsi, l’on voit comment une chose se meut en soi, comment elle se meut par accident, et comment elle se meut et change par une de ses parties. On voit aussi ce qu’on doit entendre par primitif, soit pour le moteur soit pour le mobile. On voit enfin que le mouvement n’est pas dans la forme, et qu’il est dans le corps qui est mu, c’est-à-dire le mobile en acte. § 11[643]. Nous laissons de côté le changement qui est accidentel ; car ce changement peut être en toutes choses, être toujours et s’appliquer à tout. Mais le changement qui n’est point accidentel, loin d’être en tout, n’est que dans les contraires, dans les intermédiaires et dans les contradictoires, comme l’induction pourrait nous le démontrer. § 12[644]. Le changement peut avoir lieu en partant de l’intermédiaire, parce que le moyen terme est une sorte de contraire ; car le changement s’applique à ce milieu, comme étant contraire à l’un et à l’autre extrême. Le milieu est, en quelque sorte, les deux extrêmes à la fois ; et voilà comment on peut dire que le milieu est un contraire relativement aux extrêmes, et que les extrêmes sont des contraires relativement à lui. Par exemple, la note médiale est grave par rapport à la haute ; et aiguë, par rapport à la basse ; le gris est blanc par rapport au noir, et noir par rapport au blanc.


CHAPITRE II.

Idée générale du changement, d’après le sens étymologique du mot qui le désigne. Quatre espèces du changement ; réduction à trois ; la génération et la destruction des choses ne sont pas des mouvements. — Rapport du non-être au changement et au mouvement. — Il n’y a qu’une seule espèce de changement qui soit du mouvement.

§ 1[645]. Tout changement se faisant d’un certain état en un autre état, et le mot grec lui-même le prouve, puisqu’une partie de ce mot signifie qu’une chose a lieu après une autre, et que par conséquent on distingue ici quelque chose d’antérieur et quelque chose de postérieur, on doit dire que ce qui change peut changer de quatre manières : d’abord d’un sujet dans un sujet ; de ce qui n’est pas sujet dans ce qui n’est pas sujet non plus ; en troisième lieu, de ce qui n’est pas sujet dans ce qui est sujet ; et enfin de ce qui est sujet dans ce qui n’est pas sujet. J’entends d’ailleurs par sujet ce qui est indiqué par l’affirmation. § 2[646]. Une conséquence nécessaire de ceci, c’est qu’il n’y a réellement que trois changements possibles : d’un sujet dans un sujet ; d’un sujet dans ce qui n’est pas sujet ; et de ce qui n’est pas sujet dans ce qui est sujet ; car le mode de changement qui aurait lieu de ce qui n’est pas sujet dans ce qui n’est pas sujet, n’est pas vrai dire un changement, puisqu’il n’y a point là d’opposition véritable, et qu’il n’y a ni contraires, ni contradiction. § 3[647]. Le changement par contradiction de ce qui n’est point sujet dans un sujet, est la génération. La génération est absolue quand le changement a lieu absolument ; elle est spéciale et relative quand le changement est celui d’une certaine qualité spéciale. Ainsi, le changement de ce qui n’est pas blanc et devient blanc est la génération du blanc. Mais le changement de ce qui n’existant pas absolument vient à être, est la génération absolue, d’après laquelle on dit simplement et d’une manière absolue que la chose devient, sans dire qu’elle devient telle ou telle chose. § 4[648]. Le changement du sujet en non-sujet s’appelle destruction ; pris d’une manière absolue, c’est le changement de l’être au non-être ; pris d’une manière relative, c’est le passage à la négation opposée, ainsi que nous venons de le dire pour la génération.

§ 5[649]. Le non-être peut s’entendre d’ailleurs de plusieurs façons. Mais il ne peut y avoir de mouvement ni pour le non-être qui est exprimé par composition ou par division, ni pour ce qui est en simple puissance, c’est-à-dire l’opposé de l’être qui existe réellement et absolument en acte. Ainsi, le non-blanc ou le non-bon peut néanmoins avoir du mouvement indirectement ; car l’être qui n’est pas blanc, par exemple, peut fort bien être un homme. Mais ce qui absolument parlant n’est point telle ou telle chose réelle, ne peut du tout être en mouvement ; car il est impossible que ce qui n’est pas reçoive le mouvement. Par suite, et si cela est vrai, la génération ne peut être appelée un mouvement, puisque c’est le non-être qui est engendré et devient quelque chose. § 6[650]. Mais bien que le non-être, quand il devient, devienne le plus souvent de façon accidentelle, il est vrai de dire de l’être qui devient absolument qu’il existe comme non-être. § 7[651]. Il en est de même aussi pour le repos du non-être, et l’on trouve ici toutes les mêmes difficultés qui s’appliquaient à son mouvement. § 8[652]. Et si tout ce qui se meut doit nécessairement être dans un lieu, le non-être n’est pas dans un lieu ; car il faudrait alors qu’il existât quelque part.

§ 9[653]. La destruction ne peut pas être un mouvement non plus que la génération ; car c’est ou le mouvement ou le repos qui est contraire au mouvement, tandis que la destruction est contraire à la génération.

§ 10[654]. En résumé, comme tout mouvement est un changement d’une certaine espèce, et qu’il n’y a réellement que les trois espèces de changement que nous avons indiquées ; et comme les changements qui se rapportent à la génération et à la destruction des choses, ne sont pas des mouvements et ne sont que de simples oppositions contradictoires, il s’ensuit nécessairement qu’il n’y a que le changement d’un sujet dans un sujet qui puisse être pris pour un mouvement véritable. § 11[655]. Quant aux deux sujets, ils sont ou contraires ou intermédiaires ; car la privation doit être regardée comme un contraire ; et pour l’exprimer, on se sert aussi de l’affirmation, comme quand on dit, par exemple, le nu, le blanc et le noir.


CHAPITRE III.

Division des mouvements ; il ne peut y avoir mouvement que dans trois catégories : la quantité, la qualité et le lieu. Élimination des autres catégories ; arguments divers. — Il ne peut y avoir mouvement de mouvement ; il faut un premier terme et un point de départ. — Il n’y a que trois espèces de mouvements, et trois catégories où le mouvement soit possible : accidentel, total ou partiel ; désignations spéciales des mouvements, selon les catégories où ils s’accomplissent.

§ 1[656]. Si donc les Catégories se divisent en substance, qualité, lieu, relation, quantité et action ou souffrance, il ne peut y avoir nécessairement que trois mouvements, à savoir celui de la quantité, celui de la qualité et celui du lieu. § 2[657]. Dans la substance, il n’y a pas de mouvement, parce qu’il n’y a rien parmi tout ce qui est qui puisse être contraire à la substance. § 3[658]. Il n’y a pas davantage de mouvement pour la relation ; car l’un des deux relatifs venant à changer, il peut être vrai encore que l’autre ne change nullement ; et, par conséquent, le mouvement des relatifs n’est qu’indirect et accidentel. § 4[659]. Il n’y a pas non plus besoin de mouvement pour l’agent et le patient, pas plus qu’il n’y en a pour le moteur et le mobile, attendu qu’il ne peut pas y avoir mouvement de mouvement, ni génération de génération, ni en un mot changement de changement.

§ 5[660]. D’abord il peut y avoir deux manières d’entendre cette expression Mouvement de mouvement. Dans un premier sens, ce peut être en tant que mouvement d’un sujet ; comme, par exemple, on dit d’un homme qu’il est en mouvement, parce qu’il change du blanc au noir. Est-ce donc que, de cette manière aussi, le mouvement peut s’échauffer ou se refroidir, se déplacer, s’accroître, périr ? Mais il est évidemment impossible d’entendre ainsi la chose ; car le changement ne peut être considéré comme un sujet. Ou bien doit-on entendre le Mouvement de mouvement en ce sens qu’un autre sujet, en partant du changement qu’il viendrait à éprouver, changerait d’une forme à une autre, comme, par exemple, l’homme passe de la maladie à la santé ? Mais on ne peut pas dire non plus qu’il y ait là Mouvement de mouvement, si ce n’est d’une façon indirecte et accidentelle, puisque le mouvement, à proprement parler, n’est que le changement d’une forme dans une autre forme. La génération et la destruction sont dans le même cas aussi, sauf que la génération et la destruction vont à certains opposés, tandis que le mouvement ne va pas à ces mêmes opposés. L’être changerait donc en même temps et de la santé à la maladie, et, en outre, de ce même changement à un autre encore. Mais il est évident que dès qu’il aura été malade, c’est qu’il aura subi un changement d’une certaine espèce, puisqu’il peut rester dans cette souffrance ; mais il ne se peut pas que le malade subisse un changement quelconque indéfiniment et au hasard, et que de cette situation nouvelle venue d’une situation antérieure, il passe encore à quelqu’autre situation différente, de manière à ce que ce soit le changement opposé à la maladie, c’est-à-dire le retour à la santé. Mais, au fond, ce ne peut être qu’un simple accident, comme lorsqu’on passe du souvenir à l’oubli, attendu que l’être qui subit le changement vient simplement à changer, en passant ici à la mémoire et là à la santé.

§ 6[661]. En second lieu, ce serait tomber dans l’infini que de supposer qu’il y a changement de changement, génération de génération. On dit donc qu’il est nécessaire qu’il y ait eu un changement antérieur, pour qu’un changement postérieur soit possible, Par exemple, si à un certain moment une génération absolue était elle-même engendrée et si elle devenait, il faudrait bien aussi que l’être engendré devint à ce moment. Par conséquent l’être qui était alors engendré absolument, n’existait pas encore ; mais il était simplement quelque chose qui devenait ; et une fois devenu, il devenait encore, de telle manière que même quand il était déjà devenu, il n’était pas encore. Mais comme dans les choses infinies il n’y a pas de premier terme, le premier changement n’aura pas lieu, ni par conséquent le changement qui le suit. Donc il n’y aura plus dans cette hypothèse, ni génération, ni mouvement, ni changement possibles.

§ 7[662]. On sait encore que c’est la même chose qui a un certain mouvement, qui peut avoir le mouvement contraire et même le repos ; et encore la génération et la destruction. Par conséquent ce qui devient, au moment même où il devient, périt aussi en devenant ; car ce n’est ni avant même qu’il ne devienne, qu’il peut périr, ni aussitôt après puisque ce qui périt doit préalablement exister.

§ 8[663]. Autre considération. Il faut qu’il y ait une matière substantielle et servant de support dans ce qui devient et dans ce qui change. Mais ici, quelle sera cette matière ? Et de même que ce qui s’altère est ou un corps ou une âme, de même ce qui devient ici serait-il ou mouvement, ou génération ? Et puis, quel est ici le terme où aboutit le mouvement ? Car il faut bien que ce soit le mouvement et la génération de telle chose passant de tel état à tel autre état. Mais encore comment sera-ce possible ? En effet, la génération et l’acquisition de la science, ne sera pas de la science ; et par conséquent il n’y a ni génération de génération en général, ni telle génération spéciale de telle génération spéciale. De plus, comme il n’y a que trois espèces de mouvements, il faudrait que la nature substantielle et les termes où se passe le mouvement fussent quelqu’une de ces espèces ; et, par exemple, que la translation s’altérât ou se déplaçât indifféremment. § 9[664]. Mais puisque tout ce qui se meut ne peut se mouvoir que de trois façons, ou par accident, ou dans une de ses parties, ou en soi et dans sa totalité, ce ne serait qu’indirectement et par accident que le changement pourrait changer, comme, par exemple, si l’individu qui est guéri se met à courir ou à s’instruire. Mais nous avons déjà déclaré que nous ne nous occupons pas du mouvement accidentel.

§ 10[665]. Or, comme le mouvement ne peut s’appliquer ni à la substance, ni à la relation, ni à l’action et à la passion, il reste qu’il s’applique seulement, à la qualité, à la quantité et au lieu, parce qu’il est possible qu’il y ait des contraires dans ces trois catégories. § 11[666]. Le mouvement dans la qualité est ce qu’on peut appeler l’altération ; car c’est là le nom général qu’on lui donne dans toutes ses nuances. Mais quand je dis la qualité, je n’entends pas la qualité dans la substance, où la différence est aussi une qualité ; mais la qualité passive, d’après laquelle on dit qu’un être est ou passif ou impassible. § 12[667]. Le mouvement qui s’applique à la quantité n’a pas reçu de nom qui soit commun aux deux contraires ; d’une part, c’est l’accroissement, et d’autre part le dépérissement. Le mouvement qui tend à la dimension complète de la chose, est l’accroissement ; et le dépérissement est le mouvement qui déchoit de cette dimension complète. § 13[668]. Quant au mouvement qui se rapporte au lieu, il n’a dans le langage ordinaire, ni de nom commun, ni de nom particulier. Appelons-le, pour le nom commun, translation ; bien que ce mot de translation ne s’applique, à proprement parler, qu’aux choses qui, changeant de lieu, n’ont pas en elles-mêmes le principe qui les puisse arrêter, et à toutes les choses qui ne se meuvent point par elles-mêmes dans l’espace. § 14[669]. Le changement en plus ou en moins dans la même forme s’appelle aussi altération, parce que c’est le mouvement du contraire au contraire, ou absolu ou partiel. Si la chose va au moins, on dit qu’elle change en allant vers son contraire ; mais si elle va au plus, elle va en quelque sorte de son contraire à elle-même. Du reste, il n’y a point ici de différence entre le changement absolu et le changement partiel, si ce n’est que dans ce dernier cas il n’y aura que des contraires partiels : Le plus et le moins dans une chose signifient seulement qu’il y a ou qu’il n’y a pas, plus ou moins du contraire dans cette chose.

§ 15[670]. Ainsi, en résumé, on voit par ce quoi précède qu’il n’y a que ces trois espèces de mouvements.


CHAPITRE IV.

De l’immobile ; sens divers de ce mot : de l’inertie. — Résumé partiel des théories précédentes.

§ 1[671]. L’immobile est ce qui ne peut pas du tout être mis en mouvement, pas plus qu’il n’est possible que le son soit visible. On appelle encore immobile ce qui ne se meut qu’à peine dans un long espace de temps, c’est-à-dire ce qui se met lentement en mouvement, et qu’on nomme alors difficile à mouvoir. On appelle enfin immobile ce qui, devant et pouvant naturellement se mouvoir, ne se meut pas quand il le faut, où il le faut et de la manière qu’il faut. Dans les choses immobiles, c’est là seulement ce qu’on doit entendre par le repos ; car le repos est le contraire du mouvement, et l’on peut dire que c’est la privation de la qualité dont le sujet serait susceptible.

§ 2[672]. Ainsi, l’on doit déjà voir clairement, d’après ce que nous avons dit, ce que c’est que le mouvement et le repos, quel est le nombre et la nature des changements et des mouvements.


CHAPITRE V.

Explications de divers termes : Être ensemble ; être séparé ; toucher ; être intermédiaire ; suivre ; être cohérent ; être continu. Définitions et exemples.

§ 1[673]. Après ce qui précède, expliquons ce qu’il faut entendre par : Être ensemble, être séparé, se toucher, être intermédiaire, suivre, être cohérent, être continu ; et indiquons quels sont les objets auxquels ces termes s’appliquent naturellement.

§ 2[674]. Être ensemble dans l’espace s’entend des choses qui sont dans un seul et même lieu primitif. § 3[675]. Séparé s’entend des choses qui sont dans un lieu primitif différent. § 4[676]. Se toucher se dit des choses dont les extrémités sont ensemble. § 5[677]. L’intermédiaire est ce par quoi la chose qui change doit naturellement passer avant de parvenir à l’extrême dans lequel elle change, quand elle change selon sa nature d’une manière continue. L’intermédiaire suppose au moins trois termes ; car le contraire est l’extrémité du mouvement. § 6[678]. Et l’on dit que le mouvement est continu, quand il n’y a aucune interruption, ou du moins quand il n’y a qu’une très petite interruption de la chose et non pas du temps ; car rien n’empêche qu’il n’y ait une interruption de la chose ; et, par exemple, après la note la plus haute on peut faire entendre aussitôt la note la plus basse. Mais je dis que cette interruption ne peut être que dans la chose pour laquelle le mouvement a lieu ; et c’est là ce qu’on peut voir, soit pour les changements qui ont lieu dans l’espace, soit pour tous les autres changements. § 7[679]. Le mot de Contraire, en ce qui regarde le lieu, s’applique à ce qui est en ligne droite le plus éloigné possible ; car la ligne la plus courte est déterminée et finie ; et ce qui est déterminé et fini peut servir de mesure.

§ 8[680]. Suivre se dit d’une chose qui ne venant qu’après le commencement et étant ainsi déterminée, soit par position, soit par nature, soit tout autrement, n’est pas séparée de la chose après laquelle elle vient par aucune autre chose de même genre. C’est ainsi, par exemple, qu’on dit d’une ligne ou de plusieurs lignes qu’elles suivent une autre ligne, d’une unité ou de plusieurs unités qu’elles suivent une autre unité, d’une maison qu’elle vient à la suite d’une autre maison. Mais il se peut fort bien qu’il y ait entre les deux choses une chose différente ; car ce qui suit est consécutif à quelque chose et est quelque chose de postérieur ; et l’on ne peut pas dire que un suive deux, ni que le premier du mois suive le deux du mois ; mais, tout au contraire, c’est deux qui suit un.

§ 9[681]. Une chose est Cohérente à une autre, quand, venant à la suite de cette chose, elle la touche. § 10[682]. Mais comme tout changement a lieu entre des opposés, et qu’on entend par opposés et les contraires et les contradictoires, il est évident que l’intermédiaire fait partie des contraires, attendu qu’il n’y a pas de milieu possible dans la contradiction. § 11[683]. Enfin, on entend par Continu une sorte de cohérence. Ainsi je dis d’une chose qu’elle est continue quand les limites, par lesquelles les deux parties se touchent, se sont confondues et réunies, et qu’alors, comme le mot même l’exprime, elles se continuent et se tiennent. Mais c’est ce qui ne peut avoir lieu tant que les extrémités restent deux. § 12[684]. Évidemment, il suit de cette définition qu’il n’y a de continuité que dans les choses qui, en se touchant, peuvent arriver naturellement à ne plus former qu’une seule chose ; et autant le contenant peut devenir un, autant le tout deviendra un et continu : par exemple, quand un continu se forme soit à l’aide d’un clou, soit à l’aide d’un collage, d’un contact ou d’un soudage naturel. § 13[685]. D’ailleurs, il n’est pas moins clair que l’idée de Suivre est antérieure à celle de Toucher ; car ce qui touche une chose la suit nécessairement ; mais ce qui suit une chose ne la touche pas toujours. Aussi c’est là ce qui fait que, dans les termes qui rationnellement peuvent être antérieurs, il y a consécution, tandis qu’il n’y a pas contact. § 14[686]. Du moment qu’une chose est continue, il y a nécessité qu’elle touche ; mais elle peut toucher sans être pour cela continue ; car les extrémités des deux choses peuvent être ensemble dans l’espace, sans se confondre en une ; mais si elles se confondent, il faut nécessairement qu’elles soient ensemble. Par suite, la combinaison des natures est la dernière à se produire ; car, pour que les extrêmes se confondent et se soudent, il faut absolument qu’ils se soient touchés. Mais tout ce qui se touche ne se confond pas ; et, par conséquent, là où il n’y a pas de contact, il est évident qu’il n’y a pas non plus de mélange ni de fusion. § 15[687]. Il s’ensuit que, bien que le point et l’unité soient séparés de la matière, ainsi qu’on le dit, il n’est pas possible que jamais le point et l’unité soient la même chose ; car les points se touchent, tandis que les unités se suivent ; et, pour les points, il peut y avoir entr’eux un intervalle ; car toute ligne est un intervalle entre deux points ; tandis que pour les unités, l’intervalle est nécessairement impossible ; car il n’y a rien absolument entre deux et un.

§ 16[688]. Voilà donc ce qu’il faut entendre par les termes que nous avons énumérés : Ensemble, séparé, contact, intermédiaire, suite, cohérence, continuité ; et tels sont les objets auxquels ces termes peuvent s’appliquer.


CHAPITRE VI.

De l’unité et de la diversité de mouvement ; mouvement génétiquement un et spécifiquement un. — De l’unité absolue de mouvement ; différence de l’identité et de l’unité ; digression.— De la continuité de mouvement ; de l’égalité et de l’inégalité du mouvement ; conditions générales de l’égalité et de l’inégalité du mouvement.

§ 1[689]. Quand on dit que le mouvement est un, cette expression peut se prendre en plusieurs sens, parce que, selon nous, l’idée d’unité peut aussi en avoir plusieurs.

§ 2[690]. Le mouvement est génériquement un, suivant les formes de la catégorie où on le considère. Ainsi, la translation est un mouvement qui est un sous le rapport du genre, pour toute translation quelconque ; mais l’altération diffère de la translation par son genre qui est autre. § 3[691]. Spécifiquement, le mouvement est un, lorsque, d’abord étant un en genre, il est un en outre dans une espèce indivisible. Par exemple, la couleur a des différences, puisque la couleur noire et la couleur blanche différent en espèces. Ainsi donc, toute couleur blanche, considérée sous le rapport de l’espèce, est identique à toute autre couleur blanche, de même que la couleur noire est spécifiquement identique à toute couleur noire. Mais cette couleur noire n’est plus spécifiquement la même que la couleur blanche. Par conséquent, la couleur blanche est spécifiquement identique à toute couleur blanche. § 4[692]. S’il est par hasard des choses qui soient tout ensemble genres et espèces, il est clair que pour elles, le mouvement sera, à quelques égards, un sous le rapport de l’espèce ; mais, absolument parlant, il ne sera point spécifiquement identique. Tel est, par exemple, l’acte d’apprendre quelque chose et le mouvement de cet acte, si la science est une espèce de la conception, et le genre des sciences particulières.

§ 5[693]. On peut se demander si le mouvement est bien en effet spécifiquement un et identique, lorsqu’une même chose change et se meut du même au même. Soit, par exemple, un seul et même point qui se nient allant et revenant à plusieurs reprises de tel lieu en tel lieu. Mais si l’on dit que dans ce cas le mouvement est identique, alors la translation circulaire se confondra avec la translation en ligne droite, et la rotation avec la marche, Ou bien notre définition n’a-t-elle pas établi que le mouvement est autre, quand la manière dont il se passe est spécifiquement autre ? Or, le mouvement circulaire est en espèce différent du mouvement en ligne droite.

§ 6[694]. Voilà donc comment le mouvement est un et identique, soit en genre, soit en espèce.

§ 7[695]. Mais absolument parlant, le mouvement est un, quand il est un en essence et en nombre. En analysant les choses, nous allons voir quel est le mouvement qui peut être ainsi considéré. Il y a trois termes à étudier, quand nous disons que le mouvement est un : l’objet, le lieu et le temps. Par l’objet, j’entends qu’il faut nécessairement qu’il y ait quelque chose qui soit en mouvement ; un homme, par exemple, ou un morceau d’or, etc. Il faut en outre que ce mouvement ait lieu dans quelque chose : par exemple dans l’espace ou dans la qualité ; et enfin qu’il ait lieu dans un certain moment ; car tout mouvement se passe dans le temps. Entre ces trois termes, l’unité de mouvement en genre et en espèce ne peut se trouver que dans le lieu où le mouvement se passe. La continuité de mouvement ne peut être, comme nous l’avons vu, que dans le temps. Mais l’unité absolue du mouvement ne peut se trouver que dans les trois termes réunis que nous venons d’indiquer. En effet, ce dans quoi le mouvement se passe doit être un et indivisible ; et par exemple c’est l’espèce. Le moment où il se passe doit être identique aussi ; et c’est, par exemple, le temps, un et sans aucune interruption. Enfin, l’objet qui est en mouvement doit également être un, sans l’être, ni par accident, ni d’une manière commune. Il ne doit pas l’être par accident et indirectement ; ainsi, le blanc devient essentiellement noir, ou Coriscus marche essentiellement. Mais si Coriscus et le blanc sont une seule et même chose, c’est seulement par accident. L’objet ne doit pas être commun ; car il se pourrait que deux hommes se guérissent à la fois par une seule et même guérison ; et, par exemple, qu’ils se guérissent d’une ophtalmie qui les affecterait tous les deux ; mais leur ophtalmie ne serait pas une seule et même ophtalmie, et elle serait une seulement en espèce. § 8[696]. Supposez que Socrate éprouve un changement qui soit le même par son espèce, mais qu’il l’éprouve dans un temps autre, et que chaque fois qu’il l’éprouve, ce soit dans des temps toujours différents. Si l’on admet qu’une chose détruite puisse redevenir numériquement une, le mouvement éprouvé par Socrate sera un et le même ; si non, ce mouvement pourra bien être le même, mais il ne sera pas un.

§ 9[697]. Une autre question fort analogue à celle-là, c’est de savoir si, par exemple, la santé est essentiellement une et identique dans les corps, et d’une manière générale, si les affections et les qualités y sont identiques et unes ; car les corps qui les possèdent changent et se meuvent évidemment, et sont dans un flux perpétuel. Mais si la santé que j’ai maintenant est bien la même identiquement que celle que j’avais ce matin, pourquoi la santé que l’on recouvre après une maladie, ne serait-elle pas numériquement cette même santé qu’on possédait avant d’être malade ? Car le raisonnement est identique de part et d’autre. La seule différence, entre ces termes, c’est que, si deux mouvements se confondent de telle manière en un seul qu’il soit numériquement un, il faut nécessairement que les affections soient unes aussi ; car pour ce qui est un numériquement, l’acte aussi est numériquement un. Mais il ne suffit pas que l’affection soit une pour que l’on puisse dire que l’acte le soit également. Ainsi du moment que l’on s’arrête de marcher, il n’y a plus de marche ; et si l’on se remet à marcher, il y a marche de nouveau. Si donc c’était là un seul et même acte, il s’ensuivrait qu’une seule et même chose, tout en restant une, pourrait tout ensemble périr et renaître plusieurs fois. Mais ces questions s’éloignent trop du sujet qui doit actuellement nous occuper ; revenons.

§ 10[698]. Puisque tout mouvement est continu, il faut, quand le mouvement est absolument un, qu’il soit continu aussi ; car tout mouvement est divisible ; et quand il est continu, il est un. § 11[699]. Mais tout mouvement ne peut pas être continu à toute espèce de mouvement, pas plus que, dans tout autre cas, une chose quelconque ne peut être continue à la première chose venue. Il n’y a continuité qu’autant que les extrémités peuvent s’unir et se confondre. Or, il y a des choses qui n’ont pas d’extrémités ; et il en est d’autres dont les extrémités sont spécifiquement différentes et simplement homonymes. Et par exemple, comment les extrémités de la ligne et de la marche pourraient-elles se toucher et s’unir ?

§ 12[700]. D’ailleurs, des mouvements qui ne sont identiques, ni en espèce ni en genre, peuvent se suivre. Par exemple, un homme qui court peut, après avoir couru, gagner sur le champ un accès de fièvre ; et, comme un flambeau qu’on se passe de main en main, le mouvement de translation peut suivre. Mais pour cela il n’est pas continu ; car on ne reconnaît de continuité que là où les extrémités peuvent se confondre et s’unir. § 13[701]. Ainsi, les choses se tiennent et se suivent, parce que le temps est continu ; le temps est continu à son tour, parce que les mouvements le sont aussi ; enfin les mouvements ne sont continus que quand les extrémités des deux se confondent en une seule. § 14[702]. Par conséquent, il faut nécessairement, pour que le mouvement soit continu et identique, qu’il soit le même en espèce, qu’il soit le mouvement d’une seule chose et qu’il se passe dans un seul temps. Je dis dans un seul temps, pour qu’il n’y ait pas d’immobilité ni d’arrêt dans l’intervalle ; car, durant le temps où le mouvement viendrait à défaillir, il y aurait nécessairement un repos. Il y a plusieurs mouvements et non un mouvement unique, là où il se trouve un intervalle de repos ; et si un mouvement se trouve interrompu par un temps d’arrêt, ce mouvement n’est plus unique ni continu. Or, il est interrompu, du moment qu’il y a un temps intermédiaire. Mais pour un mouvement qui spécifiquement n’est point un et le même, il n’y a rien de pareil, lors bien même que le temps ne présente pas de lacune. Le temps alors est bien un ; mais spécifiquement le mouvement est autre ; car lorsque le mouvement est un et le même, il est aussi un et le même en espèce nécessairement ; mais il n’y a pas nécessité que ce mouvement soit un d’une manière absolue. § 15. On voit maintenant ce qu’il faut entendre par un mouvement absolument un et le même.

§ 16[703]. On dit encore d’un mouvement qui est complet qu’il est un, soit en genre, soit en espèce, soit en substance. Ici, comme dans tout le reste, l’idée de complet et d’entier n’appartient qu’à ce qui est un. Mais quelquefois le mouvement a beau être incomplet, on n’en dit pas moins qu’il est un, pourvu qu’il soit seulement continu. § 17[704]. Indépendamment de tous les mouvements uns et identiques dont nous venons de parler, on dit encore d’un mouvement qui est égal et uniforme qu’il est un ; car le mouvement inégal ne peut point en quelque sorte paraître un ; mais un mouvement égal le paraît davantage comme le paraît la ligne droite. L’inégal est divisé ; mais les mouvements ne diffèrent que comme le plus et le moins. § 18[705]. Du reste, dans tout mouvement quelconque, on peut distinguer l’égalité ou l’inégalité. Ainsi, une chose peut subir un mouvement d’altération avec égalité, de même qu’elle peut subir un mouvement égal de déplacement dans l’espace, soit en cercle, soit en ligne droite ; et l’on peut faire la même remarque pour l’accroissement et pour la destruction. § 19[706]. Parfois la différence d’inégalité tient au lieu dans lequel le mouvement se passe ; car il n’y a pas moyen que le mouvement soit égal sur une grandeur qui n’est pas égale. Prenons, par exemple, le mouvement selon une ligne brisée, ou selon une spirale, ou selon telle autre grandeur ou une partie quelconque ne correspond pas à la partie quelconque qu’on a prise. Parfois aussi la différence d’inégalité du mouvement ne consiste ni dans le lieu parcouru, ni dans le temps, ni dans le but où tend le mouvement, mais dans la manière dont il se fait ; car, quelquefois, on distingue le mouvement par la vitesse ou la lenteur. Quand la vitesse est la même, le mouvement est égal ; quand elle ne l’est pas, il est inégal. § 20[707]. D’ailleurs ce qui fait qu’on ne doit considérer la lenteur ou la vitesse, ni comme des espèces ni comme des différences du mouvement, c’est qu’elles peuvent accompagner tous les mouvements, quelque différents qu’ils soient en espèce. La pesanteur et la légèreté ne sont pas davantage des espèces ou des différences, quand elles se rapportent à un même objet ; ainsi pour la terre, par rapport à elle-même ; et pour le feu, par rapport à lui-même.

§ 21[708]. Cependant, le mouvement inégal est un et identique, parce qu’il est continu ; mais il l’est moins, comme cela se voit dans la translation en ligne brisée ; et le moins suppose toujours un certain mélange du contraire.

§ 22[709]. Si d’ailleurs tout mouvement un peut être égal ou inégal, les mouvements qui ne se suivent pas spécifiquement ne peuvent pas non plus être uns et continus. En effet, comment un mouvement composé d’altération et de translation pourrait-il être égal ? Car il faudrait d’abord que ces deux espèces de mouvements s’accordassent entr’elles.


CHAPITRE VII.

De la contrariété du mouvement ; sens divers dans lesquels on peut entendre qu’un mouvement est contraire à un mouvement ; élimination de plusieurs nuances ; différence du changement et du mouvement ; mouvement vers les intermédiaires. — Pour que deux mouvements soient contraires, il faut qu’ils aillent tous deux du contraire vers le contraire.

§ 1[710]. Il nous faut encore expliquer quel est le mouvement qui est contraire à un autre mouvement, et donner aussi des explications analogues sur l’inertie ou le repos.

§ 2[711]. Déterminons d’abord si le mouvement qui s’éloigne d’un certain objet, est contraire à celui qui va vers ce même objet ? Par exemple, le mouvement qui s’éloigne de la santé est-il contraire à celui qui tend vers la santé, manière dont la génération et la destruction semblent être contraires entr’elles ? Ou bien le mouvement contraire est-il celui qui part des contraires ? Par exemple, le mouvement qui part de la santé est-il contraire à celui qui part de la maladie ? Ou bien encore, est-ce celui qui tend aux contraires ? Et par exemple, le mouvement qui tend à la santé est-il contraire à celui qui tend vers la maladie ? Ou bien, le mouvement qui part du contraire est-il contraire à celui qui tend vers le contraire ? Ainsi, le mouvement qui vient de la santé, est-il contraire à celui qui va vers la maladie ? Ou bien enfin, celui qui va du contraire à l’autre contraire, est-il contraire à celui qui va aussi du contraire au contraire ? Par exemple, le mouvement qui va de la santé à la maladie, est-il le contraire de celui qui va de la maladie à la santé ? Il faut nécessairement que le mouvement contraire soit une de ces nuances, ou plusieurs de ces nuances ; car il n’y a pas d’autres oppositions possibles.

§ 3[712]. Le mouvement qui part du contraire n’est pas contraire à celui qui va vers le contraire. Ainsi le mouvement qui s’éloigne de la santé n’est pas contraire à celui qui va vers la maladie ; car c’est un seul et même mouvement, Toutefois la façon d’être n’est pas identique de part et d’autre, pas plus que changer en quittant la santé n’est pas tout à fait la même chose que changer en allant à la maladie. § 4[713]. Le mouvement qui s’éloigne du contraire n’est pas davantage contraire à celui qui s’éloigne de l’autre contraire ; car tous les deux partent du contraire et vont vers le contraire, on vers l’intermédiaire. Du reste, nous reviendrons un peu plus loin à cette nuance. Mais le changement qui va vers le contraire semblerait devoir amener cette opposition de mouvements contraires, plutôt que le changement qui part du contraire ; car celui-ci repousse la contrariété dont il se dégage, tandis que celui-là la gagne. Or tout mouvement se désigne bien plutôt par le but où il tend que par le but d’où il s’éloigne. C’est ainsi que la guérison est le mouvement vers la santé ; et le malaise, le mouvement vers la maladie.

§ 5[714]. Restent donc, et le mouvement qui va vers les contraires, et celui qui va vers les contraires en partant des contraires. § 6[715]. Il est bien clair, d’ailleurs, que les mouvements qui vont vers les contraires partent, en outre, des contraires. Mais leur façon d’être n’est pas tout à fait identique. Je veux dire, par exemple, que ce qui va vers la santé n’est pas la même chose que ce qui s’éloigne de la maladie, et réciproquement, que ce qui s’éloigne de la santé n’est pas la même chose que ce qui va vers la maladie. § 7[716]. Mais comme le changement ne se confond pas avec le mouvement, car c’est le changement d’un certain sujet réel en un autre sujet, qui est un vrai mouvement, il s’ensuit que le mouvement qui va d’un contraire à un contraire, est contraire au mouvement qui va d’un contraire à un contraire. Par exemple, le mouvement de la santé vers la maladie est contraire au mouvement de la maladie vers la santé. § 8[717]. L’induction elle-même peut servir à montrer quels sont ici les contraires véritables. Ainsi, devenir malade est bien le contraire de recouvrer la santé ; Être instruit est le contraire d’être trompé, quand on ne se trompe pas soi-même ; car c’est aller vers des contraires, puisqu’il est possible qu’on acquière la science et l’erreur, soit par soi-même, soit par autrui. La tendance en haut est contraire à la tendance en bas, puisque ce sont là des contraires en longueur ; la translation à droite est contraire à la translation à gauche ; car ce sont là des contraires en largeur ; enfin, le devant est contraire au derrière ; car ce sont là aussi des contraires.

§ 9[718]. Le changement qui va simplement au contraire, n’est pas un vrai mouvement ; ce n’est qu’un changement par exemple, devenir blanc, sans que ce soit en partant de quelqu’autre état. § 10[719]. Et là où il n’y a pas de contraires, le changement qui part du même est contraire au changement qui va vers le même. Ainsi, la génération est le contraire de la destruction, et la perte est le contraire de l’acquisition. Mais ce sont là des changements ; ce ne sont pas des mouvements.

§ 11[720]. Quant aux mouvements qui vont vers l’intermédiaire, là où entre les contraires il y a un intermédiaire en effet, il faut les classer aussi parmi les mouvements vers les contraires ; car le mouvement prend l’intermédiaire comme un contraire, quel que soit celui des extrêmes dans lequel il change. Ainsi l’objet passe du gris au blanc, comme il y passerait du noir ; et il passe du blanc au gris, comme il passerait au noir. Du noir, il passe au gris comme il passerait au blanc, parce que le gris est le milieu qui se rapporte d’une certaine manière aux deux extrêmes, ainsi qu’on l’a dit antérieurement.

§ 12[721]. Ainsi donc un mouvement est contraire à un mouvement, en ce sens que le mouvement qui va du contraire à l’autre contraire, est contraire à celui qui va de l’autre contraire au contraire.


CHAPITRE VIII.

De l’opposition du repos et du mouvement ; le repos est une privation ; nuances diverses de cette opposition. Le repos peut aussi être opposé au repos comme au mouvement — Distinction de l’immuabilité et du repos.

§ 1[722]. Comme ce n’est pas seulement le mouvement qui est contraire au mouvement, mais que c’est aussi le repos, il faut éclaircir ce point. Absolument parlant, c’est le mouvement qui est contraire au mouvement ; mais le repos aussi y est opposé ; car le repos est une privation ; et la privation peut bien passer, à certains égards, pour une sorte de contraire. § 2[723]. Quels sont donc le repos et le mouvement qui sont opposés l’un à l’autre ? C’est, par exemple, le repos dans l’espace qui est opposé au mouvement dans l’espace. § 3[724]. Mais l’expression dont je viens de me servir est une expression absolue ; or, on cherche si, à un repos dans tel état, c’est le mouvement partant de cet état qui est opposé, ou bien si c’est le mouvement allant vers ce même état. § 4[725]. Or, comme le mouvement suppose toujours deux termes, le repos dans tel état est opposé au mouvement qui part de cet état pour aller à l’état contraire ; et le repos dans l’état contraire est opposé au mouvement qui part du contraire pour arriver à cet état.

§ 5[726]. De plus, les deux repos aussi sont contraires l’un à l’autre ; car il serait absurde, si les mouvements sont contraires, que les repos opposes à ces Mouvements ne fussent pas contraires également. § 6[727]. Ce sont alors les repos dans les contraires ; et, par exemple, le repos dans la santé est contraire au repos dans la maladie, comme il est opposé au mouvement qui va de la santé à la maladie ; car il serait absurde qu’il fût opposé au mouvement qui va de la maladie vers la santé. Le mouvement vers l’état même où il y a temps d’arrêt, est plutôt une tendance au repos ; et cet état peut parfaitement coexister avec le mouvement. Mais il faut nécessairement que ce soit l’un ou l’autre de ces mouvements ; car le repos dans la blancheur n’est pas contraire au repos dans la santé.

§ 7[728]. Là où il n’y a pas de contraires, il y a changement, le changement qui part de tel état étant opposé en changement vers le même état ; mais il n’y a pas de mouvement. Ainsi, le changement qui part de l’être est opposé à celui qui va vers l’être ; et il n’y a pas là de repos à proprement dire ; il n’y a qu’immuabilité. § 8[729]. Si le non-être était quelque chose, l’immuabilité dans l’être serait contraire à l’immuabilité dans le non-être. Mais comme le non-être n’est pas quelque chose, on peut se demander à quoi est contraire l’immuabilité dans l’être, et si elle est du repos. § 9[730]. Si elle est du repos, alors on doit admettre, ou que tout repos n’a pas pour contraire un mouvement, ou bien que la génération et la destruction sont des mouvements aussi. Il est donc clair qu’on ne peut pas dire que cette immuabilité soit du repos, à moins qu’on ne voie aussi des mouvements dans la destruction et la génération. Mais on doit dire que l’immuabilité est quelque chose de semblable au repos. § 10[731]. Ainsi donc, ou elle n’est contraire à rien, ou elle est contraire, soit à l’immuabilité dans le non-être, soit à la destruction. Mais la destruction part de cette immuabilité, et la génération y va.


CHAPITRE IX.

De l’opposition du mouvement et du repos naturels et contre nature ; opposition générale de ce qui se fait par force et de ce qui se fait selon la nature, dans les différentes espèces de mouvement. Le mouvement contre nature est contraire au mouvement selon la nature, plus que le repos est contraire au mouvement. — Questions diverses. — Résumé de la comparaison du mouvement et du repos.

§ 1[732]. On peut se demander pourquoi, lorsque dans le changement selon le lieu, il y a et des repos et des mouvements qui sont ou suivant la nature ou contre nature, on ne trouve dans les autres espèces de changements rien de pareil : par exemple, une altération selon la nature et une altération contre nature ; car la santé n’est pas plus selon la nature ou contre nature que ne l’est la maladie ; la noirceur ne l’est pas plus que la blancheur. Et de même encore pour l’accroissement et le dépérissement, ces changements ne sont pas contraires les uns aux autres en tant que selon la nature, ou contre nature, non plus que l’accroissement n’est pas contraire à l’accroissement. On peut encore en dire autant de la génération et de la destruction. Ainsi la génération n’est pas selon la nature, et la destruction contre nature, puisque rien n’est plus naturel que de vieillir ; et nous ne voyons pas non plus que telle génération, soit selon la nature et que telle autre soit contre nature. § 2[733]. Mais si c’est ce qui arrive par force qui est contre nature, la destruction par force, comme étant contre nature, sera contraire à la destruction naturelle. Il y a donc certaines générations qui se font par force et qui ne sont pas fatalement régulières, auxquelles les générations naturelles sont contraires. Il y a aussi des accroissements et des destructions violentes : par exemple, les accroissements de ces corps auxquels la volupté donne une puberté précoce ; ou bien encore les accroissements de ces froments qui sont forts tout à coup, sans avoir de profondes racines en terre. Mais pour l’altération, comment se passent les choses ? Est-ce de la mérite manière ? Les altérations sont-elles les unes violentes, et les autres naturelles ? Par exemple tels malades ne sont pas guéris dans les jours critiques ; et tels autres sont guéris dans les jours critiques. Ceux qui sont guéris hors les jours critiques sont altérés contre nature ; les autres le sont naturellement.

§ 3[734]. Mais alors les destructions seront contraires les unes aux autres, et ne le seront pas aux générations. Et où est la difficulté ? C’est parfaitement possible ; car telle destruction peut être agréable, tandis que telle autre est pénible. Par conséquent, la destruction n’est pas contraire à la destruction d’une manière absolue ; mais elle l’est seulement en tant que l’une des destructions est de telle façon, et que l’autre est de telle façon différente.

§ 4[735]. Ainsi donc, d’une manière générale, les mouvements et les repos sont contraires, selon le sens qui vient d’être expliqué. Par exemple le mouvement en haut est contraire au mouvement en bas ; ce sont là des oppositions de lieux contraires. Le feu, suivant sa tendance naturelle, se porte en haut, tandis que la terre se porte en bas. Leurs tendances sont donc contraires, puisque naturellement le feu va en haut, et que s’il va en bas, c’est contre nature ; son mouvement de nature est contraire à son mouvement contre nature. Il en est de même des repos. Ainsi le repos en haut est contraire au mouvement de haut en bas. C’est ce repos contre nature qui serait celui de la terre, « si elle restait en haut. » Mais son mouvement de haut en bas est selon sa nature. Par conséquent, le repos contre nature est contraire au mouvement selon la nature pour le même objet, puisque les mouvements de ce même objet sont également contraires ; et que l’un des deux, soit en haut soit en bas, sera selon la nature tandis que l’autre sera contre nature.

§ 5[736]. Mais on peut se demander s’il y a génération du repos toutes les fois qu’il n’est pas éternel, et si cette génération du repos est précisément le temps d’arrêt du corps.

§ 6[737]. Certainement il y a génération du repos pour un corps qui s’arrête contre nature ; et par exemple, pour la terre quand elle reste en haut ; c’est parce qu’elle a été portée par force en haut, qu’elle s’y est arrêtée. § 7[738]. Mais le corps qui s’arrête semble toujours avoir un mouvement de plus en plus rapide, tandis que celui qui est mu par force éprouve tout le contraire. Ainsi donc le corps sera en repos sans devenir précisément en repos. § 8[739]. Et pour un corps, s’arrêter, c’est absolument la même chose qu’être porté vers son lieu spécial, ou du moins l’un se produit toujours simultanément avec l’autre.

§ 9[740]. Une autre question, c’est de rechercher si le repos en tel état est contraire au mouvement qui s’éloigne de ce même état. En effet, quand le corps est mis en mouvement pour sortir de tel état, ou qu’il perd quelque état antérieur, il n’en semble pas moins garder encore quelque temps ce qu’il perd. Si donc c’est le même repos qui est contraire au mouvement parti de cet état pour aller à l’état contraire, il s’ensuit que les contraires seront simultanément dans l’objet. § 10[741]. Ou bien ne peut-on pas dire que le corps est de quelque façon déjà en repos, si d’ailleurs il s’arrête plus tard, et qu’en général le corps qui est mis en mouvement est en partie ce qu’il est, et en partie ce en quoi il change ? § 11[742]. Et c’est là ce qui fait que le mouvement est plus contraire au mouvement que le repos.

§ 12[743]. Il y a enfin pour le repos la question de savoir si tous les mouvements contre nature ont aussi un repos opposé. § 13[744]. Si l’on soutenait qu’il n’y en a pas, ce serait absurde ; car le corps reste en place ; et il y reste par force. § 14[745]. Il y aurait donc alors quelque chose qui serait en repos, et non éternellement, sans que le repos eût eu une cause. § 15[746]. Mais il est clair qu’il y aura un repos de cette espèce ; car il peut y avoir repos contre nature comme il y a mouvement contre nature. § 16[747]. D’autre part, il faut se rappeler qu’il y a mouvement selon la nature et mouvement contre nature pour certains corps ; ainsi, pour le feu le mouvement naturel est en haut ; et le mouvement en bas est contre nature. Est-ce ce dernier mouvement qui est contraire à l’autre ? Ou bien est-ce celui de la terre, qui naturellement est portée en bas ? § 17[748]. Il est clair que tous les deux sont contraires ; seulement ce n’est pas de la même manière. Mais, d’une part le mouvement selon la nature est opposé au mouvement selon la nature ; et d’autre part, pour le feu, c’est le mouvement en bas qui est opposé au mouvement en haut, comme étant, l’un de nature, et l’autre, contre nature. § 18[749]. Or, il en est de même aussi pour le repos.

§ 19[750]. Voilà ce qu’il y avait à dire du mouvement et du repos, pour expliquer ce qu’ils sont chacun dans leur unité, et comment l’un peut être opposé à l’autre.LIVRE VI.

LIVRE VI.
DE LA DIVISIBILITÉ DU MOUVEMENT.

CHAPITRE PREMIER.

De la continuité ; le continu ne peut pas se composer d’Indivisibles ; la ligne et le point. — Objections et théories contraires : la grandeur, le temps et le mouvement doivent se composer d’indivisibles ; démonstrations particulières de ces trois propositions — Démonstrations en sens contraire ; rapports de la grandeur et du temps ; les conditions qui les régissent sont identiques. Tout continu a nécessairement des parties divisibles à l’infini..

§ 1[751]. Si la continuité, le contact et la consécution sont bien ce qu’on a dit plus haut, et si l’on entend par continus les corps dont les extrémités sont réunies, par contigus ceux dont les extrémités sont ensemble dans un même lieu, et par consécutifs ceux entre lesquels il n’y a rien d’intermédiaire qui leur soit homogène, il s’ensuit qu’il est impossible qu’aucun continu se compose d’indivisibles, et, par exemple, que la ligne se compose de points, puisque la ligne est continue et que le point est indivisible. Car, d’abord, les extrémités des points ne sont pas réunies, attendit que dans l’indivisible il ne peut y avoir ni extrémités, ni telle autre partie quelconque. En second lieu, les extrémités des points ne sont pas non plus ensemble dans l’espace, puisqu’il n’y a pas d’extrémité possible pour ce qui est sans parties, et qu’autre est l’extrémité, autre est la chose qui a cette extrémité. § 2[752]. De plus, il faudrait nécessairement ou que les points fussent continus, ou qu’ils se touchassent entre eux, pour composer un continu véritable ; et cette même observation s’applique à tous les indivisibles. Mais les points ne sont pas continus par la raison qu’on vient de dire ; et tout ce qui est contigu ne peut l’être que du tout au tout, ou de la partie à la partie, ou de la partie au tout. Or, l’indivisible étant sans parties, il faut nécessairement qu’il touche du tout au tout. Mais il ne suffit pas de toucher du tout au tout pour être continu, puisque le continu a telle et telle partie, et qu’il est divisible en parties qui diffèrent ainsi entre elles et sont séparées par le lieu qu’elles occupent. Enfin, le point ne peut pas plus suivre le point que l’instant ne suit l’instant, ici pour former la longueur, et là pour former le temps ; car deux choses se suivent, avons-nous dit, lorsque entre elles il n’y a rien qui leur soit homogène. Mais, entre les points, il y a toujours pour intermédiaire la ligne ; et pour les instants, il y a toujours le temps. § 3[753]. Il faudrait encore qu’ils pussent se diviser en indivisibles, puisque chacun d’eux se divise dans les éléments dont il se compose. Mais nous avons prouvé qu’il n’y a pas de continus qui puissent se partager en éléments dénués de parties. § 4[754]. D’ailleurs, il n’est pas possible qu’il y ait entre les points et entre les instants quelque intermédiaire d’un genre différent ; car, s’il y en avait un, cet intermédiaire serait évidemment ou divisible ou indivisible. Divisible, il se diviserait en indivisibles ou en éléments toujours divisibles ; et c’est là précisément ce qu’on entend par le continu. § 5[755]. Il est encore évident que tout continu est divisible en éléments indéfiniment divisibles ; car, s’il se divisait en indivisibles, l’indivisible alors pourrait toucher à l’indivisible, puisque, dans les continus, l’extrémité est une et contiguë.

§ 6[756]. Par la même raison, la grandeur, le temps et le mouvement doivent tous les trois se composer d’indivisibles et se diviser en indivisibles, ou bien aucun d’eux ne le pourra : et voici comment on le prouve.

Si la grandeur se compose d’indivisibles, il faut aussi que le mouvement de cette grandeur se compose de mouvements égaux indivisibles. Par exemple, si la grandeur ABC se compose des indivisibles A, B, C, le mouvement DEF, selon lequel O est supposé mu sur la grandeur ABC, a chacune de ses parties correspondantes indivisibles. § 7[757]. Si donc, quand il y a un mouvement actuel, il faut nécessairement que quelque corps se meuve, il ne faut pas moins nécessairement, lorsque quelque chose se meut, qu’il y ait actuellement un mouvement ; et la ligne selon laquelle le mouvement a lieu se composera ainsi d’indivisibles. Par exemple, O a parcouru la portion A en faisant le mouvement D ; il a parcouru la portion B en faisant le mouvement F ; et la portion C, de même, en faisant le mouvement F. § 8[758]. Mais, de toute nécessité, un mobile allant d’un point à un autre, ne peut pas, dans un même instant, se mouvoir et avoir été mu sur le point où il a été en mouvement, quand il était en mouvement. Par exemple, si l’on va à Thèbes, il est impossible que ce soit en même temps et qu’on aille à Thèbes et qu’on y soit allé. Mais O faisait dans son mouvement la longueur A, qui est sans parties, et à laquelle correspondait le mouvement D. Par conséquent, si le mobile O a parcouru cette longueur A plus tard qu’il ne la parcourt, cette longueur est toujours divisible ; car, lorsque le mobile la parcourt, il n’est pas en repos. Il ne l’a pas non plus encore parcourue ; mais il est en train de la parcourir ; et si l’on dit qu’il la parcourt en même temps qu’il l’a parcourue, il en résulte que ce qui va quelque part, quand il y va, y sera déjà allé, et qu’il aura été mu lui-même où il est mu.

§ 9[759]. Si l’on admet qu’un corps parcourant dans son mouvement la ligne ABC tout entière, et que le mouvement dont il est animé étant DEF, ce corps n’a pas de mouvement suivant la longueur A, laquelle est dénuée de parties, mais qu’il en a eu, il s’ensuit alors que le mouvement se compose non de mouvements, mais de soubresauts. Il s’ensuit encore que quelque chose qui n’a pas eu de mouvement, aura cependant été mis en mouvement ; car le mobile O a parcouru A sans le parcourir, de telle sorte que le corps aura marché sans être jamais en marche, et qu’il aura fait telle route sans faire jamais cette même route. Mais si nécessairement tout corps doit être ou en repos ou en mouvement, et que le corps soit en repos sur les points ABC, il sera alors tout à la fois, d’une manière continue, et en repos et en mouvement ; car on le supposait en mouvement selon la ligne entière ABC, et en repos dans chaque partie. Donc il était en repos pour la longueur entière. Enfin si les indivisibles de la ligne DEF sont des mouvements, il s’ensuit que même quand il y a mouvement, les corps pourraient n’être pas mus, mais être en repos ; et si ces indivisibles ne sont pas des mouvements, le mouvement alors ne se composerait plus de mouvements.

§ 10[760]. Il serait pareillement nécessaire que le temps fût indivisible, tout comme le sont la longueur et le mouvement, et qu’il se composât d’instants qui seraient indivisibles ; car si tout mouvement est divisible, et si un corps conservant une égale vitesse parcourt moins d’espace en un moindre temps, le temps alors sera divisible aussi ; et réciproquement, si le temps dans lequel un corps parcourt la ligne A est divisible, la ligne A sera divisible également. § 11[761]. Comme toute grandeur est divisible en grandeurs, car il a été démontré qu’un continu ne peut jamais se composer d’indivisibles et que toute grandeur est continue, il s’ensuit nécessairement qu’un corps qui est doué de plus de vitesse, parcourt plus d’espace en un temps égal, qu’il en parcourt autant dans un temps moindre, et même que dans un temps plus petit il peut en parcourir davantage ; définition qu’on donne quelquefois pour expliquer ce que c’est qu’une vitesse plus grande. § 12[762]. Supposons, en effet, le corps représenté par A plus rapide que le corps représenté par B. Puisque le corps le plus rapide est celui qui fait son changement avant l’autre, dans le temps où A a changé de C en D, soit le temps FG. Il n’en est pas encore à D ; mais il est en arrière. Ainsi, le corps le plus rapide a parcouru plus d’espace eu un temps égal. § 13[763]. Mais, dans un temps moindre, le corps le plus rapide pourra aussi parcourir plus d’espace. Ainsi, supposons que dans le temps que A met à venir à D, B ne va qu’à E, puisque B est plus lent. Or, puisque A va en D dans tout le temps FG, il sera en H pour un temps moindre que celui-là. Supposons que ce soit dans le temps FI. CI, qu’a parcouru A, est plus grand que CE. Mais le temps FI est moindre que le temps total FG, de telle sorte qu’en un temps moindre le corps a parcouru plus d’espace. § 14[764]. Maintenant, on doit voir d’après ceci que le corps le plus rapide peut parcourir aussi un espace égal dans un temps plus petit. En effet, il parcourt la ligne la plus longue dans un temps moindre que le corps le plus lent. Pris en lui-même, il lui faut plus de temps pour parcourir la ligne la plus longue que pour parcourir la plus petite ; par exemple, LM plus grande que LX. Ainsi, le temps PR qui lui est nécessaire pour parcourir LM, est plus grand que le temps PS dans lequel il parcourt LX. Si donc le temps PR est plus petit que le temps PQ, dans lequel le corps plus lent parcourt LX, le temps PS sera plus petit que PQ ; car il est plus petit que PR, et ce qui est plus petit que le plus petit est lui-même aussi plus petit. Donc le corps aura parcouru dans son mouvement un espace égal durant un temps moindre.

§ 15[765]. Autre démonstration. S’il faut nécessairement que tout mouvement se passe, ou dans un temps égal, ou dans un temps plus petit, ou dans un temps plus grand, celui à qui il faudra plus de temps sera plus lent : celui à qui il faudra un temps égal aura une vitesse égale. Mais ce qui est plus rapide n’est ni égal en vitesse, ni plus lent ; or, comme le plus rapide ne se meut, ni dans un temps égal, ni dans un temps plus long, il reste qu’il se meuve en un temps moindre ; et par une conséquence nécessaire, le corps plus rapide parcourt en moins de temps un espace égal. § 16[766]. D’autre part, tout mouvement se passant toujours dans le temps, et le mouvement pouvant avoir lieu dans le temps entier, de même que tout corps en mouvement peut être mu plus vite ou plus lentement, il s’ensuit qu’il peut y avoir dans le temps entier un mouvement plus rapide ou plus lent.

§ 17[767]. Ceci étant, il en résulte évidemment que le temps aussi est continu. J’entends par continu ce qui est divisible en parties toujours divisibles ; et si c’est bien là ce qu’est le continu, le temps doit être continu de toute nécessité. En effet, nous avons démontré que le corps le plus rapide parcourt un espace égal en moins de temps. Soit A le corps plus rapide, et B, le corps plus lent ; et que le corps plus lent parcoure la grandeur CD dans le temps FG. Il est évident que le corps le plus rapide parcourra la même longueur en un temps plus court. Supposons que ce soit dans le temps FH. Or, comme le plus rapide a parcouru dans le temps FH toute la ligne CD, le plus lent n’aura parcouru dans le même temps que la ligne plus courte que nous représenterons par CI. Mais le corps le plus lent, B, dans le temps FH, a parcouru CI, que le plus rapide a parcouru en moins de temps. Ainsi, le temps FH sera divisé de nouveau ; et ce temps étant divisé, la ligne CI sera divisée suivant la même raison. Si la grandeur est divisible, le temps le sera comme elle ; et il en sera toujours ainsi, en allant du plus rapide au plus lent, ou du plus lent au plus rapide, d’après la démonstration qui vient d’être donnée. Le plus rapide divisera le temps ; et le plus lent divisera la longueur. Si donc la réciproque de l’un à l’autre est toujours vraie, en y recourant la division sera toujours possible. Donc il est évident que le temps est toujours continu.

§ 18[768]. En même temps, il est évident aussi que toute grandeur est continue, puisque le temps et la grandeur admettent absolument les mêmes divisions, c’est-à-dire des divisions égales. § 19[769]. On peut se convaincre encore, rien qu’à considérer les opinions et le langage ordinaires, que le temps étant continu, la grandeur l’est comme lui, puisque l’on dit toujours que dans la moitié d’un temps on parcourt la moitié de l’espace, et, d’une manière générale que, dans un temps moindre, on parcourt un moindre espace. Ainsi les divisions du temps et de la grandeur seront les mêmes. § 20[770]. Si donc l’un des deux est infini, l’autre l’est également, et l’un est tout à fait infini comme l’autre. Par exemple, si le temps est infini à ses extrémités, la grandeur l’est également aux siennes. Si le temps est infini parce que la division est toujours possible, la longueur l’est aussi de cette manière ; et si le temps est infini sous ces deux rapports, la longueur l’est également sous les deux.

§ 21[771]. C’est là ce qui constitue l’erreur du raisonnement de Zénon, quand il prétend qu’on ne peut parcourir les infinis, ni toucher les infinis successivement dans un temps fini. En effet, quand on dit que le temps et la longueur sont infinis, ou plus généralement que tout continu est infini, cette expression a deux sens, selon que l’on entend parler, ou de la division, ou des extrémités. Quant aux infinis de quantité, il est impossible qu’on les touche dans un temps fini. Mais on le peut pour les infinis de division ; et c’est en ce sens que le temps lui-même est infini. Par conséquent, on ne peut parcourir l’infini que dans un temps infini, et non dans un temps fini ; et l’on ne peut toucher des infinis que par des infinis, et non par des finis.

§ 22[772]. Il n’est donc pas possible, ni de parcourir l’infini dans un temps fini, ni de parcourir le fini dans un temps infini. Si le temps est infini, la grandeur sera infinie comme lui ; et réciproquement, si la grandeur est infinie, le temps l’est comme elle. § 23[773]. Soit, en effet, une grandeur finie AB, et le temps infini C. Prenons une portion finie du temps CD. Dans cet intervalle de temps, on parcourt une partie de la grandeur. Soit BE la partie ainsi parcourue. Cette partie mesurera exactement la grandeur AB, ou bien elle sera plus petite, ou bien enfin elle sera plus grande, peu importe. Si l’on parcourt toujours dans un temps égal la grandeur égale à BE, et que cette grandeur mesure exactement le tout, le temps entier dans lequel on l’a parcourue sera fini, puisqu’il sera divisé en parties égales comme la grandeur AB. § 24[774]. De plus, si l’on n’a pas besoin pour parcourir toute grandeur d’un temps infini, on en parcourt, du moins une partie dans un temps fini. Soit cette partie BE ; elle mesure exactement la grandeur totale, et l’on parcourt une partie égale dans un temps égal. Donc le temps aussi est fini. Mais il est évident qu’on n’a pas besoin d’un temps infini pour parcourir BE, si l’on suppose que le temps est fini dans un des deux sens ; car si l’on parcourt la partie dans un temps moindre, il faut nécessairement que le temps soit fini, puisque l’une des deux limites existe déjà.

§ 25[775]. Même démonstration, si c’est la grandeur qui est infinie et que le temps soit fini.

§ 26[776]. Donc il est évident, d’après tout ceci, que ni la ligne ni la surface, ni aucun continu n’est indivisible, non seulement d’après les arguments qu’on vient d’exposer, mais encore parce qu’il en résulterait que l’indivisible serait divisé. En effet, comme dans toute espèce de temps, ou distingue le mouvement rapide et le mouvement lent, et que le plus rapide parcourt plus d’espace dans un temps égal, le corps plus rapide peut parcourir soit une longueur double, soit une fois et demie la longueur ; car ce peut être là le rapport de la vitesse. Que le plus rapide parcoure donc la moitié en sus de la grandeur en un temps égal, et que les grandeurs soient divisées, celles du plus rapide en AB, BC, CD, toutes trois indivisibles ; et que les grandeurs du plus lent, soient partagées en deux, EF, FG. Le temps sera donc partagé aussi en trois indivisibles, puisque le corps en effet parcourt une quantité égale dans un temps égal. Que le temps soit, par exemple, divisé en KL, LM, MN. Mais de son côté le plus lent parcourait la ligne EF, FG. Donc le temps sera partagé en deux portions ; donc aussi l’indivisible sera divisé ; et le corps parcourt l’espace qui est sans parties, non point dans un temps indivisible mais en plus de temps. Donc évidemment, il n’y a pas de continu qui soit sans parties.


CHAPITRE II.

L’Instant, limite du passé et de l’avenir, est indivisible et identique ; conséquences absurdes si l’on soutient que l’instant est divisible. — Il n’y a ni mouvement ni repos dans la durée d’un instant ; démonstration de ces deux propositions.

§ 1[777]. Il faut également que l’instant considéré non d’une manière relative, mais en soi et dans le sens absolu, soit indivisible, et qu’il demeure indivisible dans un temps quelconque. C’est une extrémité du passé au delà de laquelle il n’y a aucune portion de l’avenir, et une extrémité de l’avenir en deçà de laquelle il n’y a aucune portion du passé. C’est donc, comme nous l’avons dit, la Limite des deux. § 2[778]. Et si l’on démontre qu’une telle limite existe en soi et qu’elle reste identique, il sera démontré du même coup qu’elle est indivisible. § 3[779]. Or, il y a nécessité que l’instant soit identique, puisqu’il est l’extrémité des deux temps ; car s’il était différent, l’un des instants ne serait pas à la suite de l’autre, parce qu’il n’y a pas de continu qui soit composé d’indivisibles sans parties ; et si l’un et l’autre sont séparés, il y a du temps entre les deux, puisque tout continu doit être tel qu’il y ait quelque chose de synonyme et d’homogène entre les limites. Mais si c’est le temps qui est intermédiaire, ce temps sera divisible, puisqu’il est démontré que le temps peut toujours se diviser. Par conséquent, l’instant est divisible. Mais si l’instant est divisible, il y aura quelque chose du passé dans le futur, et quelque chose du futur dans le passé ; et alors, cela même qui divisera l’instant, délimitera le temps présent et le temps futur.

§ 4[780]. Par la même raison, l’instant ne serait pas en soi ; mais il serait relatif et par un autre ; car la division ne peut pas atteindre ce qui est en soi. § 5[781]. De plus, l’instant se partagera ; une certaine partie sera du passé et une autre partie de l’avenir ; et ce ne sera pas toujours le même passé ni le même futur. L’instant évidemment ne sera pas davantage le même ; car le temps est divisible de bien des manières. Par conséquent, si l’instant ne peut avoir ces caractères, il faut nécessairement que l’instant qui est dans l’un et dans l’autre temps soit le même.

§ 6[782]. Mais si c’est le même, il est clair aussi qu’il est indivisible ; car s’il était divisible, il en résulterait les mêmes conséquences qu’on vient d’énumérer plus haut.

§ 7[783]. Ainsi il est démontré qu’il y a dans le temps quelque chose que nous appelons l’instant, et qui est indivisible comme on vient de le voir. § 8[784]. Voici maintenant ce qui prouvera qu’il n’y a pas de mouvement possible dans la durée de l’instant. S’il y a mouvement en effet, le mouvement peut alors y être ou plus rapide ou plus lent. Soit l’instant N ; et que le mouvement plus rapide en lui soit AB. Le mouvement moins rapide qui a lieu dans le même instant, parcourra une distance moindre que AB : soit la distance AC. Comme le mouvement le plus lent ne parcourt dans tout l’instant que la distance AC, le mouvement plus rapide la parcourra en un temps moindre. Donc l’instant sera divisé. Or, on le supposait indivisible. Donc le mouvement est impossible dans la durée de l’instant. § 9[785]. Mais il ne se peut pas davantage que dans cette durée, il y ait du repos. Quand on dit repos, cela s’entend d’un corps qui, par nature, doit se mouvoir, et qui ne se meut pas quand naturellement il le doit, là où il doit et de la façon qu’il doit. Mais comme rien ne peut naturellement se mouvoir dans la durée de l’instant, rien ne peut non plus s’y reposer.

§ 10[786]. Que si l’on prétend que l’instant étant le même dans les deux temps, il se peut alors que dans l’un tout entier il y ait mouvement, et que dans l’autre il y ait repos, et que ce qui se meut dans le temps tout entier, sera mu aussi dans l’un quelconque de ses éléments où naturellement il doit se mouvoir, ce qui est en repos y étant aussi dans la même condition, il en résultera que la même chose sera tout à la fois en mouvement et en repos, puisque l’instant est la même extrémité de l’un et l’autre temps. § 11[787]. Enfin, on dit d’une chose qu’elle est en repos quand elle-même et ses parties sont dans l’instant actuel ce qu’elles étaient auparavant. Mais dans un instant il n’y a pas d’auparavant ; et par conséquent, il n’y a pas de repos.

§ 12[788]. Donc nécessairement, c’est dans un certain temps que doit se mouvoir ce qui se meut ; et se reposer, ce qui se repose.


CHAPITRE III.

Tout ce qui change est divisible, puisque tout changement suppose nécessairement au moins deux états : l’un d’où part le corps et l’autre où il arrive.

§ 1[789]. Tout ce qui change est nécessairement divisible, puisque tout changement part de tel état pour arriver à tel autre. Or, quand la chose est dans l’état vers lequel elle a tendu en changeant, elle ne change plus ; et quand elle est encore dans l’état qu’elle doit changer, ni elle ni aucune de ses parties ne changent encore, puisque ce qui reste au même état ne change pas, ni lui ni ses parties. Il faut donc nécessairement que, quand la chose change, une de ses parties soit en tel état, et l’autre partie dans l’autre état ; car il n’est pas plus possible ni qu’elle soit dans les deux tout entière, ni qu’elle ne soit dans aucun. J’entends par là ce en quoi elle change et qui apparaît d’abord dans le changement. Ainsi, le corps passe du blanc au gris d’abord, et non point au noir ; car il ne faut pas de toute nécessité que ce qui change soit dans l’un quelconque des deux extrêmes. Donc, il est évident que tout ce qui change est divisible.


CHAPITRE IV.

Des deux manières dont le mouvement est divisible, selon le temps, et selon les parties du mobile. Examen du ces deux divisions du mouvement ; démonstration de la division du mouvement selon les parties ; démonstration selon le temps.

§ 1[790]. Le mouvement peut être divisé de deux manières, d’abord selon le temps, et ensuite selon les mouvements des diverses parties du mobile.

§ 2[791]. Si, par exemple, AC se meut tout entier, la partie AB et la partie BC seront également en mouvement. Soit DE le mouvement de AB, et EF le mouvement de BC, c’est-à-dire des parties. Il faut nécessairement que le mouvement entier de AC soit DF. C’est, en effet, selon ce mouvement que le corps doit se mouvoir, puisque chacune des parties se meut selon chacun de ces mouvements particuliers, et que nul corps ne peut avoir le mouvement d’un autre. Ainsi, le mouvement total est le mouvement de toute la grandeur. § 3[792]. De plus, si toujours le mouvement est le mouvement de quelque corps, et si le mouvement total DF n’est, ni le mouvement d’aucune des deux parties, chaque mouvement particulier appartenant à chacune des parties, ni le mouvement d’aucun autre corps, car là où le mouvement total est celui du corps entier, les parties du mouvement sont les mouvements des parties du corps, et les parties de DF sont les mouvements de ABC et non d’un autre corps, puisqu’un mouvement un ne peut, comme on l’a vu, appartenir à plusieurs corps, il est clair que le mouvement entier DF est celui de toute la grandeur AC.

§ 4[793]. Si, en effet, le mouvement du corps entier est autre, par exemple HI, on pourra en retrancher le mouvement de chacune des parties. Mais ces mouvements sont égaux à DE, EF ; car il n’y a qu’un seul mouvement pour un seul corps. Par conséquent, si le mouvement total HI est partagé exactement dans les mouvements des parties, HI sera égal à HF. S’il manque quelque chose comme KI, ce ne sera le mouvement de rien ; car ce n’est ni le mouvement du tout, ni le mouvement des parties, puisqu’il n’y a qu’un seul mouvement pour une seule chose, ni le mouvement de quoi que ce soit, puisque le mouvement est continu pour des mobiles continus. Il en serait d’ailleurs encore de même si, « au lieu de manquer, » il y avait de l’excès après la division. Par conséquent, comme tout cela est impossible, il faut nécessairement que le mouvement soit le même et qu’il soit égal. § 5. Telle est la division du mouvement d’après les mouvements des parties, et il faut qu’elle s’applique à tout corps qui a des parties.

§ 6[794]. L’autre division du mouvement se rapporte au temps. Comme tout mouvement, en effet, est dans le temps, et comme le temps est toujours divisible, et que le mouvement est moindre dans un temps moindre, il en résulte nécessairement que le mouvement est toujours divisible selon le temps.


CHAPITRE V.

Les divisions du temps et du mouvement sont réciproquement identiques ; elles le sont également pour le résultat du mouvement, pour le mobile et pour le lieu où le mouvement se réalise : démonstration de cette proposition pour le temps, pour le résultat du mouvement, pour le mobile et pour la longueur. — Rapports de la divisibilité et de l’infinitude.

§ 1[795]. Comme tout ce qui se meut doit se mouvoir dans une certaine chose, et dans un certain temps, et que tout mouvement suppose un mobile, il faut que les divisions soient les mêmes pour le temps et le mouvement, comme aussi pour le résultat du mouvement, pour le mobile et pour le lieu où le mouvement se passe. Seulement, la division ne se fait pas de la même manière pour toutes les choses où le mouvement est possible ; et, par exemple, pour la quantité, la division y a lieu en soi, tandis que pour la qualité, elle n’a lieu qu’accidentellement et indirectement.

§ 2[796]. Soit le temps, dans lequel le mouvement a lieu, représenté par A, et le mouvement représenté par B. Si, dans le temps total, le mouvement total s’accomplit, dans la moitié du temps le mouvement sera moindre ; en divisant encore cette moitié, il sera moindre encore ; et ainsi de suite. § 3[797]. De même, si le mouvement est divisible, le temps est divisible comme lui. Si le corps accomplit tout le mouvement dans tout le temps, il en accomplit la moitié dans la moitié du temps, et une partie moindre dans une moindre partie du temps. § 4[798]. Le résultat du mouvement se divisera encore de la même façon. Par exemple, soit C le résultat du mouvement. Dans la moitié du mouvement, ce résultat sera moindre que dans le tout, comme il le sera encore dans la moitié de la moitié ; et ainsi sans fin. § 5[799]. Un peut d’ailleurs, en considérant le résultat séparément dans chacun des mouvements, tels que DC et CE, soutenir que le résultat total du mouvement sera obtenu par le mouvement total ; car, s’il en était autrement, il s’ensuivrait que plusieurs résultats de mouvement pourraient venir d’un seul et même mouvement, tout comme nous avons démontré que le mouvement pouvait toujours se diviser dans les mouvements des parties ; car, en supposant même qu’il y ait un résultat dans chacune des deux parties, le résultat total n’en sera pas moins continu.

§ 6[800]. On démontrerait de la même façon que la longueur aussi est divisible, et en général tout ce dans quoi il y a changement, sauf quelques exceptions où la division est indirecte ; car tout ce qui change est divisible ; et un seul de ces termes pouvant se diviser, tous les autres le peuvent également. § 7[801]. La position de tous ces termes sera semblable, quant à être finis ou infinis. § 8[802]. Mais la conséquence la plus conforme à l’idée du changement, c’est que tous soient divisibles, et divisibles à l’infini ; car l’infinitude et la divisibilité sont les caractères les plus certains et les plus évidents de ce qui change. Quant à la divisibilité, on l’a démontrée dans ce qui précède ; et pour l’infinitude, on la démontrera dans ce qui va suivre.


CHAPITRE VI.

Loi générale du changement : Ce qui a changé passe immédiatement dans l’état nouveau qu’il prend. Application de ce principe au changement par contradiction, passant d’un contraire à l’autre, c’est-à-dire du non-être à l’être. Analyse des diverses espèces de changement ; confirmation du principe.

§ 1[803]. Comme tout ce qui vient à changer change de tel état dans tel autre état, il s’ensuit nécessairement que ce qui a changé, dès le premier moment qu’il a changé, doit être dans la chose en laquelle il a changé. En effet, ce qui change sort de l’état qu’il change, ou si l’on veut il quitte cet état. Et certainement, ou changer et quitter son état sont deux idées qui se confondent ; ou bien l’idée de quitter est la conséquence de celle de changer, comme avoir quitté est la conséquence d’avoir changé ; car le rapport de l’un de ces termes à l’autre est absolument pareil pour les deux cas. Si donc c’est une espèce de changement que le changement par contradiction, quand une chose change du non-être à l’être, elle a quitté et perdu l’état de non-être, Elle fera donc partie de l’être ; car il faut de toute nécessité qu’une chose soit ou ne soit pas. Par conséquent, il est clair que, pour le changement par contradiction, la chose changée sera dans la chose en laquelle elle a changé. Et, s’il en est ainsi dans ce changement spécial, il en sera de même pour tous les autres changements ; car il en est pour tous ce qu’il en est pour un seul.

§ 2[804]. On peut encore aisément s’en convaincre, en considérant à part chacun des changements, puisque, nécessairement, ce qui a subi le changement doit être dans un certain lieu ou dans une certaine chose. En effet, comme il a quitté l’état qu’il a changé, et qu’il faut bien qu’il soit quelque part, il sera, ou dans cet objet dans lequel il a changé, ou dans un autre. S’il est dans un autre et que ce soit en C, par exemple, ce qui a changé en B doit encore changer de C en B ; car C n’est pas supposé continu à B. Or, le changement est continu. Par conséquent, ce qui a changé, quand il a déjà changé, change en ce en quoi il a déjà changé. Mais cela n’est pas possible. Donc, ce qui a changé doit nécessairement être dans ce en quoi il a changé.

§ 3[805]. Par suite, il n’est pas moins évident que ce qui a été est au moment où il a été, et que ce qui a péri n’existe plus. Mais ces généralités qui s’appliquent à toute espèce de changement, s’appliquent surtout avec évidence au changement qui se marque par la contradiction.

§ 4[806]. Ainsi, l’on voit que ce qui a changé est, dès le premier moment qu’il a changé, dans l’objet en lequel il change.


CHAPITRE VII.

L’instant où le changement a primitivement lieu, est indivisible ; démonstration que cet instant ne peut pas être divisible.

§ 1[807]. Nécessairement, l’instant primitif où a changé ce qui a changé doit être indivisible. § 2[808]. J’entends par primitif ce qui n’a pas cette qualité, parce qu’il y aurait en lui quelqu’autre partie qui serait primitive. § 3[809]. Supposons, par exemple, AC divisible, et qu’il soit divisé en B. S’il a changé en AB, ou ensuite en BC, c’est que le changement n’a pas eu lieu dans le primitif AC. Si le changement a lieu dans l’un et l’autre, AB et BC, puisqu’il y a nécessité que le corps ait changé ou qu’il change dans l’un et l’autre, il change dans le tout ; mais on a supposé qu’il avait changé dans AC. Même raisonnement, si l’on suppose qu’il change dans l’un, et qu’il a changé dans l’autre ; car alors il y a quelque chose d’antérieur au primitif. Par conséquent, cet instant primitif où l’objet a changé, n’est pas divisible. § 4[810]. D’ailleurs, il n’est pas moins évident que ce qui a péri ou est né, a péri aussi ou est né dans un instant indivisible.


CHAPITRE VIII.

Du primitif du changement ; double sens de cette expression. Le primitif du changement est dans le changement achevé et non dans le changement initial ; démonstration de cette proposition. Le primitif n’est ni dans l’objet ni dans le temps.

§ 1[811]. Quand on parle du point primitif où l’objet a changé, cette expression peut avoir deux sens : ou bien c’est le premier point où le changement est complet et achevé ; car c’est seulement alors qu’il est exact de dire que l’objet a changé ; ou bien c’est le point où le changement a commencé à se produire.

§ 2[812]. Ainsi, le primitif dont on parle, quand il s’agit de la terminaison du mouvement, est réellement et subsiste par lui-même, puisqu’il est possible que le changement se termine et qu’il y ait une fin du changement ; et nous avons démontré que ce point est indivisible, précisément parce qu’il est une limite et un terme. § 3[813]. Mais quant au primitif qui se rapporte au début du changement, il n’existe pas, parce qu’il n’y a pas de début du changement, ni un premier moment du temps où le changement ait eu lieu. Soit en effet ce primitif AD. Ce primitif n’est certes pas indivisible ; car, autrement, il en résulterait que les instants sont continus. De plus, si l’objet est en repos durant tout le temps CA, car nous pouvons supposer le repos, il est en repos également durant le temps A. Par conséquent, si AD est indivisible et sans parties, il en résultera que tout à la fois le corps sera en repos, et qu’il sera en état de changement. En effet, il est en repos en A, et il est changé en D. Mais si AD n’est pas sans parties, il faut nécessairement qu’il soit divisible, et qu’il y ait changement dans une quelconque des parties dont il se compose. Par suite AD étant divisé, si l’objet n’a changé ni dans l’une ni dans l’autre partie, il n’a pas non plus changé dans le tout. Si au contraire, il a changé dans les deux, il a changé dans le tout également. S’il n’a changé que dans l’une des deux, il n’a pas changé dans le tout primitivement. Par conséquent, il y a nécessité qu’il ait changé dans une des deux quelconque. Donc, il est clair que ce n’est pas là le point où primitivement il a changé, puisque les divisions sont infinies.

§ 4[814]. Ce n’est pas davantage dans l’objet changé, qu’il y a quelque chose qui ait changé primitivement. Soit DF, la partie de DE, qui ait changé primitivement, puisque on a démontré que tout ce qui change est divisible. Soit le temps dans lequel DF a changé, représenté par HI. Si donc DF a changé dans tout le temps, ce qui a changé dans la moitié du temps sera moindre que DF et antérieur à DF. Une autre partie sera moindre encore ; puis encore une troisième, moindre que la seconde ; et ainsi à l’infini. Par conséquent, il n’y aura rien dans l’objet qui change qui ait changé primitivement.

§ 5[815]. Il ressort donc clairement de ce que nous venons de dire qu’il n’y a pas de primitif, ni pour une partie de l’objet qui change, ni pour le temps dans lequel il a changé.

§ 6[816]. Mais il n’en sera plus tout à fait de même de la chose dans laquelle l’objet se change, c’est-à-dire de la qualité selon laquelle il change. En effet, il y a trois choses à considérer dans tout changement : d’abord l’objet qui change, puis ce dans quoi il change, et ce en quoi il change. Par exemple, l’homme, le temps et la blancheur. L’homme et le temps sont divisibles ; mais c’est autre chose pour la blancheur, si ce n’est qu’indirectement tout est toujours divisible ; et ainsi l’objet qui reçoit la blancheur, par exemple, et la qualité, est divisible. Mais tout ce qui par soi-même et non par accident est appelé divisible ne peut jamais non plus avoir de primitif. Prenons notre exemple dans les grandeurs. Soit, si l’on veut AB, la grandeur, et qu’elle se meuve de B en C primitivement. Si BC est considéré comme indivisible, il en résultera qu’un objet sans parties sera continu à un autre objet sans parties également. S’il est divisible, il y aura quelque chose d’antérieur à C et en quoi le corps a changé ; puis il y aura un autre antérieur à celui—là, et toujours ainsi, parce que la division ne fera jamais défaut. Par conséquent, il n’y aura pas de primitif dans lequel l’objet aura changé. Même raisonnement encore pour le changement dans la quantité ; car la quantité est essentiellement comprise dans le continu. Donc, il est évident que le mouvement relatif à la qualité est le seul dans lequel il puisse y avoir de l’indivisible en soi.


CHAPITRE IX.

Le changement a lieu dans toute partie quelconque du temps primitif, durant lequel ce changement s’opère ; double démonstration de ce principe.

§ 1[817]. Comme tout ce qui change change dans le temps, et que changer dans le temps peut s’entendre tout à la fois, et relativement au temps primitif où le changement a lieu, et relativement à un autre temps ; car on dit, par exemple, qu’un objet a changé dans telle année par cela seul qu’il a changé à un certain jour de cette année, il s’ensuit que le changement doit avoir nécessairement lieu dans toutes les parties du temps primitif où ce qui change a changé. § 2[818]. C’est ce qui résulte évidemment de la définition ; et c’est bien en ce sens que nous comprenions le mot de primitif. § 3[819]. Voici encore un autre moyen de nous le démontrer. Soit en effet XR, le temps primitif dans lequel se meut ce qui se meut ; et supposons encore qu’il soit divisé en K ; car tout temps est divisible. Dans le temps XK, l’objet se meut, ou il ne se meut pas. Même raisonnement en KR. Si le corps ne se meut ni dans l’une ni dans l’autre des deux parties du temps, il ne se meut pas non plus dans le temps entier et il y est en repos, du moment qu’on suppose qu’il est impossible qu’il se meuve dans aucune des parties du temps. S’il ne se meut que dans l’une des deux seulement, il ne se meut pas dans XR primitivement ; car le mouvement est alors relatif à un autre ; donc il faut nécessairement qu’il se meuve dans toutes les parties de XR.


CHAPITRE X.

Tout mouvement ou changement actuel suppose toujours un mouvement ou changement antérieur. Démonstrations diverses de ce principe ; application spéciale à la grandeur ; mélange nécessaire de l’antérieur dans tous les cas ; impossibilité absolue d’arriver jamais au primitif dans les choses divisibles et continues.

§ 1[820]. Ceci étant démontré, il est clair que tout ce qui se meut actuellement doit avoir été déjà mu antérieurement. Si en effet, dans le temps primitif XR, un corps s’est mu de la grandeur KL, dans la moitié de ce même temps, un corps qui se meut avec la même vitesse et qui a commencé simultanément à se mouvoir, se sera mu de la moitié. Mais si l’objet doué d’une vitesse égale a été mu de quelque chose dans le même temps, il faut aussi que l’autre objet se soit mu de la même grandeur, Par conséquent, le corps qui se meut a été mu. § 2[821]. D’un autre côté, si nous disons que le corps a été mu dans le temps entier XR, c’est ou absolument que nous le disons, ou pour une partie quelconque de ce temps, dont on ne considère alors que l’instant extrême. C’est cet instant, en effet, qui le termine ; et l’intervalle qui est entre les instants est le temps. On pourrait dire aussi bien pour tous les autres instants que le corps s’y est mu. Mais l’instant extrême de la moitié, c’est le point où l’on fait la division du temps, de telle sorte que le corps se sera mu aussi dans la moitié ; et d’une manière générale, il se sera mu dans une partie quelconque du temps ; car le temps est toujours terminé par les instants, au moment même où l’on fait la section. Si donc tout temps est divisible, et que l’intervalle des instants soit le temps, tout ce qui change actuellement aura changé un nombre infini de fois antérieurement. § 3[822]. Autre considération. Si ce qui change d’une manière continue, sans avoir été détruit et sans avoir cessé son changement, doit nécessairement changer actuellement ou avoir changé dans une partie quelconque du temps, et si le changement n’est pas possible dans un instant, il s’ensuit que le changement a dû s’être produit dans chacun des instants successifs. Par conséquent, si les instants sont infinis, il s’ensuit que tout ce qui change actuellement doit avoir changé déjà une infinité de fois.

§ 4[823]. Mais non seulement ce qui change doit avoir changé ; mais encore tout ce qui a changé doit aussi changer antérieurement. En effet, tout ce qui a changé d’un certain état à un autre état a changé dans le temps. Supposons que dans l’instant le corps a changé de A en B. Il s’ensuit qu’il n’a pas changé dans le même instant où il est en A, puisqu’alors il serait en même temps en A et en B ; car ce qui a changé, quand il a changé, n’est plus dans cet instant, ainsi qu’on vient de le démontrer plus haut. Si l’on dit qu’il est dans un autre instant, il y a alors du temps dans l’intervalle ; car on sait que les instants ne sont pas supposés continus. Puis donc que le corps a changé dans le temps, et que le temps est toujours divisible, c’est en une autre mesure qu’il aura changé dans la moitié ; et ce sera également en une autre mesure dans la moitié de ce temps-là ; et toujours de même. Donc le corps change antérieurement.

§ 5[824]. Ce qu’on vient de dire ici est encore plus clair pour la grandeur, parce que la grandeur où change ce qui change est continue. Soit par exemple, un objet qui a changé de C en D. Si CD est indivisible, il y aura un corps sans parties continu à un corps sans parties. Mais comme ce n’est pas possible, il faudra nécessairement que l’intervalle soit une grandeur et que cet intervalle soit divisible à l’infini. Par conséquent, le corps change antérieurement en ces parties. § 6[825]. Il faut donc que tout ce qui a changé change antérieurement. Même démonstration pour les choses qui ne sont pas continues ; par exemple, pour les contraires et pour la contradiction. En effet, nous prendrions le temps pendant lequel l’objet a changé ; et nous en dirions alors les mêmes choses.

§ 7[826]. Par conséquent, il y a nécessité que ce qui a changé change, et que ce qui change ait changé ; et le changement antérieur fait partie du changement actuel, de même que le changement actuel fait partie du changement antérieur, de telle sorte qu’on ne peut jamais arriver au primitif. § 8[827]. Cela tient à ce qu’un corps sans parties ne peut jamais être continu à un corps sans parties ; car la division est infinie, absolument comme pour les lignes qu’on accroît ou qu’on diminue à volonté. § 9[828]. On voit donc que ce qui a été produit doit être produit antérieurement et que ce qui est produit a été produit a été produit, toutes les fois qu’il s’agit de choses divisibles et continues. Cependant, ce n’est pas toujours l’objet entier qui s’est produit ; c’est parfois autre chose que lui, et par exemple, c’est une des parties de cet objet, comme le fondement de la maison. Même raisonnement pour ce qui périt et ce qui a péri. Dans tout ce qui se produit et dans tout ce qui meurt et s’en va, il y a toujours quelque chose d’infini, en tant que c’est toujours continu ; car il est également impossible et que ce qui n’a point été soit, et que ce qui est n’ait point été de quelque façon. Même observation pour périr et avoir péri ; car on verra toujours qu’avoir péri est antérieur à périr, de même que périr est antérieur à avoir péri.

Il est donc manifeste que ce qui a été produit doit être produit antérieurement, et que ce qui est produit doit avoir été produit ; car toute grandeur quelconque, et le temps, quel qu’il soit, sont toujours divisibles, de telle sorte que, quel que soit le récipient où est la chose, elle ne peut jamais y être comme dans son primitif.


Ch, X

CHAPITRE XI.

Rapports du fini et de l’infini dans le temps, le mouvement et l’espace. — Tout corps fini se meut dans un temps fini ; démonstration de ce principe. — Il ne peut pas y avoir de mouvement infini dans un temps fini ; le mouvement fini ne peut pas davantage parcourir un temps infini ; l’infini ne peut pas parcourir l’infini dans un temps fini ; démonstration de ces divers principes, relativement à la grandeur, au temps et au mobile.

§ 1[829]. Comme tout ce qui se meut ne peut se mouvoir que dans le temps, et qu’une grandeur plus grande est parcourue dans un temps plus grand, il s’ensuit que dans un temps infini, il ne peut pas y avoir de mouvement fini, bien entendu qu’il ne s’agit pas d’un mouvement qui serait toujours le même, ni du mouvement de quelqu’une des parties de l’objet, mais du mouvement total dans le temps total. § 2[830]. Ainsi donc, il est clair que, si le corps se meut avec une vitesse égale, il faut nécessairement qu’étant fini, il se meuve dans un temps fini ; car en prenant une partie qui mesure exactement tout le mouvement, le corps parcourra le mouvement entier dans des temps égaux, aussi nombreux que le sont les parties elles-mêmes. Par conséquent, ces parties étant finies par la quantité pour chacune d’elles, et par la répétition pour leur totalité, il s’ensuit que le temps aussi est limité et fini ; car le temps sera autant de fois aussi grand que le temps d’une des parties multiplié par le nombre même de ces parties. § 3[831]. Peu importe, d’ailleurs, que le corps ne se meuve pas d’une vitesse égale. Soit en effet, un intervalle fini représenté par la ligne AD, sur lequel le corps se meut dans un temps infini ; et soit le temps infini représenté par CD. Si de toute nécessité le corps se meut dans une partie de l’espace, avant de se mouvoir dans l’autre, il est clair qu’il se meut dans une partie différente selon la portion antérieure et postérieure du temps ; car toujours, dans le temps plus grand, il se sera mu d’une autre manière, soit d’ailleurs qu’il change avec une égale vitesse, soit qu’il change avec une vitesse qui n’est pas égale, et soit encore que le mouvement s’accroisse, soit qu’il diminue, ou soit enfin qu’il reste stationnaire ; peu importe. Prenons une partie AE de l’intervalle AB, laquelle mesurera exactement AB. Cette partie doit se trouver dans quelque partie du temps infini ; car elle ne peut pas être dans le temps infini tout entier, puisque c’est le tout qui est dans l’infini. Si je prends encore une autre partie égale, je suppose, à AE, il faut de toute nécessité qu’elle soit mue dans un temps fini, puisque c’est la totalité seule qui est mue dans l’infini ; et si je considère ainsi cette partie, c’est qu’il n’y a pas de partie de l’infini qui puisse servir de mesure commune ; car il est impossible que l’infini soit composé de parties finies soit égales soit inégales, attendu que les quantités finies, soit de nombre soit de grandeur, sont toujours mesurées par quelqu’autre quantité, Peu importe, d’ailleurs, que les parties soient égales ou inégales, du moment qu’elles sont finies en grandeur, Mais l’intervalle fini est mesuré par les AE, qui ont une grandeur quelconque ; et ainsi AB se meut dans un temps fini.

§ 4[832]. De même encore pour l’inertie et le repos. § 5[833]. Donc il est impossible que ce qui est toujours un et le même puisse jamais naître ni périr. § 6[834]. Même raisonnement pour prouver qu’il ne se peut pas davantage que dans un temps fini, il y ait un mouvement infini, non plus qu’un repos infini, soit que d’ailleurs le mouvement soit égal ou inégal. En effet, si l’on prend une partie qui puisse mesurer le temps entier, le mouvement parcourra dans cette partie une certaine quantité de la grandeur, sans parcourir la grandeur entière, puisque toute la grandeur ne peut être parcourue que dans le temps tout entier. De même encore dans un temps égal, le mouvement parcourra une autre partie de la grandeur ; et ainsi de suite dans chaque partie également, soit qu’on la prenne égale ou inégale à la partie initiale ; car il n’y a d’ailleurs aucune différence, du montent que chaque partie prise à part est finie. Il est clair, en effet, que le temps étant épuisé, l’infini ne s’épuise pas comme lui, parce que tout retranchement est fini, soit en quantité, soit en nombre. Par conséquent, le corps ne parcourt pas l’infini dans un temps fini. Peu importe d’ailleurs que la grandeur soit infinie dans un sens seulement, ou dans les deux sens à la fois ; le raisonnement reste toujours le même.

§ 7[835]. D’après ces démonstrations, on doit voir encore qu’une grandeur finie ne peut pas, par des raisons toutes semblables, parcourir l’infini dans un temps fini. En effet, dans une partie du temps, elle parcourt un espace fini ; et de même dans chacune des parties successivement. Par conséquent, c’est encore du fini qu’elle a parcouru dans le temps tout entier. § 8[836]. Mais si le fini ne peut parcourir l’infini dans un temps fini, il n’est pas moins évident que l’infini ne peut pas davantage parcourir le fini. Supposons, en effet, que l’infini puisse parcourir le fini. Il faut alors aussi que le fini parcoure l’infini ; car peu importe quel est celui des deux qui est en mouvement, puisque des deux façons le fini parcourt toujours l’infini. En effet, lorsque l’infini représenté par A se meut, il y en aura une partie CD qui sera dans B, lequel est fini ; et de même pour telle ou telle autre partie, et toujours de même. Donc il en résultera simultanément que l’infini se sera mu dans le fini, et que le fini aura parcouru l’infini ; car il n’est peut-être pas autrement possible que l’infini se meuve dans le fini, sinon que le fini parcoure l’infini, soit en se déplaçant lui-même, soit en mesurant l’infini. Donc, comme cela est impossible, il ne se peut pas davantage que l’infini parcoure le fini.

§ 9[837]. Mais il n’est pas plus possible que l’infini parcoure l’infini dans un temps fini ; car s’il pouvait parcourir l’infini, il parcourrait aussi le fini, puisque le fini se trouve substantiellement dans l’infini. § 10[838]. En prenant le temps au lieu de la grandeur, la démonstration serait encore la même. § 11[839]. Mais comme dans un temps fini, le fini ne peut parcourir l’infini, pas plus que l’infini ne peut parcourir le fini, et pas plus encore que l’infini ne peut parcourir l’infini, il en résulte clairement que le mouvement ne pourra jamais davantage être infini dans un temps fini. Car, où est la différence de prendre pour infinis, soit le temps, soit la grandeur ? Du moment que l’un des deux est infini, l’autre l’est également de toute nécessité, puisque tout déplacement a lieu dans l’espace.


CHAPITRE XII.

Tout ralentissement du mouvement suppose un mouvement antérieur ; et la tendance au repos, ainsi que le mouvement, est toujours dans le temps. Rapport du temps au mouvement et au ralentissement. Définition précise du repos. Le mouvement s’arrête toujours dans une partie du temps.

§ 1[840]. Comme tout ce qui, par nature, doit se mouvoir ou rester en repos, se meut ou reste, quand toutes ses conditions naturelles d’action, de temps et d’espace, sont remplies, il faut nécessairement que ce qui se ralentit et s’arrête, soit en mouvement au moment où il s’arrête ; car s’il ne se meut pas, c’est qu’il sera en repos. Mais il ne se peut pas que ce qui est en repos tende à se reposer. § 2[841]. Ceci étant démontré, il est clair aussi que c’est dans le temps que le corps s’arrête, puisque tout ce qui se meut ne peut se mouvoir que dans le temps. Or, il a été démontré que ce qui s’arrête devait être en mouvement ; donc nécessairement c’est dans le temps que le corps s’arrête. § 3[842]. D’un autre côté, c’est au temps que nous rapportons les idées de vitesse et de lenteur : car le corps peut s’arrêter plus vite ou plus lentement. § 4[843]. Mais le mouvement qui s’arrête primitivement dans un temps, doit s’arrêter dans toute partie quelconque de ce temps. En effet., le temps étant divisé, si le mouvement ne s’arrête dans aucune de ses parties, il ne s’arrêtera pas non plus dans le temps entier ; et par suite, le mouvement qu’on suppose arrêté ne s’arrêterait pas. Mais s’il s’arrête dans une des deux parties, il ne s’arrête plus alors primitivement dans le temps entier ; car le mouvement s’arrête alors dans le temps relativement à un autre, ainsi que nous l’avons expliqué plus haut pour le mobile.

§ 5[844]. Mais de même qu’il n’y a pas de primitif où se meuve le mobile, de même, non plus, il n’y a pas de primitif où s’arrête un corps qui s’arrête ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de primitif, ni pour le mouvement, ni pour l’arrêt. Soit AB, par exemple, le primitif où le corps s’arrête. Il n’est pas possible que ce primitif soit sans parties, parce qu’il n’y a pas de mouvement possible dans ce qui est sans parties, attendu que le corps doit s’être mu antérieurement dans une partie quelconque ; et il a été démontré que le corps qui s’arrête a dû être d’abord en mouvement. Toutefois si AB est divisible, le corps peut s’arrêter dans une de ses parties quelconque ; car on a fait voir plus haut que le mouvement s’arrête dans une des parties de la chose où il s’arrête primitivement. Mais comme il y a un temps dans lequel il s’arrête primitivement, et que ce n’est pas un indivisible, puisqu’au contraire le temps est toujours divisible à l’infini, il n’y a rien dans le temps où primitivement le corps s’arrête.

§ 6[845]. De même pour ce qui est en repos, il n’y a pas non plus de temps où il ait été primitivement en repos ; car le corps n’a pu se reposer dans un temps sans parties, parce qu’il n’y a pas de mouvement possible dans l’indivisible, et que là où est le repos, là aussi est le mouvement. En effet, nous avons dit qu’une chose est en repos, quand elle ne se meut pas dans les conditions où naturellement elle devrait se mouvoir. Nous disons encore qu’il y a repos, quand la chose reste actuellement tout ce qu’elle était auparavant ; et notre jugement ne peut pas alors porter sur un seul terme ; il faut qu’il porte sur deux termes tout au moins. Par conséquent, le temps dans lequel le repos a lieu ne peut pas être sans parties. Mais si l’on admet que le temps est divisible, c’est dans une de ses parties que le repos se produira ; et l’on pourra répéter ici la démonstration qu’on a donnée plus haut. Donc il n’y a point ici de primitif. § 7[846]. Cela tient à ce que tout mouvement et tout repos a lieu dans le temps ; or, le temps ne peut être primitif, non plus que la grandeur, et non plus qu’un continu quelconque, puisque tout continu est divisible à l’infini.


CHAPITRE XIII.

Le mobile, durant le temps primitif où il se meut, ne peut être dans un lieu primitif. Application de la définition du repos ; il n’y a pas plus de primitif pour le lieu que pour le temps et pour le mouvement.

§ 1[847]. Comme tout mobile se meut nécessairement dans le temps, et qu’il change d’un certain état à un autre état, il est impossible que dans le temps en soi où il se meut ; et non pas seulement dans une partie de ce temps, le mobile soit dans un lieu primitif quelconque. § 2[848]. En effet, pour qu’on puisse dire d’une chose qu’elle est en repos, il faut, et que la chose même, et que chacune de ses parties, soient durant un certain temps dans le même état ; et nous entendons ainsi qu’il y a repos, lorsqu’il est vrai de dire, dans un premier instant et dans un autre instant, que la chose tout ensemble et chacune de ses parties restent dans un état identique. Si c’est bien là l’idée qu’on doit se faire du repos, il n’est pas possible que le corps qui change soit tout entier dans tel ou tel rapport, durant le temps qui est considéré comme primitif ; car le temps est toujours divisible ; et par conséquent ce sera dans une partie, et une autre partie de ce temps, qu’il sera vrai de dire et que la chose et que ses parties sont dans le même état. § 3[849]. Si en effet il n’en était pas ainsi, et si c’était durant un seul des instants, ce ne serait plus pendant aucun temps que la chose serait dans tel état ; mais ce serait alors pendant la limite du temps. § 4[850]. Dans l’instant, le corps existe bien toujours de quelque façon ; mais il n’est pas en repos ; car dans un instant, il ne peut y avoir, ni mouvement, ni repos. Il est vrai strictement de dire que, dans un instant, le mouvement est impossible, et que le corps existe dans un état quelconque de rapport. Mais il ne se peut pas que dans le temps il y ait un rapport de repos ; car il en résulterait cette absurdité que ce qui se meut est en repos.


CHAPITRE XIV.

Réfutation de la théorie de Zénon, niant la possibilité du mouvement ; les quatre arguments de Zénon ; examen de ces quatre arguments ; démonstration de l’erreur de Zénon. Théorie nouvelle substituée à la sienne ; preuves de la vérité de la théorie qui admet le mouvement.

§ 1[851]. Mais Zénon fait un faux raisonnement : « Si toute chose, dit-il, doit toujours être soit en mouvement soit en repos, quand elle est dans un espace égal à elle-même, et si tout corps qui se déplace est toujours pendant chaque instant dans un espace égal, il s’ensuit que la flèche qui vole est immobile. » Mais c’est là une erreur, attendu que le temps n’est pas un composé d’instants, c’est-à-dire d’indivisibles, pas plus que nulle autre grandeur.

§ 2[852]. Zénon a sur le mouvement quatre raisonnements, qui ne laissent pas que d’embarrasser ceux qui tentent de les réfuter. § 3[853]. D’abord, il prétend prouver que le mouvement n’existe pas, attendu que le mobile passe par la moitié avant d’arriver à la fin. Nous avons réfuté ce sophisme dans nos discussions antérieures. § 4[854]. Le second sophisme de Zénon est celui qu’on appelle l’Achille. Il consiste à dire que jamais le plus lent, quand il est en marche, ne pourra être atteint par le plus rapide, attendu que le poursuivant doit, de toute nécessité, passer d’abord par le point d’où est parti celui qui fuit sa poursuite, et qu’ainsi le plus lent conservera constamment une certaine avance. § 5[855]. Ce raisonnement revient à celui de la division par deux ; et, la seule différence, c’est qu’ici l’on ne divise pas continuellement en deux la grandeur surajoutée. On tire bien de cet argument cette conclusion régulière qu’il n’est pas possible que le plus lent soit jamais atteint ; mais c’est toujours absolument la même chose que dans la division par deux, puisque de part et d’autre on conclut qu’on ne peut arriver au bout, de quelque manière qu’on partage la grandeur. Seulement, dans l’Achille, on ajoute que même le plus rapide ne pourra jamais rejoindre le plus lent ; et c’est plus pompeux et plus tragique. § 6[856]. La solution est donc des deux côtés nécessairement identique. Mais supposer que ce qui est en avance n’est pas rejoint., c’est là qu’est l’erreur. Sans doute tant qu’il est en avance, il n’est pas rejoint ; mais, en définitive, cependant il est rejoint, puisque Zénon doit accorder que la ligne finie est parcourue. § 7. Voilà donc déjà deux des arguments de Zénon.

§ 8[857]. Le troisième, dont nous venons de parler à l’instant, c’est que la flèche qui vole dans les airs reste en place ; et de ce principe on tire cette conclusion que le temps est, selon Zénon, composé d’instants. Mais, en repoussant ce principe, que l’on ne concède point, il n’y a plus d’argument.

§ 9[858]. Quant au quatrième, il s’applique à des masses égales qu’on suppose se mouvoir également, par exemple, dans le stade, mais, en sens contraire, les unes partant de l’extrémité du stade et les autres du milieu ; et l’on prétend démontrer que le temps, qui n’est que la moitié, est l’égal du temps qui est le double. § 10[859]. Le sophisme consiste en ceci, qu’on suppose que la grandeur égale, animée de la même vitesse, se meut dans le même temps, soit relativement à la masse qui est en mouvement, soit relativement à la masse qui est en repos ; et c’est là qu’est l’erreur. § 11[860]. Soient, par exemple, les masses égales en repos représentées par AAAA. Soient, d’autre part, BBBB, les masses égales en nombre et en grandeur aux A, mais qui partent du milieu de la longueur des A ; soient enfin CCCC les masses égales aux autres en nombre, en grandeur, et égales aux B en vitesse, mais qui partent de l’extrémité. Le premier B est bien, en effet, au bout en même temps que le premier C, puisque le mouvement des uns et des autres est parallèle. Les C ont bien aussi dépassé tous les A ; mais les B ne sont qu’à la moitié. Donc, suivant Zénon, le temps n’est aussi que la moitié, puisque de part et d’autre c’est parfaitement égal. Mais il arrive que les B ont, en même temps, dépassé tous les C ; car le premier C et le premier B sont en même temps aux extrémités contraires, le temps pour chacun des B étant tout à fait égal à ce qu’il est pour passer chacun des A, si l’on en croit ce que dit Zénon, parce que tous deux arrivent dans un même temps à dépasser les A.

§ 12[861]. Telle est la théorie de Zénon ; mais elle pèche ainsi que nous l’avons dit.

§ 13[862]. Quant à la nôtre, elle ne conduit à aucune impossibilité par rapport au changement qui a lieu dans la contradiction. Par exemple, si l’on objecte que le corps qui n’est pas blanc, changeant en blanc, n’est, à un instant donné, ni l’un ni l’autre, de telle sorte qu’on ne puisse pas dire qu’il soit blanc, et qu’on ne puisse pas dire davantage qu’il ne soit pas blanc ; je réponds qu’on n’a pas besoin, pour affirmer que le corps est blanc ou qu’il n’est pas blanc, qu’il soit tout entier l’un ou l’autre ; car on dit d’une chose qu’elle est blanche ou qu’elle ne l’est pas sans qu’elle le soit tout entière, et il suffit que la plupart de ses parties, ou les plus importantes le soient. Mais ce n’est pas la même chose de ne pas être dans tel état ou de ne pas y être tout entier. Il en sera de même tout à fait pour l’être et le non-être, et pour toutes les autres oppositions par contradiction ; car il faut nécessairement que la chose soit dans l’un des opposés ; mais elle n’est pas toujours tout entière dans aucun des deux. § 14[863]. D’autre part, pour le cercle, pour la sphère, et en général pour tout ce qui se meut sur soi-même, on prétend bien que les corps seront en repos, attendu que ces corps et leurs parties étant durant quelque temps dans le même lieu, il en résulte, par conséquent, qu’ils seront à la fois et en mouvement, et en repos. § 15[864]. Mais d’abord, je réponds que les parties ne sont jamais un seul moment dans le même lieu. § 16[865]. Puis ensuite, on peut même dire que c’est le cercle entier qui change toujours en un autre ; car la circonférence n’est pas la même, selon qu’on la prend du point A, ou du point B, ou du point C, ou de tels autres points, si ce n’est de la même manière que l’homme musicien est aussi homme, parce que sa qualité de musicien n’est qu’accidentelle. Par conséquent, une circonférence change toujours en une autre, et elle n’est jamais en repos. Il en est tout à fait de même aussi pour la sphère, et pour tous les corps qui se meuvent sur eux-mêmes.


CHAPITRE XV.

L’indivisible ne peut avoir de mouvement, dans le sens absolu de ce mot, bien que l’indivisible puisse indirectement se mouvoir avec la chose dans laquelle il est. Démonstration de ce principe. Le temps ne se compose pas d’instants, non plus que la ligne ne se compose pas de points. L’indivisible ne se meut pas, parce qu’il n’y a pas de mouvement proprement dit dans la durée d’un instant.

§ 1[866]. Ceci démontré, nous prétendons que ce qui est sans parties ne peut avoir de mouvement, si ce n’est indirectement ; et, par exemple, l’indivisible ne se meut que par le mouvement du corps ou de la grandeur quelconque dans laquelle il est, comme une chose qui est dans un bateau et qui n’est mise en mouvement que par le mouvement du bateau même ; ou bien encore, comme la partie est mue par le mouvement du tout. § 2[867]. Quand je dis « Sans parties, » j’entends ce qui est indivisible sous le rapport de la quantité. § 3[868]. Car les mouvements des parties sont différents, selon que ces parties elles-mêmes se meuvent, ou que c’est le tout lui-même qui est en mouvement. Où l’on peut bien observer cette différence, c’est dans la sphère ; car la rapidité des parties qui sont au centre, ou des parties qui sont à la surface, ou de la sphère elle-même n’est pas identique ; et c’est bien la preuve qu’il n’y a pas un seul mouvement.

§ 4[869]. Ainsi donc, nous le répétons, ce qui est sans parties peut se mouvoir comme se meut la personne assise dans un bateau, par cela seul que le bateau est en marche. Mais en soi, ce qui est sans parties ne peut pas se mouvoir. Supposons, en effet, que le corps change de AB en BC, soit d’ailleurs qu’il change en passant d’une grandeur à une autre grandeur, soit en passant d’une forme à une autre forme, soit que ce soit par simple contradiction. Soit D le temps primitif durant lequel le corps change. Il y a nécessité que l’objet dans le temps où il change soit tout entier ou en AB ou en BC, ou qu’une de ses parties soit dans l’un, et qu’une de ses parties soit dans l’autre, puisque tout ce qui change est soumis à cette condition, ainsi que nous l’avons vu. Mais d’abord une partie de l’objet ne pourra être dans l’un et dans l’autre ; car alors l’objet serait divisible. De plus, il ne peut pas davantage être dans BC ; car alors il aura changé, et nous supposons qu’il change. Reste donc que l’objet soit dans AB, durant le temps où il change. Donc il y sera en repos ; car être en repos signifie, ainsi que nous l’avons dit, se trouver dans le même état durant quelque temps. Donc par conséquent, ce qui est sans parties ne peut ni se mouvoir, ni éprouver un changement quelconque.

§ 5[870]. Il n’y aurait qu’un seul sens où l’on pourrait dire que le corps se meut : c’est le cas où le temps se composerait d’instants ; car le corps aurait été mu, et il aurait changé toujours dans un instant, de telle sorte qu’on pourrait dire que l’objet n’est jamais actuellement en mouvement et qu’il y a toujours été. Mais nous avons antérieurement démontré que c’est là une chose impossible ; car le temps ne se compose pas plus d’instants que la ligne ne se compose de points, ni que le mouvement ne se compose de motions successives ; et, si l’on soutenait cette théorie, cela reviendrait absolument à dire que le mouvement se compose d’éléments sans parties ; par exemple, comme le temps qui se composerait d’instants, et que la grandeur se compose de points.

§ 6[871]. Une autre conséquence évidente de ceci, c’est que le point, ni aucun indivisible, ne peut avoir de mouvement. En effet, aucun corps en mouvement ne peut, dans son mouvement, parcourir un espace plus grand que lui, sans avoir préalablement parcouru un espace égal à lui-même, ou un espace plus petit. Cela posé, il est évident que le point parcourra un espace, ou plus petit que lui, ou égal à lui, avant de parcourir tout autre espace. Mais le point étant indivisible, il est bien impossible qu’il parcoure préalablement un espace plus petit que lui-même. Il parcourra donc un espace égal ; et par conséquent, la ligne sera composée de points ; car ayant un mouvement égal à lui-même, le point finira par mesurer toute la ligne. Mais si cela ne se peut pas, il ne se peut pas non plus davantage que l’indivisible soit jamais en mouvement.

§ 7[872]. Ajoutez que si tout ce qui se meut doit se mouvoir dans le temps, et que dans un instant il n’y ait aucun mouvement possible ; et si le temps est toujours divisible, il s’ensuit qu’il y aura, pour tout mobile quelconque, un temps moindre que le temps dans lequel il parcourt, en se mouvant, un espace égal à lui-même. Or, ce sera précisément le temps durant lequel il se meut, parce que le mouvement ne peut jamais avoir lieu que dans le temps. Mais il a été démontré plus haut que le temps est toujours divisible. Si donc le point se meut, il y aura un temps plus petit dans lequel son mouvement aura eu lieu. Mais cela est de toute impossibilité, puisque dans un temps moindre il faut nécessairement que le mouvement soit moindre aussi ; et par conséquent, l’indivisible serait divisé en parties moindres, comme le temps lui-même serait divisé en temps.

§ 8[873]. Ainsi donc, ce qui est sans parties et est indivisible ne pourrait se mouvoir qu’à une seule condition, c’est qu’il fût possible qu’il y eût mouvement dans un instant indivisible ; car cela revient tout à fait au même, et qu’il puisse y avoir mouvement dans l’instant, et que l’indivisible puisse se mouvoir.


CHAPITRE XVI.

De l’infinitude du changement ; tout changement a nécessairement des limites ; exemples divers. Le changement dans l’espace ne peut pas être infini ; mais le mouvement peut l’être sous le rapport du temps. Du mouvement circulaire ; indication d’une théorie sur ce sujet.

§ 1[874]. Mais il n’y a pas de changement qui puisse jamais être infini. Nous avons vu, en effet, que tout changement est le passage d’un état à un autre, que ce soit d’ailleurs un changement dans la contradiction, ou le changement dans les contraires.

§ 2[875]. Pour les changements par contradiction, c’est l’affirmation ou bien la négation qui est la limite ; et, par exemple, c’est l’être pour la génération des choses ; c’est le non-être pour leur destruction. § 3[876]. Quant aux changements par contraires, ce sont les contraires mêmes qui servent de limites, puisqu’ils sont les points extrêmes du changement. § 4[877]. Ainsi, les contraires sont les limites de toute espèce d’altération ; car l’altération procède toujours de certains contraires. § 5[878]. De même encore pour l’accroissement et la décroissance ; car, la limite de l’accroissement est l’acquisition même de la grandeur que la chose doit atteindre d’après sa nature propre ; et la limite de la décroissance est la disparition de cette même grandeur. § 6[879]. Mais le déplacement dans l’espace n’est pas fini et limité de cette manière ; car il ne se fait pas toujours dans les contraires. Mais comme on dit d’une chose qu’elle ne peut pas avoir été coupée de telle manière, parce qu’elle ne peut pas, en effet, l’avoir été du tout, le mot d’impossible ayant bien des acceptions diverses, ce qui est ainsi impossible ne peut pas être actuellement coupé ; et d’une manière absolue, ce qui ne peut pas être arrivé n’arrive jamais, et ce qui ne peut pas du tout changer ne change jamais en la chose dans laquelle il ne peut changer. Si donc le corps qui se déplace change en quelque chose, c’est qu’il peut avoir changé. Donc le mouvement n’est pas infini, et il ne parcourra pas une ligne infinie, puisqu’en effet il est impossible de la parcourir.

§ 7[880]. Il est donc évident qu’il n’y a pas de changement infini, en ce sens qu’il soit sans limites qui le déterminent. § 8[881]. Mais il faut voir s’il n’est pas possible qu’il y ait, sous le rapport du temps, un mouvement infini, un et toujours le même. Rien n’empêche, en effet, qu’il en soit ainsi, quand ce mouvement n’est pas unique, et quand, par exemple, après le déplacement, il y a altération, après l’altération accroissement, et après l’accroissement génération. De cette façon, le mouvement peut bien être perpétuel dans le temps ; mais il n’est plus unique, parce que tous ces mouvements n’ont pas un mouvement unique pour résultat. Par suite, en supposant que le mouvement soit un, il ne peut y avoir d’infini dans le temps qu’un seul mouvement ; et ce mouvement spécial est la translation circulaire.


LIVRE VII.
SUITE DE LA THÉORIE DU MOUVEMENT.

CHAPITRE PREMIER.

Tout mobile suppose nécessairement un moteur ; démonstration de ce principe. — Tout mobile est nécessairement divisible ; démonstration de ce second principe.

§ 1[882]. Tout ce qui est mu doit nécessairement être mu par quelque chose. § 2[883]. Car si le mobile n’a pas en lui-même le principe de son mouvement, il est évident qu’il doit le recevoir d’un autre, et que c’est cet autre qui est le vrai moteur.

§ 3[884]. Examinons la première hypothèse, où le mobile a le mouvement en lui-même, Soit AB un objet qui se meut en soi, et non pas seulement en ce sens que c’est une simple partie de cet objet qui soit en mouvement. D’abord donc, supposer que AB se meut lui-même parce qu’il est mu tout entier, et qu’il n’est mu par aucune cause extérieure, c’est absolument comme si KL, mettant LM en mouvement et étant mu lui-même, on allait nier que KM est mu par quelque chose, parce qu’on ne pourrait pas voir clairement lequel des deux corps est le moteur et lequel est le mobile. § 4[885]. De plus, quand un corps se meut par lui-même, et non par un autre, il ne cessera pas nécessairement de se mouvoir, parce qu’un autre corps viendrait à s’arrêter. Seulement, si un objet en mouvement s’arrête parce qu’un autre objet s’arrête également, il faut que ce premier objet soit mu par un autre. Ceci étant clairement démontré, il y a nécessité que tout ce qui est mu soit mu par quelque cause.

§ 5[886]. AB étant supposé un mobile en mouvement, il est nécessairement divisible ; car nous avons vu que tout ce qui est mu est divisible aussi. Admettons qu’il est divisible en tant qu’il est C. BC n’étant pas mu, AB sera nécessairement sans mouvement comme lui ; car, s’il est supposé en mouvement, il est évident que AC serait mis en mouvement, pendant que BC serait en repos. Donc, AB ne se meut pas par lui-même et primitivement. Mais on supposait d’abord qu’il se donnait son propre mouvement, et qu’il se le donnait primitivement. Donc il est nécessaire que, CB étant en repos, BA y soit de même. § 6[887]. Mais quand une chose s’arrête et cesse de se mouvoir, parce qu’une autre n’est plus en mouvement, on convient que cette première chose est mue par une autre. Par conséquent, tout ce qui est mis en mouvement est mu nécessairement par quelque chose ; car tout mobile est divisible ; et quand la partie est en repos, le tout y est aussi. § 7[888]. Mais si tout mobile est mu nécessairement par quelque chose, et s’il faut également que tout ce qui est mu d’un mouvement dans l’espace, soit mu par un autre mobile, § 8. alors le moteur est mu par un autre mobile, qui est mu lui-même ; et cet autre encore est mu par un autre ; et toujours ainsi de suite.


CHAPITRE II.

Nécessité d’une première cause du mouvement ; la série de transmissions du mouvement ne peut être infinie. Démonstration fondée sur ce principe, qu’il n’y e pas de mouvement infini dans un temps fini ; exception à ce principe. Autre démonstration.

§ 1[889]. Il faut bien cependant qu’il y ait quelque cause initiale et première du mouvement, et l’on ne peut aller à l’infini. § 2[890]. Supposons, en effet, qu’il n’en est pas ainsi et que la série se prolonge à l’infini. Soit A mu par B, B par C, C par D ; et supposons que toujours le mobile suivant soit poussé par le suivant. § 3[891]. Comme le moteur est supposé mouvoir, parce qu’il est mu lui-même, et que le mouvement du moteur et celui du mobile sont simultanés, car le moteur est mu lui-même, en même temps que le mobile est mu par lui, il est clair que le mouvement de A, celui de B, celui de C, et, en un mot, de chacun des autres moteurs et mobiles, sera simultané. § 4[892]. Nous pourrons donc prendre le mouvement de chacun d’eux, et nous représenterons celui de A par E, celui de B par F, et celui de C, D, par G, H ; car si chacun d’eux est toujours mu réciproquement par chacun, on peut cependant considérer le mouvement de chacun d’eux comme étant un numériquement parlant ; et il n’est point infini à ses extrémités, puisque tout mouvement a lieu nécessairement d’un point à un autre point. § 5[893]. Quand je dis que le mouvement est un numériquement, j’entends que le mouvement va du même au même numériquement, dans un temps qui, numériquement aussi, est le même ; car le mouvement peut être un et le même, soit en genre, soit en espèce, soit en nombre. § 6[894]. En genre, le mouvement est le même quand il a lieu dans la même catégorie, dans la substance, par exemple, ou dans la qualité. Le mouvement est le même en espèce, quand il va du même en espèce au même en espèce ; par exemple, il va du blanc au noir, ou du bien au mal ; et il n’y a pas là de différence dans les espèces. Enfin, le mouvement est le même numériquement, quand il va d’une chose une numériquement à une autre chose une numériquement dans le même temps ; et, par exemple, de cette chose blanche à cette chose noire, ou de ce lieu à cet autre lieu dans le même temps ; car, si c’est dans un autre temps, le mouvement n’est plus un numériquement, quoiqu’il le soit encore en espèce. Mais nous avons donné ces explications plus haut.

§ 7[895]. Soit donc le temps dans lequel A fait son mouvement représenté par K. Le mouvement de A étant fini, le temps K sera fini aussi. § 8[896]. Mais comme les moteurs et les mobiles sont infinis, il en résulte que le mouvement EFGH, qui est composé de tous ces mouvements, sera infini aussi. En effet, il se peut que le mouvement de A, celui de B et celui de tous les autres soient égaux, et il se peut aussi que les mouvements des autres soient plus grands. Mais qu’ils soient égaux ou plus grands, le mouvement total sera toujours infini dans les deux hypothèses ; car nous ne supposons ici que le possible. § 9[897]. Or comme le mouvement de A est simultané au mouvement des autres, il s’ensuit que le mouvement total aura lieu dans le même temps que le mouvement de A. § 10[898]. Mais le mouvement de A se passant dans un temps fini, il en résulterait qu’un mouvement infini se passerait dans un temps fini ; et c’est là une impossibilité.

§ 11[899]. Ce serait donc là, à ce qu’il semble, une manière de démontrer la question posée au début ; mais la démonstration n’est pas réellement faite, parce qu’on n’a pas démontré qu’il y eût une impossibilité absolue. En effet, il se peut fort bien que dans un temps fini il y ait un mouvement infini, non pas, il est vrai, d’un seul corps, mais de plusieurs ; or, c’est précisément le cas que nous supposons ici, puisque chacun des corps que nous considérons peut se mouvoir du mouvement qui lui est propre, et il n’est pas impossible que plusieurs corps se meuvent en même temps.

§ 12[900]. Mais il faut que le moteur primitif, qui donne le mouvement dans l’espace ou un mouvement corporel, touche au mobile ou y soit adhérent et contigu, ainsi que nous le voyons dans tous les cas ; il faut que les moteurs et les mobiles soient continus et se touchent réciproquement, de manière à former tous ensemble un seul système. Peu importe pour le moment que ce système soit limité ou infini ; car, de toute façon, le mouvement de tous sera infini puisqu’ils sont infinis, quoique les mouvements de chacun d’eux puissent être égaux ou plus grands les uns par l’apport aux autres. Mais ce qui est possible, nous le prendrons ici pour réel. Si donc le résultat des ABCD est infini et qu’il ait le mouvement EFGH dans le temps K, ce temps étant fini, il s’ensuit que dans un temps fini le fini ou l’infini parcourt l’infini. Mais l’une et l’autre supposition est également impossible.

§ 13[901]. Il est donc nécessaire qu’il y ait quelque point d’arrêt, et que nécessairement il y ait aussi un premier moteur et un premier mobile. § 14[902]. Ceci du reste n’importe en rien, que l’impossible ressorte d’une hypothèse ; car la supposition a été prise possible ; et, du moment qu’on a posé le possible pour point de départ, il ne se peut pas qu’il en sorte rien d’impossible.


CHAPITRE III.

Le moteur et le mobile se touchent en un certain point et sont toujours dans le même lieu. — Application de ce principe aux trois espèces de mouvements, dans l’espace, en qualité et en quantité ; démonstration pour les diverses variétés du mouvement dans l’espace ou déplacement ; démonstration pour le mouvement dans la qualité ou altération ; démonstration pour le mouvement dans la quantité, accroissement ou décroissement.

§ 1[903]. Le moteur primitif, non pas le moteur en vue duquel se fait le mouvement, mais celui d’où part le mouvement, est dans le même lieu que l’objet qu’il meut ; et, par le même lieu, j’entends qu’il n’y a rien d’interposé entre eux. C’est là une condition commune à tout mobile et à tout moteur. § 2[904]. Or, comme il y a trois mouvements, dans l’espace, dans la qualité et dans la quantité, il faut nécessairement qu’il y ait trois moteurs : l’un qui fait la translation dans l’espace ; l’autre qui produit l’altération ; et enfin le moteur qui produit l’accroissement et le dépérissement,

§ 3[905]. Parlons d’abord de la translation, puisqu’on peut la regarder comme le premier des mouvements. § 4[906]. Tout ce qui se déplace dans l’espace, ou se meut par lui-même, ou est mu par un autre. § 5[907]. Pour tous les corps qui se meuvent par eux-mêmes, il est de toute évidence que le mobile et le moteur sont dans le même lieu, puisque le moteur primitif réside dans ces corps mêmes, et qu’il n’y a rien d’intermédiaire et d’interposé. § 6[908]. Quant aux corps qui sont mus par un autre, il n’y a que quatre cas possibles ; car le déplacement qui se fait dans l’espace par une cause étrangère, n’est que de quatre espèces : traction, impulsion, transport et rotation. Tous les déplacements dans l’espace peuvent se ramener à ces quatre là. Ainsi, la compulsion n’est qu’une impulsion où le moteur qui agit de lui-même, suit et accompagne la chose qu’il pousse, tandis que la répulsion est une impulsion où le moteur ne suit pas cette même chose. La projection a lieu lorsqu’on rend le mouvement imprimé à l’objet plus fort que ne le serait sa translation naturelle, et que l’objet est déplacé aussi longtemps que le mouvement existe et domine. La dilatation est une répulsion ; car la répulsion a lieu, soit loin du moteur lui-même, soit loin d’un autre. La contraction n’est qu’une traction ; car c’est une traction de l’objet ou sur lui-même ou sur un autre. Il en est absolument de même pour toutes les espèces de ces mouvements, telles que l’extension ou le rétrécissement, la première n’étant qu’une dilatation et l’autre une contraction. De même encore pour toutes les autres concrétions et séparations ; elles ne sont toutes que des dilatations ou des contractions, en exceptant toutefois celles qui se rapportent à la génération et à la destruction des choses. On voit d’ailleurs en même temps que la concrétion et la séparation ne sont pas des genres de mouvements différents ; car toutes peuvent se ramener à l’un des mouvements qui viennent d’être indiqués. A un autre point de vue, l’aspiration n’est qu’une traction, et l’expiration n’est qu’impulsion. De même encore l’expectoration et tous les autres mouvements par lesquels le corps rejette ou ingère quelque chose ; car les uns sont des attractions, et les autres des répulsions. En un mot, c’est ainsi qu’il faut réduire tous les autres mouvements qui se font dans l’espace ; car tous peuvent se ramener aux quatre qui ont été énoncés plus haut.

§ 7[909]. On peut même encore, parmi ces mouvements, faire rentrer le transport et la rotation dans la traction et dans l’impulsion. § 8[910]. Ainsi, le transport ne peut avoir lieu que des trois manières suivantes : la chose transportée est mue accidentellement, ou parce qu’elle est dans une autre chose qui est mue, ou parce qu’elle est sur cette chose ; ce qui transporte peut transporter, ou parce qu’il est tiré, ou parce qu’il est poussé, ou parce qu’il tourne ; et voilà comment le transport est commun à ces trois mouvements. § 9[911]. Quant à la rotation, elle se compose de traction et d’impulsion. En effet, il faut nécessairement que le moteur qui fait tourner attire et pousse tout ensemble ; l’une de ces actions éloigne l’objet de lui, et l’autre l’y ramène.

§ 10[912]. Si donc ce qui pousse et ce qui tire est dans le même lieu que l’objet tiré ou poussé, il est évident qu’il ne peut y avoir rien d’interposé entre ce qui est mu dans l’espace, et ce qui meut. D’ailleurs, cette vérité ressort des définitions mêmes. Ainsi, l’impulsion n’est que le mouvement partant du moteur même ou d’un autre, pour aller vers un autre. La traction n’est pas autre chose que le mouvement partant d’un autre, et allant vers soi ou vers un autre, quand le mouvement de ce qui tire est plus rapide, en séparant les continus les uns des autres ; car c’est ainsi que l’un est attiré avec l’autre. On peut, il est vrai, comprendre la traction encore d’une autre manière ; car ce n’est pas ainsi que le bois attire le feu. Peu importe d’ailleurs que ce qui tire exerce sa traction, soit en étant en mouvement, soit en étant en repos ; car alors il tire tantôt au lieu où il est lui-même, tantôt au lieu où il a précédemment été. Mais il est bien impossible de mouvoir un objet, ou de soi vers un autre, ou d’un autre vers soi, sans toucher cet objet. Donc encore une fois, il est évident qu’entre le moteur et le mobile dans l’espace, il n’y a point d’intermédiaire possible.

§ 11[913]. Il ne peut pas y en avoir davantage entre l’objet altéré et l’objet altérant. C’est ce dont on peut se convaincre par l’observation et l’induction ; car, dans tous les cas, l’extrémité altérante et le premier altéré sont dans le même lieu. § 12[914]. Nous entendons, en effet, par altération, qu’un objet ou s’échauffe, on s’adoucit, on s’épaissit, ou se sèche, ou se blanchit, etc. Nous appliquons également cette idée, et à ce qui est animé, et à ce qui est inanimé. Dans les êtres animés, nous l’appliquons, et aux parties qui restent insensibles, et aux sens eux-mêmes. Les sens, en effet, changent et s’altèrent aussi à leur façon. La sensation en acte est, on peut dire, un mouvement qui se passe dans le corps, quand le sens vient à éprouver une impression. § 13[915]. Dans les choses où l’inanimé est altéré, l’animé l’est aussi. Mais là où l’animé est altéré, l’inanimé ne l’est pas toujours sans exception ; car il ne s’altère pas d’après des sensations éprouvées. § 14[916]. L’un a conscience de ce qu’il éprouve ; l’autre n’en a pas conscience. Mais il se peut fort bien aussi que l’animé lui-même ignore ce qu’il sent, quand l’altération n’a pas lieu à la suite de sensations. § 15[917]. Si donc ce qui s’altère est altéré par des causes sensibles, il est clair aussi que, dans tous ces cas, l’extrémité dernière de ce qui altère se confond avec la première extrémité de ce qui est altéré. L’air, en effet, est continu à l’un ; et le corps est continu à l’air. De même encore la couleur est continue à la lumière ; et la lumière l’est à la vue. Même rapport pour l’ouïe et pour l’odorat ; l’air est le moteur premier, relativement à l’objet mu. Il en est de même aussi pour le goût ; car la saveur est dans le même lieu que le goût. § 16[918]. Ces phénomènes se passent de la même manière pour les objets inanimés et insensibles. § 17. Il n’y a jamais d’intermédiaire entre l’altéré et l’altérant.

§ 18[919]. Il n’y en a pas davantage entre ce qui est accru et ce qui accroît. Le primitif accroissant accroit la chose en s’y adjoignant, de manière à ce que le tout ne fasse qu’un. A l’inverse, ce qui dépérit va dépérissant, parce qu’il se sépare quelque chose de l’objet qui dépérit. Donc, nécessairement ce qui accroît, ou ce qui détruit, doit être continu ; et entre les continus, il n’y a point d’intermédiaire.

§ 19[920]. Ainsi, l’on voit clairement qu’entre le mobile et le moteur premier et dernier, relativement au mobile, il n’y a pas d’intermédiaire possible.


CHAPITRE IV.

Toute altération ou modification suppose nécessairement la sensibilité ; l’altération ne s’applique pas, comme on le croit, aux formes et aux figures des choses ; les formes et les figures ne changent qu’après l’altération de certains autres éléments. — Les vertus et les vices, soit du corps, soit de l’âme, ne sont pas des altérations réelles de l’être ; elles ne viennent qu’à la suite de l’altération de certaines autres choses : application au corps ; application à l’âme.

§ 1[921]. Tout ce qui s’altère est altéré, avons-nous dit, par des causes sensibles ; et il n’y a d’altération possible que dans les objets dont on peut dire qu’ils sont aptes à éprouver en soi l’action de causes sensibles. Voici ce qui doit le prouver. En dehors de ces objets, on pourrait croire que l’altération s’applique surtout aux formes, aux figures, aux habitudes ou propriétés, soit que les objets les conservent, soit qu’ils les perdent. Cependant, ce n’est pas là qu’il y a vraiment altération. § 2[922]. En effet, quand une chose a reçu une forme achevée et régulière, nous ne la désignons plus par le nom de la matière même dont elle est composée ; et ainsi l’on ne dit pas de la statue qu’elle est de l’airain ; on ne dit pas de la bougie qu’elle est de la cire, non plus qu’on ne dit du lit qu’il est du bois. Mais en détournant un peu l’expression, on dit que l’une est en airain, l’autre en cire, et l’autre en bois. Nous qualifions d’ailleurs l’objet qui a subi une action, et qui est altéré ; et nous disons, par exemple, de l’airain qu’il est sec, qu’il est humide, qu’il est dur, qu’il est chaud ; nous en disons autant de la cire. Et non seulement on parle ainsi ; mais, de plus, on dit que l’humide ou le chaud est de l’airain, en désignant la matière par une expression homonyme à l’affection même qu’elle éprouve. Par conséquent, si par rapport à la forme et à la figure, on ne désigne pas l’objet altéré par la matière dans laquelle est la forme, et si on le désigne uniquement d’après les actions et les altérations qu’il a subies, il est évident que les générations de ce genre ne sont pas des altérations.

§ 3[923]. On peut remarquer encore qu’il serait absurde de dire que l’homme est modifié et altéré, ou la maison, on tout autre objet, quand ces objets viennent à se produire et à naître. Tout ce qu’on peut dire, c’est que chacun de ces êtres naît et se produit, parce que quelque chose s’altère et change ; par exemple, ce quelque chose peut être la matière qui s’épaissit, qui se raréfie, qui s’échauffe, qui se refroidit. Cependant, ce qui naît et se produit n’est pas altéré ; et la génération de ces objets ne peut pas du tout être appelée une altération.

§ 4[924]. Les qualités, les manières d’être, soit du corps, soit de l’âme, ne sont pas davantage des altérations proprement dites ; car de ces qualités, de ces manières d’être, les unes sont des vertus, les autres sont des vices. Mais on ne peut pas trouver une altération véritable, ni dans la vertu, ni dans le vice. La vertu est une perfection et un achèvement ; et c’est quand l’être, quel qu’il soit, a atteint toute sa vertu propre, qu’on peut dire de lui qu’il est achevé et parfait ; car alors son état de nature est éminemment obtenu ; et c’est ainsi que le cercle est parfait, lorsqu’il est cercle le plus régulièrement possible. Le vice, au contraire, est la destruction et la déchéance de cet état. De même donc qu’en parlant d’une maison, on ne dit pas que son achèvement en soit une altération ; car il serait par trop étrange de prendre, ou le toit, ou la tuile, pour une altération de la maison, et de croire que la maison, en recevant ses tuiles ou son faîte, subit une altération, au lieu de croire qu’elle s’achève, tout de même aussi pour les vertus et les vices, et pour les êtres qui les possèdent ou qui les acquièrent. Les vertus sont des perfections et des achèvements ; les vices sont des dégradations ; et par conséquent, ce ne sont pas des altérations.

§ 5[925]. Nous ajoutons encore que toutes les vertus ne consistent que dans une certaine manière d’être relativement à certaines choses. Ainsi, les vertus ou qualités du corps, telles que la santé et l’embonpoint, consistent dans le mélange et la proportion du chaud et du froid ; soit que l’on considère le froid et le chaud dans leurs rapports les uns aux autres à l’intérieur, soit par rapport au milieu dont le corps est entouré. De même pour la beauté, pour la force, en un mot pour les vertus ou les vices du corps. Chacune de ces façons d’être consiste dans une disposition spéciale relativement à une certaine chose ; et elle dispose bien ou mal le corps qui la possède, relativement aux affections spéciales que cette chose produit. Spéciales signifie ici les affections qui, dans l’ordre naturel des choses, peuvent produire ou détruire l’être. Mais comme les relatifs ne peuvent jamais eux-mêmes être des altérations, et qu’il n’y a pour eux, ni altération, ni génération, ni, absolument parlant, aucun changement possible, il est clair que les qualités ou façons d’être ne sont point des altérations, non plus que la perte ou l’acquisition de ces qualités. § 6[926]. Mais on peut dire qu’il faut nécessairement que certaines choses viennent à être altérées et changées, pour que ces qualités mêmes naissent ou périssent, de même aussi que la forme et la figure ; et ces autres choses sont les éléments chauds et froids, secs et humides, ou les éléments primitifs dans lesquels les êtres consistent ; car on entend par chaque vice et chaque vertu, en particulier, les qualités d’après lesquelles doit varier, selon les lois naturelles, l’être qui les possède. La vertu du corps, par exemple, le rend insensible à certaines choses, ou plutôt lui fait sentir les choses uniquement comme elles doivent être senties ; le vice le rend sensible ou insensible d’une manière contraire.

§ 7[927]. Il en est absolument de même des affections de l’âme ; car, elles aussi, consistent toutes à être dans une certaine disposition relativement à certaines choses. § 8[928]. Et les vertus sont des perfectionnements, tandis que les vices sont des désordres et des déchéances. § 9[929]. En outre, la vertu dispose bien pour les affections et les passions qui appartiennent proprement à l’être, tandis que le vice dispose mal. Par conséquent, les vertus et les vices de l’âme ne sont donc pas eux non plus des altérations ; et la perte et l’acquisition des unes et des autres ne le sont pas davantage. § 10[930]. Mais il y a nécessité qu’elles ne puissent se produire que par une altération ou un changement de la partie susceptible de sentir. Or, cette partie n’est modifiée que par les choses qu’on sent ; car toute la vertu morale est relative aux joies ou aux douleurs du corps, qui aboutissent elles-mêmes, soit à sentir actuellement, soit à se souvenir, soit à espérer. Ainsi, les unes se rapportent à l’action présente de la sensibilité, c’est-à-dire au mouvement causé par quelque objet sensible ; les autres, relatives à la mémoire et à l’espérance, viennent de cette même action ; car l’on a plaisir à se souvenir de ce qu’on a éprouvé, ou bien l’on a plaisir à espérer ce qu’on doit sentir. Par conséquent, tout plaisir du genre de celui dont nous parlons ici est causé nécessairement par des choses sensibles. Or, comme c’est à la suite du plaisir et de la douleur que se forment aussi les vertus et les vices, qui ne se rapportent, en effet, qu’à la douleur et au plaisir, et comme les plaisirs et les douleurs sont des altérations et des modifications de la partie sensible de l’âme, il en résulte évidemment qu’il faut, de toute nécessité, une modification préalable, et une altération de quelque chose, pour que l’âme puisse perdre ou acquérir la vertu ou le vice.

§ 11[931]. Ainsi l’on peut dire que leur production a lieu avec une certaine altération ; mais la vertu et le vice ne sont pas eux-mêmes des altérations.

§ 12[932]. Quant aux qualités de la partie pensante et intellectuelle de l’âme, elles ne sont pas des altérations non plus ; et l’on ne peut pas dire davantage qu’il y ait génération pour elles. La science, par exemple, consiste éminemment dans une certaine disposition relativement à certaine chose. Et voici ce qui prouve qu’il n’y a pas de génération pour les qualités de l’intelligence, c’est que la partie de l’âme qui est en puissance d’acquérir la science, ne l’acquiert pas parce qu’elle a éprouvé elle-même quelque mouvement, mais parce que quelque autre chose existe préalablement. Ainsi, quand le fait particulier se produit, c’est en quelque sorte par l’universel qu’on a la science du particulier. §§ 13-14. Bien plus, il n’y a pas même génération de l’usage qu’on fait de la science et de l’acte même de la science, à moins qu’on ne veuille soutenir aussi qu’il y ait génération pour l’acte de la vue et du toucher, et que l’acte, pour les choses de l’intelligence, est tout pareil à ceux-là. § 15[933]. Mais l’acquisition originelle de la science ne peut passer pour une génération, puisque nous ne concevons la science et la réflexion dans l’intelligence que comme un repos et un temps d’arrêt. Or, il n’y a pas de génération pour arriver au repos ; car, ainsi qu’on l’a dit antérieurement, il n’y a point de génération pour aucun changement en général. § 16[934]. Il y a plus ; de même que quand quelqu’un sort d’une ivresse, d’un sommeil ou d’une maladie, pour revenir à un état contraire, nous ne disons pas qu’il redevient savant, bien qu’il fût quelques instants auparavant hors d’état de faire usage de sa science ; de même non plus nous ne le disons pas, quand il acquiert cette façon d’être pour la première fois. C’est qu’on ne peut, en effet, devenir ou sage ou savant qu’après que l’âme s’est apaisée et remise d’un certain trouble physique. § 17[935]. C’est là ce qui fait aussi que les enfants ne peuvent apprendre et porter, d’après leurs sensations, un jugement aussi bien que les personnes plus âgées, parce que le trouble et le mouvement est énorme en eux. A certains égards, c’est la nature elle-même qui calme et qui apaise ce trouble ; à certains égards, ce sont d’autres causes que la nature. § 18[936]. Mais, dans l’un et l’autre cas, c’est qu’il s’est produit certaines altérations et modifications dans le corps, de même qu’il s’en produit au réveil après le sommeil, et dans l’acte intellectuel, quand on se trouve dégrisé et qu’on est réveillé complètement.

§ 19[937]. On voit donc, en résumé, d’après ce qui précède, que l’être est altéré, et que l’altération ne peut se produire que dans les choses sensibles et dans la partie sensible de l’âme ; et si l’altération se produit ailleurs, ce ne peut jamais être qu’indirectement.


CHAPITRE V.

De la comparaison des divers mouvements. Les différentes espèces de mouvements ne sont pas comparables entre elles. Conditions générales qui rendent la comparaison possible. Il ne faut pas que les choses comparées soient homonymes ; mais il faut que le genre premier des choses comparées soit identique. — Application de ces principes aux mouvements ; égalité de vitesse ; comparaison de l’altération et de la translation dans l’espace.

§ 1[938]. C’est une question de savoir si tout mouvement est comparable ou n’est pas comparable avec tout autre mouvement quelconque. § 2[939]. Si l’on admet que tous les mouvements sont comparables, et si le corps qui parcourt un égal espace dans un temps égal, est doué d’une égale vitesse, il en résultera qu’une ligne circulaire sera égale à une droite, ou plus grande ou plus petite. § 3[940]. Il en résulterait encore qu’une altération serait égale à une translation, pourvu que ce fût dans un temps égal que l’un des deux corps fût altéré et que l’autre fût transporté. Ainsi, telle affection serait égale à telle longueur. Mais cela ne se peut. Il y a bien égalité de vitesse, quand le mouvement est égal dans un temps égal ; mais jamais une affection ne peut être égale à une longueur. Donc il n’y a pas d’altération égale à une translation, ni moindre qu’une translation. Donc non plus, tout mouvement n’est pas comparable à tout mouvement.

§ 4[941]. Mais quels sont ici les vrais rapports du cercle et de la droite ? Il serait absurde de croire que deux objets ne puissent pas avoir un mouvement pareil, l’un en cercle, et l’autre en ligne directe, mais qu’il faille de toute nécessité que l’un soit plus rapide et l’autre plus lent, comme dans le cas où l’un descendrait une pente et où l’autre la remonterait. § 5[942]. Du reste, il n’importe pas non plus, pour soutenir ce raisonnement, de dire qu’il faut nécessairement que le mouvement soit plus rapide ou plus lent ; et que si la circonférence peut être ou plus grande ou plus petite que la droite, elle pourra, par conséquent, aussi être égale. Soit, par exemple, dans le temps A, l’un des corps parcourant la distance B, et l’autre la distance C, B doit être alors plus grand que C ; car c’est là ce que nous comprenions par un mouvement plus rapide. De même que, si le mouvement est égal dans un temps moindre, c’est que le corps est aussi plus rapide, Donc, il y aura une partie du temps A dans laquelle le corps B parcourra une portion égale du cercle, tandis que le corps C parcourra la ligne C dans le temps A tout entier. § 6[943]. Que si ces deux mouvements sont comparables, alors se produit la conséquence qu’on vient de dire, à savoir que la droite est égale au cercle. Mais ces deux derniers termes ne sont pas comparables entre eux ; et, par conséquent, les mouvements ne le sont pas davantage.

§ 7[944]. Mais il faut que les choses ne soient pas simplement homonymes, pour qu’elles soient comparables entre elles. Par exemple, pourquoi ne peut-on pas comparer d’une part le stylet dont on se sert pour écrire, d’autre part le vin qu’on boit et la note que l’on chante, pour savoir lequel des trois est le plus aigu ? C’est parce que ces trois choses sont homonymes qu’elles ne sont pas comparables. Mais on peut fort bien comparer la tonique et la dominante, parce que pour l’une et pour l’autre l’expression d’Aiguë a tout à fait le même sens. Mais l’expression de Rapide n’est-elle pas prise des deux parts dans la même acception ? Et cette expression l’est-elle moins dans l’altération et dans la translation ? § 8[945]. Mais d’abord ne peut-on pas se demander s’il est bien vrai que les choses soient comparables, du moment qu’elles ne sont pas homonymes ? Ainsi, Beaucoup signifie la même chose, soit qu’on l’applique à l’eau, soit qu’on l’applique à l’air ; et cependant l’air et l’eau ne sont pas comparables. Si l’on ne veut pas prendre cet exemple, on peut prendre celui du double ; le double est bien le même, puisque c’est toujours deux par rapport à un ; et pourtant les termes ne sont pas comparables.

§ 9[946]. Mais la raison est-elle bien la même dans ces cas divers ? Ainsi, le mot Beaucoup lui-même est homonyme ; et il y a des choses pour lesquelles les définitions sont homonymes comme les mots. Par exemple, quand on dit que Beaucoup signifie Tant et quelque chose encore de plus. Tant et Égal sont alors homonymes. Un peut à certains égards aussi passer pour homonyme ; et, si Un est homonyme, Deux l’est également. § 10[947]. Et pourquoi alors tels objets sont-ils comparables, tandis que d’autres ne le sont pas, si au fond leur nature est une et la même ? Est-ce parce que le primitif qui les reçoit originairement est différent ? Par exemple, on peut bien comparer un cheval et un chien et se demander lequel des deux est le plus blanc ; car le primitif de la blancheur est le même de part et d’autre ; à savoir la surface. Même remarque pour la grandeur. Mais l’eau et la voix ne sont pas comparables, parce qu’elles sont dans un tout autre primitif. § 11[948]. Cependant, n’est-il pas évident que de cette façon on pourrait tout identifier et tout confondre, en disant seulement que chaque objet est dans un primitif différent ? Ainsi l’égal, le doux et le blanc se confondraient pour tout, et l’on dirait seulement qu’ils sont dans différents primitifs. § 12[949]. Ajoutez que ce récipient primitif n’est pas arbitraire ; mais il n’y en a qu’un seul pour chaque qualité.

§ 13[950]. Ainsi donc, les termes que l’on compare doivent non seulement ne pas être homonymes ; mais encore il ne doit pas y avoir de différence, ni pour l’objet comparé, ni pour l’espèce dans laquelle il est. Je m’explique. La couleur, par exemple, est susceptible de différence ou de division. L’objet n’est donc pas comparable sous ce rapport général, en ce sens que l’on ne peut pas se demander si un objet est plus coloré que tel autre, si l’on ne spécifie pas telle couleur, et si l’on ne parle de la couleur qu’en tant que couleur ; mais il faut indiquer spécialement si cet objet est plus ou moins blanc. § 14[951]. Tout de même aussi pour le mouvement, on dit d’un mobile qu’il a une vitesse égale, lorsque dans un temps égal il parcourt une égale distance de telle dimension. Mais si dans le même intervalle de temps, une partie de la grandeur a été altérée et modifiée, tandis qu’une autre partie a été déplacée, peut-on dire que l’altération même de la chose est égale a, son déplacement et d’une égale vitesse ? Ce serait absurde, parce que le mouvement a des espèces qui ne se ressemblent pas.

§ 15[952]. Par conséquent, si les mobiles qui, dans un temps égal, parcourent une distance égale, sont animés d’une égale vitesse, il s’ensuivra que la droite et la circonférence sont égales. § 16[953]. Et pourquoi ? Est-ce parce que la translation est un genre, ou que la ligne est un genre aussi. Le temps d’ailleurs étant toujours le même et indivisible en espèce ? Ou bien est-ce parce que la translation et la ligne ont en même temps des espèces différentes ? Car la translation a des espèces du moment qu’en a aussi la direction selon laquelle elle se meut. § 17[954]. Elle en a même sous le rapport du moyen par lequel elle s’accomplit ; si c’est par des pieds, on l’appelle la marche ; si c’est par des ailes, on l’appelle le vol. Ou bien cela est-il inexact ? Et est-ce seulement dans ses formes que la translation est différente ? § 18[955]. Par conséquent, les mobiles qui, dans un temps égal, se meuvent d’une même distance, ont une vitesse égale. Mais, par la même distance, j’entends celle qui ne diffère pas en espèce ; et par le même mouvement, j’entends celui dont l’espèce ne diffère pas non plus.

§ 19[956]. Ainsi, il faut bien regarder quelle est la différence du mouvement. § 20[957]. Cette discussion démontre encore que le genre n’est pas une unité, et qu’il cache et renferme en lui bien d’autres termes. § 21[958]. Or, parmi les homonymies, il y en a qui sont fort éloignées ; il y en a d’autres qui ont, au contraire, une certaine ressemblance. Mais celles qui sont fort rapprochées les unes des autres, soit par le genre, soit par l’analogie, ne semblent plus être des homonymies, bien qu’elles en soient de très réelles. § 22[959]. Quand donc l’espèce est-elle différente ? Est-ce quand elle est la même dans un autre sujet ? Ou quand elle est elle-même autre dans un sujet autre aussi ? Quelle est la limite ? Et comment jugeons-nous que le blanc et le doux sont une même chose ou des choses différentes ? Est-ce parce que la qualité paraît différente dans un sujet différent ? Ou bien est-ce parce qu’en soi elle n’est pas du tout la même ? § 23[960]. Mais, pour en revenir à l’altération, comment telle altération pourra-t-elle être égale en vitesse à telle autre altération ? Par exemple, si la guérison est une altération, il est possible que tel malade guérisse vite et que tel autre guérisse lentement, de même qu’il est possible que d’autres malades encore guérissent en même temps. On peut dire alors que l’altération a été d’une égale vitesse, puisque le malade s’est modifié et altéré dans un temps égal. § 24[961]. Mais, dans ce cas, qu’est-ce qui s’est altéré et modifié ? Car ici il ne peut être question d’égalité. Mais ce qu’est l’égalité dans la catégorie de la quantité, la ressemblance l’est dans le cas dont nous nous occupons ; et nous posons qu’on doit entendre par vitesse égale le même changement se faisant dans un temps égal.

§ 25[962]. Que faut-il donc comparer ? Est-ce l’objet dans lequel réside l’affection, ou bien l’affection même ? Dans l’exemple qu’on vient de citer, comme la santé est identique, on peut dire qu’il n’y a pour les malades, ni de plus, ni de moins, mais que tout est semblable pour eux. Que si l’affection est différente, et si, par exemple, d’un côté la modification s’applique à quelque chose qui blanchit, et de l’autre côté à quelque chose qui guérit, il n’y a plus, dans ces deux cas, même identité, ni pour l’égalité, ni pour la ressemblance, en tant que ce sont là autant d’espèces différentes de l’altération, qui cesse alors d’être mue aussi bien que la translation. § 26[963]. Reste donc à savoir combien il y a d’espèces d’altération, et combien il y a d’espèces de translation.

§ 27[964]. Si donc les mobiles, quand les mouvements sont considérés comme en soi et essentiels, et non point comme purement accidentels, diffèrent en espèce, leurs mouvements différeront aussi en espèces. Si les mobiles diffèrent en genre, les mouvements différeront en genre également, et s’ils diffèrent en nombre, leurs mouvements différeront en nombre aussi. § 28[965]. Mais alors faut-il regarder à l’affection pour savoir, quand elle est identique, ou seulement pareille, si les altérations sont d’égale vitesse ? Ou faut-il regarder à l’objet altéré, et regarder, par exemple, si l’un des objets blanchit de telle quantité, et si l’autre blanchit de telle autre quantité ? Ou bien enfin faut-il regarder aux deux, c’est-à-dire à l’affection et à l’objet ? L’altération dans l’affection donnée est, ou la même, ou différente, si l’affection est identique ou différente ; l’altération est égale ou inégale, si l’affection est égale ou inégale elle-même.

§ 29[966]. Dans la génération et la destruction des choses, il faut faire la même recherche. Ainsi, comment la génération peut-elle être de vitesse égale ? Elle est égale, si dans un temps égal le même être et le même individu, tel que l’homme, par exemple, et non l’animal, est produit. La génération est plus rapide, si c’est un être autre qui est engendré dans un temps égal ; car nous ne trouvons pas ici deux êtres dont on pourrait indiquer la diversité, comme entre d’autres on indique la dissemblance. Si l’on dit que la substance est un nombre, on peut répondre que le nombre peut être plus ou moins fort, tout en étant de la même espèce. Mais la propriété commune à l’un et à l’autre n’a pas reçu de nom ; et de même qu’une affection qui est plus forte, et qui est prépondérante s’exprime par Plus, de même sous le rapport de la quantité, on dit qu’une chose est plus grande.


CHAPITRE VI.

De la proportionnalité des mouvements selon les forces qui agissent, selon les mobiles qui résistent, selon le temps écoulé et selon l’espace parcouru ; démonstrations diverses. — Réfutation du sophisme de Zénon sur l’action de chacun des grains composant un tas de blé. — Combinaison des forces ; application de ces principes aux mouvements d’altération et d’accroissement.

§ 1[967]. Le moteur meut toujours quelque chose, dans un certain espace et dans une certaine mesure ; par un certain espace, j’entends un certain espace de temps ; et par une certaine mesure, je veux dire une certaine longueur ; car toujours le moteur meut en même temps qu’il a mu, et ce qui a été mu sera une certaine quantité, qui elle-même sera mue dans une certaine quantité. § 2[968]. Soit donc A le moteur, B le mobile, et C la quantité dont il a été mu. Le temps durant lequel le mouvement a eu lieu, sera représenté par D. Dans un temps égal, la puissance égale représentée par A, fera faire à la moitié de B un mouvement qui sera le double de C ; et il fera parcourir la distance C dans la moitié du temps D ; car ce sera là la proportion. § 3[969]. Si dans tel temps donné la même puissance meut le même mobile de telle quantité, il produira la moitié de ce mouvement dans un temps moitié moindre. La moitié de la force produira la moitié du mouvement, dans un temps égal sur un mobile égal. Par exemple, soit la puissance E, moitié de la puissance A ; et F moitié de B. Les rapports restent les mêmes, et la force est en proportion avec le poids à mouvoir. Par conséquent, ces deux forces produiront le même mouvement dans un temps égal. § 4[970]. Si E meut F d’un mouvement C dans le temps D, il n’en résulte pas nécessairement que dans un temps égal E puisse mouvoir le double de F, de la moitié de C. § 5[971]. Si A meut le mobile B dans le temps D d’une quantité égale à C, la moitié de A représentée par E ne pourra pas mouvoir B dans le temps D. Elle ne pourra pas non plus faire parcourir au mobile une partie de C, ou telle partie proportionnelle qui serait à C tout entier comme A est à E ; car ce cas posé, il n’y aura pas du tout de mouvement. S’il faut, en effet, la force tout entière pour mouvoir telle quantité, la moitié de la force ne pourra la mettre en mouvement, ni d’une certaine distance, ni dans une proportion de temps quelconque ; car alors il suffirait d’un homme tout seul pour mettre un navire en mouvement, si l’on pouvait ainsi diviser la force de tous les matelots, soit relativement au nombre, soit relativement à la longueur que tous réunis ont pu faire ensemble parcourir au bâtiment.

§ 6[972]. Aussi, c’est là ce qui montre que Zénon se trompe quand il prétend qu’une partie quelconque du tas de grains doit faire du bruit ; car rien n’empêche que, dans aucun espace de temps, cette partie ne soit hors d’état de mouvoir cet air que le médimne entier a pu mouvoir en tombant. Elle ne peut même pas, quand elle est en soi et isolée, mouvoir autant d’air qu’elle en mettrait en mouvement sur la totalité ; car aucune partie n’a même de puissance que quand elle est dans le tout.

§ 7[973]. Que si l’on suppose deux forces au lieu d’une ; et que chacune de ces forces meuvent chaque mobile de telle quantité dans tel temps donné, les deux forces réunies pousseront le poids total formé de la réunion des poids d’une quantité égale, dans un temps égal ; car c’est là la proportion.

§ 8[974]. Mais en est-il encore ainsi de l’altération et de l’accroissement ? D’un côté il y a ce qui accroît ; de l’autre, ce qui est accru. L’un accroît dans un certain temps, et d’une certaine quantité ; l’autre est accru dans les mêmes conditions. De même l’altérant et l’altéré sont modifiés en plus et en moins, d’une certaine façon et dans une certaine mesure, et dans un certain temps. Dans un temps double, l’objet changera le double, et s’il a changé le double, c’est dans un temps double ; dans la moitié du temps, il changera de moitié, et s’il a changé de moitié, c’est dans la moitié du temps ; ou parfois le double dans un temps égal. Mais si l’altérant et l’accroissant altèrent ou accroissent de telle quantité dans tel temps donné, il ne s’ensuit pas nécessairement que la moitié fasse la moitié, ou que la moitié agisse deux fois moins dans un temps deux fois moindre. Mais il se peut fort bien aussi qu’il n’y ait aucune altération, ni aucun accroissement, comme cela avait lieu aussi dans le cas de la pesanteur.LIVRE VIII.

FIN DU LIVRE VII



LIVRE VIII.
DE L’ÉTERNITÉ DU MOUVEMENT.

CHAPITRE PREMIER.

Questions diverses sur la durée du mouvement, éternel ou créé. Si l’on nie l’éternité du mouvement, deux systèmes possibles : celui d’Anaxagore et celui d’Empédocle. — Hypothèse de l’éternité du mouvement ; difficultés résultant de cette hypothèse ; arguments en faveur de cette opinion. — Démocrite. Tous les philosophes ont admis que le temps est éternel. Platon seul a cru que le temps a été créé ; réfutation de cette opinion. Le mouvement est éternel comme le temps. Insuffisance du système d’Empédocle et même de celui d’Anaxagore. Ordre immuable de la nature ; Démocrite a tort de se borner à la simple observation des faits ; dans certains cas, on peut remonter jusqu’à la cause.

§ 1[975]. Le mouvement a-t-il commencé à un certain moment avant lequel il n’était pas ? Cessera-t-il un jour de même qu’il a commencé, de façon que rien ne doive plus se mouvoir ? Ou bien doit-on dire qu’il n’a point eu de commencement, et qu’il n’aura pas de fin ? Doit-on dire qu’il a toujours été et qu’il sera toujours immortel, indéfectible pour toutes choses, et comme une vie qui anime tous les êtres que la nature a formés ?

§ 2[976]. Tous les philosophes qui ont étudié la nature ont admis l’existence du mouvement, parce qu’ils s’occupaient de la question de l’origine du monde, et que toutes leurs théories roulent sur la génération et la destruction des choses qui ne peuvent être si le mouvement, n’est pas. § 3[977]. Quand on soutient que les mondes sont infinis et que les uns naissent tandis que les autres s’éteignent et périssent, on n’en admet pas moins l’existence éternelle du mouvement ; car les mondes ne peuvent naître et périr qu’à la condition nécessaire du mouvement. Ceux même qui n’admettent qu’un seul monde ou qui supposent qu’il n’est pas éternel, font également sur l’existence du mouvement des hypothèses conformes à leur système.

§ 4[978]. Lorsqu’on suppose qu’il y a eu un temps où il n’y avait point de mouvement d’aucun genre, il n’y a que deux manières nécessairement de comprendre cette opinion : ou bien comme Anaxagore, il faut dire que toutes les choses étant confondues et dans le repos durant un temps infini, c’est l’Intelligence qui leur a communiqué le mouvement, et les a ordonnées ; ou bien, comme Empédocle, il faut penser que les choses ont tantôt le mouvement et tantôt le repos ; le mouvement, quand de plusieurs choses l’Amour n’en fait qu’une, ou quand d’une seule la Discorde en fait plusieurs ; le repos, dans les intervalles de temps qui séparent l’action de l’Amour et de la Discorde. Voici les expressions même d’Empédocle :En sachant ramener leur foule à l’unité,Puis, quittant l’union pour la diversité,Ils vont sans que le temps ou les gêne ou les presse ;Et comme en aucun d’eux le changement ne cesse,Dans ce cercle immuable ils se font éternels.quand il dit : « le changement ne cesse, » Empédocle veut exprimer sans doute que les êtres passent d’une forme à l’autre.

§ 5[979]. Examinons ce qu’il en est réellement de ces problèmes ; car il importe de découvrir la vérité en ces matières, non pas seulement pour l’étude de la nature, mais en outre pour la science du principe premier des choses.

§ 6[980]. Commençons tout d’abord ici en partant des définitions que nous avons posées antérieurement dans notre Physique. Nous disons donc que le mouvement est l’entéléchie, ou la réalisation du mobile en tant que mobile. Par une conséquence nécessaire, il faut supposer l’existence préalable des choses qui peuvent être mues selon une espèce quelconque de mouvement. Sans même s’arrêter à cette définition du mouvement, il n’est personne qui ne convienne que nécessairement ce qui peut être mu selon une des diverses espèces de mouvement doit, d’une manière générale, être capable d’être mu. Par exemple, il faut nécessairement que ce soit un objet susceptible d’altération qui s’altère, et que ce soit un objet qui peut changer de lieu qui subisse la translation dans l’espace, absolument comme il faut que le combustible existe avant qu’il n’y en ait combustion, et comme il faut que ce qui peut brûler existe avant qu’il ne brûle.

§ 7[981]. Par conséquent, il faut nécessairement aussi, ou que les choses naissent à un certain moment donné avant lequel elles n’existaient pas, ou bien qu’elles soient éternelles, § 8[982]. Si donc on admettait que tous les mobiles et les moteurs sont nés à un certain moment, il faudrait de toute nécessité qu’il y eût eu, antérieurement au mouvement dont on s’occupe, un autre changement et un autre mouvement relativement auquel seraient nés et le mobile qui peut être mu et le moteur qui peut mouvoir. § 9[983]. Mais si l’on suppose que les moteurs et les mobiles ont éternellement existé sans qu’il y eût de mouvement, on voit sur le champ les étranges conséquences qui sortent de cette opinion pour peu qu’on la presse. § 10[984]. Mais en poussant encore un peu plus loin, ces conséquences ne sont pas moins nécessaires. En effet, si parmi les choses qui sont, les unes susceptibles de recevoir le mouvement, et les autres capables de le communiquer, il faut qu’il y ait soit d’une part un premier moteur et d’autre part un premier mobile, soit en l’absence de l’un et de l’autre un absolu repos, il en résulte que nécessairement il y a eu un changement antérieur ; car il y avait bien une cause à ce repos, puisque le repos n’est que la privation du mouvement. Donc, avant le premier changement, il y aura déjà eu un changement antérieur.

§ 11[985]. Certaines choses, en effet, ne produisent qu’une seule espèce de mouvement ; d’autres produisent les mouvements contraires. Ainsi, le feu échauffe et ne refroidit pas, tandis que la science des contraires paraît être une seule et même science. Ici il y a bien quelque chose de semblable ; car le froid, considéré d’une certaine manière, en se retirant peut échauffer, de même que celui qui sait une chose peut commettre une erreur volontaire, en employant à rebours la science qu’il possède. § 12[986]. Mais toutes les choses qui sont susceptibles d’agir, de souffrir, et de mouvoir, et celles qui sont susceptibles d’être mues, ne le sont pas toujours et dans tous les cas ; elles ne le sont que dans certaines conditions, et il faut par exemple qu’elles soient proches les unes des autres ; c’est en se rapprochant que l’une meut et que l’autre est mue, et quand les choses s’arrangent de façon que l’une soit susceptible d’être mue, et l’autre capable de mouvoir. § 13[987]. Si donc le mouvement n’a pas toujours eu lieu, il est clair que c’est que les choses n’étaient pas disposées de telle sorte que l’une pût mouvoir et que l’autre pût être mue, mais qu’il a fallu nécessairement que l’une des deux vint à changer. C’est là en effet une nécessité absolue pour tous les relatifs ; et par exemple, si une chose qui n’était pas le double d’une autre en est actuellement le double, il faut bien que l’une des deux choses tout au moins, si ce n’est les deux, ait éprouvé un changement. Il y aura donc ainsi un changement qui sera antérieur même au changement qu’on croyait le premier.

§ 14[988]. Mais outre cette impossibilité, comment encore concevoir qu’il puisse y avoir antérieur et postérieur, s’il n’y a pas de temps ? Ou bien comment y aura-t-il du temps, s’il n’y a pas de mouvement ?

§ 15[989]. Mais comme le temps n’est certainement que le nombre du mouvement ou un mouvement d’une certaine espèce, du moment que le temps est éternel, il y a nécessité que le mouvement soit éternel comme lui. En général, tous les philosophes, si l’on en excepte un seul, semblent, il faut en convenir, unanimes dans leur système sur le temps ; tous le regardent comme incréé. Et c’est même en soutenant que le temps n’a point été créé que Démocrite essaie de démontrer qu’il est impossible que l’univers ait jamais pu l’être. Il n’y a que Platon qui admette la création du temps. Le temps est né, selon lui, avec le ciel ; car il dit que le ciel a pris naissance. Si donc l’existence et la conception même du temps sont impossibles sans l’instant, et que l’instant soit une sorte de moyen terme réunissant tout à la fois un commencement et une fin, le commencement du temps futur, et la fin du temps passé, il faut nécessairement que le temps soit éternel ; car le bout du temps qui est considéré le dernier sera dans un certain instant, puisqu’il n’y a pas moyen dans le temps de saisir autre chose qu’un instant ; et comme l’instant est à la fois commencement et fin, il est clair qu’il y a toujours du temps des deux côtés de l’instant, mais si le temps existe, il n’est pas moins clair que le mouvement existe aussi, puisque le temps n’est qu’un mode du mouvement.

§ 16[990]. Le raisonnement serait le même pour démontrer que le mouvement est indestructible. § 17[991]. De même qu’en cherchant à expliquer l’origine du mouvement, on en arrivait à cette conclusion qu’il y a un changement antérieur même au changement premier, de même aussi il faudra supposer dans ce nouveau cas qu’il y a un changement postérieur même au dernier changement ; car ce n’est pas du même coup que l’objet cessera d’être mu et d’être mobile, par exemple d’être brûlé et d’être combustible, puisqu’il se peut fort bien qu’un objet combustible ne soit pas brûlé ; et ce n’est pas non plus du même coup que l’objet cessera de mouvoir et d’être capable de mouvoir, § 18[992]. De même aussi le destructible devra avoir été détruit, avant d’être détruit ; et ce qui le détruit devra encore exister après lui, puisque la destruction n’est qu’une espèce de changement.

§ 19[993]. Mais si tout cela est impossible, il est évident que le mouvement est éternel ; et il ne se peut pas que tantôt il soit et que tantôt il ne soit point. § 20. Avancer en effet cette dernière opinion, ce n’est, je le crains bien, qu’une pure rêverie. § 21[994]. Il n’y a pas plus de raison à soutenir que c’est la nature qui le veut ainsi, et que c’est là ce qu’on doit regarder comme le principe des choses, ainsi qui Empédocle semble le prétendre, quand il dit que l’Amour et la Discorde dominent tour à tour et donnent le mouvement aux choses, par une nécessité inhérente à leur nature, et que dans l’intervalle de leurs luttes, il y a le repos. § 22[995]. C’est bien là encore ce que sont tout près de dire ceux qui, comme Anaxagore, ne reconnaissent qu’un seul principe. § 23[996]. Mais il n’y a jamais de désordre dans les choses qui sont de nature et selon la nature ; car la nature est dans tous les cas une cause d’ordre et de régularité. L’infini ne peut jamais avoir de rapport rationnel avec l’infini, tandis que l’ordre est toujours un rapport et une raison. Mais qu’après un repos qui a duré un temps infini, commence ensuite par hasard le mouvement, et qu’il n’y ait pas plus d’importance à ce qu’il en soit ainsi plutôt maintenant qu’auparavant, sans qu’il y ait eu d’ailleurs aucun ordre antérieurement, ce n’est plus là une œuvre de la nature ; car, ou bien ce qui est par nature est d’une manière absolue, sans être tantôt de telle manière et tantôt de telle autre, comme le feu, par exemple, qui, naturellement, se dirige toujours en haut, et sans qu’il soit jamais possible que tantôt il s’y dirige, et tantôt il ne s’y dirige pas ; ou bien ce qui n’est pas absolu dans la nature a du moins une cause rationnelle.

§ 24[997]. Il vaudrait donc mieux encore supposer, comme l’a fait Empédocle ou tel autre philosophe, que tour à tour l’univers est en repos, et qu’il reprend ensuite le mouvement ; car cette succession alternative de phénomènes implique déjà un certain ordre régulier. § 25[998]. Mais il ne faut pas, quand on avance de telles idées, se contenter d’affirmer simplement ce qu’on dit ; il faut tâcher aussi d’en expliquer la cause ; et au lieu de se borner à une hypothèse gratuite, et de poser un axiome déraisonnable, il faut en appeler à l’induction ou en apporter la démonstration. § 26[999]. Les hypothèses admises par Empédocle ne sont pas des causes ; et ce n’est point là le rôle essentiel de la Discorde et de l’Amour, puisque l’un réunit les choses, et que l’autre au contraire les divise. Que si l’on parle de leur succession alternative, encore faut-il dire à quelles choses cette succession s’applique, comme on dit que parmi les hommes il y a quelque chose qui les rapproche, c’est l’amitié, et qu’il est bien vrai que les ennemis se fuient mutuellement. Alors, on imagine qu’il en est de même dans l’univers, parce qu’en effet il est certains cas où les choses se passent réellement ainsi. Mais il faudrait bien expliquer, en outre, comment ce phénomène peut s’accomplir dans des temps égaux et réguliers.

§ 27[1000]. En général, admettre que ce soit un principe et une cause suffisante d’un fait de dire que ce fait est toujours ou qu’il se produit toujours de telle ou telle manière, ce n’est pas du tout satisfaire la raison. C’est là cependant à quoi Démocrite réduit toutes les causes dans la nature, en prétendant que les choses sont actuellement de telle manière, et qu’elles y étaient antérieurement aussi. Mais quant à la cause de cet état éternel, il ne croit pas devoir la rechercher, ayant bien d’ailleurs raison à certains égards, mais ayant tort de vouloir appliquer ce principe à tout. Ainsi, le triangle a éternellement ses angles égaux à deux droits ; et pourtant on peut bien trouver une autre cause à cette propriété éternelle du triangle, tandis qu’il y a, en effet, des principes qui, étant éternels, n’ont absolument aucune autre cause.

§ 28[1001]. Mais que ceci suffise pour démontrer que le temps n’a pu exister, et ne pourra exister qu’à la condition que le mouvement ait existé ou doive exister tout comme lui.


CHAPITRE II.

Objections qu’on peut opposer à l’éternité du mouvement ; elles sont au nombre de trois : Tout changement a pour limites les contraires dans lesquels il se passe ; les êtres inanimés reçoivent le mouvement du dehors ; les êtres animés se le donnent. — Réponses à ces objections ; théorie du mouvement dans les êtres inanimés, où il est peut-être moins spontané qu’il ne le paraît.

§ 1[1002]. Il n’est pas difficile de répondre aux principes qu’on opposerait à ceux qui viennent d’être développés ; et voici les principaux arguments par lesquels on pourrait démontrer que le mouvement s’est produit à un certain moment, sans du tout avoir antérieurement existé.

§ 2[1003]. D’abord il n’y a point de changement qui soit éternel, parce que naturellement tout changement va d’un certain état à un certain état ; et par une conséquence nécessaire, tout changement a pour limite les contraires dans lesquels il se passe. Il n’y a donc pas de mouvement qui puisse aller à l’infini. § 3[1004]. En second lieu, on peut se convaincre, par l’observation, qu’un objet qui n’est pas mu actuellement et n’a en soi aucun mouvement, peut être mu à un certain moment ; par exemple, les êtres inanimés, pour lesquels sans qu’une partie ni le tout se meuve, et restant, au contraire, immobiles, il peut y avoir mouvement à un certain moment donné. Mais si le mouvement ne peut pas naître et sortir du néant, il faut dire alors, ou que le mouvement est éternel, ou qu’il est éternellement impossible. § 4[1005]. Ceci, du reste, est évidemment bien plus sensible encore dans les êtres animés, et nous le voyons par nous-mêmes ; car, bien qu’il n’y ait en nous aucun mouvement, et qu’à ce moment nous soyons en repos, néanmoins nous nous mettons en mouvement ; et c’est en nous-mêmes que nous trouvons alors le principe du mouvement qui nous fait agir, sans qu’il y ait la moindre intervention du dehors. Mais nous ne pouvons pas en dire autant pour les choses inanimées, qui ne sont jamais mues que par une cause extérieure. Pour l’être animé, au contraire, nous disons qu’il se meut lui-même, attendu que, s’il demeure parfois dans un absolu repos, il se produit aussi en lui un mouvement qui ne vient que de lui seul, et où le dehors n’est pour rien. Mais si ce phénomène peut se passer dans l’animal, pourquoi ne se passerait-il pas aussi tout à fait de même dans l’univers ? Si c’est possible dans le petit monde, ce l’est également dans le grand ; et si c’est possible dans le monde, c’est possible aussi dans l’infini, si toutefois l’infini peut, ou se mouvoir tout entier, ou demeurer tout entier en repos.

§ 5[1006]. De ces divers arguments, le premier dont nous avons parlé, et qui consiste à dire que le mouvement qui va aux opposés ne peut pas être éternellement le même, et numériquement un, ce premier argument est très vrai. On peut même trouver qu’il y a en ceci nécessité absolue, puisqu’une seule et même chose ne peut avoir un mouvement qui soit un et toujours le même ; numériquement. Je cite un exemple, et je demande si le son d’une seule corde est toujours un seul et même son, ou si c’est toujours un son différent, tant qu’elle reste semblable et semblablement mue. Mais, quoi qu’il en soit de ceci, rien n’empêche que le mouvement ne soit un et le même, en étant continu et éternel. C’est ce que l’on verra plus clairement par ce qui va suivre.

§ 6[1007]. Il n’y a rien d’absurde à dire qu’un corps qui n’était pas en mouvement peut y être mis, selon que le moteur extérieur, tantôt existe, et tantôt n’existe point. Mais il faut examiner à quelles conditions cela est possible. Je dis donc que la même chose peut tantôt être mue par le même moteur capable de la mouvoir, et tantôt ne l’être pas. Cela revient absolument à rechercher comment il se fait que les choses ne sont pas toujours en repos ou toujours en mouvement.

§ 7[1008]. Quant au troisième argument, c’est celui qui peut surtout embarrasser, quand on voit que dans les êtres animés le mouvement se produit tout à coup, sans y avoir antérieurement apparu. L’être est en repos ; puis tout à coup il marche, sans qu’aucune cause extérieure l’ait mis en action, du moins à ce qu’il semble. Mais c’est là une erreur. Dans l’animal, il y a toujours quelqu’un des éléments naturels dont il est formé, qui est en mouvement. Or, ce n’est pas l’être lui-même qui est cause du mouvement de ces éléments, et c’est peut-être le milieu qui l’enveloppe. Nous ne disons pas que ce soit l’être lui-même qui puisse se donner toute espèce de mouvement ; mais nous n’entendons désigner que le mouvement dans l’espace. Or, il se peut fort bien, et peut-être même est-il nécessaire qu’il se passe dans le corps une foule de mouvements causés par tout ce qui l’environne. Ces mouvements agissent à leur tour sur la pensée et sur le désir, qui met alors lui-même en mouvement l’être entier. C’est ce qu’on voit bien dans les phénomènes du sommeil. L’animal s’éveille sans qu’il y ait de mouvement sensible, bien qu’il y ait pourtant un mouvement d’un certain genre. Mais ce que nous allons dire éclaircira tout ceci.


CHAPITRE III.

Dans le monde, il y a des choses en mouvement et des choses en repos ; démonstration de ce principe. Importance générale de la théorie du mouvement ; égale impossibilité de soutenir et que tout soit en mouvement et que tout soit en repos ; en recourant à l’observation des faits, on voit qu’il y a certaines choses qui sont en repos, et d’autres qui sont en mouvement.

§ 1[1009]. Nous commencerons la discussion par la question que nous venons d’indiquer, celle de savoir pourquoi il y a des êtres qui tantôt se meuvent, et tantôt se remettent en repos.

§ 2[1010]. Nécessairement ou tout est toujours en mouvement, ou tout est toujours en repos ; ou bien certaines choses sont en mouvement, tandis que d’autres sont dans un repos complet ; et dans ce dernier cas, ou les choses en mouvement sont dans un mouvement éternel, et les choses en repos y sont aussi d’une manière éternelle ; ou bien tout dans la nature peut être indifféremment, soit en mouvement, soit en repos ; ou bien enfin, et c’est la troisième et dernière supposition, parmi les êtres il y en a qui sont éternellement immobiles, tandis que les autres sont dans un mouvement éternel, et que d’autres encore participent du mouvement et du repos tour à tour.

C’est là ce qu’il nous faut étudier ; car c’est là que se trouve la solution de toutes les questions que nous nous sommes posées ; et ce sera pour nous le complément définitif de tout ce traité.

§ 3[1011]. Prétendre que tout est en repos, et en chercher la cause, sans tenir compte de l’observation sensible, c’est on peut dire, une faiblesse d’intelligence. § 4[1012]. C’est nier et mettre en doute l’ensemble des choses physiques, et non pas simplement une partie. § 5[1013]. Bien plus, ce sujet n’intéresse pas uniquement le physicien ; il regarde aussi toutes les sciences, à ce qu’il semble, et tous les systèmes, puisque toutes font usage de l’idée du mouvement. § 6[1014]. Ajoutez que, de même que dans les mathématiques, par exemple, les objections contre les principes ne regardent pas directement le mathématicien, de même ceci peut s’appliquer également à toutes les autres sciences, et le problème que nous agitons ici n’est pas du domaine propre du physicien, puisque pour lui c’est une hypothèse indispensable d’admettre que la nature est le principe du mouvement.

§ 7[1015]. Sans doute, affirmer que tout est en mouvement, c’est peut-être aussi une erreur ; mais cette erreur s’éloigne moins des vérités de la science ; car nous avons établi que, dans les choses physiques, la nature est le principe tout à la fois du mouvement et du repos, et le mouvement est essentiellement un fait naturel. § 8[1016]. Quelques philosophes soutiennent aussi que le mouvement n’est pas partiel, attribué à telles choses et refusé à telles autres, mais que toutes choses sont en mouvement, qu’elles y sont éternellement, et que seulement ce phénomène échappe et se dérobe à nos sens.

§ 9[1017]. Quoique les partisans de cette opinion n’aient pas dit de quel mouvement spécial ils entendent parler, ou bien si c’est de toutes les espèces de mouvement, il n’est pas difficile de les réfuter. § 10[1018]. Ainsi il n’est pas possible que l’accroissement, ni la destruction, soient continuels et perpétuels ; et il y faut un moyen terme. Le raisonnement est ici tout à fait le même que quand on essaie de prouver que la goutte finit par percer la pierre, ou que la plante qui y pousse finit par la rompre. En effet, si la goutte a creusé ou enlevé telle partie de la pierre, cela ne veut pas dire que dans un temps moitié moindre elle en ait enlevé antérieurement la moitié ; mais les gouttes agissent ici comme les matelots qui font le halage d’un navire ; et tant de gouttes ont produit tel mouvement, sans que cependant une partie des gouttes ait pu en produire telle quantité dans aucune partie du temps. La portion enlevée de la pierre peut bien se diviser en plusieurs parties ; mais aucune de ses parties séparément n’a été mise en mouvement. Elles l’y ont été toutes ensemble, Donc évidemment il n’est pas nécessaire que toujours quelque chose se détache de la pierre, parce que la destruction peut se diviser à l’infini ; mais seulement il est nécessaire que le tout se détache enfin à un certain moment.

§ 11[1019]. Il en est de même pour l’altération, quelle qu’elle soit ; car l’altération n’est pas divisible à l’infini par cela seul que l’objet altéré peut se diviser infiniment. Mais souvent l’altération se fait tout d’un coup, comme se fait, par exemple, la congélation de l’eau. § 12[1020]. C’est encore comme dans la maladie, où nécessairement un temps vient où l’on peut dire du malade qu’il guérira, et où ce n’est pas à l’extrémité même du temps qu’il change tout d’un coup. § 13[1021]. Le changement ici ne se fait nécessairement que de la maladie à la santé, et non point à autre chose ; et par conséquent, soutenir que le changement se fait d’une manière perpétuelle, c’est contredire trop gratuitement les faits les plus palpables, puisque l’altération se fait toujours d’un contraire à l’autre. § 14[1022]. La pierre ne devient, ni plus dure, ni plus tendre. § 15[1023]. Et quant à la translation, il serait fort étonnant qu’on ne s’aperçût pas que la pierre est portée en bas, ou bien qu’elle s’arrête par la terre. § 16[1024]. On peut ajouter encore que la terre, et chacun des autres corps, doivent nécessairement demeurer dans les lieux qui leur sont propres, et ce n’est que par violence que le mouvement les éloigne de ces lieux. Par conséquent, s’il est des corps qui demeurent dans les lieux qui leur sont propres, il faut nécessairement que tous les corps ne soient pas en mouvement dans l’espace.

§ 17[1025]. Ainsi, les considérations que nous venons de présenter, et celles qu’on y pourrait ajouter doivent prouver qu’il est également impossible, et que tout soit en mouvement, et que tout soit en repos. § 18[1026]. Il ne se peut pas non plus que telles choses soient éternellement en repos, et que telles autres soient dans un mouvement perpétuel, et qu’il n’y ait rien qui soit, tantôt en repos, et tantôt en mouvement. § 19[1027]. Il faut dire que l’impossibilité que nous signalions un peu plus haut se répète également ici, puisque nous voyons se produire dans les mêmes choses les changements successifs dont nous venons de parler. § 20[1028]. Le contester, ce serait vouloir combattre l’évidence. En effet, ni l’accroissement des choses, ni le mouvement forcé qu’elles reçoivent quelquefois, ne sont possibles à moins que le corps, précédemment en repos, ne puisse recevoir un mouvement contre nature. Ainsi donc, cette théorie méconnaît, et la génération, et la destruction des choses. Or, tout le monde admet que le mouvement ne signifie guère que la production et la destruction des choses ; car l’état auquel passe l’objet qui change, se produit, soit dans l’objet même, soit dans le lieu ; et l’état qu’il quitte en changeant périt, ou du moins change de place.

§ 21[1029]. Donc évidemment, il y a des choses qui, à certains moments, sont en mouvement ; et il y a des choses qui, à certains moments, sont en repos.

§ 22[1030]. Quant à cette opinion que tout est tantôt en repos, et tantôt en mouvement, il faut la rapprocher des arguments qui viennent d’être rappelés.

§ 23[1031]. Mais c’est avec les définitions que nous venons de donner ici, que nous pouvons reprendre, pour point de départ, le même principe que nous avions antérieurement adopté : Tout est en repos, ou tout est en mouvement ; ou bien, parmi les choses, les unes sont en mouvement, et les autres en repos ; et en admettant le repos des unes et le mouvement des autres, il faut nécessairement, ou que toutes soient tantôt en repos, et tantôt en mouvement ; ou que toujours les unes soient en mouvement, et les autres toujours en repos ; ou enfin qu’il y en ait qui passent alternativement du repos au mouvement, et du mouvement au repos.

§ 24[1032]. Plus haut, nous avons déjà établi qu’il n’est pas possible que toutes choses soient en repos. Mais reprenons encore ici cette considération ; car s’il est vrai, ainsi qu’on le prétend parfois, que l’être est infini et immobile, il faut du moins convenir que nos sens n’en peuvent rien apercevoir, et qu’il est sous nos yeux une foule de choses qui se meuvent. Si donc cette apparence est fausse, ou qu’on ne la prenne que pour une simple apparence, il ne s’ensuit pas moins que le mouvement existe, du moment qu’existe l’imagination, quand bien même l’apparence serait de telle façon, puis tout à coup de telle autre ; car l’imagination et l’opinion n’en sont pas moins elles-mêmes des mouvements réels. § 25[1033]. Mais disserter et faire des raisonnements sur des choses où nous pouvons avoir mieux que des raisonnements, c’est mal juger le meilleur et le pire ; c’est mal discerner le certain de l’incertain, et ne pas savoir distinguer ce qui est principe de ce qui ne l’est pas.

§ 26[1034]. Il n’est pas moins impossible que tout soit en mouvement, et que telles choses aient un mouvement éternel, tandis que les autres sont éternellement en repos. A tous ces systèmes, il y a toujours une seule réponse péremptoire : Nous observons qu’il y a des choses qui sont, tantôt en mouvement, et tantôt en repos. Donc évidemment, il est tout aussi impossible que tout soit continuellement en repos, ou que tout soit continuellement en mouvement, qu’il est impossible que, parmi les choses, les unes soient dans un mouvement éternel, et les autres dans un éternel repos.

§ 27[1035]. Reste donc à examiner si tout est susceptible de mouvement et de repos, ou bien s’il est des choses qui peuvent être ainsi, et s’il en est d’autres qui peuvent être toujours en repos, et d’autres qui peuvent être toujours en mouvement. C’est ce que nous allons démontrer.


CHAPITRE IV.

Distinctions diverses entre les moteurs et les mobiles : moteurs et mobiles en soi ; moteurs et mobiles accidentels. Faculté du mouvement spontané dans les animaux ; mouvement naturel ; mouvement contre nature ; corps légers et corps pesants ; leur mouvement naturel ne peut cesser que par suite de quelque obstacle ; ils le reprennent dès que l’obstacle est écarté. La légèreté et la pesanteur des corps sont des lois de la nature. — Tout ce qui est mu est mu par quelque cause.

§ 1[1036]. Pour les moteurs et les mobiles, il faut distinguer ceux qui meuvent ou qui sont mus d’une façon accidentelle ; et d’autres, au contraire, qui meuvent ou sont mus essentiellement et en soi. Ainsi, le mouvement est accidentel pour tous les objets qui ne l’ont que parce qu’ils sont dans les moteurs et les mobiles, ou parce qu’ils n’ont le mouvement que dans une partie seulement. Au contraire, les objets sont mobiles et moteurs en soi et essentiellement, toutes les fois qu’ils ne sont pas seulement dans le moteur ou dans le mobile, et quand ce n’est pas simplement une de leurs parties qui meut ou qui est mue.

§ 2[1037]. Entre les moteurs et les mobiles en soi, on peut encore distinguer ceux qui se meuvent eux-mêmes, et ceux qui sont mus par un autre ; ou bien ceux qui se meuvent naturellement, et ceux qui sont mus par force et contre nature. § 3[1038]. Ce qui se meut soi-même est mu selon les lois de la nature ; et ce sont, par exemple, tous les animaux, puisque l’animal est doué de la faculté de se mouvoir lui-même. Aussi pour tous les êtres qui ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement, nous disons que c’est naturellement qu’ils se meuvent ; et c’est ainsi que par le vœu seul de la nature l’animal se meut lui-même tout entier. Quant au corps, il peut tout à la fois être mu, et naturellement, et contre nature ; car il y a grande différence entre les mouvements qu’il peut avoir, comme il y en a entre les éléments dont il est composé. § 4[1039]. Parmi les êtres qui sont mus autrement que par eux-mêmes, les uns le sont suivant la nature, les autres le sont contre nature ; et, par exemple, un mouvement contre-nature, c’est celui des corps terrestres qui iraient en haut, et celui du feu qui irait en bas. § 5[1040]. Les parties des animaux peuvent souvent aussi être mues contre nature, quand elles le sont contre leurs positions régulières, ou contre leurs modes ordinaires de mouvement.

§ 6[1041]. C’est surtout dans les mouvements contre nature qu’on voit clairement que le mouvement est imprimé du dehors au mobile, parce qu’on voit alors avec pleine évidence que le mobile est mu par un autre que lui-même. § 7[1042]. Après ces mouvements contre nature, les plus manifestes sont ceux des êtres qui se meuvent eux-mêmes, comme les animaux que nous citions tout à l’heure. En effet, on ne peut pas hésiter à savoir clairement si c’est un autre qu’eux-mêmes qui les pousse ; mais on peut avoir encore de l’hésitation sur ce qui meut, et ce qui est mu ; car il semble que ce qui se passe pour les bateaux, et pour tous les autres composés qui ne viennent pas de la nature, se passe aussi dans les animaux, où l’on distingue ce qui fait mouvoir et ce qui est mu ; et c’est ainsi qu’on explique le mouvement de tout ce qui se meut soi-même.

§ 8[1043]. Mais il y a le plus grand doute pour le reste de la division que nous venons d’établir. Ainsi, parmi les êtres qui sont mus par une force étrangère, nous avons dit que les uns sont mus naturellement, et que les autres, seule opposition qui reste possible, sont mus contre nature. Ce sont ces derniers pour lesquels il y a difficulté de savoir par quelle cause ils sont mus. Ainsi, quelle est la cause qui meut les corps légers et les corps graves ? Ces deux espèces de corps ne sont portés que par force dans les lieux qui leur sont opposés. Quand ils restent dans leurs lieux propres, le corps léger va naturellement en haut ; le corps grave va naturellement en bas. Mais, en ce cas, qui les meut ? C’est là ce qui n’est pas de toute évidence, comme cela l’est quand ils reçoivent un mouvement qui ne leur est pas naturel. § 9[1044]. En effet, il est bien impossible de dire que ces corps se meuvent alors eux-mêmes ; car cette faculté est toute vitale, et elle appartient exclusivement aux êtres animés. § 10[1045]. S’il en était ainsi, ces corps pourraient tout aussi bien s’arrêter ; et, par exemple, si un corps est lui-même cause de la marche qu’il a, il peut également être cause que cette marche s’arrête. Par conséquent, s’il ne dépendait que du feu de se porter en haut, il pourrait tout aussi bien se porter en bas. § 11[1046]. Il ne serait pas moins déraisonnable de croire que les éléments ne se donneraient qu’un seul et unique mouvement, s’ils avaient la faculté de se mouvoir eux-mêmes,

§ 12[1047]. On peut encore se demander comment il est possible que le continu et l’homogène se meuve lui-même ? En tant que un et continu, ce ne peut pas être par le contact qu’il se meuve, puisqu’à cet égard il est impassible.

Mais c’est seulement en tant que séparés qu’il est possible que, de deux objets, l’un agisse et l’autre souffre l’action. Ainsi donc aucun de ses éléments ne peut se mouvoir lui-même, puisqu’ils sont homogènes, et nul autre continu ne le peut davantage. Mais il faut que dans chaque cas, le moteur soit séparé du mobile, comme nous l’observons pour les choses inanimées, lorsque quelque être animé vient à les mettre en mouvement. § 13[1048]. Or, il est certain que ces choses sont toujours mues par une cause étrangère ; et c’est ce qu’on peut vérifier aisément en divisant les causes. On peut même se convaincre pour les moteurs de l’exactitude des principes qu’on vient de poser. Ainsi les uns sont susceptibles de mouvoir les choses contre nature ; comme le levier qui, naturellement, n’a pas la faculté de mouvoir les corps pesants ; et les autres meuvent selon la nature ; comme, par exemple, ce qui est chaud en acte et en fait, a le pouvoir de mettre en mouvement ce qui n’est chaud qu’en puissance. Même remarque pour tous les cas analogues. De même encore, on peut dire que le mobile selon la nature, est ce qui a en puissance une certaine qualité, une certaine quantité, et une certaine position, en supposant que cet objet a en lui-même un tel principe de mouvement, et qu’il ne l’a pas accidentellement ; car la quantité et la qualité peuvent se confondre ; mais alors l’une n’est qu’accidentellement à l’autre, et elle n’y est pas essentiellement.

§ 14[1049]. Le feu et la terre sont mus de force par quelque cause étrangère, quand ils sont mus contre leur nature propre ; ils sont mus non par force, mais naturellement lorsque, tout en n’étant qu’en puissance, ils tendent à leurs actes spéciaux. § 15[1050]. Mais comme l’expression En puissance a plusieurs acceptions, c’est là ce qui empêche de voir clairement la cause qui meut ces corps, le feu en haut et la terre en bas. § 16[1051]. On est en puissance d’une manière toute différente selon qu’on apprend, ou selon qu’on possède la science, et que l’ayant déjà, on n’en fait point usage. § 17[1052]. Mais toutes les fois que ce qui peut agir et ce qui peut souffrir sont ensemble, le possible vient à l’acte et se réalise. Par exemple, quand on apprend quelque chose, on passe de la simple possibilité à un état où l’on est tout autrement en puissance. En effet, celui qui possède la science, mais qui ne l’applique pas, est savant, on peut dire encore en puissance, mais il ne l’est pas comme il l’était avant de rien apprendre. Quand il est dans cet état, il agit et il emploie sa science si nul obstacle ne s’y oppose ; ou autrement, on devra dire qu’il est dans le contraire de la science et dans l’ignorance. Il en est absolument de même en ceci pour les choses de la nature. Le froid par exemple est chaud en puissance ; et quand il change, il devient du feu et il brûle, si rien ne l’en empêche et ne lui fait obstacle.

§ 18[1053]. C’est une disposition toute pareille pour le léger et le pesant. Le léger vient du pesant, comme par exemple l’air vient de l’eau. Le pesant est en effet d’abord léger en puissance, et il devient léger en réalité et en fait, dès qu’il n’y a rien qui l’en empêche. L’acte du léger, c’est d’être en un certain lieu et en haut ; il en est empêché quand il se trouve dans le lieu contraire ; et tout ceci s’applique également à la quantité et à la qualité. § 19[1054]. Néanmoins on demande encore pourquoi les corps légers ou les corps graves se meuvent chacun vers le lieu qui leur appartient. Il faut répondre que c’est par une loi de la nature qu’ils sont en certains lieux, et que ce qui constitue essentiellement le léger et le pesant, c’est que l’un se dirige exclusivement en haut, et que l’autre se dirige en bas.

§ 20[1055]. Mais ainsi qu’on vient de le dire, il y a plusieurs manières d’entendre le léger et le pesant en puissance. Ainsi, l’eau est bien à certain point de vue, légère en puissance ; et lorsqu’elle est de l’air, il est possible encore que l’air ne soit léger qu’en puissance également ; car s’il rencontre quelque obstacle, il ne peut aller en haut ; mais dès que l’obstacle a disparu, le léger agit et il monte toujours plus haut. De même aussi la qualité change pour arriver à être en acte ; car lorsqu’on sait quelque chose, on peut sur le champ appliquer la science si rien ne vient vous en empêcher. De même encore, la quantité s’étend et se dilate, si rien ne l’arrête. § 21[1056]. Mettre en mouvement l’obstacle qui s’oppose à l’acte et l’empêche, c’est encore mouvoir, du moins d’une certaine manière, et dans un autre sens ce n’est pas précisément mouvoir. Par exemple, si l’on retire la colonne qui soutient quelque chose, ou si l’on ôte une pierre qui est sur une outre dans l’eau, c’est encore mouvoir indirectement, de même que la balle qui est renvoyée est mise en mouvement non par le mur, mais par le joueur qui l’a lancée. § 22[1057]. Il est donc clair qu’aucun de ces corps ne se meut spontanément lui-même ; mais ils ont encore le principe du mouvement, non pour mouvoir ou pour produire le mouvement, mais pour le recevoir et le souffrir.

§ 23[1058]. Ainsi, on le voit, tous les mobiles sont mus, soit naturellement, soit contre nature et par force. Tout ce qui est mu par force et contre nature est mu par quelque cause et quelque cause étrangère. Parmi les choses qui sont mues selon leur nature, celles qui se meuvent elles-mêmes sont mues encore par quelque cause, aussi bien que celles qui ne se meuvent pas par elles-mêmes, comme les corps légers et pesants ; car les corps reçoivent leur mouvement de ce qui les produit en les rendant pesants ou légers, ou de ce qui écarte les obstacles qui les empêchaient d’agir. Donc, il semble que tout ce qui est mu, que tous les mobiles, reçoivent leur mouvement de quelque chose.


CHAPITRE V.

Préliminaires de la théorie générale du moteur immobile. Nouvelles distinctions dans les moteurs ; moteurs directs, moteurs indirects ; mouvement du bâton remontant jusqu’à l’homme qui le fait mouvoir ; double démonstration de ces principes ; il faut toujours arriver en remontant de proche en proche à un moteur qui soit lui-même immobile. Nature du moteur immobile ; opinion d’Anaxagore. — Des espèces différentes de mouvement que le moteur mobile peut recevoir et transmettre ; démonstrations diverses.

§ 1[1059]. La proposition qu’on vient d’énoncer peut avoir deux sens : car, ou le moteur ne meut pas par lui-même, mais par une autre cause qui met le moteur lui-même en mouvement, ou bien le moteur meut par lui même. On peut encore distinguer dans ce dernier cas deux hypothèses : ou le moteur est le premier après l’extrême qui donne le mouvement, ou il meut par plusieurs intermédiaires. Ainsi le bâton meut la pierre, mu lui-même par la main que meut l’homme, et l’homme produit le mouvement, sans lui-même être mu par une autre cause. § 2[1060]. Nous disons également de ces deux moteurs, et du dernier et du premier, qu’ils donnent le mouvement ; mais cela s’applique surtout au premier moteur qui meut le dernier, sans que le dernier puisse à son tour mouvoir le premier. Sans le premier moteur, le dernier reste incapable de mouvoir ; et celui-ci ne peut agir sans celui-là ; car le bâton ne transmettra en rien le mouvement, si l’homme ne le lui donne.

§ 3[1061]. Si donc tout ce qui est mis en mouvement est nécessairement mu par quelque chose, et si c’est par une autre chose qui est mue elle-même ou n’est pas mue, il faut aussi de toute nécessité, en supposant le mobile mu par un autre, qu’il y ait un premier moteur qui ne soit pas mu lui-même par une autre cause. Si ce moteur premier est bien en effet le premier, il n’est pas besoin d’en rechercher un autre ; car il est impossible de remontrer à l’infini du moteur au mobile mu lui-même par un autre, puisque dans l’infini il n’y a point de premier. § 4[1062]. Si donc tout mobile est mu par quelque chose, et si le moteur premier ne peut pas être mu par un autre, il faut de toute nécessité que ce moteur se meuve lui-même.

§ 5[1063]. Voici encore une autre démonstration de ce même principe. Tout moteur meut quelque chose et par quelque chose. Le moteur meut par lui seul ou par l’intermédiaire d’un autre. Par exemple, l’homme meut directement la pierre, ou il la meut par le moyen de son bâton ; et le vent renverse directement un objet, ou c’est la pierre que le vent a chassée. § 6[1064]. Or, il est impossible qu’il y ait mouvement sans un moteur qui meuve par lui-même ce par quoi il meut ; et s’il le meut par lui-même, il n’y a plus besoin qu’il y ait un autre intermédiaire par lequel il meuve. Mais s’il y a quelque autre objet par lequel il meut, il faudra bien un moteur qui meuve, non plus par quelque chose mais par lui-même, ou autrement on irait à l’infini. § 7[1065]. En arrivant à un mobile qui meut à son tour, il faut nécessairement s’arrêter, et il n’y a plus de série à l’infini. En effet, si le bâton donne le mouvement parce qu’il est mu par la main, c’est alors la main qui meut le bâton, Mais si l’on suppose que c’est encore par elle que quelque autre chose donne le mouvement, il faut aussi que le moteur qui la met en mouvement soit différent ; et quand un moteur différent meut par quelque chose, il faut nécessairement qu’il y ait antérieurement un moteur qui meuve par lui-même. § 8[1066]. Si donc, le moteur est mu, et qu’il n’y en ait plus un autre qui le meuve, il faut bien nécessairement qu’il se meuve lui-même spontanément. Par conséquent, ce raisonnement prouve directement que le mobile est mu par le moteur qui se meut lui-même, ou du moins qu’il faut remonter jusqu’à un moteur de ce genre.

§ 9[1067]. On arrive d’ailleurs à cette même conclusion en se mettant à un point de vue nouveau, outre ceux qui viennent d’être indiqués. En effet, si tout ce qui est mu est mis en mouvement par un moteur qui est mu lui-même, il n’y a que cette alternative : ou c’est un accident des choses que le mobile transmette le mouvement qu’il a lui-même reçu, sans se mouvoir de son propre fonds ; ou bien ce n’est pas accidentel, mais c’est en soi.

§ 10[1068]. D’abord si l’on dit que c’est par accident, alors il n’y a pas nécessité que le mobile soit mu ; et ceci admis, il est clair qu’il est possible qu’aucun être au monde n’ait de mouvement ; car l’accident n’est pas nécessaire, et il peut ne pas être. § 11[1069]. Si donc nous admettons que le possible a lieu, il n’y a rien là d’absurde, bien qu’il puisse y avoir une erreur. Mais il est impossible qu’il n’y ait pas de mouvement au monde ; car, ainsi qu’on l’a démontré antérieurement, il y a nécessité que le mouvement soit éternel. § 12[1070]. Ceci d’ailleurs est parfaitement conforme à la raison. En effet, il y a ici trois termes indispensables : le mobile, le moteur, et ce par quoi il cause le mouvement. Le mobile doit nécessairement être mu ; mais il n’y a pas nécessité qu’il meuve à son tour. Quant à ce par quoi le moteur donne le mouvement, il doit à la fois mouvoir et être mu. En effet, ce terme change en même temps que le mobile, puisqu’il est dans le même temps et dans la même condition que lui. C’est ce qu’on peut voir clairement dans les corps, qui meuvent dans l’espace et qui déplacent ; ils doivent en effet se toucher l’un l’autre jusqu’à un certain point. Enfin le moteur est immobile de façon à ce qu’il n’y ait plus d’intermédiaire par lequel il transmette le mouvement. Mais comme nous voyons que le terme extrême est mu sans avoir en lui-même le principe du mouvement, et que le mobile qui est mu l’est par un autre et non par lui-même, il est très rationnel, pour ne pas dire nécessaire, d’en conclure qu’il y a un troisième terme qui meut, tout en restant lui-même immobile. § 13[1071]. Aussi, Anaxagore a-t-il bien raison quand il dit que l’Intelligence est à l’abri de toute affection et de tout mélange, du moment qu’il fait de l’Intelligence le principe du mouvement ; car c’est seulement ainsi, qu’étant immobile, elle peut créer le mouvement, et qu’elle peut dominer le reste du monde en ne s’y mêlant point.

§ 14[1072]. Cependant si le moteur est mu lui-même, non pas par accident, mais nécessairement, et s’il ne peut donner le mouvement sans le recevoir d’abord, il faut nécessairement que le moteur, en tant qu’il est mu, reçoive ou la même nature de mouvement, ou une autre espèce de mouvement. Par exemple, il faut que ce qui échauffe soit lui-même échauffé, que ce qui guérit soit lui-même guéri, que ce qui transporte soit lui-même transporté ; ou bien il faut que ce qui guérit soit transporté, et que ce qui transporte soit doué d’un mouvement d’accroissement. Mais il est trop clair que cette dernière supposition est impossible. En effet, il faudrait alors pousser la division jusqu’aux cas individuels ; et, par exemple, si quelqu’un enseigne la géométrie, il faudrait qu’on lui enseignât aussi à lui-même la même proposition de géométrie qu’il montre à un autre ; si l’on jetait quelque chose, il faudrait qu’on fût soi-même jeté d’un jet tout pareil. Ou bien, si le mouvement n’est pas pareil, il faudrait qu’il fût d’un autre genre, et d’une espèce différente. Ainsi, le corps qui en transporterait un autre, aurait lui-même le mouvement d’accroissement, de même que le corps qui accroîtrait un autre corps serait à son tour altéré par un autre, de même encore que le corps qui en altérerait un autre, aurait aussi lui-même une autre espèce de mouvement. Mais il y a nécessité de s’arrêter quelque part, puisque les espèces de mouvements sont en nombre limité. Si l’on prétend qu’il y a retour du mouvement, et que le corps qui altère est transporté lui-même plus tard, cela revient absolument à dire de prime abord que ce qui transporte est transporté, que ce qui enseigne est enseigné, etc. ; car évidemment tout mobile est toujours mu aussi par le moteur supérieur, et il est mis davantage en mouvement par le premier de tous les moteurs. Mais cela est impossible ; car celui qui enseigne peut bien aussi apprendre lui-même ; mais il n’en faut pas moins nécessairement que l’un n’ait point la science, et que l’autre, au contraire, la possède.

§ 15[1073]. Mais on arrive encore à une autre conséquence bien plus absurde que toutes celles-là, à savoir que tout ce qui peut donner le mouvement le reçoit, si l’on soutient que tout mobile est mu par un autre mobile. Dire qu’il est mu, c’est comme si l’on soutenait que tout ce qui est capable de guérir guérit en effet, et peut lui-même être guéri ; et que ce qui est capable de construire est construit, ou directement ou par plusieurs intermédiaires. Par exemple, cela revient à dire que tout ce qui a la faculté de mouvoir est mis en mouvement par un autre moteur, sans que le mouvement reçu soit le même que celui qui est transmis à la chose voisine, et au contraire, en supposant qu’il est différent, comme si, par exemple, ce qui a la faculté de guérir était instruit. Mais en remontant ainsi de proche en proche, on arriverait à la même espèce de mouvement, ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut. Donc on voit que l’une de ces conséquences est absurde, et l’autre erronée ; car il est absurde de croire qu’un être qui a la faculté de produire une altération, doit nécessairement à son tour être accru. Donc en résumé, il n’est pas nécessaire que tout mobile soit sans exception mis en mouvement par un autre mobile qui serait mu lui-même ; donc il y aura un temps d’arrêt, de telle sorte que de deux choses l’une : ou le mobile sera mu primitivement par quelque chose qui est en repos, ou bien il se donnera à lui-même le mouvement.

§ 16[1074]. Quant à la question de savoir quel est le principe et la vraie cause du mouvement, ou de l’être qui se meut lui-même, ou de celui qui est mu par un autre, c’est ce que tout le monde peut décider ; car ce qui est cause en soi est toujours antérieur à ce qui n’est cause que par un autre.


CHAPITRE VI.

Du moteur qui se donne à lui-même le mouvement, avant de le communiquer à d’autres ; nature du mouvement qu’il se donne ; il y a nécessairement une partie du moteur qui se meut et une autre partie qui est mue ; démonstration de ce principe ; examen de diverses hypothèses.

§ 1[1075]. Comme conséquence de ce qui précède, et en partant d’un principe différent, il faut voir, en supposant qu’il y ait quelque chose qui se meuve soi-même, comment et de quelle manière il se meut.

§ 2[1076]. D’abord tout mobile est nécessairement divisible en parties qui sont elles-mêmes toujours divisibles ; car c’est un principe qu’on a démontré plus haut dans les généralités sur la nature, que tout ce qui est mobile en soi est continu. § 3[1077]. Or, il est impossible que ce qui se meut soi-même se meuve soi-même tout entier ; car alors il serait transporté tout entier, en même temps qu’il transporterait par le même mouvement ; tout en restant un et indivisible spécifiquement, il serait altéré et il altérerait ; il instruirait en même temps qu’il serait instruit ; il guérirait et à la fois serait guéri, relativement à la même guérison.

§ 4[1078]. Il a de plus été établi que si tout mobile est mu, c’est seulement quand il est en puissance et non en acte ; ce qui est en puissance tend à se compléter en devenant actuel, et le mouvement est l’acte incomplet du mobile. Mais le moteur est déjà en acte et en fait. Par exemple, ce qui est chaud échauffe ; et plus généralement, ce qui a la forme, engendre la forme. Il faudra donc conclure que la même chose sera tout à la fois et sous le même rapport chaude et non chaude. Même observation pour tous les autres cas, où le moteur doit nécessairement avoir l’affection synonyme.

§ 5[1079]. Reste donc à dire que dans l’être qui se meut lui-même, il y a une partie qui meut, et une autre partie qui est mue. § 6[1080]. Mais ce qui démontre bien que l’être qui se meut lui-même, ne peut pas se mouvoir de telle façon que l’une des deux parties puisse indifféremment mouvoir l’autre, c’est qu’en effet il n’y aurait plus de premier moteur, si l’une des deux parties pouvait indifféremment mouvoir l’autre à son tour. L’antérieur est bien plus cause du mouvement que ce qui ne vient qu’après lui, et il meut aussi bien davantage. § 7[1081]. Nous avons dit en effet que mouvoir peut se prendre en deux sens : l’un où le moteur est mu lui-même par un autre ; l’autre où il meut par lui seul. Mais ce qui est éloigné du mobile plus que ne l’est le milieu, est aussi plus rapproché du principe. § 8[1082]. De plus, il n’y a de nécessité que le moteur soit mu que quand il l’est par lui-même. Ainsi, une des deux parties ne rend a l’autre le mouvement qu’elle a reçu que par accident ; et voilà comment je supposais qu’elle pouvait ne pas mouvoir. L’une des parties sera donc mue ; et l’autre sera moteur et immobile. § 9[1083]. Ainsi, il n’est pas nécessaire non plus que le moteur soit mu à son tour. Mais ce qui est de toute nécessité, c’est que le moteur qui donne le mouvement soit lui-même immobile, ou qu’il se meuve lui-même, puisqu’il faut toujours qu’il y ait mouvement. § 10[1084]. De plus, le moteur recevrait lui-même le mouvement qu’il donne ; et un corps qui échauffe serait alors lui-même échauffé.

§ 11[1085]. Cependant on ne peut pas dire davantage que ce soit une seule partie, ou plusieurs parties du moteur supposé doué primitivement de la faculté de se mouvoir lui-même, qui chacune se meuvent spontanément ; car si le moteur entier se meut lui-même, il faut ou qu’il soit mu par une quelconque de ses parties, ou que le tout soit mu par le tout. Si donc il est mu parce qu’une de ses parties se meut spontanément, c’est alors cette partie spéciale qui sera le moteur qui primitivement se meut lui-même ; car séparée du reste, cette partie pourra se mouvoir encore, tandis que sans elle l’entier ne le pourra plus. Si ensuite on suppose que c’est le corps entier qui se meut lui-même tout entier, alors les parties ne se donneront plus le mouvement qu’indirectement. Par conséquent, si elles ne sont pas nécessairement en mouvement, on peut supposer qu’elles ne se meuvent pas elles-mêmes. Ainsi sur la masse entière, une partie donnera le mouvement en demeurant immobile ; et l’autre partie sera mue ; car c’est seulement ainsi qu’on peut comprendre le mouvement spontané.

§ 12[1086]. Admettons encore que ce soit une ligne qui se meuve ainsi elle-même tout entière ; une partie de cette ligne donne le mouvement ; une autre partie le reçoit. La ligne AB pourra donc tout à la fois et se mouvoir elle-même, et elle sera mise en mouvement par A. § 13[1087]. Mais puisque le mouvement peut être donné, soit par un moteur qui est mu lui-même par quelque autre chose, soit par un moteur immobile, et que le mouvement peut être reçu, soit par un mobile qui meut quelque chose à son tour, soit par un mobile qui ne meut plus rien, le moteur qui se meut lui-même doit donc nécessairement être composé et d’une partie immobile qui meut, et d’une partie mobile qui, elle, ne meut pas nécessairement, mais qui peut indifféremment mouvoir ou ne mouvoir pas. Soit A le moteur immobile ; et B, qui est mu par A et qui à son tour meut C ; enfin C, qui est mu par B, mais qui ne meut rien absolument ; car bien que B puisse atteindre C par plusieurs intermédiaires, nous supposons ici que c’est par un seul. Le tout ABC a la puissance de se mouvoir lui-même. Si je retranche C, AB pourra toujours se mouvoir lui-même ; car c’est A qui donne le mouvement, et c’est B qui le reçoit. Mais C ne peut pas se mouvoir lui-même ; et il ne sera mu en aucune façon. Mais BC lui-même ne pourrait non plus se mouvoir davantage sans A ; car B ne peut donner le mouvement que parce qu’il est mu lui-même par un autre, et non point par une de ses parties. Ainsi donc AB est seul à se mouvoir lui-même. Donc le corps qui se meut lui-même doit nécessairement avoir une partie qui est un moteur immobile, et aussi une partie qui est mue et qui ne meut plus rien nécessairement à son tour.

§ 14[1088]. Maintenant, ou ces deux éléments se touchent mutuellement, ou bien l’un des deux seulement touche l’autre. § 15[1089]. Si le moteur est continu, car pour le mobile il est continu de toute nécessité, il est clair que le tout se meut, non point parce qu’une partie en lui a la faculté spéciale de se mouvoir elle-même ; mais c’est l’ensemble qui se meut tout entier lui-même, mobile et moteur tout à la fois, parce qu’il y a en lui quelque chose qui est mu et qui meut. Ce n’est pas le tout qui meut, et ce n’est pas non plus le tout qui est mu ; mais c’est A tout seul qui donne le mouvement, et B tout seul qui le reçoit.

§ 16[1090]. En supposant que le moteur immobile soit continu, on peut se demander si, après qu’on aura enlevé une partie de A ou une partie de B qui est mu par A, le reste de A donnera encore le mouvement, ou si le reste de B le recevra encore. Si cela est possible, en effet, c’est que primitivement ce n’était pas AB qui pouvait se mouvoir lui-même, puisqu’un certain retranchement étant fait sur AB, le reste de AB pourra néanmoins continuer à se mouvoir. § 17[1091]. Rien n’empêche qu’en puissance tous les deux, ou au moins l’un des deux, c’est-à-dire le mobile, ne soit divisible ; mais, en fait, il reste absolument indivisible ; et s’il est divisé, il ne conservera plus la même puissance. Par conséquent, rien ne s’oppose à ce que cette propriété de se mouvoir soi-même, ne se trouve primitivement dans des corps qui soient divisibles en puissance.

§ 18[1092]. De tout ceci, il résulte donc qu’évidemment le moteur primitif est immobile ; car soit que le mobile, qui reçoit le mouvement d’un autre, s’arrête sans intermédiaire et tout à coup au primitif immobile ; soit qu’il s’arrête à un autre mobile qui a en outre la faculté de se mouvoir lui-même et d’être en repos, des deux façons le moteur primitif ne s’en retrouve pas moins immobile, après tous les termes qu’il met en mouvement.


CHAPITRE VII.

La perpétuité nécessaire du mouvement implique l’existence d’un moteur éternel et Immobile ; le moteur immobile est sans parties, et il est immuable. Il est unique en même temps qu’il est éternel. Démonstrations préliminaires de ces principes.

§ 1[1093]. Puisqu’il faut que le mouvement soit perpétuel et que jamais il ne cesse, il faut nécessairement aussi qu’il y ait quelque chose d’éternel qui meuve primitivement, soit unique, soit multiple ; et que ce soit là le premier moteur immobile. § 2[1094]. D’ailleurs que toutes les choses qui sont immobiles, mais qui ne produisent point le mouvement, soient éternelles, peu importe pour la théorie que nous exposons maintenant. Mais voici les arguments qui prouveront qu’il faut de toute nécessité qu’il existe quelque chose d’immobile, à l’abri de toute espèce de changement, soit absolue soit accidentelle, et qui ait la faculté de communiquer le mouvement à un autre et en dehors de lui.

§ 3[1095]. Il y a des choses, si l’on veut, qui peuvent indifféremment tantôt être et tantôt n’être pas, sans qu’il y ait ni naissance ni destruction ; car on voit sans peine que, si une chose sans parties tantôt est et tantôt n’est pas, il faut nécessairement que ce soit sans subir le moindre changement qu’une chose de ce genre doive tantôt être et tantôt n’être pas. On voit aussi que parmi les principes qui sont immobiles, quoique capables de mouvoir, il se peut qu’il y en ait quelques-uns qui tantôt soient et tantôt ne soient pas ; supposition qu’on peut faire pour quelques-uns, mais qu’on ne peut faire pour tous. § 4[1096]. En effet, il est clair que pour les choses qui se meuvent elles-mêmes, il doit y avoir une cause qui fait que tantôt elles sont et que tantôt elles ne sont pas, Tout ce qui se meut soi-même doit nécessairement avoir une certaine grandeur, puisque une chose sans parties ne peut jamais être mue. Mais d’après ce que nous avons dit, il n’est pas du tout nécessaire que le moteur ait des parties. Si certaines choses se produisent et si d’autres périssent, et, cela perpétuellement, on ne peut pas chercher la cause de ce phénomène continuel dans des choses qui sont bien sans doute immobiles, mais qui ne sont pas cependant éternelles. On ne peut pas non plus la chercher davantage, dans des choses qui meuvent celles-là éternellement, mais qui sont mues à leur tour par d’autres. C’est qu’en effet les choses de ce genre, ni séparément ni toutes ensemble, ne peuvent jamais être causes de l’éternel et du continu. Qu’il en soit ainsi, c’est là un fait éternel et nécessaire, Mais toutes ces choses sont infinies en nombre, et elles n’existent pas toutes à la fois. Donc évidemment, en supposant aussi nombreux qu’on voudra les principes des choses qui sont immobiles, mais qui en meuvent d’autres ; en supposant que beaucoup de ces choses qui se meuvent elles-mêmes périssent et renaissent, et que le moteur immobile meuve telle chose, qui à son tour en meut une autre, il n’en existe pas moins quelque chose qui enveloppe et comprend tout cela, qui est en outre de chacune de ces choses, qui est la cause de cette alternative d’existence et de destruction, de ce changement continuel, et qui communique le mouvement à certaines choses qui elles-mêmes le transmettent à d’autres.

§ 5[1097]. Puis donc que le mouvement est éternel, il faut aussi que le moteur primitif soit éternel comme lui, en supposant que ce moteur soit unique ; et s’il y en a plusieurs, il faut qu’ils soient également éternels. § 6[1098]. Or, on doit penser que l’unité du moteur vaut mieux que sa pluralité ; et on doit les supposer finis plutôt qu’infinis, si l’on en admet plusieurs ; car toutes conditions restant égales, il vaut toujours mieux les supposer finis, puisque dans les choses de la nature, le fini et le meilleur, quand ils sont possibles, sont plus ordinairement que le contraire. Mais il suffit même d’un seul principe, primitif et éternel parmi les immobiles, pour produire le mouvement et en être la cause dans tout le reste des choses.

§ 7[1099]. Ce qui prouve encore clairement qu’il faut de toute nécessité que le premier moteur soit quelque chose d’un et d’éternel, c’est que, d’après ce qui a été démontré plus haut, il faut nécessairement que le mouvement soit éternel lui-même. Or, si le mouvement est éternel, il faut non moins nécessairement qu’il soit continu ; car ce qui est éternellement est continu, tandis que le successif n’est pas continu. D’autre part si le mouvement est continu, il est un ; et j’entends par Un le mouvement où il n’y a qu’un seul moteur et qu’un seul mobile ; car si le moteur meut une chose, puis une autre, dès lors le mouvement entier n’est plus continu ; mais il est successif.


CHAPITRE VIII.

Autre démonstration de l’existence nécessaire d’un moteur immobile. Du mouvement dans les êtres animés ; il y a en eux des mouvements qu’ils ne peuvent pas se donner ; nature du mouvement qu’ils se donnent. Le moteur immobile ne peut être mu accidentellement, comme le sont parfois les animaux.

§ 1[1100]. Les considérations qui précèdent suffiraient pour démontrer l’existence d’un primitif immobile ; mais l’on peut s’en convaincre encore en regardant aux principes suivant lesquels agissent les moteurs.

§ 2[1101]. Il est d’observation évidente que, parmi les choses, il en est quelques-unes qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos. L’observation démontre également que toutes les choses ne sont pas en mouvement sans exception, ni que toutes ne sont pas en repos, pas plus qu’elles ne sont ni toujours en repos ni toujours en mouvement ; car c’est là ce que prouvent bien les choses qui participent à l’un et à l’autre, et qui ont la faculté tantôt de se mouvoir et tantôt de rester dans l’inertie. § 3[1102]. Bien que ce soient là des faits incontestables pour tout le monde, nous nous proposons néanmoins d’expliquer la nature de ces deux sortes de phénomènes, et de prouver que parmi les choses les unes sont éternellement immobiles, et que les autres sont éternellement mues. En procédant à cette démonstration, et en posant les principes suivants à savoir : que tout mobile est mu par quelque chose, que ce quelque chose est ou immobile, ou mu à son tour, et s’il est mu, qu’il est toujours mu ou par lui-même spontanément ou mu par une autre cause, nous en sommes arrivés à établir qu’il y a un principe pour tout ce qui est mu ; que pour les mobiles, ce principe est le moteur qui se meut lui-même ; et que pour toutes les choses de l’univers, c’est l’immobile.

§ 4[1103]. D’abord nous voyons avec pleine évidence qu’il existe certaines choses qui se meuvent elles-mêmes ; et tels sont par exemple les êtres vivants et les animaux. C’est même cette propriété de certains êtres qui a donné à penser que le mouvement pourrait bien naître, sans du tout exister préalablement, parce qu’on voyait qu’il en était ainsi dans ces êtres, qui étant par fois immobiles se meuvent ensuite, du moins à ce qu’il semble, § 5[1104]. Il faut bien remarquer aussi que ces êtres ne se donnent à eux-mêmes qu’une seule espèce de mouvement, et qu’encore ils ne se la donnent pas positivement, puisque la cause n’en vient pas de l’animal même. De plus, il y a dans ces êtres d’autres mouvements qu’ils ne peuvent pas se donner, bien que ces mouvements soient fort naturels, l’accroissement, la destruction, la respiration, tous mouvements que possède chaque animal, même en étant en repos et sans recevoir le mouvement spécial qu’il a la faculté de pouvoir se donner à lui-même. La cause de ces mouvements différents, c’est le milieu où vit l’animal, et l’ingestion des éléments divers qui entrent en lui. C’est par exemple, pour certains phénomènes, la nourriture que prennent les animaux. Quand ils la digèrent, ils dorment ; et quand elle est distribuée dans le corps, ils s’éveillent, et ils se mettent en mouvement, la cause première de ce mouvement leur étant étrangère. Voilà comment les animaux ne se meuvent pas continuellement eux-mêmes ; car dans les êtres qui se meuvent eux-mêmes, le moteur doit être différent d’eux, bien qu’il puisse lui-même être mu et qu’il puisse changer.

§ 6[1105]. Dans tous ces cas, le moteur primitif, c’est-à-dire ce qui est à soi-même la cause du mouvement, se meut bien spontanément, mais c’est cependant d’une façon accidentelle. Le corps en effet change de place ; et c’est de cette manière que change aussi de lieu ce qui est dans le corps, et se meut lui-même par une action analogue à celle du levier.

§ 7[1106]. De ces faits, on peut tirer la conséquence, que si une chose est comprise parmi les immobiles qui sont moteurs, tout en étant eux-mêmes mus indirectement, elle ne peut jamais produire un mouvement qui soit continuel. Or, puisque nécessairement il faut que le mouvement soit continu, il doit y avoir aussi un certain moteur primitif qui soit immobile et qui ne meuve pas seulement par accident, s’il est bien vrai, ainsi que nous l’avons dit, qu’il doit y avoir dans les choses un mouvement indéfectible et immortel, et que l’être demeure ce qu’il est en lui-même et dans le même lieu ; car le point de départ, le principe restant ce qu’il est, il faut nécessairement que tout demeure aussi de même, rattaché d’une manière continue au principe. § 8[1107]. Il ne faut pas d’ailleurs confondre le mouvement accidentel que l’être se donne à lui-même et celui qu’il reçoit d’une autre cause ; car le mouvement qui vient d’une cause étrangère peut se rencontrer aussi dans certains principes de choses qui sont dans le Ciel et peuvent avoir plusieurs espèces de translations, tandis que l’autre mouvement appartient exclusivement aux êtres périssables.


CHAPITRE IX.

Le premier mobile que meut le moteur immobile et éternel, doit être éternel comme lui ; c’est ce mobile seul qui peut être cause du changement ; l’éternel est immuable, et ne peut produire qu’un seul et Identique mouvement.

§ 1[1108]. S’il existe bien en effet éternellement un principe qui soit, ainsi que nous le disons, moteur tout en étant immobile et éternel, il faut que le premier mobile qu’il met en mouvement soit éternel ainsi que lui. § 2[1109]. Ce qui le prouve, c’est que la naissance, la destruction et le changement ne peuvent pas se trouver autrement dans les choses qu’à cette seule condition, à savoir qu’un certain mobile communiquera le mouvement reçu par lui. En effet, l’immobile donnera toujours le même mouvement, de la même manière et un mouvement unique, puisqu’il ne change jamais dans son rapport avec le mobile qu’il meut. Mais le mobile, au contraire, mu par l’immobile ou par un mobile qui a déjà reçu le mouvement, se trouvant dans des rapports constamment divers avec les choses, pourra ne plus être cause d’un mouvement identique. Comme il est dans des lieux contraires ou qu’il revêt des formes contraires, ce sera d’une façon contraire aussi qu’il communiquera le mouvement à chacun des autres mobiles, selon qu’il sera lui-même tantôt en repos, et tantôt en mouvement.

§ 3[1110]. Ce que nous venons de dire doit résoudre la question que nous nous étions posée au début : Pourquoi tout n’est-il pas ou en mouvement, ou en repos ? Pourquoi certaines choses sont-elles dans un mouvement éternel ? Pourquoi d’autres sont-elles dans un éternel repos ? Pourquoi y a-t-il des choses qui tantôt sont en mouvement, et tantôt n’y sont pas ? La cause en est maintenant évidente : c’est que les unes sont mues par un immobile éternel, et alors elles changent éternellement, tandis que les autres n’étant mues que par un mobile qui change lui-même, doivent nécessairement changer aussi. Quant à l’immobile qui, ainsi que nous l’avons déjà dit, persiste d’une manière absolue, identique et toujours la même, il ne peut donner qu’un seul et absolu mouvement.


Ch, IX,

CHAPITRE X.

Le premier mouvement est la translation ou déplacement dans l’espace ; démonstration de ce principe. — Le mouvement, étant nécessaire et éternel, doit être continu. Des trois espèces de mouvement, en quantité, en qualité et dans l’espace, c’est le mouvement dans l’espace ou de translation, qui est le premier des mouvements. Examen du mouvement d’altération ; condensation et raréfaction ; le mouvement continu est au-dessus du mouvement successif ; examen du mouvement de génération. De la locomotion dans les animaux et dans les êtres vivants. — Résumé sur la translation.

§ 1[1111]. Il est possible de rendre tout ceci encore plus clair en prenant un autre point de départ, c’est-à-dire en recherchant s’il peut ou non y avoir un mouvement continu ; et, si ce mouvement peut exister, en recherchant ce qu’il est, et quel est le premier de tous les mouvements. Il est évident, puisque le mouvement éternel est nécessaire, que le moteur premier produit cette espèce de mouvement qui doit être de toute nécessité un, le même, continu et premier.

§ 2[1112]. Parmi les trois espèces de mouvement qui se rapportent, celle-ci à la grandeur, celle-là à la qualité et l’autre à l’espace, le mouvement dans l’espace que nous appelons la translation, doit être nécessairement le premier mouvement. En effet, l’accroissement ne peut avoir lieu si l’on ne suppose une altération préalable. Ce qui est accru s’accroit en partie par le semblable, et en partie par le dissemblable. Le contraire, comme on dit, est l’aliment du contraire ; et tout s’adjoint et s’agglomère en devenant semblable au semblable. Par conséquent, l’altération peut être appelée le changement dans les contraires. Mais si la chose est altérée, il faut un altérant qui fasse, par exemple, d’une chose qui n’est chaude qu’en puissance, une chose qui est chaude en acte et en réalité. Donc évidemment, le moteur n’est pas toujours ici au même état ; mais il est tantôt plus près et tantôt plus loin de la chose altérée. Or, tout ceci est impossible sans un déplacement, une translation. Si donc le mouvement est toujours nécessaire, il faut aussi que la translation soit toujours le premier des mouvements ; et, si dans la translation même on en distingue d’antérieures et de postérieures, c’est la première de toutes les translations qui est le premier mouvement.

§ 3[1113]. D’un autre côté, le principe de toutes les affections des choses c’est la condensation et la raréfaction. La pesanteur et la légèreté, le dur et le mou, la chaleur et le froid ne sont, à ce qu’il semble, que des modifications qui condensent ou qui raréfient les corps d’une certaine manière. La condensation et la raréfaction ne sont au fond que la réunion et la division des éléments, d’après lesquelles on dénomme la génération ou la destruction des substances. Mais, pour se réunir tout aussi bien que pour se diviser, il faut également changer de lieu ; de même encore que pour s’accroître et pour dépérir, il faut également aussi que la grandeur change de lieu dans l’espace.

§ 4[1114]. Voici encore une autre manière de se convaincre que la translation est le premier des mouvements. Le mot de Premier peut, quand il s’agit du mouvement aussi bien que pour tout le reste, recevoir plusieurs acceptions. On entend par premier et antérieur ce dont l’existence est indispensable à l’existence des autres choses, et qui, lui, peut lui-même exister sans elles. Or cette antériorité peut concerner et le temps et la substance. § 5[1115]. Comme il y a nécessité que le mouvement existe continûment, c’est ou le mouvement continu qui existera contingentent, ou c’est le mouvement successif ; mais c’est bien plutôt le mouvement continu ; car le continu est préférable au successif ; et l’on doit supposer que le mieux existe toujours dans la nature du montent qu’il est possible. Quant à la possibilité d’un mouvement continu, nous la démontrerons plus loin, et en attendant nous la supposons. Mais il n’est pas possible qu’un autre mouvement que la translation soit continu ; et, par conséquent, il est nécessaire que la translation soit le premier mouvement. En effet, il n’y a aucune nécessité que le corps transporté s’accroisse ou s’altère ; il n’y a aucune nécessité qu’il naisse ou qu’il périsse, tandis qu’aucun de ces mouvements n’est possible sans ce mouvement continu que peut seul produire le premier moteur. § 6[1116]. On doit ajouter que la translation est chronologiquement le premier mouvement ; car les choses éternelles ne peuvent pas en avoir d’autre.

§ 7[1117]. Au contraire, dans toutes les choses qui sont soumises à la génération, c’est la translation qui est nécessairement le dernier des mouvements ; car, après que les êtres sont nés, le premier mouvement pour eux c’est l’altération et la croissance, tandis que la translation ne peut être le mouvement que des êtres qui sont déjà complets et parachevés. § 8[1118]. Mais il faut nécessairement qu’il y ait aussi quelque autre chose qui soit antérieurement mue par translation, une chose qui, sans être produite elle-même, soit cause de la production pour les choses qui sont produites : comme, par exemple, l’être qui engendre est cause de l’être qui est engendré. On pourrait croire, il est vrai, que la génération est le premier des mouvements, parce qu’il faut tout d’abord que la chose commence par naître ; et de fait il en est bien ainsi pour une quelconque des choses qui naissent et se produisent, Mais nécessairement il y a quelque autre chose en mouvement avant les choses qui se produisent, quelque chose qui existe déjà lui-même, et qui lui-même n’est pas produit. Puis il faut encore une autre chose antérieure à celle-là.

§ 9[1119]. Mais la génération ne pouvant être le premier mouvement, puisqu’alors tout ce qui est en mouvement serait périssable, il est clair qu’aucun des mouvements postérieurs à la génération ne peut être antérieur à la translation. J’entends par mouvements postérieurs l’accroissement et l’altération, la décroissance et la destruction, tous mouvements qui ne peuvent venir qu’après la naissance et la génération. Donc, si la génération n’est pas antérieure à la translation, aucun des autres changements ne le sera davantage. § 10[1120]. En général, ce qui devient et se produit semble toujours incomplet, et semble toujours tendre à son principe. Par conséquent aussi, ce qui est postérieur par génération paraît antérieur par nature ; et c’est la translation qui est la dernière pour toutes les choses soumises à la génération. § 11[1121]. Aussi dans les êtres vivants, en voit-on qui sont absolument immobiles par défaut d’organes, les plantes, par exemple, et bon nombre d’animaux. D’autres plus parfaits ont le mouvement de translation. De telle sorte que, si la translation appartient plus particulièrement aux êtres qui ont une nature plus complète, cette espèce même de mouvement est donc par essence le premier de tous les mouvements.

§ 12[1122]. Voilà bien ce qui en fait le premier des mouvements. Mais elle l’est encore par cette raison que dans le mouvement de translation le mobile sort moins de sa substance que dans tout autre espèce de mouvement. Il n’y a que ce mouvement où il ne change rien de son être, de même qu’il change sa qualité dans l’altération, et sa quantité dans la croissance et le décroissement.

§ 13[1123]. Mais voici une nouvelle preuve plus forte que toutes les autres : c’est que le moteur qui se meut lui-même se donne d’une manière tout à fait spéciale ce mouvement de translation. Aussi disons-nous que c’est ce qui se meut soi-même qui est le principe et la cause première du mouvement, pour tous les mobiles et les moteurs, quels qu’ils soient. Donc, en résumé, il est évident d’après tout ceci que la translation est le premier des mouvements.


CHAPITRE XI.

La translation seule peut être continue ; les autres mouvements ne peuvent pas l’être ; la génération et la destruction, l’altération, l’accroissement et la décroissance, supposent toujours un certain temps dans l’intervalle.

§ 1[1124]. Maintenant, il faut expliquer la nature de cette translation première ; et la même étude nous conduira à démontrer évidemment la vérité du principe que nous supposons ici, comme nous l’avons déjà supposé antérieurement, à savoir qu’il peut y avoir un mouvement continu et éternel.

§ 2[1125]. Voici d’abord ce qui prouvera qu’aucun mouvement autre que la translation ne peut être continu. En effet, tous les mouvements et tous les changements sans exception ont lieu des opposés aux opposés. Par exemple, l’être et le non-être sont les limites de la génération et de la destruction ; pour l’altération, les limites sont les affections contraires des choses ; pour l’accroissement et la décroissance, c’est la grandeur ou la petitesse ; c’est encore l’achèvement ou l’inachèvement d’une grandeur déterminée. Les mouvements contraires sont ceux qui aboutissent aux contraires. Or ce qui n’a pas éternellement tel ou tel mouvement, s’il existait antérieurement, a dû de toute nécessité être antérieurement dans le repos. Donc, évidemment, ce qui change aura un instant de repos dans le contraire. § 3[1126]. Il en est de même pour les autres espèces de changements. Ainsi, la destruction et la génération sont opposées l’une à l’autre, d’une manière générale, si on les considère d’une manière générale ; et chaque destruction en particulier est opposée à chaque génération particulière. Par conséquent, s’il est impossible qu’un même objet subisse à la fois des changements opposés, il n’y aura pas de changement continu ; mais il y aura un temps de repos dans l’intervalle de ces changements divers. § 4[1127]. Peu importe d’ailleurs que les changements qui sont compris sous la contradiction de l’être et du non-être, soient ou ne soient pas réellement contraires, pourvu qu’ils ne puissent pas s’appliquer à la fois au même objet ; car ce n’est d’aucune utilité pour notre démonstration. § 5[1128]. Peu importe même qu’il n’y ait pas nécessité absolue d’un repos dans la contradiction, et qu’il n’y ait pas non plus de changement contraire au repos ; car le non-être n’est peut-être pas en repos, et la destruction qui tend au non-être n’y est pas davantage. Mais il suffit ici qu’il y ait du temps dans l’intervalle, pour que dès lors le mouvement ne soit plus continu. En effet, la contrariété n’est pas utile à supposer dans les choses antérieures, et il suffit que les deux états ne puissent pas appartenir à la fois à un même objet.

§ 6[1129]. Mais il ne faut pas s’inquiéter de nous voir admettre qu’une même chose peut être à elle seule contraire à plusieurs, comme le mouvement, par exemple, est à la fois contraire et à l’inertie et au mouvement en sens contraire, Mais il suffit de comprendre que le mouvement contraire est opposé d’une certaine façon et au mouvement et au repos, tout de même que l’égal et le moyen sont opposés tout à la fois et à ce qui surpasse et à ce qui est surpassé, et que les mouvements ou les changements opposés ne peuvent coexister dans un même être simultanément. § 7[1130]. Il faut ajouter pour la génération et la destruction, qu’il serait tout à fait absurde de supposer que nécessairement l’être périt aussitôt après qu’il est né, sans subsister la moindre parcelle de temps. Donc, tout ceci peut expliquer tout aussi bien les changements qui sont différents de la génération ; car il est dans les lois de la nature qu’il en soit de même pour toutes les espèces de changements.


CHAPITRE XII.

Le mouvement circulaire est le seul qui puisse être infini, simple et continu ; le mouvement en ligne droite ne peut être continu. Démonstration de ce principe ; la ligne droite étant toujours finie, le mobile doit revenir sur lui-même ; et comme il y a nécessairement un temps d’arrêt au point où le mouvement recommence, le mouvement ne peut être continu. — Réfutation du système de Zénon, qui prétend que le mobile ne pourra jamais atteindre le milieu de sa course pour revenir de là sur ses pas ; réponse à ce sophisme ; comment il est possible de parcourir l’infini en puissance, si ce n’est en acte. Des mouvements contraires ; nature particulière du mouvement circulaire, partant de soi et revenant à sol ; il n’y a pas de répétition nécessaire comme dans les autres espèces de mouvement ; c’est le seul mouvement parfait. — Erreur des Naturalistes sur le flux perpétuel des choses.

§ 1[1131]. Expliquons maintenant comment il peut y avoir un mouvement d’une certaine espèce, infini, unique et continu ; et prouvons que ce mouvement est le mouvement circulaire.

§ 2[1132]. Tout corps animé d’un mouvement de translation se meut, ou circulairement, ou en ligne droite, ou d’une façon mixte composée de l’un et de l’autre. § 3[1133]. Or, par une conséquence évidente, si l’un de ces deux premiers mouvements n’est pas continu, il est également impossible que le mouvement formé des deux le soit davantage.

§ 4[1134]. Il est clair d’abord que le corps qui se meut en ligne droite et dans une ligne finie ; ne peut avoir un mouvement continu ; car il revient sur lui-même ; et en revenant en ligne droite, il a les mouvements contraires. Ainsi, dans l’espace, le mouvement en haut est contraire au mouvement en bas ; le mouvement en avant est contraire au mouvement en arrière ; et le mouvement à droite est contraire au mouvement à gauche ; car ce sont là les oppositions du lieu et de l’espace que nous avons distinguées. Nous avons aussi établi antérieurement les conditions d’un mouvement un et continu, et nous avons dit que c’est le mouvement d’une seule chose dans un seul temps, et dans une chose qui n’a pas de différence spécifique. En effet, il y a trois termes à considérer, d’abord le mobile, l’homme ou Dieu ; puis le moment où le mouvement se passe, c’est-à-dire le temps ; puis ce dans quoi il se passe, c’est-à-dire le lieu, l’affection, l’espèce ou la grandeur. Mais les contraires diffèrent en espèce et ne sont pas un ; et les différences du lieu sont celles qu’on vient d’énumérer.

§ 5[1135]. Ce qui prouve bien que le mouvement de A en B est contraire au mouvement de B en A, c’est que ces deux mouvements s’arrêtent et s’empêchent mutuellement quand ils sont simultanés. Il en est de même pour le cercle. Ainsi, le mouvement de A en B est contraire au mouvement de A en C. Ils s’arrêtent réciproquement, bien qu’ils soient continus et qu’il n’y ait pas de retour, parce que les contraires se détruisent et s’empêchent mutuellement. Mais le mouvement oblique n’est pas le contraire du mouvement en haut. § 6[1136]. D’ailleurs, ce qui démontre surtout que le mouvement en ligne droite ne peut être continu, c’est que le corps qui revient sur lui-même doit nécessairement s’arrêter un instant, non-seulement sur la ligne droite, mais encore sur le cercle où son mouvement se fait. § 7[1137]. Car ce n’est pas la même chose d’avoir un mouvement circulaire et d’avoir un mouvement sur le cercle, puisqu’il se peut que le corps continue son mouvement, ou que rétrogradant au point d’où il était parti, il revienne de nouveau sur ses pas.

§ 8[1138]. Mais qu’il y ait nécessité absolue que le mouvement s’arrête ici un instant, c’est ce dont on peut se convaincre non pas seulement par l’observation sensible, mais encore par la raison seule. § 9[1139]. Voici notre principe : Trois choses étant à considérer, le point de départ, le milieu et la fin, le milieu, par rapport à chacun des deux autres termes, est les deux à la fois ; numériquement il est un ; mais rationnellement il est deux. § 10[1140]. De plus, il faut ici distinguer toujours entre la puissance et l’acte, de telle sorte qu’un point quelconque de la droite pris entre les extrémités est le milieu en puissance, mais il ne l’est pas en fait, à moins qu’il ne divise cette droite, et qu’après un temps d’arrêt, le mouvement ne recommence ; car c’est de cette façon seulement que le milieu devient tout ensemble commencement et fin, commencement du mouvement qui suit, fin du mouvement qui précède. § 11[1141]. Je donne un exemple. Soit A qui se déplace, s’arrêtant à B, et étant mu ensuite en C. Tant qu’il est dans un mouvement continu, A ne peut ni être allé au point B ni s’en être éloigné ; mais il ne peut y être qu’un instant, c’est-à-dire sans aucun temps appréciable ; il n’y est que dans le temps total ABC, dont cet instant est une division.

§ 12[1142]. Que si l’on suppose que A s’approche et s’éloigne de B, alors il faudra toujours que A s’arrête dans son déplacement ; car il est bien impossible que A s’approche et s’éloigne en même temps de B. Or ce sera nécessairement dans un point différent du temps. Il y aura donc du temps ; et ce sera le temps intermédiaire entre deux mouvements. A, par conséquent, s’arrêtera en B. De même pour les autres points ; car le même raisonnement s’applique à tous. § 13[1143]. Mais lorsque A dans son mouvement emploie le milieu B comme fin et comme commencement, alors il faut bien qu’il s’y arrête, puisqu’il en fait deux, absolument comme la pensée pourrait aussi le faire. § 14[1144]. Cependant le corps s’est éloigné du point A, qui est le commencement ; et il est arrivé à C, quand il finit son mouvement et qu’il s’arrête.

§ 15[1145]. Voici ce qu’on peut répondre à un doute, puisqu’en effet on en élève un, qui consiste dans l’argument suivant : Si E est égal à F, et si A se meut d’un mouvement continu de l’extrémité vers C, A est alors au point B en même temps que D se meut de l’extrémité F vers G, d’un mouvement uniforme, et avec la même vitesse que A. D arrivera à G avant que A n’arrive à C ; car, nécessairement, ce qui s’est mis le premier en mouvement et est parti auparavant, doit aussi arriver auparavant. § 16[1146]. Ce n’est donc pas en même temps que A est arrivé à B et qu’il s’est éloigné de B. Aussi arrive-t-il plus tard ; car si c’était en même temps, il ne retarderait pas ; mais il faut nécessairement qu’il y ait eu un certain temps d’arrêt. § 17[1147]. Donc, il ne faut pas admettre que, quand A parvenait en B, D s’éloignait en même temps de l’extrémité F ; car si A arrive en B, il faudra aussi qu’il s’en éloigne ; et ce ne pourra pas être en même temps, mais c’était dans une section du temps, et non pas dans le temps lui-même. Or, il est impossible d’appliquer au continu ce qu’on vient de dire.

§ 18[1148]. Quant au mouvement qui revient sur lui-même, c’est là au contraire ce qu’il faut en dire nécessairement ; car si FG avait un mouvement en D, et que, revenant sur lui-même, il fût porté en bas, alors il emploie l’extrémité D comme fin et comme commencement, c’est-à-dire que d’un seul point il en fait deux. Donc, nécessairement il s’arrête et ce n’est pas en un même temps qu’il peut arriver à D et s’éloigner de D ; car alors il serait, et tout ensemble il ne serait point, dans le même instant. § 19[1149]. Mais on ne peut pas admettre ici la solution que nous donnions tout à l’heure ; car on ne peut pas dire que FG soit en section à D, ni qu’il y soit arrivé, et qu’ensuite il s’en éloigne. C’est qu’étant en acte et non plus en simple puissance, il doit atteindre nécessairement la fin. Or, ce qui est au milieu n’est qu’en puissance, tandis que G est en acte. C’est la fin quand le mouvement part d’en bas ; c’est le commencement quand le mouvement part d’en haut ; et il en est de même aussi pour les mouvements,

§ 20[1150]. Donc, nécessairement le corps qui revient en ligne droite sur ses pas doit s’arrêter ; donc aussi, sur la ligne droite, il est impossible qu’il y ait un mouvement continu éternel.

§ 21[1151]. Cette même réponse peut être opposée à ceux qui admettent l’objection de Zénon, contre le mouvement, et qui prétendent, que, si l’on doit, toujours atteindre et passer le milieu, les milieux sont infinis en nombre, et que l’infini ne peut pas être parcouru. § 22[1152]. Ou bien selon la forme différente que l’on donne encore à cette même objection, on prétend qu’en même temps que le mouvement parcourt la première moitié de l’étendue, il doit être possible de compter chaque milieu qui se produit successivement, et que par conséquent, quand on a parcouru la ligne entière on a réellement compté aussi un nombre infini. Or, tout le monde accorde que c’est là quelque chose de tout à fait impossible.

§ 23[1153]. Dans nos premières recherches sur le mouvement, nous avons résolu cette objection, en disant que le temps renferme en lui des infinis ; et il n’est pas absurde de soutenir que dans un temps infini on peut parcourir l’infini ; et l’infini se retrouve également, soit dans la grandeur, soit dans le temps. § 24[1154]. Cette réponse est très suffisante contre celui qui argumente ainsi ; car la question était de savoir si dans un temps fini on peut parcourir ou sombrer l’infini. Mais pour la chose elle même et pour la vérité, cette réponse n’est pas satisfaisante. En effet, lorsque laissant de côté la longueur et cette question de savoir si dans un temps fini on peut parcourir l’infini, on pose ces questions relativement au temps lui-même, car le temps peut avoir des divisions infinies, alors cette solution ne peut plus suffire. § 25[1155]. Mais il faut répéter ici la vérité que nous venons d’énoncer tout à l’heure. Quand on divise une ligne continue en deux moitiés, il y a un point qui compte pour deux et qui est employé à la fois comme commencement et comme fin. Or, c’est là ce que l’on fait, soit que l’on compte numériquement, soit qu’on divise la ligne en moitiés. Mais par cette division, la ligne cesse d’être continue, aussi bien que le mouvement ; car il n’y a de mouvement continu que pour un continu. Or, dans le continu, il y a bien des moitiés en nombre infini si l’on vent ; mais ce n’est pas en réalité ; ce n’est qu’en puissance. Que si l’on veut les rendre réelles et les faire passer en acte, on ne produit plus un mouvement continu ; on s’arrête. Il est clair que c’est là précisément aussi ce qui arrive quand on compte les moitiés ; car il faut alors nécessairement que sur la ligne on compte un seul point pour deux, puisque ce point est la fin d’une des moitiés et le commencement de l’autre, du moment que l’on compte non plus une ligne continue, mais lieux demi-lignes.

§ 26[1156]. Ainsi quand quelqu’un demande si l’on peut parcourir l’infini soit en temps, soit en longueur, on doit répondre qu’en un sens c’est possible, et qu’en un autre sens, ce ne l’est pas. Si l’on parle de choses en acte, en réalité, c’est impossible ; mais cela se peut fort bien s’il ne s’agit que de choses en puissance. En ayant en effet un mouvement continu, on parcourt accidentellement l’infini ; mais on ne le parcourt pas d’une manière absolue ; car, indirectement, la ligne peut bien avoir des moitiés en nombre infini ; mais son essence et son être sont tout à fait différents.

§ 27[1157]. Mais il est évident que, si l’on n’admet pas que le point qui divise le temps en antérieur et postérieur, appartient toujours au temps postérieur, alors on arrive à cette conséquence absurde, qu’une même chose est à la fois et n’est pas, et que quand elle sera devenue, elle ne sera pas devenue. Ainsi le point, tout en restant le même et numériquement un, sera commun aux deux, le postérieur et l’antérieur ; mais rationnellement, il n’est pas identique, puisqu’il est la fin de l’un et le commencement de l’autre ; et au fond, il appartient toujours à la dernière affection. § 28[1158]. Soit le temps représenté par ABC ; la chose dont il s’agit est représentée par D. Dans le temps A, cette chose est blanche ; mais dans le temps B, elle n’est pas blanche. Par conséquent, dans le temps C, elle est à la fois blanche et pas blanche. Pour un point quelconque de A, il est donc vrai de dire qu’elle était blanche, puisqu’elle l’était durant ce temps tout entier, et qu’en B, elle n’était plus blanche ; mais C est dans les deux. Il ne faut donc pas dire que la chose est blanche dans le temps A tout entier ; mais il faut en excepter le dernier instant représenté par C ; et c’est là précisément le postérieur. § 29[1159]. Si la chose devenait non-blanche, et si elle périssait blanche dans A tout entier, c’est alors en C qu’elle est devenue ou qu’elle a péri. Par conséquent, c’est bien en C qu’il est primitivement vrai de dire qu’elle est blanche ou qu’elle ne l’est pas. Ou autrement, quoique la chose soit devenue, elle ne sera pas ; et quand elle aura péri, elle sera encore. En d’autres termes, elle sera nécessairement, tout à la fois blanche et non-blanche ; elle sera, et tout à la fois elle ne sera pas.

§ 30[1160]. Mais si ce qui d’abord était du non-être devient nécessairement de l’être ; et si quand il devient, il n’est pas encore, il s’ensuit qu’il est impossible de diviser le temps en temps indivisibles. En effet, si dans le temps A, D est devenu blanc, il l’est devenu aussi, et l’est à la fois dans un autre temps indivisible, B, qui est la suite de A. S’il l’est devenu dans A, c’est qu’il ne l’était pas auparavant, et il l’est dans B. Il faut donc qu’il y ait une certaine génération intermédiaire ; et par conséquent, il y a eu un temps dans lequel le phénomène s’est produit et est devenu. § 31[1161]. Car cette même démonstration ne peut être admise par ceux qui nient que le temps soit indivisible. Mais on répond que la chose est devenue et qu’elle est ce qu’elle est, dans le point extrême du temps pendant lequel elle se produisait. Or, rien ne tient à ce point ni ne le suit ; et cependant si les temps sont indivisibles, ils doivent se suivre. § 32[1162]. Ainsi il est clair que, si la chose est devenue dans le temps entier A, le temps dans lequel elle est devenue et a été, n’est pas plus considérable que le temps tout entier dans lequel elle est d’abord devenue seulement.

§ 33[1163]. Tels sont à peu près les raisonnements principaux sur lesquels on peut appuyer plus spécialement cette théorie ; mais à ne discuter les choses que logiquement, on peut arriver encore à la même conséquence par les arguments qui suivent.

§ 34[1164]. Tout ce qui se meut d’une manière continue, si aucun obstacle ne le gêne, était antérieurement porté vers le point même auquel il est arrivé dans sa translation. Par exemple, si le corps est arrivé à B, c’est qu’il était porté aussi vers B ; et ce n’est pas seulement quand il s’en est rapproché, mais c’est au début même de son mouvement. Car pourquoi y serait-il porté maintenant plus qu’auparavant ? De même aussi pour tous les autres cas. Mais le mobile qui va de A en C reviendra dans son mouvement continu de nouveau en A. Lors donc que de A il allait en C, il avait à ce moment même pour aller en A le mouvement venu de C. Par conséquent, il avait à la fois les mouvements contraires ; car les mouvements en ligne droite sont contraires. § 35[1165]. Mais en même temps c’est supposer que l’objet change et sort d’un état où il n’est pas ; et si c’est là une chose impossible, il faut nécessairement qu’il y ait un arrêt en C. Donc le mouvement n’est pas un, puisque le mouvement interrompu par un repos n’est pas unique.

§ 36[1166]. Mais voici ce qui jette encore un nouveau jour sur cette théorie en s’appliquant plus généralement à toute espèce de mouvement. En effet si tout ce qui est en mouvement ne peut avoir qu’un des mouvements dont nous avons parlé, il ne se repose non plus que dans les repos opposés à ces mouvements ; car il n’y en a pas d’autres que ceux qu’on a indiqués. Mais le mobile qui n’a pas toujours eu le mouvement qui l’anime, et j’entends des mouvements différents en espèce, et non point une partie quelconque d’un mouvement total, doit nécessairement s’être d’abord reposé dans le repos opposé au mouvement qu’il a, puisque le repos est la privation du mouvement. § 37[1167]. Si donc les mouvements contraires sont ici ceux qui ont lieu en ligne droite, et s’il est impossible que le même corps ait les mouvements contraires simultanément, le mobile qui va de A en C, ne peut aller en même temps de C en A. Mais comme ce mouvement n’est pas simultané, et que cependant le mobile l’éprouve, il faut bien qu’il se soit antérieurement arrêté en C ; car c’était ce repos qui était opposé au mouvement parti de C. Donc il est évident, d’après ce qu’on vient de dire, que ce mouvement n’est pas continu.

§ 38[1168]. Voici encore un nouvel argument qui paraît encore plus direct qu’aucun de ceux qui précèdent. C’est en un même temps que ce qui n’est pas blanc a péri et qu’il est devenu blanc ; or, si l’altération qui mène au blanc est continue, ainsi que celle qui part du blanc, et si elle ne subsiste pas un certain laps de temps quelconque, c’est, en même temps qu’a péri le non-blanc, que l’objet est devenu blanc et qu’il est devenu non-blanc ; car le temps sera un seul et même temps pour les trois états. § 39. De plus parce que le temps est continu, il ne s’ensuit pas que le mouvement le soit aussi, et il n’en est pas moins successif. § 40[1169]. Mais comment l’extrémité pourrait-elle être la même pour les contraires, par exemple pour le blanc et le noir ?

§ 41[1170]. Quant au mouvement qui se fait en ligne circulaire, celui-là peut être un et continu ; car là il n’y a plus d’impossibilité. Le mobile parti de A. reviendra tout ensemble en A par la même impulsion ; car il se meut vers le point où il devra arriver. Mais pour cela, il n’aura pas en même temps les mouvements contraires, ni même les mouvements opposés ; car tout mouvement partant d’un point n’est pas contraire ni opposé à un mouvement revenant à ce point. Il n’y a que le mouvement en ligne droite qui soit contraire, puisque la ligne droite peut avoir des contraires dans l’espace et le lieu. Tel est par exemple le mouvement selon le diamètre ; car c’est le plus éloigné, et le mouvement opposé est celui qui se passe sur la même largeur. Par conséquent, rien n’empêche que le mouvement circulaire ne soit continu, sans aucune interruption dans un intervalle quelconque de temps. § 42[1171]. En effet le mouvement circulaire est celui qui part de soi pour revenir à soi-même, tandis que le mouvement direct part de soi pour aller à un autre. § 43[1172]. Le mouvement en cercle n’est jamais dans les mêmes points, tandis que le mouvement en ligne droite y est aussi souvent qu’on veut. Ainsi le mouvement qui est toujours dans un autre point, puis dans un autre, peut fort bien être continu, tandis que celui qui revient plusieurs fois dans les mêmes points ne peut pas l’être ; car il faudrait nécessairement que le corps eût en même temps des mouvements opposés. § 44[1173]. Par conséquent, il ne peut y avoir non plus de mouvement continu, ni dans le demi-cercle, ni dans toute autre partie de la circonférence ; car il faudrait alors que les mobiles subissent plusieurs fois les mêmes mouvements et qu’ils éprouvassent les changements contraires, puisque l’extrémité ne s’y rattache pas au point de départ. Mais dans le mouvement circulaire, elle s’y rattache ; et ce mouvement est le seul qui soit parfait.

§ 45[1174]. La division que nous venons de faire prouve encore que les autres espèces de mouvements ne peuvent pas davantage être continues, puisque dans toutes le même mouvement se répète à plusieurs reprises. Ainsi il passe dans l’altération par les qualités intermédiaires ; dans le mouvement de quantité, par les grandeurs moyennes ; et de même dans la génération et la destruction. Peu importe en effet que les choses où a lieu le changement soient en petit nombre ou en grand nombre ; peu importe également qu’on ajoute ou qu’on retranche quelque chose d’intermédiaire ; de quelque manière qu’on s’y prenne, il faut que le mouvement se répète plusieurs fois dans les mêmes points.

§ 46[1175]. On voit donc bien d’après tout ceci que les Naturalistes n’ont pas raison de soutenir que toutes les choses sensibles sont dans un mouvement perpétuel, attendu que selon eux elles doivent toujours nécessairement avoir un des mouvements divers dont nous avons parlé. A les en croire, ce serait surtout le mouvement d’altération ; car il prétendent que les choses sont dans un écoulement et dans un dépérissement incessants ; et ils rangent en outre dans l’altération la génération et la destruction des choses. Mais la théorie que nous venons d’exposer a dû prouver qu’il n’y a aucun mouvement continu de possible, si ce n’est le mouvement circulaire ; et par suite le mou-veinent continu n’est possible ni dans l’altération ni dans l’accroissement.

§ 47[1176]. Voilà ce que nous avions à dire pour démontrer qu’il n’y a pas de changement qui soit infini ou qui soit continu, si ce n’est la translation circulaire.


CHAPITRE XIII.

La translation circulaire est la première des translations ; trois espèces de translation ; élimination de la translation en ligne droite et de la translation mixte ; la translation circulaire est, de tous les mouvements, le seul qui puisse être éternel.

§ 1[1177]. Il est clair que parmi les translations, c’est la translation circulaire qui est la première. § 2[1178]. Toute translation, ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut, est ou circulaire, ou en ligne droite, ou mixte, c’est-à-dire composée de l’une et de l’autre. § 3[1179]. Or, il faut nécessairement que la translation circulaire et la translation directe soient antérieures à la troisième, qui n’est formée que des deux premières. § 4[1180]. Mais la translation circulaire est antérieure à la translation en ligne droite ; car elle est plus qu’elle simple et complète. En effet il est bien impossible que la droite selon laquelle se passerait le mouvement soit infinie, parce qu’il n’y a point d’infini de ce genre. Et s’il y en avait, le mouvement n’y pourrait avoir lieu pour quoi que ce soit ; car l’impossible ne se produit jamais, et il est impossible de parcourir une ligne infinie. Quant au mouvement sur une droite finie, si le mouvement y revient sur lui-même, il est composé ; et dès lors il y a en réalité deux mouvements ; ou si le mouvement ne revient pas sur lui-même, il est incomplet, et il s’éteint. Mais le complet est antérieur à l’incomplet, en nature, en raison et aussi en temps, de même que l’impérissable est également antérieur au périssable, § 5[1181]. On doit ajouter que le mouvement qui peut être éternel, est antérieur à celui qui ne le peut pas. Or, la translation circulaire peut être éternelle ; mais parmi les autres mouvements, il n’y en a pas un, translation ou tout autre, qui jouisse de cette propriété ; car il y faut toujours nécessairement un repos ; et du moment qu’il y a repos, le mouvement a péri.


CHAPITRE XIV.

Le mouvement circulaire est le seul qui puisse être un et continu ; comparaison du mouvement circulaire et du mouvement en ligne droite ; les propriétés du cercle dérivent de celles du centre ; rapports du centre à la circonférence. — Mouvement et repos continus de l’univers. — Unanimité des philosophes à faire du mouvement de translation le premier de tous les mouvements ; Anaxagore et les autres. — Le mouvement dans l’espace est à proprement parler le seul véritable mouvement — Résumé partiel des théories antérieures.

§ 1[1182]. On comprend du reste très bien que la translation circulaire soit une et continue, tandis que la translation en ligne droite ne peut pas l’être. Dans le mouvement direct, le point de départ, le milieu, et la fin où il s’arrête, tout est déterminé ; et cette ligne a tout cela en elle-même. Ainsi il y a un point où le mobile commencera à se mouvoir, et un point où il achèvera et finira son mouvement. En effet, tout mobile est en repos aux deux extrémités, ou à celle d’où il part, ou à celle où il arrive. Mais tous ces éléments sont indéfinis dans le mouvement circulaire ; car où trouver une limite quelconque ici plutôt que là dans les points d’une circonférence ? Tous sans exception peuvent être tout aussi bien soit le commencement, soit le milieu, soit la fin. Toujours il y en a qui sont au commencement et à la fin, en même temps que jamais ils n’y sont. On peut donc dire que la sphère se meut tout à la fois et est en repos, parce qu’elle occupe toujours le même lieu.

§ 2[1183]. Ce qui fait que toutes ces propriétés appartiennent au cercle, c’est qu’elles appartiennent d’abord au centre. Le centre en effet est le commencement, et le milieu de la grandeur comme il en est la fin ; et comme le centre est en dehors de la circonférence, il n’y a pas de point où le mobile mis en mouvement puisse s’arrêter après avoir épuisé son mouvement ; car il est porté sans cesse vers le milieu, et non point vers l’extrémité. Voilà comment le cercle entier est en quelque sorte toujours immobile et en repos, et comment cependant il est dans un mouvement continu.

§ 3[1184]. Mais il y a ici réciprocité ; et c’est parce que le mouvement circulaire est la mesure de tous les autres qu’il doit être nécessairement le premier de tous ; car toutes choses se mesurent au primitif ; et c’est parce que ce mouvement est le premier qu’il sert de mesure à tous les autres mouvements. § 4[1185]. Il n’y a en outre que le mouvement circulaire qui puisse être uniforme ; car les mouvements en ligne droite n’ont pas lieu uniformément au commencement et à la fin ; et tout mobile sans exception est mu d’autant plus vivement qu’il s’éloigne davantage du point d’inertie. Mais le mouvement circulaire est le seul qui ait au dehors et non en lui-même son origine et sa fin.

§ 5[1186]. D’ailleurs tous les philosophes qui se sont occupés de l’étude du mouvement et qui en ont traité, admettent et témoignent unanimement que la translation dans l’espace est le premier des mouvements. Tous ils font remonter les principes du mouvement aux seuls moteurs qui produisent cette sorte de mouvement particulier. Ainsi, la division et la combinaison ne sont l’une et l’autre que des mouvements dans l’espace. Or, c’est ainsi que l’Amour et la Discorde font mouvoir les choses ; car l’une divise et l’autre réunit et combine. C’est encore ainsi qu’Anaxagore prétend que l’Intelligence, premier moteur de tout l’univers, divise et ordonne les choses. C’est même encore là le sentiment des philosophes qui ne reconnaissent point de cause de ce genre, et qui ne voient le principe du mouvement que dans le vide ; car eux aussi ils disent que le mouvement de la nature est le mouvement dans l’espace, puisque le mouvement dans le vide est une translation ; et il s’y accomplit comme dans le lieu. Tous ces philosophes pensent qu’aucun mouvement autre que celui-là ne peut appartenir aux éléments primitifs, et que les autres mouvements s’appliquent seulement aux composés que forment ces éléments premiers. Selon eux, l’accroissement, le dépérissement et l’altération ne sont que des combinaisons ou des divisions des corps indivisibles, des atomes. C’est encore le raisonnement de ceux qui expliquent la production et la destruction des choses par la condensation et par la raréfaction ; car c’est toujours supposer que ces phénomènes ont lieu par combinaison et par division. C’est même là enfin l’opinion de ces autres philosophes qui font de l’âme la cause du mouvement, puisque, dans leur système, c’est ce qui se meut soi-même qui met en mouvement tout le reste ; et que l’animal ou tout être qui a une âme, se donne à lui-même le mouvement dans l’espace ou la locomotion.

§ 6[1187]. J’ajoute qu’à proprement parler on ne dit réellement d’une chose qu’elle a du mouvement que quand elle se meut dans l’espace. Si elle demeure en repos dans le même lieu, elle a beau s’accroître ou dépérir ou s’altérer, on dit alors qu’elle se meut d’une certaine façon ; mais on ne dit pas d’une manière absolue qu’elle se meuve.

§ 7[1188]. Ainsi donc on a démontré que le mouvement a toujours existé, et qu’il existera dans toute la durée du temps ; on a dit quel est le principe du mouvement éternel et quel est le premier des mouvements ; on a dit encore quel est le mouvement qui seul peut avoir lieu éternellement ; et enfin on a établi que le premier moteur est immobile.


CHAPITRE XV.

Le moteur immobile n’a ni parties ni grandeur quelconque ; démonstration de ce principe. — Le fini ne peut mouvoir pendant un temps infini ; il ne peut avoir une puissance infinie, de même que l’infini ne peut avoir une puissance finie ; démonstration de ces principes divers. — Question du mouvement des projectiles ; comment il se continue et comment il cesse ; explication de ces phénomènes. — Des conditions générales du mouvement continu ; de l’action du premier moteur ; sa puissance indéfectible ; son immobilité ; mouvement de l’univers ; le mouvement produit par l’immobile est seul continu. — Résumé de la théorie du premier moteur. — Fin de la Physique.

§ 1[1189]. Il nous reste maintenant à prouver que ce moteur immobile doit nécessairement n’avoir ni parties ni grandeur quelconque ; mais d’abord nous expliquerons quelques principes antérieurs à celui-là.

§ 2[1190]. Un de ces principes, c’est qu’il est impossible qu’une force finie puisse jamais produire le mouvement durant un temps infini. § 3[1191]. Il y a ici trois termes : le mobile, le moteur, et le troisième ce dans quoi le mouvement a lieu, c’est-à-dire le temps. De ces trois termes, ou tous sont infinis, ou tous sont finis, ou quelques-uns sont finis, deux ou un si l’on veut. § 4[1192]. Soit A le moteur ; soit B le mobile ; et le temps infini C. Supposons que D meuve une partie de B, représentée par E. Ce ne peut pas être dans un temps égal à C ; car un mouvement plus grand doit avoir lieu dans un temps plus long. Ainsi le temps F n’est pas infini. En ajoutant constamment à D, j’épuiserai A ; et en ajoutant à E, j’épuiserai B. Mais j’aurai beau enlever toujours une portion égale au temps, je ne l’épuiserai point, attendu qu’il est infini. Par conséquent, tout A mettra B tout entier en mouvement dans une portion finie du temps C. Donc, il est impossible qu’un moteur fini puisse donner à quoi que ce soit un mouvement infini. Donc, évidemment, le fini ne peut produire le mouvement durant un temps infini.

§ 5[1193]. En second lieu, une grandeur finie ne peut pas du tout avoir une puissance infinie ; et voici ce qui le prouve. § 6[1194]. Soit, en effet, une puissance toujours de plus en plus grande produisant le même effet dans un temps moindre, que d’ailleurs cette puissance échauffe, qu’elle adoucisse, qu’elle projette, ou que plus simplement elle meuve. Il faut nécessairement que ce moteur fini, mais à qui l’on suppose une puissance infinie, exerce son action sur ce qui l’éprouve avec plus de force que tout autre moteur ne le ferait, puisque la puissance infinie est la plus grande de toutes. § 7[1195]. Mais il ne peut pas y avoir ici la moindre parcelle de temps. Soit, en effet, A, le temps durant lequel la force infinie ou a échauffé ou a poussé. Soit aussi AB le temps dans lequel ait agi une force finie. En faisant toujours plus grande la force finie, j’arriverai à celle qui a donné le mouvement dans le temps A ; car, en ajoutant toujours à un terme fini, j’arriverai à dépasser tout fini quelconque ; de même que, si je retranche au lieu d’ajouter, j’arriverai également à épuiser. Ainsi, dans un temps égal, la force finie aura produit un mouvement aussi grand que la force infinie. Mais c’est là ce qui est tout à fait impossible. Donc aucune grandeur finie ne peut avoir une puissance infinie.

§ 8[1196]. De même non plus une puissance finie ne peut exister dans une grandeur infinie. § 9. Il se peut néanmoins qu’une puissance plus grande se trouve dans une grandeur moindre ; mais il se peut bien davantage encore qu’il y ait plus de puissance dans une grandeur plus grande. § 10. Soit AB la grandeur infinie. BC a une certaine puissance qui dans un certain temps, dans un temps représenté par EF, meut D. Si je prends le double de BC, cette nouvelle force produira le mouvement dans la moitié du temps EF, puisque c’est là la proportion ; par exemple, elle le produira dans le temps FG. En procédant toujours ainsi, je ne parcours, pas il est vrai, AB ; mais je prends toujours de moins en moins du temps donné. Donc la puissance sera infinie, puisqu’elle surpasse toute puissance finie ; donc, pour toute puissance finie, le temps est nécessairement fini comme elle ; car si dans tel temps donné telle force produit un mouvement, une force plus grande dans un temps moindre, mais d’ailleurs toujours fini, produira ce même mouvement selon la proportion inverse. Mais ici la force totale est infinie, comme le sont le nombre et la grandeur qui surpassent tout nombre ou toute grandeur finie. § 11[1197]. On peut encore démontrer ceci de la façon suivante. Nous prendrons une puissance de même espèce que celle qui se trouve dans la grandeur infinie, mais en la supposant dans une grandeur finie, et de façon qu’elle puisse mesurer la puissance finie qui se trouve dans l’infini.

§ 12[1198]. Tout ceci démontre donc qu’il ne peut pas y avoir de puissance infinie dans une grandeur finie, pas plus qu’il ne peut y avoir de puissance finie dans une grandeur infinie.

§ 13[1199]. Quant aux corps qui ont un mouvement de translation, il est bon de résoudre d’abord une question assez embarrassante. En effet, si tout mobile mis en mouvement est toujours mu par quelque chose, comment est-il possible que certains corps qui ne se meuvent point spontanément eux-mêmes, gardent un mouvement continu ; les projectiles, par exemple, sans que le moteur qui les a mis en mouvement les touche encore ? § 14[1200]. Si l’on répond que cela tient à ce que le moteur en donnant le mouvement au corps, meut aussi quelque autre chose, l’air, par exemple, qui, mu d’abord lui-même, transmet ensuite le mouvement, il n’en reste pas moins également impossible qu’il y ait mouvement pour le corps, du moment que le premier moteur ne touche pas et ne meut pas. Mais il faut que toute la série soit mise à la fois en mouvement et qu’elle s’arrête tout ensemble, quand le premier moteur vient à s’arrêter, en supposant même que le moteur agisse comme l’aimant, c’est-à-dire que le corps qu’il a mis en mouvement puisse à son tour donner le mouvement. § 15[1201]. Il faut nécessairement aussi admettre que le premier moteur donne la faculté de produire le mouvement ou à l’air, ou à l’eau, ou à tel autre corps, que la nature a fait pour donner le mouvement et le recevoir. Mais le moteur et le mobile ne cessent pas à la fois. Il est bien vrai que le mobile cesse d’être mu en même temps que le moteur cesse de mouvoir ; mais le mobile est encore moteur, et il meut quelque autre chose, qui est à la suite. Même raisonnement pour cette seconde chose. Elle cesse d’agir quand la force communiquée à ce qui suit devient moins capable de donner le mouvement ; et elle finit par s’arrêter, quand le terme antérieur ne peut plus faire que le corps meuve, mais seulement qu’il soit mu. Alors nécessairement tout cesse du même coup, et le moteur et le mobile et toute la série du mouvement.

§ 16[1202]. Tel est donc le mouvement dans les choses qui peuvent être tantôt en mouvement et tantôt en repos. § 17[1203]. Pour elles, le mouvement n’est pas continu ; mais il semble qu’il le soit, parce que les corps mis en mouvement ou se suivent ou se touchent ; car le moteur n’y est pas unique ; et il y a mouvement de tous les corps qui se suivent mutuellement. § 18[1204]. Aussi le mouvement de ce genre se produit dans l’air également et dans l’eau. § 19[1205]. Et on l’appelle quelquefois du nom d’action ou de résistance réciproque. § 20[1206]. Mais il est impossible de résoudre les questions que nous venons de poser, autrement que par l’explication que nous donnons. Cette résistance réciproque fait que tout peut à la fois être mu et mouvoir ; mais elle fait par suite aussi que tout peut s’arrêter tout ensemble. Or ici on ne voit qu’une seule et même chose qui est animée d’un mouvement continu. Par qui donc le mouvement est-il donné ? Ce n’est pas certainement par le même moteur.

§ 21[1207]. Mais puisque dans les choses il y a nécessairement un mouvement continu, et que ce mouvement est unique, il est nécessaire aussi que ce soit le mouvement d’une certaine grandeur ; car ce qui est sans grandeur ne peut recevoir le mouvement. Il faut aussi que ce soit le mouvement d’un seul mobile, et qu’il soit causé par une seule force ; car, autrement, il ne serait plus continu ; un mouvement suivrait l’autre, et le mouvement serait divisé. § 22[1208]. Quant au moteur, s’il est unique, ou il meut après avoir été mu lui-même, ou il meut en étant immobile. S’il est mu, il faudra suivre la série et supposer que lui-même subit un changement et qu’il est mu par quelque chose ; mais l’on finira par s’arrêter, et l’on arrivera au mouvement produit par l’immobile. § 23[1209]. Quant à ce terme dernier, il n’a plus besoin de changer en même temps que les autres ; et il aura toujours la puissance de donner le mouvement ; car il n’y a aucune peine ni fatigue à le produire ainsi. Le mouvement créé de cette façon est uniformément égal, seul de tous les mouvements, ou du moins plus que tous les autres ; car le moteur ne subit aucun changement ; et le mobile lui-même ne doit point, relativement au moteur, en éprouver davantage, pour que le mouvement soit toujours semblable. § 24[1210]. Mais il faut nécessairement que le moteur soit ou au centre ou dans le cercle ; car voilà les deux seuls principes d’où il peut partir. Or les parties les plus rapprochées du moteur sont celles qui ont le mouvement le plus rapide ; et tel est le mouvement de l’univers. Donc c’est à la circonférence qu’est le moteur.

§ 25[1211]. Reste toujours à savoir s’il est possible qu’un mobile communique un mouvement continu, ou si sa continuité n’est pas plutôt comme une suite d’impulsions qui se répètent l’une après l’autre. En effet, le moteur de ce genre pousse, ou il attire, ou il fait les deux actions à la fois, ou il subit une action qui peut être réciproque de l’un à l’autre, comme nous venons de l’expliquer pour les projectiles. Mais si l’air ou l’eau, en tant que divisible, transmet le mouvement, et s’il faut que l’air et l’eau soient mus constamment, alors des deux façons il n’est plus possible que le mouvement soit unique, et il est seulement consécutif. Il n’y a donc de mouvement continu que le mouvement produit par l’immobile ; puisqu’étant éternellement semblable, il sera à l’égard du mobile dans un rapport toujours le même et continu.

§ 26[1212]. D’après les principes qui viennent d’être exposés, il est clair que le moteur premier et immobile ne peut pas avoir de grandeur quelconque ; car, s’il avait une grandeur, il faudrait qu’elle fût ou finie ou infinie. Or, nous avons démontré plus haut, dans la Physique, qu’il ne peut pas y avoir de grandeur infinie ; et ici nous venons de prouver que le fini ne peut avoir une force infinie, et qu’une chose finie ne peut pas davantage produire le mouvement pendant un temps infini. Enfin il a été établi que le premier moteur produit un mouvement éternel, et qu’il le produit pendant un temps infini. Donc il n’est pas moins clair que le premier moteur est indivisible, qu’il est sans parties, et qu’il n’a absolument aucune espèce de grandeur.

FIN DU LIVRE HUITIÈME ET DERNIER DE LA PHYSIQUE D’ARISTOTE.
  1. À comprendre et à savoir, pour cette théorie générale de la science, il faut consulter les graves doctrines des Derniers Analytiques ; voyez surtout le tome III, livre I, ch. 2, p. 7 et suivantes de ma traduction. — Des principes, des causes et des éléments, ces trois termes semblent ici à peu près synonymes, ainsi que le prouve la fin de la phrase où l’auteur n’emploie que le mot de Principes. Quelquefois ces expressions présentent des nuances qui sont précisées dans le IVe livre de la Métaphysique, ch. 4, 2, 3, 4, etc., édit. de Berlin, pages 1.013 et suivantes. — On trouvera sans doute que cette première phrase est un peu longue ; mais je n’ai pas cru devoir la diviser ; et j’ai laissé à la traduction une physionomie toute aristotélique. — Ce qui regarde les principes, Aristote dit ici simplement : Principes, entendant par ce mot les principes, les causes et les éléments, dont il vient de parler quelques lignes plus haut.
  2. Plus connues et plus claires pour nous. Voir les Derniers Analytiques, livre 1, ch. 2, § 11, IIIe volume, p. 10 de ma traduction. Cette distinction est très fréquente dans le système d’Aristote, et elle est parfaitement juste.
  3. Le plus composé et le plus confus, il n’y a qu’un seul mot, au lieu de deux, dans le texte. — Par les divisions que nous en faisons, c’est-à-dire par l’analyse. La sensation, qui est le moyen le plus habituel d’informations, nous donne tout d’abord une totalité très complexe ; puis, en décomposant cette totalité, nous arrivons aux éléments irréductibles dont elle est formée.
  4. Du général au particulier, l’expression du texte est au pluriel et l’on pourrait encore traduire : Des universaux aux individus. — Le tout que donne la sensation, en effet, la sensation nous apprend d’abord que l’être que nous voyons, par exemple, est un homme, et nous reconnaissons ensuite que cet homme est un individu, un de nos amis. En ce sens, la notion générale ou générique a précédé la notion particulière et individuelle. Cependant la méthode que recommande ici Aristote n’est pas précisément la méthode d’analyse, qui va au contraire du particulier au général. Les théories exposées ici ne sont pas tout à fait d’accord avec celles des Derniers Analytiques, livre 1, ch. 2, § 4 page 10 de ma traduction, et livre II, ch. 19, § 7, p. 290.
  5. Les noms des choses… avec leur définition, on pourrait traduire encore : les mots… avec l’idée ; mais la suite prouve qu’il s’agit spécialement ici de définition. — Le mot Cercle, ce mot est le nom général d’une figure que l’on comprend d’abord dans sa totalité ; mais en remontant à ses éléments par la définition, on découvre que le cercle est une figure terminée par une seule ligne courbe dont tous les points sont à égale distance d’un point central, dont tous les rayons, menés du centre à la circonférence, sont égaux, etc.
  6. Les enfants… cette comparaison fort claire explique très bien ce que l’auteur a voulu dire un peu plus haut par la totalité que donne d’abord la sensation.
  7. Parménide et Mélissus, tous deux de l’École d’Élée, qui soutenait l’unité et l’immobilité de l’Etre, et niait par conséquent le mouvement, principe essentiel de la nature, d’après Aristote. Voir le petit traité spécial, Xénophane, Zénon et Gorgias, édit. de Berlin, p. 974, et la Métaphysique, livre I, ch. 5, p. 986, b, 21. — Les Physiciens, c’est-à-dire les philosophes qui s’occupent pertinemment de l’étude de la nature, l’École d’Ionie, Thalès, Anaximandre et les autres. Voir plus loin, ch. 5. — Dans l’air, comme Diogène d’Apollonie et Anaximène, Métaphysique, livre I, ch. 3, p. 984, a, 5, édit, de Berlin. — Dans l’eau, comme Thalès, Métaphysique, livre 1, ch. 3, édit. de Berlin, p. 983, b, 21. — Démocrite, Métaphysique, livre I, ch. 3, édit. de Berlin, p. 985, b, 5. — Jusqu’à être contraires, Aristote ne nomme ici aucun philosophe ; mais il semble que c’est là l’opinion d’Empédocle et d’Anaxagore. Alexandre d’Aphrodisée, d’après Simplicius, croit que ces deux assertions se rapportent au seul Démocrite, qui tout en admettant les atomes, qui ne diffèrent qu’en forme et en espèce, admet aussi le plein et le vide, c’est-à-dire les contraires. Dans la Métaphysique, livre I, ch. 5, p. 985, b, 6, édit. de Berlin, le système des contraires est formellement attribué aux Pythagoriciens et à Alcméon de Crotone.
  8. Quel est le nombre des êtres, Aristote ne nomme pas ces philosophes qui cherchent à préciser le nombre des êtres et des choses de l’univers. Il en a parlé en termes à peu près aussi vagues dans la Métaphysique, livre I, ch. 5, édit. de Berlin, p. 986, a, 15. C’est peut-être des Pythagoriciens qu’il s’agit ici.
  9. Ce n’est plus étudier la nature, parce que la nature est par essence, selon Aristote, le principe même du mouvement. Si l’être est un et immobile, il n’y a plus à l’étudier dans des phénomènes qu’il ne produit pas ou qui ne sont qu’une illusion ; il n’y a plus qu’à le contempler et à l’adorer, si l’on veut ; mais ce n’est pas l’objet de la Physique. — À un adversaire qui lui nie ses principes, la même pensée se retrouve dans les Derniers Analytiques, livre I, ch. 12, p. 70 de ma traduction. On ne peut discuter une question dans les limites d’une science qu’en acceptant d’abord les principes de cette science ; ou si on ne les admet plus, c’est qu’on passe à une science différente, ou bien à la science qui étudie d’une manière générale la valeur des principes ; et cette science supérieure c’est la métaphysique. — Une science commune de tous les principes, c’est la métaphysique et non la dialectique, qui ne peut donner aucun résultat vraiment scientifique au sens où Aristote la prend. Voir les Derniers Analytiques, livre I, ch. II, § 6, p. 68, et les Topiques, livre I, ch. 1, §§ 4 et 5, p. 2 de ma traduction.
  10. Comme la fameuse thèse d’Héraclite, à savoir que tout est dans un flux perpétuel. Ce principe admis, les contradictoires sont également vraies, les contraires se confondent ; il n’y a plus ni vérité ni erreur ; et dès lors la thèse même qu’on soutient est aussi vaine que la thèse opposée. Pour la définition de la thèse, voir les Topiques, livre I, ch. 2, page 32 de ma traduction ; pour la théorie d’Héraclite, voir la Métaphysique, livre I, chap. 3, p. 984, a, 7, édition de Berlin. — Dans un seul individu, peut-être cette opinion avait-elle été soutenue pur quelque philosophe qu’Aristote ne nomme pas. Il revient d’ailleurs un peu plus loin, ch. 3, § 40, sur la thèse d’Héraclite, pour en démontrer toute la fausseté dangereuse.
  11. Tout ce paragraphe est répété mot pour mot un peu plus loin, ch. 4, § I. C’est ici, sans doute, qu’il doit être supprimé, et c’est le parti que Bekker conseille, en enfermant toute cette interpolation entre crochets. Je l’ai laissée dans la traduction, et je crois devoir me borner à avertir le lecteur dans cette note. — Les deux opinions de Mélissus et de Parménide, voir plus haut dans ce chapitre, § 4, l’opinion de Mélissus et de Parménide sur l’unité et l’immobilité de l’être. — Le raisonnement de Mélissus, ici Aristote ne dit point précisément en quoi le raisonnement de Mélissus s’écarte de celui de Parménide ; mais il revient un peu plus loin sur cette différence. Voir le chapitre suivant, §§ 4 et 9. — Le plus grossier, dans la Métaphysique, livre I, ch. 5, p. 986, b, 27, édition de Berlin, Aristote fait à peu près la même critique des opinions de Mélissus, auquel il réunit Xénophane, semblant encore faire plus de cas de celles de Parménide. La Physique est citée dans ce même passage de la Métaphysique.
  12. L’induction ou l’observation. Il n’y a dans le texte que le premier mot ; j’ai ajouté le second pour plus de clarté. Pour l’Induction, voir les Premiers Analytiques, livre II, ch. 23, p. 325, et Derniers Analytiques, livre 1, ch. 18, p. 111 de ma traduction.
  13. En partant des principes, Aristote entend les principes qu’il admet lui-même. — La quadrature du cercle par les segments, peut-être faut-il confondre la démonstration de la quadrature du cercle par les segments avec la démonstration par les lunules, qu’Aristote attribue formellement à Hippocrate de Chios, Réfutations des Sophistes, ch. 10, p. 374 de ma traduction. Cette démonstration d’Hippocrate de Chios était fausse, puisque la quadrature du cercle est impossible ; mais du moins elle s’appuyait sur des principes géométriques, tandis que celle d’Antiphon s’appuyait sur des principes contraires à toute géométrie. — Avec celle d’Antiphon, quelle était au juste la démonstration d’Antiphon, c’est ce qu’il n’est pas facile de savoir d’après le peu qu’en dit Aristote. Antiphon est encore nommé un peu plus loin, livre II, ch. 4, § 13, et dans les Réfutations des Sophistes, loc. cit., p. 384, mais sans aucun détail ; et dans ce passage sa démonstration ne paraît pas aussi dédaignée qu’elle l’est ici. Simplicius s’est arrêté fort longuement sur les deux démonstrations d’Antiphon et d’Hippocrate. Quant à l’obligation pour chaque science et pour la géométrie en particulier, de ne discuter que les questions qui admettent leurs principes, il faut voir le chapitre spécial des Derniers Analytiques, livre 1, ch. 9, p. 52, de ma traduction.
  14. Comme sans traiter précisément de la nature, ici le texte peut avoir un autre sens, selon que l’on change la ponctuation, et signifier : Comme tout en traitant la nature, ils n’ont pas touché à des questions physiques. — Ce second sens paraît le meilleur à Alexandre d’Aphrodisée, qui connaît les deux, et à Porphyre, qui sans doute suit Alexandre. Le premier que j’adopte est préféré par Thémistius et Simplicius. Je crois que les deux sens peuvent également se soutenir. Parménide et Mélissus ne traitent pas réellement de la nature, puisqu’ils nient le mouvement ; et ils soulèvent seulement des questions qui se rapportent à la nature. Ou bien on peut dire encore qu’ils traitent de la nature, mais que les questions qu’ils soulèvent ne sont pas conformes aux principes de la Physique. Aussi Aristote ne les appelle-t-il pas des physiciens. — Leur côté de philosophie, si ce n’est plus une discussion de physique, c’est au moins une discussion de métaphysique.
  15. Comme le mot d’Être reçoit plusieurs acceptions, voir les Catégories, ch. II, § 2, p. 54 de ma traduction, et Métaphysique, livre IV ch. 7, p. 1.017, a, 7, édit. de Berlin. Les deux acceptions les plus générales du mot Être sont celles de substance et d’accident, la substance formant la première catégorie, et l’accident comprenant les neuf autres, quantité, qualité, etc. — Tout l’être est ou quantité ou qualité, Aristote ne nomme que les deux premières catégories après la substance : voir les autres dans le traité spécial des Catégories, chap. V, et suiv.
  16. Il y a plusieurs sortes d’êtres, et non point un être unique selon l’hypothèse de Parménide et de Mèlissus.
  17. Que les êtres tout entiers sont qualité ou quantité, Aristote ne dit pas quels sont les philosophes qui ont soutenu cette étrange théorie ; mais elle ne répugne pas à la doctrine d’Héraclite, qui réduit le monde à n’être qu’une succession de phénomènes sans substance. Au fond, c’est le scepticisme. — Tout le reste se dit connue attribut de la substance, voir les Catégories, ch. V, § 5, p. 6 de ma traduction.
  18. Mélissus soutient, voir plus haut, ch. 2, § 5, et plus bas, ch. 4, § 1. — Si donc l’être est à la fois substance et quantité. D’après la doctrine d’Aristote, il n’y a pas d’être sans substance : et comme d’après Mélissus, l’être est qualité en tant qu’infini, il en résulte que l’être n’est pas un, comme le dit Mélissus, mais qu’il est au moins deux.
  19. Si l’être n’est que substance, il n’est plus infini, la substance dans le système d’Aristote ne sort pas de l’individu ; et la théorie de la substance infinie n’a été soutenue que beaucoup plus tard dans l’École d’Alexandrie. — Il faudrait qu’il fût une quantité, et dès lors il ne serait plus une substance exclusivement.
  20. Tout aussi bien que le mot Être, après avoir défini les diverses acceptions du mot Être, dans le § 1 et suiv, l’auteur passe aux diverses acceptions du mot Un. — Un se dit, Aristote n’indique ici que trois nuances du mot Un ; il en indique davantage dans la Métaphysique, livre IV. ch. 6, p. 1.015, b, 46, édit. de Berlin. Du Jus de la treille et celle du Vin, les deux expressions grecques diffèrent peut-être un peu davantage, la première comprenant aussi l’idée de l’ivresse, et l’autre ne comprenant que celle du vin.
  21. Si par Un on entend continu, c’est le premier sens du mot Un, signalé dans le § précédent. — L’être alors est multiple, et il n’est plus un comme le prétendaient Parménide et Mélissus.
  22. Sans tenir peut-être bien directement à notre sujet, en effet, cette question est étrangère à celle qu’on discute ici, et qui consiste uniquement à rechercher les significations diverses du mot Un. La divisibilité à l’infini emporte l’idée de tout et de parties ; mais c’est là une digression qui interrompt le raisonnement ; elle n’est peut-être qu’une interpolation.
  23. Si l’être est un en tant qu’indivisible, c’est la seconde des acceptions du mot Un indiquées plus haut au § 6. — Comme le croit Mélissus, voir plus haut, ch. 2, § 5. — Comme le soutient Parménide, id. ibid.
  24. Une définition commune, c’est la dernière des acceptions du mot Un indiquées plus haut au § 6. — Vêtement et Habit, en tant qu’objets destinés à couvrir le corps n’ont qu’une seule définition ; et, en ce sens, ils ne sont qu’une seule et même chose, comme plus haut le Jus de la treille et le Vin. — L’opinion d’Héraclite, à savoir que tout est dans un flux perpétuel, Métaphysique, livre XIII, ch. 4, p. 1.078, b 14, édit. de Berlin. — Tout se confond, c’est là l’objection la plus forte contre un pareil système.
  25. Comme Lycophron, on ne sait point précisément ce qu’est ce Lycophron. Aristote le cite encore une autre fois, mais sans donner plus de détails, Réfutations des Sophiste, ch. 15, § 16, p. 384 de ma traduction. — Les autres, Alexandre d’Aphrodisée croyait qu’Aristote voulait faire ici allusion à Platon ; mais Simplicius réfute cette conjecture, qui, en effet, paraît peu soutenable. — Il blanchit, dans le verbe blanchir le verbe d’existence être est confondu avec l’idée de blanc ; comme dans il marche, il est confondu avec l’idée de marcher. On ne voit pas du reste comment cet artifice de langage détruisait la contradiction apparente que l’on prétendait éviter. L’expédient était bien inutile ; car dans cette locution ; l’homme blanchit il y a deux choses tout aussi bien que dans celle-ci : l’homme est blanc.
  26. Les êtres sont multiples, réfutation de l’opinion qui vient d’être exposée. — Musicien, l’expression grecque est plus générale, et elle, signifie : Un élève des Muses ; mais cette nuance n’importe point ici. — L’un est multiple, puisque le même être peut réunir ces deux qualités. — Comme le tout et les parties, l’Etre considéré comme une totalité est autre que considéré dans chacune de ses parties.
  27. Il est impossible, Aristote se prononce énergiquement contre les doctrines de l’École d’Élée et contre l’unité de l’être. Voir sur toute cette discussion, le Parménide et le Sophiste de Platon, passim et surtout p. 258 et suiv. de la traduction de J. V. Cousin.
  28. Même en partant, ce paragraphe est à peu près la simple répétition de celui qui a été déjà donné plus haut, ch. 2, § 5. Mais ici ce paragraphe semble mieux à sa place. Simplicius, dans son commentaire, ne paraît pas s’être aperçu de cette répétition, qui indique sans doute du désordre dans le texte ; car il n’est pas probable qu’à un si petit intervalle, l’auteur ait voulu formellement se répéter mot pour mot.
  29. Mélissus raisonne mal, il ne semble pas que le principe de Mélissus, présenté comme il l’est ici, soit aussi faux qu’Aristote le dit ; du moins la réfutation n’est pas péremptoire, parce qu’elle n’est pas assez développée. Il aurait fallu prouver que l’hypothèse de Mélissus est erronée, et que ce qui n’a pas été produit peut avoir un principe. J’aurais voulu rendre ma traduction plus claire ; mais ce n’est pas l’expression qui est obscure ; c’est la pensée même, qui est restée incomplète. Les commentateurs tant anciens que modernes ne donnent rien de satisfaisant sur ce passage auquel ils ne se sont pas en général beaucoup arrêtés, comme s’il était parfaitement intelligible. Simplicius est à peu près le seul qui ai essayé de l’approfondir, et il a cité un long et curieux fragment de Mélissus, où se trouve en effet l’opinion qu’Aristote se croit en droit de condamner comme irrégulière et logiquement fausse ; mais les efforts de Simplicius n’ont pas très bien réussi et il ne fait pas voir non plus en quoi pèche le raisonnement de Mélissus
  30. Et que le temps n’en a point, il paraît donc que Mélissus soutenait l’éternité du monde. C’est une opinion qu’Aristote lui-même a soutenue. — Non plus que pour l’altération, par l’altération, Aristote entend un changement successif qui se passe dans l’être lui-même et par des causes intérieures. La génération, au contraire, vient nécessairement du dehors. — Qui se produit tout d’une pièce, les commentateurs citent pour exemple, la lumière du soleil qui éclaire tout à coup le ciel, l’eau qui se congèle tout à la fois, ou le lait qui se coagule. Mais ces éclaircissements laissent toujours à désirer. Pour comprendre pleinement la réfutation d’Aristote, il faudrait avoir sous les yeux l’ouvrage même de Mélissus auquel il répond.
  31. Et pourquoi l’altération y serait-elle impossible, Mélissus, comme Parménide, niait non seulement le mouvement qui s’opère par le déplacement dans l’espace ; mais en outre ce changement qui s’opère dans l’être lui-même et constitue cette forme particulière du mouvement qu’on appelle l’altération.
  32. Que l’être soit un en espèce, c’est-à-dire que tous les êtres soient de la même espèce ; car évidemment les espèces sont différentes, et d’après l’exemple donné plus bas l’espace de l’homme n’est pas celle du cheval. — Par l’identité du principe d’où il sort, on peut entendre par ceci la matière qui, dans le système d’Aristote, est logiquement l’élément commun et indéterminé de tous les êtres.
  33. Les mêmes arguments, qu’on vient de présenter contre la théorie de Mélissus. — Que ses données sont fausses, voir plus haut, § 1. — Qu’elles ne concluent pas.
  34. Tandis qu’il en a plusieurs, voir plus haut, chap. §§ 1 et suiv. quelques-unes des acceptions principales du mot Être.
  35. Ni par la continuité, ni par la définition, voir plus haut, ch. 3, § 6. — De l’être qui reçoit cette blancheur, il n’y a que la substance qui ait une existence séparée et indépendante. Voir la théorie de la substance dans les Catégories, ch. V, § 42, p. 65 de ma traduction.
  36. Que l’être est un, peut-être faudrait-il traduire, au contraire, que l’Un est l’être, pour que ceci s’accordât mieux avec ce qui suit. Le texte grec se prêterait à cette double interprétation. — L’existence réelle de l’être, qui est pris alors comme un simple attribut de l’un. — Et l’existence réelle de l’un, qui est pris alors comme sujet de l’être. — L’accident, qui est ici l’être joint à l’Un comme attribut. — Puisqu’il est différent de l’être, qui lui est simplement attribué, tandis que l’être au contraire devrait être le sujet de tous les attributs. — Un être sans existence qui existe, puisque dans les théories d’Aristote l’être seul, pris au sens d’individu, a une existence substantielle, tandis que l’un n’est qu’un attribut. — Que ce qui est réellement, à l’état d’individu ayant sa substance propre et indépendante. — À chacune de ces choses particulières, c’est-à-dire à l’un aussi bien qu’à l’être, aux attributs aussi bien qu’aux sujets. — Mais on suppose (Parménide suppose), le texte grec n’est pas aussi précis, et il ne nomme pas Parménide, disant seulement : Il est supposé que, etc., etc.
  37. Comment pourra-t-on dire, dans le système de Parménide, qui confond l’être et l’un dans une seule et même idée. — Aucun être ne peut jamais être l’attribut du blanc, puisque le blanc lui-même est un attribut et qu’il ne peut y avoir attribut d’attribut, au sens vrai du mot. — L’être réel devient un non-être, si l’on confond l’être et l’accident ou attribut.
  38. Le mot être peut avoir plusieurs sens divers, et alors il n’est plus au sens où l’entendait Parménide, puisqu’il faut reconnaître tout au moins dans l’être la substance et les attributs.
  39. Tel que le comprend Parménide, j’ai ajouté ces mots pour éclaircir la pensée. — A toujours un être différent, et alors l’être est multiple et non point un, comme le veut Parménide.
  40. Que l’animal et le bipède, l’idée d’animal et celle de bipède entrent essentiellement dans la définition de l’homme. — Ce sont des accidents, ce qui est impossible ; car l’homme est essentiellement animal et bipède ; ce sont là deux attributs substantiels qui se confondent avec l’être nécessairement, et ne peuvent en être séparés, sans que l’être lui-même ne soit détruit.
  41. Accident ou attribut, j’ai ajouté le second mot pour plus de clarté. Voir pour la définition de l’accident, Métaphysique, livre IV, ch. 30, p. 1025, a, 14, édit. de Berlin, et livre XI, ch. 8, p. 1064, b, 45 ; Derniers Analytiques, livre II, ch. 4. § 4, p. 23 de ma traduction. — Ce qui peut indifféremment être et ne pas être, c’est ce qui fait qu’il n’y a pas de science de l’accident, comme le dit Aristote, Métaphysique, liv. XI, ch. 7. — Dans le sujet, c’est l’accident commun à plusieurs sujets. Et ce dont la définition comprend l’être, c’est l’accident propre et spécial à un seul être, à une seule chose ; c’est l’accident inséparable. L’édition de Berlin indique ici une troisième espèce d’accident dans une phrase que je ne traduis pas, parce qu’elle ne se trouve point dans le texte de Simplicius, qui ne l’a point commentée. C’est sans doute une interpolation. Du reste, on retrouve en partie cette pensée un peu plus bas § 15. — Être assis est un simple accident, c’est la première espèce d’accident ou attribut qui peut être ou n’être pas au sujet. — Mais dans l’attribut Camard, seconde espèce de l’attribut, qui contient déjà dans sa définition l’idée même du sujet auquel il est attribué. Camard suppose l’idée de nez, et ne peut se définir que si l’on fait entrer cette idée dans sa définition.
  42. Il faut ajouter encore, ce § est obscur, et on ne voit pas bien comment il continue la réfutation de Parménide. Voici, je crois, le lien des idées : L’être n’est pas un comme Parménide le soutient ; car dans la définition même d’un être quelconque il y a toujours d’autres êtres que lui, nécessairement impliqués. Les deux parties de la définition ne sont pas absolument équivalentes. On définit fort bien l’homme en disant que c’est un animal bipède, etc. ; mais réciproquement on ne définit pas l’animal ni le bipède en disant qu’ils sont hommes, bien qu’animal et bipède entrent dans la définition de l’homme. Ainsi, la définition prouve que l’être n’est pas un, et qu’au contraire il est multiple.
  43. Soit un simple accident, c’est-à-dire un accident séparable qui peut être ou n’être pas dans le sujet. — Ou autrement, voir plus haut, § 14. L’accident inséparable est celui qui comprend dans sa définition l’idée même du sujet. Camard comprend l’idée de Nez.
  44. Si bipède, ainsi qu’animal, bipède et animal compris dans la définition de l’homme ne sont pas des accidents communs ; car l’homme ne peut pas indifféremment être ou n’être pas animal et bipède. Ce ne sont pas non plus des accidents inséparables, puisque la définition de l’un ou de l’autre ne contient pas nécessairement l’idée du sujet, attendu qu’il y a d’autres êtres que l’homme qui sont animaux et bipèdes. — L’homme est aussi au nombre des accidents, parce que l’homme équivaut à sa définition animal bipède, etc. ; et que si animal et bipède sont de purs accidents, l’homme alors le devient tout comme eux. Or, c’est impossible, puisque l’homme est essentiellement une substance.
  45. Ainsi donc, l’être total est composé d’indivisibles, cette phrase qui n’a point été commentée par Simplicius, quoi qu’elle paraisse avoir été dans son texte, vient ici bien brusquement. Pacius proposerait de lui donner une forme interrogative, et alors ce serait une objection qu’Aristote opposerait à Parménide : L’être total serait-il donc composé d’indivisibles ? Mais cet expédient n’éclaircit pas davantage la pensée. Ce qui semble le plus probable, c’est que l’auteur croit pouvoir conclure de la discussion précédente que l’être n’est pas un, comme le soutenait Parménide, et que l’être n’est qu’un composé d’autres êtres individuels, ce qui implique la multiplicité de l’être. Thémistins aussi, dans sa paraphrase, comprend qu’il s’agit de l’être dans sa totalité. « L’être réel, dit-il, se compose d’indivisibles et d’inséparables, qui sont eux-mêmes des êtres aussi réels que lui. »
  46. Quelques philosophes, c’est de Platon qu’Aristote entend parler ici, bien qu’il ne le nomme pas. — Des existences et des grandeurs, il n’y a qu’un seul mot dans le texte, grandeurs. — Individuelles, j’ai préféré ce mot à celui d’indivisibles. Du moment qu’on admet des grandeurs Indivisibles, l’être n’est plus un, et l’univers se compose d’êtres différents.
  47. Qu’il ne soit pas un certain être, le non-être se réduit alors à la privation : Le cheval n’est pas un homme ; le noir n’est pas le blanc. Dans ce sens, le non-être est encore quelque chose de relatif. Ce n’est pas le non-être absolu, au sens de l’école d’Élée. — Ainsi que je l’ai dit, voir plus haut, ch. 3, § 12.
  48. Il est donc de toute évidence, conclusion de tout ce qui précède ; mais la discussion n’a point été aussi claire et aussi précise qu’elle aurait pu l’être. — Que l’être soit un, ainsi que le soutenaient à tort Parménide et Mélissus.
  49. Les Physiciens, c’est-à-dire les philosophes qui étudient la nature sans nier, comme Parménide et Mélissus, les principes mêmes de la science en soutenant l’unité et l’immobilité de l’être. Voir plus haut, ch. 2, §§ 1 et 7. Les Physiciens, dans un sens plus spécial, sont surtout les philosophes de l’École d’Ionie.
  50. L’unité de l’être dans le corps, ce n’est plus l’unité de l’être au sens où l’entendait l’École d’Élée ; c’est l’unité de l’être dans l’individu, au sens où l’entend Aristote lui-même. — Des trois éléments, l’eau, l’air ou le feu, personne n’ayant proposé de regarder la terre comme le principe universel des choses, si ce n’est peut-être Hésiode ; voir dans la Métaphysique, liv. I, ch. 8, p. 989, a, 10, édition de Berlin. — Dont ils reconnaissent la multiplicité, que niaient Parménide et Mélissus. — De la densité et de la légèreté, l’élément qu’un prend pour principe est supposé pouvoir produire tous les êtres selon qu’il se condense ou se raréfie. — Platon en parlant du grand et du petit, voir le Phédon de Platon, p. 283 de la traduction de M. V. Cousin. Il est possible aussi que Platon ait encore traité de ces sujets dans des ouvrages qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous.
  51. Quant aux autres physiciens, c’est le second des deux systèmes dont il a été parlé plus haut au § 1. — Empédocle et Anaxagore, voir les opinions d’Empédocle et d’Anaxagore dans la Métaphysique, livre 1, ch, 3 et p. 849 et 985, édit. de Berlin : et de la Génération et de la corruption, livre 1, ch. 1, p. 314, a, 12, 15. — Du mélange antérieur, j’ai ajouté ce dernier mot. — L’un admet le retour périodique des choses, voir le traité de la Génération et de la corruption, livre I, ch, 4, p. 314, édit. de Berlin. C’est le Sphaerus d’Empédocle, mouvement alternatif d’enveloppement et de développement des choses, idée tout indienne. — L’autre n’y admet qu’un mouvement unique, c’est Anaxagore qui attribue à l’intelligence divine le débrouillement du chaos, voir la Métaphysique, livre 1, ch. 4, page 985, a, 48, édit. de Berlin. — Les parties similaires, les Homoeomères d’Anaxagore. Voir le traité de la Génération et de la corruption, livre 1, ch. 1., page 314, édit. de Berlin, et Métaphysique, loc, laud. — L’autre ne reconnaît pour infinis, c’est Empédocle qui, d’après Aristote, a été le premier à distinguer les quatre éléments, Métaphysique, livre 1, ch. 3, p. 984, a, 8, édit. de Berlin.
  52. L’opinion commune des Physiciens, voir la Métaphysique livre XI, ch. 6, page 40 (12,1), 25, édit. de Berlin. — Tout à l’origine était mêlé et confus, opinion d’Anaxagore qui commençait ainsi un de ses ouvrages. Voir la Métaphysique, livre 1, ch. 4. p. 984, a, 45, édit. de Berlin, et surtout le commentaire de Simplicius sur ce passage de la Physique. — Tout phénomène est un simple changement, voir le traité de la Génération et de la corruption, livre I, ch. 1, page 344, b, 44, édit. de Berlin. — Composition et décomposition, c’est le système d’Empédocle, le Sphaerus, d’où sort le monde, et le monde qui rentre dans le Sphaerus.
  53. Anaxagore s’appuie de plus, le texte n’est pas aussi précis et il ne nomme pas formellement Anaxagore. — Les contraires naissent les uns des autres, voir Platon, Phédon, p. 282 et suiv. de la traduction de M. V. Cousin. — Les contraires naissent d’éléments qui existent déjà : ainsi il y aurait dans le blanc les éléments du noir, et réciproquement, de même pour tous les autres contraires. — Échappent à tous nos sens, alors il est impossible de démontrer la réalité de ces éléments.
  54. Que tout est dans tout, la conséquence est rigoureuse ; mais c’est le principe qui est faux. Voir la Métaphysique, livre III, ch. 5, p. 1009, a, 26, édit. de Berlin.
  55. Si l’infini, objection contre la théorie d’Anaxagore, qui, si elle était exacte, détruirait la science de la nature, attendu que l’infini soit en nombre et en grandeur, soit en espèce, échappe à l’esprit de l’homme. — Les principes sont infinis, selon le système d’Anaxagore. — Les combinaisons qu’ils forment, et par conséquent la nature qui se compose des corps ainsi formés. Anaxagore prétendait que les parties similaires sont infinies en nombre et en espèce, et qu’elles sont les plus petites possibles ; en d’autres termes, des atomes.
  56. Susceptible de ces conditions, c’est-à-dire indéfiniment grande ou petite, comme les parties mêmes qui la composent. — Aient une grandeur quelconque, et par conséquent Anaxagore a eu tort de dire que les parties similaires étaient les plus petites possibles ; car les parties intégrantes d’un être, quel qu’il soit, ont une dimension précise, puisque l’être lui-même est limité dans son développement, et qu’il ne peut être ni indéfiniment grand, ni indéfiniment petit.
  57. Existent les unes dans les autres, c’est une des opinions prêtées plus haut à Anaxagore, §§ à et 5. — Tout corps fini est épuisé, l’exemple qui suit éclaircit suffisamment cette idée qui dans le texte n’est pas plus précise que dans ma traduction. — Qu’on en retranche, j’ai cru devoir ajouter ces mots que justifie le contexte. — Et c’est là une chose impossible, conséquence absurde, qui implique la fausseté du principe admis par Anaxagore, que tout est dans tout.
  58. J’ajoute, ce nouvel argument contre Anaxagore est en quelque sorte la contre-partie de celui qui précède ; et il n’en diffère que très peu. L’auteur vient de prouver qu’en admettant la prétendue analyse des corps sortant les uns des autres il y a une limite nécessaire ; car cette réduction successive d’un corps fini doit l’anéantir ; maintenant il prouve que les éléments intégrants des corps ayant également une limite, il arrivera nécessairement un point de ténuité d’où l’on ne pourra plus rien retrancher. — Moindre que la quantité la plus petite possible, ce qui est une hypothèse contradictoire.
  59. D’autre part, autre argument coutre la théorie d’Anaxagore, que tout est dans tout. D’après ce principe, on arrive à cette conséquence que, dans chaque corps réputé infini, il y a une infinité d’autres corps infinis qui sont eux-mêmes infinis. Ce que la raison ne peut comprendre.
  60. Que jamais la séparation des éléments ne sera complète, l’expression est moins précise dans le texte ; mais je suppose que ceci fait allusion à l’intervention de l’intelligence divine ordonnant les éléments du chaos, comme Anaxagore le pensait. La séparation des choses sera sans terme, puisque les éléments eux-mêmes sont infinis. Aristote admet que cette théorie est vraie ; mais il croit qu’Anaxagore ne l’a pas bien comprise, attendu qu’elle s’applique à un tout autre sujet, c’est-à-dire aux qualités affectives des choses, qui en effet n’en sont jamais séparables. — Par exemple, le blanc ou le salubre, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. Le blanc représente les couleurs en général ; le salubre représente les propriétés. — Qui ne sera absolument que salubre ou blanc, c’est-à-dire qui ne sera rien, puisque les qualités des choses ne peuvent pas exister indépendamment de ces choses, et que l’attribut n’a d’existence que dans son sujet. — L’Intelligence, c’est de l’intelligence divine qu’il s’agit, ordonnatrice du chaos selon Anaxagore. — Supposée par Anaxagore, j’ai cru pouvoir ajouter ces mots. — Parce qu’il n’y a pas de grandeur plus petite, voir plus haut § 10. — Parce que les affections des choses en sont inséparables, principe posé au début de ce § même.
  61. De ses espèces similaires, le texte dit espèces, et non plus parties, comme plus haut. — La boue se divise en d’autres boues, quand la boue est formée, les parties dans lesquelles on la divise sont bien encore de la boue ; mais si l’on veut remonter à ses éléments primitifs, elle se divisera en eau et en terre, éléments qui ont servi tous deux à la composer. On peut trouver d’ailleurs que cet exemple de la boue est assez mal choisi. — Les murs viennent de la maison, c’est-à-dire qu’ils sont les parties du tout que forme la maison. — Et la maison des murs, c’est-à-dire que la maison est composée par les murs qui la forment. Il y a donc entre la maison et les murs les rapports de parties et de tout, tandis qu’entre l’air et l’eau, il y aurait selon Anaxagore, rapport de véritable génération.
  62. Comme l’a fait Empédocle, ceci ne veut pas dire d’ailleurs qu’Aristote préfère Empédocle à Anaxagore, pour lequel il a exprimé la plus haute admiration dans le premier livre de la Métaphysique, ch, 4,p. 984, b, 17, édit. de Berlin. Cette longue réfutation prouve même tout le cas qu’il en fait.
  63. Tous les Physiciens, ce terme général comprend ici tous les philosophes qui se sont occupés de l’étude de la nature, soit de l’École d’Élée, soit de l’École d’Ionie ou des autres écoles. Un peu plus haut ce terme avait été entendu dans un sens plus restreint. Voir plus haut, ch. 5, § 1. — Comme Parménide, voir plus haut, ch. 2, § 1, et Métaphysique, Livre I, ch. 5. Dans ce dernier passage Aristote ne dit pas aussi nettement qu’ici que Parménide a pris pour principes la terre et le feu. Il lui prête cette opinion en même temps qu’à plusieurs autres philosophes. — Comme le dit Démocrite, voir la Métaphysique, Livre III, ch. 5, p. 1009, e, 27, édit. de Berlin. — Par la position, la figure, l’ordre, voir la Métaphysique, Livre I, ch. 4, p. 985, b, 14, édit. de Berlin, où Aristote ne nomme pas non plus les philosophes auxquels il attribue cette opinion.
  64. Les principes ne doivent, voir les Derniers Analytiques, Livre 1. ch. 2, § 8, p. 9, de ma traduction. — Ni venir d’autres choses, car alors ce ne serait plus à vrai dire des principes. — Les contraires primitifs, c’est-à-dire pris le plus haut possible dans la série des choses : le froid et le chaud, le sec et l’humide. Voir plus loin, § 11.
  65. Cet axiome, absolument opposé à celui d’Anaxagore que tout est dans tout. Aristote établit au contraire que chaque chose a sa nature propre, et qu’elle ne peut indifféremment agir sur telle autre chose, ni souffrir de cette autre chose une action quelconque. La nature a des lois spéciales pour chaque chose qu’elle produit.
  66. Comment, par exemple, le blanc sortirait-il du musicien, l’exemple pouvait être mieux choisi et plus clair. Les commentateurs en ont pris un autre et avec raison. L’aimant agit sur le fer qu’il attire ; il n’agit pas sur le bois ; et réciproquement, le fer subit l’influence de l’aimant ; mais le bois n’en ressent aucune action. Ainsi tout n’agit pas sur tout de la même manière. — Mais du noir et des couleurs intermédiaires, parce qu’il faut que les contraires soient dans le même genre ; et ici le genre est celui de la couleur et dans la catégorie de la qualité.
  67. Une chose quelconque ne se perd pas davantage, ce § est la contre-partie de celui qui procède. Après avoir considéré comment les choses passent du non-être à l’être, l’auteur examine ici comment, au contraire, elles passent de l’être au non-être. — Le blanc ne se perd pas dans le musicien, mêmes exemples que plus haut. Le blanc ne peut pas plus sortir de son genre pour disparaître, qu’il n’en sortait pour devenir blanc. — Mais dans le noir, qui est aussi dans le genre de la couleur et non dans un autre genre.
  68. Les êtres qui ne sont plus simples, comme ceux qu’on vient de citer : Musicien, blanc, noir. — Mais composés de parties diverses, comme le prouvent les exemples cités plus bas.
  69. Ce qui est organisé, le mot du texte signifie peut-être aussi : harmonisé. J’ai préféré l’autre mot, qui est plus clair et plus familier. — Il faut, en outre, voir plus haut le § 5.
  70. Qu’on parle ici d’organisation, ou d’harmonie. — Ou d’ordre, relativement à des choses qui se succèdent avec une certaine régularité. — Antérieurement… antérieurement, j’ai ajouté deux fois ce mot pour plus de clarté.
  71. Tout ce qui vient à naître, et par conséquent n’est pas principe. — Les couleurs viennent du blanc et du noir, cette théorie qui peut paraître étrange au premier coup d’œil, a plus de vérité qu’il ne semble. La réunion de toutes les couleurs du spectre solaire compose la lumière blanche ; et l’absorption de toutes ces couleurs compose le noir. Ainsi, la tradition que suit Aristote ne se trompe pas, et l’on peut dire à la lettre que toutes les couleurs viennent du blanc et du noir, en ce sens qu’elles sont comprises entre ces deux extrêmes.
  72. Ainsi que nous venons de le dire, plus haut, § 1.
  73. Des termes antérieurs… des termes postérieurs, selon que l’on remonte plus ou moins haut dans la série des choses. — Pour la raison… pour la sensibilité, voir plus haut, ch. 1, § 2, des théories assez analogues à celles-ci.
  74. Où le voit de reste tout le monde, le vulgaire sait aussi bien que les savants que le froid est le contraire du chaud, et que prendre ces deux contraires pour principes, c’est tout différent que de prendre le sec et l’humide, ou l’amour et la haine. — Par les rapports d’analogie, parce que le sec et l’humide sont dans leur série des contraires tout à fait analogues au froid et au chaud dans la leur, au pair et à l’impair, ou à l’amour et à la haine. — À une seule et même série, le froid et le chaud sont dans la même série de contraires ; l’amour et la haine, de même, etc. — Et, toute la différence, le texte n’est pas aussi précis. — Enveloppent, quand ils sont plus généraux. — Les autres sont enveloppés, quand ils le sont moins. — Je le répète, c’est en effet ce qui vient d’être dit, quelques lignes plus haut, § 11. — L’universel est bien plus notoire pour la raison, ceci semble contredire ce qui a été exposé plus haut au début du traité, ch. 1, §§ 4 et 5 ; mais il faut distinguer entre l’universel, qui est en effet plus clair pour la raison, et le tout qui est plus clair pour la sensibilité. Ce tout est d’abord pour la sensation qui le révèle une sorte d’universel ; mais il se particularise de plus en plus, à mesure que l’esprit l’analyse en l’examinant. Au contraire, le véritable universel devient d’autant plus clair pour la raison, qu’il se généralise davantage. — Le grand et le petit s’adressent à la raison, parce que c’est la raison qui compare les deux objets et tire de cette comparaison les notions générales de grandeur et de petitesse. — Le rare et le dense, il aurait peut-être mieux valu dire : Le froid et le chaud.
  75. Si les principes de l’être, le texte dit simplement : Les principes ; mais la suite prouve bien qu’il s’agit ici des principes de l’être en général, en d’autres termes, des principes de tout ce qui est.
  76. Puisque les contraires sont toujours plus d’un, et qu’il a été prouvé dans le chapitre précédent que les contraires sont les principes des choses, dans tous les systèmes sans distinction.
  77. Car, alors, l’être serait inaccessible à la science, c’est un des principaux arguments qui ont été opposés au système d’Anaxagore sur l’infinité des principes ; voir plus haut, ch. 5, § 7.
  78. Une seule opposition par contraires, une seule contradiction, par exemple, la substance et ce qui n’est pas substance.
  79. Si l’on en croit Empédocle, voir plus haut, ch. 5, § 14, où Aristote donne la préférence aux théories d’Empédocle sur celles d’Anaxagore.
  80. Il y a en outre des contraires, cette pensée ne se lie pas très bien à celles qui précèdent et qui suivent, ou plutôt elle n’est pas assez développée. Il a été établi dans le chapitre précédent que les principes sont des contraires ; on pourrait en conclure réciproquement que tous les contraires sont des principes. Aristote va au-devant de cette hypothèse erronée, en distinguant des contraires qui sont antérieurs les uns aux autres. Par conséquent, il y a des contraires qui ne sont pas des principes. — Ainsi, le doux et l’amer, le blanc et le noir, ces exemples ne répondent qu’a la dernière partie de la pensée précédente. Ce sont là des contraires qui viennent de contraires différents ; l’amer vient du doux, comme le noir vient du blanc ; et a l’inverse. — Rester immuables, rester ce qu’ils sont comme principes, et par conséquent l’un ne peut jamais être antérieur à l’autre, puisqu’alors le second ne serait plus un principe véritable.
  81. On pourrait également se demander, il n’est pas possible qu’un des contraires agisse sur l’autre contraire, à moins qu’on ne suppose un sujet substantiel dans lequel se passe le changement d’un contraire à l’autre. — Sur un troisième terme, la substance, où a lieu le changement du contraire dans le contraire opposé. — Certains philosophes, comme Empédocle qui a le premier admis quatre éléments.
  82. Servant de support aux contraires, j’ai rendu par cette périphrase la force de l’expression grecque. — Le principe ne peut pas du tout être l’attribut de quoi que ce soit, ceci contredit la théorie posée plus haut, que les principes sont des contraires. — Le sujet est principe, la substance, en effet, est le principe et le support de tout le reste ; les attributs n’existent pas sans elle ; et, par conséquent, elle les précède, bien qu’il n’y ait pas de substance sans attributs. — Antérieur à ce qui lui est attribué, voir les Catégories, ch. 5, § 5, p. 62 de ma traduction.
  83. De plus, nous soutenons, voir les Catégories, ch. 5, § 18, p. 68 de ma traduction. Le caractère éminent qu’Aristote donne à la catégorie de la substance, c’est de ne pouvoir être contraire à la substance, c’est-à-dire à elle-même, tandis que, dans toutes les autres catégories, il peut y avoir opposition des contraires. Ainsi, dans la quantité, le grand est le contraire du petit ; dans la qualité, le chaud est le contraire du froid, etc.
  84. L’exactitude de notre premier raisonnement, à savoir que les principes sont des contraires. Voir le ch. 6 tout entier. — Et l’exactitude de celui-ci, à savoir que les principes ne peuvent pas être des attributs ; et les contraires n’étant que des attributs, il faut supposer un troisième terme outre les contraires. — Un troisième terme, qui est la substance.
  85. Avec une nature et un élément uniques, j’ai ajouté ces mots : Et un élément, que justifie la suite du texte et qui rendent la pensée plus claire. — Prenant l’eau ou le feu, voir la Métaphysique, livre I, ch. 4, p. 984, a, 6, édit, de Berlin.
  86. Le sujet, c’est le mot du texte ; peut-être celui de substance serait-il préférable. — L’air pour premier principe, c’est Anaximène et Diogène d’Apollonie, d’après la Métaphysique, livre I, ch. 3, p. 984, a, 5, édit. de Berlin. — Qui prennent l’eau, c’est Thalès, id, ibid., p. 983, a, 20.
  87. Comme nous le faisions remarquer un peu plus haut, voir ch. 5, § 2, et ch. 6, § 1, § 45. Dans l’unité, l’individu, la substance qui a certaines qualités, tantôt plus et tantôt moins.
  88. Les anciens… les philosophes postérieurs, d’après Simplicius les Anciens seraient les Pythagoriciens, et les Philosophes postérieurs seraient représentés par Platon. Voir plus haut, ch. 3, § 11.
  89. Comme nous venons de le dire, voir plus haut, § 8.
  90. Car, d’abord, l’unité suffit, première objection contre la théorie qui admet plus de trois principes des choses. L’unité, la substance, suffit à recevoir les contraires ; et du moment qu’elle suffit, il n’est que faire de chercher au-delà ; car c’est un principe fondamental de la philosophie d’Aristote, que rien ne duit être fait en vain, et qu’il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité.
  91. Une autre nature intermédiaire, c’est-à-dire une substance susceptible des deux contraires, éprouvant les changements qu’ils forment, et ne changeant pas elle-même. Il y aura dès lors deux substances et quatre contraires, se divisant en une substance avec deux contraires de chaque côté. On revient ainsi au système des trois principes. — En étant simplement deux, ces mots que donne l’édition de Berlin d’après quelques manuscrits sont indispensables, bien qu’ils manquent dans quelques autres manuscrits.
  92. Primordiale, il faut admettre cette restriction ; car les oppositions secondaires sont nombreuses dans chaque genre. On doit entendre par opposition primordiale la contradiction la plus générale de toutes ; « Une chose est ou n’est pas telle chose. » — Les uns sont postérieurs et les autres antérieurs, voir plus haut, § 6. — Qu’une seule opposition, toutes ces théories auraient eu besoin d’être éclaircies par des exemples.
  93. Ainsi que je l’ai dit, voir plus haut, § 1, au début du chapitre, où il a dit non pas précisément que cette recherche fût difficile, mais qu’elle devait faire suite aux précédentes.
  94. Il est conforme à l’ordre naturel, voir plus haut, ch. 1, § 2, où la méthode qu’on regardait comme la plus naturelle n’est pas tout à fait celle qu’on applique ici. La Génération des choses ne doit pas s’entendre ici dans le sens de Création, et la suite éclaircit dans quelles limites restreintes il faut comprendre cette expression.
  95. Et que telle chose devient différente, le texte grec n’est pas tout à fait aussi clair ; mais les développements qui suivent m’ont autorisé à préciser davantage les idées, en traduisant comme je l’ai fait. — Des termes simples ou des termes composés, il semblerait donc qu’il s’agit ici surtout de distinctions verbales. — Qu’un homme devient musicien, les termes sont simples, soit pour le sujet Homme, soit pour l’attribut Musicien. — Qu’un homme qui n’est pas musicien, etc., les termes sont complexes dans le sujet et dans l’attribut. Cette distinction est vraie certainement ; mais on ne voit pas bien à quoi elle sert pour arriver à conclure que, dans toute chose qui change, il y a une partie qui subsiste, et que cette partie c’est l’essence même de la chose, ce qui la fait ce qu’elle est. — Et ce qu’il devient, c’est-à-dire son attribut.
  96. De ces deux expressions, la nuance indiquée dans ce § est exacte ; mais elle peut sembler assez subtile. — Qu’une chose devient telle chose, comme le disent les scolastiques, le terme est alors énoncé au cas direct, et l’on dit simplement au nominatif : L’homme devient musicien. — Mais encore qu’elle provient de telle situation antérieure, et, par exemple, on dirait : De non-musicien l’homme devient musicien ; c’est alors le cas oblique et non plus le nominatif.
  97. Dans les choses qui se produisent ainsi, ou plus exactement : Dans ces manières d’exprimer les choses qui se produisent. — Des termes simples, dans les termes complexes, au contraire, tout disparaît et rien ne subsiste. Le non-musicien périt tout entier en devenant musicien ; mais l’homme subsiste et demeure en tant que sujet, pour recevoir tous les attributs qui indiquent le changement. — En devenant quelque chose, j’ai ajouté ces mots, qui ressortent d’ailleurs du contexte. — Que ce terme d’ailleurs soit simple ou complexe, c’est-à-dire que l’on dise : Le non-musicien, ou bien L’homme non-musicien. Dans ce dernier cas, en effet, comme dans l’autre, l’homme non-musicien périt tout entier en devenant musicien, quoique l’homme lui-même subsiste ; mais l’homme en tant que non-musicien a disparu, tout aussi bien que le non-musicien a disparu devant le musicien.
  98. Ceci une fois établi, conclusion tirée de ce qui précède. — Dans tous les cas de génération, au sens où on vient de l’expliquer plus haut. — Et demeure pour supporter le reste, la force de l’expression grecque m’a paru exiger cette paraphrase.
  99. Un sous le rapport du nombre, c’est une des propriétés de la substance ; voir les Catégories, ch, 5,§ 66, p. 15 de ma traduction. — Dans la forme, ou dans l’espèce. Ainsi, au lieu de dire qu’un homme devient musicien, ou dira que c’est le non-musicien. Dans ce cas, non-musicien remplace homme et la forme ou l’espèce est différente, bien qu’au fond le sujet n’ait pas changé. — La définition, ou l’explication. — Qui remplace le sujet, j’ai ajouté ces mots qui complètent et éclaircissent l’idée. — Ainsi homme et non-musicien, un de ces termes se prend indifféremment pour l’autre, dans les exemples qu’on vient de citer, quoiqu’ils ne soient pas absolument identiques. — C’est ce qui n’est pas susceptible d’opposition, en d’autres termes, la substance, le sujet. Voir les Catégories, ch. 5, § 18, p. 68 de ma traduction. La substance en restant une et identique à elle-même n’a pas de contraire et n’est contraire à rien, bien qu’elle puisse recevoir les contraires, tout en conservant son identité essentielle. — Mais le musicien et le non-musicien, ce sont là en effet, des opposés qui n’ont pas d’existence substantielle, et qui ne peuvent exister que dans un sujet capable de les recevoir tour à tour.
  100. Sortant de tel état, c’est ce qui est exprimé par la préposition De, quand on dit que De non-musicien l’homme devient musicien. — Par elles-mêmes, j’ai ajouté ces mots qui complètent la pensée. — Ne subsistent pas, c’est-à-dire, Ne sont pas des substances capables de recevoir, des attributs. — De non-musicien, et effet, Non-musicien n’est pas une substance, bien que ce terme remplace celui d’Homme qui désigne une substance. — Que d’homme on devienne musicien, voir plus haut, § 3. Même pour les substances, l’exemple qui suit prouve que ceci s’applique aux substances purement matérielles et factices. — Non pas que l’airain devient statue, il semble que cette locution est tout aussi naturelle que l’autre. — De ce qui est opposé, voir au § précédent. — Et ne subsiste pas, comme le musicien et le non-musicien. — La chose vient de telle autre chose, ainsi du non-musicien vient le musicien. — Ou qu’elle devient telle autre chose, ou bien en mettant les termes en nominatif : Le non-musicien devient musicien. — De même pour le composé, voir plus haut § 2. — De l’homme non-musicien, terme complexe où, à la notion du sujet, est jointe la notion de l’état antérieur qu’il quitte pour en prendre un autre, et où, de plus, l’expression a pris une forme indirecte. — L’homme non-musicien devient musicien, terme complexe, où la forme est directe, le sujet étant mis au nominatif.
  101. Peut avoir plusieurs acceptions, voir la Métaphysique, livre IV, ch,. 24, p. 1.023, a, 26, édit. de Berlin, et livre VII, ch. 7, p. 1.048, id. — Et naissent, j’ai ajouté ces mots que justifie le contexte ; devenir d’une manière absolue, c’est naître, comme le prouve ce qui est dit au § suivant. — Elles deviennent quelqu’autre chose, c’est-à-dire qu’elles sont déjà existantes, et qu’elles subissent un simple changement d’état. — Aux seules substances, voir le § qui suit. — Au préalable, l’expression du texte implique cette idée. — La quantité, la qualité, etc., voir les Catégories, ch. 6, 7, 8, p. 12 et suiv. de ma traduction. — L’attribut… les attributs, le texte n’est pas tout à fait aussi précis ; et Aristote dit simplement qu’une chose est dite d’une autre. L’idée est au fond identique. — Tous les autres termes, le texte dit seulement : Tout le reste.
  102. Tous les êtres qui existent absolument, soit qu’en effet ils soient des substances réelles, soit que le langage seul leur prête une existence substantielle. — Qui naît et devient, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — D’une semence, le mot grec a un double sens, comme le nôtre, qui en cela n’est qu’une imitation. — Généralement parlant, c’est-à-dire tout ce qui passe du néant à l’être, et non pas d’une certaine manière d’être à une autre manière. — Qui s’accroissent en se développant, comme les plantes ou les animaux, qui deviennent plus gros qu’ils n’étaient au moment de leur naissance. — Un changement dans leur matière, comme l’eau qui de froide devient chaude.
  103. Tout ce qui devient et se produit, en d’autres termes : Tout changement. — Une certaine chose qui se produit, c’est l’attribut nouveau que prend le sujet, ou la forme nouvelle qu’il revêt. — Une certaine autre chose qui devient celle-là, c’est le sujet qui reçoit une nouvelle forme, et qui devient ce qu’il n’était pas, en recevant un nouvel attribut. Ainsi, l’homme non-musicien devient musicien. — Dans cette dernière, j’ai ajouté ces mots, afin d’être plus précis. — Ou c’est l’opposé, par exemple, le non-musicien ; voir plus haut, § 6. L’opposé ou ce qui est susceptible d’opposition, c’est le contraire, l’attribut, qui peut être dans un sens ou dans l’autre ; mais le sujet subsistant par lui-même n’est pas susceptible d’opposition. — Dans l’exemple cité plus haut, j’ai ajouté ces mots. — L’opposé, c’est ce qui est privé de la forme, ainsi Non-musicien est l’opposé dans cette locution : l’homme non-musicien, tandis que L’homme est le sujet. Non-musicien est appelé opposé, parce qu’en effet il est l’opposé du Musicien, tandis que l’Homme n’est l’opposé de quoi que ce soit. De ce § on peut conclure que pour Aristote les principes du changement ou de la génération des choses sont au nombre de trois ; le sujet, la privation et la forme ; le sujet, qui est le lieu du changement ; la privation, qui est l’état antérieur ; et la forme, qui est l’état nouveau du sujet. Ces trois principes seront réduits à deux dans le § suivant, le sujet et la forme, parce que le sujet est double ainsi qu’on vient de le dire, et qu’il renferme aussi la privation.
  104. Des principes et des causes, voir plus haut, ch. I, § 4, la note sur l’homonymie de ces deux expressions. — Du sujet et de la forme, au sens où on vient de l’expliquer dans le § précédent. La privation est en quelque sorte déjà une forme négative, si l’on veut ; et elle ne doit pas être comptée parmi les éléments des choses, puisqu’elle disparaît devant la nouvelle forme que revêt le sujet. — Composé de l’homme et du musicien, l’homme étant le sujet, et le musicien étant la forme. Le sujet subsiste par lui-même, et il précède la forme qu’il revêt. — Vous pourriez, cette forme assez étrange de la seconde personne du verbe est dans le texte grec. — Les définitions de l’un, c’est-à-dire de l’homme musicien, de composé. — Dans les définitions des deux autres, c’est-à-dire dans les définitions séparées de l’homme et du musicien. Cette phrase pourrait se comprendre aussi d’une manière plus générale, et elle signifierait alors que les définitions des choses peuvent se résoudre dans les définitions des deux principes de l’être, le sujet et la forme. La fin de la phrase dans le texte semblerait même impliquer ce sens. — De ces principes, le sujet, ou matière, et la forme.
  105. Spécifiquement il soit deux, la privation étant comprise aussi dans le sujet. Voir plus haut, § 10. — Ou l’or, qui servirait à faire une statue, comme on l’a dit de l’airain, au § 7. — La matière, c’est le terme dont se sert le plus habituellement Aristote pour l’opposer à la forme. — Est numérable, en tant qu’une et individuelle, subsistant en soi, tandis que la privation et les contraires, n’étant que des attributs ou accidents, n’existent jamais que dans un autre. On ne peut, en effet, compter que les individus. — Davantage, c’est l’expression du texte ; et peut-être eût-il mieux valu dire que la matière est exclusivement la véritable et seule réalité, au sens où on l’entend ici.
  106. Quant à l’espèce, ou à la forme, pour être plus précis ; mais j’ai cru devoir conserver ici le mot même du texte. — Elle est une, comme le sujet ; et alors les principes sont deux : la matière et la forme. — Et, par exemple, c’est l’ordre, pour bien comprendre ceci, il faut se reporter au § 8 du ch. 6, où Aristote établit que la génération des choses ne consiste souvent que dans un certain ordre donné à des éléments antérieurement existants. Ainsi, la maison résulte de l’arrangement des matériaux. — La musique, comme dans les exemples qui viennent d’être cités si souvent de l’homme musicien et non-musicien ; c’est la musique qui y compose l’attribut ; et alors on peut dire que la musique est la forme de l’homme, comme l’ordre est la forme de la maison.
  107. Ainsi, conclusion de la discussion précédente. — Au nombre de deux, le sujet ou matière et la forme. — Qu’ils sont trois, si l’on décompose le sujet en deux : le sujet lui-même et la privation.
  108. Ce sont des contraires, voir plus haut le ch. 6, où il a été établi que tous les philosophes sont d’accord pour reconnaître que les principes sont des contraires. — Quand on dit, que le non-musicien devient musicien, etc. ; mais j’ai cru devoir conserver la tournure même du texte, bien qu’elle soit moins claire. — Agissent jamais l’un sur l’autre, voir les Catégories, ch. 11, § 3, p. 422 de ma traduction, et la Métaphysique, livre V, ch. 10, p. 1,018, a, 20 édit. de Berlin. Au contraire, la forme, qui est un des principes, agit sur le sujet ou la matière, qui est l’autre principe. — À cette difficulté, qui consiste à reconnaître les principes pour des contraires et à contester qu’ils soient des contraires. — Que le sujet est différent, sous-entendu : de la privation ; et alors le sujet en tant que matière n’est pas le contraire de la forme ; c’est la privation seule qui pourrait être considérée comme le contraire de la forme. — Il n’est pas du tout un contraire, voir les Catégories, ch. 5, § 18, p. 68 de ma traduction. C’est une des propriétés principales de la substance de n’être contraire à rien ; elle n’a pas de contraires, puisque c’est elle qui est le réceptacle et le lieu des contraires.
  109. Pas plus nombreux que les contraires, et ils sont pour ainsi dire deux contraires, ils sont deux comme les contraires. — Pour ainsi dire, cette restriction est justifiée dans ce qui suit. — Leur essence est différente, ceci s’applique exclusivement aux rapports du sujet et de la privation, comme le prouvent les exemples cités dans le texte. — L’essence du non-musicien, voir plus haut §§ 3 et suiv.
  110. Ou par son absence, car les deux contraires ne peuvent coexister, voir les Catégories, ch. 11, § 3, p. 122, de ma traduction.
  111. Cette matière première, j’ai ajouté ces mots pour que l’idée fût aussi claire que possible. — Qui sert de support, soit aux contraires, soit à la forme. — A une analogie, ou une sorte de similitude et de rapport proportionnel. — Ou bien encore, cet exemple est général, au lieu d’être spécial comme les deux premiers. — Cette nature qui sert de support, le texte est moins explicite. 19. Elle est donc à elle seule, la matière première est un des deux principes de l’être, la forme étant l’autre. — Individuel et particulier, j’ai dû mettre ces deux mots pour rendre la force de l’expression grecque. — Que sa notion, ou sa définition. — Qui est la privation, comme le non-musicien, quand on dit que l’homme devient musicien. Il ne pourrait pas devenir quelque chose qu’il serait déjà, et il faut donc qu’il soit non-musicien et affecté de cette privation pour devenir musicien.
  112. En résumé, cette idée d’une conclusion définitive n’est pas aussi nette dans le texte grec. — Sont deux, la matière et la forme. — Ils sont aussi davantage, la matière, la privation et la forme. — Ne peuvent être que les contraires, voir plus bout, ch. 6. — Un sujet à ces contraires, c’est l’objet du présent chapitre. — Ce qui n’est pas encore éclairci, voir plus loin, livre II, ch. 1, §§ 15 et 17 ; voir aussi la Métaphysique, livre VI, ch. 1, p. 1.028, a, 26, édit. de Berlin.
  113. Déjà une manière, voir plus loin une seconde manière, §§ 14 et 16. — La question débattue par les anciens, voir plus haut les ch. 2 et 3 où est débattue la question de l’unité ou de la pluralité de l’être
  114. Les premiers philosophes, Parménide, Mélissus, et les Ioniens ou physiciens, dont il a été parlé plus haut ; voir plus haut, ch. 2 et suiv. — Rien ne se produit et que rien ne périt, c’était nier le mouvement ; et l’être était alors immobile et un. Ce système était celui des Eléates.
  115. Que l’être ne peut pas être plusieurs, en d’autres termes, ils soutenaient l’unité de l’être, et ils ne distinguaient aucune nuance dans l’existence des choses. Ce système a été déjà réfuté plus haut, ch. 3 et 4.
  116. Déjà nous avons fait voir, voir plus haut. ch. 5, § 4, où il est spécialement question des opinions d’Anaxagore.
  117. Qu’une chose vient de l’être ou du non-être, toute cette pensée est exposée dans le texte d’une manière peu claire. Voici le sens. Quand on dit qu’une chose vient ou de ce qui est ou du néant, cette expression à un double sens. L’être ou le non-être peut s’entendre dans un sens propre ou dans un sens indirect, comme lorsqu’on dit qu’un médecin fait telle chose, cela peut signifier ou qu’il agit en tant que médecin ou qu’il agit en tant qu’homme et fait des actes qui n’ont aucun rapport à la médecine. Ainsi donc, Rien ne vient de rien, est une proposition vraie si on la prend au sens propre ; et, en effet, le néant ne peut rien produire ; mais au sens indirect, cette proposition n’est plus vraie ; car pour qu’une chose devienne ce qu’elle n’était pas antérieurement, il faut bien qu’elle parte de ce qui n’est pas, du non-être. — Ces diverses expressions, qui paraissent toutes équivalentes, bien que la forme soit diverse.
  118. Que celles-ci, qui se rapportent à celles qu’on a citées au § précédent, et qui n’en sont que la reproduction presque textuelle ; seulement ici on a retranché l’alternative de l’être et du non-être. — Ont également deux acceptions, l’une propre, l’autre indirecte ; l’une en soi, l’autre accidentelle, comme le prouve l’exemple qui suit.
  119. Si en effet le médecin vient à construire une maison, c’est le premier cas supposé au § 5, où le médecin agit et fait quelque chose, sans que ce soit en tant que médecin. — S’il devient blanc, second cas, où le médecin souffre quelque chose sans que ce soit non plus en tant que médecin. — S’il guérit, le médecin agit alors en tant que médecin. — S’il échoue, il souffre alors en tant que médecin.
  120. Au sens propre, éminemment, et non point dans le sens indirect. — Ou devient ce qu’elle n’était pas, j’ai ajouté ces mots, qui me sont que la paraphrase de ce qui précède, mais qui m’ont semblé indispensables pour la clarté complète de la traduction.
  121. Les philosophes anciens dont il a été question plus haut, au § 1, et qui soutenaient que le non-être, le néant, ne peut rien produire, et que rien ne peut venir du néant. — Rien autre chose en dehors de l’être, le texte est un peu moins précis et il dit simplement : « Rien du reste, » entendant, par le reste, les attributs de l’être en dehors de son essence substantielle. — Toute génération des choses, c’est-à-dire tout mouvement.
  122. Avec eux, j’ai ajouté ces mots qui sont implicitement compris dans l’expression grecque. — Absolument parlant, au sens qui vient d’être établi un peu plus haut. — Indirectement et par accident, il n’y a qu’un seul de ces deux mots en grec ; j’ai mis les deux pour être plus clair. De la privation qui, en soi, est le non-être, j’ai préféré ce sens qui me semble s’accorder mieux avec tout le contexte, bien qu’on pût comprendre aussi que la chose qui en soi est le non-être vient de la privation. Voir plus bas, ch. 10, 4.
  123. C’est encore de la même façon, il vient d’être établi qu’en un sens, l’être peut venir du non-être, malgré ce qu’en avaient pensé les premiers philosophes. On prouve maintenant ici que l’être ne peut non plus venir de l’être que pur accident, comme il vient du non-être. Voir plus haut § 2.
  124. Que de l’animal vient l’animal, sans doute l’animal vient de l’animal d’une manière générale ; mais dans la réalité c’est un certain animal d’une espèce particulière qui vient d’un animal de la même espèce. C’est donc indirectement et par accident qu’on peut dire que l’animal vient de l’animal ; car si c’était au sens propre ou serait conduit à cette absurdité qu’un chien pourrait provenir d’un cheval tout aussi bien que d’un chien, puisque le cheval est animal autant que le chien peut l’être, et qu’on a d’abord admis que l’animal vient de l’animal. — D’un certain animal, c’est-à-dire d’un autre chien. — Mais encore de l’animal en général, ce qui est faux. — Autrement que par accident, c’est-à-dire en soi et au sens propre du mot. — Ce n’est pas de l’animal en général qu’il vient, mais d’un animal de son espèce particulière. — Il ne viendra ni de l’être ni du non-être, pris en soi ; mais il viendra de l’être ou du non-être compris dans un sens indirect. Ainsi la chose ne vient pas de l’être ; car si elle était déjà, elle n’aurait pas besoin de devenir ; mais elle vient de la matière première, qui est bien aussi un certain être, sans être un être en soi, et qui peut recevoir indifféremment la forme et les contraires. On peut donc dire que la chose vient de l’être ; et ainsi il est vrai qu’elle ne vient pas du non-être ; mais en même temps on peut dire qu’elle vient du non-être, puisque la privation est précisément ce qui n’est pas.
  125. Que toute chose doit être ou n’être pas, c’est le principe de contradiction, qui est le fondement même de tout raisonnement. Aristote veut se défendre de l’ébranler en quoi que ce soit, par cette distinction entre l’être en soi et l’être accidentel ; mais la forme sous laquelle il présente sa pensée est trop concise ; et il eût été utile de la développer et de l’éclaircir davantage.
  126. La question posée par les anciens philosophes, le texte n’est pas aussi explicite. Voir plus haut, § 1.
  127. Soit en tant que possibles, autre distinction de la puissance et de l’acte, de ce qui peut être et de ce qui est, de la simple possibilité et de la réalité actuelle et présente. — Dans d’autres ouvrages, la Métaphysique, livre VIII, ch. 1, p. 1045 et suiv. édit. de Berlin.
  128. Comme nous l’avions promis, voir plus haut, ch. 4, § 1. — Cette nature première, le texte n’est pas aussi précis. Voir plus haut, ch. 7, § 9. Cette phrase ne me paraît pas d’un style très aristotélique, bien qu’elle se rapporte d’ailleurs fort bien à tout ce qui précède. C’est peut-être quelqu’interpolation.
  129. Quelques autres philosophes, la suite prouve qu’il s’agit de Platon et de son école ; voir un peu plus bas, § 5 et la note. — D’une manière suffisante, ceci peut s’entendre d’une façon toute générale, ou bien en ce sens que les philosophes dont il est ici question n’ont pas assez approfondi cette théorie, pour pouvoir résoudre les objections de l’École d’Élée.
  130. Avec nous, j’ai ajouté ces mots qui sont implicitement compris dans l’expression du texte. — Parménide a toute raison, voir le Parménide de Platon, p. 8, traduction de M. V. Cousin.
  131. Étant une numériquement, voir le Parménide de Platon. — Aussi énorme que possible, puisqu’il y a toute la différence du néant à l’être, du possible au réel.
  132. La privation et la matière, expliquées comme elles l’ont été plus haut, ch. 8, §§ 10 et suiv. — Est le non-être en soi, voir plus haut, ch. 9, § 10. La matière est substance en puissance. — La matière fort voisine de la substance, voir les Catégories, ch. 5, § 16, p. 67 de ma traduction, où est exposée la théorie de la substance. C’est la forme qui achève la matière et lui donne tous les caractères de la substance.
  133. Dans le grand et le petit indifféremment, en tant que contraires, voir le Parménide de Platon, p. 15, 54, 59, et 81, traduction de M. V. Cousin, et la Métaphysique, livre 1, ch. 6, p. 987, b, 20, édit. de Berlin. — D’entendre la triade, cette triade étant composée du grand et du petit, c’est-à-dire des deux contraires et de l’idée qui les comporte. — De celle qui vient d’être indiquée, la matière, la privation et la forme. Le texte est moins précis que ma traduction. — Si quelque philosophe, c’est sans doute Platon. — L’autre partie de l’être, l’expression du texte est moins précise. — Qui est la privation, j’ai cru devoir ajouter ces mots.
  134. Comme une mère, cette expression me paraît pour Aristote bien prétentieuse et bien recherchée ; c’est peut-être une interpolation, et une sorte de glose. — Mais quant à l’autre partie de l’opposition, c’est-à-dire la privation. — Que son côté destructif, cette expression me semble encore peu Aristotélique, ainsi que tout ce qui va suivre jusqu’à la fin du § 7.
  135. Un élément divin, c’est la forme ou l’idée, ou bien encore l’espèce. — L’un de nos deux principes, à savoir la privation. — L’autre, à savoir la matière, qui tend à la forme, et désire cet élément divin que la forme représente. — Mais dans les théories que nous combattons, le texte dit simplement : Mais pour eux, pour les philosophes dont il a été parlé un peu plus haut. — C’est là précisément le rôle de la matière, la matière désire la forme qui l’achève et la complète, tandis que le contraire ne peut désirer la forme qui le détruit, en le remplaçant par son contraire. — Elle est comme la femelle, cet exemple peut sembler assez bizarre, et on peut trouver que la femelle est dans sa nature aussi complète que le mâle. Voir sur le mâle et la femelle, le Traité de la génération des animaux, livre II, p. 731 et suiv. de l’édit. de Berlin.
  136. Dans un sens… dans un autre sens, ces deux alternatives vont êtres discutées ; mais la conclusion est que la matière première de l’être, au sens où elle est entendue ici, ne naît ni ne périt. Ce qui périt en elle c’est la privation ; ce qui naît c’est la forme représentée par un des deux contraires. En puissance, elle subsiste toujours ce qu’elle est en soi. — Impérissable et incréée, au sens restreint où la privation périt et où la forme est créée ; je ne crois pas que ces expressions puissent avoir ici le portée générale que quelques commentateurs leur ont prêtée. — Si l’on dit que la matière peut périr, seconde alternative : La matière ne périt pas plus qu’elle ne naît ; elle devrait périr en elle-même comme y périssent les contraires, et il est aussi absurde de dire qu’elle périt en elle-même que de dire qu’elle naît d’elle-même. — Avant même de périr, impossibilité égale à celle qui ferait exister la matière avant même qu’elle ne fût née.
  137. Le devoir de la philosophie première, la Métaphysique. Voir la Métaphysique, livre VII, ch. 4 et suiv., et livre XII, ch. 3, p. 1029 et 1069, édit. de Berlin. — Que nous ne faisons qu’indiquer ici, le texte n’est pas aussi explicite. — Des formes naturelles et périssables, en d’autres termes, sujettes au changement.
  138. Qu’il y a des principes, voir plus haut ch. 2. — La nature et le nombre, voir plus haut ch. 3 et suiv.
  139. Par des causes différentes, l’intelligence de l’homme, par exemple, et l’art sous toutes ses formes. Voir plus bas §§ 6 et 17.
  140. C’est la nature qui fait les animaux, et voilà pourquoi on dit que ce sont des êtres naturels. — Existent naturellement, ou sont par le seul fait de la nature.
  141. Qui ne sont pas des produits de la nature, qui n’existent pas naturellement. — Ce mouvement se produise dans l’espace, comme pour les grands corps célestes. — De développement et de destruction, les animaux et les plantes qui naissent, se développent et meurent. — De simple modification dans les qualités, les changements continuels auxquels tous les êtres sont soumis. Voir pour les espèces du mouvement les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — à chaque catégorie de mouvement, le texte n’est pas aussi précis ni aussi clair. — Accidentellement ou de pierre ou de terre, comme dans l’ancienne physique, on n’admettait que quatre éléments, on pouvait dire qu’un lit, par exemple, avec le bois qui le formait, était un composé de terre. Si donc le lit a quelque tendance au changement, par exemple à changer de place, quand il tombe et obéit aux lois de la pesanteur par suite de quelqu’accident, ce n’est pas en tant que lit qu’il a cette tendance ; c’est en tant qu’il est composé de terre et pesant.
  142. Un principe et une cause, voir plus haut Livre I, ch. 1. § 1, et la note. — Et en soi, c’est-à-dire en tant que l’être l’a par lui-même et non indirectement, comme le lit a la pesanteur, non pas en tant que lit, mais en tant qu’il est une matière d’une certaine espèce.
  143. Voici ce que j’entends, l’exemple qui va être cité est purement accidentel, et il faudra en prendre le contre-pied pour comprendre ce qui n’est pas par simple accident. — Se rende à lui-même la santé, il est guéri en tant qu’il est malade et non pas en tant que médecin. — En tant qu’il est guéri, il semble qu’il vaudrait mieux renverser la proposition et dire : « Ce n’est pas en tant qu’il possède la science de la médecine qu’il est guéri. » J’ai dû suivre le texte. — Et c’est un pur accident, tandis que c’est en soi que le médecin guérit la maladie, c’est-à-dire en tant qu’il est médecin et possède la science de la médecine.
  144. Que l’art peut faire, voir plus haut § 3. — Qui ne deviennent qu’accidentellement, voir plus haut, § 4.
  145. Sont naturels et ont une nature, il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec ; j’ai cru devoir mettre les deux, afin d’être plus clair. — La nature est toujours un sujet, en tant qu’elle est la matière qui reçoit la forme et sert de support aux contraires. — Elle est toujours dans un sujet, en tant qu’elle est aussi la forme, qui est toujours dans une matière.
  146. Selon la nature, Aristote semble distinguer avec soin ce qui est de nature et ce qui est selon la nature. Cette distinction est peut-être un peu subtile ; mais l’exemple qui suit l’éclaircit suffisamment. Les qualités n’ont pas de nature propre, parce qu’elles n’ont pas de substance ; mais elles sont dans la nature et selon la nature de la substance à laquelle elles se rapportent.
  147. Ainsi, nous avons expliqué, résume de ce qui précède.
  148. L’existence de la nature, au sens que l’on vient d’expliquer pour les différents êtres, — Notoire de soi, voir plus haut, Livre 1, ch. 1, §§ 2 et suiv. — Quelqu’un qui serait aveugle de naissance, cette comparaison peut sembler un peu sévère, ainsi que tout ce paragraphe.
  149. De même, il y a des gens, le texte n’est peut-être pas tout à fait aussi précis. — L’élément qui est primitivement, c’est-à-dire, la matière dont la chose est formée.
  150. Au dire d’Antiphon, voir plus haut, Livre 1, ch. 2, § 6, où Antiphon est déjà cité.
  151. La nature des choses, c’est la terre, voir plus haut, Livre I, ch. 5, § 2, où quelques-unes de ces opinions sont aussi passées en revue. — La substance tout entière des êtres, l’être était ainsi réduit à la matière qui le compose, sans y faire les distinctions qu’établit Aristote entre la matière, la privation et la forme.
  152. On ajoutait, c’est le sens implicite de l’expression du texte. Aristote ne désigne pas nommément ces philosophes dont il entend parler. — Tout le reste, c’est-à-dire les attributs de toute catégorie qui peuvent appartenir aux substances.
  153. Cette matière première, au sens particulier où Aristote l’a expliqué lui-même un peu plus haut, Livre I, ch. 10.
  154. C’est la forme, en prenant les distinctions mêmes d’Aristote, il est certain que, si la matière est plus notoire en soi, la forme est plus notoire pour nous, puisque c’est elle seule qui frappe nos sens. Par conséquent, elle serait davantage la nature même des choses. Pour éclaircir cette pensée, Aristote compare les produits de l’art avec ceux de la nature ; or, de même qu’on ne dira jamais d’un lit qu’il soit un lit, tant qu’il n’est qu’en puissance dans le bois qui le doit composer, et tant qu’il n’a pas reçu la forme spécifique que l’art lui donne ; de même, on ne dira jamais d’une chose qu’elle soit dans la nature, qu’elle existe naturellement, tant qu’elle ne sera qu’en simple puissance dans la matière qui doit la composer ; il faut qu’outre la matière, qui n’est qu’en puissance, elle ait reçu la forme, qui est en entéléchie. Ainsi la chair, en supposant que sa matière soit l’élément de la terre, n’est vraiment chair que quand elle a pris la forme qui lui est propre. — Qui n’est séparable, les commentateurs croient que ceci est une critique indirecte de Platon.
  155. L’homme, par exemple, l’homme, composé de divers éléments, n’est pas la nature de l’homme ; mais l’homme est un être naturel ; il est de nature.
  156. Ainsi comprise, j’ai ajouté ces mots ou plutôt j’ai précisé l’expression un peu plus qu’elle ne l’est dans le texte. — La matière, voir plus haut, § 16.
  157. Un homme vient d’un homme, grande différence entre les choses de l’art et celles de la nature. L’homme en tant qu’être naturel a en soi et pour soi le principe du mouvement. Il peut se reproduire, tandis que le lit ne le peut pas. — S’il venait à germer, répétition partielle de ce qui a été dit plus haut § 13. — Si donc la configuration du lit, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — La forme est la nature des êtres, conclusion opposée à celle du § 10, ou du moins qui la remplace. Il semble qu’il y a ici quelque contradiction.
  158. Au sens de génération, dans la langue grecque ce rapprochement de signification est assez facile, parce que la mène racine qui donne le mot de Nature petit exprimer en outre l’idée de génération. Dans notre langue aussi le mot de Nature se rapproche de celui de Naître. — Acheminement vers la nature, il faut remarquer cette expression qui est juste et bien choisie. — La nature, comprise au sens de génération, n’est pas dans ce rapport avec la nature comprise au sens qu’Aristote vient d’expliquer. — À ce qu’il doit être, quand il sera réel et complet, en entéléchie, avec sa matière et sa forme. — Donc la nature, c’est la forme, voir plus haut §§ 17 et suiv.
  159. Une forme et une espèce, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  160. L’objet d’une recherche ultérieure, il est dit en effet un mot de cette question plus loin, Livre V, ch. 2, § 11. Il faut lire aussi le Traité de la génération et de la corruption, où ce sujet est indiqué plutôt qu’approfondi à diverses reprises. Dans les Catégories, ch. XI, Des Contraires, et dans la Métaphysique, Livre V, ch. 23, Aristote ne s’est pas prononcé sur ce caractère de la privation.
  161. Après avoir parcouru, voir plus haut ch, §§ 16 et suiv. — En quoi l’étude des mathématiques, toute la discussion qui va suivre jusqu’au § 8 paraît n’être pas très bien placée ici ; elle interrompt le cours des pensées, et il semble qu’elle eût été bien plus convenable dans le Livre I, et au début même du traité. — Des surfaces, des solidités, des lignes et des points, c’est là de la géométrie spécialement, plutôt que des mathématiques en général, puisque les mathématiques comprennent aussi l’arithmétique. — Du mathématicien, et plus particulièrement du géomètre.
  162. Si l’Astronomie diffère de la Physique, autre digression qui s’écarte encore plus du sujet. C’est peut-être une interpolation.
  163. Les phénomènes secondaires, par exemple, les éclipses, les levers et les couchers, les phases, etc. — Si la terre et le monde sont sphériques, études qu’avait faites surtout l’École Pythagoricienne.
  164. D’un corps naturel, c’est-à-dire que les mathématiques ne s’occupent pas des réalités, et peu leur importe ce que sont les surfaces, les lignes et les points dans les corps mêmes que présente la nature ; elles ne s’occupent que des formes idéales, abstraites de la réalité. — Aux propriétés qui peuvent accidentellement leur appartenir, les propriétés des diverses figures composées de surfaces et de lignes géométriques. La géométrie n’étudie ces propriétés qu’abstractivement, et elle ne s’en occupe pas dans les êtres naturels. — Qui n’amène aucune différence, dans les spéculations de la géométrie. Voir les Derniers Analytiques, Livre I, ch. 10 § 10, p. 62 de ma traduction, où Aristote défend très bien la géométrie contre l’accusation d’admettre des hypothèses fausses.
  165. Le système des Idées, cette critique du système des Idées nous écarte encore davantage du sujet spécial de ce chapitre. — Ils abstraient les choses physiques, en séparant la forme de la matière, et en donnant à la forme une existence séparée qu’elle n’a pas. Cette objection contre la théorie des Idées peut d’ailleurs être contestée ; mais ce n’est pas ici le lieu.
  166. Les définitions de ces choses, les exemples qui suivent prouvent que par ces choses, il faut entendre d’une part les choses mathématiques, et de l’autre les choses de la nature. — Le pair et l’impair, qu’étudie l’arithmétique. — Le droit et le courbe, qu’étudie la géométrie. — Peuvent exister sans le mouvement, dans l’état d’abstraction où les mathématiques les considèrent. — Ne peuvent pas se concevoir sans mouvement, parce que ce sont des choses naturelles, et que, d’après ce qui a été établi dans le chapitre précédent, les corps naturels sont ceux qui ont en eux-mêmes le principe du mouvement ou du repos. — Le nez camard, c’est-à-dire, en comprenant dans la définition de ces choses, l’idée de mouvement, comme dans la définition de Camard, on comprend nécessairement l’idée de nez ; voir plus haut, Livre 1, ch. 4, § 14. Le texte est d’ailleurs ici assez obscur, parce qu’il est trop concis, et j’aurais peut-être dû le remplacer par une paraphrase qui l’aurait rendu plus clair. — Pour le courbe, en effet, en définissant le courbe on n’y comprend pas nécessairement l’idée de ligne, puisque la ligne n’est pas la seule chose à être courbe, tandis qu’il n’y a que le nez qui soit camard dans la langue ordinaire.
  167. C’est bien là encore, autre idée qui ne tient pas assez directement au sujet. La réflexion d’ailleurs est très vraie ; et elle revient à dire que dans les mathématiques il y a des parties pures et des parties appliquées. Aujourd’hui la distinction est vulgaire et bien connue ; au temps d’Aristote, elle était encore fort neuve, et elle méritait d’être constatée. — L’optique, au contraire, en partant de la ligne telle que la conçoit la géométrie, retrouve les propriétés de cette ligne dans les phénomènes de la lumière. Voir la Métaphysique, Livre VI, ch. 1, p. 1025, b, 25, édit. de Berlin, et aussi dans le Premier livre, p, 995, a, 15, édit. de Berlin.
  168. En un double sens, d’après les théories exposées plus haut, ch, 1, §§ 16 et 17.— Ce que c’est que la qualité de Camus, ici encore le texte est obscur à cause de sa concision, comme au § 6. L’idée de Camus renferme nécessairement l’idée d’une certaine forme dans une certaine matière, puisque l’attribut de Camus ne peut appartenir qu’au nez. De même pour les objets de la nature tels que les comprend Aristote, il faut toujours se les représenter comme étant composés à la fois de matière et de forme. La pensée est juste ; mais elle pouvait être exposée plus clairement, ainsi qu’elle l’est dans la Métaphysique, Livre. VI, ch. 1, p. 1025, b, 30, édit. de Berlin, — Les choses de ce genre, c’est-à-dire les choses naturelles, les êtres de la nature. — Elles ne sont pas purement matérielles, puisqu’elles ont une forme outre leur matière.
  169. Doublement, on ne voit pas très clairement à quoi s’applique ce mot ; il y a plus d’une alternative dans ce qui suit. — De laquelle des deux, soit de la forme, soit de la matière. — De leur résultat commun, c’est-à-dire du corps naturel, qui est composé à la fois de matière et de forme. — D’une même science ou d’une science différente, la forme, par exemple, étant réservée à la Métaphysique, et la matière étant l’objet spécial des recherches de la Physique, Plus bas § 11, il est établi que la Physique doit comprendre à la fois l’étude des deux natures, de la forme et de la matière.
  170. D’étudier la matière, voir plus haut, ch. 1, §§ 12 et suiv. — Car Démocrite et Empédocle, Aristote croit devoir se borner à citer ces deux philosophes ; mais il aurait pu en nommer encore bien d’autres ; voir plus haut, Livre 1, ch. 7. Voir aussi la Métaphysique, Livre 1, ch. 3, p. 983, b, 7, et 984, a, 17, édit. de Berlin, où est exprimée une pensée tout à fait identique, et où de nouveaux détails confirment ceux de la Physique, qui y est citée.
  171. L’art imite la nature, voir le début de la Poétique, et surtout ch. 3, p. 18 et suiv. de ma traduction. — La bile et le flegme dans lesquels la santé consiste, ceci se rapporte aux théories médicales qui avaient cours au temps d’Aristote. Elles ne seraient peut-être pas encore insoutenables aujourd’hui. — Les deux natures à la fois, en étudiant les corps naturels, où la forme et la matière sont toujours réunies.
  172. Le mouvement étant continu, c’est là une condition indispensable ; car si le mouvement discontinuait et était interrompu, l’être ne pourrait pas arriver à la fin qu’il poursuit ; et il y aurait alors autant de fins, que d’interruptions de mouvement. — L’exclamation du poète, Philopon croit qu’il s’agit ici d’Euripide ; mais ce n’est pas certain. Voir les Fragments d’Euripide, édit. Didot, Incertæ fabulæ, LXXXIV. — Est-elle assez ridicule, l’exclamation du poète est ridicule en ce sens qu’on ne peut pas dire, que la mort soit la fin pour laquelle l’homme est fait, la fin véritable de l’homme, en tant qu’homme, c’est le bien et le devoir. — Qu’un terme soit le dernier, comme la mort, qui est bien le terme dernier de la vie, mais qui n’en est pas le but et la fin véritable. Il est vrai que le poète aurait pu répondre que le mot dont il s’est servi a précisément ce sens de terme extrême, et non pas de but.
  173. Ainsi les arts travaillent la matière, la pensée ne se dégage pas très clairement dans ce §. Voici, je crois, quelle elle est. Les arts ne façonnent pas tous la matière de la même manière. Les uns confectionnent les matériaux ; les autres leur donnent la forme, qui se lie essentiellement à l’usage que nous pouvons faire des choses. Dans les arts subordonnés les uns aux autres, l’art supérieur s’occupe de la forme, tandis que la matière est l’objet de l’art inférieur. Il en est de même dans les choses de la nature ; et la matière n’y existe jamais qu’en vue de la forme, qui est leur fin véritable, et leur entéléchie. Mais il y a entre les arts et la nature cette différence que la matière est toute suite dans la nature, tandis que certains arts font la matière en quelque sorte, par exemple la menuiserie qui façonne les bois dont sera composée la maison, forme dernière à laquelle aboutit l’art de la construction. — Une sorte de fin, la restriction est nécessaire ; car l’homme n’est pas une fin dans le sens où l’on peut dire que la forme est la fin de la matière. — Dans nos livres intitulés : De la philosophie, dans le Catalogue de Diogène Laërte, il y a en effet trois livres mentionnés sous ce titre : De la philosophie, Livre V, ch. I (Aristote), p. 118, ligne 1, édit. Didot. Cette citation peut se rapporter dans une certaine mesure au passage de la Métaphysique, Livre V, ch. 18, p. 1022, a, 48, édit. de Berlin. Mais les livres De la Philosophie ont été perdus, et l’on a vainement essayé de les retrouver dans la Métaphysique, où l’on croyait qu’ils avaient été fondus. — Il y a donc deux espèces d’arts, toutes ces idées se rapportent à celles qui sont développées dans la Métaphysique, Livre I, ch. 1, p. 981, a, 25, édit. de Berlin. — Celui qui emploie les choses, Employer ne doit pas s’entendre ici au sens de Mettre en œuvre, comme le prouve ce qui suit. — L’industrie qui les façonne, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Ainsi, le pilote du navire, représente l’art qui emploie les choses et s’en sert, sans avoir à s’occuper de la matière dont elles sont faites. Il ne s’occupe en quelque sorte que de la forme. — Le constructeur, dirigé par le pilote, faisant fonction d’architecte, cherche, pour la solidité du gouvernail, le bois le meilleur possible, et pour son utilité, le mécanisme le plus simple. Le constructeur s’occupe donc en quelque sorte uniquement de la matière. On conçoit d’ailleurs que ces divisions théoriques ne sont jamais aussi nettement tranchées dans la réalité. — La matière est toute faite, parce qu’elle est éternelle ; voir plus haut, ch. 4, § 15.
  174. La matière n’est qu’une relation, la pensée n’est pas ici complètement exprimée ; voici comment il faut la compléter. La Physique doit étudier à la fois la matière et la forme ; plus haut, § 11 on en a donné plusieurs raisons, et l’on peut ajouter cette dernière, que la matière n’étant qu’un relatif, elle est connue en même temps que son corrélatif qui est la forme. Cette connaissance simultanée des relatifs a été démontrée dans les Catégories, ch. 7, § 26, p. 91 de ma traduction. — La matière varie avec la forme, le texte est moins développé ici que ma traduction n’a dû l’être.
  175. Servant en effet à une certaine destination, et par suite il semble que la physique doit s’occuper de la forme en tant qu’elle concourt à la composition du corps naturel. — Car l’homme et le soleil engendrent l’homme, malgré les explications des commentateurs grecs, ce passage reste obscur, parce que l’ellipse de la pensée est trop forte, et que trop d’intermédiaires ont été supprimés. La physique ne doit connaître de l’homme que dans une certaine mesure, c’est-à-dire en tant qu’être naturel, et elle sortirait de son domaine si elle cherchait à l’étudier dans sa génération, qui tient à la fois et de l’homme par la reproduction, et du soleil par l’action générale que cet astre exerce sur tout ce qui vit. — La philosophie première, c’est-à-dire la Métaphysique ; cette question a été traitée en effet plusieurs fois dans la Métaphysique, mais d’une manière incidente. Voir plus haut, § 13.
  176. On ne croit connaître une chose, ce principe est un des plus importants et les plus féconds de toute la philosophie d’Aristote. Il l’a exposé avec toute l’étendue nécessaire dans les Derniers Analytiques, Livre l, ch. 2, p. 7 de ma traduction, et Livre II, ch. 11, § 1, p. 234. — La génération et la destruction des choses, qui forment l’objet entier de la Physique et l’étude entière du mouvement, comme l’ont prouvé toutes les discussions du Livre premier. — Rapporter à ces principes tous les problèmes, c’est une méthode toute synthétique.
  177. On appelle cause, il faut voir cette théorie des quatre espèces de causes dans la Métaphysique, Livre IV, ch. 2, p. 1013, a, édit. de Berlin, et aussi dans les Derniers Analytiques, loc. laud. — Ce qui est dans une chose, c’est la cause matérielle. — Tous les genres de ces deux choses, c’est-à-dire de l’airain et de l’argent. — Par Genres, il faut entendre ici les genres supérieurs. Ainsi, en prenant le métal pour le genre de l’airain, on pourra dire du métal qu’il est cause de la statue, comme on le dit de l’airain. En prenant la matière pour le genre du métal, on pourra dire également de la matière qu’elle est cause de la statue.
  178. La cause est la forme, c’est la cause formelle ou essentielle, après la cause matérielle — Et le modèle des choses, cette expression ne paraît guère Aristotélique, et elle semblerait plutôt Platonicienne. Peut-être n’est-elle qu’une interpolation. — Et tous ses genres supérieurs, j’ai cru devoir ajouter ce dernier mot que justifie le contexte. — Est le rapport de deux à un, cette notion fort exacte d’acoustique et d’harmonie remonte jusqu’à l’École de Pythagore, quoique l’École péripatéticienne ait aussi beaucoup cultivé les mathématiques de la musique, comme le prouvent les travaux d’Aristoxène, disciple d’Aristote. Voir la Métaphysique, Livre IV, ch. 2, p. 1019, a, 28, édit. de Berlin. — C’est le nombre, parce que le nombre est le genre de un et de deux, dont le rapport constitue l’octave. — Les éléments de la définition essentielle du nombre, le texte est un peu moins précis. L’idée de quantité est encore plus large, par exemple, que celle de nombre.
  179. Le principe premier d’où vient le mouvement, c’est la cause motrice, dont le texte donne quatre exemples divers. — Celui qui a donné le conseil d’agir, exemple moral. Celui qui conseille un acte est la cause motrice de cet acte, qui, sans lui, n’aurait pas eu lieu. — Le père est la cause de son enfant, exemple physiologique. — Ce qui fait, exemple relatif à l’art. Le statuaire est cause de le statue qu’il fait. — Ce qui produit le changement, exemple physique et plus général que les autres, qui y sont tous compris.
  180. La cause signifie la fin, c’est la cause finale. — Le pourquoi de la chose, j’emploierai souvent cette locution, qui répond parfaitement à la locution grecque. — Les causes intermédiaires, j’ai ajouté ce dernier mot que justifie le contexte. — Les instruments du chirurgien, le texte ici est moins précis. — Sont des actes, comme la diète et la purgation, tandis que les instruments sont des moyens pour arriver ou but que le médecin se propose.
  181. Voilà donc à peu près, cette restriction est justifiée par les développements donnés plus bas dans le § 11.
  182. Indirectement et par accident, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — L’art du statuaire, comme cause efficiente. — Et l’airain, comme cause matérielle. Voir plus haut § 2. — Le principe d’où part le mouvement, la cause motrice ou efficiente. Voir plus haut § 4.
  183. La santé à son tour cause l’exercice, en donnant des forces pour s’y livrer. — Considérée comme fin, c’est la cause finale. Voir plus haut § 5.
  184. C’est précisément ainsi, c’est-à-dire considérée sous divers points de vue, tantôt présente, tantôt absente.
  185. À quatre classes, qui viennent d’être énumérées dans les §§ 2, 3, 4 et 5. — Les lettres sont causes des syllabes, en tant qu’elles en sont la matière. — En tant que c’est ce dont vient la chose, tous les exemples qui viennent d’être donnés, au nombre de cinq, se rapportent tous à la causse matérielle. — Comme le sujet de la chose, autre expression pour signifier le cause matérielle. — Les parties relativement au tout, les parties peuvent être considérées comme la matière dont le tout est formé, dont il est la forme. — Et tels sont le total, le tout est la forme des parties. C’est la seconde espèce de cause indiquée plus haut, au § 3 — Le germe, d’où sortira une plante ou un animal. — Le conseiller, voir plus haut § 4. — D’une façon générale l’agent, c’est-à-dire la cause efficiente. — La fin et le bien de tout le reste, la fin et le bien se confondent toujours dans le système d’Aristote. Voir le début de la Morale à Nicomaque, Livre I, ch. 1, de ma traduction, et aussi le début de la Politique. Tous les actes de l’homme ont constamment pour fin un bien quelconque, soit réel, soit au moins apparent. — Spécifiquement le nombre, il y a quatre espèces de causes ; mais chacune de ces espèces peut avoir encore plusieurs nuances, comme on l’expliquera plus bas.
  186. Les modes, les nuances d’une même cause ou plutôt d’une même espèce de cause. — Les réduire en les résumant, ces nuances, mêmes réduites, sont encore au nombre de six, comme on le dira au § 17. — Dans des causes d’espèces pareilles, soit causes matérielles, formelles, motrices ou finales. — Antérieure ou postérieure à l’autre, c’est la première nuance. Une même cause considérée à divers points de vue peut être antérieure ou postérieure. — Le médecin et l’homme de l’art, le médecin étant un terme moins général est la cause antérieure de la santé ; l’homme de l’art, terme plus large, est la cause postérieure. — C’est le double et le nombre qui sont causes de l’octave, le double et le nombre sont dans le même support d’antériorité et de postériorité que le médecin et l’homme de l’art ; le double est un terme moins général, et il est la cause prochaine de l’octave ; le nombre, genre du double, est un terme plus large, et il n’est que la cause éloignée. Voir plus haut § 8. — Les contenants, cette expression est claire, après les deux exemples qui viennent d’être cités.
  187. Indirectement et par accident, il n’y a qu’un mot dans le texte. — C’est un accident du statuaire d’être Polyclète, ainsi le statuaire est la cause directe de la statue, en tant qu’il l’a faite. Maintenant il se trouve que ce statuaire est Polyclète ou tel autre. Polyclète n’est donc qu’un accident du statuaire ; et, en ce sens, Polyclète n’est que la cause indirecte de la statue. Voir la Métaphysique, Livre IV, ch. J, p. 1013, b, 36, édit. de Berlin. — Les genres qui renferment et impliquent l’accident, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Les genres supérieurs qui renferment Polyclète, considéré ici comme un accident du statuaire, sont le genre Homme auquel il appartient, et le genre Animal auquel appartient l’homme. — L’homme qui est cause de la statue, parce que l’homme est le genre de Polyclète. — C’est l’être vivant, ou l’animal, genre de l’homme.
  188. Des accidents qui sont plus éloignés ou plus rapprochés, selon qu’ils sont plus ou moins généraux. — L’homme blanc, ou l’homme disciple des Muses, il est clair que le second accident est plus rapproché du statuaire, tandis que la qualité d’être blanc ou noir n’a aucun rapport direct à l’art qu’il cultive. Ainsi l’accident de Blanc est plus éloigné.
  189. Qui peuvent agir, les causes peuvent être distinguées sous le rapport de la puissance et de l’acte, c’est-à-dire soit comme simplement possibles, soit comme effectives et réelles. — La cause de la construction, suivant que cette construction est à l’état de simple possibilité, ou à l’état de réalité complète.
  190. Ces distinctions, sous le rapport d’éloignement ou de rapprochement, d’antériorité ou de postériorité. — Aux effets dont elles sont les causes, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Cette statue… la statue… l’image, ces trois termes sont de plus en plus larges ; la statue est un terme plus général que cette statue ; et l’image est un terme plus général encore que la statue. De même pour les trois termes suivants : cet airain, l’airain, la matière. Le sculpteur façonne cette statue, qui est l’objet immédiat de son art ; d’une manière moins directe, on peut dire qu’il façonne la statue, et d’une manière encore plus éloignée, qu’il façonne la matière. — Les accidents de ces effets, c’est-à-dire qu’on peut faire pour les accidents des effets, les mêmes distinctions qu’on a faites pour les accidents des causes. Voir plus haut § 12.
  191. Enfin on peut même encore réunir, la cause et son accident, le statuaire et Polyclète. Voir plus haut § 12. C’est la cause en soi et la cause accidentelle.
  192. Au nombre de six, antérieures et postérieure, § 11, directes et indirectes ou accidentelles, § 12 possibles et réelles, § 14. — De deux sens divers, comme l’explique ce qui suit. — De la cause même, ou de la cause prise en soi et non dans son genre.
  193. Les causes particulières, en d’autres termes, spéciales, actuelles et directes. — Que les choses dont elles sont causes, c’est-à-dire leurs effets. — Qui guérit, actuellement et effectivement. — Contemporaines à leurs effets, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Ne périssent pas en même temps, le maçon peut disparaître, et la maison, subsister ; et réciproquement.
  194. L’homme construit la maison, le terme d’homme est ici trop général et trop vague. Il faut remonter à un terme plus rapproché de l’effet que la cause produit ; et alors il se trouve que l’homme construit la maison parce qui il est constructeur ; le terme de constructeur est plus élevé que celui d’homme, parce qu’il est une cause plus directe. De l’idée de constructeur on remonte à l’idée d’art ; et l’art est alors la cause supérieure.
  195. Les genres sont causes des genres, c’est-à-dire que toujours les effets et les causes doivent être dans des rapports convenables et exacts. Si l’on parle de la statue en général, c’est le statuaire en général qui en est cause ; si l’on parle de telle statue spécialement, c’est tel statuaire qui en est cause spécialement. De même encore, les causes simplement possibles ne produisent que des effets simplement possibles ; des causes réelles produisent des effets réels.
  196. Telles sont les considérations, elles sont certainement fort exactes et fort ingénieuses ; mais toutes ces distinctions sont bien subtiles, et elles sembleraient appartenir bien plutôt à la Topique qu’à un traité de physique. Voir les Topiques, dans ma traduction.
  197. Un mot, Aristote ne nomme pas les philosophes auxquels il veut faire allusion, et il ne désignera qu’Empédocle dans tout ce chapitre. — Le hasard et la spontanéité, je prends ce dernier mot dans un sens plus général qu’on ne le prend d’ordinaire ; et il répond parfaitement au mot du texte. — Au rang des causes naturelles. — Parmi les causes énumérées par nous, dans le chapitre précédent.
  198. Il y a des philosophes, on peut ranger au premier rang parmi ces philosophes Platon, qui a prouvé mieux que personne, l’action de la providence. — Or, la cause de ce prétendu hasard, la réponse n’est pas péremptoire ; et si la volonté d’acheter quelque chose a conduit au marché, ce n’est pas elle qui fait qu’on y a rencontré l’homme qu’on n’y cherchait pas, tout en désirant le découvrir. On pourrait donc trouver quelqu’exemple mieux choisi ; mais peu importe ; le point essentiel c’est qu’on nie l’action du hasard, et il paraît en effet inadmissible ; seulement il faut avouer aussi qu’il y a une foule de faits que nous ne pouvons pas rapporter à leur vraie cause. — On y découvre toujours une cause, c’est juste dans la plupart des cas ; mais il y en a aussi toujours quelques-uns qui échappent à cette explication. Aristote va le constater un peu plus loin, § 4.
  199. On ajoute, le texte n’est pas tout à fait aussi précis ; mais évidemment cet appel à l’autorité des anciens sages est la suite du raisonnement précédent, qui nie l’existence du hasard. — Et l’on en conclut, ma traduction est un peu plus précise que le texte.
  200. Cependant ce silence même, le texte dit simplement : Cela même. — Car il y a une foule de choses, cette assertion paraît insuffisante, et il semble qu’il faudrait ajouter que c’est d’après le langage commun et les opinions reçues de tout le monde, qu’une foule de choses sont rapportées au hasard. Cette restriction est indiquée un peu plus bas. — Tout le monde n’en dit pas moins, c’est le sentiment du vulgaire opposé à celui des sages ; mais ce sentiment mérite qu’on en tienne grand compte, parce qu’il est le mouvement instinctif et irrésistible de l’intelligence humaine.
  201. Fissent mention de ces doutes, la critique est juste ; et la question du hasard était trop grave pour qu’on fût excusable de la passer sous silence ; il fallait discuter les opinions communes et se prononcer dans un sens ou dans l’autre. — Ou l’Amour, ou la Haine, c’est Empédocle. — Ou le feu, c’est Héraclite. — Ou l’Intelligence, c’est Anaxagore. — N’aient pas admis le hasard, comme tout le monde l’admet dans une certaine mesure.
  202. C’est ainsi qu’Empédocle, voir Plutarque, De placitis philosoph. II, 6, et Achille Tatius, ad Aratum, ch. 4, p. 128, cités par Henri Ritter et L. Preller, Historia philosophiae Græco-Romanæ, page 124.— Dans sa cosmogonie, ce n’est pas le titre, c’est le sujet de l’ouvrage d’Empédocle. — Mais qu’il se secrète au hasard, quelques historiens de la philosophie ont blâmé cette critique d’Aristote, qui semble cependant très juste, d’après ce qu’on sait du système d’Empédocle. — Le produit d’un simple hasard, c’est ce qui est affirmé positivement par Empédocle, dans un assez grand nombre des vers qui nous restent de lui.
  203. Il y en a d’autres, c’est de Démocrite qu’il s’agit, faisant naître le ciel et tous les grands phénomènes de l’univers du concours fortuit des atomes. — Qui a produit la rotation, des atomes ou leur déclinaison.
  204. Car on soutient, Démocrite, qui donnait le hasard pour cause du monde et des grands phénomènes cosmiques, ne trouvait plus de hasard dans les animaux et les plantes. — Attendu que la première chose venue, l’argument est excellent ; mais il vaut pour l’ordre de l’univers, bien plus encore que pour l’organisation des animaux. — On ose prétendre, l’expression du texte n’est peut-être pas tout à fait aussi vive.
  205. Cette opinion, qui soumet au hasard l’origine et l’organisation primitives des choses. — Quand d’ailleurs on voit soi-même, le texte n’est pas tout à fait aussi formel, — Dans des phénomènes d’où l’on prétend exclure le hasard, même remarque. Ces phénomènes sont ceux de l’organisation des animaux et des plantes. où l’on ne retrouve plus de hasard. — Une opinion précisément contraire, il faudrait exclure le hasard des grands phénomènes de l’univers et le réserver pour les phénomènes secondaires, où il est quelquefois évident.
  206. Il y a des philosophes, il serait difficile de dire à qui Aristote entend faire allusion.
  207. Ainsi donc, c’est la pensée du § 1, plus haut.
  208. Les unes étant éternellement, division exacte des choses et des phénomènes : les unes sont éternelles, les autres sont ordinaires. Il n’y a pas place pour le hasard dans les choses de cet ordre, et ce serait un renversement de la raison que d’y supposer le hasard. — Il y a encore des choses, ce sont précisément les choses qu’on attribue au hasard ; elles ne sont ni éternelles ni fréquentes ; ce sont des exceptions. — Et que tout le monde reconnaît, c’est invoquer l’autorité de l’opinion commune, du sens commun. — Les choses de ce genre, celles qui ne sont ni ordinaires, ni éternelles.
  209. En vue d’une certaine fin, ces choses ne peuvent venir que de l’intelligence de l’homme ou de la nature, comme il sera dit un peu plus bas. — Les autres ne sont pas produites ainsi, ce sont celles que l’homme fait indirectement et sans intention, et qu’il ne peut pas s’expliquer selon les lois ordinaires de la nature — Il y a tantôt préférence et intention, voir la Morale à Nicomaque, Livre III, ch. 3, p, 13 de ma traduction, tome II. — Dans les choses produites en vue d’une fin, mais s’il n’y a pas eu intention, le fait se produit sans ce que soit pour la fin que se proposait l’agent libre qui l’a faite. — Et si ces choses arrivent indirectement, voir l’exemple cité plus haut, ch. 4, § 2 : quelqu’un va au marché pour faire une emplette, et il y rencontre son débiteur qu’il serait bien allé chercher, mais qu’il ne s’attendait pas à rencontrer en ce lieu. C’est donc l’effet du hasard s’il a trouvé son débiteur, et s’il s’en est fait payer. Mais c’est là un acte qu’il pouvait se proposer de faire, et qui est dans le domaine de son intelligence et de son intention. — Indirectement et accidentellement, comme dans l’exemple que nous venons de citer. Le texte grec n’a d’ailleurs qu’un seul mot. — Nous les rapportons au hasard, ainsi le hasard est limité à ces choses qui auraient pu être faites en vue d’une certaine fin, et qui arrivent sans que l’homme ou la nature semblent s’être proposé cette fin dans le cas particulier qui arrive. Voir plus bas, § 5.
  210. De même, en effet, que l’être est ou en soi, voir plus haut, Livre 1, ch. 9 et 10. — La cause peut être ou en soi, voir plus haut, ch. 3, § 12. — Qui est capable de bâtir les maisons, c’est-à-dire le maçon ou l’architecte. — Indirectement et accidentellement, il n’y a qu’un mot dans le texte. — C’est le blanc ou le musicien, si l’architecte est de couleur blanche et qu’on le désigne par cette qualité ; ou encore s’il a le talent de la musique, et qu’on le désigne par ce talent indirect et accidentel, en disant que c’est le musicien qui a bâti la maison.
  211. Déterminée et précise, ainsi la cause en soi de la maison, c’est l’architecte qui l’a bâtie ou qui peut la bâtir. — Indéterminée, car ce peut être une des qualités en nombre infini que peut posséder l’architecte, et par l’une desquelles on peut le désigner, au lieu de le désigner par son vrai et direct rapport à la maison qu’il a construite.
  212. Je le répète donc, voir plus haut, § 5. — Qu’elle est fortuite et qu’elle est spontanée. La nuance est assez difficile à rendre, et en grec elle n’est guère plus marquée que dans ma traduction. — Plus tard, voir plus loin le ch. 6. — Qui ont un but et un pourquoi, il serait peut-être plus exact de dire : « Qui peuvent avoir un but et un pourquoi. »
  213. Quelqu’un serait bien allé au marché, voir plus haut ch. 4, § 2. C’est une première condition de la chose de hasard. Elle aurait pu être l’objet d’une intention. — Il n’y est pas allé dans cette intention, seconde condition ; car il ne se doutait pas qu’il pût rencontrer son débiteur au marché ; c’est donc un pur accident, un hasard s’il est rendu dans le lieu où se trouvait son débiteur. — Ni un acte ordinaire, ni une nécessité, troisième condition du hasard : il faut que ce suit un fait rare et non nécessaire.
  214. Qui sont dans la chose même, et par exemple ici dans le fait même d’aller au marché, puisque l’on peut aller bien des fois au marché sans y rencontrer son débiteur qu’on n’y cherche pas. — C’est un acte de préférence réfléchie, on est allé au marché avec l’intention d’y acheter quelque chose ; ou bien un aurait pu y aller aussi avec l’intention de recouvrer son argent, si l’on avait su y trouver son débiteur.
  215. Donc évidemment, résumé de tous les éléments qui entrent dans la définition du hasard.
  216. Le hasard et l’intelligence, l’objet du hasard aurait pu être voulu par l’intelligence de l’homme et il ne la dépasse point ; seulement on n’a pas voulu cette chose comme elle arrive, et l’on dit alors que c’est par hasard qu’elle arrive. — Sans intervention de l’intelligence, voir la Morale à Nicomaque, Livre III, ch. 3. § 16, page 18 de ma traduction, tome. II.
  217. Nécessairement indéterminées, voir plus haut § 4. — Profondément obscur pour l’homme, voir plus haut, ch. 4, § 10.
  218. Elles sont très rationnelles, quelque opposées qu’elles soient, toutes ces opinions sont soutenables parce qu’elles ont chacune une certaine part de vérité. — Elle se produit indirectement, par exemple, le créancier en allant au marché y rencontre son débiteur, qu’il n’y cherchait pas. — À parler absolument, c’est-à-dire que le hasard n’est jamais une cause en soi ; et en ce sens, il n’est jamais cause de rien.
  219. Par exemple, en soi la cause de la maison, voir plus haut § 3. — Indirectement et accidentellement, il n’y a toujours qu’un seul mot dans le texte grec. — C’est le joueur de flûte, parce que l’architecte qui a construit la maison, a le talent de jouer de la flûte, et l’on peut dire que n’est le joueur de flûte qui a construit la maison.
  220. Quelque chose de déraisonnable, parce qu’il arrive rarement et qu’il n’est pas la suite d’une intention réfléchie. — Ni éternelles, ni ordinaires, le texte est moins précis. — Indéterminé comme elles, voir plus haut § 10.
  221. Si ce sont bien les premières choses venues, ce passage n’est pas très clair ; il veut dire que parmi les causes auxquelles on peut attribuer le hasard, les unes sont plus éloignées et les autres plus proches, et qu’alors il faut les choisir et les classer. — Le bon air que le malade a pris, l’expression du texte n’est pas aussi précise. — Et non pas la coupe de ses cheveux, en admettant que la coupe des cheveux ait pu contribuer indirectement à la guérison, c’est là certainement une cause plus éloignée que les deux autres, également indirectes et fortuites, du bon air et de la chaleur. — Car même, parmi les causes accidentelles, cette conclusion explique ce qui précède. — Plus rapprochées les unes que les autres, voir plus haut, livre II, ch. 3, § 11.
  222. Le hasard est heureux… est malheureux, c’est-à-dire qu’on donne au hasard le caractère même des événements qui surviennent.
  223. De la prospérité ou de l’infortune, je n’ai pas pu trouver dans notre langue de meilleurs équivalents des expressions grecques ; mais la pensée me semble suffisamment claire. — Parce que la pensée voit le mal, cette réflexion peut paraître un peu recherchée.
  224. Ni toujours, ni même le plus fréquemment, cette raison est très solide ; et l’explication est aussi profonde que simple.
  225. Ainsi que je l’ai dit plus haut, voir le chapitre précédent § 5. — Indirectes et accidentelles, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Comme se produisant en vue d’une certaine fin, et qui sont faites par conséquent soit par l’intelligence de l’homme, soit par la nature. Voir tout le chapitre précédent.
  226. La différence, plus haut ch. 5, § 5, Aristote avait promis d’expliquer la différence du hasard et du spontané. — Le spontané, ou ce qui arrive de soi-même, j’ai cru devoir paraphraser le mot grec d’après son étymologie, qui n’est pas d’ailleurs celle qui sera donnée plus bas, § 8. — Est plus compréhensif que le hasard, le hasard s’applique surtout aux choses de l’intelligence ; le spontané s’applique aux choses de la nature, aux brutes et aux choses inanimées, comme il est dit un peu plus bas.
  227. Le hasard…. un hasard heureux, je n’ai pas pu rendre mieux en notre langue les deux expressions du texte, dont l’une n’est qu’un composé de l’autre. Ce rapprochement et cette corrélation ne sont pas possibles en français ; et il n’y aurait guère que les mots de Chance et de Chanceux qui eussent un rapport analogue. — Une activité, il faut voir dans la Morale à Nicomaque, Livre I, ch. 4, 5 et 6, p. 30 et suiv. de ma traduction, tome I. ce qu’Aristote entend spécialement par l’activité ; c’est uniquement l’activité de la pensée ; voir aussi Morale à Nicomaque, Livre 1, ch. I, § 2, et la Politique, Livre I, ch. 2, §§ 5 et 6. — Le hasard ou la fortune, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Où l’activité est possible, entendez l’activité morale et intellectuelle. — La prospérité, ce mot en grec est formé du même radical que le mot hasard. La fortune a parfois dans notre langue ce double sens. — Une activité qui réussit et fait bien, voir la Morale a Nicomaque, Livre 1, ch. 6, § 4, p. 35 de ma traduction. — D’agir, moralement.
  228. Ni la brute, ni même l’enfant, voir la Morale à Nicomaque, Livre III, ch. 3, § 2, p. 13 de ma traduction. — Protarque, on ne sait quel est cet auteur. L’opinion qu’on lui prête ici est assez ridicule.
  229. Les êtres que nous venons de nommer, les choses inanimées, les brutes et même les enfants. — Souffrent par hasard, tandis qu’il vient d’être démontré un peu plus haut qu’ils ne peuvent agir. Il semble d’ailleurs que ce complément de la pensée n’était pas très nécessaire.
  230. Qui se produit de lui seul, paraphrase du mot précédent que j’ai cru devoir ajouter pour plus de clarté. — Dans des animaux autres que l’homme, tandis que le hasard ne s’applique qu’aux actes de l’homme. Voir plus haut, § 2. — De lui-même en marche spontanément, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Autre exemple, après l’exemple d’un animal, vient l’exemple d’une chose inanimée. — Fortuitement, ce mot équivaut, du moins dans ce passage, à Spontanément.
  231. En général, le texte dit : Absolument. — Dont la cause est extérieure, voir plus loin, § 9 — Spontanément et d’elle-même, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Fortuitement, le texte répète ici le mot de Spontanément. — Dans les actes libres… doués de libre arbitre, une répétition analogue se trouve dans le texte.
  232. Qu’une chose a été faite en vain, il y a ici dans le grec une sorte de jeu de mots étymologique qui ne peut se rendre dans notre langue. En grec le mot Spontané se dit Automaton, et le mot En vain se dit Matên. Aristote dérive le mot Automaton du pronom Auto et de l’adverbe Matên. Mais cette étymologie ne paraît pas très acceptable ; et l’on ne peut pas dire qu’un fuit spontané, au sens où on l’entend ici, soit réellement une chose faite en vain ; car une chose ne peut être vaine qu’autant qu’elle a manqué le but qu’on se proposait ; et ici on ne se propose aucun but. C’est du reste ce qui est dit dans le texte, du moins en partie. — Comme l’indique l’étymologie même, l’expression du texte est nécessairement un peu plus générale. — Spontanée, et est arrivée de soi-même, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Spontanément et fortuitement, même observation.
  233. Par le fait seul de la nature, d’après tout ce qui précède, c’est surtout aux faits purement naturels que semble s’appliquer le spontané. — Contre les lois naturelles, par exemple quand il se produit des monstres. — Nous disons qu’il est spontané, dans notre langue et suivant l’expression vulgaire, nous disons plutôt que c’est un effet du hasard. — La cause est intérieure pour l’un, j’aurais peut-être dû préciser plus que ne le fait le texte, qui se borne à dire, sans désignation spéciale, que la cause de l’un est intérieure et celle de l’autre extérieure. On devrait sans doute appliquer la cause extérieure au spontané, d’après ce qui est dit dans le § 7, un peu plus haut ; mais en général, au contraire, les commentateurs ont attribué la cause intérieure au spontané, ce qui semble en effet plus rationnel.
  234. Les différences, voir plus haut, ch. 5, § 5.
  235. Quant à leur mode d’action, voir plus haut, ch. s, §§ 10 et 11. — D’où vient le principe du mouvement, causes motrices ou efficientes ; voir id., ibid. — Est indéterminé, voir plus haut, ch. 5, § 10.
  236. Accidentellement, voir plus haut, ch. 5, § 5. — Antérieur aux choses en soi, voir plus haut, ch. 3, § 14, et Livre 1, ch. 10, § 8. — Accidentelle ou indirecte, il n’y a toujours qu’un seul mot dans le texte. — À toute force, j’ai cru pouvoir risquer cette expression qui rend bien celle du texte grec. — La cause du ciel, c’est le système de Démocrite qui est critiqué ici. — L’intelligence et la nature, grande et exacte théorie, qui est la conséquence de celles d’Anaxagore et de Platon. Pour cette réfutation du matérialisme, il faut lire le dixième Livre des Lois, p. 221 et suiv.
  237. Qu’il y a des causes, entre l’opinion de ceux qui veulent attribuer tout au hasard ; voir plus haut, ch. 4, § 7. — Tel que nous l’avons établi, voir plus haut, ch. 3, § 10, où l’on a expliqué le nature et les différences des quatre espèces de causes. — Soit à l’essence même de l’objet, c’est la cause essentielle ou formelle. — Soit au moteur primordial, la cause motrice, d’où est parti le principe de tout ce qui a suivi. — Soit au but qu’on se propose, la cause finale, le pourquoi et le but où tend la chose. — À la matière, la cause matérielle. — Qui naissent et sont produits, soit par le fait de la nature, soit par l’art de l’homme.
  238. En vrai physicien, et d’après les lois naturelles, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  239. L’homme engendre l’homme, par cet exemple, qui est ici assez brusquement jeté. Aristote veut dire sans doute que l’homme quand il engendre l’homme peut être considéré comme réunissant les trois espèces de causes, puisqu’il est à la fois la forme, la matière, et le principe moteur, relativement à l’être qui doit sortir de lui, et qui est de la même espèce. — Quant à celles… ce sont les êtres immobiles d’où vient le mouvement pour tout le reste, mais qui ne sont pas eux-mêmes en mouvement ; par excellence, c’est le premier moteur ou Dieu. — Elles ne sont plus du domaine de la Physique, elles appartiennent à la Métaphysique plus spécialement. — Un mouvement qui leur soit propre, ces êtres ne peuvent pas avoir de mouvement en eux, précisément parce qu’ils sont immobiles, tout en donnant le mouvement au reste des êtres. — Ou un principe de mouvement, en ce sens où l’on dit de l’homme, par exemple, et des autres animaux, qu’ils ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement, et qu’ils peuvent se mouvoir. — Mais elles le donnent tout en étant immobiles elles-mêmes. Il faut, sur toute cette théorie, consulter l’admirable XIIe livre de la Métaphysique ; le premier moteur est nécessairement immobile, et le reste des êtres attirés par lui et vers lui en reçoivent par là même le mouvement.
  240. Sur ce qui est immobile, le premier moteur, c’est-à-dire, Dieu. — Sur ce qui est mobile, mais impérissable, le ciel et tous les grands phénomène qui s’y passent. Voir plus loin, Livre VIII, ch. 14, où la question du premier moteur est touchée plutôt encore qu’approfondie, attendu qu’elle est renvoyée à la Métaphysique.
  241. Le moteur initial, appliqué à la chose même dont on s’occupe, et non plus à l’universalité des choses ; et pour reprendre l’exemple cité au § 1 : Quel a été le premier motif de la guerre que tel peuple a fait à tel autre peuple ? On répond : le premier motif de la guerre a été dans les déprédations que ce peuple avait souffertes de ses voisins. — De la génération des choses, non pas dans le sens de création, mais dans le sens de simple production naturelle ou artificielle. — Quel phénomène se produit après tel autre, c’est la question de la forme. — Quel a été le premier agent, c’est la cause motrice. — Quel effet a éprouvé l’être, c’est la question de la matière et de la forme.
  242. L’un n’est pas du domaine de la Physique, je crois pouvoir traduire ce passage ainsi, en m’appuyant sur le § 3. — Il n’a pas en lui-même l’origine du mouvement, voir plus haut le § 3. Ceci signifie que l’être immobile n’a pas un mouvement propre ; ce qui est évident. — Tel est l’être, s’il en est un, qui peut mouvoir, par une sorte d’attraction. — Et antérieur à tous les êtres, en d’autres termes, Dieu. — L’autre principe, le texte n’est pas aussi précis, il est évident, d’après le contexte, que le premier des deux principes auxquels Aristote réduit les quatre espèces de causes, est la matière, qui, par elle-même, n’a pas le mouvement, et qui, à ce titre, ne fait pas partie de la physique. L’autre principe est la réunion de l’essence, de la fin et du mouvement initial, d’après le § 3. Il est d’ailleurs assez étrange d’assimiler ici la matière au premier moteur, à Dieu, le moteur immobile de l’univers ; mais c’est une simple comparaison pour dire que la matière joue, à l’égard des trois autres causes, un rôle analogue à celui que le premier moteur joue dans le monde. On peut voir aussi plus haut que l’être se réduit à la matière et à la forme, Livre 1, ch. 8, § 11.
  243. La connaisse sous ce rapport, la connaissance des causes finales ne doit pas être exclue de la physique.
  244. De toutes les façons, c’est-à-dire d’après les quatre points de vue énumérés plus haut au § 2. — Telle chose vient nécessairement de telle autre, c’est la cause motrice. — Que telle chose aura lieu, c’est la cause matérielle comme le prouve l’exemple des prémisses, d’où vient la conclusion. — L’essence de la chose, c’est la cause essentielle ou formelle. — Elle est mieux de telle façon, c’est la cause finale. — À la substance, ou à la nature.
  245. D’abord, il faut bien expliquer, ce sera l’objet du présent chapitre. — Puis ensuite, ce sera l’objet du chapitre suivant, où l’on examinera jusqu’à quel point la nécessité domine dans la nature. — Ils ne font que toucher cette autre cause, c’est précisément la critique très grave que Socrate dans le Phédon se croit en droit d’adresser à la philosophie d’Anaxagore : voir le Phédon de Platon, page 278, traduction de M. V. Cousin. — Celui-ci, l’amour et la discorde, c’est Empédocle. — Celui-là, l’intelligence, c’est Anaxagore, qui après avoir reconnu l’intelligence divine, pour l’ordonnatrice de cet univers, ne fait aucun usage de cet admirable principe et a recours à des principes inférieurs pour expliquer les phénomènes de la nature.
  246. Mais ici l’on élève un doute, Aristote expose cette objection avec toute sa force dans ce § et dans le suivant. Il y répond dans les §§ 4 et suiv. — La vapeur doit se refroidir, cette explication du phénomène de la pluie est exacte, et aujourd’hui nous, ne dirions guère davantage. — Les organes corporels eux-mêmes, après avoir cité un phénomène général et purement atmosphérique, l’auteur ajoute un exemple pris des corps organisés, où les diverses parties, dit-on, n’ont pas plus de destination spéciale que la pluie n’en a quand elle tombe. Ici l’absurdité du système est plus frappante que dans l’exemple précédent. — Pour tous les organes, le texte dit : « Les parties. » — Une fin et une destination, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  247. Ainsi donc, dans le système qu’expose Aristote et qu’il va réfuter. — Elles subsistent et se conservent, c’est le système d’Empédocle, qu’adoptèrent plus tard Épicure et Lucrèce. — De ses créatures bovines à proue humaine, ce sont les expressions mêmes d’Empédocle. — À proue humaine, signifie que ces animaux avaient les parties antérieures d’un homme, et les parties postérieures d’un bœuf.
  248. Ces organes des animaux dont on vient de parler, le texte est moins précis et emploie un terme plus général. — Pour rien de ce que produit le hasard, voir plus haut, ch. 5, § 1. — Spontanément, d’une manière fortuite, il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec. — Un pourquoi, une fin, même remarque. L’argumentation tout entière d’Aristote repose ici sur la régularité des phénomènes naturels ; le hasard est essentiellement irrégulier ; donc la nature n’est pas un effet du hasard, puisqu’elle obéit à des lois constantes et éternelles.
  249. L’antérieur, c’est-à-dire tout ce qui précède la fin et tout ce qui y tend. — Tout ce qui le suit, c’est-à-dire toutes les conséquences des moyens antérieurs qui mènent au but. — Quand elle est faite, quand elle a atteint la fin pour laquelle elle est faite. — Toutes les fois que rien ne s’y oppose, limitation indispensable pour expliquer les monstruosités naturelles ; voir plus bas § 9. — L’un est fait pour l’autre, j’ai conservé à dessein cette expression générale du texte, parce qu’il aurait fallu une paraphrase trop longue. Ce passage veut dire que la nature d’une chose est conforme à sa fin, comme sa fin est conforme à sa nature. — Les faits postérieurs… les faits antérieurs, voir le début du §. Les moyens les moins éloignés sont en rapport avec les plus éloignés, et ils ferment les uns avec les autres une sorte d’enchaînement continu, pour atteindre leur fin commune en se subordonnant entre eux.
  250. Dans les animaux autres que l’homme, l’exemple des animaux cités un peu plus bas est en effet très frappant, et il est impossible de mieux choisir ses preuves. — À l’aide de l’intelligence, c’est l’instinct, qu’il faut dire ; mais l’instinct, infaillible comme il l’est à peu près, démontre une fin mieux peut-être encore que l’intelligence. — Ou d’une autre faculté, restriction très juste. — Les feuilles sont faites pour garantir le fruit, ce n’est pas tout à fait la fonction que la physiologie végétale de nos jours prête aux feuilles ; mais il est certain que les feuilles, nécessaires à la santé de l’arbre, le sont aussi à la maturation du fruit. — Il est clair, conclusion de toute cette remarquable démonstration. Aujourd’hui même nous ne pourrions mieux dire.
  251. D’une part, comme matière, voir plus haut, ch. 2, § 8. — Le pourquoi des choses, et leur cause finale, il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec. Voir plus haut, ch. 1, § 21.
  252. Que nous rappelions tout à l’heure, d’après Empédocle ; voir plus haut, § 3. — Par la perversion de la semence et du germe, la physiologie contemporaine n’est pas d’accord sur les causes des monstruosités. L’explication que donne ici Aristote peut en valoir une autre.
  253. Faut-il nécessairement que le germe ait été le premier, c’est la grande question de l’origine des choses. Rationnellement, il semble que l’être complet doit avoir précédé le germe. L’homme n’a pu naître enfant ; car il n’aurait pas pu vivre ; et les animaux ont dû naître, à ce qu’il semble, tout formés, malgré ce qu’en pense Aristote. — Tout d’un coup, c’est-à-dire complètement organisés et développés. C’est la solution de le Genèse, faisant sortir Adam tout formé des mains de Dieu. — La matière indigeste et universelle, d’après ce que croit Simplicius, Aristote emprunte cette expression à Empédocle lui-même. — Dont on nous parle, je me suis cru autorisé à ajouter ceci. — A été le germe primitif, c’est alors revenir au hasard.
  254. Il est moins distinct, ceci est un peu en contradiction avec ce qui a été dit plus haut sur les fonctions des feuilles à l’égard du fruit, § 7. — À proue humaine, voir plus haut § 3. — Les anomalies qu’on prétend, le texte est un peu moins précis.
  255. Il fallait aussi, dans le système d’Empédocle, s’il voulait être conséquent ; et en effet, on ne voit pas pourquoi les germes auraient eu plus d’ordre que les êtres qui en sortaient.
  256. C’est nier absolument la nature, objection très forte et très simple contre le système qui soumet tout au hasard. Voir plus haut, ch. 1, § 11 — On entend par choses naturelles, voir plus haut, ch. I, § 4. — À moins d’obstacle qui l’arrête, voir plus haut § 6.
  257. Mais, dit-on, nouvelle objection, analogue à celle qui a été présentée dans les §§ 2 et 3. — Nous l’avons dit plus haut, voir plus haut ch. 5, § 5 et ch. § 1, la définition du hasard et du fortuit.
  258. L’art non plus ne délibère point dans tout ce qu’il fait ; et il y a une foule de choses qu’il produit instinctivement et sans réflexion. — Et si l’art des constructions navales. Cette pensée qui paraît assez bizarre au premier coup-d’œil est vraie au fond. La nature agit par un principe intérieur, tandis que l’art est toujours une cause extérieure à ce qu’il produit. — Quelqu’un se sert à soi-même de médecin, voir plus haut, ch. 1, § 5. La comparaison est d’ailleurs fort ingénieuse. Le médecin pour se soigner lui-même n’a besoin de délibérer ni sur son mal ni sur le remède ; il les connaît parfaitement l’un et l’autre.
  259. En vue d’une fin, voir plus haut ch. 3, § 10. La cause finale est la dernière des quatre causes reconnues par Aristote.
  260. Dans les choses, soit de la nature, soit de l’art ; j’ai ajouté ces mots dont l’idée est impliquée dans l’expression du texte. — Conditionnelle et consécutive, il n’y a qu’un seul mot dans le grec ; mais tout le contexte justifie l’addition que je me suis permise. Aristote dit : « par hypothèse, » c’est-à-dire comme conséquence de la condition antérieurement posée, à savoir que la nature agit en vue d’une fin.
  261. On comprend, il est difficile de savoir à qui Aristote veut faire allusion parmi ses contemporains ou ses prédécesseurs. — Comme quelqu’un qui prétendrait, il y a sans doute quelqu’intention d’ironie dans cette tournure ; et la prétendue explication donnée de la muraille serait en effet assez ridicule ; car les lois nécessaires de la pesanteur n’ont rien à faire avec le but qu’on s’est proposé en construisant la maison. — Sont à l’extérieur, par exemple, pour former la toiture.
  262. Il est impossible que le mur existe sans ces matériaux, et en ce sens ces matériaux sont nécessaires ; mais ils ne le sont qu’autant qu’on veut construire un mur, et par conséquent ils ne sont nécessaires que comme conditions du mur à construire. — Ce n’est pas pour eux qu’il est fait, le mur a sa destination spéciale, qui est toute différente ; et les matériaux ne sont employés qu’en vue de cette fin. — Ainsi, pourquoi la scie, cet exemple de la scie est encore plus décisif que celui de la maison, parce que sa destination est encore plus apparente. Ce n’est pas une nécessité de la matière qu’une lame de fer ait des dents qui scient ; mais du moment qu’on veut une scie, c’est une nécessité qu’on la fasse en fer. La matière n’est donc employée qu’en vue de la fin, et c’est cette fin qui est la condition préliminaire de la nécessité ; ainsi la nécessité n’a qu’une existence relative, et en quelque sorte hypothétique. — Est dans la raison, ou dans la définition. — Qui la comprend et la poursuit, le texte est moins explicite.
  263. Dans les sciences mathématiques, ou simplement : Dans les Sciences. Le texte n’a que ce dernier sens, et j’ai ajouté l’adjectif de Mathématiques à cause de l’exemple suivant, qui est en effet tout mathématique. — À peu près, cette restriction est justifiée par ce qui suit. Le nécessaire n’est pas tout à fait dans les sciences ce qu’il est dans la nature : pour les unes, il est dans les conséquences ; pour l’autre, il est au contraire dans le principe, qui est la matière. Ainsi l’angle droit ayant été défini de telle manière, il s’ensuit par une conséquence nécessaire que le triangle doit avoir ses trois angles égaux à deux droits, tandis qu’au contraire dans les choses de la nature et de l’art, c’est le principe qui est nécessaire une fois que la fin à obtenir a été posée. — C’est précisément l’inverse, ainsi qu’on vient de l’expliquer. — Qui se produisent en vue d’un certain but, cette expression est plus exacte que celle qui a été employée au début du §. — Dans les choses de la nature, parce qu’elle comprend aussi les productions de l’art. — L’antécédent, c’est-à-dire la matière, qui est l’élément préalable sans lequel la fin ne peut être obtenue. — Quand la conclusion n’a pas lieu, à savoir l’égalité des trois angles d’un triangle à deux droits. — Le principe n’existe pas non plus, à savoir la définition de l’angle droit. — De même ici, mais à l’inverse, puisque c’est la fin qui manque, si l’antécédent ou la matière vient à manquer. — Ne pourront plus avoir lieu, si les matériaux, par exemple, viennent à manquer pour la maison. — Non pas seulement de l’acte, il semble qu’il faudrait renverser les choses et dire : « Non pas seulement du raisonnement, mais de l’acte », puisqu’il s’agit d’une production de l’art. — Il n’y a point d’actes à produire, les mathématiques sont des sciences purement théoriques ou contemplatives, tandis que dans la nature comme dans l’art, il y a une activité qui produit sans cesse. — Les principes ne peuvent être vrais, en d’autres termes, les prémisses d’où l’on tire la conclusion ; et dans l’exemple cité, la définition de l’angle droit.
  264. Dans les choses de la nature, et aussi dans celles de l’art, par opposition aux sciences purement spéculatives. Dans ces dernières, c’est la conclusion qui est nécessaire, les principes étant donnés ; dans les choses de la nature et de l’art, c’est la matière, la fin étant une fois posée.
  265. Matière et fin, j’ai ajouté ces mots qui rendent l’expression plus claire et qui sont autorisés par le contexte : la matière d’ailleurs représente aussi le nécessaire, puisqu’elle est la condition sine qua non. — Par le physicien, c’est-à-dire par celui qui étudie les lois générales de la nature et du mouvement. Voir plus haut, Livre 1, ch. 2, § 1. — Est cause de la matière, au sens où on vient d’expliquer ceci dans le § précédent — Qui fait agir, j’ai ajouté ces mots. — Et le principe, sans doute la matière, qui est impliquée en effet dans la définition. — Et de la conception, ou de l’idée. — De même que pour tout ce que fait l’art, les deux exemples qui suivent, la maison et la santé, sont du domaine de l’art ; le troisième exempte est naturel ; c’est celui où l’homme étant la fin donnée, il faut également certaines conditions préalables, qui sont indispensables pour atteindre cette fin. Aristote veut démontrer par là que le physicien doit s’occuper de la cause finale, bien plus encore que de la matière ou du nécessaire. — Une maison, par exemple, étant telle chose, et la fin que l’architecte se propose. — La santé étant telle chose, et la fin que se propose le médecin. La santé et la maison sont les produits de l’art ; la maison suppose nécessairement comme antécédents des pierres, des bois, des fers, etc. ; la santé ou plutôt la guérison, qui est la santé rendue par le médecin, suppose l’observation du médecin, la prescription de certains remèdes, en un mot certains actes qui n’ont eu lieu qu’en vue de la fin à obtenir. — De même, si l’homme, exemple où c’est la nature seule qui agit et non plus l’art. Les conditions préalables et nécessaires de la production de l’homme sont faciles à imaginer.
  266. Le nécessaire se retrouve aussi jusque dans la définition, comme il se retrouve dans les conditions antérieures et indispensables à la fin qu’on se propose, ainsi qu’il a été démontré plus haut, §§ 2 et 3.
  267. Le principe du mouvement et du changement, voir plus haut, Livre II, ch. 1, § 4, où la nature est définie comme étant le principe du mouvement et du repos. — De ce que c’est que le mouvement, c’est là la première étude à faire, puisque l’idée du mouvement entre dans la définition essentielle de la nature. — De la même manière, c’est-à-dire en suivant la méthode qu’on aura suivie pour l’étude du mouvement. — Les phénomènes qui l’accompagnent, c’est-à-dire l’espace, le vide, le temps, ainsi que le continu et l’infini. — Nous devons étudier préalablement chacun d’eux, l’infini est étudié dans ce troisième livre à partir du ch. 4, après quelques généralités sur le mouvement. L’espace, le vide et le temps sont le sujet du quatrième livre tout entier ; les livres restants sont remplis par la théorie du mouvement. — L’étude des propriétés spéciales, voir au début du traité, Livre 1, ch 1, quelques généralités sur la méthode qu’il convient de suivre dans l’étude de la nature. — Par le mouvement, ou pour parler plus exactement, par la définition du mouvement, parce qu’il ne sera question du mouvement lui-même qu’à partir du Livre V. Tout le reste de ce chapitre à partir de ce § se retrouve presqu’identiquement dans la Métaphysique, Livre XI, ch. 9, p. 1065, b, 5, édit. de Berlin.
  268. Tantôt seulement en entéléchie, il semble comme le remarque Pacius qu’il manque ici une idée et qu’il rendrait ajouter : Tantôt seulement en puissance, pour que l’énumération fût complète. Quelques éditeurs se sont permis de faire cette addition, sans doute en s’appuyant sur le texte de la Métaphysique, où elle est expressément reproduite ; mais je n’ai pas cru devoir aller jusque-là, bien qu’il soit certain que cette idée compléterait parfaitement celles qui sont exprimées dans le texte. — Tantôt encore il est substance ; tantôt, quantité, voir le traité des Catégories ch. 4, p. 59 de ma traduction où sont énumérés les dix genres de l’être. — Pour toutes les autres catégories, qui sont en tout au nombre de dix, dans le système d’Aristote.
  269. Quant au relatif, dans le § précédent on n’a rappelé nommément que les trois premières Catégories : la substance, la quantité et la qualité. Le relatif forme la quatrième, dans laquelle aussi se trouve le mouvement. — Par l’excès ou par le défaut, ainsi le grand est le relatif du petit, et réciproquement ; peu est relatif de beaucoup. — Il est passif et actif, et c’est sous ce rapport qu’on peut trouver le mouvement dans la catégorie de la relation. Voir les Catégories, ch. 7, page 89 de ma traduction. — Le moteur est ce qui meut le mobile, le moteur est ainsi relatif au moteur ; et réciproquement ; c’est-à-dire que l’idée de moteur implique nécessairement celle de mobile, et que l’idée de mobile implique aussi celle de moteur. Voir un peu plus bas § 12.
  270. En dehors des choses, qui sont en mouvement. Le mouvement est dans les choses et n’a point d’existence propre. Par suite, il est dans les catégories, comme y sont les choses elles-mêmes qui se meuvent ; seulement il n’est que dans les quatre premières, rumine il sera explique plus loin, § 8.
  271. De deux façons, c’est-à-dire que dans chacune des quatre Catégories étudiées ici, il peut y avoir opposition. — Dans la substance, il y a la forme et la privation, il y a mouvement dans la substance pour aller de la privation à la forme ou de la forme à la privation.— Dans la qualité, l’être pusse d’un contraire à l’autre ; et par conséquent, il y a mouvement — Dans la quantité, l’être s’accroît ou diminue ; il y a donc encore mouvement — Dans la translation, l’être passe d’un lieu à un autre ; et c’est surtout à cette catégorie que s’applique l’idée de mouvement.
  272. De mouvement et de changement, Aristote confond très souvent ces deux idées comme équivalentes ; elles ne le sont peut-être pas tout à fait ; et le changement suppose moins que le mouvement l’intervention nécessaire du temps, puisque le changement peut être instantané. — Qu’il y a de genres de l’être, ceci n’est pas tout à fait exact, si on le prend d’une manière générale, puisqu’il y a dix Catégories, et qu’il n’y en a que quatre où il y ait mouvement.
  273. Et comme dans chaque genre, ou Catégorie. — En acte ou entéléchie, il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec. — C’est-à-dire la réalisation, j’ai ajouté ces mots. — De l’être qui était en puissance, voir la distinction de l’acte et de la puissance, Livre I, ch. 9, § 15. — C’est le mouvement, cette définition célèbre du mouvement a été fort souvent attaquée. Les développements qui vont suivre prouveront qu’elle est parfaitement acceptable, bien qu’au premier coup-d’œil cette formule puisse paraître assez obscure.
  274. Ainsi l’altération, c’est le mouvement dans la catégorie de la qualité, où l’être devient autre qu’il n’était, passant d’un contraire à un autre contraire. — Le développement et la réduction, ces deux expressions ne sont peut-être pas aussi opposées dans notre langue que les deux expressions du texte. — Il n’y a pas ici d’expression commune, comme l’altération, terme unique pour exprimer le mouvement dans la catégorie de la qualité. — Le développement et la réduction sont le mouvement dans la catégorie de la quantité. — La génération et la destruction, sont le mouvement dans la catégorie de la substance. — La translation, ici encore il n’y a qu’un seul terme pour exprimer le mouvement dans le catégorie du lieu. C’est surtout à cette catégorie que s’applique l’idée de mouvement. Voir plus haut, § 5.
  275. Constructible, la suite explique ce que cette pensée peut avoir de singulier. La maison est une chose constructible, tant qu’elle n’est pas construite, et qu’elle peut seulement l’être ; tant qu’elle n’est pas en acte et qu’elle est simplement en puissance. — En tant que nous ne la considérons qu’à cet égard, cette limitation est nécessaire ; car la maison pourrait être considérée sous bien d’autres rapports. — Et se réalise, j’ai ajouté ces mots pour plus de clarté. — Elle est construite, elle est devenue réelle et a cessé d’être simplement possible ; elle a passé par le mouvement qui lui est propre, c’est-à-dire par la construction, de la puissance à l’acte. — L’acte d’apprendre, j’ai été forcé de prendre cette tournure dans notre langue, tout en regrettant de n’y point trouver de substantifs analogues à ceux qu’emploie ici la langue grecque.
  276. Qui agiront ou souffriront les unes par les autres, elles agiront en tant qu’elles seront en acte, et elles souffriront en tant qu’elles sont en puissance. — Également actif et passif, par suite de la distinction qu’on vient de faire. — Le Moteur naturel sera mobile, c’est-à-dire que le moteur sera mis lui-même en mouvement, et qu’il communiquera le mouvement qu’il aura reçu lui-même. — A d’abord été mu lui-même, par le premier moteur, qui est le seul à donner le mouvement sans l’avoir lui-même reçu préalablement. C’est rattacher la nature toute entière à Dieu.
  277. Sans exception, j’ai ajouté ces mots qui sont impliqués dans le contexte, et qui complètent la pensée. — Nous nous réservons de démontrer ailleurs, d’abord dans le VIIIe livre de ce traité, et surtout dans le XIIe livre de la Métaphysique. — Un moteur qui est lui-même immobile, c’est Dieu, qu’Aristote désigne ainsi.
  278. L’acte ou entéléchie, il n’y a toujours qu’un seul mot dans le texte. — Soit en restant lui-même, soit en devenant autre, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — En tant que mobile, cette restriction est indispensable et veut dire que l’être n’est pas considéré en lui-même et dans ce qu’il est substantiellement ; il n’est considéré que dans sa qualité de mobile, c’est-à-dire sa puissance d’être mû ; et c’est en tant qu’il se réalise, en passant de la puissance à l’acte, qu’on peut dire qu’il y a mouvement. — La statue en puissance, non pas en tant qu’airain, mais en tant que mobile, — Essentiellement, l’essence de l’airain est d’être un certain métal ; ce n’est qu’indirectement qu’il est mobile en puissance, et que par le mouvement il peut devenir statue. — En tant qu’airain, tandis qu’au contraire c’est en tant que mobile. L’essence du sujet est fort différente de sa puissance, qui n’est pas plus à lui qu’à une foule d’autres objets. — En regardant aux contraires, que le sujet peut recevoir tour à tour, et qui se confondraient, tout opposés qu’ils sont, si la puissance se confondait avec l’essence. Les contraires sont en puissance dans le sujet sans y être à la fois, et surtout sans être identiques au sujet.— De pouvoir se bien porter et de pouvoir être malade, puissances contraires, qui sent dans un seul et même sujet sans s’y confondre. — Être malade et se bien porter, c’est l’acte à la place de la puissance, le fait à la place de la possibilité. Or, si les deux faits ne peuvent pas se confondre, les puissances ne sont pas davantage identiques. — C’est le sujet qui est le même, voir les Catégories, ch. 5 § 21, p. 69 de ma traduction. — Par l’effet de l’humeur ou du sang : celle réflexion peu nécessaire ici se rapporte à toutes les théories médicales de l’antiquité. — La couleur ne se confond avec le visible, la couleur d’un objet est différente de la faculté qu’a cet objet de pouvoir être visible. — L’entéléchie du possible en tant que possible, c’est la définition la plus générale du mouvement, et après tout ce qui précède on voit clairement ce que cette formule signifie.
  279. Cette entéléchie, ou cet acte. — Et tantôt n’y être pas, c’est-à-dire être simplement en puissance. — Une chose qui peut être construite, la maison peut être, soit en réalité actuelle, soit en simple puissance ; elle peut être réellement construite, où il se peut que la construction en soit simplement possible.
  280. C’est la construction, voir plus haut, § 9. — Car il n’y a ici, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — La chose constructible n’est plus, la distinction est juste, bien qu’un peu subtile. La chose n’est plus à construire puisqu’elle est construite ; elle est passée de la puissance à l’acte ; et c’est la construction qui est l’acte. La maison est le résultat du mouvement et la cause finale ; mais elle n’est pas le mouvement lui-même. — La construction est bien l’acte, en d’autres termes, le mouvement. — Un mouvement d’une certaine espèce, et l’on pourrait dire que c’est un mouvement de translation. — La même définition, ou la même explication.
  281. Les autres philosophes, dont il a été question dans le premier Livre, ch. 2 et suiv. — Dans un autre genre, c’est-à-dire de la considérer autrement que comme un acte, la réalisation du possible, le passage de la possibilité au fait actuel.
  282. Dans ces théories, celles des Pythagoriciens selon toute apparence, et aussi celles de Platon, d’après Simplicius. — Il n’y a pas de mouvement nécessaire, dans le sens où on vient de l’expliquer pour le mobile. Il n’y a de mu que ce qui est mobile ; le divers, l’inégal, le non-être, ne sont mus qu’indirectement. En eux-mêmes, le mouvement ne leur est pas essentiel. Voir le Sophiste de Platon, p. 279 et suiv., traduction de M. V. Cousin.
  283. Le changement, ou le mouvement ; voir plus haut, § 6. — À ces termes, le texte est un peu moins précis. Les termes dont il s’agit sont l’illégal, le divers, le non-être, énumérés au § 16. — Ou de leurs opposés, le même, l’égal, l’être.
  284. Les philosophes dont nous parlons, probablement les Pythagoriciens, à cause des détails qui suivent. — Leur autre série correspondante, c’est le terme dont se sert encore Aristote en parlant des dix catégories Pythagoriciennes, Métaphysique, Livre 1, ch. 5, p. 986, a, 23, édit. de Berlin, — Ils sont privatifs, ceci n’est pas tout à fait exact pour les dix catégories correspondantes des Pythagoriciens. — Aucun d’eux n’est ni substance, ceci semble interrompre un peu l’ordre de la pensée. Le mouvement est placé au sixième rang de la seconde table, et il est opposé au repos ; on ne peut pas d’ailleurs le considérer comme privatif, si ce n’est au sens qu’indique ici Aristote, en remarquant qu’il n’est dans aucune de ses catégories, non plus que les neuf autres termes Pythagoriciens.
  285. Ce qui fait encore, ce second argument est beaucoup plus fort que le précédent. — D’une manière absolue, parce qu’il est à la fois dans la puissance et dans l’acte, et qu’il n’est complètement, ni dans l’une, ni dans l’autre. — Ni ce qui peut devenir une quantité, c’est-à-dire ce qui n’est quantité qu’en puissance. — Ni ce qui actuellement en est une, par exemple l’airain, qui est actuellement une statue ; mais qui par conséquent n’a plus de mouvement, puisqu’il est passé de la puissance à l’acte. — Mais d’acte incomplet, cette nuance de définition est aussi juste que fine. — Le possible… est incomplet lui-même, puisqu’il tend à devenir actuel.
  286. Il y a grand’peine, la discussion précédente le prouve ; mais il est difficile de pénétrer plus profondément que ne l’a fait ici Aristote dans la nature intime du mouvement. — Dans la privation, voir plus haut, Livre I, ch. 8, § 10 — Dans la puissance, ou la matière. — Dans l’acte absolu, ou la forme. — Est difficile à bien comprendre, cet aveu de la part d’Aristote est modeste ; et il est exact en ce que le mouvement est en effet très malaisé à expliquer. Voir la Préface.
  287. Ainsi qu’on l’a dit, voir plus haut, ch. 4, § 10. — Parce qu’il est mobile en puissance, c’est le cas de tous les moteurs dans la nature ; ils sont tous mobiles à leur tour, en même temps qu’ils peuvent donner le mouvement. Il n’y a que le moteur immobile, le premier moteur, qui soit soustrait à cette loi. Voir plus haut, ch. 1, § 11. — Son immobilité est le repos, il faut distinguer entre le repos et l’immobilité. Le repos est l’immobilité d’un être qui peut se mouvoir et qui par sa nature est capable de mouvement. L’immobilité absolue n’appartient qu’au premier moteur, qui meut sans être mu. — En tant que mobile, le texte dit précisément : En tant que tel. — Que par contact, l’expression n’est peut-être pas exacte dans tous les cas, bien qu’elle le soit dans la plupart. Il y a des moteurs qui agissent à distance, et pour lesquels le contact n’est pas nécessaire. Au lieu du mot de contact, il aurait fallu prendre une expression plus générale. — Je le répète, j’ai cru devoir ajouter ces mots pour justifier, du moins en apparence, la répétition évidente qui est dans le texte, et qui est peut-être une interpolation. Cette leçon paraît du reste exister déjà du temps de Simplicius et on en retrouve des traces dans son commentaire, qui atteste aussi que ce passage avait donné lieu à bien des explications d’Aspasius et d’Alexandre d’Aphrodisée. La définition du mouvement telle qu’elle est donnée est plus complète et plus précise, comme le remarquent tous les commentateurs anciens, que celle qui a été esquissée plus haut, ch. 1, § 12.
  288. . Le moteur apportera quelque forme, la fin du § explique ce qu’Aristote entend par là. — Le principe et la cause, en tant que cause finale. Voir plus haut, Livre II, ch. 7, § 3.
  289. Le mouvement est dans le mobile, ce § et le suivant sont répétés à peu près mot pour mot dans le Métaphysique, Livre XI, ch. 9. p. 1066. a, 27, édit. de Berlin. Le mouvement est dans le mobile comme sujet du mouvement, dont le moteur n’est que la cause. — Le mouvement vient de ce qui peut le donner, du moteur en tant que cause.
  290. L’acte de ce qui peut mouvoir, c’est-à-dire du moteur, qui est capable de mouvoir sans mouvoir encore réellement. — Que celui du mobile, j’ai ajouté ces mots que justifie le contexte. — Le moteur en puissance, en d’autres termes, ce qui peut mouvoir, — Par cela seul qu’il peut mouvoir, il semble qu’il y a ici quelque contradiction, puisque l’entéléchie et la puissance ne doivent pas se confondre. — Le moteur réel, j’ai ajouté ce dernier mot pour mieux marquer la différence de ce qui peut mouvoir et de ce qui meut en effet — Il est l’agent du mobile, ou peut-être plus exactement : Il agit dans le mobile. — Pour le moteur et le mobile également, le texte dit simplement : Pour les deux. — Un seul et même intervalle, ou bien : Une seule et même distance. Seulement en allant de un à deux, on va du simple au double, tandis qu’en allant de deux à un ou va du double au simple, de même qu’on fait bien la même route soit qu’on la monte soit qu’on la descende ; mais on ne la fait pas dans le même sens. — Soit que l’on monte, soit que l’on descende, le texte n’est pas plus explicite que la traduction ; mais il se comprend suffisamment. — Les deux choses n’en font qu’une, la différence numérique est la même, et la route bien qu’inverse, est la même, ainsi qu’on vient de l’expliquer. Voir plus bas § 10. — La définition ne soit point unique, puisqu’en un sens on va en montant, et que dans l’autre, au contraire, on descend. — Pour le moteur et pour le mobile, qui n’ont qu’un seul et même acte, l’un comme cause et l’autre comme sujet du mouvement ; le moteur meut le mobile ; le mobile est mu par le moteur.
  291. Purement logique, c’est une manière, pour Aristote, d’indiquer qu’il n’attache pas grande valeur à cette objection. — Pour ce qui est actif, c’est le moteur ; Pour ce qui est passif, c’est le mobile. — L’œuvre et la fin de l’un, c’est-à-dire du moteur. — De l’autre, c’est-à-dire de mobile. — Un résultat produit, la forme nouvelle qu’a reçue le mobile. — C’est un simple état passif, le texte dit précisément : Une affection.
  292. De toutes les deux, de l’activité et de la passivité, qu’Aristote veut confondre dans le seul et même acte du moteur et du mobile.— Dans quoi elles se trouvent, soit dans le moteur, soit dans le mobile, séparément ou réunies. — Dans ce qui souffre l’action, c’est-à-dire dans le mobile ; et alors il est étrange de dire que le mobile est actif, puisqu’il souffre le mouvement et ne le fait pas. — Ou bien l’action se trouve dans ce qui agit, c’est-à-dire dans le moteur, tandis que la passivité se trouve dans le mobile. — Dans ce qui subit l’action, c’est-à-dire dans le mobile ; et alors l’action et la passion se trouvent séparées au lieu d’être réunies, Aristote va s’efforcer de prouver que ces deux suppositions sont également insoutenables. — Mais, commencement de la réfutation de l’objection. — À cette passivité, le texte dit seulement : Celle-ci. — C’est une pure équivoque de mots, une simple homonymie, qui n’empêche pas que les choses ne diffèrent essentiellement. — Si l’action est dans l’agent, seconde hypothèse, qui n’est pas plus raisonnable que l’autre, où l’on réunissait l’action et la passion dans le mobile. — Le mouvement est dans le moteur, comme sujet et non comme cause. — De l’action et de la passion, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. Le mouvement est dans le moteur comme l’action est dans l’agent ; c’est ce que le texte entend par le même rapport. — Que tout ce qui meut est mu à son tour, c’est-à-dire que le mobile donne au moteur autant de mouvement qu’il en reçoit de lui, ce qui exclut l’idée du premier moteur, dont il a été question plus haut, ch. 1, § 11. — Ce qui a le mouvement, c’est-à-dire le moteur, qui doit avoir lui-même du mouvement, puisqu’il en communique au mobile. — Dans le mobile et le patient, c’est la première hypothèse posée au début de ce §. — L’enseignement et l’étude, l’enseignement est à l’état de simple puissance dans celui qui étudie, c’est-à-dire que quand on sait soi-même on peut enseigner à autrui ce que l’on a appris. — Et l’étude, l’étude est l’acte même de celui qui apprend. Ainsi l’enseignement et l’étude, pris ici pour exemple, sont dans le rapport de le puissance à l’acte, et aussi de l’action à la passion. Voir plus bas § 8, — N’est plus dans cet être, et par exemple, que le mouvement n’est pas dans le moteur qui le donne. — Deux mouvements, il faudrait ajouter comme on le fait un peu plus bas : Tendant à une même fin ; car il n’y aurait rien d’absurde qu’un même sujet fût soumis à deux mouvements différents. — Une seule et même forme, le mot Forme est pris ici pour celui de Fin, parce que la forme et la fin se confondent.
  293. Un seul et même acte pour l’agent et le patient, c’est l’opinion qu’Aristote soutiendra un peu plus bas § 9 ; et il réfutera l’objection qu’il présente ici.
  294. L’enseignement, où celui qui enseigne agit, et l’étude, où celui qui s’instruit paraît purement passif. — Celui qui enseigne étudie toujours, conséquence absurde, puisqu’elle confond l’action et la passion, toutes distinctes qu’elles sont.
  295. Mais ne peut-on pas dire, Aristote expose ici l’opinion qui lui est propre ; et il reprend celle qu’il a réfutée au § 7, en montrant que si elle est fausse à un certain point de vue, elle est vraie à un point de vue différent. — Séparé et isolé complètement, puisque celui qui enseigne doit en effet enseigner quelque chose à quelqu’un ; l’acte n’est donc pas absolument et uniquement en lui ; il passe à un autre, c’est-à-dire au disciple qui est instruit. — Où ce qui est en puissance est à ce qui est en acte, c’est là la théorie véritable d’Aristote ; le mouvement est en puissance dans le moteur ; il est en acte dans le mobile.
  296. Que celui qui enseigne, voir plus haut §§ 6 et 8. — Agir et souffrir, termes corrélatifs d’Enseigner et d’Étudier, l’enseignement représentant l’action, et l’étude, où l’on apprend quelque chose, représentant un état purement passif. — Mais c’est seulement, en un certain sens le chemin est le même, voir plus haut, § 4. — Tout entières, cette restriction est nécessaire, parce que deux choses peuvent être les mêmes à un certain égard, et être fort différentes à certains autres.
  297. Une seule et même chose, par exemple, si en un sens le chemin descend, et que par conséquent il monte au retour. On fera bien la même route, mais on la fera dans des conditions fort différentes, aisée dans un cas et fort pénible dans l’autre.
  298. Pour nous résumer en quelques mots, le texte n’est pas aussi formel. — Ne sont une même chose, ce qui est de toute évidence. — Ces diverses propriétés, d’action et de passion, d’action dans le moteur, de passion dans le mobile. — L’acte de telle chose agissant sur telle chose, l’action faite par le moteur sur le mobile. — L’acte de telle chose souffrant par telle chose, l’action subie par le mobile et causée par le moteur. L’expression du texte est presqu’aussi vague que celle de ma traduction.
  299. Nous avons donc expliqué, dans les deux chapitres précédents, où a été donnée la définition du mouvement. — Dans ses espèces particulières, selon les quatre catégories où il y a mouvement, voir plus haut, ch. 1, § 4. Les quatre catégories sont : la substance, la quantité, la qualité et le lieu. Voir plus haut, ch. 1, §§ 6 et 7. — L’altération, est le mouvement de la Catégorie de la qualité ; l’être devient autre qu’il n’était : et pur exemple, de blanc qu’il était, il devient noir. — L’entéléchie de l’être qui peut être altéré, cette définition spéciale rentre dans la définition générale du mouvement, considéré comme l’acte du possible en tant que possible ; voir plus haut. ch 1, § 12.
  300. On définira plus clairement encore, il semble que ce soit là la définition la plus complète qu’Aristote puisse donner du mouvement, après celles qu’il a indiquées plus haut, ch. 1, §§ 7 et 12 ; et ch. 2, §§ 1, 4, 9 et 12. — Qu’il est ce qu’il est, selon les diverses espèces qu’il présente dans la substance, dans la quantité, dans la qualité et dans l’espace. — Soit d’une manière absolue, comme lorsqu’on dit que le mouvement est l’acte du possible en tant que possible. — Soit pour chaque cas particulier, quand on considère le mouvement suivant les diverses catégories. — L’acte de la construction, voir plus haut, ch. 1, § 14. — Le même procédé pour définir, Aristote a remarqué lui-même à la fin du chapitre Ier qu’il est très difficile de se faire une idée nette du mouvement ; la discussion qui précède prouve de reste que cette difficulté est bien réelle. La définition qu’a donnée Aristote est demeurée célèbre, et elle n’a pas été remplacée. Voir la Préface, où j’essaie d’apprécier cette définition et de montrer en quoi elle est supérieure aux autres.
  301. J’ai laissé à cette phrase l’allure qu’elle a dans le texte, bien qu’elle soit un peu longue, si ce n’est embarrassée ; mais cette longueur même est dans les habitudes du style Aristotélique ; et la traduction serait moins fidèle, si la pensée eût été rompue en quatre ou cinq fragments, au lieu d’avoir une seule teneur. Elle n’a du reste aucune obscurité. — Des grandeurs, du mouvement et du temps, ce sont en effet les trois sujets, surtout les deux derniers, qui remplissent toute la Physique d’Aristote, dont quatre livres entiers sont donnés à la théorie du mouvement. — La qualité dans les choses, le texte dit seulement « l’Affection. » La qualité est prise ici d’une manière générale pour exprimer simplement l’idée d’attribut. L’attribut n’est jamais infini ; mais a substance dans laquelle il est peut être infinie. — Le point en mathématiques, le texte dit seulement « Le point. » Le point en effet ne peut être appelé infini, puisqu’on le suppose sans dimensions, et n’ayant ni longueur, ni largeur, ni épaisseur. — L’une ou l’autre de ces deux classes, le fini ou l’infini. — D’étudier aussi l’infini, parce que la grandeur, le mouvement et le temps, sont infinis.
  302. Ceux qui ont traité, ce qui suit prouve qu’il s’agit des plus illustres philosophes, les Pythagoriciens et Platon. — Un principe des êtres, soit en le prenant pour le principe unique, soit en le classant au nombre des principes.
  303. Les Pythagoriciens et Platon, voir sur les doctrines des Pythagoriciens et de Platon, relativement aux causes, le premier livre de la Métaphysique, ch. 5 et 6, p. 985 et 987, édit. de Berlin. — L’attribut et l’accident, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Une substance qui existe par elle-même, c’est peut-être forcer un peu la pensée Platonicienne.
  304. Les Pythagoriciens mettent l’infini, la doctrine prêtée ici aux Pythagoriciens n’est pas tout à fait d’accord avec celle qui est exposée dans la Métaphysique, Livre I, ch. 5. — Le nombre est séparé des choses, dans la Métaphysique, les Pythagoriciens pensent que les nombres sont antérieurs aux choses, et par conséquent qu’ils en sont séparés. De plus, dans le même ouvrage, les Pythagoriciens, loin de faire de l’infini le principe des choses, l’ont placé sur le même rang que le fini, et l’ont mis seulement à la tête de leurs dix catégories. Il semble donc que l’analyse donnée ici ne s’accorde pas très complètement avec celle qui est donnée dans la Métaphysique. — Ce qui est en dehors du ciel, le ciel ne comprenant que l’espace où se meuvent les principaux corps célestes, que connaissaient les Pythagoriciens. — Platon, au contraire, c’est que Platon prenait le mot de Ciel dans un autre sens que les Pythagoriciens, et qu’il entendait par là l’univers. — Qui d’ailleurs ne sont nulle part, on sait que cette critique souvent répétée par Aristote contre Platon n’est pas fondée ; et que selon Platon, les Idées reposent en Dieu. — Et il n’en soutient pas moins, il y a dans tout ce passage une sorte d’ironie que j’ai essayé de faire passer dans ma traduction.
  305. Que l’infini est le pair, dans la Métaphysique, Livre 1, ch. 5, l’infini des Pythagoriciens n’est pas confondu avec le pair ; mais seulement l’impair et le pair forment la seconde catégorie et correspondent au fini et à l’infini, sans cependant s’identifier avec eux. — En ajoutant les gnomons à l’unité, voici l’explication que Simplicius donne de ce passage difficile. En faisant entre les nombres deux séries, l’une des nombres impairs 3, 5, 7, 9, etc., et l’autre des nombres pairs, on peut voir que les premiers nombres ajoutés à l’unité, et les uns aux autres, donnent toujours pour total un carré. Ainsi 1 ajouté à 3 donne 4 ; à son tour, 4 ajouté à 5 donne 9 ; et 7 ajouté à 9 donne 16, etc. ; or, 4, 9, 16, etc., ce sont là des nombres carrés ; et si, au lieu de chiffres, on prend des figures géométriques, on aura constamment des carrés de plus en plus grands, c’est-à-dire des figures pareilles, quoique de dimensions différentes. Au contraire, si à l’unité on ajoute successivement l’autre série ; 2, 4, 6, 8, etc., c’est-à-dire les nombres pairs on a pour total avec l’unité 1 +2=3, 3+4 =7, 7+6 =13, etc. ; mais cette série 1, 3, 7, 13, etc., représente, si on la traduit géométriquement des figures constamment différentes, et des polygones où le nombre des côtés augmente sans cesse. Or, les Pythagoriciens appelaient Gnomons les nombres de la série impaire, ajoutés à l’unité. — Et séparément, c’est-à-dire les uns après les autres et successivement. — Deux infinis, qui sont le grand et le petit, c’est la dyade Platonicienne, voir la Métaphysique, Livre l, ch. 6, p. 987, b, 26, édit. de Berlin.
  306. Les éléments sont en nombre fini, voir plus haut, Livre 1, ch. 2, § 1. — Infinis en grandeur, l’opposition n’est pas aussi nettement marquée dans le texte ; mais cette distinction est indispensable, parce qu’autrement la pensée n’aurait pas de sens.
  307. Homoeoméries, il n’y a que ce mot dans le texte. — De ses formes partout répandues, ce sont les atomes de Démocrite, repris plus tard par Épicure. — Comme des germes, j’ai dû ajouter ces mots pour rendre toute la force de l’expression grecque. — Universel des choses, j’ai ajouté ces mots qui complètent la pensée.
  308. Anaxagore, voir plus haut, Livre l, ch. 5, §§ 3 et suiv., où sont exposées en partie les opinions d’Anaxagore sur l’infini. Voir aussi la Métaphysique, Livre l, ch. 4, p. 984 et 985, édit. de Berlin. — Un mélange pareil au reste de l’univers, c’était se faire une idée fort grande, quoique confuse, de la puissance infinie de la nature. — Pêle-mêle les unes avec les autres, ou ensemble. Il paraît que c’était là le début de l’ouvrage d’Anaxagore. Voir le commentaire de Simplicius, qui sans doute possédait encore l’ouvrage qu’il citait — Un principe de distinction, ou de séparation. — Pour toutes les autres, puisque tout est dans tout. — C’est ce qu’Anaxagore appelle l’Intelligence, voir sur celle opinion si considérable d’Anaxagore la Métaphysique, aux passages qui viennent d’être cités. — Ainsi que le croit Anaxagore, j’ai ajouté ces mots qui sont impliqués dans le contexte. — Tout était jadis pêle-mêle, c’est-à-dire dans le chaos, que l’Intelligence a mis en ordre. — À recevoir le mouvement, que l’Intelligence leur a communiqué. — Le même corps commun, les atomes étant tous identiques et s’agglomérant seulement dans des proportions et sous des formes diverses.
  309. Aux physiciens, voir plus haut § 2.
  310. Que l’infini ait été fait pour rien, ou en vain, d’après ce grand principe que tout dans la nature a une fin, qu’il appartient à la science humaine de rechercher et parfois de découvrir.
  311. Il faut de plus, à cette première propriété de l’infini d’être un principe, s’en joint une seconde, c’est d’être éternel, en tant qu’il n’a pas eu de commencement et qu’il n’aura pas de fin.
  312. Ceux qui ne reconnaissent point, c’est Démocrite qui vient d’être cité. — Telles que l’Intelligence, comme Anaxagore. — Ou l’Amour, avec la Discorde, comme Empédocle.
  313. L’infini est le divin, et non pas simplement : « l’infini est divin. » Il semble que dans la pensée d’Anaximandre, Dieu et l’infini devaient se confondre, la divinité étant l’infini même. — Naturalistes, ou physicien, comme plus haut § 6.
  314. Pour démontrer l’existence de l’infini, il faut s’occuper d’abord de l’existence de l’infini ; et, quand on sera sûr qu’il existe, on passera à l’étude de sa nature et de ses propriétés. — Cinq arguments principaux, ces arguments sont fort exacts ; et il est douteux qu’aujourd’hui on pût en produire de meilleurs. Voir plus loin, ch. 12, la réfutation de quelques-uns de ces arguments.
  315. D’abord, le temps, c’est avec raison que cet argument est placé le premier ; et c’est certainement par l’écoulement de la durée que nous avons tout d’abord quelques notions de l’infini. Plus loin au Livre VIII, ch. 1, § 15, Aristote reprochera à Platon d’être le seul parmi les philosophes qui n’ait point admis l’infinité et l’éternité du temps.
  316. . Puis, la divisibilité dans les grandeurs, qui est également infinie, si ce n’est en réalité du moins rationnellement. — Car les mathématiciens, l’emploi de l’idée d’infini est tout rationnel dans les mathématiques, où l’on suppose des lignes infinies.
  317. En troisième lieu, cet argument qui se tire de l’ordre de la nature, est vrai ; mais il n’est pas nécessaire comme les deux premiers, et la succession des êtres dans l’univers peut cesser sans que le temps cesse d’exister comme eux, sans que l’espace cesse d’exister comme le temps.
  318. Tout ce qui est fini, c’est ici l’infinité de l’espace ; peut-être eût-il fallu le placer après le temps ; en effet, après l’idée de durée qui nous est donnée par la succession de nos propres pensées, l’idée d’espace infini est la plus simple et la plus claire que nous puissions acquérir sur l’infini. — Qu’une chose se limitât relativement à une autre, et s’il n’y avait pas un espace infini dans lequel sont renfermes toutes les choses finies et tous les êtres.
  319. Enfin, le plus puissant argument, Aristote aurait pu débuter par celui-là, qui est en effet la condition de tous les autres, parce qu’il est tout psychologique. L’infini, appliqué soit au temps, soit à l’espace, soit au nombre, soit aux grandeurs mathématiques, est toujours une conception de la raison. — Tous les philosophes également, sans doute ceux qui nient l’existence de l’infini. — Pas de limitation possible, le texte dit plutôt : « lacune. » — En elle, j’ai ajouté ces mots. — Le nombre est infini, parce que la pensée peut toujours, quelque grand que soit un nombre, concevoir un nombre encore plus grand. — Les grandeurs mathématiques, et par conséquent purement rationnelles. — L’espace qui est en dehors du ciel, l’espace au-delà de ce qu’il nous est donné de voir. — Un corps infini, c’est le mot même dont le texte se sert. Peut-être eût-il mieux valu dire : « Des corps en nombre infini. » — En admettant même qu’il y ait du vide, en effet, l’idée de vide n’est pas du tout contradictoire à celle d’infini. — Que le corps soit infini également, ou mieux : « Que les corps soient en nombre infini ; » mais la première traduction rend le texte exactement, tandis que la seconde l’interprète et le change. — Aucune différence entre pouvoir être et être, précisément parce que ces choses sont éternelles ; car si elles étaient éternellement possibles, elles cesseraient par là même d’être éternellement.
  320. Une difficulté très grande, ceci est vrai ; mais ce qui l’est moins, c’est que les impossibilités soient égales à admettre l’existence de l’infini et à la rejeter ; et les cinq arguments donnés au début du chapitre démontrent invinciblement l’existence de l’infini.
  321. Existe-t-il comme substance, voir plus haut, ch, 4, § 3, l’opinion des Pythagoriciens et de Platon, qui font de l’infini une substance existant par elle-même. — Dans quelque substance naturelle, le texte dit : « Quelque nature. » — L’infini n’existe pas moins, mais s’il n’existe, ni comme substance, ni comme attribut, il est difficile de concevoir quelle espèce d’existence il peut avoir.
  322. Le Physicien, c’est-à-dire le philosophe qui étudie la nature. — Une grandeur sensible, parce que c’est surtout des grandeurs sensibles que le physicien doit s’occuper. Pour les arguments développés dans ce chapitre, voir plus loin, ch. 12, §§ 2 et suiv.
  323. C’est de définir, c’est de la même manière qu’Aristote cru devoir définir plus haut les mots d’Être et d’Un, Livre 1, ch. 3, le mot de Nature, Livre II, ch. 4 ; le mot de Mouvement, Livre III, ch. 4, etc., etc. Ce soin de définir les termes est très important, et Aristote n’y a jamais manqué. Dans la Métaphysique, il y a consacré tout un livre.
  324. Ce qui ne peut être parcouru, Simplicius croit qu’il s’agit ici des choses qui, comme le point, ne peuvent être parcourues, attendu qu’elles sont sans dimension d’aucune sorte. — Il ne peut être mesuré, le texte n’est peut-être pas aussi formel ; mais j’ai cru pouvoir rendre la traduction un peu plus précise, à cause de l’explication même de Simplicius. — Ce dont le cours est sans terme, ce sont alors des choses qui ont des : dimensions, et dont les dimension : sont sans fin, — Ou à peu près sans terme, c’est-à-dire, sans terme accessible aux forces humaines. C’est alors une chose immense à laquelle on applique par exagération l’épithète d’infini. — N’en a pas cependant, il faudrait ajouter : « Pour nous, pour l’homme, » ou quelque chose d’analogue.
  325. . Sous le rapport de l’addition, c’est-à-dire que toujours au-delà d’une quantité donnée, on est maître de supposer une quantité plus grande. — Sous le rapport de la division, un continu étant donné, on peut toujours le supposer divisible à l’infini. Ces différentes acceptions du mot d’Infini ne sont pas très nettement tranchées. Je n’ai pas pu éclaircir davantage le texte dans ma traduction ; car autrement il aurait fallu y substituer une paraphrase.
  326. . Soit séparé des choses sensibles, voir plus haut ch. 4, § 3, les opinions des Pythagoriciens et de Platon sur ce point. La discussion actuelle semble s’adresser plus particulièrement à Platon. — Et qu’il soit essentiellement substance, c’est la théorie de Platon et des Pythagoriciens, loc. cit.Dès lors il est indivisible, ce qui contredit l’idée même de l’infini, qui est essentiellement divisible. Toute substance au contraire est indivisible par sa nature et n’est pas susceptible de plus et de moins. Voir les Catégories, ch, 5, § 20, p. 69 de ma traduction. — Ou une quantité, ou un nombre, et la substance n’est ni l’un, ni l’autre. — Si ce n’est comme on dit, c’est-à-dire indirectement et dans un sens détourné. La voix n’est pas faite par nature pour être vue ; c’est donc accidentellement qu’on dit qu’elle n’est pas visible. De même pour l’infini ; si on le fait indivisible et substance, ce n’est qu’indirectement qu’on peut l’appeler encore infini ; car alors par la nature qu’on lui prête, il est nécessairement indivisible.
  327. Il n’est plus dès lors un élément des êtres, comme le croyaient Platon et les Pythagoriciens ; voir plus haut ch. 4, § 3. — En tant qu’infini, car c’est la substance qui est le principe des choses et non pas l’accident. — L’élément du langage, que forme la voix en tant que voix et non pas en tant qu’invisible.
  328. Par soi-même, c’est-à-dire, en tant que séparé des choses sensibles. — Ne seraient point séparés eux-mêmes des choses, le texte est moins formel, et j’ai dû compléter la pensée pour la rendre claire. — Que pour le nombre et la grandeur, que l’on ne peut pas concevoir autrement qu’infinis.
  329. L’infini ne peut pas plus être en acte, comme le supposaient les Pythagoriciens, qui en faisaient une chose accessible aux sens. Voir plus haut ch. 4, § 4 — En acte, c’est-à-dire réel, et perceptible comme le sont tous les êtres de la nature. — Toute partie qu’on lui emprunterait serait infinie, comme une partie de l’air est encore de l’air, ainsi qu’il est dit quelques lignes plus bas. — Puisqu’il est divisible, l’idée de divisibilité étant nécessairement comprise dans celle d’infini. — Et que l’infini et l’essence de l’infini, ceci revient à dire que tout ce qui est infini se confond essentiellement avec l’infini lui-même. — Un attribut dans un sujet, c’est la théorie à laquelle inclinera personnellement Aristote, du moins à ce qu’il semble d’après le § suivant. — Cependant il faudrait, si l’on admet que l’infini est une substance, il faut conclure que chaque partie de l’infini est l’infini même, puisque la substance n’est pas susceptible de plus et de moins. — Une quantité déterminée, j’ai ajouté ce dernier mot.
  330. Par conséquent, ce raisonnement est peut-être personnel à Aristote, ou peut-être ne fait-il que le prêter aux Pythagoriciens qu’il continue de réfuter. — Mais s’il en est ainsi, ceci paraît une objection à l’opinion qui vient n’être émise, et qu’Aristote alors n’adopterait pas. — On ne peut plus l’appeler un principe, comme l’ont fait tous les philosophes ; voir plus haut ch. 4, § 2.
  331. C’est donc se tromper étrangement, ce chapitre tout entier n’est donc qu’une réfutation des Pythagoriciens. — Et le divisent en parties, quoique la substance soit indivisible, voir les Catégories, loc. cit.
  332. Généraliser davantage cette étude, et l’étudier encore au-delà des phénomènes de la nature, objet propre de ce traité. — Non seulement dans la nature, ces mots que j’ai ajoutés sont impliqués dans le contexte ; ils m’ont paru nécessaires pour éclaircir la pensée.— Dans les mathématiques, voir plus haut, Livre II, ch. 2, la différence de la physique et des mathématiques. — Dans les choses de l’entendement, voir plus haut, ch. 5, § 6, où la pensée a été considérée comme un des arguments principaux qui prouvent l’existence de l’infini. — Que des choses sensibles, objets spéciaux de la physique, qui ne s’occupe que des corps naturels dans leurs propriétés les plus générales. — Les choses que perçoivent nos sens, il y a seulement dans le texte : « Ces choses. »
  333. Des considérations logiques, c’est-à-dire qui résultent rationnellement de la définition ordinaire qu’on donne du corps. Ces considérations sont tirées de principes communs, et non de principes spéciaux à la physique.
  334. On peut définir le corps, l’idée de corps exclut en effet celle d’infini, attendu que l’idée de corps implique nécessairement l’idée de limites et de surface. — Ni pour la raison, ni pour les sens, il ne peut ni se concevoir, ni se percevoir.
  335. N’est pas infini, le nombre appliqué aux choses qu’il sert à nombrer, n’est pas plus infini qu’elles ; mais dans l’entendement et dans la pure abstraction, le nombre est infini, puisqu’il en nombre quelque grand qu’il soit en peut toujours, par la pensée, ajouter un nombre plus grand encore. Mais ici Aristote ne parle que de nombre sensible, de même qu’il se demande s’il peut y avoir un corps sensible infini. Ce n’est donc pas du nombre abstrait qu’il s’agit, mais du nombre considéré dans les choses ; et alors il est limité comme les choses elles-mêmes. Mais peut-être faudrait-il ajouter dans ce cas « N’est pas pour cela infini dans les choses. » — Le nombre n’est que ce qui est numérable, en tant qu’il est concret et non point abstrait. — Nombrer le numérable, c’est donner une limite au nombre, tandis qu’un des caractères essentiels de l’infini, c’est de ne pas en avoir, en quelque sens que ce soit. — On pourrait aussi parcourir l’infini, ce qui est une supposition absurde et contraire à l’essence même de l’infini.
  336. Mais physiquement, c’est-à-dire au point de vue où la physique doit se placer. — Les considérations, pour prouver qu’il ne peut y avoir de corps sensible infini, sont encore plus frappantes.
  337. Que le corps infini, il faut toujours entendre le corps sensible, qu’on suppose pouvoir être infini dans son développement ; voir plus haut, § 1. — Ne peut être, ni composé, ni simple, et comme dans la nature tout corps doit nécessairement être, ou composé, ou simple, il s’ensuit que ce prétendu corps n’existe pas ; ce qui sera la conclusion de toute la discussion qui va suivre.
  338. Ne peut pas être composé, dans quelque rapport que l’on suppose les éléments dont ce corps serait formé. D’abord ces éléments peuvent être finis à l’exception d’un seul qu’on supposerait infini, et alors la combinaison ne peut subsister ; et c’est cette hypothèse qui est étudiée dans ce §. Une autre hypothèse qui ferait infinis tous les éléments du corps sensible infini, sera étudiée dans le § suivant. — Si l’on suppose, le texte n’est pas tout à fait aussi formel, — Ils s’équilibrent sans cesse, pour conserver le corps auquel ils appartiennent. Ceci tient aux idées que se faisaient les anciens de la composition des corps avec les quatre éléments, comme le prouve l’exemple de l’air et du feu cité un peu plus bas. — Un seul d’entre eux ne peut être infini, parce qu’alors il détruirait les autres éléments dont le corps serait composé. — La puissance, il faut remarquer le sens dans lequel ce mot est pris ici, fort différent du sens qu’il a le plus ordinairement dans le système d’Aristote. La puissance signifie ici la force, la propriété prépondérante. — Dans un seul corps, il faudrait dire plutôt Élément, puisqu’il s’agit des éléments divers dont on suppose que le corps sensible infini serait composé. Ainsi le feu est plutôt un élément qu’un corps, et l’on peut en dire autant de l’air, bien que l’un et l’autre puisent s’appeler aussi des corps ; mais il convient de ne pas employer ici ce dernier mot afin d’éviter la confusion. — Le feu est limité, et l’air est infini, en supposant que le corps sensible infini soit composé d’air et de feu combinés. — Évidemment l’infini, qui ici est supposé l’air. Comme le feu, même multiplié autant de fois qu’on le voudra, sera toujours en quantité finie, l’air qu’on suppose infini l’emportera toujours sur le feu et l’annulera. Donc un des éléments du corps sensible infini ne peut être infini, tandis que les autres seraient finis.
  339. Chaque élément du corps sensible infini, le texte est moins précis. C’est la seconde supposition, qu’Aristote va réfuter comme la première. — Une dimension en tous sens, c’est-à-dire en longueur, largeur et profondeur. Il faudrait peut-être dire : Une dimension déterminée en tous sens.
  340. Soit un et simple, c’est l’alternative posée plus haut, § 6. On vient de prouver que le corps sensible infini ne peut être composé ; on va prouver maintenant qu’il ne peut pas davantage être simple. — En dehors des éléments, quelque chose de différent des quatre cléments généralement admis. — Certains philosophes, les commentateurs croient qu’il s’agit d’Anaximandre ; mais comme ces philosophes font naître les éléments de l’infini, il pourrait bien s’agir ici des Pythagoriciens, qui faisaient de l’infini le principe des êtres. Voir plus haut, ch. II, § 2.
  341. Car il y a des philosophes, Anaximandre, à ce qu’on suppose. — De cette façon, en en faisant quelque chose en dehors des éléments, sans aucune des propriétés qui les caractérisent. — Dans l’air, ce serait Anaximandre. — Ou le feu, ce serait Héraclite, dont il sera question un peu plus bas, § 12. — L’air est froid, c’est une des opinions prêtées à Anaximandre. — Seraient à l’instant détruits, parce qu’il n’y aurait plus de place pour eux dans l’univers, que remplirait celui des éléments qui serait infini. — Quelque chose de différent, c’est-à-dire sans aucune propriété spécifique.
  342. Non pas seulement, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — À cet égard, j’ai ajouté ces mots, pour que la pensée fût plus claire.— Précisément ce qu’on dirait, voir plus loin, § 13. — Il ne peut pas y avoir, c’est la seconde des alternatives, posées à la fin du § 9. — De ce genre, tels que l’imaginent les philosophes qui soutiennent cette théorie. — Ce qu’on appelle les éléments, la terre, l’eau, l’air et le feu.— Tout en effet se résout, et comme rien ne se résout dans cet élément supplémentaire, c’est qu’il n’existe pas. Cette pensée est implicitement sous-entendue dans le texte.
  343. Ne peut pas non plus du tout être infini, parce que s’il était infini, il existerait seul, et que les trois éléments seraient détruits. — Fût-il même limité, contrairement à la supposition que l’on fait ici. — Que jadis tout a été feu, cette opinion, qu’Héraclite ne pouvait comprendre de son temps comme on la comprend aujourd’hui, n’est pas inexacte ; et notre globe porte partout des traces du feu primitif qui brûle encore dans ses entrailles. Mais, pour Héraclite, c’était plutôt l’objet d’une intuition que le résultat d’observations réfléchies.
  344. A ce principe unique, ou peut-être mieux : Un et simple. — Des éléments ordinaires, j’ai ajouté ce dernier mot. — Se fait du contraire au contraire, et que si le principe supposé en dehors des éléments n’a pas de contraires en tant qu’un et simple, il n’y a plus de changement possible ; et alors on retombe dans l’être un et immobile de Mélissus et de Parménide. Voir plus haut, livre 1, ch. 2.
  345. C’est d’après ce qui précède… § 15. Mais voici maintenant des raisons,.. Le § 14 semble clore la partie de la discussion qui vient d’être exposée ; et le § 15 semble commencer un nouveau raisonnement ; mais l’expression dont se sert le texte est la même de part et d’autre, ici pour indiquer la discussion antérieure, et là pour indiquer celle qui suit. Il serait donc possible de traduire autrement que je ne l’ai fait et de rapporter les deux §§ à la démonstration précédente. C’est ce qu’ont fait plusieurs commentateurs ; mais alors il y a dans le texte une sorte de tautologie que j’ai voulu éviter. — D’une manière générale, ou si l’on veut : Pour toute espèce de corps, soit simple soit composé. — Un corps sensible infini, c’est en effet l’objet de tous les développements qui précèdent, et que l’on peut trouver un peu trop longs, paulo prolixior, comme dit Pacius.
  346. Mais voici maintenant, ici il ne peut plus y avoir de doute ; et l’expression du texte annonce évidemment ce qui va suivre. — Qu’il est absolument impossible, c’est l’opinion qu’adoptera Aristote, tout en admettant d’ailleurs l’existence de l’infini, et en l’expliquant comme il le fait au chapitre suivant. — Un corps sensible infini, cette répétition est dans le texte, et j’ai dû la conserver ; c’est peut-être aussi une raison de croire qu’il y a ici quelque interpolation. — Un lieu propre pour chaque corps, selon sa nature, chaque corps a un lieu spécial vers lequel il tend ou s’arrête, si rien ne lui fait obstacle ; la terre tend et reste au centre à cause de sa pesanteur ; le feu s’élève en haut, etc.
  347. Si la partie est homogène au tout, on pourrait entendre tout aussi bien : Si le tout est homogène, les expressions dont se sert le texte étant tout à fait indéterminées ; mais la première explication me semble plus conforme au reste de tout ce passage, dont le sens est obscur. — Éternellement immobile, si le tout dont elle fait partie est lui-même immobile, ou éternellement en mouvement, si le tout est animé d’un mouvement éternel. — Pourquoi le mouvement, de la partie supposée homogène au tout, au corps sensible infini. Il n’y a pas de raison, en effet, pour que dans l’infini le mouvement ait lieu dans un sens plutôt que dans l’autre. — Dans quel lieu la portera le mouvement, en supposant qu’elle ait la même tendance que le tout infini dont elle est une partie ; car, dans l’état présent des choses, la motte de terre est portée au centre par l’action seule de la pesanteur. — Restera-t-elle immobile, si le tout qui lui est homogène est lui-même dans le repos. — Remplira-t-elle tout l’espace, comme le corps sensible infini d’où elle est détachée. — Comment cela se pourrait-il, il est impossible, en effet, que la partie tienne autant d’espace que le tout ; et c’est une contradiction dont l’absurdité est évidente. — Sera-t-elle partout en repos, comme le reste du corps sensible infini ; mais, elle ne pourrait être partout ; car ce serait la remplacer et supposer alors qu’elle cesse d’être elle-même une partie, c’est-à-dire ce qu’elle est.
  348. Si la partie est d’une autre espèce, l’expression du teste est aussi vague que dans le § précédent ; j’ai dû la rendre plus précise. Les deux alternatives reviennent d’ailleurs au même ; et si la partie est homogène ou hétérogène au tout, le tout de son côté est homogène ou hétérogène à la partie. — Les lieux où seront le tout et la partie, pourront être le haut pour telle partie, et le bas pour telle autre, en supposant, par exemple, que le tout se coin pose de parties de feu et de parties de terre.
  349. Ne peut plus être un et avoir d’unité, il n’y a qu’un mot dans le texte. — Par la contiguïté des parties, ce qui n’est pas une véritable unité. Ce serait la complète homogénéité des parties, qui rendrait le corps vraiment un.
  350. Finies ou infinies en espèces, le nombre de leurs espèces sera fini ou infini ; et il va être prouvé qu’il ne peut être ni l’un ni l’autre ; c’est-à-dire que les deux hypothèses sont également insoutenables
  351. Il n’est pas possible qu’elles soient finies, première supposition.— Qu’elles soient finies, que le nombre des espèces soit fini. — Les unes soient infinies, en grandeur. — Et que les autres ne le soient pas, parce que, s’il n’y avait pas des parties finies, elles seraient toutes infinies comme le tout dont elles font partie, ce qui implique contradiction. — Plus haut, voir ci-dessus § 10 Les parties infinies détruiraient les parties finies.
  352. Voilà pourquoi, plusieurs commentateurs, et Pacius entre autres, ont proposé de transposer ce § et de le mettre après le 22e, où il semble, en effet, qu’il serait plus convenablement placé. Je ne crois pas devoir faire ce changement, que n’autorisent pas les manuscrits. — Aucun des philosophes, ceci paraît contredire ce qu’on a rapporté plus haut sur l’opinion d’Héraclite, § 12. — Le feu, Héraclite pensait au contraire que l’univers avait été jadis tout entier de feu. — Le feu ou la terre, dont les lieux propres sont incontestables, le haut pour le premier, le bas pour la seconde ; et alors ni l’un ni l’autre ne pourraient remplir tout l’espace. — Mais… l’eau, ou l’air, Thalès a soutenu le système de l’eau, et Diogène d’Apollonie a soutenu celui de l’air. Il n’est pas besoin de remarquer que ces deux éléments n’étaient pas mieux choisis que les deux autres, et par les mêmes raisons à peu près. — Ou le corps intermédiaire, voir plus haut §§ 9 et 10. — De la terre et du feu, j’ai ajouté ces mots pour plus de clarté. — Évidemment déterminé, celui de l’air et de l’eau semble l’être un peu moins, et voilà comment on a pu les prendre pour les éléments uniques de tout l’univers.
  353. Si les parties sont infinies et simples, seconde hypothèse opposée à celle du § 20. Selon quelques commentateurs, ce § devrait prendre la place du précédent. — Si les parties sont infinies en espèces, c’est-à-dire si le nombre des espèces est infini. — Les lieux propres à ces espèces différentes. — Et les éléments sont infinis en nombre également ; or il n’y a que quatre éléments, d’après les théories admises du temps d’Aristote, et on ne les suppose pas plus nombreux. — Les lieux sont eux-mêmes en nombre fini, comme les éléments qui les occupent. — Adaptés l’un à l’autre, c’est-à-dire qu’il y a autant de lieux différents qu’il y a de corps ou d’éléments différents. — Le lieu et le corps, supposés tous les deux infinis, puisque le corps infini doit occuper l’espace infini. — Conformes et égaux, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Cesserait d’être infini, puisqu’il y aurait quelque chose de plus grand que lui, qui serait l’espace où il serait contenu, et alors il y aurait du vide. — Le corps ne peut être plus grand que le lieu, ne pouvant être ni plus grand ni plus petit, il lui est égal. — Ou il y aura du vide, conséquence de la première hypothèse, où l’on suppose l’espace plus grand que le corps. — Ou il y aura un corps, conséquence de la seconde hypothèse, où l’on suppose le corps plus grand que l’espace ; alors il y en a nécessairement qui ne sont nulle part, puisqu’il n’y a plus d’espace pour les contenir.
  354. . Se trompe étrangement, l’expression du texte est peut-être encore plus forte, et elle contraste avec la haute estime qu’Aristote professe pour Anaxagore dans le ler livre de la Métaphysique. — Se fixe et se soutient, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  355. On croirait, à l’entendre, cet argument qui peut être bon quand il s’agit des choses finies, n’a plus la même valeur tout à fait quand il s’agit de l’infini. Il est où il doit être, puisqu’il est partout ; et on ne peut pas supposer qu’il y est contre sa nature. — Cela n’est pas exact, pour les choses finies sans doute ; mais cela peut l’être pour l’infini.
  356. De l’ensemble des choses, de l’univers, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Il faudrait nous dire, le reproche n’est pas tout à fait juste, et il semble, d’après les détails mêmes qui sont ici donnés, qu’Anaxagore avait suffisamment expliqué ce qu’on lui demande. — Qu’il en est ainsi, ou bien : « Comme le fait Anaxagore. » — Tout autre corps quelconque, mais il semble qu’il faut faire une exception pour l’infini. — N’a pas de mouvement de translation, c’est la force de l’expression grecque. Aristote croyait à l’immobilité de la terre. — Du milieu et du centre, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Parce qu’il est dans sa nature, les manuscrits ont en général une négation, et alors il faudrait comprendre : Parce qu’il n’est pas dans sa nature, d’être portée ailleurs ; ce qui reviendrait au même. — De demeurer au centre et de ne point aller ailleurs, j’ai dû paraphraser le texte pour que la pensée fût claire et complète. — Aussi de la terre, comme Anaxagore le dit de l’infini. — Par quelqu’autre cause, que celle qu’indique Anaxagore.
  357. D’après les théories d’Anaxagore, j’ai ajouté ces mots pour que la pensée en est impliquée dans la tournure, de phrase qu’a prise le texte. — Fût en repos comme lui, d’après ce qui a été dit plus haut, § 15, où il a été démontré que le lieu de la partie est le même que le lieu du corps entier, assertion qui se trouve répétée à la fin de ce §. — Le lieu de la terre prise en masse, voir un peu plus haut, § 15.
  358. Mais on voit sans la moindre peine, suite de la discussion interrompue par les digressions précédentes. On a donné plus haut les arguments qui prouvent que le corps : sensible infini ne peut exister, parce qu’il ne peut être ni composé ni simple, et parce que les parties qui le forment ne peuvent être ni homogènes, ni dissemblables au tout. Maintenant on veut démontrer que ce prétendu corps infini est également impossible en tant qu’il n’est ni pesant, ni léger, ce qu’il devrait être néanmoins, s’il existait réellement. — Et que les corps ont un lieu propre, car le corps sensible infini qu’on suppose, devrait être nécessairement dans un des lieux qu’occupent les corps dans la nature, soit en bas s’il est pesant, soit en haut s’il est léger. — Vers le centre, ou le milieu. — Ni que l’infini tout entier ait indifféremment l’une ou l’autre de ces propriétés, c’est-à-dire que le corps sensible infini soit tout entier grave ou qu’il soit tout entier léger ; car dans l’une et l’autre hypothèse, il n’occuperait ou que le bas, ou que le haut, et il ne remplirait pas tout l’espace. — Ni que dans ses moitiés, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. L’une des moitiés de l’infini serait légère, tandis que l’autre serait grave. — Comment en effet diviser l’infini ? les parties de l’infini ne peuvent être ni finies, ni infinies ; car si elles sont finies, le tout qu’elles forment est fini comme elles ; si elles sont infinies, alors il y a plusieurs infinis. Donc l’infini n’a pas de parties, dont l’une serait en bas et l’autre en haut, l’une au centre et l’autre à l’extrémité.
  359. Tout corps perceptible à nos sens, et l’on a supposé que le corps infini est en même temps sensible. — Les espèces et les différences du lieu, qui correspondent une à une aux trois dimensions du corps, la profondeur, la longueur et la largeur. — Dans l’univers lui-même, dans le tout, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; voir plus loin, Livre IV, ch. 2, et Traité du ciel, Livre II, ch. 2, p. 284, b, 21, édit. de Berlin. — Le lieu ne peut pas absolument être infini, mais l’espace peut l’être ; or il ne faut pas oublier qu’il s’agit toujours ici d’un corps sensible supposé infini ; et le lieu en effet où se trouve un corps est toujours fini. — Il est impossible également, c’est la conclusion de la discussion annoncée plus haut, § 1.
  360. Ce qui est quelque part est dans un lieu, il semble qu’il y ait ici une tautologie ; seulement il faut entendre que dans le premier cas il s’agit d’un lieu spécial et déterminé, tandis que dans le second il s’agit du lieu en général. — Non plus, c’est-à-dire que l’infini ne peut pas plus avoir une quantité déterminée, qu’il n’a un lieu déterminé. — De même l’infini ne peut pas être davantage, le texte n’est pas aussi formel que ma traduction ; j’ai été obligé de développer la pensée pour la rendre claire. — Une autre des six positions, voir plus haut, § 28. — Une limite d’une certaine espèce, et ne peut par conséquent convenir à l’infini, dont le caractère essentiel est d’être absolument illimité.
  361. En résumé, toute cette discussion, le texte n’est pas aussi formel. — De corps, actuellement perceptible à nos sens, le texte dit simplement : « De corps en acte. » J’ai cru pouvoir dans ce résumé reprendre les termes précis dont Aristote s’est servi plus haut, §§ 1, 14 et 15, en annonçant et en développant toute cette discussion. La conclusion à laquelle elle aboutit est très claire ; mais les détails ne le sont pas toujours également, ni autant qu’on pourrait le désirer.
  362. Que l’infini soit et ne soit pas, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Il faut évidemment, ici quelques manuscrits ajoutent une petite phrase que l’édition de Berlin adopte et que je ne crois pas devoir reproduire : « Il faut évidemment un arbitre, » pour prononcer sans doute entre les deux parties, et il faut conclure qu’en un sens, etc. Cette allusion à un arbitrage me semble ici bien recherchée ; et ce n’est pas là le style d’Aristote. J’ai préféré conserver le texte ordinaire, qui suffit très bien, et qui à en outre l’avantage d’être plus simple.
  363. Être peut signifier, voir plus haut, Livre. I, ch. 3, § 1 et ch. 9, § 15, et Livre II, ch. 1, § 2.— Actuellement ou en acte.
  364. Soit par addition soit par retranchement, c’est-à-dire qu’à une quantité, quelque grande qu’elle soit, on peut toujours ajouter, de même qu’à une quantité, quelque petite qu’elle soit, on peut toujours retrancher, si ce n’est réellement, au moins par la pensée.
  365. Nous avons déjà démontré, c’est à cette démonstration qu’a été consacré tout le chapitre précédent. — La grandeur en acte, c’est-à-dire actuellement perceptible à nos sens, comme il a été expliqué dans le ch. 7. — Sous le rapport de la divisibilité, il semble que la divisibilité à l’infini n’est pas plus actuellement possible que l’accroissement infini de la grandeur. Il n’y a de part et d’autre qu’une simple possibilité rationnelle. — La théorie des lignes insécables, ce sont des lignes supposées tellement petites qu’elles sont indivisibles, et la théorie paraît être de Platon. La réfutation de cette théorie se trouve plus loin, Livre VI, ch. 1, et dans le traité spécial des Lignes insécables, p. 968, édit. de Berlin. Ce traité est consacré, selon Simplicius, à démontrer que les grandeurs ne se composent pas d’indivisibles. — L’infini existe en puissance, puisque la grandeur infinie ne peut exister actuellement.
  366. Cette matière sera effectivement, j’ai ajouté ce dernier mot pour rendre l’expression plus précise. Une fois que l’airain a été converti en statue, la statue reste ce qu’elle est ; c’est, comme dit la Scholastique, un acte permanent. Ce n’est pas là l’idée qu’il se faut faire de l’infini ; il consiste dans un devenir perpétuel, et dans une succession qui ne s’arrête pas et n’est jamais complète. — Qu’est le jour, la comparaison est aussi frappante qu’elle est simple ; mais il faut entendre non pas le jour qui est accompli, mais le jour qui s’écoule. On le compte pendant qu’il devient et qu’il passe, et avant même qu’il soit passé et forme un tout complet. — La période des jeux Olympiques, ce qui suit me semble prouver que c’est ainsi qu’il faut entendre l’expression du texte, qui peut signifier aussi Combat, soit un combat en général, soit les luttes des athlètes. — Il devient autre et toujours autre, comme le jour où les instants qui se succèdent sont constamment différents les uns des autres. — Pour ces dates solennelles des Jeux, le texte dit simplement : Pour ces choses-là ; ce qui suit m’a semblé autoriser la paraphrase que j’ai donnée. — Qui peuvent avoir lieu, puisque les Jeux n’avaient lieu que tous les quatre ans, et que la période des olympiades n’en courait pas moins durant tout cet intervalle. — Qui ont lieu en effet actuellement, j’ai ajouté ces derniers mots. Il semble qu’il aurait peut-être mieux valu parler au passé et dire : « qui ont eu lieu ; » mais cette nuance n’est pas dans le texte.
  367. Par exemple, des générations humaines, le texte est moins formel, et il dit : Pour les hommes ; j’ai dû paraphraser cette expression, qui n’aurait pas été assez claire pour être bien comprise. — Qu’il n’est dans la divisibilité des grandeurs, dans le temps et dans la succession des êtres, qui n’est qu’une des faces du temps, l’infini est en quelque sorte purement successif ; un instant ou un être succède à l’autre sans interruption ni lacune. Dans les grandeurs, la division n’est pas infinie en tant que successive ; mais elle est infinie, parce que rationnellement elle peut n’avoir aucun terme.
  368. D’une manière générale, cette définition générale de l’infini est d’une grande importance, et elle est certainement une des meilleures qui puissent en être données. — Quelque chose d’autre et de toujours autre, comme les instants qui se succèdent, et qui, tout semblables qu’ils sont, n’en sont pas moins toujours différents, en tant qu’ils se succèdent les uns aux autres. — Et que la quantité qu’on prend, le texte dit simplement : « Ce que l’on prend, Ce qui est pris. » — Bien que toujours finie, comme l’instant dans la succession infinie du temps. — L’infini n’est donc pas à considérer, Simplicius et Philopon attestent que toute cette fin du § manquait dans plusieurs manuscrits ; mais ils ne se sont pas abstenus de la commenter comme le reste. Alexandre d’Aphrodisée connaissait cette leçon, au dire de Simplicius ; et selon toute apparence, il l’avait conservée en l’approuvant. Elle sert, en effet, à éclaircir la pensée, et quoique ces répétitions ne soient guère dans les habitudes d’Aristote, comme le remarque encore Simplicius, celle-ci est bien placée et elle est utile — Comme on dit que sont le jour, répétition partielle de ce qui a été dit un peu plus haut § 6.— Limité et fini, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  369. Il y a cette différence, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — En ce qui concerne les grandeurs, voir plus haut § 7. — Le phénomène a lieu, c’est-à-dire que l’infini se produit. — Subsistant et demeurant, soit qu’on l’ajoute, soit qu’on la retranche. Cependant comme la quantité ajoutée ou retranchée indéfiniment n’est que rationnelle et non actuelle, on peut dire qu’elle ne subsiste et ne demeure pas plus que les instants successifs de la durée ; seulement elle est précise, en ce qu’elle peut être déterminée numériquement. — Pour les générations successives des hommes, le texte dit simplement : Pour les hommes.— Ils s’éteignent et périssent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Jamais d’interruption ni de lacune, même remarque.
  370. Quant à l’infini par addition, sous-entendu : Dans les nombres ; voir plus haut § 4. — Il en est à peu près de même, cette restriction est justifiée par ce qui suit. — Par division, sous-entendu : Dans les grandeurs, ou Par retranchement, comme il est dit plus haut § 4 ; c’est la même idée, et le mot seul est différent. — Car soit une quantité finie, le texte dit simplement : « Car dans le fini. » Tout ce passage est d’ailleurs fort obscur, parce qu’il est excessivement concis ; et je vais en donner un peu plus loin la paraphrase complète, afin de le rendre plus intelligible. — L’infini par addition s’y produit à l’inverse, c’est-à-dire que, prenant une quantité finie, si on la divise d’abord en deux, puis la première moitié en deux encore et ainsi de suite indéfiniment, ce qu’on enlèvera indéfiniment à la première pourra être ajouté indéfiniment à la seconde ; et l’on aura ainsi deux infinis inverses l’un de l’autre ; celui-ci par retranchement ou division ; celui-là par addition. — Cette quantité finie divisée à l’infini ; c’est-à-dire cette quantité toujours et à l’infini divisée par deux, par exemple. — Indéfiniment, j’ai ajouté ce mot, qui m’a paru indispensable. — À la quantité déterminée, c’est-à-dire à cette seconde moitié qui reçoit à l’infini tout en qu’on ôte à l’infini également de la première moitié. — Qui reste toujours déterminée, le texte répète ici le même mot que j’ai répété aussi dans ma traduction. La partie qui reste toujours déterminée, c’est, par exemple, le rapport de deux à un, en prenant toujours la moitié de ce qui reste, de même qu’on avait pris au début la moitié de la quantité donnée. — Dans la même proportion, sans que le rapport vienne à changer. — Sans prendre une grandeur constamment égale, par exemple, si la moitié restait toujours effectivement la même, la quantité finie serait épuisée dès la seconde division ; mais si l’on prend la moitié proportionnelle de ce qui reste successivement, la division peut aller à l’infini. — Toujours la même quantité, c’est-à-dire une moitié égale dans le second cas à celle qu’on a prise dans le premier. De cette façon, on accroît la proportion ; car, relativement à ce qui reste, ce n’est plus la moitié qu’on prend comme on l’a fait d’abord ; c’est le tout, puisqu’il ne reste plus que cette seconde moitié. Voici maintenant la paraphrase de tout ce passage, aussi courte que possible « L’infini par addition dans les nombres peut se comprendre à peu près de même que l’infini par division et retranchement dans les grandeurs continues. Supposons, en effet, une quantité finie qu’on veut diviser à l’infini en partageant sans cesse en deux ce qui reste. L’infini qui se formera d’un côté par addition sera l’inverse de celui qui se formera de l’autre côté par la division. D’une part, la quantité finie pourra être divisée à l’infini ; et d’autre part, l’accroissement ne sera pas moins infini pour la première portion de la quantité finie. C’est qu’en effet si dans une grandeur finie on fait une division quelconque qui reste toujours proportionnellement la même, sans être la même effectivement, on n’épuise pas la quantité finie, et la divisibilité est infinie parce qu’elle n’a pas de terme possible. Au contraire la quantité finie serait bien vite épuisée, si l’on en prenait par la division une partie toujours égale effectivement ; car la proportion s’accroîtrait à mesure que le reste diminuerait par les divisions répétées. »
  371. L’infini n’existe pas, si on le considère autrement, cette théorie paraît tout à fait propre à Aristote : et l’on ne voit pas que rien ait pu la lui suggérer dans les systèmes de ses prédécesseurs. — C’est qu’il est en puissance, voir plus haut § 5. — Par divisibilité ou retranchement, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Retranchement doit s’entendre ici tout aussi bien de l’addition que de la division, Voir le § précédent — Comme y est le jour, comme y est l’Olympiade, voir les notes sur le § 6. Le mot du texte signifie : Combat et Jeu, et non directement Olympiade. — Comme la matière, voir plus haut, Livre I, chap. 8 et 10. La comparaison est exacte en ce que la matière pour Aristote est une simple puissance, tandis que la forme est la réalité actuelle. — Comme le fini, comme, par exemple, la statue, l’homme, la maison, etc.; voir plus haut, §§ 6 et 8. — De la même façon à peu près, voir le § précédent au début. — Quelque quantité nouvelle, soit qu’on divise d’un côté, soit qu’on ajoute de l’autre ; mais dans le texte, il s’agit exclusivement de l’infini par addition ; et quelque grandeur qu’on ait imaginée, on peut toujours en supposer une plus grande. — De ce qu’on a déjà, j’ai ajouté ces mots.
  372. Ne dépassera point la grandeur finie tout entière, il semble, au contraire, qu’il pourra la dépasser, si ce n’est en acte au moins rationnellement. Mais peut-être ceci doit s’entendre exclusivement de l’exemple cité plus haut d’une quantité finie qui, divisée d’abord en deux, petit donner l’infini par division d’un côté, et l’infini par addition de l’autre, sans que jamais la division épuise l’une des moitiés, et sans que jamais l’addition puisse accroître l’autre jusqu’à la rendre égale au tout primitif. Voir plus haut, § 10. — Il dépasse toujours la quantité finie, dépasser a ici un sens spécial qu’explique suffisamment le développement donné par le texte même. — En étant plus petit qu’elle, seulement, Dépasser une petitesse semble une expression assez singulière. — Surpasser toute la grandeur finie, la seconde moitié qui s’accroît sans cesse et à l’infini de tout ce qu’on ôte à la première, ne pourra jamais être égale au total primitif, quelque loin qu’on pousse la division et l’addition. — Comme attribut et accident, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le corps qu’ils imaginent, voir plus haut, ch. 7, §§ 9 et 10. — Soit infini en acte, voir plus haut toute la discussion du ch. 7, où l’on a essayé de démontrer qu’il ne pouvait pas exister de corps sensible actuellement infini. — Ainsi qu’on vient de le dire, § 10.
  373. Si donc Platon, les deux infinis dans le langage Platonicien s’appellent le grand et le petit. Le grand, c’est l’infini qui se forme par addition ; le petit, c’est celui qui se forme pur division. L’addition qui se développe sans cesse, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  374. Selon lui… à ses yeux, j’ai ajouté ces mots pour rendre la pensée plus nette. — Ce qu’il y a de plus petit, peut-être cette critique n’est-elle pas très juste. Platon parle de la moitié et des autres fractions à peu près autant que de l’unité. — Il ne compte plus le nombre, ce n’est pas que Platon niât l’infinité du nombre ; seulement, la décade était pour lui le principe de tous les autres nombres, de même qu’à un autre point de vue nos dix chiffres, venus des Indiens, suffisent à exprimer la série infinie des nombres.
  375. Nos philosophes, le texte n’a qu’un verbe à la troisième personne du pluriel ; j’ai cru devoir rendre tas traduction plus précise, Ces philosophes sont ceux dont on a réfuté les théories depuis le ch. 4 : les Pythagoriciens, Héraclite, Anaxagore, Démocrite, Platon, etc. — Ce qui a perpétuellement quelque chose en dehors, c’est un résumé aussi exact que concis de toute la discussion précédente, où l’Infini est présenté comme étant en puissance, bien plutôt qu’en fait et en réalité.
  376. Les anneaux qui n’ont pas de chaton, et qui peuvent par conséquent assez bien représenter un cercle où il n’y a ni commencement, ni fin, et qui peut être assimilé à l’infini. — En dehors de celui auquel on s’arrête, le texte n’est pas aussi formel. — Ce n’est pas cependant une expression propre, pour rendre l’infini dans ce qu’il est véritablement. — Pour l’infini, j’ai ajouté ces mots qui sont indispensables. — Nouveau… nouvelle : même remarque. — Donc l’infini, Aristote répète la définition qui lui est propre, et qu’il a raison de préférer à toutes celles qu’on avait essayées avant lui.
  377. Le tout, l’entier, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Voir pour la définition de ces différents termes la Métaphysique, Livre IV, ch. 16 et 26, p. 1021, b, 12 et 1022, b, 27, édit. de Berlin. — En fait de parties, ces mots qui manquent dans plusieurs manuscrits, et que les éditeurs de Berlin ont cru pouvoir supprimer, sont confirmés par les divers passages de la Métaphysique qui viennent d’être cités, — Au terme propre et absolu, j’ai ajouté ces derniers mots. Le terme propre est celui qui est pris absolument sans être joint comme épithète à aucun objet déterminé. — D’une nature bien voisine, dans la Métaphysique les définitions de ces deux termes sont séparées l’une de l’autre par plusieurs autres définitions. Il semble, d’après ce passage, qu’il aurait mieux valu les rapprocher à cause du rapprochement même des idées.
  378. Parménide était plus dans le vrai, plus haut, Livre 1, ch. 1, § 5, et ch. 4, § 1, Parménide a déjà été placé fort au-dessus de Mélissus — Est l’entier, et aussi le tout, l’univers. — De tous côtés égal, j’ai cru devoir faire un vers de ce passage, pour bien montrer que c’est une citation textuelle de Parménide que fait ici Aristote ; elle nous a été conservée complète dans les fragments qui nous restent de Parménide. — Joindre un bout de fil, il est probable que c’était là un proverbe du temps d’Aristote, comme le remarque Simplicius ; mais cette nuance n’étant pas indiquée dans le texte, je n’ai pas dû l’introduire dans la traduction, bien qu’elle soit évidente, et que j’eusse pu me permettre cette addition utile.
  379. Dit-on, cette pensée n’est pas exprimée formellement dans le texte : mais elle y est impliquée ; et j’ai cru pouvoir la faire saillir. — Embrasse toutes choses et qui renferme tout l’univers en soi, il est probable que c’est là une citation textuelle, on tout au moins un résumé, des théories qu’Aristote combat. — Avec un entier, avec un tout, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  380. L’infini est, on peut dire, c’est la définition personnelle d’Aristote ; ce n’est plus une citation de théories antérieures. — La matière de la perfection, c’est-à-dire de l’achèvement, de l’entéléchie, que la forme vient apporter à la matière. — Que peut recevoir la grandeur, le texte dit simplement « De la grandeur. » Cette phrase d’ailleurs peut sembler assez recherchée, en même temps qu’elle est obscure.
  381. Il est l’entier, le tout, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — En puissance, mais non point en acte, il n’est peut-être pas exact de dire que l’infini soit le tout en puissance ; car d’après la démonstration établie plus haut, ch. 8. § 10, l’infini s’approche du tout autant qu’on le veut ; mais il n’est jamais égal au tout lui-même.
  382. Il est divisible, soit par le retranchement, voir plus haut, ch. 8. § 10. — L’addition prise en sens inverse, c’est-à-dire en ajoutant indéfiniment à l’une des moitiés du tout les parties proportionnelles qu’on enlève indéfiniment à l’autre moitié.
  383. Si l’on veut, cette nuance est implicitement dans le contexte sans y être formellement exprimée. — Relativement à un autre terme, comme dans l’exemple cité au § 10 du ch. 8, l’infini qui croit et celui qui décroît, sont finis relativement aux deux moitiés du tout dont l’une n’est jamais épuisée, et dont l’autre ne devient jamais égale à l’entier primitif.
  384. À vrai dire, nuance que j’ai tirée du contexte où elle n’est qu’implicitement. — Il est contenu, en tant qu’infini, cette théorie qui peut paraître singulière au premier coup d’œil, est conforme à la démonstration donnée plus haut, ch. 8, § 10.
  385. . La matière n’a pas de forme, c’est toute la théorie qui a été exposée plus haut, Livre I, ch. 8, § 18, et surtout Livre II, ch, I, § 16.
  386. Donc il est évident, même remarque qu’au § 6. Cette théorie qui fait de l’infini une sorte de partie, est la conséquence de la théorie exposée au ch. 8, § 10 ; mais l’infini réveille l’idée de partie non pas en tant qu’il est lui-même une partie, mais en tant qu’il se compose de parties successives ajoutées sans terme les unes aux-autres. — Du tout, de l’entier, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Une partie de la statue, et l’autre partie serait la forme. — Dont il est la matière, le texte dit simplement : « de l’airain. »
  387. C’est le grand et le petit, suivant la théorie de Platon, qui a reconnu deux espèces d’infinis, l’un de grandeur et l’autre de petitesse. Voir plus haut ch. 8, § 13. — Les intelligibles, c’est-à-dire les Idées, au sens où Platon les entend. — L’inconnu et l’indéterminé, il est probable que ce sont là deux expressions qu’Aristote veut attribuer à Platon.
  388. . L’infini par addition, pour bien comprendre ce passage, il faut se reporter au ch. 8, § 10, l’on a expliqué ce que signifient l’infini par addition, et l’infini par division. Aristote suppose une grandeur quelconque divisée d’abord en deux parties égales ; on divise de nouveau en deux l’une des moitiés ; ce qui donne le quart ; et l’on ajoute ce quart à l’autre moitié qui devient alors trois quarts. Puis on divise le quart restant en deux ; ce qui donne un huitième qu’on ajoute aux trois quarts ; et l’on procède indéfiniment ainsi. On a donc deux séries, l’une, qui croît sans cesse, mais qui a une limite dans la grandeur initiale qu’elle cherche à égaler et qu’elle ne peut égaler jamais ; l’autre, qui décroît à l’infini, sans qu’il y ait jamais de terme possible à la division, puisque la proportion reste indéfiniment identique, et qu’elle est, comme pour cet exemple, dans le rapport de deux à un. — De manière à surpasser toute la grandeur, il serait plus exact de dire, d’après les explications qui précèdent : « De manière à dépasser jamais la grandeur initiale. » — Semble pouvoir exister par division, en effet la division, et c’est ici la dichotomie, n’a pas de terme assignable, tandis que l’autre infini par addition a un terme, qui est la grandeur primitivement donnée et successivement divisée en deux. — À l’intérieur de l’être, l’expression est métaphorique, et elle veut dire simplement que l’infini par addition reste indéterminé comme la matière, qui est indéterminée en tant que privation et n’est déterminée que par la forme. — Et c’est la forme qui contient, en ce qu’elle détermine et achève la matière.
  389. Dans le sens de l’extrême petitesse, parce qu’Aristote, comme tous les mathématiciens de son temps, à ce qu’il semble, s’arrête à l’unité, qu’il croit indivisible, et ne va pas jusqu’aux fractions, où il aurait retrouvé l’infini en petitesse tout aussi bien qu’il le trouve dans la série illimitée des nombres qui s’accroissent. Cette théorie du philosophe est d’autant plus étonnante que la distinction qu’il a faite entre l’infini par addition, et l’infini par division, le menait directement à l’idée des fractions. — Dépasser un nombre quelque grand qu’il soit, ceci est vrai ; mais ce n’est pas moins applicable dans la série descendante, et l’on peut toujours dépasser un nombre, quelque petit qu’il soit, en en supposant un plus petit encore, sans qu’il y ait plus de limite en bas qu’en haut. — Pour les grandeurs, voir l’exemple cité plus haut, ch. 8 § 10. — Il n’est pas possible qu’il y ait de grandeur infinie, c’est-à-dire que l’une des moitiés du tout initial a beau s’accroître, elle n’arrive jamais à égaler le tout.
  390. Cette différence, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — L’unité est indivisible, l’unité substantielle est en effet indivisible, et le mot même d’Individu le dit assez ; mais l’unité numérique ne l’est pas, et la série de ses fractions est infinie tout aussi bien que la série de ses additions successives, c’est-à-dire la série des nombres, qui ne sont que des unités Indéfiniment accumulées. Ceci semble contredire le reproche fait un peu plus haut à Platon ; voir plus haut, ch. 8, § 13. — L’homme n’est jamais qu’un homme, c’est exact pour cette unité ; ce ne l’est pas autant pour l’unité numérique. — De s’arrêter à l’individu, sans doute ; mais l’unité numérique peut encore se diviser non plus en unités, mais en fractions. — Dérivées et paronymes, le premier mot est la traduction de l’autre ; il n’y en a qu’un seul dans le texte, et c’est le second, Voir les Catégories, ch. 1, § 3, p. 54 de ma traduction. Les nombres ne sont que des multiplications successives de l’unité, qui les forme, en se joignant continuellement à elle-même.
  391. De penser un nombre plus grand, il semble qu’il est tout aussi possible de toujours penser un nombre plus petit ; mais Aristote s’arrête à l’unité. — Les divisions de la grandeur en deux, le mot du texte est Dichotomies, que j’ai évité, parce qu’il n’est pas assez clair dans notre langue. Voir plus haut, ch. 8, § 10. — Indéfiniment, j’ai ajouté ce mot. — Toujours en puissance et jamais en acte, c’est-à-dire qu’on peut pousser la division aussi loin qu’on le voudra, sans jamais atteindre au terme. — La quantité nouvelle qu’on imagine, le texte n’est pas aussi formel. — Dépasse toujours, en petitesse, puisque la division devient toujours de plus en plus petite. — Ce nombre n’est pas indépendant et séparé, c’est-à-dire n’est pas abstrait comme celui des mathématiques, et il ne s’accroît qu’avec les dichotomies successives. C’est qu’ici, comme plus haut, Aristote semble ne pas connaître les fractions. — Devient et se forme, il n’y a que le premier mot dans le texte ; mais j’ai craint en le laissant seul qu’il ne fût pas assez clair dans entre langue.
  392. C’est tout l’opposé pour les grandeurs, voir plus haut § 2, où cette idée est déjà exprimée. — Dans le sens de l’accroissement, parce qu’Aristote suppose qu’il y a une limite dont on peut s’approcher autant que l’on veut, mais que l’on n’atteint jamais. Voir plus haut, ch. 8, § 10. — Aucune grandeur sensible n’est infinie, voir plus haut le ch. 7 consacré tout entier à cette démonstration. — Toute grandeur déterminée, voir plus haut, § 2. — Plus grand que le ciel, ou l’univers. Mais le ciel n’est pas une grandeur déterminée, et il se confond avec l’infini lui-même, du moins sous le rapport de l’espace.
  393. Pour la grandeur, dans laquelle sans doute Aristote comprend le nombre ; peut-être eût-il mieux valu dire la Quantité, au lieu de la Grandeur. — Mais l’infini postérieur, cette expression est assez singulière ; mais la suite du contexte l’explique suffisamment. Le temps se comprend par le mouvement, et le mouvement lui-même ne se comprend que par la grandeur. Il y a mouvement, de translation, puisqu’on parle ensuite de mouvement d’altération, de mouvement de croissance ; voir les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — Etc., j’ai ajouté cet Et cætera. — Le temps ne se comprend que par le mouvement, peut-être la psychologie peut-elle donner une explication plus profonde de la notion du temps ; et nous l’acquérons d’abord par la conscience même de notre propre durée substantielle ; mais là aussi on peut dire encore qu’il y a mouvement.
  394. . Plus tard, dans le Livre IV, il sera traité de l’espace et du temps ; dans le Livre V et dans les suivants, il sera traité tout au long du mouvement. — Chacune de ces choses, grandeur, mouvement, temps, espace. — Toute grandeur est divisible, voir Livre VI, ch. 4.
  395. Notre définition de l’infini, l’expression du texte n’est pas aussi développée ni aussi précise. — Sous le rapport de l’accroissement, voir plus haut, ch. 8, § 10, et tout le chapitre 7. — Tout à fait irréalisable en acte, parce qu’il ne peut pas y avoir de corps sensible — N’ont pas besoin de l’infini, cette assertion n’est peut-être pas fort exacte, aujourd’hui qu’une partie considérable des mathématiques est consacrée à la théorie de l’infini ; mais, du temps d’Aristote, la chose était plus vraie ; et, maintenant même, la plupart du temps les mathématiques n’emploient la notion d’infini que comme il le dit. — Diviser indéfiniment, j’ai ajouté ce dernier mot. — Aussi petite que l’on voudra, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — N’importe en rien, c’est peut-être trop dire. — Au sens où on l’a dit, j’ai ajouté cette idée qui est implicitement comprise dans la tournure du contexte. Voir plus haut, ch. 8, § 10.
  396. Il nous reste à examiner, les arguments qui vont être réfutés dans ce chapitre sont précisément tous ceux qui ont été donnés plus haut pour démontrer l’existence de l’infini ; voir plus haut, ch. 5, §§ 2 à 6 ; et Aristote semblait alors les avoir admis sans les contester. Il est vrai qu’il avait fait des réserves au § 7 de ce chapitre 5 sur les difficultés de cette théorie, et il avait annoncé qu’il n’y a guère moins d’impossibilité à admettre qu’à rejeter l’existence de l’infini. C’est à ces réserves que répond le présent chapitre, où l’on renverse les arguments qui plus haut avaient paru évidents. Il n’y a pas de contradiction dans la pensée d’Aristote, bien que ces discussions en sens contraires puissent laisser quelqu’obscurité sur sa véritable opinion. — Étant simplement en puissance, voir plus haut, ch. 8, § 2 et ch, 10, § 3. — Quelque chose de déterminé, cette idée de déterminé et celle d’infini ont quelque chose de contradictoire ; mais cette opposition est dans le texte. — N’arrivent pas à des conclusions nécessaires, le texte dit simplement : « Ne sont pas nécessaires. ».
  397. Pour que la génération des êtres, voir plus haut, ch. 5. § 4, c’est le troisième argument donné pour prouver l’existence de l’infini. — Le tout étant limité et fini, le tout ou l’univers ; ceci peut s’entendre encore de toute la série des générations. — Réciproquement, j’ai ajouté ce mot. — La génération d’une autre, et alors la génération, étant en quelque sorte circulaire, devient inépuisable et infinie ; mais cela même suppose tout au moins un infini de succession.
  398. Le contact et la limitation, c’est le quatrième argument donné au ch. 5, § 5, où il n’a été parlé qui de limitation et non point de contact. — L’une est relative et dépendante, ceci est vrai pour le contact ; mais cela semble non moins vrai pour la limitation, puisque le limité est toujours limité par quelque chose, ne serait-ce que par le vide. — Relative et dépendante, il n’y a qu’un seul mot dons le texte. — Le limité, le fini, même remarque. — Une chose quelconque ne peut pas, par conséquent, le contact universel n’est pas une nécessité, et il peut y avoir quelque chose de fini qui ne touche plus à rien.
  399. L’argument tiré de la pensée, voir plus haut, ch. 5, § 6 ; c’est le cinquième argument et le plus puissant de tous, à ce qu’il semblait. — Est insoutenable, le texte dit : « absurde. » — L’accroissement excessif et l’excessive réduction, que la pensée peut toujours imaginer indépendamment de toute réalité possible. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Ne sont pas dans l’objet, c’est vrai sans aucun doute ; mais l’idée de l’infini n’en est pas moins dans la pensée, et c’est en cela que consiste la force de l’argument. Sans doute, non plus, il n’y a point de corps infini perceptible à nos sens, comme on l’a démontré dans le chapitre 7 ; mais l’infini n’en est pas moins une conception incontestable de la raison. — Soit hors de la ville, ou comme le veulent quelques commentateurs : Soit plus grand que la ville.
  400. Quant au temps, c’est le premier argument donné pour prouver l’existence de l’infini, ch. 5, § 2. — Rien de ce qu’on en considère, le texte dit précisément : « De ce qu’on en prend. » — Ne subsiste ni ne demeure, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’une simple succession sans réalité actuelle.
  401. Enfin, j’ai ajouté ce mot. — Il n’y a pas de grandeur, voir plus haut, ch. 5, § 3. C’est le second argument pour prouver l’existence de l’infini. Cette réponse semble rentrer dans celle qui vient d’être faite un peu plus haut, § 4.
  402. Mais arrêtons-nous, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Nous avons dit, depuis le chapitre 4 jusqu’à celui-ci, il n’a été question que de l’infini.
  403. Tout comme de l’infini, voir plus haut, Livre III, ch. 4, § 1, les questions que l’auteur se pose sur l’infini, et qui sont tout à fait analogues à celles qu’il se pose ici sur l’espace. Plus haut aussi, Livre III, ch. 1, § 1, Aristote a indiqué à l’avance qu’il traiterait de l’espace, du vide et du temps.
  404. Tout le monde, tous les philosophes. — En quelque lieu de l’espace, quelque part. — Le bouc-cerf et le sphinx, ce sont des exemples, surtout le premier, dont se sert fréquemment Aristote pour indiquer des choses purement imaginaires et sans aucune réalité.
  405. . Le plus commun de tous, c’est celui qui frappe le plus ordinairement et le plus vivement nos sens. — Qui mérite le plus spécialement ce nom, dans le langage vulgaire, c’est en ce sens presqu’exclusivement que l’on parle du mouvement. Voir les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction, et la Métaphysique, Livre XI. ch, 12, p. 1068, a, 8e édit. de Berlin, — Et que nous appelons la translation, ou le déplacement.
  406. Mais il y a plus d’une difficulté, Aristote a remarqué aussi pour la théorie de l’infini qu’elle présentait de grandes difficultés, livre III, ch. 5, § 7.
  407. Ajoutons enfin, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Les autres philosophes, ou ne nous ont rien donné, au contraire pour l’infini, Aristote a remarqué que tous les philosophes antérieurs avaient cru devoir s’en occuper ; voir plus haut, Livre III, ch. 4, § 2. Il sera question plus loin des théories de Platon et de Zénon sur l’espace, ch. 4 et 5.
  408. . C’est la succession des corps, j’ai été obligé de paraphraser le texte ; il n’a ici qu’un seul mot, pour lequel je n’ai pas trouvé d’équivalent dans notre langue. — Là où il y a de l’eau, l’exemple est très simple, et il est démonstratif ; aujourd’hui on ne pourrait pas trouver un argument meilleur, si l’on voulait prouver l’existence de l’espace ; mais d’ordinaire ou n’essaie pas de remonter aussi haut, et l’on admet l’existence de l’espace sans essayer de la démontrer. Ou en fait une sorte de principe, — Ce même lieu que le premier corps abandonne, le texte n’est pas tout à fait aussi explicite. — Qui sont en lui, ou peut-être : Qui entrent en lui, comme le comprennent quelques commentateurs, bien qu’on ne puisse jamais dire que les choses entrent dans l’espace, puisqu’elles y sont toujours. — Le réceptacle, le texte dit précisément : « La place. » — Successivement, j’ai ajouté ce mot, dont le sens est implicitement contenu dans le texte. — Espace où ils sont entrés, le texte est un peu moins formel.
  409. Les déplacements, on pourrait traduire aussi « Les directions, » ou bien encore : « Les tendances. » — Et les autres, les deux autres corps simples selon la doctrine des anciens sont l’air et l’eau ; mais, pour ces deux éléments, leur direction particulière est moins évidente que celle de la terre et celle du feu et voilà sans doute pourquoi Aristote ne les nomme pas expressément. — Une certaine propriété, le texte dit précisément : « Une certaine puissance ; » mais j’ai réservé ce dernier mot, autant que je l’ai pu, pour le sens spécial qu’il a dans le système d’Aristote. — Celui-ci va en haut, le feu. — Celui-là va en bas, la terre. — Chacune des autres directions, les six directions sont énumérées un peu plus loin, au § 3. — De l’espace et du lieu, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  410. Seulement relatives à nous, cela est vrai pour les deux directions du haut et du bas, d’après les détails donnés un peu plus loin ; mais il fallait expliquer aussi les directions de droite et de gauche, de dessus et de dessous. — Est séparément déterminée, oui, pour la direction du haut et du bas, et non pour les autres ; ou du moins Aristote ne dit pas comment il entend que les autres directions sont déterminées, comme ces deux-là, par les tendances du feu et de la terre. — Et en général les corps légers, comme les vapeurs, par exemple. — Qui ont de la pesanteur, les corps qui ont de la pesanteur, les graves, se dirigent vers la terre, qui se confond alors avec le bas dans le système d’Aristote. — Composés de terre, ou terrestres. — Leur propriété et leur puissance, il n’y a que ce dernier mot dans le texte.
  411. C’est bien là aussi ce que prouvent les mathématiques, la pensée n’est pas ici très claire, et elle n’est peut-être même pas très juste. On peut supposer que ce § tout entier est une interpolation. Aristote veut démontrer que les six directions possibles dans l’espace sont déterminées par la nature elle-même ; et les mathématiques ne peuvent pas contribuer à prouver cette théorie, puisque les êtres mathématiques sont purement rationnels, et qu’ils n’ont aucune position réelle dans la nature. — Relativement à nous, c’est vrai ; mais alors les êtres mathématiques se sont réalisés ; et, à ce titre, ils sont relatifs, comme tous les êtres matériels, à la position que nous occupons nous-mêmes et d’après laquelle nous déterminons la leur.
  412. L’existence du vide, voir plus loin, ch. 8 et suiv., la théorie du vide. — Un lieu, un espace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  413. Quelque chose de réel, le texte n’est peut-être pas tout à fait aussi précis.
  414. Aussi Hésiode, voir la Théogonie, vers 116, p. 3, édit. des classiques de Firmin Didot. Aristote a changé sans doute le début de ce vers pour l’accommoder d’autant mieux à sa propre pensée ; il le cite encore sous la même forme dans la Métaphysique, Livre I, ch. 4, p. 984, b, 27, édit. de Berlin. — Un lieu où ils se placent, et alors ce lieu, selon Hésiode, serait le chaos ; il n’est pas probable que ce soit là la pensée de poète ; et il a voulu sans doute dire seulement que le chaos avait existé avant l’ordre admirable où nous voyons actuellement l’univers. — Une propriété, le texte dit ; « Puissance. » Ainsi l’espace et le chaos se confondent ; ou du moins Aristote prête cette théorie à Hésiode. — Rien de tout le reste ne peut être, ce n’est pas là tout à fait le sens du vers cité. — L’espace n’est pas détruit, remarque vraie et profonde ; mais le chaos, que l’on confond ici avec l’espace, peut être considéré comme détruit, quand il est remplacé par l’ordre qui lui succède.
  415. Une fois fixés sur l’existence de l’espace, le texte n’est pas aussi formel, et j’ai dû le paraphraser un peu pour rendre toute la force de l’expression dont Aristote se sert. — La masse quelconque d’un corps, en d’autres termes, c’est demander si l’espace est quelque chose de matériel. — À quel genre il appartient, voir la Métaphysique, Livre II, ch. 3, p. 998, a, 20, édit. de Berlin, où cette méthode est discutée tout au long.
  416. Il y aurait ainsi deux corps dans un même lieu, c’est ce que les physiciens de nos jours comprennent par l’impénétrabilité des corps. Les deux corps dont parle Aristote seraient d’abord l’espace, s’il était en effet un corps, et ensuite le corps contenu dans cet espace.
  417. D’autre part, ce § ne paraît pas très bien suivre le précédent, ou plutôt il semble le contredire ; en effet, tout en prouvant que l’espace n’est pas un corps, Aristote admet cependant l’existence de l’espace ; ici, au contraire, il paraît vouloir démontrer que l’espace n’existe pas ; car si le lieu du point se confond avec le point lui-même, il s’ensuit que l’espace se confond avec les corps, et qu’il n’a point d’existence propre. Simplicius, dans son commentaire, a indiqué cette apparence de contradiction, sans d’ailleurs s’y arrêter. — Un lieu et une place, il y a deux mots dans le texte. — La surface, le texte dit « L’apparence. » — Et les autres limites du corps, les autres limites du corps peuvent être aussi des surfaces ; mais il faut entendre ici qu’il s’agit des lignes et des points. Par la surface, l’auteur a sans doute voulu d’abord exprimer la partie la plus apparente du corps considéré horizontalement, soit en longueur, soit en largeur, sans s’occuper de la profondeur. — Qui en auront pris la place, j’ai ajouté ces mots qu’autorisent les développements donnés plus haut, ch. 2, § 1. — Dans aucun des autres cas, c’est-à-dire que le lieu de la ligne se confondra avec la ligne ; le lieu de la surface se confondra avec la surface ; et l’espace alors confondu avec les corps ne sera rien indépendamment d’eux. Il est probable que c’était là une des objections faites par d’autres philosophes contre la réalité de l’espace. Aristote la rappelle peut-être encore plus qu’il ne l’accepte.
  418. Qu’est-ce donc que l’espace, cette interrogation même prouve l’embarras où se trouve l’auteur devant les arguments en sens contraires qu’il vient de produire, et devant la question elle-même, qui est en effet fort difficile. — Soit incorporels, en d’autres termes, intelligibles. — Il a de la grandeur, puisqu’au § 2, on a reconnu que l’espace a les trois dimensions. — Or, les éléments des corps sensibles, l’espace n’étant pas un corps, ne peut pas être un élément ; et comme il a de la grandeur, en tant qu’il a les trois dimensions, il n’est pas purement intelligible. La nature véritable est donc très difficile à saisir.
  419. Aucune des quatre causes, voir plus haut, Livre II, ch. 3, la discussion sur les quatre espèces de causes : matière, forme, mouvement et fin. Les quatre causes sont rangées ici dans un ordre un peu différent. — La forme et la raison des choses, la raison ou bien l’idée et la définition des choses, qui se tire de la forme confondue avec leur essence.
  420. Doit compter parmi les êtres, s’il est lui-même un être distinct de tous les autres, et soumis aux mêmes conditions qu’eux. Voir plus haut, ch. I, § 2. — Le doute de Zénon, Aristote revient plus loin à celle théorie de Zénon, et il y répond, ch. 5, § 10. — Si tout être est dans un lieu, et qu’on prenne l’espace pour un être. — Un lieu pour le lieu lui-même c’était là précisément l’objection de Zénon.
  421. Le corps soit dans l’espace tout entier, et que par conséquent il remplisse tout l’espace, sans qu’il y ait rien en dehors de lui. — Se développe en même temps qu’eux, conséquence absurde, et qu’Aristote repousse implicitement sans même le dire expressément. Mais si cette conséquence est fausse pour l’espace, pris d’une manière générale, elle ne l’est pas également pour le lieu qu’occupe spécialement un corps dans l’espace ; et il est certain que ce lieu s’accroît en même temps que le corps s’accroît. Il y a donc peut-être ici une confusion entre les deux idées d’espace et de lieu. — Le lieu de chaque chose, c’est exact pour le lieu ; ce ne l’est pas pour l’espace qui est un et immobile, et qui ne varie pas comme le lieu que chaque corps occupe. C’est une distinction importante qu’il fallait faire, et qu’Aristote ne paraît point avoir faite suffisamment ici.
  422. Telles sont les questions, qui seront débattues dans les chapitres qui vont suivre jusqu’au septième inclusivement. — Savoir si il est, il semble cependant que l’existence de l’espace a été déjà admise et démontrée.
  423. Ou en soi, ou relativement, distinction familière au système d’Aristote. L’être n’existe en soi que dans la catégorie de la substance ; dans toutes les autres catégories, il n’existe que relativement. La seule catégorie de la substance implique l’être absolu ; les autres comprennent toujours l’être avec quelque modification. — De même, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Que nous voyons, j’ai ajouté ces mots. — Où ils sont primitivement, cette formule est rendue très claire par les développements qui suivent. Le lieu primitif est le lieu même où est l’être ; les autres lieux sont ceux où est celui-là, et où par suite l’être est indirectement. Ainsi le vin est primitivement dans la tonne ; et comme la tonne est dans la cave, le vin est médiatement dans la cave, dans la maison, dans la propriété, dans la ville, etc. Les autres lieux enveloppent le lieu primitif. — Sur la terre, le grec veut dire : dans la terre, et alors l’exemple est plus frappant, parce que toutes les expressions se ressemblent ; en français, il n’a pas été possible de conserver cette tournure. — Qui ne renferme absolument plus rien que vous, c’est le lieu où vous êtes directement et immédiatement ; c’est le lieu primitif ; les autres lieux sont purement médiats.
  424. L’espace… le lieu, c’est le même mot dans la langue grecque, et ce mot signifie surtout le lieu. Ainsi que je l’ai indiqué, Aristote ne distingue presque jamais l’espace et le lieu ; parfois cependant il appelle le lieu primitif la place du corps ; mais le plus souvent il confond le lieu et l’espace. — Comme la forme et la figure, plus haut, Livre 1, ch. 8, §§ 12 et suiv. La forme a été expliquée d’une manière toute différente et plus exacte. Du reste, Aristote ne dit pas précisément que le lieu est la forme des choses ; mais il dit seulement qu’à un certain point de vue, il pourrait être considéré ainsi. Mais il est impossible de confondre la forme du corps avec le lieu qu’ils occupent. — La forme est la limite de chaque corps, le lieu enveloppe le corps ; mais il n’en est pas la limite au sens où l’est la forme. — L’espace, le lieu, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  425. La dimension et l’étendue, le texte dit : L’intervalle ; ce sont les trois dimensions de la grandeur : longueur, largeur et profondeur. — La matière des choses : voir plus haut Livre 1, ch. 8, la définition de la matière. — Est différente de la grandeur même, attendu que la grandeur se compose de la matière et de la forme. La grandeur est prise ici dans le sens de corps. — La matière et l’indéterminé, la matière, en effet, est indéterminée tant que la forme ne lui a point donné une limite. — Si vous enlevez, rationnellement plutôt encore que réellement.
  426. Dans le Timée, il serait difficile de trouver dans le Timée, du moins tel que nous l’avons, le passage précis auquel Aristote fait ici allusion ; et, nulle part, Platon ne semble y avoir confondu la matière et la place des corps. Voir spécialement, page 170 de la traduction de M. V. Cousin. — Et la place des choses, le mot dont se sert ici Aristote n’est plus celui de Lieu. — Capable de participer à la forme, j’ai ajouté ces mots, qui peuvent être considérés comme une paraphrase de l’expression grecque. Platon se sert du mot de Réceptacle pour signifier la matière, Timée, p. 152, 155 et 156, traduction de M. V. Cousin. — Et la place des choses, il ne semble pas que Platon confonde jamais le lieu des choses et la matière, qui est pour lui le récipient universel. — Ses Doctrines non écrites, Philopon prétend, sans dire d’après quelle autorité, qu’Aristote avait écrit ces doctrines que Platon communiquait seulement de vive voix à ses disciples ; ce passage semblerait confirmer qu’en effet ces Doctrines non écrites, ont été rédigées par écrit du vivant même d’Aristote, puisqu’il les oppose ici aux doctrines du Timée. — L’espace et la place des choses, j’ai dû traduire ici l’Espace et non le Lieu, parce que le lieu se confond en effet réellement avec la place des choses, et qu’entre le Lieu et la Place il n’y a qu’une simple différence verbale. — Platon est le seul, cette louange, adressée à Platon, n’est pas plus justifiée que la critique antérieure, par le Timée, tel que nous l’avons. Le passage du Timée cité par Simplicius correspond à la page 158 de la traduction de M. V. Cousin.
  427. Il pourrait paraître difficile, voir plus haut, ch. 4, § 4. — Plus haute que celle-là, j’ai conservé l’expression grecque. Celle-là peut se rapporter également et à la question de l’espace, et à la question de la matière. — Isolément l’une de l’autre parce que, dans la réalité, elles sont toujours réunies, et qu’il n’y a pas plus de matière sans forme que de forme sans matière.
  428. Ne se séparent jamais de la chose, puisqu’en effet la matière et la forme sont les deux éléments sans lesquels la chose ne serait pas. Voir plus haut, Livre 1, ch. 8. — Ainsi que je l’ai dit plus haut, ch. 2, § 1.
  429. Ni une partie, puisqu’il n’est ni la matière, ni la forme de la chose. — Ni une qualité, parce que la qualité est inhérente au sujet et qu’elle n’en peut être séparée, comme l’espace est séparé des objets qu’il renferme. — Séparable, et séparé.
  430. Comme jouant en quelque sorte le rôle de vase, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Un espace transportable, expression remarquable et parfaitement juste en ce qu’elle sort du fond même de la discussion. — N’est rien de la chose, ou : N’est en rien la chose. — Qu’il contient : j’ai ajouté ces mots.
  431. Ainsi, résumé des arguments précédents, pour démontrer que l’espace ne peut être ni la matière ni la forme des choses. — Est tout différent de la matière, qui est contenue et embrassée par la forme, loin de la contenir.
  432. Ce qui est quelque part, dans un point quelconque de l’espace. — Est toujours lui-même quelque chose de réel, cette pensée semble avoir été empruntée par Aristote au passage du Timée, auquel il a été fuit allusion plus haut, voir p. 58 de la traduction de M. V. Cousin. — Quelqu’autre chose, qui est l’espace, lequel est séparé de la chose qu’il renferme et en est distinct.
  433. Cependant, Platon, cette nouvelle critique de Platon ne paraît pas se rattacher suffisamment à ce qui précède ; et c’est là en effet une digression, comme le remarque Aristote lui-même en s’excusant. — Ne sont pas dans l’espace, attendu que les Idées ne sont nulle part ; voir plus haut, Livre III, ch. 4, § 4. — Le récipient c’est l’espace, il faudrait dire plutôt que dans les théories de Platon le récipient est la matière ; mais, aux yeux d’Aristote, Platon a confondu la matière et l’espace ; voir plus haut, § 4. — Qui participe aux Idées, c’est une paraphrase du texte. — Soit le grand et le petit, ce sont les deux infinis de grandeur et de petitesse ; voir plus haut, Livre III, ch. 4, § 5, et ch. 8, § 13. Il semblerait que c’est là la théorie des Doctrines non écrites, de Platon, dont il vient d’être parlé un peu plus haut.
  434. En outre, avec ce § recommence la suite des arguments pour prouver que l’espace ne peut être la matière des choses. — Comment un corps, en effet, si l’espace était la matière du corps, le corps ayant déjà sa matière et sa forme, serait toujours dans le lieu et dans la partie de l’espace qui lui est propre ; il n’aurait pas besoin de s’y rendre comme s’y rendent tous les corps par leur tendance naturelle : le feu en haut, la terre en bas, etc. — Car il est bien impossible, en effet, il y aurait dès lors une immobilité universelle, et les choses ne pourraient jamais changer de place. — Les différences de ce genre, c’est-à-dire dans le mouvement en haut, dans le mouvement en bas. Le texte est un peu plus vague.
  435. . Mais si l’espace est dans l’objet, nouvel argument pour démontrer que l’espace ne peut être la matière des choses. — L’espace alors sera dans l’espace, puisque les choses sont dans l’espace évidemment, et qu’elles y changent sans cesse de place. — L’indéterminé, la matière qui est indéterminée tant que la forme ne l’a pas circonscrite et définie. — C’est-à-dire la matière, j’ai cru devoir ajouter ces mots pour plus de clarté. — En même temps que la chose, puisque la matière et la forme sont les deux éléments essentiels de la chose, qui sans elles ne serait rien. — Un lieu pour le lieu, j’ai ajouté ces derniers mots à cause des deux acceptions du mot employé dans le texte, qui signifie à la fois l’espace et le lieu. Or, l’espace demeure et ne change pas.
  436. Enfin, il faudrait dire, le texte n’est pas aussi précis ; et la pensée n’y est pas aussi nettement présentée sous forme d’objection. — L’espace disparaît et périt, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais j’ai cru devoir ajouter l’idée de disparition à celle de destruction, la seule qui soit dans le grec, parce que, dans l’exemple cité, l’eau que remplace l’air disparaît plutôt qu’elle n’est détruite. Plus haut, il a été dit, ch. 2, § 7, que l’espace demeure et subsiste, tandis que les choses qu’il renferme peuvent y être détruites et y périr. — Cette destruction prétendue, j’ai ajouté ce dernier mot.
  437. On peut tirer nécessairement, on appelle nécessaires les arguments d’où l’on peut tirer une conclusion régulière et démonstrative. — Est réellement, j’ai ajouté ce dernier mot, dont le sens est implicitement compris dans l’expression du texte.
  438. En combien de sens on peut dire, comme ces acceptions diverses sont parfois presque purement verbales, il faut se rappeler qu’elles peuvent fort bien ne pas avoir des équivalents exacts dans notre langue ; et c’est ce que prouve le premier exemple donné par Aristote. — Le doigt est dans la main, cette locution, qui est sans doute excellente en grec, est à peine acceptable dans notre langue ; et nous devrions dire : « Le doigt fait partie de la main » ; mais j’ai dû conserver la tournure particulière qui permet d’employer la préposition Dans, sur laquelle repose toute cette discussion. — La partie est dans le tout, c’est en effet, le rapport du doigt à la main. — Inverse, j’ai ajouté ce mot. — Est dans l’animal, parce que l’Animal est le genre de l’homme, et que l’espèce est dans le genre. — Le genre dans l’espèce : le genre est compris dans l’espèce en ce sens que, si l’on veut définir l’espèce, il faut d’abord indiquer le genre auquel elle appartient : « L’homme est un animal raisonnable, etc., etc. » — Être dans une chose, j’ai cru devoir répéter la formule placée au début du §, pour que tout ce passage fût plus clair. — Dans les influences du chaud et du froid, le texte dit simplement : dans le chaud et le froid. — La forme dans la matière, il ne semble pas que ce soit là tout à fait le rapport de la santé au chaud et au froid. — Dans les mains du Roi, c’est peut-être une allusion au roi de Macédoine, soit Philippe, soit Alexandre, qui, en effet, dominaient la Grèce à cette époque. — Dans le premier moteur, parce que le roi est celui qui dirige les affaires de la Grèce et leur donne le mouvement, sans recevoir lui-même l’impulsion de qui que ce soit, si ce n’est de lui seul. — Dans le bien, la fin étant toujours le bien de la chose dont elle est la fin. Voir le début de la Morale à Nicomaque, Livre I, ch. 1, §§ 1 et 6, p. 2 et 3 de ma traduction. — Dans la fin, ou : « Dans sa fin. » — Le pourquoi, le but, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Enfin, j’ai ajouté ce mot pour indiquer que cette acception est la dernière. — Comme dans un vase, voir plus haut ch. 4, § 8. — Dans un lieu, dans l’espace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  439. Restant telle qu’elle est, le texte dit : Restant une et même. — Soit elle-même dans elle-même, comme doit être l’espace, s’il n’est pas dans une autre chose, comme toutes les choses sont en lui. — Ne peut être de la sorte, c’est-à-dire dans soi-même et non dans une autre.
  440. Quand on dit qu’une chose est dans quelque chose, le texte n’est pas aussi explicite, et il dit seulement : « Cela est à double sens. » — Ou en soi ou relativement à un autre, ou par rapport à la chose elle-même, ou par rapport à une autre chose.
  441. Et la partie qui est dans le tout, le texte n’est pas aussi précis — Et ce qui est dans cette partie, par exemple une des qualités de cette partie. — Le tout est dans lui-même, parce que la qualité sera dans la partie, et la partie dans le tout ; il y aura donc telle qualité du tout qui sera dans le tout lui-même ; et l’on pourra dire en ce sens que le tout est en lui-même. — D’après les parties, et la qualité de la partie est étendue au tout qu’elle sert à dénommer. — Sa surface, j’ai conservé l’expression grecque ; mais peut-être aurait-il mieux valu dire « La peau »; du reste la peau comme la surface n’est qu’une partie de l’homme, et la qualité de la partie sert à qualifier le tout. — Sa partie raisonnable, ou sa raison, qui n’est aussi qu’une partie de l’homme. — L’amphore, considérée isolément. — Non plus que le vin, considéré également à part du vase dans lequel il est renfermé. — L’amphore de vin, en réunissant les deux idées d’amphore et de vin dans une seule qui en fasse un tout. — Les parties d’un même tout, c’est vrai ; mais si l’on dit bien que le vin est dans l’amphore, comme l’amphore et le vin ne se confondent pas, on ne peut pas dire également bien que l’amphore est dans elle-même, puisque de fait c’est seulement une partie du tout qui est dans le tout. D’une manière générale toutes ces distinctions peuvent paraître bien subtiles, et il semble qu’on pouvait aisément les présenter d’une façon plus claire.
  442. Primitivement, pour le sens spécial de cette expression, voir plus haut, ch. 4, § 1. — Et les appellations, qu’on applique à l’homme en disant qu’il est blanc ou savant, selon que l’on considère son corps ou son intelligence. — D’après ces choses, ou si l’on veut : « D’après ces qualités ; » la blancheur pour le corps, la science pour l’âme. — Considérés isolément, il y a peut-être ici quelque tautologie, et il est clair que, si l’on considère les choses isolément l’une de l’autre, elles ne font plus partie d’un tout, et l’on pourrait presqu’en dire autant de la blancheur et de la science ; seulement le vin et l’amphore qui le contient sont des choses réelles, distinctes l’une de l’autre, et qui ont, en effet, une existence séparée, tandis que la blancheur et la science, en tant que qualité n’ont d’existence que dans les sujets où elles sont. — Que quand on les réunit tous les deux, verbalement et qu’on dit : « Une amphore de vin, » comme dans le § précédent. Mais on peut comprendre ce passage autrement ; et au lieu de traduire : « Ce ne sont des parties que quand on les réunit tous les deux » on traduirait : « Seulement ils sont ensemble, » Cette seconde traduction semble s’accorder mieux avec ce qui suit ; mais l’autre s’accorde davantage avec ce qui précède. — On pourra dire, d’une manière indirecte et non substantiellement. — Médiatement, j’ai ajouté ce mot. — Et par une autre chose, ceci ne veut pas dire que la blancheur soit dans elle-même ; et elle est toujours dans la surface, bien qu’elle y soit immédiatement.
  443. En recourant à l’induction, c’est-à-dire en observant les choses dont un peut dire qu’elles sont dans une autre chose. — Ci-dessus données, le texte est moins précis. Voir plus haut, § 1.
  444. La raison, indépendamment des données de l’observation. — Que c’est impossible, à savoir qu’une chose puisse être dans elle-même primitivement et en soi. — Soient à la fois l’une et l’autre, ce passage qui est obscur se trouve éclairci par l’exemple qui suit. — Le vase et le vin, puisqu’on a confondu le vin et l’amphore qui le renferme, en supposant que l’amphore est dans elle-même, parce que le vin est en elle.
  445. Les deux objets auraient beau, en admettant la théorie combattue par Aristote qu’une chose peut être dans elle-même, comme elle est dans une autre. — Que le vin est ce qu’il est, et que par conséquent il est renfermé dans l’amphore. — Que l’amphore est ce qu’elle est, c’est-à dire qu’elle renferme le vin. — Donc il est évident, cette conclusion est vraie ; mais il semble qu’on pouvait y arriver avec moins de développements. — Du contenant… Du contenu, la formule du texte n’est pas tout à fait aussi précise et aussi nette.
  446. . Le simple point de vue de l’accident, c’est l’alternative posée plus haut. § 3. — Ce n’est pas plus possible, la chose ne peut pas plus être dans elle-même indirectement, qu’elle ne peut y être immédiatement et en soi. — Dans un seul et même corps, ou peut-être aussi : « Dans un seul et même lieu. » — Donc évidemment, conclusion de toute la discussion annoncée dans les §§ 2 et 3.
  447. Quant au doute de Zénon, Simplicius donne un résumé de l’argument de Zénon, sans d’ailleurs ajouter beaucoup à la courte analyse qu’en présente Aristote. — Il n’est pas difficile d’y répondre, la réponse qui est faite un peu plus bas semble annuler la réalité de l’espace ; en ce sens, elle soutient l’argument de Zénon plus encore qu’elle ne le combat. — Le lieu primitif, l’espace primitif, il n’y a qu’un des deux mots dans le texte. Voir plus haut, ch. 4, § 1. — Ne soit dans une autre chose, mais alors on regarde l’espace comme une partie du corps, et non plus comme renfermant le corps. — Comme la santé est dans la chaleur, la santé semble être, médicalement parlant, un effet de la chaleur ; et l’on ne peut pas dire que l’espace soit dans les corps comme un effet est dans sa cause. — Il n’est pas besoin de remonter à l’infini, comme le voulait Zénon : le premier espace est dans un second, le second dans un troisième, et ainsi de suite à l’infini.
  448. Comme le vase, ou d’une manière plus générale : Le contenant. — Ni la matière, ni la forme, voir plus haut, ch. 4, §§ 2 et 3. — Les éléments, le texte dit précisément : « La matière et la forme sont quelque chose de ce qui est dedans. » — De ce qui est dans l’espace, ou : « de ce qui est en soi. »
  449. Les discussions qui ont été soulevées, il semble que jusqu’ici Aristote n’a fait que rapporter les opinions des autres, sans avoir encore donné la sienne. — Relativement à la nature de l’espace, j’ai ajouté ces mots.
  450. Ce que peut être l’espace, plus haut, ch. 2, on a démontré l’existence de l’espace ; ici l’on veut expliquer ce qu’est la nature de l’espace.
  451. . Et à découvrir avec exactitude, j’ai réuni ce § au précédent ; et de cette façon la pensée m’a paru se suivre mieux ; mais en général les commentateurs ont séparé les deux §§. — Les caractères qui semblent lui appartenir, l’expression du texte est plus vague. Ces caractères évidents de l’espace serviront à en former la définition exacte. — Est le contenant primitif, voir pour le sens spécial de cette formule, plus haut, ch, 4, § 1. Ceci revient à dire que l’espace contient les êtres, sans d’ailleurs être rien de ces êtres. — De ce qu’il renferme, c’est ce qui a été démontré plus haut, ch. 4, puisque l’espace n’est ni la matière, ni la forme, ni l’étendue du corps. On reviendra sur ces théories à la fin dut présent chapitre. — Le lieu primitif, l’espace primitif, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Ni plus petit ni plus grand, c’est là le fondement de toute la théorie qu’Aristote va développer sur l’espace ; voir plus haut, ch. 3. § 8. — Il n’est jamais vide de corps, l’édition de Berlin supprime ici une négation d’après quelques manuscrits ; j’ai cru préférable de la conserver. — Et qu’il est séparable des corps, ce caractère le distinguera un peu plus loin, §§ 12 et suivants, de la matière et de la forme, qui sont au contraire inséparables des corps, — Tout espace, tout lieu, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Est porté ou demeure, le feu va en haut, et la terre demeure au centre, vers lequel sont portés tous les graves. — Soit en bas, le bas se confond avec le milieu ou le centre. — Des conséquences qui en sortent, le texte n’est pas tout à fait aussi formel.
  452. Ce qu’est l’espace, la nature de l’espace et sa véritable définition. — Les questions qu’on a élevées, et dont on a donné une analyse assez étendue dans les chapitres antérieurs. — Les attributs, ou les caractères qui viennent d’être énumérés, au nombre de six, dans le § précédent. — La difficulté de la question, voir plus haut, ch. 1, § 4. — La meilleure méthode, on a déjà vu que la question de la méthode à suivre dans chaque sujet était un soin que n’omettait jamais Aristote.
  453. D’abord, il faut se dire, cette remarque, faite mille fois depuis Aristote, était toute nouvelle de son temps ; et il est certain que sans le mouvement on n’arriverait point aisément à l’idée d’espace. — Le mouvement dans l’espace, c’est une des six espèces du mouvement, et celle qui mérite le plus proprement cette dénomination. Voir les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — Le ciel est éternellement en mouvement, par le ciel il faut entendre les grands corps dont il est parsemé, les planètes et les étoiles.
  454. On distingue différentes espèces, la division indiquée ici n’est pas absolument conforme, du moins pour l’ordre, à celle qui est énoncée dans les Catégories. — La translation, ou le mouvement dans l’espace. Les Catégories placent cette espèce de mouvement la dernière, quoique ce soit celle où le mouvement est le plus apparent. — Il y a mutation de lieu, c’est vrai, puisqu’une chose qui s’accroît ou qui diminue occupe plus ou moins de place qu’elle n’en occupait d’abord.
  455. C’est-à-dire ce qui reçoit le mouvement, paraphrase que j’ai crue utile, mais qui n’est pas dans le texte. — En soi… par accident, ces deux formules familières au système d’Aristote sont éclaircies par les exemples qui suivent.
  456. Le mobile accidentel, cette expression se comprend bien d’après les développements qui l’accompagnent. Un mobile accidentel est celui qui ne peut recevoir un mouvement qui lui soit propre, et qui ne reçoit jamais le mouvement que par l’intermédiaire d’une autre chose. — Comme les parties du corps, qui n’ont pas un mouvement spontané ; mais qui peuvent avoir dans le corps un mouvement particulier. — Un clou dans un navire, le clou n’a pas de mouvement par lui-même ; mais il peut être employé à part et recevoir un mouvement spécial, de même qu’il peut être mu en même temps que le navire auquel il est attaché. — La blancheur et la science, qui ne sont mobiles qu’indirectement et avec l’être dont elles sont les qualités ; voir plus haut, ch. 5, § 4.
  457. Quand on dit, il y a dans le texte une irrégularité de forme, une sorte d’anacolouthie qu’ont remarquée les commentateurs, et qu’il a fallu faire disparaître dans la traduction. — Dans le ciel, comme dans son lieu, voir plus haut, ch. 5, § 1, la fin du §. — Ce corps est dans l’air, soit qu’il soit détaché, comme les grands corps qui errent dans l’espace, soit que simplement il s’y élève, sans d’ailleurs quitter la terre. — Que c’est dans l’air tout entier, car alors il faudrait que ce corps remplit tout l’espace. — Ne serait plus égal, le lieu est sans doute égal à la dimension du corps lui-même qui l’occupe ; mais l’espace est nécessairement plus grand. Seulement Aristote semble avoir souvent confondu l’espace et le lieu, et la langue grecque prêtait à cette confusion. — Le lieu primitif, voir plus haut, ch. 4, § 1. Il vaut mieux dire le lieu primitif que l’espace primitif, bien qu’on pût employer cependant cette seconde expression.
  458. Le contenant n’est pas séparé, de la chose qu’il contient. — Comme la partie dans le tout, par exemple, le doigt dans la main. On ne peut pas dire que le doigt soit dans la main comme en son lieu, et comme le corps, par exemple, est dans l’air ; mais le doigt fait partie de la main qui est son tout, et c’est en ce sens qu’on peut dire qu’il est dans la main. — Et qu’il est contigu à la chose, comme l’amphore qui contient le vin est contiguë à ce vin, qu’elle contient. Le contenant alors est simplement contigu, et il n’est plus continu avec la chose qu’il contient. — La surface interne, j’ai ajouté cette paraphrase, pour mieux expliquer le mot d’extrémité qui aurait pu rester obscur. — De ce qui est en lui, pas plus que l’amphore n’est une partie du vin qui y est renfermé. — Que la dimension du corps, le texte dit simplement : « Que l’intervalle. »
  459. Quand il y a continuité, et que par conséquent le contenu est une partie du contenant, comme le doigt est une partie de la main. — Mais avec le contenant, distinction très simple et très juste. — Le contenu se meut, ou peut se mouvoir. — Le contenant aussi se meuve réellement, c’est-à-dire que le vin qui est dans l’amphore à laquelle il est contigu, peut avoir un mouvement propre que l’amphore ne partage pas, de même qu’il peut être mu en même temps que l’amphore, si on le secoue ou si on la déplace.
  460. Quand il n’y a pas séparation, ce § ne fait guère que répéter ce qui vient d’être dit dans les deux précédents. — La partie dans le tout, voir un peu plus haut, § 9. — La vue dans l’œil, la vue est plutôt une faculté de l’œil qu’elle n’en est une partie ; la main, au contraire, est bien une partie du corps. — Qu’elle est dans un lieu, dans un espace. — La main se meut avec le corps, en tant que partie du corps, indépendamment du mouvement propre que la main petit avoir. — Dans le tonneau que l’eau se meut, bien qu’elle puisse aussi se mouvoir avec lui.
  461. L’espace ou le lieu, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Entre les extrémités, des corps, qui sont plus ou moins voisins les uns des autres. — L’intervalle entre les extrémités des corps, c’est là, ce semble, le sens le plus ordinaire où l’on comprend l’espace ; mais l’intervalle entre les extrémités des corps, peut signifier aussi l’étendue même des corps. — Ces extrémités elles-mêmes, c’est là la théorie à laquelle Aristote s’arrêtera ; voir plus bas, § 24 ; et il fera de l’espace la limite interne du contenant. — Aucun intervalle possible, le mot d’intervalle a ici quelque chose d’équivoque, et il ne veut pas dire autre chose que l’étendue elle-même.
  462. Il y en a trois, Aristote va examiner successivement chacune des trois premières solutions pour les rejeter, et il adoptera la dernière.
  463. . On pourrait croire qu’il est leur forme, première solution : l’espace est la forme des corps, puisqu’il les enveloppe et les contient. — Les extrémités du contenant et du contenu, voir plus haut, §§ 8 et suiv. — Et se confondent, j’ai ajouté ces mots. — En un même point, comme la forme se confond avec la chose même qu’elle enveloppe et qu’elle détermine.
  464. De la chose dont elle est la forme, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Du corps qui contient la chose, la limite du contenant, il n’y a qu’une seule de ces deux expressions dans le texte ; j’en ai mis deux dans la traduction pour plus de clarté.
  465. Le contenu et le séparable, voir plus haut, § 9. Le vin, qui est le contenu de l’amphore, est séparé de l’amphore qui le contient ; il ne lui est que contigu, et il ne lui est pas continu. — Peut très souvent changer, à la place de l’air c’est de l’eau qui est dans le vase ; à la place de l’eau, c’est le vin, etc. — Subsiste et demeure, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; il faudrait peut-être ajouter : Sans changer, pour que l’opposition fût plus complète. — Est un intervalle, c’est une des solutions indiquées plus haut au § 12. — Qui aurait sa réalité, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  466. Mais cet intervalle n’existe pas, le texte dit seulement Cela n’est pas ; j’ai cru devoir être plus précis. — Les corps qui se déplacent, l’eau succédant à l’air dans le même vase, le vin succédant à l’eau. — Avec le contenant, j’ai ajouté ces mots, qui m’ont paru indispensables. — Dans le vase, même remarque.
  467. S’il y avait réellement un intervalle, Simplicius trouve que ce passage est plus obscur encore que ceux qui précèdent ; et malgré la longue explication qu’il en donne, il ne parvient pas à l’éclaircir. — Toutes les parties feraient dans le tout, c’est en ceci surtout que je trouve l’obscurité ; l’expression est trop vague pour qu’on puisse voir nettement ce qu’elle signifie. L’eau remplit le vase entier et après qu’elle s’est retirée, l’espace qu’elle remplissait subsiste et demeure, selon la théorie que combat Aristote ; de même si ce sont des parties de l’eau qui se retirent au lieu de la totalité de l’eau, chaque partie laissera après elle une partie de l’intervalle même qui subsiste, et comme les parties de l’eau sont divisibles à l’infini, il s’en suivrait que les parties du lieu seront infinies aussi, et qu’en ce sens les lieux seraient infinis. Mais on ne voit pas que ceci conclue contre la théorie qu’Aristote désapprouve ; et loin de là, l’argument paraîtrait au contraire en faveur de la théorie. Les manuscrits d’ailleurs ne donnent ici aucune variante qui puisse lever la difficulté. — Dans le tout, est-ce le tout que forment les parties de l’air ou de l’eau ? Ou bien est-ce tout l’intervalle qu’elles occupent ? Il est évident qu’ici l’expression est tout à fait insuffisante pour la pensée qu’elle veut rendre. On doit du reste entendre par Intervalle l’espace spécialement occupé par le corps et parfaitement égal aux dimensions de ce corps. Il est évident que cet interne subsiste pas après que le corps a été déplacé ; mais ce qui subsiste c’est l’espace en général, dont l’eau ou l’air dans le vase ne remplissent qu’une partie.
  468. L’espace changerait de place, si l’on admet que l’espace est l’intervalle occupé par l’eau ou l’air dans le vase, l’espace changerait de place en même temps que le vase lui-même. — Une foule de lieux coexisteraient, ceci sans doute est impossible ; mais ce ne l’est pas également pour les lieux ; et il y a autant de lieux qu’il y a de corps distincts, sans que d’ailleurs l’espace proprement dit nit éprouvé aucun changement. — Pour un seul corps, j’ai ajouté ces mots qui me semblent nécessaires. Le lieu du corps varierait avec les déplacements mémés du vase qui le contient ; et il suffirait que le vase fût déplacé pour que l’eau renfermée dedans eût un autre lieu ; ce qui n’est pas. C’est du reste ce qui est réfuté dans le § suivant.
  469. Pour la partie, il faut entendre ici le mot de partie dans le sens qu’il a eu plus haut, ch. 5, § 5, lorsqu’on a dit que le vin était une partie de ce tout qu’on nomme une amphore de vin. En ce même sens, l’eau fait partie du vase d’eau qu’on déplace ; et quand le vase vient à être déplacé, l’eau ne change pas pour cela de lieu ; c’est seulement le contenant qui en change, dans l’étendue de l’espace qui comprend le monde entier. — Son lieu reste le même, c’est-à-dire l’amphore dans laquelle est l’eau ou le vin. — Se remplacent et se succèdent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Où ces corps sont renfermés, le texte est moins précis. — Et non pas dans l’espace, le mot d’Espace me semble ici préférable, pour mieux marquer la différence ; mais le grec emploie le même mot pour signifier le lieu et l’espace ; et de cette première confusion, en sortent beaucoup d’autres. — Et ce dernier espace, qui est le lieu secondaire, et non plus le lieu primitif de l’eau contenue dans l’amphore. Voir plus haut, ch. 4, § 1. — L’espace même du ciel entier, c’est là le véritable espace.
  470. On pourrait prendre aussi l’espace pour la matière, l’espace ou le lieu ; c’est une des solutions indiquées plus haut, § 12. — Un corps en repos, la condition du repos n’est pas ici essentielle, et elle n’est relative qu’à l’observation même dont le corps est l’objet. — Non divisé, mais continu, au contraire, cette condition de l’indivisibilité du corps est indispensable. — Il y a en lui quelque chose, ce quelque chose qui subsiste sous les modifications du corps est la matière même de ce corps, sa substance ; voir plus haut, Livre 1, ch. 8, §§ 8 et 9, l’explication de la matière première. — Quelque chose de réel, parce qu’en effet il subsiste en dehors de tous les changements qui se passent en lui, comme le matière subsiste sous toutes les modifications qu’elle reçoit.
  471. Mais il y a cette différence, cette différence entre la matière et l’espace n’est pas la seule ; on en indiquera deux autres encore dans le § suivant. — Ce qui était de l’air, j’ai mis un C majuscule à Ce, de même qu’un L majuscule à l’adverbe de lieu Là, pour mieux marquer la nuance que signale le texte : ici la substance du corps, et là son lieu et la partie d’espace qu’il occupe. — Il y avait de l’air, l’eau, en entrant dans l’amphore, y a remplacé et en a chassé l’air qui y était d’abord ; voir plus haut ch. 2. § 4.
  472. Antérieurement, ch. 4, § 6. — La matière n’est jamais séparée, seconde différence entre la matière et l’espace ou le lieu. L’espace ne fait pas partie de la chose qu’il contient, et il en est séparé. — Elle ne contient jamais cette chose, troisième différence entre la matière et l’espace.
  473. Le contenu, quel que soit d’ailleurs ce corps qui est contenu, soit directement, soit médiatement dans l’espace. — Par déplacement et translation, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Le déplacement peut venir de l’être lui-même, si cet être est doué naturellement du mouvement spontané, ou venir d’une cause extérieure, comme le déplacement de l’eau et du vase.
  474. Il y a grande difficulté, voir plus haut, ch. 1, § 4. — La matière et la forme des choses, cette théorie a été réfutée dans le présent chapitre. — Le contenant qui demeure en place, voir plus haut, § 21. — L’intervalle interposé, voir plus haut, § 16. — L’air semble être incorporel, c’est encore l’opinion vulgaire ; et là où il n’y a que de l’air, on dit communément qu’il n’y a rien. — Entre ces limites, j’ai ajouté ces mots.
  475. Un espace transportable, expression digne de remarque. Peut-être aurait-il mieux valu traduire : « Un lieu transportable. » — Une chose se meut dans un mobile, c’est-à-dire quand un mobile vient à se mouvoir et à changer de place dans un autre mobile, comme, par exemple, quelqu’un qui se meut dans un bateau, pendant que ce bateau se meut lui-même sur la rivière qui le porte. — Comme un bateau sur une rivière, d’après l’explication qui vient d’être donnée, cette expression n’est peut-être pas suffisante ; et il aurait fallu dire : « Comme un passager qui se meut dans un bateau sur une rivière. » — Plutôt comme un vase, le passager est dans le bateau, comme l’eau est dans le vase. — Un lieu et un espace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — L’espace doit être immobile, le texte dit précisément : « L’espace veut être immobile. » Cette nuance est fort délicate, et je n’ai pas trouvé d’équivalent dans notre langue ; il aurait été besoin d’une trop longue périphrase. — Est sans mouvement, ceci n’est pas inexact ; mais il ne s’agit ici que d’une simple similitude.
  476. La limite première immobile du contenant, c’est-à-dire la surface interne du contenant dernier et immobile. Cette définition du lieu ou de l’espace est justifiée par tout ce qui précède ; mais elle n’est peut-être pas très exacte.
  477. Le centre du ciel, le texte dit précisément : « le milieu. » Par le centre ou le milieu, Aristote comprend la terre, sur laquelle se dirigent les graves ; et qu’il regardait avec une partie de l’antiquité comme le centre immobile de l’univers. — Autant que nous pouvons la voir, le texte dit simplement : « Relativement à nous. » L’extrémité de la révolution circulaire ne pouvait être pour les anciens que la limite extrême de la révolution des corps célestes visibles à l’œil nu ; et c’est en ce sens qu’il faut entendre tout ce qui va suivre. — Et c’est le centre lui-même, en d’autres termes la terre, où s’arrêtent les graves dans leur chute naturelle. Ainsi d’un côté la terre est la limite extrême de l’espace. — La limite qui est à l’extrémité, de la révolution circulaire. — Et c’est l’extrémité elle-même, cette extrémité n’est pas aussi sensible que la terre ; et pour Aristote c’est celle où peut s’arrêter notre vue, quand elle regarde dans les cieux ; mais il est remarquable qu’il limite l’espace dans les deux sens ; et, par conséquent, il semble ne pas le concevoir comme infini.
  478. . Une sorte de surface, concave, puisque dans cette théorie l’espace enveloppe les choses qu’il contient. — Contenir et envelopper, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  479. . En quelque façon, la restriction est nécessaire ; car il semble, au contraire, évident que l’espace peut exister indépendamment de tous les corps qu’il renferme, et Aristote l’a plusieurs fois reconnu lui-même dans le cours de toute cette discussion ; seulement il confond souvent le lieu et l’espace ; et il est vrai alors qu’en tant que lieu, l’espace coexiste à la chose dont il est le lieu. — Les limites coexistent au limité, c’est exact, en ce sens que les limites du corps disparaissent avec le corps lui-même ; mais l’espace n’est pas la limite du corps, comme la surface ou la ligne qui le détermine et lui donne sa forme.
  480. Dans un lieu, dans l’espace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Qui n’en a pas, qui n’a pas extérieurement un autre corps dont il soit enveloppé. Aristote fait sans doute cette remarque pour répondre à l’objection de Zénon rapportée plus haut, ch. 5, § 10 ; l’espace n’est pas dans l’espace, puisqu’après l’espace il n’y a plus de corps qui puisse l’envelopper, comme lui-même enveloppe les corps qu’il renferme. Ces corps sont bien dans un lieu ; mais l’espace n’y est plus.
  481. Même en supposant que l’eau formait l’univers, c’est le sens dans lequel la plupart des commentateurs ont compris ce passage ; et le contexte semble prouver que ce sens est bien le véritable ; mais d’autres commentateurs ont compris que ceci faisait allusion à l’observation citée plus haut, ch. 2, § 1, de l’eau prenant dans le vase la place de l’air auquel elle succède. Le texte d’ailleurs dit simplement : « Quand bien même l’eau deviendrait telle. » L’expression est certainement bien vague, et peut prêter à des interprétations diverses. — Ses parties, il faut entendre les parties de l’univers plutôt que celles de l’eau, quoiqu’ici la chose revienne à peu près au même, d’après l’hypothèse que l’on fait suivant le système de Thalès. — L’ensemble universel des choses, mot à mot : « Le tout. » — En un sens il se meut, en tant que les parties qui le composent peuvent se mouvoir. — En un autre sens il ne se meut pas, pris dans sa totalité, puisque le mouvement ne peut avoir lieu que par un changement de place, et que l’univers ne peut aller ailleurs qu’où il est. — Il peut avoir un mouvement circulaire, c’est qu’alors il ne s’agit encore que des parties du ciel, quelque grandes qu’elles soient ; mais le ciel entier, l’univers ne peut qu’être immobile, par la raison même qui vient d’en être donnée.
  482. Il y a des parties du ciel, Aristote veut parler évidemment du mouvement des grands corps célestes, qui ont, en effet, un mouvement à peu près circulaire, ou du moins elliptique. — Qui peuvent devenir plus denses ou plus légères, ou simplement : « Qui sont denses ou légères ; » mais il y a dans l’expression grecque la nuance que j’ai essayé de rendre dans la traduction.
  483. Ainsi que je l’ai déjà dit, voir plus haut, ch. 5, § 3. — Dans un lieu, dans l’espace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Qu’en puissance, c’est-à-dire qu’elles pourraient être aussi dans un lieu ; mais elles sont d’abord et primitivement dans le tout dont elles font partie ; et comme ce tout est dans l’espace, elles y sont elles-mêmes médiatement. — Y sont en acte, c’est-à-dire comme des corps distincts, et subsistant par eux-mêmes. — De parties homogènes, ou plutôt de parties similaires. — Reste continu, et qu’il ne forme pas plusieurs touts séparés. — Ne sont dans un lieu qu’en puissance, parce qu’elles sont directement dans le tout, qui lui-même est dans un lieu. — Comme les grains d’une masse de blé, le texte n’est pas aussi précis. Cet exemple, qui n’est peut-être qu’une glose, éclaircit d’ailleurs fort bien la pensée. Elles y sont en acte, et indépendamment de tout autre corps qui peut être dans l’espace ainsi qu’elles.
  484. Qui sont en soi, c’est-à-dire directement et par elles-mêmes, sans y être par l’intermédiaire d’un autre. — Dans l’espace, dans un lieu, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Par translation, c’est-à-dire par un changement complet de lieu et par un déplacement. — Par simple accroissement, sans changer de lieu et sur place. — Comme je viens de le dire, plus haut, § 5. — N’est point tout entier quelque part, l’univers est dans lui-même et ne peut pas être ailleurs. — Puisqu’aucun corps ne l’embrasse, voir plus haut § 4. — En tant qu’il se meut, il vient d’être dit un peu plus haut, § 5, qu’en un certain sens le ciel se meut, puisqu’il y a en lui des parties qui se meuvent. — Sont à la suite l’une de l’autre, et forment, par conséquent, un tout continu, où elles ne sont véritablement qu’à l’état de parties, bien qu’elles semblent avoir un mouvement indépendant, en tant qu’elles sont des corps. — Non en soi, mais, j’ai ajouté ces mots afin de mieux marquer la différence. Après avoir établi que certaines choses sont par elles-mêmes et directement en soi dans l’espace, Aristote ajoute que certaines choses ne sont dans l’espace que par accident, c’est-à-dire non plus par elles-mêmes et en soi, mais indirectement par l’intermédiaire de certaines autres choses. Ainsi, l’âme n’est dans l’espace qu’indirectement, parce qu’elle est dans le corps, lequel est lui-même dans l’espace ; et le ciel est dans l’espace aussi, parce que quelques-unes de ses parties y sont en tant qu’elles sont mobiles. Mais le ciel entier ne peut pas y être, puisque c’est lui qui fait en quelque sorte l’espace en le remplissant tout entier. Ainsi l’âme et le ciel ne sont pas en soi dans l’espace, dans le lieu ; ils n’y sont qu’indirectement et comme on vient de le dire. — Les parties si nombreuses du ciel, le texte dit : « Toutes les parties du ciel, » — Qu’à certains égards, voir plus haut, § 5. — Dans le cercle, une partie en enveloppe une autre, il faut entendre ici par le cercle la sphère entière du monde, où la révolution d’un des corps célestes est enveloppée par la révolution plus grande d’un autre corps. — Le haut du ciel, le texte dit simplement : « Le haut ». Il faut entendre par là la partie du ciel et de l’univers où se meuvent les corps célestes, ou plutôt les planètes au-dessus de la terre. — N’a qu’un mouvement circulaire, plusieurs manuscrits disent seulement : « A un mouvement circulaire. » — L’univers, le tout, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.— Ne peut être en un certain lieu, ou l’espace. — Pour qu’un objet soit dans un lieu, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Du tout et de l’univers, il n’y a qu’un seul mot dans le grec. — Il ne peut rien y avoir, ceci est rationnellement évident ; et l’univers ne serait plus le tout, l’univers, s’il y avait quelque chose en dehors de lui.
  485. Sont-elles dans le ciel, le ciel veut dire ici l’espace infini. — Sans la moindre exception, j’ai ajouté ces mots pour rendre toute la force de l’expression grecque. — Car le ciel c’est l’univers, ceci n’est peut-être pas exact, si, par le ciel, on entend toute cette partie du monde visible à nos yeux ; il est clair qu’au-delà des bornes de notre vue, le monde continue et s’enfonce dans l’infini, dont notre faible intelligence ne peut même supporter la pensée. — À ce qu’on peut supposer, cette réserve et ce doute font grand honneur à la sagacité du philosophe. — Le lieu n’est pas le ciel, entendez : Tout le ciel, le lieu n’étant qu’une partie du ciel. — La limite immuable, voir plus haut, ch. 6, § 28, la définition résumée de l’espace. — Au corps qui est en mouvement, et qui par conséquent est seul vraiment dans le lieu.
  486. La terre est dans l’eau, ceci veut dire que la terre est entourée d’eau ; et c’est là une notion qu’acceptent très bien la géographie et l’astronomie de nos jours ; mais la terre n’est pas dans l’eau comme l’eau est dans l’air, puisque l’air enveloppe de toutes parts et circulairement cette masse de terre et d’eau qui forme notre globe. — L’eau est dans l’air, en ce sens que notre globe formé en grande partie d’eau est dans l’air, où il se soutient et fait sa révolution ; mais Aristote, tout en plaçant la terre dans l’air, ne l’en croit pas moins immobile et la prend pour le centre du monde. — Dans l’éther, voir sur l’éther la Météorologie, Livre I, ch. 3, p. 329, b, 21, édit. de Berlin. — Le ciel, l’univers, n’est plus dans autre chose, il est évident qu’il faut arriver définitivement à quelque chose qui est en soi-même, et qui n’est plus dans une autre chose qui le contienne et l’enveloppe.
  487. On résout toutes les questions, ces questions ont été posées plus haut dans le ch. 3. — Que le lieu s’étende avec le corps, voir plus haut ch. 3, § 7. — Que le point ait un lieu, voir plus haut, ch. 3, § 3. — Ni que deux corps soient dans un seul et même lieu, voir plus haut, ch. 3, § 2 — Ni que l’espace soit un intervalle corporel, voir plus haut, ch. 3, § 4. « Un intervalle corporel, » veut dire à proprement parler : Un corps ayant les trois dimensions, longueur, largeur et épaisseur, et c’est peut-être ainsi que j’aurais dû traduire.— Dans le lieu, dans l’espace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — L’intervalle d’un corps, c’est-à-dire les simples limites du corps, sans la substance et la matière même de ce corps. — Le lieu lui-même est bien quelque part, ceci répond à l’objection de Zénon rapportée plus haut, ch. 3, § 6, et aussi ch. 5, § 10. — Comme la limite est dans le limité, ceci n’est pas tout à fait exact ; car la limite fait partie du limité, tandis que l’espace ne fait point partie des corps, qu’il limite en les enveloppant. La limite n’est à vrai dire que la forme, qui est continue au corps, tandis que l’espace ne lui est jamais que contigu. — Nécessairement, j’ai ajouté ce mot. — Susceptible de mouvement, soit que ce corps ait le mouvement par lui-même, soit qu’il le reçoive d’un autre être, ou d’une cause extérieure.
  488. Chaque élément, c’est-à-dire chacun des quatre éléments : la terre, l’eau, l’air, le feu. Les considérations qui vont suivre, et qu’on pourrait appeler cosmologiques, se rattachent au fond à celles qui précèdent ; mais cependant il eût été bon de montrer plus clairement l’enchaînement des pensées. — Qui vient à sa suite et qui le touche, ceci se rapporte aux idées que les anciens se faisaient de la disposition des éléments entr’eux. Ils supposaient que la terre occupait la partie la plus basse et le centre ou milieu ; l’eau venait ensuite, ayant avec la terre une certaine affinité par sa pesanteur, et avec l’air par sa liquidité, et sa vaporisation ; l’air à son tour avait une certaine affinité par son humidité avec l’eau, et avec le feu par sa légèreté. Ainsi, chaque élément se trouvait en contact avec un élément qui lui était homogène, ou à peu pris homogène. — Sans subir de violence, c’est-à-dire en ne suivant que le cours naturel et ordinaire des choses. — Qui ont une nature identique, le feu n’agit pas sur le feu, l’eau n’agit pas sur l’eau, etc. — Elles se touchent, dans le sens où l’on vient de dire que l’eau touche la terre, que l’air touche l’eau, etc.
  489. C’est par des lois aussi naturelles et aussi sages, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Que chaque élément en masse demeure dans le lieu qui lui est propre, dans le § précédent, il a été expliqué comment chaque élément se porte dans le lieu qui lui est propre ; on explique dans celui-ci comment chaque élément demeure aussi dans le lieu qui lui est propre, si une force étrangère ne vient le dévier de sa tendance naturelle. — Et telle partie, il faut entendre par ceci les différents éléments dont la réunion forme la totalité de l’univers. — D’un élément, j’ai ajouté ces mots. [supprimés par la suite] — Duquel elle est détachée, même remarque. Ces additions, dont la pensée est implicitement dans le texte, m’ont semble indispensables pour éclaircir ce passage dont l’obscurité a donné beaucoup de peine aux commentateurs. — Quand on met en mouvement et qu’on déplace, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — L’eau est la matière, parce qu’elle est enveloppée par l’air, comme la matière est enveloppée par la forme, qui la détermine. — L’air est la forme, parce qu’il enveloppe l’eau. — L’eau est la matière de l’air, d’abord dans le sens où il est dit ici que l’air enveloppe l’eau, et aussi peut-être en ce sens plus éloigné où l’eau en se vaporisant peut devenir de l’air. — En quelque sorte, cette restriction paraît en effet nécessaire. — L’acte de l’eau, comme la forme est l’acte de la matière. — En puissance, puisque l’eau peut se changer en air, quand elle se vaporise. — Un autre point de vue, c’est-à-dire que l’air en se condensant peut devenir de l’eau. — Plus tard, ce n’est pas dans la Physique qu’Aristote revient sur ces matières ; mais il les étudie, soit dans la Météorologie, soit dans le Traité de la production et de la destruction. — Dans la suite, ceci semblerait se rapporter au reste de la Physique. — Ici, j’ai ajouté ce mot. — Matière et acte, en d’autres termes la matière et la forme, la matière n’étant qu’en puissance, et la forme seule étant en acte. — Le rapport, de l’eau à l’air. — En quelque sorte, restriction indispensable. — Les deux éléments, c’est-à-dire l’air et l’eau ; voir plus haut, § 12. — En acte les deux n’en font plus qu’un, quand l’eau s’est changée en air, ou réciproquement l’air en eau, et que leur nature est devenue identique.
  490. Telle est notre théorie, résumé de toute la discussion précédente commencée avec ce livre. Aristote va passer à la discussion du vide, qu’il a annoncée, comme celle de l’infini et de l’espace, plus haut, Livre III, ch. 1, § 1. L’infini, l’espace, le vide et le temps sont les quatre questions qu’il faut préalablement éclaircir, afin de bien comprendre celle du mouvement.
  491. Employée pour l’espace, on peut voir dans les chapitres précédents quelle est cette méthode. — Doit étudier le vide, plus haut, Livre III, § 1, l’étude du vide a été annoncée avec celles de l’espace et du temps, comme devant précéder celle du mouvement. — Si le vide est ou n’est pas, ce sont des questions semblables qu’Aristote s’est posées sur l’espace et sur l’infini. Voir plus haut, ch. 1, § 1, et Livre III, ch. 4, § 1. — Les mêmes doutes ou les mêmes convictions, Aristote, en effet, a montré pour l’infini et pour l’espace les deux côtés de la question ; et il a présenté les arguments en sens contraires, soit pour soutenir soit pour nier l’espace et l’infini. — Les systèmes dont il a été l’objet, Aristote exposera en partie ces systèmes dans le présent chapitre. — Ceux qui croient au vide, comme Démocrite, Leucippe et Mélissus, cités un peu plus bas, §§ 3 et 5. — De vase et de récipient, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Contient le corps qu’il est susceptible de recevoir, comme le vase cité plus haut, ch. 2, § 1, peut recevoir tour à tour l’eau ou l’air qui le remplit. — Une simple différence de manière d’être, selon qu’il y a dans cet espace un corps qui le remplit, ou qu’il n’y a pas de corps.
  492. Il faut recueillir d’abord, c’est la méthode constante d’Aristote, et on peut la retrouver dans la Politique, dans le Traité de l’âme, dans la Métaphysique, comme on la retrouve dans toute la Physique. — De ceux qui croient à l’existence du vide, voir plus loin, § 4. — De ceux qui nient l’existence du vide, c’est par là qu’Aristote va commencer, au § suivant, l’examen des opinions ultérieures. — Les opinions communément répandues, je crois que le contexte autorise ce sens ; quelques commentateurs ont compris qu’il s’agissait des opinions qui sont communes tant à ceux qui admettent le vide qu’à ceux qui le nient.
  493. Ont le tort de ne point attaquer précisément, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — L’idée que les hommes se font généralement, ce sont là les opinions communément répandues sur le vide. — Les définitions erronées, dans les théories qu’ils soutiennent. — Anaxagore, voir les opinions d’Anaxagore sur l’infini, plus haut, Livre III, ch. 7, § 23, — Et ceux qui l’imitent, il est regrettable qu’Aristote n’ait pas nommé ces philosophes. — L’existence de l’air et toute la puissance de l’air, cette expérience est assez remarquable quoique fort simple ; et elle prouve que l’esprit grec était sur la véritable voie de l’observation dans les sciences. — En pressant des outres, c’est-à-dire ou des vessies, ou des ballons que l’on gonflait et qu’on dégonflait à volonté. — Et en le recevant dans des clepsydres, les clepsydres dont il est parlé ici étaient des instruments d’arrosage ; en en bouchant l’orifice, on empêchait qu’elles ne pussent s’emplir dans l’eau où on les plongeait ; elles s’emplissaient, au contraire, dès qu’on laissait l’orifice ouvert pour que l’air intérieur pût s’échapper, et que l’eau le remplaçât, Ce phénomène est décrit tout au long dans des vers fort curieux d’Empédocle, qu’Aristote a cités dans le Traité de la Respiration, ch. 7, p. 368 de ma traduction. Empédocle peut sans doute être rangé parmi ceux qui pensaient sur le vide comme Anaxagore. — L’opinion vulgaire des hommes, voir plus haut, § 2. — Aucun corps perceptible aux sens, cette définition pourrait être exacte, si l’on n’allait point jusqu’à dire que l’air n’est point un corps. De nos jours, on fait le vide dans nos machines pneumatiques précisément en retirant l’air que le récipient peut contenir, et le vide se produit parce qu’il n’y a plus aucun corps dans l’espace. — Tout ce qui existe a un corps, c’est une idée très vulgaire encore aujourd’hui, et qui n’est guère moins répandue que du temps d’Aristote, toute fausse qu’elle est. Seulement elle l’est peut-être un peu moins parmi les philosophes. — N’est pas de démontrer que l’air est quelque chose, c’est en cela que la réfutation d’Anaxagore ne porte pas sur le point précis de la discussion. — D’étendue, d’intervalle, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Qui pénètre tout corps, et qui y fasse des interstices, comme cela est visible dans les corps poreux. — N’est plus continu, et n’est qu’un composé de parties contiguës les unes aux autres. — Démocrite et Leucippe, presque toujours ces deux noms sont réunis, et le disciple ne paraît point avoir en d’autres opinions que celles de son maître. — Hors du corps entier qui reste continu, ce passage peut avoir un double sens ; ou il s’agit du corps dans l’acception vulgaire du mot, et alors on suppose qu’il y a du vide à l’intérieur des corps et entre leurs molécules ; ou bien il s’agit du vide qui est en dehors du monde, tel qu’Aristote et les anciens le concevaient, et que remplit alors l’espace infini. — Posé le pied sur le seuil de la question, il y a dans le texte une métaphore tout à fait analogue. Cette expression est d’autant plus remarquable qu’Aristote n’en a presque jamais de pareilles.
  494. Ceux qui affirment l’existence du vide, Démocrite et Leucippe qui viennent d’être cités, et sans doute aussi en général tous les philosophes de l’École d’Ionie. — De la vérité, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — « C’est que sans le vide, » j’ai mis des guillemets à tout ce passage, parce qu’il résulte de la tournure de la phrase grecque qu’Aristote prête ces arguments aux philosophes qu’il cite, en analysant leur doctrine, — Le déplacement ou l’accroissement sur place, l’opposition n’est pas aussi marquée dans le texte grec. Voir plus haut, ch. 6, § 5. — Le plein évidemment ne peut rien admettre, et de là l’impénétrabilité des corps. — Quel qu’en fût le nombre, ou même : Quelle qu’en fût la dimension. — Cessât d’être admissible, et pourquoi, si deux corps peuvent être dans un seul et même lieu, il n’y en aurait pas trois, quatre, etc. — Le plus petit pourrait alors, cette conséquence absurde n’est pas aussi évidente que la première, et la pensée ici aurait eu besoin de quelques développements. — De beaucoup de petites choses, qu’on accumulerait dans un seul et même lieu, puisqu’on suppose qu’un seul et même lieu peut recevoir plusieurs corps simultanément.
  495. Que l’univers est immobile, voir plus haut, Livre I, ch. 2, § 4 ; mais dans ce dernier passage, il est plutôt question de l’être individuel que de l’ensemble des êtres et de l’univers. — Mais le vide ne compte pas, l’argumentation n’est pas complète, et il faudrait ajouter que le vide n’existant pas, le mouvement ne peut pas exister davantage.
  496. Ces philosophes, Démocrite, Leucippe, et en général les Ioniens. — Démontrent d’une première façon, c’est moins une démonstration qu’une affirmation. — D’une autre manière, par l’observation des faits et non plus par la simple logique. — Se rapprocher, ce serait peut-être plutôt : « Entrer l’une dans l’autre. » — Le vin avec les outres, l’expression est ici trop concise, et elle ne se comprend pas très bien. Il faut entendre qu’il s’agit d’abord d’un tonneau plein de vin ; le vin ensuite est mis dans des outres, et les outres pleines de vin peuvent encore tenir dans le même tonneau. Ainsi le tonneau contient le vin augmenté de l’épaisseur des outres ; le vin s’est donc contracté sur lui-même, et il a fait place au corps nouveau que le tonneau renferme sans avoir changé de dimensions. — Dans les vides qui se trouvent à son intérieur, l’explication serait plausible, si elle était exacte ; mais on sait que les liquides ne peuvent être comprimés ; et l’observation qui est rapportée ici, ne peut pas être juste, si toutefois j’ai bien compris l’exemple que cite Aristote. Voir les Problèmes, section 25, 1, 2, 3, p. 937, b, 35, édit. de Berlin.
  497. Dans un autre ordre de faits, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Qu’à la condition du vide, cette observation paraît bien, comme la précédente, appartenir à Démocrite et à l’École d’Ionie. — Du vide, il faut ajouter : Qui est « l’intérieur, » comme le prouve l’exemple qui suit. — Sont un corps, c’est vrai ; mais les transformations que les aliments subissent par l’absorption les font changer tout à fait de nature ; car autrement le corps s’accroîtrait d’une manière démesurée, et la nutrition ne se ferait pas.
  498. Enfin,… de l’existence du vide, le texte est moins formel. — Le phénomène de la cendre, c’est encore là une expérience qui prouve que le génie des anciens était sur la véritable voie des sciences. Aristote en parle de nouveau dans les Problèmes, sec. 25, 8, p. 938, b, 27, Ed. de Berlin.
  499. . Les Pythagoriciens, cette doctrine se rapproche en partie de celle des Ioniens. — Par l’action du souffle infini, ceci aurait eu besoin de plus d’explication, et il est à regretter qu’Aristote ne soit pas entré ici dans plus de détails ; mais il est probable que, de son temps, c’était inutile. — Le ciel qui a une sorte de respiration, cette singulière théorie tient à ce que les Pythagoriciens regardaient le monde comme un grand animal, et la première fonction qu’il fallait lui attribuer, pour qu’il vécût, était celle de la respiration. Il reste quelque chose de cette physique dans le Timée de Platon ; voir la traduction de M. V. Cousin, p. 423. — Les natures, j’ai conservé le mot du texte ; mais ici Les natures signifient évidemment Les éléments. Selon les Pythagoriciens, le vide est destiné à séparer les éléments entr’eux, et sans le vide, ils seraient continus. — Qui se suivent, ceci veut dire que l’eau vient après la terre, l’air après l’eau, et le feu après l’air. — Le vide se trouve primitivement dans les nombres, cette théorie doit paraître au moins aussi singulière que les précédentes ; et il est difficile de voir quel rapport le vide peut avoir avec les nombres. — Et abstraite, j’ai ajouté ces mots.
  500. Tel est à peu près l’ensemble, après avoir exposé les théories des autres, Aristote va maintenant exposer la sienne, et nier l’existence du vide.
  501. . Ce que veut dire le mot lui-même, il semble que ceci répond aux « opinions communément répandues sur le vide », dont Aristote a parlé plus haut, ch. 8, § 2, et sur lesquelles il se proposait de revenir, après avoir exposé les systèmes divers pour ou contre l’existence du vide.
  502. En général, on entend par le vide, voir plus haut, ch. 8, § 3.
  503. On regarde toujours l’être, on croit que tout ce qui est doit avoir un corps ; et ce qui n’a pas de corps paraît ne pas pouvoir exister. — Que tout corps… est tangible, plus haut ch. 8, § 3, il a été dit d’une manière plus générale, non pas tangible, mais perceptible aux sens. Cette dernière expression est plus exacte. — Pesanteur ou légèreté, l’expérience citée plus haut, de l’air sortant des outres ou des clepsydres, ch. 8. § 3, aurait dû montrer qu’il y a des choses qui ont une certaine légèreté, et qui cependant ne soit pas sensibles au toucher. — Nous l’avons dit antérieurement, plus haut ch. 8, § 3.
  504. Que le point est le vide, attendu que le point n’ayant aucune dimension, longueur, largeur ni profondeur, on peut dire qu’il n’y a rien dans le point pas plus que dans le vide. — L’étendue, le texte dit : « l’intervalle. ».
  505. Semble vouloir dire, cette tournure dubitative veut exprimer sans doute qu’Aristote ne partage pas cette opinion. — Et sensible au toucher, c’est la répétition de ce qui vient d’être dit au § 3.
  506. Si l’étendue avait ou une couleur ou un son, c’est-à-dire si le corps, au lieu d’être perceptible au toucher, l’était seulement à la vue ou à l’ouïe. La pensée n’est pas d’ailleurs aussi nette qu’on pourrait le désirer ; et il est difficile de comprendre qu’une surface colorée pût exister sans un corps perceptible au toucher, ou qu’un son pût se produire sans un corps matériel qui en serait la première cause. — Croirait-on alors que c’est du vide, c’est-à-dire parce que l’étendue serait pleine de couleur et de son, selon l’hypothèse qu’on fait ici, doit-on dire qu’elle est pleine ou qu’elle est vide ? — Ou bien est-il clair, c’est la formule habituelle qu’Aristote adopte quand il présente les réponses aux objections qu’il fait lui-même ; mais cette formule n’est pas sans quelqu’obscurité. — Si l’étendue pouvait recevoir, qu’on supposait tout à l’heure pleine de couleur et de son. On dirait que cette étendue est du vide, si elle pouvait recevoir un corps matériel et tangible, selon le système qui vient d’être exposé ; ou bien on dirait que ce n’est pas du vide, si elle ne pouvait recevoir aucun corps.
  507. En un autre sens, cette seconde acception est légèrement différente de la première ; mais la différence pouvait être plus fortement marquée. — Aucune substance corporelle, ceci semble se rapprocher beaucoup du corps tangible dont il vient d’être question. Mais sans doute il faut comprendre par Substance corporelle la substance qui a reçu la forme d’un corps déterminé ; et alors le vide serait l’espace où il n’y a pas encore de substance à forme distincte et précise. Cette explication fait mieux comprendre ce qui suit.
  508. . Des philosophes, il est possible qu’il y ait ici une allusion cachée à quelques passages du Timée de Platon. Les commentateurs grecs ne disent pas quels sont les philosophes que critique Aristote. — L’espace avec la matière, voir plus haut, ch. 4, § 6, et ch. 6, § 21. — N’est pas séparable des corps, c’est un des arguments qui ont été donnés plus haut pour démontrer que l’espace ne peut être la matière des corps.
  509. Après avoir étudié l’espace, dans les sept premiers chapitres de ce livre. — Et démontré que le vide, voir plus haut, ch. 8, § 1. — Comment l’espace est et n’est pas, voir plus haut, ch. 7. — Dans ce sens, c’est-à-dire dans le sens où ceci a été soutenu de l’espace. — L’intervalle du corps, soit que l’on considère l’intérieur du corps ou l’on suppose le vide entre les diverses parties, soit que l’on considère le rapport des différents corps entr’eux. L’expression du texte est indéterminée comme ma traduction. — Le mouvement dans l’espace, le déplacement, qui semble plus spécialement un mouvement que toutes les autres espères de mouvement. — Quelque chose de distinct des corps, voir plus haut, ch. 4, § 1. — Et par ceux qui soutiennent, voir plus haut, ch. 8, §§ 6 et suiv. — Est la cause du mouvement, cette expression serait très inexacte sans la restriction qui la suit.
  510. Parce que le mouvement existe, ce sera l’opinion d’Aristote, que le mouvement peut avoir lieu sans le vide. — Pour la cause de toute espèce de mouvement, dans le sens où l’on vient de dire au § précédent que l’espace est cause du mouvement. — Qui a échappé à Mélissus, voir plus haut, ch. 8, § 5. Mélissus prétendait que l’univers est immobile parce qu’il n’y a pas de vide, et que sans le vide le mouvement n’est pas possible. Il semble donc que Mélissus ne comprend le mouvement que par le déplacement dans l’espace ; mais ce n’est pas là la seule espèce de mouvement ; et si Mélissus eût remarqué qu’il y a cette autre espèce de mouvement qu’on appelle l’altération et qui est le mouvement dans la qualité, il n’aurait pas soutenu qu’il n’y a pas de mouvement parce qu’il n’y a point de vide. — Changer par une simple altération, c’est la force de l’expression grecque. Voir pour le mouvement d’altération dans la qualité, les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction.
  511. Se remplacent réciproquement les uns les autres, en se succédant sans qu’il y ait de vide entr’eux. — Un intervalle, qui serait le vide. — Solides et continus, le texte dit seulement : Continus ; le second mot m’a paru nécessaire comme étant mieux opposé à celui de liquides. — Dans celles des corps liquides, en supposant, par exemple, que dans un vase on agite et l’on fasse tourner l’eau qu’il contient. Cette théorie, d’ailleurs est très contestable.
  512. . Sans que ce soit dans le vide, voir plus haut, ch. 8, § 6. — Certaines parties qu’ils contiennent, le texte dit seulement : « qu’ils contiennent. » — S’échappe de l’eau quand on la presse, ceci doit s’entendre sans doute des outres que l’on comprime ; voir plus haut, ch. 8, § 3.
  513. Les corps peuvent s’accroître, voir plus haut, ch, 8, § 7, l’argument pour l’existence du vide tiré de la croissance des corps animés. — L’eau devenant air, il s’agit sans doute ici de la vaporisation de l’eau, qui, sous sa forme nouvelle, tient plus de place que sous l’ancienne.
  514. L’eau versée dans la cendre, voir plus haut, ch. 8, § 8. — L’on arrive à dire, quand on soutient que l’accroissement des corps par la nutrition ne peut avoir lieu qu’à la condition du vide. — Que toute partie du corps ne s’accroît pas, parce que certaines parties du corps sont nécessairement pleines, et que si l’accroissement ne se fait qu’à la condition du vide, celles-là ne peuvent pas s’accroître ; or, il est certain que l’alimentation accroît le corps tout entier, et non pas seulement certaines parties du corps. — Ou que rien ne s’accroît matériellement, ou comme le dit le texte : par un corps : ce qui ne serait pas moins absurde que de dire que toutes les parties du corps qui s’accroît sont vides. — Ou que deux corps peuvent être dans le même lieu, si l’on admet que certaines parties du corps sont pleines, et qu’elles ne s’en accroissent pas moins. — Une objection vulgaire et commune, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Est tout entier nécessairement vide, impossibilité plus évidente encore que les autres ; il faudrait que le corps tout entier fût vide, puisqu’il s’accroît tout entier, et qu’on suppose qu’il n’y a d’accroissement possible qu’à la condition du vide. — Le même raisonnement, c’est-à-dire que les impossibilités qui viennent d’être énumérées relativement à l’accroissement des corps, seraient également opposées à l’explication par le vide du phénomène de la cendre ; voir plus haut, ch. 8, § 8.
  515. Les explications qu’on a données, voir plus haut tout le ch. 8.
  516. Ainsi qu’on l’a parfois soutenu, voir plus haut, ch. 8, § 3. Le présent chapitre et le suivant seront consacrés à démontrer que le vide ne peut exister par lui-même et séparément des choses. Les autres chapitres démontreront qu’il ne peut pas être davantage dans les choses elles-mêmes, et que par conséquent le vide n’existe pas.
  517. Si pour chacun des corps simples, les quatre éléments comme les comprenait l’antiquité : la terre, l’eau, l’air et le feu. — Une tendance naturelle, le texte dit précisément : « Une translation ». — Vers le centre, ou le milieu. — Il est clair que le vide ne peut pas être en cause, cette conclusion purement logique n’est peut-être point aussi exacte qu’elle le paraît. La chute des graves dans le vide de la machine pneumatique prouve que le vide, s’il n’est pas la cause de cette chute, n’est pas cependant sans influence sur elle, puisque dans le vide les corps les plus légers tombent aussi vite que les plus pesants. Mais l’antiquité n’en était point encore à faire ces curieuses expériences. — Puisqu’on paraissait croire, soir plus haut, ch. 8, § 4. On n’affirmait pas précisément que le vide est la cause du mouvement ; mais on disait que sans le vide le mouvement n’était pas possible. — En réalité cependant, il ne l’est pas, et, par conséquent, le vide n’existe pas, puisqu’il n’est cause de rien.
  518. Quelque chose comme l’espace privé de corps, c’est la définition du vide qui a déjà été indiquée plus haut, ch. 2, § 5. — Dans toutes les parties du vide, l’objection opposée ici à l’existence du vide est tout à fait analogue à celle qui a été déjà opposée à l’existence de l’espace : voir plus haut, ch, 3, § 7, et ch. 6, § 8. Mais ici la pensée est trop peu développée, et à cause de cela même elle n’a pas toute la clarté désirable. — Dans quelle direction, le texte dit simplement : . — Emporté, il y aura nécessairement une partie du vide où le corps sera porté ; et alors, pourquoi dans cette partie plutôt que dans toute autre ? Voir plus haut, ch. 3, § 7, la même discussion sur l’espace. — Est quelque chose de séparé, il semble bien pourtant que c’est là l’opinion même d’Aristote. Voir plus haut, ch. 6, § 16. — Le même raisonnement, qu’on appliquait, voir plus haut, ch, 7, § 12. — En font de l’espace, de l’espace privé de corps, ainsi qu’on vient de le dire.
  519. Mais alors comment la chose, ce passage est d’une obscurité qui a résisté à tous les efforts des commentateurs. Simplicius n’a pas dans les exemplaires qu’il consulte la phrase qui suit : « Il est impossible… dont elle fait partie ». Il remarque seulement qu’elle se trouve dans quelques manuscrits ; mais il semble penser qu’il vaut mieux la retrancher. — Qu’elle soit dans l’un ou l’autre, le texte dit simplement « C’est impossible. » — Qui forme un corps séparé et permanent, c’est la leçon que Simplicius avait eue sous les yeux, bien qu’il supprime toute la phrase où elle se trouve. Saint Thomas, non plus qu’Albert-le-Grand, ne semblent pas avoir la moindre difficulté à expliquer ce passage ; mais les explications qu’ils donnent ne sont pas plus satisfaisantes que le passage lui-même. Voici le sens général qui me paraît le plus acceptable. Aristote veut prouver que le vide n’existe pas plus que l’espace en tant que corps séparé, et il rappelle contre le vide les arguments donnés contre l’espace, avec lequel le vide se confond. Puis il ajoute : « Si la chose ne peut être ni en mouvement ni en repos dans le vide et l’espace, comment y sera-t-elle ? Si l’on suppose qu’une chose soit tout entière dans le vide ou l’espace, il faut que ses parties y soient comme le tout : mais les parties sont dans le tout et non pas dans l’espace ». Donc le tout lui-même n’est pas non plus dans l’espace, ou le vide pris en tant que corps séparé et permanent. J’avoue que cette argumentation est très loin de me satisfaire ; et je ne me flatte pas d’avoir été dans cette explication plus heureux que mes prédécesseurs.
  520. . En ce sens, j’ai ajouté ces mots qui me paraissent indispensables, puisqu’Aristote admet l’existence de l’espace « en tant que limite première immobile du contenant. » Voir plus haut, ch. 7, § 28, cette définition de l’espace.
  521. . Par cela même qu’on admet le mouvement, voir plus haut, ch. 8, § 4. — Le mouvement n’est plus possible, l’assertion peut être vraie ; elle n’est pas démontrée, et Aristote ne fait qu’affirmer l’opinion qu’il soutient. Le seul argument qu’il donne à la fin du § n’est pas suffisant. — Il y a des philosophes, Simplicius croit qu’il s’agit ici de Platon, et il cite un passage qu’il attribue au Timée ; mais c’est une erreur, et ce passage se trouve dans le Phédon, p. 303 de la traduction de M. V. Cousin. — À cause de l’égalité de la pression, le texte n’est pas aussi explicite ; j’ai cru pouvoir le compléter d’après le passage du Phédon. — Il ne présente plus aucune différence, cet argument purement logique pouvait paraître excellent au temps d’Aristote ; et on l’eût fort étonné en lui faisant voir qu’il y a dans le vide de grandes différences, puisque si les graves peuvent encore y tomber, le feu ne peut plus y monter en haut, et y subsister. Pour que cet argument contre le vide fût plus fort, il eût fallu démontrer que les lois naturelles qui régissent les éléments cessaient d’y être applicables.
  522. Ou forcé ou naturel, c’est la division habituelle du mouvement ; nous la retrouverons très souvent dans les quatre derniers livres de la Physique. — Le mouvement forcé est contre nature, ceci est presqu’une tautologie. — Ne vient qu’après, logiquement et chronologiquement. — Aucune autre espèce de mouvement, il semble qu’après le mouvement naturel, il n’y a plus qu’une seule espèce, celle du mouvement forcé ; car il ne peut guère être question ici des six espèces ordinaires de mouvement, telles qu’elles sont énumérées dans les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — Comment pourra-t-il y avoir ici mouvement naturel, les graves ont leur mouvement naturel de chute dans le vide tout aussi bien que dans l’air ; mais les anciens n’avaient à leur disposition aucun des moyens par lesquels nous produisons le vide. — Dans l’infini, le texte dit : En tant qu’infini, il semble au contraire que tous les mouvements que nous observons sont bien dans l’infini, puisqu’ils ont lieu dans l’espace. — Dans le vide, le texte dit : En tant que vide. — Le bas ne diffère plus en rien du haut, ce serait une erreur, d’après la remarque que je viens de faire. — Le néant… ce qui n’est point, la différence entre ces deux termes n’est guère plus marquée dans la langue grecque que dans la nôtre. Le Néant signifie plus particulièrement ce qui n’est pas et ne peut jamais être ; Ce qui n’est point exprime ce qui n’est point, mais pourrait être. Peut-être faut-il aussi entendre le rien, le néant, dans le sens où ce mot est pris plus bas, § 14. — Le mouvement naturel présente des différences, les différences des six espèces de mouvement, Voir les Catégories, ch. 14. Il s’agit peut-être aussi des différences de rapidité, de lenteur ou de durée, etc. — De deux choses l’une, cette conclusion ne semble pas résulter nécessairement de ce qui précède. — Il n’y a pas de vide, c’est l’opinion que soutient toujours Aristote, et avec raison.
  523. Les projectiles continuent à se mouvoir, dans l’air, c’est-à-dire dans le plein. — Le moteur qui les a jetés, c’est-à-dire la main de l’homme. — De la réaction environnante, les commentateurs croient qu’il s’agit de Platon, qui a, en effet, exposé dans le Timée des théories analogues à celle-la. Voir le Timée, p. 173 et 184, traduction de M. V. Cousin. La réaction environnante veut dire l’action de l’air qui se précipite à la suite de l’air que la pierre a déplacé et qui la pousse ainsi. — Comme on le dit parfois, Aristote semble ne point adopter la théorie qu’il rappelle ici, et il rapporte la continuation du mouvement à l’impulsion que l’air a reçue d’abord, et qu’il rend ensuite en projectile. — La tendance naturelle, qui est ici la pesanteur qui entraîne le corps vers le bas. — Dans le vide, rien de tout cela ne peut se passer, c’est précisément ce qu’il fallait démontrer, et il ne paraît pas qu’il y ait ici autre chose que de simples affirmations. — Soutenu et transporté… j’ai été obligé de paraphraser le texte pour le rendre plus clair.
  524. Pourrait jamais s’arrêter quelque part, cette théorie n’est guère plus exacte que les précédentes ; car si le corps lancé dans l’air finit par retomber, c’est moins parce que l’air lui fait obstacle que par l’action de la pesanteur. — Ce mouvement sera infini, c’est en effet celui des grands corps célestes.
  525. Vers le vide, il a paru à quelques traducteurs, entr’autres à M. Prantl, qu’il fallait substituer ici l’air raréfié au vide ; je n’ai pas cru devoir adopter cette leçon que ne donne aucun manuscrit ; elle consisterait dans le simple changement de deux lettres ; mais le texte suffit tel qu’il est. — L’air cède devant lui, le texte est moins précis. — Le même phénomène se produit, c’est-à-dire que le vide cède également dans tous les sens.
  526. Ce que nous disons ici, c’est-à-dire la négation de l’existence du vide. — Ou c’est parce que le milieu… est différent, cette première cause se comprend bien, et il est clair que toutes choses égales d’ailleurs le mouvement est plus rapide dans l’air que dans l’eau. — Ou c’est parce que le corps… est différent, cette seconde cause, qui est également fort claire en elle-même, contredit l’hypothèse admise, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un même poids, d’un même corps. Si le texte disait seulement : Un même poids, il n’y aurait point de contradiction, puisqu’un peut supposer très bien un même poids sous des volumes différents ; mais il ajoute aussi : Un même corps, et c’est de là que vient la contradiction. Simplicius ne tait pas cette difficulté, et il remarque seulement que les démonstrations d’Aristote deviennent ici plus pénibles. Albert-le-Grand suppose deux cas : l’un, où le corps restant le même, le milieu est plus ou moins dense ; l’autre, où les corps sont différents en pesanteur. De cette façon la pensée est fort claire ; mais c’est une modification du texte. Le passage entier ne peut d’ailleurs faire aucune obscurité. Jusqu’au § 18, il ne sera question que de la différence des milieux ; et ensuite de la différence des corps.
  527. La plus forte possible, l’observation est exacte ; et les commentateurs citent l’exemple d’une rivière rapide offrant un obstacle aux bateaux qui la remontent, précisément parce qu’elle a un mouvement en sens contraire. — Et ensuite, le second degré de la résistance est l’immobilité, le premier étant l’opposition du mouvement. — Cette résistance, il faut remarquer la parfaite justesse de ces observations, fort neuves au temps d’Aristote.
  528. . Soit un corps A, par exemple, Aristote est peut-être le premier qui ait employé ces formules littérales ; mais il est possible aussi qu’elles eussent été inventées par l’École Pythagoricienne, qui s’était tant occupée de démonstrations mathématiques. — Plus ténu, comme l’air par rapport à l’eau, exemple donné un peu plus bas. — Et plus incorporel, c’est l’expression même du texte ; elle ne veut pas dire qu’Aristote croie l’air incorporel ; elle veut dire seulement que l’air a moins de corps que l’eau. — Que l’air est deux fois plus léger, ce n’est pas un fait qu’affirme Aristote : c’est une simple hypothèse qu’il pose, pour aider au raisonnement. — Plus incorporel, même remarque que ci-dessus.
  529. Le rien (zéro), j’ai mis entre parenthèse le mot Zéro pour indiquer que je l’ajoute, et qu’il n’est point dans le texte. Mais il est évident, qu’ici, le Rien signifie bien le zéro, non pas comme figure d’arithmétique, mais comme négation de tout nombre formel. Voir plus haut § 7. — Il surpasse le rien, d’après tous les développements donnés ici, il est évident que par le Rien Aristote entend bien ce que nous exprimons par Zéro. — Et le rien, ce qui est absurde ; car le rien ou le zéro ne peut entrer en ligne de compte ; et il ne sert de rien de l’ajouter à quoi que ce soit. — La ligne ne peut pas surpasser le point, parce qu’il n’y a pas entre la ligne et le point un terme de comparaison, une proportion possible, le point étant comme le zéro, ou le rien, puisqu’il n’a aucune dimension. — Elle n’est pas elle-même composée de points, comme le soutenaient quelques mathématiciens ; car alors il aurait fallu que le point lui-même eût quelque dimension pour arriver à former la ligne en s’ajoutant à lui-même. C’est ainsi qu’on aurait beau ajouter zéro à zéro, on ne formerait jamais un nombre. — Avec le plein, ou le corps, comme on l’a dit plus haut au début de ce §. — Dans le vide ce même mouvement, on sait que dans le vide la chute des graves est la même à très peu près que dans l’air.
  530. Dans ce même temps G, nécessaire pour franchir le vide. — Ne franchira de D, plus haut § 13, D a été censé représenter de l’air. — Que la portion H, c’est-à-dire cette étendue de l’air qui correspondrait au rapport de l’air en vide, si ce rapport était possible.
  531. Le milieu F, c’est-à-dire le vide. — Du temps E, le temps pendant lequel le corps traverse l’air ; voir plus haut § 13, — Si donc il n’y a pas de corps dans F, c’est-à-dire si F est absolument vide, et comme on l’a déjà dit, incorporel. — Il traversait aussi H, le texte n’est pas aussi formel. — Dans le même temps, soit dans le plein, soit dans le vide, c’est là une contradiction évidente, à laquelle Aristote réduit les partisans du vide, et il les amène à soutenir, du moins il le croit, que le mouvement reste le même pour un même corps dans le plein et dans le vide indifféremment. — Comme cela est de toute impossibilité, qu’Aristote attribue à ses adversaires, pour démontrer que le vide n’existe pas. — Indifféremment, j’ai ajouté ce mot. — Un certain corps proportionnel, et par conséquent il n’y a pas de vide, puisque ce corps, quelque ténu qu’on le suppose, opposera toujours une résistance proportionnelle au corps qui est en mouvement.
  532. La cause du résultat auquel nous aboutissons, le texte dit simplement « La cause de ce qui arrive. » — L’un et l’autre, c’est-à-dire les deux portions de temps dans lesquelles le mouvement s’accomplit. — La diversité des milieux traversés, voir plus haut, § 11, où il a été posé deux alternatives pour expliquer la rapidité plus ou moins grande des mouvements : Ou les milieux traversés sont différents ; ou les corps qui les traversent sont différents. La première alternative a été expliquée ; il va être question de la seconde.
  533. Voici celles qui résultent.. voir plus haut, § 11. — De la supériorité relative des corps, c’est-à-dire de leur pesanteur ou de leur légèreté, plus ou moins grande dans les uns que dans les autres. — Dans ces milieux, j’ai ajouté ces mots qui complètent la pensée et la rattachent à la précédente. — Les conditions de forme restant d’ailleurs égales, cette restriction est nécessaire, comme le prouve la suite du raisonnement ; et il est certain que la forme du corps influe beaucoup sur la rapidité plus ou moins grande de son mouvement. — Mais c’est là ce qui est impossible, c’est là au contraire ce qui est ; et l’on sait que tous les corps tombent avec une égale rapidité dans le vide, quelle que soit d’ailleurs leur pesanteur spécifique ; mais c’étaient là des expériences que les anciens ne pouvaient faire. — Accélérer le mouvement, de l’un des deux corps comparativement à l’autre. — Le mouvement s’accélère, c’est-à-dire que le mouvement de l’un des deux corps est plus rapide que celui de l’autre corps. — Le plus fort, soit par le poids, soit par l’impulsion. — Qui tombe, par sa tendance naturelle. — Ou qui est lancé, recevant un mouvement forcé par la cause extérieure qui agit sur lui. — Soit par sa forme, l’observation est très juste. — Dans le vide, j’ai ajouté ces mots. — Et ce n’est pas admissible, dans l’état des connaissances auxquelles étaient arrivés les anciens. Aujourd’hui, au contraire, il est prouvé que dans le vide tous les corps pesants ou légers tombent avec une vitesse à peu près parfaitement égale.
  534. Parce qu’il y a du mouvement, voir plus haut, ch. 10, §§ 1 et 2. — Antérieurement, cependant plus haut, ch, 4, § 7, il a été établi que l’espace est séparable des choses ; et alors il existe indépendamment d’elles. Voir aussi tout le chapitre 6, et particulièrement le § 28, où est résumée la définition de l’espace.
  535. . La chose en elle-même, ou peut-être : « Le vide en soi, » indépendamment de ses rapports avec le mouvement. — Est bien parfaitement vide en effet, cette tournure ironique paraît bien peu d’accord avec la gravité habituelle d’Aristote ; et l’espèce de jeu de mots que renferme le texte en grec comme en français est assez singulier. Mais il semble sûr que c’est ainsi que les commentateurs grecs, Thémistius et Simplicius entr’autres, ont compris ce passage.
  536. En voici une nouvelle preuve5__2616, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Un cube, c’est-à-dire un corps solide ayant les trois dimensions, bien que ce ne soit pas précisément un corps de forme cubique. — Il y aura autant d’eau déplacée, cette observation était neuve et curieuse au temps d’Aristote. — De cette façon, j’ai ajouté ces mots. — Qu’il ne se concentre et ne se comprime, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Comme celle de la terre, ou de tout corps qui, selon les doctrines de l’antiquité, a la terre pour élément prédominant. — Comme l’air, il y a des manuscrits qui n’ont pas ces mots ; l’édit. de Berlin ne les adopte pas et elle ne cite aucun manuscrit pour justifier cette omission. — Doit pénétrer le cube, cette conséquence n’est pas évidente, et il eût fallu en donner une démonstration. — Le pénétraient l’un et l’autre de part en part, et prenaient en quelque sorte sa place. Le vide ne cédant pas comme l’eau ou l’air qui se déplacent devant le corps qu’on y plonge. Aristote croit pouvoir en conclure, en supposant l’existence du vide, que le vide entre dans le corps, qui serait alors pénétrable, contre les théories communément admises sur l’impénétrabilité des corps. On arriverait alors à cette absurdité que deux corps peuvent être simultanément dans un même lieu.
  537. Tout autant d’étendue, matérielle, indépendamment de ce que peuvent être les qualités qui affectent sa substance. — Par essence, comme la substance est différente de ses attributs, sous lesquels elle demeure toujours la même. — Les affections qu’il subit, à le suite de ces mots, quelques manuscrits ajoutent : Et il l’est même davantage. L’édition de Berlin n’a pas cette addition, qu’un peut supprimer sans inconvénient, et que peut-être Thémistius et Simplicius ne connaissaient pas. — Il occupera une égale quantité de vide, par cela seul que sa propre quantité ne changera pas, et que quels que soient son poids et la température, il n’en aura pas moins toujours les mêmes dimensions. — Différera-t-il d’un espace égal, et alors le corps, qui est dans l’espace on le vide, se confond avec eux, et si le vide est aussi un corps comme on le suppose, il y a deux corps dans un même lieu. Du moment qu’il y en a deux, pourquoi n’y en aurait-il pas un nombre infini — Une première absurdité, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Et une première impossibilité, même remarque.
  538. (C’est-à-dire, les trois dimensions), j’ai cru devoir ajouter cette explication qui ne se trouve pas dans le texte grec, mais que donnent tous les commentateurs grecs. — Un espace séparé, par l’espace, il faut entendre ici le vide, avec lequel on confond l’espace. — Si cette étendue reste immuable, dans ses dimensions quelles que soient d’ailleurs ses qualités. — D’un autre intervalle, ou bien : « D’une autre étendue. » — Après ce §, les éditions ordinaires, y compris celle de Berlin, ajoutent un autre ainsi conçu : « Il faut bien savoir aussi qu’il ne s’agit que du vide dans les corps qui se meuvent ; car nulle part le vide ne se montre dans l’intérieur du monde. L’air est un corps, bien qu’on ne le voie pas ; l’eau ne se verrait pas plus que lui si les poissons y étaient de fer ; et c’est le toucher qui est juge de l’existence des corps sensibles. » Tout ce passage, fort peu intelligible, a bien l’air d’une glose ajoutée à la marge de quelque manuscrit et passée de là dans le texte. Les commentateurs grecs ne connaissent point cette phrase ; mais elle est connue et acceptée par ceux du moyen-âge, Albert-le-Grand et Saint Thomas. Les éditeurs qui l’ont donnée ont eu soin de la mettre entre crochets, pour indiquer qu’elle est suspecte. Pour moi, je ne crois pas qu’elle doive faire partie du texte ; et il est évident qu’elle contient certains détails qui paraissent plutôt une note qu’une rédaction définitive.
  539. N’est pas séparé des choses, c’est la conclusion annoncée dès le début du chapitre 11.
  540. La raréfaction, je prends ce mot dans le second sens que lui donne le Dictionnaire de l’Académie française : « État de ce qui est raréfié. » J’aurais voulu trouver un autre mot ; mais notre langue ne me l’a pas offert. — Selon eux, le texte n’est pas aussi formel ; mais la tournure de la phrase l’indique clairement qu’Aristote analyse ici l’opinion qu’il va combattre ; et voilà pourquoi j’ai cru pouvoir mettre des guillemets. — Que les corps se resserrent, l’expression du texte est un peu plus vague. — À une fluctuation perpétuelle, c’est-à-dire que le moindre mouvement dans une partie quelconque de l’univers se communiquerait de proche en proche jusqu’aux extrémités les plus reculées, comme les vagues et les oscillations de l’onde. — Comme le disait Xuthus, philosophe Pythagoricien, qui n’est pas autrement connu. — En même quantité, ce qui n’est pas, puisque l’eau en s’évaporant, c’est-à-dire en devenant air, occupe beaucoup plus de place qu’auparavant. — Ou bien le vide existe de toute nécessité, comme le soutenaient les philosophes dont Aristote ne partage pas les opinions. — Pussent se condenser et se dilater, conclusion du système qu’Aristote va réfuter.
  541. Nous répondons, l’expression du texte n’est pas tout à fait aussi précise. — Ce qui a beaucoup de vides, dans son intérieur et comme autant de cellules où serait le vide. — Séparé des choses, il semble au contraire que le vide est séparé des choses, comme l’espace dans lequel elles sont un se meuvent. — Pas plus que l’espace, c’est ce qui a été prouvé plus haut, ch. 6, § 17. — Le rare ne peut pas davantage exister, et par conséquent le vide, qu’on veut démontrer à l’aide de la raréfaction des corps, n’existe pas davantage.
  542. Mais si l’on dit, le texte n’est pas aussi formel, — Sans être séparé, c’est-à-dire sans former à l’intérieur du corps des cellules séparées les unes des autres.— N’en est pas moins dans leur intérieur, il est difficile de comprendre cette supposition, à moins qu’on ne veuille dire que l’intérieur tout entier du corps ne soit vide ; et alors cette hypothèse, loin de paraître moins inacceptable, le paraît encore davantage. — La cause de toute espèce de mouvement, comme on semblait le dire ; voir plus haut § 1. Ces philosophes disent, ou bien simplement : « On dit. »
  543. . Secondement, le texte dit seulement : « Ensuite. » — Le lieu où le mouvement se passe, ce qui confondrait alors complètement le vide avec l’espace, dont on prétend cependant le distinguer. — En s’élevant elles-mêmes en haut, ceci semble indiquer une expérience d’outres ; ou de vessies gonflées d’air qu’on mettait dans l’eau, et qui du fond remontaient a la surface, quand on les lâchait, culminant avec elles des poids qu’on y avait attachés. Peut-être aussi s’agit-il de vessies dont se seraient servis les baigneurs pour nager. — Se porter en haut, comme la légèreté spécifique des corps les fait monter. — Car alors il y a pour le vide un vide, si l’on suppose le vide à l’intérieur du corps, faisant que le corps se dirige en un sens plutôt que dans l’autre.
  544. Autre objection, le texte est moins précis. — Les partisans de cette hypothèse, même remarque. — Pourront-ils expliquer, si en effet le vide, confondu avec la raréfaction, est cause que les corps montent dans l’espace, il reste à expliquer la chute des graves, qui est un phénomène non moins certain.
  545. Plus rare et plus vide, ces deux qualités des corps étant prises l’une pour l’autre indifféremment. — Mais peut-être est-il impossible, cette tournure dubitative n’implique pas la moindre hésitation dans Aristote ; il nie formellement que le mouvement, pour avoir lieu, ait besoin du vide ; voir plus haut, ch. 11, § 6. — Le même raisonnement qui prouvait, voir plus haut tout le chapitre 11, et spécialement les §§ 14 et 18. — Les vitesses y sont incommensurables, voir plus haut ch. 11, § 14. Les vitesses dans le vide ne sont pas précisément commensurables ; mais elles sont égales, ce qu’Aristote ne pouvait pas savoir. Voir plus haut ch. 11, § 18.
  546. La vérité des autres explications, données plus haut § 1. Aristote admet les considérations alléguées par les partisans du vide ; mais il n’admet pas la conséquence qu’on en tire, à savoir l’existence même du vide. — Le mouvement n’est plus concevable, le mouvement n’est possible que si les corps ont la propriété de se raréfier et de se condenser. — Est dans une perpétuelle oscillation, voir plus haut § 4. — Une même quantité d’eau, même remarque. — De l’eau, il vient une plus grande masse d’air, plus haut Aristote a supposé, par simple hypothèse, que l’air était deux fois plus léger que l’eau, et que par conséquent son volume était deux fois plus considérable. — S’il n’y a pas compression, c’est la répétition du raisonnement déjà présenté au § 1 ; et il semble qu’ici la réfutation n’en est pas assez nette. — Le continu, l’air, par exemple, dont toutes les parties forment une continuité, depuis le corps qui est en mouvement jusqu’aux extrémités du monde. — Communique la fluctuation, voir plus haut, § 4. — Quelque part ailleurs, c’est-à-dire dans un lieu autre que celui où a eu lieu le changement de la première partie d’air en une quantité d’eau égale. — Que rien ne puisse être en mouvement, ce qui contredit l’expérience, et par conséquent est absurde.
  547. La compression, celle de l’air si le corps est dans l’air. — Toujours en cercle, et il faut ajouter : « Sur lui-même »; car alors il n’est pas besoin de supposer la compression du milieu environnant ; mais la rotation même sur place suffirait pour produire la compression par la rapidité seule du mouvement. — Circulaire ou rotatoire.
  548. Certains philosophes, voir plus haut, ch. 8.
  549. D’après les principes posés par nous, soit dans les premiers livres du présent ouvrage, soit ailleurs, et spécialement dans les Catégories. Voir plus haut, Livre 1, ch. 7 et 8 et ch. 9, § 15, et Catégories, ch. 11, § 5, p. 122 de ma traduction. — Des qualités, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée.
  550. Soit grand ou petit, c’est pour arriver à démontrer que la matière du corps ne change pas non plus, qu’il soit rare ou dense. — Quand l’eau se change en air, par l’évaporation. — C’est bien la même matière, observation exacte, qui pouvait passer pour curieuse et neuve au temps d’Aristote. — Que ce qui était en puissance, l’air était en puissance dans l’eau, puisque l’eau pouvait se changer en air ; l’air est devenu réel de possible qu’il était d’abord. — À la réalité, j’ai ajouté ces mots, paraphrase de ceux qui précèdent. — Se réduit à un moindre volume, c’est-à-dire qu’il se condense et se comprime, pour tenir moins d’espace tout en étant en égale quantité. — Également l’un et l’autre, des contraires, soit grande, soit petite indifféremment.
  551. La matière reste identique, recevant successivement les contraires. — Parce qu’elle était en puissance, et qu’elle pouvait tout aussi bien devenir chaude que froide, et réciproquement. — Sans que rien dans la matière, la matière tout entière est devenue chaude, et ce n’est pas seulement une partie qui a acquis de la chaleur, quand tout le reste demeurait froid. — La même circonférence, si le cercle est plus petit, la convexité est nécessairement différente ; mais ce peut être une partie de la circonférence plus grande qui aura servi à faire la circonférence d’un cercle moindre. — Entre le plus et le moins, il n’y a qu’une différence d’intensité, mais non pas d’espèce. — La chaleur initiale, c’est-à-dire celle qu’a d’abord le corps avant de devenir plus chaud. — La grandeur et la petitesse, voir plus haut, § 11. — Susceptible des deux, de la grandeur et de la petitesse, c’est-à-dire qu’elle peut ou se développer ou s’amoindrir, sous l’action de diverses causes extérieures. — C’est le même corps, voilà la conclusion à laquelle tend tout le raisonnement qui précède, et qui est assez embarrassé, bien qu’il soit clair. — Et la matière est identique, c’est-à-dire qu’elle reste substantiellement la même, tout en changeant de formes et de propriétés.
  552. Le rare est léger, après cette phrase on trouve dans quelques manuscrits une autre phrase qui ne fuit que répéter ce qui a été dit plus haut sur la circonférence et sur le feu, § 12. Elle est d’ailleurs connue de Simplicius qui remarque qu’elle fait double emploi. J’ai cru devoir la supprimer dans ma traduction parce qu’elle interrompt le cours de la pensée ; et Simplicius autorise cette suppression, en nous apprenant que quelques manuscrits n’avaient pas cette répétition. — Ces deux propriétés, le dense est en général plus pesant, et le rare est plus léger. — Ne se correspondent plus, le plomb étant plus lourd que le fer, quoique le fer soit plus dur ; et, à l’inverse, le fer étant moins lourd que le plomb, quoique plus dur que lui.
  553. De tout ce qui précède, non seulement dans ce chapitre, mais encore dans les chapitres antérieurs depuis le huitième. — Que le vide n’est point séparé, voir plus haut, ch. 11. — Il n’existe point absolument, c’est le résultat de toute la théorie d’Aristote sur le vide. — Il n’est pas dans ce qui est rare, voir plus haut, § 2. — Il n’est pas non plus en puissance, voir plus haut, § 3. — En tant que telle, c’est-à-dire en tant qu’elle est dense ou rare, et qu’elle s’approche ou s’éloigne du vide. — À ce point de vue, l’un étant lourd et l’autre étant léger. — En tant que dur et mou, le dense est en général dur et le rare est mou ; c’est-à-dire que l’un est facile à diviser et que l’autre est difficilement divisible, comme le prouve l’exemple donné plus haut du plomb et du fer. — De la passivité ou de l’impassibilité des corps, selon que les corps sont plus ou moins denses et durs, ils souffrent plus ou moins de l’action des corps environnants. — De leur altération, ou changement dans la qualité, une des six espèces de mouvement reconnues par Aristote ; voir plus loin, Livre V, ch. 1, § 2, et les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction.
  554. Ce que nous avions à dire sur le vide, la seconde des trois grandes théories exposées dans ce quatrième livre ; il va passer à la dernière, qui est celle du temps, avant celle du mouvement.
  555. De tout ce qui vient d’être dit, sur l’infini, l’espace et le vide. Voir plus haut, Livre III, ch, 1, § 1, où toutes ces théories ont été annoncées comme devant précéder la théorie générale du mouvement. — D’étudier le temps, pour la comparaison de cette théorie d’Aristote sur le temps avec celle de Platon dans le Timée (p. 130 et 134 de la traduction de M. V. Cousin), voir la Préface. — De présenter les doutes, c’est la méthode constante d’Aristote, soit dans la Physique, comme on a déjà pu le voir, soit dans ses autres ouvrages, — Même par des arguments extérieurs et vulgaires, il n’y a qu’un seul mot dans le texte : « Exotériques. » Ce premier chapitre sera consacré à poser les questions ; et les suivants discuteront ces questions controversées. — Puis, ensuite, voir plus loin les chapitres 2 et suivants.
  556. Qu’on pourrait alléguer, et que sans douta Aristote ne trouve pas très décisives. — Et très obscure, il en est du temps comme de l’infini et de l’espace ; ces grandes idées sont obscures en ce qu’elles dépassent et écrasent la faiblesse de l’intelligence humaine. — Une des deux parties du temps, c’est le passé. — L’autre partie, c’est l’avenir. — Et le temps qu’on doit compter dans une succession perpétuelle, c’est-à-dire celui que nous comprenons dans les limites de ce que nous appelons le passé et l’avenir, tandis que le temps infini ne peut se compter, puisqu’il est absolument incommensurable. C’est précisément la distinction de la durée éternelle et du temps. Aristote n’a pas fait cette distinction aussi nettement que Platon dans le Timée, p. 130 de la traduction de M. V. Cousin. — Comme possédant une existence véritable, et l’on peut soutenir à ce point de vue que le temps n’existe pas.
  557. Ajoutez, Aristote parle toujours au nom d’une théorie qui n’est pas la sienne, et il montre par quels arguments plus ou moins spécieux, on peut nier l’existence du temps. — Aucune n’est réellement, j’ai ajouté ce dernier mot. On peut dire que l’instant n’existe pas, puisqu’il est insaisissable ; cependant le temps étant divisible, ses parties devraient l’être également. C’est que le temps ne se compose pas d’instants, comme il sera dit au § suivant.
  558. L’instant, le présent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — La partie d’une chose sert à mesurer cette chose, ceci n’est vrai que dans certaines limites, et la partie n’est pas toujours exactement commensurable au tout. — De présents, d’instants, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  559. Qui sépare et limite, même remarque. — Est-il un ? et par conséquent a-t-il une existence réelle ? — Identique et immuable, j’ai dû mettre ces deux mots pour rendre la force de l’expression grecque. — Et sans cesse différent, de façon à ne point avoir d’existence véritable. — Qu’il n’est pas facile de résoudre, elles seront traitées plus loin, ch. 17 et suiv., au point de vue qu’adopte Aristote lui-même ; ici elles le sont seulement au point de vue des doctrines vulgaire, et qui appartiennent à d’autres philosophes.
  560. En effet, il sera démontré dans ce paragraphe que l’instant ne peut pas être sans cesse différent ; et dans le § suivant qu’il ne peut pas davantage rester identique, et immuable ; on en conclura que l’instant, le présent n’existe pas. — Qui coexiste avec une autre, chacune de ces parties ayant son existence séparée et individuelle, sans que l’une soit comprise dans l’autre, comme le jour est compris dans le mois, et le mois dans l’année. — Et si enfin, la phrase grecque est un peu embarrassée parce qu’elle est trop longue ; et ma traduction a dû en suivre tout le mouvement, bien qu’il soit assez pénible. — À présent, j’ai ajouté ces mots. — À un moment donné, ou « Quelconque. » — Exister simultanément, et former le temps par leur réunion même. — En lui-même, c’est-à-dire dans l’instant que composait cet instant même ; ce qui serait contradictoire. — Ait péri dans un autre instant, à cause du motif donné à la fin de ce § même. — Tiennent les uns aux autres, de manière à composer l’ensemble du temps. — Que le point tienne au point, attendu que le point n’a pas de dimensions, et que par conséquent il ne peut toucher un autre point. — Dans celui qui l’a suivi, puisqu’il n’a aucun lieu ni aucun contact avec lui. — Coexister avec eux, ce qui est impossible puisque les instants se succèdent nécessairement.
  561. Mais il n’est pas non plus possible, seconde hypothèse posée plus haut, § 5. — Car, dans les divisibles, dans les choses qui sont susceptibles de division. — Soit qu’elle n’ait de continuité qu’en un seul sens, comme la ligne qui a au moins deux limites, une à chaque extrémité. — Soit qu’elle en ait en plusieurs, comme le solide a trois dimensions. — Mais l’instant est une limite, voir plus haut § 5. — Un temps qui soit limité, une heure, un jour, un mois, une année ; et chacune de ces périodes de temps a au moins deux instants pour limites, l’un au début, l’autre à la fin ; et par conséquent, l’instant n’est pas un immuable.
  562. Dans le même temps, et, par conséquent, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Dans l’instant présent, en supposant que l’instant demeure permanent et immobile.
  563. Tels sont à peu près les doutes, voir plus haut § 1. — L’existence et les propriétés, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  564. Antérieurement présentées, soit dans le chapitre précédent, soit peut-être aussi dans les autres chapitres sur le vide, l’infini et l’espace.
  565. Les uns ont prétendu, les commentateurs ont cru en général qu’il s’agissait ici de Platon ; mais les théories du Timée ne sont pas celles qu’on rappelle ici, et il est probable que c’est à d’autres que son maître que s’adresse Aristote. Voir le Timée, traduction de M. V. Cousin, p. 130 et 131. — Les autres, Simplicius pense que ceci se rapporte aux Pythagoriciens. Le peu qui est dit ici ne suffit pas pour montrer clairement quel pouvait être leur système ; et l’on ne comprend pas comment on peut confondre le temps et les révolutions des corps célestes. Voir plus bas, § 5.
  566. Soit une portion du temps, ceci n’est pas tout à fait exact ; et il serait mieux de dire qu’une partie de la révolution céleste s’accomplit dans une portion de temps ; mais une partie de cette révolution n’est pas plus une partie du temps que la révolution entière n’est le temps lui-même. — Encore une fois, j’ai cru devoir ajouter ces mots.
  567. S’il y avait plus d’un ciel, c’était là une des opinions de Démocrite. — Plusieurs temps à la fois, théorie qui est évidemment insoutenable, le temps étant un et le même aussi bien que l’espace.
  568. Confondre le temps avec la sphère, voir plus haut § 2. — Sont dans le temps, comme elles sont dans l’espace. — Par trop naïve, voir plus haut la note sur le § 2.
  569. Un mouvement et un changement d’une certaine espèce, la restriction est nécessaire ; car Aristote retomberait alors dans l’erreur qu’il a lui-même combattue plus haut § 2, quand il réfutait les philosophes qui prétendaient que le temps est le mouvement de l’univers. Voir aussi plus bas la fin du § 7. — C’est là ce qu’il faut étudier, et ce qui sera étudié dans toute la fin de ce IVe livre. — Dans la chose qui change, c’est ce qu’Aristote appelle le mouvement d’altération, le changement qui se fait dans les qualités de la chose. — Ou bien dans le lieu, c’est le mouvement de déplacement de translation ; voir les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction.
  570. . Le temps n’est ni l’un ni l’autre, parce qu’en effet le temps s’écoule d’une manière toujours uniforme ; et c’est par un simple abus de langage qu’on peut dire que le temps est plus ou moins rapide. Ce sont simplement les changements qui se font dans le temps qui ont plus ou moins de rapidité ; mais le temps proprement dit est éternellement le même. — Le lent et le rapide se déterminent par le temps… Ne se mesure et ne se détermine, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Ni en quantité ni en qualité, on comprend aisément la quantité du temps ; mais on comprend moins sa qualité ; les commentateurs pensent qu’Aristote veut parler ici des jours et des nuits, et des diverses saisons de l’année. — Pour le moment, ou peut-être aussi : « Dans le présent traité, » Le texte peut également présenter les deux sens.
  571. Sans changement, ou mouvement, d’après ce qui a été dit à la fin du chapitre précédent. — Aucun changement dans notre pensée, cette déduction toute psychologique de la notion de temps mérite la plus grande attention ; et lorsque M. Royer-Collard a de notre temps renouvelé cette théorie avec tant de force, il ne savait pas sans doute qu’elle eût été exposée par Aristote deux mille ans avant lui. Voir les Fragments de M. Royer-Collard, dans la traduction de Reid, par M. Th. Jouffroy, tome IV, p. 355 et suiv. — À Sardos, île de la mer Égée, dans laquelle on prétendait qu’avaient été ensevelis neuf fils d’Hercule, qu’on appelait les Héros. Leurs corps avaient été embaumés et se conservaient d’une manière merveilleuse. On se rendait en pèlerinage auprès de leurs tombes, et là on s’endormait dans le temple, soit dans l’espérance d’être guéri de quelque maladie, soit dans l’attente de quelque révélation utile. Les gens qui s’étaient endormis dans ces lieux n’avaient à leur réveil aucun sentiment du temps écoulé. — L’instant qui a précédé, leur sommeil. — À l’instant qui suit, leur réveil. — Dans un instant un et indivisible, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — À la condition du mouvement et du changement, c’est la conclusion de toute cette argumentation. — Le temps n’est pas le mouvement, cette distinction est aussi exacte que délicate.
  572. Ce qu’il est par rapport au mouvement, c’est ce rapport précis qu’il est difficile d’établir. — Nous percevons, le texte dit : « Nous sentons. » — Être dans les ténèbres, et n’avoir point par conséquent les sensations de la vue, qui sont celles qui révèlent surtout le mouvement. — Une impassibilité complète, soit de la vue, soit du toucher, soit même de l’ouïe. — Quelque mouvement dans notre âme, ainsi la notion de durée se fonde toujours sur la notion de notre durée personnelle. — D’un certain temps écoulé, soit passé, soit actuel, selon que notre intelligence est à l’état de mémoire, ou à l’état de pensée actuellement présente. — Est le mouvement, ou il est quelque chose du mouvement, distinction très fine. — Il n’est pas le mouvement, voir la fin du chapitre précédent où cela a été prouvé.
  573. D’un point vers un autre point, du point où il commence vers le point où il finit. — Le mouvement accompagne la grandeur, cette expression assez obscure est expliquée par ce qui suit. Le mouvement est continu parce que la grandeur elle-même est continue ; et ainsi le mouvement est associé aux attributs de la grandeur ou du corps. Par grandeur, il faut entendre ici l’espace parcouru.
  574. Se rapportent primitivement au lieu, c’est-à-dire que c’est dans l’espace qu’on remarque d’abord l’antériorité et la postériorité, les premiers points parcourus par le mobile qui se déplace étant les antérieurs, et les derniers points étant les postérieurs. — Par la situation, selon que les points parcourus sont les premiers ou les derniers ; mais dans le temps comme dans le mouvement, il n’y a pas de situation proprement dite. — Dans la grandeur, il y a également antériorité, ainsi que dans le lieu, par la situation respective des diverses parties du corps. — D’une manière analogue, ou proportionnelle. Il n’y a plus de position de parties dans le mouvement ; mais il y a des parties qui sont les unes premières, et les autres dernières. — Le temps et le mouvement se suivent toujours et sont corrélatifs, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Voir plus haut, § 2.
  575. Sont dans le mouvement, c’est-à-dire que l’antérieur et le postérieur dans le temps dérivent de l’antérieur et du postérieur dans le mouvement. — Leur manière d’être, soit dans le mouvement d’abord soit ensuite dans le temps. — Ce n’est pas du mouvement, c’est seulement quelque chose du mouvement ; voir plus haut, § 2. — À proprement parler, j’ai ajouté ces mots.
  576. Nous ne connaissons réellement la durée, voilà le véritable rapport du mouvement au temps ; c’est en distinguant dans le mouvement l’antérieur et le postérieur qu’on les distingue aussi dans le temps. — Ces deux choses, c’est-à-dire le point antérieur où le mouvement a commencé, et le point postérieur où le mouvement a fini. — Un intervalle différent d’elles, dans lequel le mouvement s’est accompli. — Nous pensons que les extrêmes sont autres, c’est-à-dire que nous distinguons deux extrêmes, plus l’intervalle qui les sépare. — Quand l’âme affirme deux instants, qu’elle distingue et sépare l’un de l’autre. — Ce qui est limité par l’instant, comme le corps est limité par le point. — Comme une unité, et que par conséquent nous ne faisons plus aucune distinction. — Comme appartenant à quelque chose, l’édition de Berlin supprime ici une négation que donnent quelques manuscrits seulement, et qui semble tout à fait contraire au reste de la pensée. Je l’ai supprimée aussi, bien que plusieurs éditeurs aient cru pouvoir la conserver. — Antériorité et postériorité, dans le mouvement.
  577. Voici bien ce qu’est le temps, c’est-à-dire la définition du temps. — Le nombre du mouvement, cette formule est expliquée dans les §§ qui suivent.
  578. Le temps n’est le mouvement, voir plus haut, § 2.— Susceptible d’être évalué numériquement, le texte dix : « En tant que le mouvement a du nombre. » — Est une sorte de nombre, par rapport au mouvement qu’il sert à évaluer.
  579. . Ce qui est nombré, c’est le nombre concret. — Ce par quoi l’on nombre, c’est le nombre abstrait. Ces distinctions étaient encore très neuves au temps d’Aristote, et sans doute elles avaient été inventées par l’École Pythagoricienne.
  580. Et perpétuellement autre, parce que le mouvement correspond sans cesse à des points différents de l’espace. — Dans son ensemble, parce qu’il est infini comme l’espace et immuable comme lui, si on le considère dans sa totalité. — En tant qu’il est antérieur et postérieur, c’est-à-dire, passé ou futur.
  581. L’instant est le même, Aristote répond ici à la question qu’il s’était posée plus haut, ch. 14, § 5. — Dans un certain temps, le tette n’est pas tout à fait aussi formel. — Et c’était là, voir plus haut, ch. 14 § 6. C’est la formule dont se sert habituellement Aristote pour rappeler une théorie antérieure. — Ce qu’il était, il n’y a point ici de variante dans les manuscrits ; mais il m’a semblé préférable de dire : « Ce qu’il était, » au passé, au lieu de : Ce qu’il est, comme dans le § précédent. — Ainsi que je viens de le dire, ch. 16, § 3. — Je le répète, voir plus haut, ch. 16, § 5. — Suppose aussi le point, c’est-à-dire que le point engendrant la ligne, la ligne engendrant la surface et la surface engendrant le corps, il s’ensuit que le corps à trois dimensions suppose toujours le point, sans lequel il ne pourrait être, puisque le point est l’origine de tout le reste. — À un moment donné tout à fait le même, le corps ne change pas en lui-même et il reste identique ; mais il change de lieu par le mouvement, et c’est en ce sens qu’on peut dire qu’il est autre. — D’ailleurs un point, il est assez difficile de concevoir un point qui se meut, si ce n’est comme le font les mathématiques ; et l’exemple de la pierre est peut-être mieux choisi, parce que c’est un corps réel et perceptible aux sens. — Mais, rationnellement, parce que la raison peut distinguer le corps par les différents lieux qu’il occupe, bien que ce corps reste absolument identique. — L’assertion des Sophistes, voir les exemples analogues de subtilités sophistiques, Réfutations des sophistes, ch. 17, § 5, p. 389 de ma traduction, et Morale à Eudème, Livre VII, ch. 6, § 14, p. 403 de ma traduction. — Coriscus, on sait que c’est un nom banal dont Aristote se sert d’ordinaire pour les exemples de ce genre. — Puis ensuite dans tel lieu différent, comme le mobile, tout en restant identique, est porté par son mouvement même, d’abord dans un lieu, puis ensuite dans un autre lieu. — Est corrélatif au corps, le texte dit : « Suit le corps. » — L’antérieur et le postérieur dans le mouvement, qui deviennent le passé et le futur quand il s’agit du temps. — L’antérieur et le postérieur, j’ai préféré garder ces mots, au lieu de garder ceux de passé et de futur, afin de mieux faire voir le rapport qui est indiqué dans le texte. — L’idée la plus claire, l’obscurité qu’on peut encore trouver dans ces théories, tient à la difficulté même des questions. — On perçoit le mouvement, j’ai préféré cette leçon, donnée par plusieurs manuscrits à celle que donne l’édition de Berlin, et qui répète fort inutilement une partie de ce qui précède. — Quelque chose de réel et de distinct, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Le mouvement lui-même ne l’est pas, précisément parce qu’il change à tout moment en changeant de place, et qu’il est comme le temps dans un écoulement perpétuel. — Ainsi, résumé de tout ce §. — Du corps qui se déplace, et qui occupe sans cesse divers points de l’espace.
  582. Il n’y aurait pas non plus d’instant, l’instant et le temps se tiennent et coexistent comme le mouvement et le mobile coexistent et se tiennent. — Ils sont tous deux simultanés, ou bien encore : « Ils coexistent. » — Le nombre du corps déplacé, ce ne peut être que l’unité, puisque le corps est supposé un et le même. — Et le nombre du déplacement, c’est-à-dire la quantité d’espace parcourue dans un temps donné. — Et l’instant… est… l’unité du nombre, l’instant joue dans le temps le rôle que l’unité joue dans le nombre ; l’unité elle-même n’est pas un nombre ; en elle-même elle est indivisible, de même que l’instant est en lui-même indivisible, et qu’il n’est pas du temps.
  583. Que le temps est continu, nouvelle propriété de l’instant, qui sans être continu lui-même donne cependant au temps sa continuité, comme le point, qui est sans dimension, engendre pourtant les dimensions du corps. — Le temps se divise, et se distingue, soit dans le passé, soit dans le futur. — Cette propriété, le texte dit avec la formule déjà employée plus haut : « Cette propriété suit le déplacement et le corps déplacé. » — Il pourrait y avoir une lacune, si le corps venait à changer, il y aurait lacune ou interruption dans le premier mouvement, parce que le premier corps s’arrêterait, et que le second reprendrait ensuite un autre mouvement. — Est autre rationnellement, c’est-à-dire que c’est la raison seule qui conçoit sa diversité, selon les lieux divers qu’il occupe successivement.
  584. Cette propriété est aussi à certains égards celle du point, le texte dit : « Suit le point. » — Continue la longueur, puisque le point par son mouvement engendre la ligne, qui est la première longueur. — Et la termine, le point est l’extrémité de la ligne, comme il en est aussi le commencement et le milieu. — De telle longueur, le texte est plus vague.
  585. Comme s’il était deux, c’est-à-dire si l’on considère un même point comme étant la fin d’une ligne et le commencement d’une autre ligne ; et c’est là le cas de tous les points qui sont placés au sommet d’un angle, Ils sont la fin d’un des côtés en même temps qu’ils sont l’origine d’un des autres côtés. — Un temps d’arrêt, c’est-à-dire que l’une des lignes s’arrête et ne continue pas, afin que l’autre puisse commencer. — Puisque le même point est à la fois commencement et fin, comme le point placé au sommet d’un angle quelconque. — Quant à l’instant, il est toujours autre, parce que le temps ne peut pas plus s’arrêter que le mouvement. — Se meut d’une manière continue, le texte n’est pas tout a fait aussi précis.
  586. Le temps est un nombre, en ce qu’il sert surtout à évaluer le mouvement. — Étant le nombre d’un seul et même point, le texte est un peu moins explicite. — Tout ensemble, j’ai ajouté ces mots. — Comme étant les extrémités, et alors l’instant est séparé rationnellement et de celui qui le précède, et de celui qui le suit. — L’instant n’est pas une portion du temps, bien qu’il compose le temps, pas plus que le point n’est une partie de la ligne, qu’il engendre. — Sont des parties d’une même ligne unique, c’est bien dans un même point qu’une des lignes finit, et que l’autre commence, comme dans les points qui forment le sommet d’un angle ; mais quand on distingue deux lignes dans une seule et même ligne, elles sont des parties de cette ligne et non des points.
  587. Que l’instant est une limite, comme le point qui est la limite et l’extrémité de la ligne, qu’il la commence ou qu’il la finisse indifféremment. — Il n’est pas du temps, parce qu’il est absolument indivisible. — Qu’un simple accident du temps, ou en d’autres termes : Un attribut, une propriété du temps. On pourrait encore entendre que « l’instant n’est du temps qu’indirectement, » et non essentiellement. L’instant est au temps ce que le point est à la ligne. — Il est nombre, et il peut s’appliquer indifféremment à tous les mouvements et à tous les corps. — Qu’à la chose dont elles sont les limites, parce que la limite est attachée au corps même qu’elle termine, et qu’elle n’en peut être séparée que rationnellement, tandis que le nombre ne tient en rien aux choses qu’il sert à nombrer. — Qui sert à compter ces dix chevaux qu’on regarde, le texte n’est pas aussi explicite, et j’ai dû le développer pour le rendre plus clair. — Se retrouver ailleurs et compter autre chose, il n’y a qu’une seule expression dons le texte au lieu de deux. — Plusieurs éditeurs ont compris dans ce chapitre la phrase qui commence le chapitre suivant.
  588. On vient de voir, la tournure qu’emploie ici le texte n’est pas tout à fait celle-ci ; mais j’ai dû prendre cette tournure pour le début d’un chapitre. — À l’antériorité et à la postériorité, j’ai conservé ces mots généraux, pour qu’ils pussent également s’appliquer au temps et au mouvement. — Parce qu’il est le nombre, le texte est moins formel.
  589. Le plus petit nombre possible, le mot de Nombre est pris ici dans le sens de Quantité, comme la suite le prouve. — Pour un nombre particulier, j’ai dû ici paraphraser le texte pour l’éclaircir. — Et concret, j’ai ajouté ces mots. — En un sens, comme nombre proprement dit. — En un autre sens, en tant que quantité et non plus en tant que nombre. — Le plus petit nombre en quantité, voilà bien le second sens où l’on prend ici le mot de Nombre ; mais ce sens est tout à fait détourné ; et il serait plus exact de dire : « La plus petite quantité possible. » Le nombre est une quantité ; mais il n’est pas réciproquement vrai que toute quantité suit un nombre. — C’est deux lignes, c’est alors un nombre concret. — Et même une seule ligne, si l’on admet que l’unité soit un nombre. — En grandeur, c’est qu’en effet ce n’est plus un nombre à proprement parler ; c’est une quantité. — Il n’y a pas de plus petit nombre possible, nombre étant pris pour quantité ou grandeur, ceci revient à dire que dans la grandeur il n’y a pas de minimum comme dans le nombre, parce que toute grandeur est indéfiniment divisible. — Au point de vue du nombre, proprement dit. — Un ou deux temps, c’est-à-dire un ou deux espaces de temps, un ou deux jours, un ou deux mois, un ou deux ans, etc. — Sous le rapport de la grandeur, c’est-à-dire ici de la durée. — Il n’y a pas de plus petit temps possible, il semble au contraire que sous le rapport de la durée, l’instant est un minimum ; mais il est vrai qu’on ne peut jamais donner la mesure exacte de l’instant.
  590. Qu’il est lent ou rapide, le temps en effet n’est ni lent ni rapide par lui-même, puisque son flux est immuable ; et c’est seulement par un abus de langage, dont il est facile de se rendre compte, qu’un prête au temps rapidité ou lenteur, selon les sensations qui nous agitent, ou selon les événements qui se passent autour de nous. — Beaucoup de temps, et peu de temps, les idées de peu et de beaucoup peuvent s’appliquer très bien au temps, puisqu’il est un nombre. — Le temps est long ou court, en tant que continu. — Le nombre qui nous sert à nombrer, c’est le nombre abstrait.
  591. C’est le même temps, l’identité du temps est évidente de soi, si on le considère à un instant donné ; et il est le même à l’instant où j’écris ces lignes pour l’univers entier ; mais le temps est divers en ce sens qu’on y peut distinguer les différents moments de la succession infinie qui le compose. Il est passé, présent et avenir ; et dans le passé et dans l’avenir, les divisions peuvent être indéfinies. — Qu’il y a antériorité et postériorité, qu’il est passé ou futur, et qu’on y distingue des moments divers dont les uns sont postérieurs ou antérieurs aux autres. — Parce que le changement, ou le mouvement, avec lequel le temps peut être confondu. — Ce n’est pas celui qui nous sert à compter, c’est-à-dire le nombre abstrait. — Qui est compté lui-même, c’est le nombre concret ; mais on ne peut pas dire précisément que ce nombre soit compté ; ce sont seulement les objets que l’on compte a proprement parler. — Tandis que le nombre, proprement dit.
  592. Par un retour constamment pareil, le texte n’est pas lent à fait aussi formel. — Périodiquement, j’ai ajouté ce mot.
  593. Le mouvement par le temps… le temps par le mouvement, cette réciprocité de mesure entre le temps et le mouvement a été déjà plusieurs fois indiquée dans tout ce qui précède ; mais elle n’avait pas été jusqu’ici exposée avec la précision nécessaire. — Se limitent et se déterminent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Nous le mesurons par le mouvement, soit le mouvement extérieur et sensible, soit le mouvement intérieur de nos propres pensées. — Par la chose qui est l’objet de ce nombre, en prenant cette chose pour unité de mesure, et en appréciant le nombre, selon qu’elle est en plus ou moins grande quantité. — C’est par un seul cheval, pris comme unité de mesure, et alors ou dit qu’il y a dix, vingt, cent chevaux, etc. On a l’idée du nombre par les êtres même qu’il sert à dénombrer. — Le rapport du nombre concret ou nombre abstrait. Ce rapprochement entre le mouvement et le temps est fort ingénieux.
  594. Le mouvement implique la grandeur, voir plus haut ch. 17, § 2. — Et des quantités, et non pas des nombres, terme qui ne serait pas ici assez général, — Ne se manifeste, le texte n’est pas aussi précis. — Nous mesurons indifféremment la grandeur, peut-être le mot d’Étendue serait-il plus juste que celui de Grandeur dans tout ce passage ; mais j’ai dû suivre le texte. La grandeur signifie ici l’espace parcouru, et non le corps même qui parcourt telle portion de l’espace ; l’exemple que donne Aristote du voyage et de la route, détermine du reste assez clairement le sens du mot de Grandeur. — Si le voyage a été long, c’est-à-dire a duré longtemps. — Beaucoup de mouvement, que d’ailleurs ce mouvement soit lent ou rapide, de quelqu’espèce que ce soit.
  595. . Et de l’être même du mouvement, le texte n’est pas aussi précis ; mais le sens est déterminé parce qui suit, et il ne peut laisser de doute, bien que l’expression dont se sert Aristote soit peut-être un peu vague. — Limite et détermine, il n’y a qu’un seul mot dans le texte — Mesure la longueur, d’une chose quelconque, et par exemple d’une pièce de toile. — Une certaine dimension, c’est-à-dire une partie de la chose qui correspond à la longueur de la coudée ; et cette partie prise pour unité sert à mesurer tout le reste. — Être dans le temps, occuper une certaine partie du temps, exister pendant un certain temps, cette expression qui doit revenir assez souvent, n’est peut-être pas déterminée avec assez de précision. — Soit en lui-même, d’une manière générale, le mouvement ne peut être mesuré que par le temps. — Soit dans sa réalité en d’autres termes sa durée. — Et la réalité du mouvement, le texte dit : L’être du mouvement.
  596. Pour toutes les autres choses, pour toutes les choses autres que le mouvement. — Être dans le temps, c’est-à-dire durer un certain laps de temps, exister un certain temps. — Être quand le temps est, c’est-à-dire durer autant qu’une certaine portion de temps déterminée, un jour, un mois, une année. — Qu’elles sont dans le nombre, ou En nombre, cette expression encore est fort obscure, et les explications que donne Aristote ne servent pas beaucoup là l’éclaircir. Ainsi, dix chevaux sont en nombre, parce que Dix indique le nombre qu’ils sont. — Une partie et une propriété du nombre, ces expressions sont expliquées par ce qui suit. La partie du nombre, c’est l’unité ; la propriété du nombre, c’est le pair et l’impair. — L’instant présent, on simplement : « Le présent. » — L’antérieur, ou « Le passé, » quoique le mot d’antérieur soit plus large et puisse aussi s’appliquer à l’avenir. — Elles sont renfermées par le nombre, c’est-à-dire qu’elles forment un certain nombre qui les comprend.
  597. On doit voir aussi, ceci est l’explication de la première signification prêtée à celle expression Être dans le temps. Voir plus haut § 2. — Ce n’est pas être en mouvement, cet exemple est évident et fait bien ressortir la pensée. — Le ciel tiendrait dans un grain de millet, l’exemple est assez bizarre ; mais il est exagéré pour faire mieux saisir à quelle absurdité on serait conduit. — Cette coïncidence, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Mais une conséquence absolument nécessaire, tandis que l’autre ne l’est pas, et qu’on ne peut pas conclure qu’une chose est dans une autre, parce que cette autre chose coexiste avec elle. — Est dans le temps, quel que soit d’ailleurs le sens où l’on prend cette expression.
  598. Ressemble à être dans le nombre, voir plus haut, § 2. — Un temps plus grand, c’est-à-dire que le temps étant infini dépassera toujours la durée d’une chose quelconque, de même que le nombre, qui est également infini, pourra toujours surpasser un nombre quelconque de choses déterminées. C’est un premier rapport entre le temps et les choses qui sont dans le temps.
  599. Voilà comment, second rapport des choses et du temps, elles sont renfermées dans le temps, comme elles sont renfermées dans l’espace. — Qui sont dans le lieu, ou : « Dans l’espace. »
  600. Soient affectées de quelque manière, les exemples qui suivent montrent ce qu’il faut entendre par là. — Le temps n’accroît pas notre science, bien qu’il faille beaucoup de temps pour beaucoup savoir, ce n’est pas le temps lui-même qui nous apprend ce que nous savons ; et c’est là ce qui fait que les esprits inattentifs ou inintelligents profitent si peu de l’expérience. — Une cause de ruine, c’est vrai d’une manière générale, quoi qu’à certaines périodes de la vie le temps soit un élément de force et de beauté. — Transfigure, le mot du texte implique un changement d’état et une transformation.
  601. . Les choses qui sont éternelles, comme les corps célestes, par exemple. — Elles ne sont pas renfermées par le temps, voir plus haut, § 5. — Leur existence n’est pas mesurée par lui, puisqu’elles sont éternelles ainsi que lui, et infinies en durée comme il peut l’être lui-même. — Elles ne subissent de sa part aucune action, c’est-à-dire qu’elles n’éprouvent aucun changement. Il faut rapprocher tout ce passage d’Aristote des passages analogues du Timée de Platon, p. 130 de la traduction de M. Y. Cousin ; mais le langage du disciple n’a pas encore toute la majesté de celui du maître.
  602. La mesure du mouvement, puisqu’il est le nombre du mouvement. — Bien qu’indirectement, attendu que le repos n’est que la privation du mouvement, et qu’ainsi le repos est mesuré par le temps comme le mouvement, dont il est la privation.
  603. Ce qui est dans le mouvement, c’est une sorte de tautologie avec ce qui suit. — Il n’en est pas de même, c’est-à-dire que ce qui est dans le temps ne doit pas être nécessairement aussi en mouvement, puisque le temps n’est que le nombre et la mesure du mouvement, sans être le mouvement lui-même. — Plus haut, Livre III, ch. 2, § 1.
  604. Mais quand on dit, le texte n’est pas tout à fait aussi explicite ; j’ai dû le développer un peu pour le rendre plus clair. — Et que l’être de cette chose, en tant qu’elle est numérable. — Si la chose est dans le temps, comme l’autre est dans le nombre ; voir plus haut § 2. — Il mesurera la quantité, sous le rapport de la durée. — De la grandeur, ou : « De la quantité. » — La grandeur de son mouvement, puisque le temps est le nombre ou la mesure du mouvement.
  605. Ni en mouvement ni en repos, par exemple les vérités éternelles, ou les Idées comme aurait dit Platon, dont Aristote se rapproche beaucoup ici. Voir plus haut ch. 4 § 11. — Et l’inertie ou : « Le repos. »
  606. Ou ce qui n’est pas, j’ai ajouté cette paraphrase. — Autrement que n’être jamais, le texte n’est pas aussi formel. — Comme le diamètre, exemple familier à Aristote. Le diamètre veut dire ici l’hypoténuse d’un angle droit.
  607. Indirectement, ou « accidentellement. » — Ne peuvent jamais avoir leur être, en tant que mesurables par le temps. Leur être en ce sens se confond avec leur durée. — Sont nécessairement dans le temps, ce sont même les seules qui soient dans le temps, puisque les choses éternelles et les choses impossibles n’y sont pas. — Qui dépasse leur être, c’est-à-dire leur durée ; et alors ce qui suit est une sorte de tautologie, puisque l’être des choses par rapport au temps n’est pas distinct de leur durée. — Qui n’existent pas, actuellement sous-entendu. — Que le temps les renferme, en ce qu’elles ne sont ni éternelles ni impossibles. — De l’une ou de l’autre des deux façons, des choses ont été et ne peuvent plus être ; ainsi Homère a vécu. Il y en a qui ont été, mais qui peuvent être de nouveau. — Que le temps ne renferme d’aucune manière, celles qui sont ou impossibles ou éternelles ; voir plus haut §§ 7 et 12. — Le côté incommensurable au diamètre ne sera point dans le temps, parce que l’incommensurabilité est éternelle et n’est point renfermée dans le temps. — Le côté commensurable n’y sera point davantage, parce qu’il est éternellement impossible.
  608. L’instant présent, je paraphrase. — Ainsi que je l’ai dit, voir plus haut, ch. 17, § 4. — Il réunit continuement, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Mais ceci, c’est-à-dire cette propriété de limitation. — Pour la ligne, il serait plus exact de dire : Pour le point dans la ligne. — Qui demeure immobile, et où par conséquent on peut saisir plus aisément cette propriété, qu’ont tous les points dont la ligne se compose. — Qu’en puissance, c’est peut-être trop dire ; mais l’instant, insaisissable comme il est, semble ne jamais être complètement. — Réunit et continue, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Pour la raison, ou bien : « logiquement. » — Quand on divise la ligne, et qu’alors le point se trouve le commencement d’une ligne et la fin d’une autre ligne. — La division du temps, et alors l’instant se dédouble logiquement, puisqu’il se trouve tout à la fois la fin du passé et le commencement de l’avenir. — Sont la même chose, parce qu’elles se confondent dans un seul et même instant. — Soutiennent le même rapport, avec le passé et l’avenir, que l’instant réunit ou qu’il divise, puisque logiquement le présent réunit ou divise tout aussi bien les deux portions du temps entre lesquelles il est placé. — De comprendre l’instant, ou le présent en lui-même et à proprement parler.
  609. Il en est une autre, qui est impropre. — De l’instant dont on parle, soit passé, soit à venir. — Est proche de celui où l’on est, et qu’alors on néglige une différence qui semble trop petite pour qu’on s’en occupe. — On dit de quelqu’un, le texte n’est pas tout à fuit aussi formel. — Les événements d’Ilion, éloignés du temps d’Aristote par sept ou huit siècles. — Le déluge, de Deucalion. — Le temps est continu, parce qu’en effet il n’y a pas de lacune entre ces événements, tout éloignés qu’ils sont du présent, et le moment où l’on en parle. — Ne sont pas proches de nous, et par conséquent on ne peut les confondre avec le présent.
  610. L’expression de Alors, Un jour, il n’y e qu’un seul mot dans le texte ; je n’ai pas pu trouver dans notre langue d’équivalent meilleur pour le mot grec. — Antérieur (ou postérieur), j’ai dit ajouter ces mots qu’implique le contexte et qu’autorisent les commentateurs grecs, bien que cette addition ne soit pas indispensable. — Un jour ou Alors, Ilion a été prise, c’est pour le passé. — Un jour, une inondation aura lieu, c’est pour le futur ; Une inondation ou le déluge. — Par rapport à l’instant actuel, d’où l’on part s’il s’agit du futur, et où l’on aboutit s’il s’agit dit passé — Vers l’événement, à venir — D’une part… d’autre part, le texte n’est pas aussi formel.
  611. Toute espèce de temps quel qu’il soit, le texte n’est pas aussi explicite. — Peut toujours être fini, et alors le temps ne sera pas infini et éternel, comme le soutient toujours Aristote. Le temps, quand il est déterminé, est fini ; mais le temps pris d’une manière générale est infini comme l’espace, et éternel comme lui.
  612. Viendra-t-il donc jamais à défaillir, ce qui arriverait si toute espèce de temps était fini, comme on vient de le supposer. Ce qui fait ici l’embarras, c’est qu’Aristote n’a pas assez distingué le temps et la durée ; le temps devrait toujours être pris au sens limité et fini ; et l’éternité serait l’expression propre pour le temps infini. Platon a fait cette distinction profonde dans le Timée, p. 430 de la traduction de M. V. Cousin. — Ne doit-on pas dire, c’est la tournure qu’emploie très souvent Aristote pour exprimer sa propre opinion. La forme interrogative ne doit rien ôter à la force de l’affirmation. — Puisque le mouvement est éternel, et que le temps mesure le mouvement, comme le mouvement mesure le temps. Voir Livre VIII, ch. 1.
  613. Le temps est-il donc toujours autre ? question aussi profonde que difficile, et qu’Aristote ne résout pas. — Est-ce le même qui revient à plusieurs fois ? il semble que le temps est toujours le même, puisqu’il est impossible de distinguer un instant d’un autre instant, et que toutes les divisions factices imaginées pour le temps, le jour, les mois, les années, les siècles, y sont complètement étrangères. — Tel est en cela le mouvement, tel est aussi le temps, cette assimilation du temps et du mouvement ne résout pas la question ; et il n’est pas sûr mémé qu’elle soit fort exacte. — Le mouvement peut être toujours un et le même, cette pensée aurait eu besoin d’explication, et le mouvement n’est pas un et continu comme l’est le temps ; il n’est pas comme lui partout, et toujours le même.
  614. L’instant présent, ou simplement : « Le présent. » — Non pas du même temps, cette distinction importante est répétée à la fin du §. — Il en est ici comme du cercle, comparaison ingénieuse, bien qu’elle ne serve pas beaucoup à éclaircir la pensée ; car la notion du temps est plus familière à l’esprit que la notion mathématique par laquelle on cherche à l’expliquer. — En est toujours à commencer et à finir, il faut remarquer la justesse et la profondeur de cette théorie. — Si c’était le même temps, j’ai ajouté cette courte phrase qui me semble indispensable et dont le sens est impliqué dans le contexte. — Les opposés coexisteraient ensemble, ce qui est impossible ; voir les Catégories, ch. 10, p. 109 et suiv, de ma traduction. Ici les opposés sont le passé et l’avenir. — Ne viendra non plus jamais à défaillir, c’est-à-dire que le lumps est éternel, comme il sera démontré plus loin, Livre VIII, ch. 11. — Parce qu’il en est toujours à commencer, c’est par une raison analogue que le temps n’a pas eu de commencement, parce qu’il en est toujours à finir.
  615. Tout à l’heure, je n’ai pas trouvé dans notre langue un équivalent plus convenable pour le mot grec ; mais il faut remarquer que l’expression de Tout à l’heure s’applique tout aussi bien au passé qu’à l’avenir, alternative que ne suppose pas le mot grec au même degré, à ce qu’il paraît d’après le contexte mérite, puisque la première signification que signale Aristote se rapporte à l’avenir. — Je me suis déjà promené, il n’y a qu’une seule phrase dans le texte ; j’ai ajouté cette seconde phrase, répétition presque complète de la première, afin de pouvoir introduire le mot de Déjà, qui est le seul dans le texte grec.
  616. Récemment ou Tantôt ; mais ce dernier mot, en français, peut s’appliquer au futur tout aussi bien qu’au passé, tandis que le mot grec ne paraît avoir que cette dernière signification. — Ou à l’instant, j’ai ajouté cette paraphrase.
  617. L’éloignement des choses, dans le passé, comme l’expression précédente exprimait leur proximité dans le passé aussi.
  618. Survient par un dérangement subit, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  619. Cause d’un dérangement, l’idée même de changement implique celle de dérangement, c’est-à-dire le passage d’un certain état à un autre état.— Naissent et périssent, voir plus haut, § 13. — Aussi a-t-on dit parfois, il paraît que cette sentence doit être attribuée à Simonide, si l’on s’en rapporte à Simplicius, qui s’appuie sur l’autorité d’Eudème. — De plus sage et de plus savant, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Mais Paron, le Pythagoricien, il n’est pas sûr que Paron soit ici un nom propre ; et, d’après l’explication de Simplicius, on peut supposer qu’il s’agit seulement de la réponse d’un Pythagoricien inconnu qui était présent à la conversation de Simonide pendant les jeux olympiques. — Je l’ai déjà dit, voir plus haut, § 6. — Car le changement, on se rappelle que le mouvement se confond avec le changement ; voir plus haut, ch. 15, § 7. — Indirectement ou accidentellement. — Que le temps est cause de la génération, parce que toute génération quelconque a lieu dans le temps, sans que ce soit le temps qui la cause directement. Le texte n’est pas d’ailleurs aussi précis, et cette phrase pourrait se rapporter au mouvement aussi bien qu’au temps. — Sans le moindre mouvement, ou changement. — Par la destruction que cause le temps, c’est la destruction lente et insensible dont on ne peut apprécier l’effet qu’à de longs intervalles. — Qui produit cette destruction, bien que dans le langage ordinaire ce soit toujours au temps qu’on l’attribue. — Aussi bien que les autres, soit de translation, soit d’accroissement et de décroissance, etc.
  620. L’existence du temps, voir plus haut, ch. 18. — Du mot Instant, voir plus haut, ch. 17. — De ces autres expressions, expliquées dans le présent chapitre.
  621. L’énumération, c’est le mot même du texte, je l’ai conservé quoiqu’il fût possible de trouver une expression qui résumât plus exactement ce qui précède. — Tout changement, ici Changement est synonyme et équivalent de Mouvement ; voir plus haut ch. 15, § 7. — Qu’une autre, j’ai ajouté ces mots pour rendre la pensée plus claire. — Pour arriver à l’état qui est en question, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Antérieurement, dans le sens où l’on vient de dire un peu plus haut qu’une chose est douée d’un mouvement plus rapide, quand elle change Antérieurement à une autre. — Pour tout le reste, c’est-à-dire les autres espèces de mouvements : l’accroissement, l’altération, etc. ; voir les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — Antérieur et postérieur, c’est-à-dire passé et futur ; mais j’ai conservé les mots d’Antérieur et de Postérieur, parce que leur forme comparative répond davantage a l’expression du texte. — Le présent, l’instant, il n’y a qu’un seul mot dans le grec. — Le présent étant dans le temps, le présent ne semble pas être plus dans le temps que les deux autres moments, le passé et l’avenir. — S’entend d’une manière inverse ou contraire, remarque fort ingénieuse et qui était neuve sans doute au temps d’Aristote. — Du temps passé ou du temps futur c’est là ce qui fait qu’on ne doit pas confondre l’antérieur avec le passé ni le postérieur avec l’avenir ; antérieur et postérieur marquent seulement des degrés corrélatifs entr’eux que les degrés soient dans le passé, ou qu’ils soient dans l’avenir. — Une conséquence du mouvement, parce que tout mouvement est ou plus rapide ou plus lent, selon qu’on vient de le remarquer. — Il est clair, c’est la conclusion annoncée dès le début du §.
  622. Le rapport du temps à l’âme, voir plus haut, ch. 16, §§ 1 et suiv. — Qui le perçoit, j’ai ajouté ces mots pour rendre toute la force de l’expression grecque. — La terre, la mer, la notion du temps nous accompagne partout où nous sommes, et nous plaçons le temps en dehors de nous après l’avoir trouvé d’abord en nous-mêmes. — Et le ciel, où les mouvements des corps qui le peuplent, nous donnent l’idée du temps par celle du changement.
  623. Une propriété, le texte dit une Attention. — Toutes ces choses sont mobiles, il n’est pas probable qu’Aristote veuille dire ici que la terre est mobile, dans le sens où nous l’entendons aujourd’hui ; car il a toujours soutenu l’immobilité de la terre ; mais il veut dire sans doute que tout est mobile à la surface de la terre, à peu près comme tout est mobile à la surface des eaux. — Tout cela, c’est-à-dire la terre, la mer et le ciel. — Le temps et le mouvement coexistent toujours, puisque le temps mesure le mouvement, et que réciproquement le mouvement mesure le temps. — Soit en puissance soit en acte, c’est-à-dire que si le mouvement est simplement en puissance, le temps est en puissance aussi, et que si le mouvement est en acte, le temps est en acte également.
  624. Si l’âme par hasard, question souvent posée depuis Aristote, et reprise par Kant, qui en a donné une solution toute idéaliste ; voir la Critique de la Raison pure, Esthétique transcendantale, section II sur le temps, après la section sur l’espace. La solution que donne ici Aristote semblerait se rapprocher de celle de Kant, qui appelle le temps et l’espace les formes de la sensibilité, et refuse à l’un et à l’autre toute réalité substantielle. Voir la Préface, où j’ai discuté ces questions. — Ou ce qui peut l’être, cette alternative semble détruire la première assertion ; et il suffit qu’il y ait quelque chose de numérable pour qu’il y ait nombre. — Et dans l’âme, l’entendement, voir le Traité de l’âme, Livre III, ch. 4, p. 290 de ma traduction. — Il est dès lors impossible que le temps soit, solution toute idéaliste, et qu’on ne s’attendait pas à trouver dans Aristote. Il n’est pas probable que Kant ait connu cette théorie de son prédécesseur ; mais le rapprochement est frappant. — Si l’âme n’est pas, je crois que cette opinion d’Aristote résulte de la confusion qu’il fait du temps et de la durée, de même qu’il a confondu le lieu et l’espace. Le temps n’est pas sans l’âme, si l’on veut exprimer par le temps cette partie de la durée qu’il est permis à l’homme de mesurer ; mais la durée existe indépendamment de l’âme, et elle n’en serait pas moins, lors même qu’il n’y aurait pas d’intelligence pour en mesurer la moindre parcelle. L’espace également existerait quand même il n’y aurait pas de corps pour l’occuper, ou d’intelligence pour le concevoir. — Que ce qu’il est simplement, c’est-à-dire sans être nombre du mouvement, et sans qu’aucune partie de ce nombre et de ce mouvement puisse être déterminée, puisqu’il n’y aurait plus d’intelligence capable de cette détermination. — Ait lieu sans l’âme, les commentateurs, déplaçant ici la question, soutiennent que c’est l’âme universelle dont il s’agit dans ce passage ; mais la question posée au début du § ne s’adresse évidemment qu’a l’âme humaine, et dans l’âme à l’entendement, sa faculté supérieure. — Le temps n’est au fond que l’un et l’autre, le temps pris dans son sens limité et défini ; mais non le temps pris dans son sens de durée éternelle, sans commencement ni fin.
  625. De quelle espèce de mouvement, voir les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — D’un mouvement quelconque, c’est-à-dire de toutes les espèces de mouvement, le nombre du mouvement en général. — Naissent, périssent, c’est une des espèces du mouvement. — Et s’accroissent, autre espèce du mouvement. — Qu’elles changent, même remarque. — Et qu’elles se meuvent, ou se déplacent, espèce principale du mouvement. — Du mouvement continu, dans lequel il y a antérieur et postérieur, et par conséquent dans lequel il y a du temps.
  626. Deux choses différentes se meuvent, dans le § précédent, il s’agissait de la différence des mouvements selon leurs espèces ; il s’agit ici de la différence des mouvements selon les corps où ils ont lieu. On voit d’ailleurs que ceci s’applique, non pas seulement à deux corps que l’on comparerait, mais à l’ensemble des corps, ce qui est dit ici pour deux n’étant pas moins vrai pour tous. — Le nombre de l’une et l’autre, et par suite de toutes choses sans exception. — Est-il autre aussi, comme les corps en mouvement desquels on l’applique. — Deux temps égaux simultanément, le temps est un, éternel, infini en tant que durée ; mais il peut y avoir deux ou plusieurs temps égaux, pris comme mesure, ou nombres de mouvements égaux. — Le temps tout entier, en d’autres termes la durée ; le temps tout entier, c’est l’éternité. Aristote n’a pas fait ici cette distinction aussi nettement que Platon dans le Timée ; voir p. 130 de la traduction de M. V. Cousin. — Les temps qui ne sont pas simultanés, ce sont des portions de la durée limitées et définies par rapport à nous. Ce ne sont pas des temps dans le sens où Aristote vient de dire : « Le temps tout entier. » — Le nombre qui est bien toujours le même, comparaison exacte et frappante. — Le temps est le même… ensemble, il paraît qu’il y a ici quelque tautologie ; car des mouvements qui s’accomplissent ensemble ne sont que des mouvements qui s’accomplissent dans le même temps. — Un déplacement, et tantôt une simple altération, voir sur les diverses espèces du mouvement les Catégories, ch. 14, p. 128 de ma traduction. — Des mouvements et des êtres, le texte est tout à fait indéterminé, et j’ai cru pouvoir préciser ma traduction par ces deux mots.
  627. Se compte et se mesure, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Une seule et unique chose, que l’on prend pour unité de mesure et à laquelle on rapporte toutes les choses de même espèce, pour les mesurer ou les compter. — Les unités, c’est-à-dire les nombres, ou peut-être aussi les individus. — Par un certain temps déterminé, selon les divisions admises par l’usage. — Nous l’avons déjà dit, plus haut, ch. 18, § 7. — Le temps d’un mouvement déterminé, comme les clepsydres, par exemple, du temps d’Aristote, ou le pendule de notre temps.
  628. Le primitif, j’ai conservé toute la généralité de l’expression grecque. — La translation circulaire, par exemple, celle qui amène le retour périodique des jours et des nuits, des saisons, des années, etc. — La mesure par excellence, voir plus loin, Livre VIII, ch. 10, où il est donné une démonstration de ce principe. — N’ont rien d’uniforme, en ce qu’ils sont tantôt plus rapides et tantôt plus lents. — La translation, ajoutez : Circulaire, d’après ce qui a été dit plus haut.
  629. A été pris pour le mouvement de la sphère, voir plus haut, ch. 15, § 2, où cette opinion de quelques philosophes a été rappelée ; le mouvement de la sphère signifie le mouvement circulaire du ciel et de l’univers. — Et qui mesure aussi le temps, par le retour périodique des jours et des nuits, des saisons et des années.
  630. Un cercle dans les choses humaines, l’expression est un peu vague ; et elle peut s’appliquer également soit à la vie des individus soit à celle des peuples. — Appréciées d’après le temps, qui semble former lui-même une sorte de cercle et de période régulière, comme il est dit un peu plus bas. — Un cercle de certain genre, à cause du retour périodique d’un certain nombre de phénomènes qui se répètent toujours les mêmes et qui se passent dans le temps. — De cette translation circulaire, le texte est un peu moins précis. — Un certain nombre accumulé, j’ai ajouté ce dernier mot.
  631. D’une part pour les moutons, voir plus haut, § 8. — La dizaine n’est pas la même, en ce sens seulement que les objets auxquels elle s’applique ne sont pas les mêmes, — Elle n’en diffère point dans sa différence essentielle, j’ai ajouté ce dernier mot qui m’a paru indispensable. La différence essentielle est celle qui fuit qu’un objet est classé dans tel genre ou dans tel autre. Par exemple, en fait de figures, c’est une différence essentielle d’avoir trois ou quatre côtés ; car les trois côtés placent la figure parmi les triangles, tandis que les quatre côtés la placent parmi les quadrilatères. Voir l’Introduction aux Catégories de Porphyre, ch. 3, p. 14 de ma traduction. — Une simple différence de triangle, ce n’est donc qu’une différence d’espèce et non de genre. — Une, seule et même division, c’est-à-dire celle des triangles. — Mais le triangle n’est pas le même, il y a dans tout ce passage un peu de redondance et quelques répétitions. La pensée est d’ailleurs fort claire et n’avait pas besoin de tant de développements ; mais toutes les notions mathématiques étaient beaucoup moins répandues au temps d’Aristote qu’elles ne le sont aujourd’hui. — C’est de cette façon que le nombre, conclusion à laquelle tend tout le raisonnement qui précède. — Une différence de nombre, puisque c’est également dix de part et d’autre. — Ici des chiens et là des chevaux, plus haut le texte disait des chiens et des moutons.
  632. À cette étude, à l’étude de la nature et du mouvement. Avec ce quatrième livre, se termine la première partie de la Physique d’Aristote. Le reste de l’ouvrage sera consacré à la théorie du mouvement, que toutes les théories précédentes n’ont fait que préparer. Voir plus haut, Livre III, ch. 1 ; voir aussi la Dissertation préliminaire sur la composition de la Physique d’Aristote et la Préface.
  633. Tout ce qui change, le changement se confondant toujours avec le mouvement ; voir plus haut, Livre IV, ch. 15, § 7. — Soit par accident, ou indirectement. — Le musicien marche, c’est accidentellement ou indirectement qu’on dit du musicien qu’il marche ; car ce n’est pas parce qu’il est musicien qu’il marche, et en tant que musicien il ne fait que de la musique. — C’est un accident, ou un attribut. — D’une manière absolue, et sans mettre aucune limite ni réserve. Ainsi, on dit de quelqu’un qu’il est guéri, parce qu’une simple partie de lui-même, son œil, sa poitrine sont guéris de l’affection qui les affligeait ; c’est qu’on prend alors la partie pour le tout ; et dans ce sens le changement n’est que partiel, au lieu d’être total. Le mouvement ainsi compris est encore en quelque sorte accidentel. — Dans un dernier et troisième sens, le texte n’est pas aussi formel. — Parce qu’elle se meut primitivement elle-même, c’est-à-dire dans sa totalité, et en ne puisant son mouvement qu’en elle seule. — Mobile en soi, c’est-à-dire ce qui est mu en soi et pour soi, sans aucun rapport à ses attributs ou à ses parties.
  634. Dans chaque espèce de mouvement, voir les Catégories, ch. 16, p. 128 de ma traduction. — Un être qui s’altère, l’altération est le mouvement dans la qualité ; l’être change de qualité et d’attributs sans changer de place et de quantité ; ainsi, un corps qui est noir devient blanc ; il s’altère ainsi et devient autre ; c’est un mouvement sur place et en soi, puisque c’est l’être qui change d’un état à un autre état. — Et dans le mouvement même de l’altération, le texte n’est pas aussi précis. — Devient différent, en passant d’un état à un état différent. — Se guérit ou qu’il s’échauffe, ces deux mouvements sont des mouvements de simple altération. De malade l’être redevient sain ; et du froid, il passe à la chaleur.
  635. Ces distinctions, le texte n’est pas aussi formel. — Les mêmes pour le moteur, que pour le mobile, dont on vient de parler ; c’est-à-dire qu’on distingue le moteur par accident, le moteur dans une de ses parties, et enfin le moteur en soi. — Accidentellement.., partiellement… primitivement, distinctions pareilles à celles du § 9. Ces distinctions peuvent paraître trop subtiles, quoiqu’elles soient exactes. — Le médecin guérit, ce n’est pas l’homme qui en soi guérit ; mais c’est le médecin seul, puisque c’est en tant que médecin qu’il guérit la maladie qu’il soigne comme tel. — Et la main frappe, cet exemple n’est peut-être pas assez clair ; car la main est bien la partie qui frappe directement, quand quelqu’un porte en coup à un autre ; mais la main n’a pas de mouvement propre, et elle obéit à une impulsion qui ne vient pas d’elle.
  636. Plusieurs termes à considérer, le texte n’est pas aussi explicite. — Le moteur initial, le principe même du mouvement, la première cause de tout le mouvement, quelles qu’en soient les conséquences diverses. — Ou l’objet mu, j’ai ajouté cette paraphrase. — En troisième lieu, le texte n’est pas aussi formel. — Le mouvement se fait, j’ai ajouté ces mots. — Ces trois termes, même observation. — Le point ou l’état. — D’un certain point, ou D’un certain état. — Et le premier mobile, c’est-à-dire le mobile qui est le premier à recevoir le mouvement. — Ce mobile est poussé par le mouvement, le texte est moins explicite, et les formules dont se sert Aristote dans tout ce passage sont très concises. — Le point d’où il est parti, même observation. — Le bois, peut-être l’exemple pouvait-il être mieux choisi, bien qu’il soit ici sans importance. — L’état où il tend, c’est-à-dire l’état de chaleur. — L’état d’où il part, c’est-à-dire que le bois était d’abord froid avant de devenir chaud. — Qu’est le mouvement, ou plutôt le changement, puisqu’il s’agit d’une simple altération sans déplacement. — Et non point dans sa forme, la forme c’est ici le chaud ou le froid, selon les états différents où le bois se trouve et la forme comprend ainsi le point de départ et le point d’arrivée. — Le lieu, où est le corps qui meut ou qui est mu. — Ou la quantité, qui compose le corps et lui donne ses dimensions. — Mais il y a là, le texte est aussi vague que ma traduction. — Et un état, ou un point. — Qui décide du nom, le texte n’est pas tout à fait aussi formel.— L’état d’où le mouvement est parti, ainsi, d’une chose noire qui devient blanche, on dit qu’elle blanchit et non pas qu’elle dénoircit, parce qu’on regarde à l’état vers lequel tend le mouvement et non point à l’état d’où il part. — Leur changement en non-être, la destruction d’une chose fait que cette chose n’est pas ; mais pour ne plus être, il faut que d’abord elle ait été. Le non-être est le point où elle arrive ; et l’être est au contraire le point d’où elle est partie. — La génération, opposée à la destruction. — Est un changement vers l’être, pour qu’une chose soit engendré ou produite, il faut d’abord qu’elle ne soit pas ; et c’est en partant du non-être qu’elle arrive à être et qu’elle est.
  637. Nous avons défini plus haut, voir plus haut, Livre III, ch. 1, § 12 — La nature du mouvement, et il a été établi que le mouvement est dans le mobile, Livre III, ch. 1, § 3 ; par conséquent, le mouvement n’est ni dans le point de départ, ni dans le point d’arrivée. C’est ainsi qu’on peut rattacher ce § 5 aux idées précédentes.
  638. Quant aux formes, c’est-à-dire la génération et la destruction, selon que les choses naissent ou périssent. — Aux affections, le froid ou le chaud, et autres qualités analogues. — Et au lieu, si le mouvement se produit par déplacement dans l’espace, au lieu de se produire par accroissement ou décroissement, et par modifications dans la qualité. — Ils sont immobiles, et, par conséquent, ce n’est pas là qu’il faut chercher le mouvement. — La science, est une sorte de repos auquel l’esprit arrive par le mouvement de l’étude. Voir plus haut, Livre III, ch. 2, § 10. — Ou la chaleur, état dernier où s’arrête le mouvement, quand le bois, par exemple, de froid qu’il était tend à devenir chaud.
  639. Les affections des choses sont des mouvements, cette hypothèse est fausse ; et les affections, loin d’être des mouvements, sont plutôt des repos, puisque ce sont des états définitifs auxquels le mouvement vient aboutir. — Un changement qui tendrait au mouvement, et qui, par conséquent, ne serait pas lui-même un mouvement. Mais la blancheur, si elle est en effet une affection, n’est pas mobile pour cela ; et elle est, au contraire, un état où le corps ne change plus, une fois qu’il y est arrivé.
  640. . Ce n’est pas la blancheur elle-même, la blancheur n’est qu’un état ou une affection permanente de la chose. — C’est le blanchissement, j’ai été obligé de forger ce mot pour répondre au mot grec, qui, sans doute, a été aussi forgé par Aristote. Il faut prendre ici le mot de Blanchissement, non pas dans le sens d’action de rendre blanc, mais dans le sens d’action de devenir blanc. Il y a alors dans cet acte incomplet qui est en voie de se produire, une sorte de mouvement qui n’est pas dans la blancheur.
  641. Mais ici encore, le texte dit : Dans ces choses, voulant sans doute rappeler par là les formes, les affections, et les deux points de départ et d’arrivée du mouvement. — Comme tout à l’heure, le texte n’est pas aussi explicite ; voir plus haut § 4. — C’est-à-dire, le texte ne confond pas aussi nettement les deux idées. — À un autre, j’ai dû conserver l’indécision du texte ; mais cette expression, toute vague qu’elle est, n’a rien d’obscur après ce qui précède. — Qui n’a point un autre pour objet, même observation ; l’être change pour lui-même et en soi ; il ne change plus par accident et relativement à autre chose que lui, comme par exemple relativement à une de ses parties. — En ce qu’on pense, l’exemple peut paraître bizarre ; voir plus haut § 4. — C’est un pur accident d’être pensée, comme pour le musicien c’était un pur accident de marcher ; voir plus haut, § 1. — En une couleur, si l’on dit, en prenant ici le genre au lieu de l’espèce, que la chose change en prenant une nouvelle couleur, au lieu de préciser la blancheur. — Une partie de la couleur, ou plutôt une espèce de la couleur. — En étant en Europe, ou plutôt : Pour arriver en Europe. — Où elle est, j’ai ajouté ces mots, et peut-être faudrait-il dire : Où elle va, au lieu de : Où elle est, si l’on disait : Pour arriver en Europe, au lieu de : En étant en Europe. Mais on ne voit pas très clairement comment ces exemples se rapportent aux trois distinctions qui viennent d’être faites un peu plus haut ; et quelques commentateurs ont supposé que le texte était altéré dans ce passage. — Mais en soi, et primitivement ou pour soi. Pour tout ce §, voir la Paraphrase.
  642. Par une de ses parties, le texte dit précisément : Relativement à une autre chose, c’est-à-dire : Relativement à une de ses parties. Voir plus haut § 1. — Soit pour le moteur soit pour le mobile, voir plus haut, §§ 1 et 3. — N’est pas dans la forme, voir plus haut § 4.
  643. Le changement qui est accidentel, ou le mouvement, puisque l’on confond le changement et le mouvement. — Peut être en toutes choses, ou bien aussi : Dans toutes les catégories, comme Simplicius semble le comprendre. — Être toujours et s’appliquer à tout, ces expressions sont bien vagues ; mais la suite les éclaircit en partie. — N’est que dans les contraires, parce que le changement vu d’un contraire d’où il part, à l’autre contraire où il arrive. — Dans les intermédiaires, que le changement traverse nécessairement pour parvenir à l’autre contraires. — Et dans les contradictoires, c’est-à-dire dans les propositions qui sont opposées par affirmation et négation. Voir les Catégories, ch. 10 et 11, p. 109 et 121 de ma traduction.
  644. Peut avoir lieu, le texte n’est pas aussi précis. — Une sorte de contraire, voir sur cette théorie des extrêmes, et du milieu qui les réunit et les sépare, la Morale à Nicomaque, Livre II, ch. 8, § 1, p. 190 de ma traduction. — Le changement s’applique à ce milieu, les exemples donnés à la fin du § éclaircissent cette pensée. — La note médiale, ou peut-être : « La corde médiale, », Le sens d’ailleurs est évident. — Le gris est blanc par rapport au noir, exemple cité bien souvent depuis Aristote.
  645. D’un certain état en un autre état, ou bien « D’une chose à une autre. » — Et le mot grec lui-même le prouve, le texte n’est point aussi formel dans tout ce passage, et j’ai dû le paraphraser, parce que dans notre langue la composition du mot Changement n’a rien d’analogue à celle du mot grec qu’il traduit. Le mot de Transformation s’en rapprocherait davantage à certains égards ; mais je n’ai pu l’employer. — On distingue ici, cette explication tout étymologique est fort ingénieuse. — Peut changer de quatre manières, dont une seule pourra être regardée comme un véritable mouvement, les trois autres restant de simples changements, qui n’impliquent pas l’idée de mouvement. — D’abord d’un sujet dans un sujet, ces formules sont assez singulières au premier coup-d’œil ; mais au fond elles sont fort simples, et elles signifient seulement que le changement peut être exprimé sous forme affirmative ou sous forme négative, pour chacun des deux termes de la proposition. Ainsi 1° Le blanc devient noir ; c’est là un changement d’un sujet dans un sujet ; 2° Le non-blanc devient non-blanc, c’est là un changement de ce qui n’est pas sujet dans ce qui n’est pas sujet ; 3° Le non-blanc devient blanc ; c’est là un changement de ce qui n’est pas sujet dans ce qui est sujet ; 4° Enfin, Le blanc devient non-blanc ; c’est un changement de ce qui est sujet dans ce qui n’est pas sujet. — Ce qui est indiqué par l’affirmation, ainsi qu’on vient de l’expliquer. J’ai conservé ces formules toutes difficiles et obscures qu’elles sont, afin de ne pas trop altérer la physionomie du texte. On peut voir dans la Paraphrase le sens de tout ce passage expliqué aussi clairement que je l’ai pu.
  646. Trois changements possibles, c’est-à-dire le premier, le quatrième et le troisième dans l’ordre où on vient de les énumérer. — D’un sujet dans un sujet, de blanc à noir. — D’un sujet dans ce qui n’est pas sujet, de blanc à non-blanc. — De ce qui n’est pas sujet dans ce qui est sujet, de non-blanc à blanc. — Car le mode de changement, le texte n’est pas aussi formel. — De ce qui n’est pas sujet, c’est le second mode indiqué dans l’énumération précédente : Le non-blanc devient non-blanc. — Il n’y a point là d’opposition véritable, il n’y a point en effet d’opposition comme dans les exemples précédents ; car dans celui-ci, les termes ne sont ni contraires ni contradictoires, parce que la négation placée de part et d’autre enlève toute désignation précise à l’expression.
  647. Le changement par contradiction, c’est-à-dire qui est exprimé par la négation d’une part et l’affirmation de l’autre. — De ce qui n’est point sujet dans un sujet, par exemple Le non-blanc devient blanc. — Est la génération, il n’y a pas dans notre langue de mot plus convenable. — Le changement a lieu absolument, c’est-à-dire quand il est exprimé sans aucune restriction, et qu’on emploie la forme absolue, et qu’au dit, par exemple, d’une chose qui n’était pas, qu’elle est, sans lui donner d’autre attribut que l’existence. — Spéciale et relative, le texte n’est pas aussi formel. — D’une certaine qualité spéciale, le blanc devient noir, ou le non-blanc devient blanc. — Est la génération du blanc, et non une génération absolue, comme celle dont il est parlé un peu plus bas. — Telle ou telle chose, c’est-à-dire qu’on donne à la chose un attribut, outre la simple existence.
  648. Le changement du sujet en non-sujet, le quatrième changement dans l’énumération du § 1 ; c’est, par exemple ; Le blanc devient non-blanc ; en d’autres termes, le blanc est détruit en tant que blanc. — Pris d’une manière absolue, et sans attribut spécial. — De l’être au non-être, comme la génération absolue était le passage du non-être à l’être. — Pris d’une manière relative, le texte n’est pas aussi formel. — À la négation opposée, le blanc devient non-blanc. — Nous venons de le dire, au § précédent. Toutes ces distinctions sont très subtiles ; mais elles ne sont pas fausses.
  649. Par composition ou par division, en d’autres termes par affirmation ou par négation, ainsi que l’explique Simplicius. Le non-être par composition, c’est de dire par exemple une chose fausse, en réunissant un sujet et un attribut qui n’ont rien de commun : par division, c’est au contraire de dire une chose fausse, en séparant un attribut et un sujet qui devraient être réunis. Ainsi, par composition, on dirait qu’un cheval a des cornes, bien que le cheval n’en ait point ; et par division on dirait qu’Aristoxène n’est pas musicien, bien qu’il soit notoire qu’il l’est, De part et d’autre, on exprime ce qui n’est pas, le non-être, parce que la composition et la division du sujet et de l’attribut, oint été erronées. — Qui est en simple puissance, c’est-à-dire qui, du non-être, peut passer à l’être et arriver à exister actuellement et réellement. — De l’être qui existe réellement et absolument, c’est-à-dire dont on n’exprime que la simple existence, sans la déterminer par aucun attribut. — Le non-blanc, et sous ce rapport est du non-être. — Avoir du mouvement indirectement, parce que le non-blanc peut se trouver dans un corps qui se meut ; et alors le non-blanc est, et se meut avec le corps sans se mouvoir lui-même. — Ne peut du tout être en mouvement, c’est ce qu’Aristote veut prouver, à savoir que le non-être ne peut avoir de mouvement. — Que ce qui n’est pas reçoive le mouvement, puisque, pour être en mouvement, il faut d’abord être. — La génération ne peut être appelée un mouvement, voir plus haut, §§ 3 et 1. La génération est le troisième des changements énumérés plus haut. — C’est le non-être qui est engendré, quand une chose vient à naître, c’est qu’antérieurement elle n’était pas, et par conséquent elle ne pouvait avoir de mouvement. — Engendré et devient, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  650. De façon accidentelle, et non d’une manière absolue et directe. Ainsi, par exemple, l’homme qui n’était pas blanc devient blanc ; mais c’est un simple attribut d’un être qui déjà existe ; et ce n’est pas le cas du non-être arrivant absolument à l’être, comme lorsqu’un homme qui n’existait pas vient à naître. — Qu’il existe comme non-être, le texte n’est pas tout à fait aussi formel ; en d’autres termes, un être, doit nécessairement ne point être, antérieurement au moment où il devient et pour qu’il puisse devenir. Sous une autre forme, c’est l’argumentation du Phédon que le vivant vient du mort, et l’être du non-être, p. 996 de la traduction de M. V. Cousin
  651. Il en est de même aussi, c’est-à-dire que le non-être n’est pas plus en repos qu’il n’est en mouvement. Comme il n’est pas, il ne peut avoir aucune de ces deux propriétés.
  652. Le non-être n’est pas dans un lieu, il y a ici une idée intermédiaire de supprimée ; et avant de dire que le non-être n’a pas un lieu, il faudrait rappeler qu’on veut démontrer qu’il ne peut avoir de mouvement. Toute la suite des pensées serait alors celle-ci : « Comme tout ce qui se meut doit être nécessairement dans un lieu, c’est une preuve nouvelle que le non-être n’a pas de mouvement ; car le non-être n’est pas dans un lieu quelconque ; et pour qu’il eût le mouvement, il faudrait qu’il fût quelque part. »
  653. La destruction, après qu’il a été démontré que la génération, c’est-à-dire le passage du non-être à l’être, n’est pas un mouvement, Aristote démontre que la destruction, c’est-à-dire le passage de l’être au non-être, n’est pas un mouvement non plus. — Non plus que la génération, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — La destruction est contraire à la génération, et la génération n’étant pas un mouvement, la destruction ne l’est pas plus qu’elle. Par suite la génération, et la destruction ne sont pas davantage des repos, puisqu’elles ne sont pas des mouvements.
  654. En résumé, l’expression du texte n’est pas aussi formelle. — Comme tout mouvement est un changement, mais la réciproque n’est pas vraie, et tout changement n’est pas un mouvement, Voir plus haut. Livre IV, ch. 15, § 7. — Qui se rapportent à la génération, voir plus haut § 3. — Et à la destruction, § 9. — De simples oppositions contradictoires, par exemple : Le non blanc devient blanc, et Le blanc devient non-blanc. — D’un sujet dans un sujet, le mode de changement placé le premier dans l’énumération qui a été donnée plus haut § 1. — Véritable, j’ai ajouté ce mot pour compléter la pensée.
  655. Quant aux deux sujets, le texte dit simplement : Quant aux sujets. — Ou contraires, le mouvement allant de l’un à l’autre contraire, comme par exemple : Le blanc devient noir. — Ou intermédiaire, le milieu étant regardé comme contraire par rapport à l’un et l’autre extrêmes. Voir ch, 1, § 12. — Comme un contraire, parce qu’on l’exprime sous forme d’affirmation, comme les contraires ordinaires. — Le nu, cette expression est affirmative, bien qu’elle pût être exprimée aussi sous forme de négation ; et elle est prise ici comme indiquant une privation. — Le blanc et le noir, c’est une opposition par contraires. Dans l’analyse de la Métaphysique, Livre XI, ch. 11, p. 1068, a, 7, édit, de Berlin, il y a Édenté au lieu de Blanc.
  656. . En substance, qualité, Aristote n’énumère ici que sept des dix catégories ; l’ordre est différent, ainsi que le nombre, de ce qu’il est dans le traité spécial des Catégories ; voir ma traduction, p. 58, ch. 4. § 1. Il manque ici les trois Catégories du temps, de la situation et de la manière d’être ; mais il est probable qu’Aristote n’a point prétendu faire une énumération complète.
  657. Qui puisse être contraire à la substance, c’est une des propriétés principales de la substance ; voir les Catégories, ch. 5, § 18, p. 68 de ma traduction, pour le mouvement, il faut au moins deux points différents, celui d’où part ce mouvement et celui où il arrive ; là où il n’y a pas de contraire, il n’y a pas de mouvement possible.
  658. L’autre ne change nullement, ainsi deux personnes étant semblables, il suffit que l’une d’elles vienne à changer pour qu’elles ne le soient plus. Cependant l’autre personne n’a éprouvé aucun changement ; et, par conséquent, il n’y a point de mouvement propre dans leur relation ; il n’y a qu’un mouvement accidentel. — Indirect et accidentel, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  659. Pour l’agent et le patient, c’est-à-dire pour la catégorie de l’action et de la passion ; de l’agent ou patient, il y a déjà mouvement, soit par contact, soit par influence ; ce n’est à proprement qu’une autre espèce de mouvement. — Pour le moteur et le mobile, ceci paraît plus difficile à comprendre et est plus subtil. Les explications qui suivent jettent quelque lumière sur ce passage. — Mouvement de mouvement, c’est-à-dire qu’il faut s’arrêter nécessairement à un premier terme d’où vienne le mouvement initial ; et par conséquent le mouvement de ce premier moteur n’a pas d’outre cause que lui-même. — Génération de génération, la génération étant en effet une sorte de changement, et par suite, de mouvement, comme il a été expliqué plus haut, ch, 2, § 3. — Changement de changement, le changement étant pris pour la forme la plus générale du mouvement.
  660. . En tant que mouvement d’un sujet, c’est-à-dire le second mouvement étant considéré comme attribut du premier, et le premier comme sujet du second. — Du blanc au noir, le sujet restant le même, c’est un mouvement dans la qualité, une altération proprement dite. — Peut s’échauffer ou se refroidir, autre mouvement de qualité. — Se déplacer, mouvement de lieu. — S’accroître, mouvement de quantité. — Périr, mouvement de substance. — D’entendre ainsi la chose, et par conséquent le mouvement ne pouvant avoir aucune des espèces du mouvement, il n’y a pas mouvement de mouvement. — Comme un sujet, attendu que c’est une qualité ou un attribut des choses, et que l’attribut ne peut jamais en soi être considéré comme sujet. — Ou bien doit-on entendre le mouvement de mouvement, le texte n’est pas aussi explicite. — Un autre sujet, c’est-à-dire un sujet autre que le mouvement, que dans la première hypothèse on vient de considérer comme sujet du mouvement. — D’une forme à une autre, ou d’un état à un autre état. — Mouvement de mouvement, le texte dit simplement : Du mouvement. — D’une façon indirecte et accidentelle, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — D’une forme dans une autre forme, ou d’un état dans un autre état. — Dans le même cas aussi, c’est-à-dire qu’elles sont l’une et l’autre le passage d’un état à un autre état. — Vont à certains opposés, c’est-à-dire aux opposés contradictoires, du non-être à l’être, et de l’être au non-être. — Ne va pas à ces mêmes opposés, c’est-à-dire va d’un contraire à l’autre contraire. — L’être changerait donc, si l’on admettait qu’il y a mouvement de mouvement. — De ce même changement, c’est-à-dire de la maladie. Ce changement peut être successif, puisqu’on peut très bien passer de la maladie a la santé, comme on a passé de la santé à la maladie ; mais il ne peut pas être simultané, comme on le suppose en admettant qu’il y a mouvement de mouvement. — Que dès qu’il aura été malade, c’est-à-dire passé de la santé à un état contraire. — Rester dans cette souffrance, et ne jamais revenir à la santé. — Indéfiniment, j’ai ajouté ce mot pour compléter la pensée. — Cette situation nouvelle venue d’une situation antérieure, le texte n’est pas aussi explicite. — Ce ne peut être, c’est-à-dire que le mouvement de mouvement ne peut être considéré que comme un mouvement indirect et accidentel, et non un mouvement en soi. — Du souvenir à l’oubli, et qu’on reste dans l’impuissance de se souvenir de nouveau, comme, tout à l’heure, on était supposé rester dans la maladie, sans retour à la santé.
  661. En second lieu, second argument pour prouver qu’il ne peut pas y avoir mouvement de mouvement. Ce second argument est beaucoup plus clair que le premier, malgré des détails encore obscurs. — Changement de changement, ce qui comprend aussi le mouvement de mouvement. — Un changement antérieur, sans que ce soit un premier changement, qui aurait été la cause primordiale des autres, et qui n’aurait point lui-même un autre changement pour cause. — Une génération absolue, si à un certain moment une chose qui n’existait pas vient à exister. — Mais il était simplement quelque chose, il semble que ce soit là une conséquence qu’Aristote prête à ses adversaires pour la réfuter ; mais cette nuance n’est pas assez indiquée ; et la véritable pensée reste incertaine. J’ai ajouté le mot : Simplement, qui n’est pas dans le texte. — Quand il était déjà, il n’était pas encore, assertion contradictoire et absurde, dont Aristote ne croit pas devoir signaler la flagrante impossibilité. — Mais comme dans les choses infinies, conséquence de l’hypothèse admise aussi fausse que cette hypothèse même, puisqu’elle conduit à nier l’existence du mouvement. — Dans cette hypothèse, j’a ajouté ces mots pour éclaircir la pensée. Simplicius a commenté longuement tout ce passage, sans en donner une explication satisfaisante, et il atteste qu’Alexandre et Aspasius n’avalent pas été moins embarrassés que lui de tant d’obscurité.
  662. On sait encore, ceci est un nouvel argument contre la théorie qui admet qu’il y a mouvement de mouvement. Le texte d’ailleurs n’est pas aussi formel que ma traduction ; mais il semble que la force de l’argument d’Aristote consiste en ceci, qu’en admettant le mouvement du mouvement, on est conduit à donner à une même chose dans un seul et même moment deux mouvements contraires, ou le repos en même temps que le mouvement, ou la génération en même temps que la destruction ; ce qui est évidemment absurde et contradictoire. — Le repos, qui est le contraire du mouvement. — La génération et la destruction qui sont les deux contraires et qui s’excluent mutuellement, bien qu’appartenant à la même chose. — Ce qui devient, ce qui naît et passe du non-être à l’être. — Ni avant même qu’il ne devienne, car il ne peut pas périr quand il n’est pas encore. — Ni aussitôt après, car il ne pont périr davantage quand il n’est plus ; il périt donc à l’instant même où il naît ; ce qui est contradictoire et impossible.
  663. Autre considération, le texte dit simplement : « Encore. » — Une matière substantielle, voir plus haut, Livre 1, ch. 8, § 5. — Servant de support, il m’a fallu prendre cette périphrase, pour rendre toute la force de l’expression grecque. — Ici, j’ai ajouté ce mot. S’il y a changement de changement, où sera pour le premier changement la matière substantielle qui doit en être le support ? — Que ce qui s’altère, et a un mouvement dans la catégorie de la qualité, en devenant autre qu’il n’était d’abord. — Ou un corps, ou une âme, le sens du mot Corps est ici plus général qu’il ne l’est d’ordinaire, quand on oppose le corps et l’âme ; c’est le corps pris dans la signification qu’on lui donne en physique. — Ce qui devient ici, j’ai ajouté ce dernier mot. « Ce qui devient, » veut dire ici la substance, la matière substantielle, dont il vient d’être question quelques lignes plus haut. — Quel est ici le terme, je préfère la forme interrogative, qui ne diffère dans ce passage de la forme affirmative que par un simple accent. — Où aboutit le mouvement, si l’on suppose qu’il y a mouvement de mouvement, il faudra que le mouvement lui-même soit le but auquel tend le mouvement ; ce qui implique contradiction. — De telle chose, c’est la matière substantielle. — De tel état, le point d’où part le mouvement. — À tel autre état, le point où il aboutit. Simplicius atteste qu’Alexandre et Thémistius ont eu pour cette phrase une autre leçon toute contraire, et où la forme de la phrase serait négative au lieu d’être affirmative : « Car il faut bien que le mouvement d’une chose qui passe de tel état à tel autre état, soit quelque chose de réel, et ce ne peut être ni un mouvement, ni une génération. » Alexandre préférait l’affirmative, que j’ai cru devoir adopter aussi dans ma traduction ; l’édition de Berlin a la forme négative. — Et l’acquisition, j’ai ajouté ces mots, paraphrase de celui qui précède et qui est seul dans le texte. — En général, j’ai ajouté ces mots, pour que l’opposition des idées fût plus manifeste. — Telle génération spéciale, comme celle de la science dont il vient d’être question. — Trois espèces de mouvements, voir plus haut, ch. 1, § 1. — La nature substantielle, voir le début le ce §. — Les termes où se passe le mouvement, le point de départ et le point d’arrivée du mouvement. — Que la translation s’altérât, et que le mouvement passât du lieu dans la qualité ; ce qui est impossible. — Ou se déplaçât, la translation étant le mouvement dans l’espace, soit circulaire, soit rectiligne, il semble qu’ici la translation se confond avec le déplacement. Mais dire que la translation se déplace, c’est faire une tautologie et c’est là sans doute ce qu’Aristote veut reprocher au système qu’il réfute. — Indifféremment, j’ai ajouté ce mot.
  664. Que de trois façons, voir plus haut, ch. 4, § 1. — Et dans sa totalité, j’ai ajouté cette paraphrase qui explique les mots précédents, et qui ne se trouve pas dans le texte. — Indirectement et par accident, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Que le changement pourrait changer, ou le mouvement se mouvoir, d’après la théorie que combat Aristote. — Si l’individu qui est guéri, c’est-à-dire si quelqu’un qui a changé de la maladie à la santé, éprouve un changement ou un mouvement d’un autre ordre, comme de courir ou d’apprendre quelque chose, ce n’est qu’indirectement qu’il a ce nouveau mouvement en tant que guéri. L’exemple pouvait être mieux choisi, et surtout plus clairement exposé. — Nous avons déjà déclaré, voir plus haut ch. 1, § 11. Le texte d’ailleurs n’est pas aussi formel. — Du mouvement accidentel, ou indirect ; et tout ce qui précède ne s’applique qu’au mouvement en soi et pour soi.
  665. Ni à la substance, voir plus haut les trois premiers §§ de ce chapitre. — À la qualité, c’est le mouvement d’altération. — À la quantité, c’est le mouvement d’accroissement ou de décroissement. — Et au lieu, c’est le mouvement de déplacement, ou circulaire, ou rectiligne. — Qu’il y ait des contraires, entre lesquels le mouvement peut avoir lieu, en allant de l’un à l’autre.
  666. . Est ce qu’on peut appeler, il semblerait que c’est Aristote qui a inventé ce mot dans la langue grecque, ou qui, du mains, lui a donné cette acception nouvelle. — Dans toutes ses nuances, j’ai ajouté ces mois pour rendre toute la force de l’expression du texte. — La qualité dans la substance, ce n’est pas à proprement parler une qualité, c’est une différence, qui constitue l’espèce dans le genre. Ainsi, dans le genre Animal, le bipède n’est pas une qualité ; c’est une différence, qui constitue une espèce particulière. — La qualité passive, celle qui forme spécialement la catégorie de la Qualité ; voir les Catégories, ch. 13, p. 94 de ma traduction, — Passif ou impassible, selon qu’il reçoit ou ne reçoit pas la qualité.
  667. Aux deux contraires, j’ai ajouté ces mots pour compléter et éclaircir la pensée ; ils ressortent de ce qui suit. — D’une part… d’autre part, le texte n’est pas aussi précis. — Qui tend à la dimension complète, définition ingénieuse et juste de l’accroissement ; celle du décroissement ne l’est pas moins.
  668. Ni de nom particulier, il semble que ceci n’est pas tout à fait exact, et que la langue grecque a des mots particuliers pour désigner les diverses espèces de mouvement dans l’espace. — Appelons-le, il paraît encore que c’est Aristote qui donne cette acception nouvelle au mot qu’il emploie. — Bien que ce mot de translation, notre mot de translation a la même nuance que le mot grec ; et il ne s’applique proprement qu’aux choses qui n’ont pas en elles-mêmes le principe de leur mouvement ou de leur repos.
  669. Dans la même forme, c’est-à-dire dans une même qualité ; par exemple, une chose blanche qui devient ou plus blanche ou moins blanche. — Du contraire au contraire, ceci n’est pas tout à fuit exact, puisqu’on suppose que la forme ne change pas. — Ou partiel, cette restriction est indispensable. — Si la chose va au moins, et que, par exemple, elle devienne moins blanche. — Vers son contraire, et, par exemple, la chose tend à devenir noire. — Au plus, et par exemple, la chose tend à devenir de plus en plus blanche. — À elle-même, toutes ces distinctions, quoi qu’un peu subtiles, sont aussi exactes qu’elles sont délicates et ingénieuses. — Le changement absolu, d’un contraire à son contraire, du blanc au noir ; et réciproquement. — Et le changement partiel, du moins blanc au plus blanc. — Des contraires partiels, attendu que le moins blanc, s’il est contraire au plus blanc, ne lui est pas cependant absolument contraire ; il ne lui est contraire qu’en partie, en ce sens que le mouvement part de l’un pour arriver à l’autre. — Plus ou moins du contraire, et par exemple, une chose est plus ou moins blanche, selon qu’il y a en elle plus ou moins de noir, qui est son contraire.
  670. En résumé, j’ai ajouté ces mots. — Ces trois espèces de mouvements, dans la qualité, dans la quantité et dans le lieu ; ce qui n’empêche pas que, dans chacune de ces catégories, il ne puisse y avoir une variété encore assez grande de mouvements divers.
  671. L’immobile, après avoir défini les diverses espèces du mouvement, Aristote veut définir l’état contraire, c’est-à-dire l’immobile ; et il donne les diverses significations de ce mot. Le première est la plus ordinaire et la plus exacte, parce qu’elle est absolue. — Ce qui ne se meut qu’à peine, peut-être Aristote veut-il indiquer par là quelques-uns, des mouvements à peu près insensibles qui se passent à la voûte céleste. Cette seconde acception du mot Immobile est moins fréquente et moins exacte que la première. — On appelle enfin immobile, le texte n’est pas aussi formel. — Devant et pouvant naturellement se mouvoir, les commentateurs donnent pour exemple un homme assis, qui reste par conséquent en repos, bien que d’ailleurs il soit doué naturellement des moyens de se mouvoir. — Quand il le faut, c’est le temps. — Où il le faut, c’est le lieu ou l’espace. — Dans les choses immobiles, il y a des choses qui sont éternellement immobiles ; et on ne peut pas dire régulièrement de celles-là qu’elles soient en repos. Le repos se dit uniquement de celles qui pouvant être en mouvement n’y sont pas ; il est la simple privation d’une qualité qui n’agit pas ; mais ce n’est pas une privation absolue. — Dont le sujet serait susceptible, on pourrait traduire encore : « C’est la privation qu’éprouve le sujet susceptible d’une certaine qualité, » Ainsi l’on ne dit pas d’une pierre qu’elle est aveugle, parce que naturellement elle n’est pas faite pour avoir la vue.
  672. Déjà, j’ai ajouté ce mot parce que ce résumé ne s’adresse qu’à une partie de la théorie du mouvement. — Ce que c’est que le mouvement, on le verra bien mieux encore dans les livres qui vont suivre. — Des changements et des mouvements, ces divers points ont été traités dans les trois chapitres qui précèdent. Celui-ci d’ailleurs se retrouve en grande partie comme les autres dans la Métaphysique, Livre X, ch. 12, p. 1068, b, 20, édit. de Berlin.
  673. Après ce qui précède, en voit que les définitions verbales qui vont suivre, tiennent de très près à la théorie du mouvement, telle qu’elle vient d’être exposée. — Être ensemble, être séparé, j’ai pris uniformément des infinitifs, bien que le texte grec ait tantôt des infinitifs et tantôt des adverbes. — Être continu, ces sept termes sont successivement expliqués et définis jusqu’au § 11 inclusivement. — Les objets auxquels ces termes s’appliquent, du § 12 à la fin du chapitre.
  674. Être ensemble dans l’espace, voir dans les Catégories, ch, 13, p. 126 de ma traduction, la théorie consacrée à la simultanéité. Ici Aristote ne considère que la coexistence dans l’espace. — Un seul et même lieu primitif, sur cette formule, voir plus haut, Livre IV, ch. 4, § 1.
  675. Dans un lieu primitif différent, le texte dit simplement : « Dans un lieu diffèrent. » D’après ce qui précède j’ai cru pouvoir ajouter le mot de Primitif.
  676. Sont ensemble, sous-entendu : Dans l’espace, d’après ce qui vient d’être dit au § 2.
  677. L’intermédiaire est ce par quoi, j’aurais pu traduire aussi : L’intermédiaire est l’intervalle ; mais j’ai voulu éviter cette espèce de tautologie qui n’est pas dans le texte grec. — Avant de parvenir à l’extrême, qui est le contraire de l’état d’où elle est partie. Ainsi une chose qui change du blanc au noir part du blanc, et passe par les nuances intermédiaires avant d’arriver au noir, qui est le contraire extrême du blanc. — Au moins trois termes, les deux contraires entre lesquels le mouvement se passe, et l’intervalle qui les sépare. — Le contraire est l’extrémité du mouvement, dans un sens ou dans l’autre, le contraire signifiant à la fois et le contraire d’où part le mouvement et celui où il arrive.
  678. Le mouvement est continu, cette idée vient d’être indiquée dans le § précédent ; et elle est définie dans celui-ci. — De la chose, ces mots, qui me semblent indispensables, sont supprimés dans quelques manuscrits. — Une interruption de la chose, le texte dit simplement : « Une interruption, » L’interprétation que je donne me paraît justifiée par ce qui suit. Entre une note très haute et la note très basse qui la suit, il y a une certaine interruption pour que le musicien puisse tout au moins toucher la corde nouvelle ; il y a cependant continuité musicale, parce que la chose dont il s’agit, c’est-à-dire la résonnance des cordes, n’a présenté aucune interruption, et que l’une commençait à résonner avant que l’autre n’eût cessé de se faire entendre. — Mais je dis que cette interruption, le texte n’est pas aussi formel. — Pour les changements, ou les mouvements. — Les autres changements, ou en d’autres termes, les mouvements de qualité et de substance. Voir plus haut, ch. 3.
  679. En ce qui regarde le lieu, cette restriction détermine le sens dans lequel est pris ici le mot de Contraire. — Déterminée et finie, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Déterminé et fini, même remarque. — Peut servir de mesure, cette observation très simple était neuve au temps d’Aristote ; et il est évident qu’on ne peut mesurer les distances qu’au moyen de la ligne droite, parce que toutes les courbes sont nécessairement indéterminées, et qu’on peut en supposer autant que l’on veut entre deux points, tandis que la ligne la plus courte est toujours déterminée. Or cette ligne la plus courte est la ligne droite.
  680. Suivre, il y a dans le texte un simple adverbe. — Après le commencement, ou le principe ; j’ai préféré le premier de ces deux mots, parce qu’il est ici plus clair et plus précis. — Et étant ainsi déterminée, comme venant à la suite d’une autre. — Soit par position, si les choses, par exemple, dont l’une vient à la suite de l’autre sont dans l’espace toutes les deux. — Soit par nature, ainsi les choses sensibles sont, par nature, après les choses de raison ; mais pour nous, elles leur sont antérieures. — Qu’elles suivent une autre ligne, le texte est moins formel. Il s’agit ici d’une série de lignes ordonnées selon un certain ordre ; et de l’une d’entr’elles ou de plusieurs d’entr’elles, on dit qu’elles suivent telle autre ligne, parce qu’il n’y a dans l’intervalle aucune ligne de même genre. — D’une maison qu’elle vient à la suite d’une autre maison, lorsqu’entre cette seconde maison et l’autre il n’y a pas de maison, quel que soit d’ailleurs ce qui les sépare l’une de l’autre. — Entre les deux choses, ainsi deux maisons, en tant que maisons, ne s’en suivent pas moins, bien qu’il y ait entr’elles un arbre qui les sépare ; mais, comme l’arbre est une chose différente, les maisons n’en sont pas moins consécutives. — Est consécutif à quelque chose, et se rapporte par conséquent à une autre chose. — Et est quelque chose de postérieur, il semble qu’il y ait ici quelque tautologie ; car l’idée même de consécutif suppose nécessairement celle de postériorité. — C’est deux qui suit un, soit dans les nombres, soit pour le quantième du mois.
  681. Cohérente, je n’ai pas trouvé dans notre langue de mot plus convenable pour rendre le mot grec.
  682. Mais comme tout changement, évidemment ce § est ici déplacé. Pacius le remarque ; mais il n’indique pas précisément la place nouvelle qu’il lui assignerait. M. Pacius, dans sa traduction allemande et dans le texte qui y est joint, a transposé ce § après le 6 quant à moi, il me semble qu’il serait placé le plus convenablement après le 5e. Mais pour ma part, je n’oserais me permettre de modification ; et il me suffit d’avoir signalé cette interversion, dont Simplicius ne paraît pas avoir été choqué. — Tout changement, ou tout mouvement. — Entre des opposés, le point de départ et le point d’arrivée. — Et qu’on entend par opposés, voir les Catégories, ch. 10, p. 109 de ma traduction, pour la théorie générale des opposés. — L’intermédiaire, voir plus haut, § 6. Le milieu peut être regardé comme un contraire par rapport l’un ou l’autre des extrêmes. — Pas de milieu, ou d’intermédiaire. — Dans la contradiction, c’est-à-dire qu’entre deux propositions contradictoires, il faut nécessairement que l’une soit vraie et que l’autre soit fausse.
  683. Enfin, j’ai ajouté ce mot parce que le terme de Continu est le dernier de ceux qui ont été énumérés plus haut § 1, et dont Aristote a promis de donner l’explication. — Une sorte de cohérence, c’est bien là en effet le caractère de la continuité. — Les deux parties, le texte dit simplement : « De l’un et de l’autre. » — Elles se continuent et se tiennent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Restent deux, au lieu de se confondre en une seule et même chose.
  684. Naturellement, ceci ne veut pas dire que ce soit par leur nature propre que les choses deviennent spontanément continues ; mais quelles n’ont rien dans leur nature qui s’oppose à leur continuité. Ainsi deux choses qui sont solides, sont aptes à devenir continues par le lieu qui les unit ; mais une chose solide, et une chose liquide, ne sont pas précisément continues ; elles sont simplement cohérentes. — Le contenant, il faut entendre par Contenant le lieu, quel qu’il soit, qui forme la continuité. J’ai conservé ce mot parce qu’il a, comme le mot grec, la même étymologie que le mot de Continuité. — Peut devenir un, ou plutôt ; « Est un, a — Le tout, formé des deux parties qui deviennent continues. — Un et continu, il n’y a que le premier mot dans le texte. — À l’aide d’un clou, qui unit deux planches, par exemple. — D’un collage, où la continuité est aussi étroite que possible. — D’un contact, qui forme d’abord une cohérence et ensuite une continuité. — D’un soudage naturel, lorsqu’on rapproche deux plantes, par exemple, ou qu’elles se rapprochent naturellement assez pour qu’elles puissent se réunir et se confondre. On pourrait traduire aussi « D’un mélange et d’une excroissance naturelle. »
  685. Est antérieure à celle de Toucher, le texte n’est pas aussi précis ; et il dit simplement : « Est la première. » La suite justifie le sens que j’ai adopté. — La suit nécessairement, tout au moins par position. — Ce qui suit une chose ne la touche pas toujours, voir plus haut, § 8. — Rationnellement, et non dans le temps ou dans l’espace ; et tels sont les nombres, par exemple, où l’antériorité est toute rationnelle, deux venant avant trois, trois avant quatre, etc. — Peuvent être antérieurs, le texte dit simplement : « Sont antérieurs. » — Il y a consécution, tandis qu’il n’y a pas contact, observation très fine et très exacte.
  686. Sans être pour cela continue, car elle peut toucher et être simplement contiguë et cohérente, sans former une véritable continuité. — Dans l’espace, j’ai ajouté ces mots qui sont justifiés par la définition donnée plus haut au § 2. — Sans se confondre en une, condition essentielle de la continuité ; voir plus haut § 11. — La combinaison des natures, ou La simultanéité de développement. — La dernière à se produire, cette expression, assez obscure dans me traduction comme elle l’est dans le texte, veut dire sans doute que la combinaison des natures est le dernier degré de la continuité. — Se confondent et se soudent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — De mélange ni de fusion, même remarque.
  687. Soient séparés de la matière, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Ainsi qu’on le dit, c’est ainsi que l’on considère le point et l’unité dans les mathématiques, c’est-à-dire d’une manière tout abstraite. — Soient la même chose, c’est-à-dire puissent être pris indifféremment l’un pour l’autre. — Les points se touchent, voir plus haut § 13. — Les unités se suivent, il y a consécution, mais il n’y a pas contact. — Entre deux points, qui sont séparés, et ne se touchent pas. — Entre deux points, le texte n’est pas aussi formel. — Pour les unités, considérées indépendamment des fractions qu’on peut intercaler en-elles. — Deux et un, considérés comme des unités successives.
  688. Les termes que nous avons énumérés, voir plus haut § 1. — Ces termes peuvent s’appliquer, ou plutôt : « Quelques-uns de ces termes. »
  689. Que le mouvement est un, et le même. Il s’agit de distinguer dans quels cas on peut dire que le mouvement est le même, et dans quels cas il est autre. — L’idée d’unité peut aussi en avoir plusieurs, voir dans le Ier Livre, ch. 3 et 4.
  690. Génériquement un, c’est-à-dire le même sous le rapport du genre, bien qu’il puisse différer encore en espace. — Suivant les formes de la catégorie, plus haut ch. 3, § 10, il a été établi qu’il n’y a de mouvement que dans trois catégories, celles de la quantité, de la qualité et du lieu. Il n’y a donc que trois genres distincts de mouvements, bien qu’il puisse y avoir un très grand nombre d’espèces dans chaque genre. — Pour toute translation, la translation est le mouvement dans l’espace, le changement de lieu. Toute translation est génériquement une ; mais les espaces peuvent différer beaucoup, selon que la translation a lieu circulairement ou en droite ligne, en haut ou en bas, à droite ou à gauche, lentement ou rapidement, etc. — L’altération diffère de la translation, l’altération étant le mouvement dans la qualité, tandis que la translation est le mouvement dans le lieu. Voir plus haut ch. 3, § 11.
  691. Spécifiquement, le mouvement est un, à deux conditions identité du genre ; identité de l’espèce. — Dans une espèce indivisible, c’est-à-dire, en descendant jusqu’à l’individu. — La couleur a des différences, la couleur, étant considérée comme genre, a des espèces qui peuvent différer entr’elles. — La couleur noire et la couleur blanche, en genre, ces deux couleurs sont identiques, puisqu’elles sont toutes deux des couleurs ; mais elles diffèrent spécifiquement, puisque l’une est le contraire de l’autre. — Par conséquent, la couleur blanche, ceci n’est que la répétions de ce qui vient d’être dit. Il faut remarquer que dans le mot grue, il y a une nuance qui indique non pas précisément la couleur blanche ou noire, mais le mouvement qui mène a l’une ou à l’autre. Notre langue ne m’a pas fourni d’équivalents.
  692. Qui soient tout ensemble genres et espèces, ce sont les espèces intermédiaires entre le genre le plus élevé et l’individu, Elles sont genres par rapport aux espèces inférieures qu’elles comprennent, et espèces par rapport au genre supérieur qui les comprend. — L’acte d’apprendre quelque chose et le mouvement de cet acte, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Est une espèce de la conception, l’acte d’apprendre est une sorte de perception intellectuelle ; voir le Traité de l’âme, Livre III, ch. 3, § 5, p. 280 de ma traduction. — Et le genre des sciences particulières, j’ai ajouté ce dernier mot pour rendre la pensée plus claire. Ainsi la science est considérée à la fois comme espèce et comme genre ; elle est une espèce par rapport à la conception, qui est un terme plus général ; elle est un genre par rapport à chacune des sciences spéciales, qu’elle comprend sous une dénomination commune.
  693. On peut se demander, c’est la tournure habituelle que prend Aristote pour présenter ses doutes, ou aller au-devant des objections. — Lorsqu’une même chose, il y a ici identité d’objet, identité du point de départ, identité du point d’arrivée ; et cependant le mouvement n’est pas identique. Aristote en donne une excellente raison. — Change et se meut, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Du même au même, j’ai conservé, en traduisant, toute l’indétermination du texte. — Alors la translation circulaire se confondra avec la translation en ligne droite, ce qui est évidemment absurde ; et le mouvement n’est point spécifiquement identique, bien qu’il soit identique en genre. En effet, quand l’objet se meut entre deux points, on ne peut pas dire que le mouvement soit spécifiquement le même, si l’objet se meut d’une part directement, et d’autre part circulairement. — La rotation avec la marche, la différence du mouvement est alors, en effet, considérable, et l’on ne peut plus dire que le mouvement soit identique. — Ou bien notre définition n’a-t-elle pas établi, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — La manière dont il se passe, comme dans les exemples qui viennent d’être cités, où la manière dont le mouvement s’accomplit n’est pas en effet la même. — Est en espèce différent, en genre il est identique, puisque l’un et l’autre sont des translations ou déplacements dans l’espace.
  694. Est un et identique, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  695. Absolument parlant, plus haut l’unité de mouvement a été étudiée sous le rapport du genre et de l’espèce ; elle l’est ici d’une manière absolue et sans aucune limitation. — Que le mouvement est un, quelques éditions, et notamment celle de Berlin, ont une leçon un peu différente et qui exigerait qu’on traduisit : « Quand nous parlons du mouvement. » J’ai préféré la leçon que je donne, parce qu’elle est plus d’accord avec tout de qui suit. — L’objet, qui est en mouvement. — Le lieu et le temps, dans lesquels le mouvement se passe. — Un homme, par exemple, ou un morceau d’or, l’un ayant un mouvement spontané quand il se déplace, et l’autre n’ayant qu’un mouvement venu du dehors quand il reçoit une autre forme. — Dans l’espace ou dans la qualité, selon la catégorie. Aristote aurait pu ajouter ici la catégorie de la quantité, pour que la pensée fût plus complète. — Dans un certain moment, il semblerait alors qu’il y a du mouvement dans la catégorie du temps, comme il y en a dans les trois autres ; mais, comme il n’y a point de changement, on ne peut pas dire précisément qu’il y ait de mouvement non plus dans la catégorie du temps. Seulement tout mouvement suppose nécessairement un temps où il s’accomplit. — Comme nous l’avons vu, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. Voir plus haut, Livre IV, ch. 17. § 4, et ch. 19, § 14. — Que nous venons d’indiquer, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — C’est l’espèce, ou même l’individu, qui est la dernière espèce et l’unité qui ne peut plus être divisée. — Ni d’une manière commune, un peu plus loin, cette expression est éclaircie par l’exemple que cite Aristote. — Par accident et indirectement, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le blanc devient essentiellement noir, le blanc et le noir ne devenant point pour cela identiques. — Ou Coriscus marche, la marche est un simple accident pour Coriscus, et ne peut se confondre avec lui. — Ne doit pas être commun, à plusieurs êtres. — Et elle serait une seulement en espèce, attendu que ce serait toujours la meule espèce le maladie ; mais individuellement la maladie n’est pas la même, et il y a deux maladies au lieu d’une seule.
  696. Supposez que Socrate, Socrate est pris ici pour l’objet qui est un et identique ; le mouvement qu’il éprouve est un et identique également ; mais le temps est autre. Peut-on dire que le mouvement est encore un et le même ? Aristote répond par la négative. — Si l’on admet, hypothèse insoutenable. — Sera un et le même, conséquence aussi fausse que l’hypothèse elle-même. — Si non, c’est-à-dire, si l’on n’admet pas qu’une chose détruite puisse redevenir numériquement une et la même. — Pourra bien être le même, en espèce ; mais numériquement il ne sera pas un.
  697. Une autre question fort analogue à celle-là, tout analogue que cette seconde question est à la première, à la fin du § il est déclaré qu’elle s’éloigne du sujet, et on la laisse sans solution. — Si, par exemple, la santé, qui est une qualité et qui n’est pas un mouvement. — Une et identique, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Identiques et unes, même remarque. — Changent et se meuvent, le texte dit seulement : « Se meuvent. » — Dans un flux perpétuel, c’est sans doute de cette observation, d’ailleurs très juste, qu’Héraclite tirait son fameux principe, tant de fois réfute par Aristote. — Que celle que j’avais ce matin, sans qu’il soit intervenu de maladie entre les deux moments où je me considère. — Le raisonnement est identique, pour l’unité de mouvement et pour l’unité des affections, des choses ou des personnes. — Entre ces termes, j’ai ajouté ces mots qui me semblent ressortir du contexte, et qui complétera la pensée. — Les affections soient unes aussi comme les actes auxquels elles répondent et qu’elles provoquent. — Pour ce qui est un numériquement, ou en d’autres termes, pour ce qui est individuel. — Il ne suffit pas que l’affection soit une, au moins sous le rapport de l’espèce, comme la marche, qui spécifiquement est une et la même, quand on la reprend, après avoir cessé quelque temps de marcher, mais qui numériquement n’est point une, quand elle est interrompue et qu’elle recommence. — Il n’y a plus de marche, c’est-à-dire l’affection particulière qu’on appelle de ce nom. — Un seul et même acte, il y a autant d’actes, à proprement parler, qu’on reprend de fois la marche. — Ces questions s’éloignent trop du sujet, c’est vrai, et l’on ne voit pas trop l’utilité de cette digression. — Revenons, j’ai ajouté ce mot, qui m’a semblé nécessaire, au moins comme transition.
  698. Puisque tout mouvement est continu, car si le mouvement cesse un seul instant, et s’il est interrompu par quelque repos, c’est un nouveau mouvement qui recommence ; voir plus haut ch. 5, § 11, la définition du continu, — Car tout mouvement est divisible, et par conséquent, composé de parties dont les extrémités se touchent pour former la continuité. — Quand il est continu, il est un, de sorte que la continuité et l’unité sont corrélatives, et qu’elles peuvent être prises l’une pour l’autre réciproquement.
  699. . À toute espèce de mouvement, car si les mouvements sont d’espèce différente, l’un ne peut pas être la continuation de l’autre. — Les extrémités peuvent s’unir, Voir plus haut, ch. 5, § 11. — Il y a des choses qui n’ont pas d’extrémités, comme les choses incorporelles, par exemple. — Spécifiquement différentes, comme dans l’exemple cité un peu plus bas. — Et simplement homonymes, c’est-à-dire qui s’appellent également des extrémités, mais qui n’ont de commun que cette appellation même. — De la ligne et de la marche, qui ont toutes deux un commencement et une fin avec une certaine étendue, mais dont les extrémités cependant ne peuvent se confondre.
  700. Peuvent se suivre, sans être continus. — Gagner sur le champ un accès de fièvre, l’exemple peut sembler assez bizarrement choisi ; mais il s’explique d’après les théories qui précèdent. La course est un mouvement dans l’espace, une translation ou déplacement ; le lièvre est un mouvement d’altération dans la catégorie de la qualité. Or, ce second mouvement peut suivre immédiatement le premier sans lui être du tout continu, attendu qu’il en diffère en genre et en espèce. — Un flambeau qu’on se passe de main en main, ceci fait sans doute allusion à la fête des flambeaux qu’on célébrait à Athènes, et où les assistants se passaient des torches de main en main jusqu’à ce qu’elles fussent éteintes. Le mouvement se suivait ; mais on ne peut pas dire que dans ce cas il fût continu, puisqu’il s’arrêtait nécessairement quelques instants à chaque transmission nouvelle. — Où les extrémités peuvent se confondre, voir le § précédent, et ch. 5, § 11.
  701. Se tiennent et se suivent, ces deux expressions sont ici à peu près identiques. — Enfin les mouvements ne sont continus, le texte n’est pas tout à fait aussi explicite, et il dit simplement : « Et cela. » Cette phrase se rapporte évidemment à la continuité du mouvement.
  702. Par conséquent, c’est une sorte de résumé de tout ce qui précède sur l’unité du mouvement. — Le même en espèce, qu’il ne soit pas d’espèce différente, serait-ce d’ailleurs dans la même catégorie. — Le mouvement d’une seule chose, voir plus haut § 7. — Ni d’arrêt, j’ai ajouté ces mots pour compléter le pensée. — Le mouvement viendrait à défaillir, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Il n’y a rien de pareil, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de continuité, ni unité possible.
  703. D’un mouvement qui est complet, nouvelle manière d’entendre l’unité de mouvement. La fin du § prouve que cette acception n’est pas aussi exacte que les précédentes. Un mouvement peut être un, sans être complet. — L’idée de complet et d’entier, le texte dit simplement : Le complet et l’entier. — Pourvu qu’il soit seulement continu, c’est-à-dire, qu’il n’y ait point d’interruption dans le temps qui le mesure. Voir plus haut § 10.
  704. Uns et identiques, j’ai ajouté ces mots qui ressortent du contexte, et qui éclaircissent la pensée en résumant plus précisément ce qui précède. — Égal et uniforme, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Ne peut point en quelque sorte paraître un, la restriction est juste ; mais l’observation n’en est pas moins délicate et vraie. L’égalité se rapproche de l’unité bien plus que l’inégalité, dont les apparences tout au moins font supposer un certain désordre. — Comme le paraît la ligne droite, qui paraît avoir plus d’unité, et qui en a plus, en effet, que la ligne brisée. — L’inégal est divisé, ou divisible ; et ceci s’applique plus particulièrement à une ligne inégale, où les diverses parties qui la composent semblent, en effet, établir des divisions. — Mais les mouvements, c’est-à-dire le mouvement égal et le mouvement inégal. — Ne diffèrent, sous le rapport de l’unité.
  705. . Dans tout mouvement quelconque, quelle que soit son espèce et quelle que soit la catégorie à laquelle il appartienne. — Un mouvement d’altération, c’est le mouvement dans la catégorie de la qualité. — Avec égalité, ou avec inégalité, sous-entendu. — De déplacement dans l’espace, mouvement dans la catégorie du lieu. — Pour l’accroissement et pour la destruction, mouvement dans la catégorie de la quantité. Voir plus haut, ch, 3, § 10.
  706. La différence d’inégalité, ou d’égalité, ce qui revient au même. — Au lieu, ou à l’étendue, que parcourt le mobile. — Sur une grandeur ou une étendue, la distance parcourue n’étant pas égale, le mouvement cesse d’être égal, bien qu’il soit encore uniforme. — À la partie quelconque qu’on a prise, l’expression est obscure parce qu’elle est trop vague ; mais le sens est certain. Aristote suppose deux lignes inégales, dont l’une, par exemple, est droite, et dont l’autre est courbe ou brisée. Une partie de la seconde ligne ne correspond pas à une partie de la première ; et par conséquent le mouvement qui suit la seconde est inégal au mouvement qui suit l’autre. — Dans la manière dont il se fait, selon qu’il est plus rapide ou plus lent. — Quelquefois, il serait plus exact de dire : très souvent, au lieu de quelquefois, la vitesse ou la lenteur du mouvement étant un de ses caractères les plus ordinaires et les plus frappants. — Quand la vitesse est la même, c’est ainsi que le plus habituellement on mesure le mouvement.
  707. Ni comme des espèces ni comme des différences, la remarque est vraie pour les espèces ; mais elle ne l’est peut-être pas autant pour les différences. Le même mouvement diffère, selon qu’il est plus lent ou plus rapide. — Des espèces ou des différences, même observation. La pesanteur ou la légèreté sont des différences si ce n’est des espèces, même quand elles se rapportent à un même objet. Dans la pierre, par exemple, c’est une grande différence que celle du poids. — Pour la terre, par rapport à elle-même, la terre doit s’entendre ici dans un sens très large ; et, d’après les théories des anciens, tous les corps pesants et non liquides étaient compris sous le nom générique de terre. Aristote veut dire que, par exemple, une motte de terre ne diffère pas du reste de la terre, parce qu’elle serait plus légère ou plus lourde ; ce qui n’est point exact ; car il y a des terres beaucoup plus pesantes les unes que les autres.
  708. Un et identique, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Il l’est moins, voir plus haut, § 17. — Dans la translation en ligne brisée, le mouvement dans l’espace paraît avoir plus d’unité quand il se fait en ligne droite, que quand il se fait selon une ligne brisée, ou même circulaire. — Un certain mélange du contraire, observation très délicate et très juste Ainsi quand une chose est moins blanche qu’une autre, c’est qu’elle a une certaine portion de noir, qui est le contraire du blanc.
  709. Qui ne se suivent pas spécifiquement, c’est-à-dire qui ne peuvent pas se suivre, parce qu’ils sont d’espèces différentes. — Composé d’altération et de translation, l’altération étant un mouvement dans la qualité, et la translation un mouvement dans l’espace, elles ne peuvent jamais être égales l’une à l’autre. — S’accordassent entr’elles, ce qui est de toute impossibilité d’après la nature de l’une et de l’autre.
  710. Quel est le mouvement qui est contraire, cette question sera traitée dans ce chapitre. — Des explications analogues sur l’inertie, ce sera l’objet du chapitre suivant. — Ou le repos, j’ai ajouté ces mots afin de compléter la pensée par ce synonyme.
  711. Déterminons d’abord, l’énumération qui va suivre est exacte, mais un peu subtile ; et il est assez malaisé de bien distinguer toutes ces nuances au nombre de cinq. — La génération et la destruction, voir uni peu plus bas, § 10, quelques développements sur ce point.
  712. Le mouvement qui part du contraire, c’est la quatrième nuance. — Car c’est un seul et même mouvement, perdre la santé et devenir malade sont des mouvements qui, en réalité, sont identiques ; et il n’y a guère qu’une distinction purement rationnelle. — N’est pas tout à fait la même chose, on peut avoir perdu quelque chose de sa santé sans être encore précisément malade.
  713. Le mouvement qui s’éloigne du contraire, c’est la seconde nuance, qui se confond, à certains égards, avec la cinquième. — Nous reviendrons un peu plus loin, § 5 et suiv. — Le changement qui va vers le contraire, le mouvement se détermine par le but auquel il tend, plutôt que par le terme d’où il part.
  714. . Restent donc, la troisième et la cinquième nuance, la première étant un changement plutôt qu’un mouvement, comme il est dit au § 7. — Qui va vers les contraires, voir plus haut, § 2, la troisième nuance. — En partant des contraires, ibid., c’est la cinquième nuance.
  715. Leur façon d’être n’est pas tout à fait identique, voir plus haut, § 3, une distinction pareille. La troisième nuance peut donc se confondre en partie avec la cinquième.
  716. Le changement ne se confond pas avec le mouvement, voir plus haut, ch. 2, l’analyse de l’idée de changement et la comparaison du changement avec le mouvement. — D’un certain sujet réel, j’ai ajouté ce dernier mot, parce que la génération et la destruction sont des changements et non des mouvements, l’une partant du non-être pour arriver à l’être, et l’autre partent au contraire de l’être pour arriver au non-être. Le mouvement suppose nécessairement deux états distincts, tandis que la génération et la destruction n’en supposent qu’un. — Le mouvement qui va d’un contraire, c’est la cinquième nuance du § 2.
  717. L’induction, c’est-à-dire l’analyse de quelques cas particuliers, et la vérification des données rationnelles par les faits. On ne cite que quelques-uns de ces faits ; et, par induction, on suppose que tous les autres sont semblables. Aristote va citer cinq exemples. — Devenir malade, premier exemple. — Être instruit, second exemple. — Qu’on acquière la science et l’erreur, cette expression assez bizarre, du moins pour le dernier mot, Acquérir l’erreur, est la reproduction fidèle du texte grec. — La tendance en haut, troisième exemple. — La translation à droite, quatrième exemple. — Enfin, le devant, cinquième et dernier exemple. — Ce sont là aussi des contraires, après ces mots quelques éditions ajoutent ceux-ci : En profondeur, que l’édition de Berlin n’admet pas. Si on les acceptait, il faudrait traduire : « Le dessus et le dessous, » au lieu « du devant et du derrière. »
  718. . Le changement qui va simplement au contraire, voir plus haut, § 6 et § 2. Mais cette nuance est purement verbale ; et elle a lieu quand on indique seulement le contraire où tend le mouvement, sans indiquer en même temps le contraire d’où il part. Mais, comme Aristote l’a remarqué § 6, il est clair que tout mouvement qui va vers un contraire a dû aussi partir d’un contraire. — Sans que ce soit en partant de quelqu’autre état, c’est-à-dire sans qu’on exprime de quel autre état antérieur le mouvement était parti.
  719. Là où il n’y a pas de contraires, et où il n’y a qu’une simple contradiction, comme la génération et la destruction. — Le changement qui part du même, le non-être, par exemple. — Qui va vers le même, c’est-à-dire vers le non-être. Ainsi le non-être est le même de part et d’autre. Seulement, il précède la génération, et il suit la destruction. — La perte est le contraire de l’acquisition, comme la destruction est le contraire de la génération. — Ce ne sont pas des mouvements, voir plus haut, § 7.
  720. Quant aux mouvements qui vont vers l’intermédiaire, ou le milieu ; car le mouvement peut cesser à moitié route, et s’arrêter à un état intermédiaire au lieu d’aller jusqu’à l’état contraire. — Ainsi qu’on l’a dit antérieurement, voir plus haut, ch. 1, § 12.
  721. Ainsi donc, résumé de ce qui précède. Le seul mouvement vraiment contraire est la cinquième nuance indiquée au § 2.
  722. Mais que c’est aussi le repos, voir plus haut, le § 1 du chapitre précédent, où cette théorie est annoncée. — Y est opposé, et non pas contraire ; il faut remarquer cette nuance. Le repos n’est pas, à parler exactement, le contraire du mouvement ; c’en est simplement l’opposé en tant que privation. Voir les Catégories, ch. 9 et ch. 10, p. 109 et 121 de ma traduction.
  723. Quels sont donc le repos et le mouvement, le texte est beaucoup moins explicite ; mais le sens ne peut faire de doute.
  724. Une expression absolue, c’est-à-dire prise dans toute sa généralité, comme on vient de le faire dans le § précédent. — Dans tel état, ou « dans tel lieu. » J’ai préféré la première expression comme étant plus générale.
  725. Suppose toujours deux termes, le point d’où part le mouvement, et le point où il aboutit. — Le repos dans tel état, par exemple, dans la maladie, est opposé au mouvement qui part de la maladie pour aller à la santé, qui est le contraire de la maladie. — Et le repos dans l’état contraire, c’est-à-dire dans la santé, est opposé au mouvement qui part de la santé pour arriver à la maladie, qui est le contraire de la santé. Toutes ces distinctions sont bien subtiles, et elles sont exposées ici d’une manière trop abstraite.
  726. . Les deux repos aussi sont contraires, le repos n’est que l’opposé du mouvement ; mais deux repos peuvent être contraires l’un à l’autre, comme les mouvements le sont entr’eux. — À ces mouvements, j’ai ajouté ces mots pour que la pensée fût plus claire.
  727. Les repos dans les contraires, les exemples qui suivent dans le texte expliquent ce qu’il faut entendre par là. — Au mouvement qui va de la maladie vers la santé, le repos dans la santé se confondrait plutôt avec le mouvement qui va vers le sang ; il ne peut lui être ni opposé ni contraire. — Une tendance au repos, je n’ai pas pu rendre sans cette périphrase la force du mot grec, qui est un dérivé du mot même qui signifie Repos. — De ces mouvements, j’ai ajouté tout ceci pour plus de clarté. Ces mouvements sont, ou celui qui va vers la santé, ou celui qui s’en éloigne. — Dans la blancheur… Dans la santé, ce seul des genres différents, et il ne peut pas y avoir de contraires ailleurs que dans un même genre.
  728. Là où il n’y a pas de contraires, et où il n’y a que des opposés. — Il y a changement, et non pas mouvement à proprement parler, le mouvement supposant toujours deux termes réels, l’un d’où il part, et l’autre où il tend. — Le changement, qui part de d’être, pour aller au non-être ; c’est la destruction. — À celui qui va vers l’être, en partant du non-être, c’est la génération. La génération et la destruction sont opposées l’une à l’autre ; mais ce ne sont pas de vrais contraires. — Il n’y a qu’immuabilité, parce qu’il n’y a pas de mouvement à proprement parler, attendu qu’il n’y a qu’un seul terme au lieu de deux. Cette distinction est aussi vraie qu’elle est fine.
  729. Et si elle est du repos, la question vaut la peine d’être posée, et l’immuabilité, bien qu’elle se rapproche du repos, ne peut pas être tout à fait confondue avec lui.
  730. Si elle est du repos, Aristote ne veut pas confondre l’immuabilité et le repos, parce qu’il s’ensuivrait deux conséquences absurdes selon lui : l’une que tout repos n’a pas de mouvement contraire, et l’autre que la destruction et la génération sont de véritables mouvements, au lieu d’être de simples changements. — Mais on doit dire, le texte n’est pas tout à fait aussi formel.
  731. À l’immuabilité dans le non-être, Aristote a repoussé cette hypothèse dans le § 8, attendu que le nom être n’est rien, et qu’il ne peut y avoir immuabilité en lui. — Soit à la destruction, c’est à la destruction, en effet, que l’immuabilité est contraire.
  732. On peut se demander, la question qui va être traitée dans la première partie de ce chapitre, n’est pas très clairement exposée ici. Aristote se demande pourquoi toutes les espèces de changement ne présentent pas les mêmes oppositions que le changement dans l’espace. Dans ce dernier changement, il y a l’opposition du repos et du mouvement, qui peuvent être l’un et l’autre, ou selon la nature, ou contre nature ; dans les autres espèces de changement, il n’y a pas une opposition analogue à celle du repos et du mouvement ; mais il n’y a que l’opposition de ce qui est naturel et de ce qui est violent. Pour les diverses espèces de changements au nombre de six, voir les Catégories, ch. 14, p. 128 et suiv. de ma traduction. Seulement dans les Catégories, Aristote donne le nom de Mouvements à toutes ces espèces de changements ; et ce n’est que dans la Métaphysique et la Physique que son langage est devenu plus précis. — Le changement selon le lieu, ou : Dans l’espace, ce qui est le mouvement véritable, le corps passant d’un lieu à un autre. — Et des mouvements, Aristote distingue ici le mouvement et le changement. — Dans les autres espèces de changements, qui vont être successivement étudiées, et qui sont au nombre de cinq : l’altération ou modification de qualité, l’accroissement et le dépérissement, la génération et la destruction. — Une altération selon la nature, un peu plus bas, § 2, Aristote reconnaîtra des altérations naturelles, et des altérations violentes. — La santé n’est pas plus selon la nature, cette assertion peut être contestée, et il semble que la santé est plutôt selon la nature que la maladie. — De même encore pour l’accroissement et le dépérissement, ici les deux termes paraissent, en effet, également dans la nature, puisque tout ce qui naît et se développe est, par la loi même de la nature, destiné à périr. — De la génération et de la destruction, qui sont en effet l’une la conséquence inévitable de l’autre. — Que de vieillir, il semble qu’il faudrait Que de mourir ; car la vieillesse n’est qu’un dépérissement, et n’est pas encore une destruction. — Que telle génération, soit selon la nature, cette opinion un peu trop absolue est modifiée dans le § suivant.
  733. La destruction par force, par exemple, une mort violente, au lieu d’une mort naturelle ; l’opposition que notre langue fait dans ce cas est précisément celle qu’Aristote indique ici. — Certaines générations qui se font par force, toutes celles qui sont dues à l’industrie humaine, forçant le cours habituel des choses. — Fatalement régulières, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais il indique ces deux nuances. — La volupté donne une puberté précoce, l’exemple n’est pas très clair, et il pourrait être mieux choisi, quoique d’ailleurs le fait physiologique auquel il est fait allusion soit très exact. — Qui sont forts tout à coup, c’est-à-dire qu’on les a peu enfoncés dans le sol. — Pour l’altération, voir le § précédent. — Les unes violentes, et les autres naturelles, il semble qu’il ne puisse pas y avoir de doute à cet égard, et que c’est surtout dans les altérations subies par les corps qu’on peut distinguer la nature et la violence. — Tels malades ne sont pas guéris dans les jours critiques, il semble encore que ce nouvel exemple n’est pas très bien choisi. Les jours critiques sont ceux où la maladie prend décidément son cours, et peut être jugée précisément par l’habile médecin.
  734. Mais alors, il semble que ceci soit une sorte d’objection à laquelle répond Aristote. La destruction est contraire à la destruction en tant que l’une est violente et l’autre naturelle, ce qui n’empêche pas que, d’une manière générale et absolue, la destruction ne soit contraire à la génération. — Et où est la difficulté ? Aristote répond à l’objection précédente. — D’une manière absolue, comme elle l’est à la génération. — Est de telle façon, c’est-à-dire qu’elle est agréable par exemple, comme il vient de le dire, quoiqu’on ne comprenne pas fort bien comment une destruction peut âtre agréable, à moins que ce ne soit la destruction de quelque mal.
  735. Selon le sens qui vient d’être expliqué, c’est-à-dire quand, de deux mouvements qui se passent dans le même lieu, l’un est naturel et l’autre violent, la même distinction pouvant s’appliquer aussi au repos, qui est tantôt violent et tantôt naturel. Il en est de même des repos, il semblerait que ceci veut dire que le repos est contraire au repos, comme le mouvement est contraire au mouvement ; mais la suite prouve que ce n’est pas tout à fait ainsi que l’entend Aristote. — « Si elle restait en haut. » j’ai cru devoir ajouter ces mots pour que la pensée fût plus claire. — Contraire au mouvement selon la nature, en même temps qu’au repos selon la nature. — Puisque les mouvements, le texte a le singulier au lieu du pluriel.
  736. S’il y a génération du repos, cette expression est obscure, et je ne vois rien dans le contexte qui puisse tout à fait l’éclaircir. Si je la comprends bien, elle revient à savoir si le repos est dans le corps comme y est le mouvement, ou s’il peut y être produit à un moment donné par une cause étrangère.
  737. . Certainement il y a génération, Aristote résout d’abord la question par l’affirmative ; mais ce n’est pas là sa vraie solution, comme la suite le prouve, et il soutient, au contraire, qu’il n’y a pas de repos ainsi entendu. — Il y a génération du repos, c’est-à-dire que le repos se produit.
  738. . Mais le corps qui s’arrête, c’est ce qu’on observe dans la chute des graves, et plus les corps qui tombent s’approchent de la terre, où ils doivent s’arrêter, plus leur chute est rapide. — Éprouve tout le contraire, c’est encore un fait d’observation que le corps qui est mu contre nature, par exemple, une pierre qui est lancée en haut, ralentit d’autant plus son mouvement d’ascension qu’il approche davantage du point où il doit s’arrêter. — Sans devenir précisément en repos, c’est-à-dire sans qu’il y ait une cause permanente du repos, puisque si l’obstacle qui s’oppose à la chute du corps venait à cesser, le corps reprendrait à l’instant même son mouvement de translation vers son lieu naturel.
  739. . La même chose qu’être porté vers son lieu spécial, c’est trop dire ; et si un corps s’arrête en effet quand il est arrivé ait lieu qui lui est spécial d’après les lois de la nature, on ne peut pas dire cependant que le repos de ce corps se confonde avec le mouvement qui l’a amené en ce lieu. Mais l’expression de S’arrêter signifie sans doute ici la tendance au repos plus que le repos lui-même.
  740. Le repos en tel état, on ne voit pas bien comment cette question se rattache aux précédentes ; et de plus elle est présentée d’une manière trop peu claire. — Qui s’éloigne de ce même état, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Le corps est mis en mouvement, des exemples auraient été bien nécessaires ici, pour fixer nettement la pensée. — N’en semble pas moins garder encore quelque temps, le teste n’est pas aussi précis. — Les contraires seront simultanément dans l’objet, ce qui est impossible.
  741. Ou bien ne peut-on pas dire, formule habituelle d’Aristote quand il présente la solution qui lui est propre. — Est de quelque façon déjà en repos, parce que le repos commence en quelque sorte quand le mouvement se ralentit ; et alors le mouvement et le repos sont, on peut dire, simultanément dans le corps. — Ce qu’il est.., ce en quoi il change, et alors les contraires coexistent.
  742. Le mouvement est plus contraire, parce que les mouvements contraires ne peuvent coexister, tandis que le repos et le mouvement peuvent, dans une certaine mesure, coexister l’un à l’autre. §
  743. à 18. Il y a des manuscrits où tout ce passage est omis comme étant en grande partie une simple reproduction de tout ce qui précède, et surtout du § 5. Simplicius le commente, tout en remarquant que ce n’est guère qu’une répétition. Saint Thomas fait une observation analogue. — Un repos opposé, et qui soit comme eux contre nature. Par exemple, la pierre qu’on lance en l’air et qui s’y arrête en rencontrant quelqu’obstacle, a un repos violent et contre nature, comme le mouvement qui l’a portée au lieu où elle s’est arrêtée.
  744. Car le corps reste en place, dans le lieu où il a été porté par un mouvement contre nature.
  745. Sans que le repos eût eu une cause, le texte n’est pas aussi précis.
  746. Un repos de cette espèce, c’est-à-dire qu’il y aura des repos contre nature, de même qu’il y a des mouvements contre nature.
  747. D’autre part, la question indiquée dans ce § n’est pas assez nettement exposée. Aristote se demande si deux mouvements sont contraires, lorsqu’appliqués à un même corps, l’un est naturel, et l’autre contre nature ; ou bien, s’il faut prendre des corps dont le mouvement naturel est contraire, pour avoir des mouvements contraires.
  748. Tous les deux sont contraires, c’est-à-dire d’une part le mouvement contre nature pour le feu, et d’autre part le mouvement naturel pour la terre, puisque le feu se porte naturellement en haut, et la terre naturellement en bas. — Le mouvement selon la nature, celui de la terre ou du feu. — Au mouvement selon la nature, c’est le sens indiqué par la suite du raisonnement, et c’est la leçon la plus généralement admise ; mais quelques manuscrits ont une leçon différente : « Au mouvement contre nature. » Évidemment ce serait faire double emploi avec ce qui suit.
  749. De même aussi pour le repos, voir plus haut la note sur le § 12.
  750. Voilà ce qu’il y avait à dire, c’est le sujet des deux derniers chapitres qui est résumé ici. Mais la théorie du mouvement occupera encore trois livres entiers.
  751. Ce qu’on a dit plus haut, voir plus haut Livre V, ch. 5, §§ 4, 8 et 11. — Si l’on entend par continus, c’est le résumé de la définition donnée plus haut Livre V, ch. 5, §§ 4. — Par contigus, ibid. §§ 4 et 9. — Par consécutif, ibid. § 8. Qu’aucun continu se compose d’indivisibles, c’est le sujet spécial de ce chapitre. — Que la ligne se compose de points, la ligne étant continue, tandis que les points sont indivisibles, il s’ensuit que la ligne n’est pas composée de points, quoiqu’en dise la définition vulgaire. — Les extrémités des points ne sont pas réunies, et il faudrait qu’elles le fussent, pour que la ligne fût formée par eux ; aussi les géomètres modernes ont-ils dit que la ligne est la trace que laisse un point qui se meut vers un autre point. — En second lieu, les points ne sont pas plus contigus qu’ils ne sont continus, d’après la définition qui vient d’être donnée de la contiguïté. — Il n’y a pas d’extrémité possible, pour un point, puisqu’il n’a aucune dimension, — Pour ce qui est sans parties, le point n’a pas de parties, puisqu’il n’a ni longueur, ni largeur, ni épaisseur.
  752. De plus, le commencement de ce § n’est guère qu’une répétition de ce qui précède. — Qu’ils se touchassent entre eux, ou bien : « Qu’ils fussent contigus. » — Un continu véritable, j’ai ajouté ce dernier mot. — Par la raison qu’on vient de dire, au début du § 1er, en définissant ce qu’on entend par Continu. — Et tout ce qui est contigu, argument pour prouver que les points ne sont pas plus contigus qu’ils ne sont continus, — Qu’il touche, ou « Soit contigu. » — Enfin, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Le point ne peut pas plus suivre le point, dans le sens de la définition donnée au début du § 9. — Ici pour former la longueur, c’est-à-dire la ligne, qui est censée formée par des points consécutifs. — Avons-nous dit, l’expression du texte n’est pas aussi formelle. Voir un peu plus haut, § 1, la définition du consécutif. — La ligne, voir plus haut, Livre V, ch. 5, § 15.
  753. Qu’ils pussent se diviser en indivisibles, si le point et l’instant étaient continus, ils devraient pouvoir se diviser en indivisibles ; mais ce n’est pas possible, puisqu’ils sont eux-mêmes indivisibles. — Chacun d’eux, Pacius préférerait une expression plus générale, et il voudrait qu’on pût dire : « Chaque chose se divise dans les cléments dont elle se compose. » Mais il n’y a pas de manuscrit qui donne cette leçon, bien qu’elle fût préférable. — Nous avons prouvé, le texte n’est pas aussi formel. Voir plus haut le début du § 1.
  754. Quelque intermédiaire d’un genre différent, voir plus haut la fin du § 2, où l’on supposait que l’intermédiaire était homogène. — Divisible ou indivisible, Il ne sera question dans la phrase suivante que de la première partie de cette hypothèse ; la seconde ne sera pas discutée. — Ce qu’on entend par le continu, et alors le point, ou l’instant, se compose de parties toujours divisibles. Il semble qu’il manque ici quelque chose, et qu’après avoir prouvé que l’intermédiaire hétérogène ne peut pas être divisible, il resterait à prouver qu’il ne peut pas davantage être, indivisible.
  755. Tout continu est divisible, c’est la conséquence de ce qui a été prouvé dans le § 1. Le continu ne pouvant se composer d’indivisibles, il s’ensuit qu’il doit se composer de divisibles. — Pourrait toucher à l’indivisible, et il faudrait alors que l’indivisible eût des parties, ce qui ne se peut pas.
  756. Tous les trois, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée, et pour rendre plus claire l’assimilation qui est faite ici du mouvement, du temps et de la grandeur. — Voici comment on le prouve, les démonstrations qui vont suivre ne sont rien moins que nettes ; et pour s’y bien diriger, il ne faut pas perdre de vue que ce qu’il s’agit de prouver, c’est que le temps, dans lequel s’accomplit le mouvement, se compose de parties toujours divisibles, tout aussi bien que la grandeur que parcourt ce mouvement, et tout aussi bien que le mouvement lui-même. — Se composer d’indivisibles, c’est la première alternative. — Ou bien aucun d’eux ne le pourra, c’est la seconde alternative. Aristote se prononce pour cette dernière solution, comme on peut le voir plus haut au § 17. — Si la grandeur se compose d’indivisibles, première hypothèse, dont on démontrera la fausseté ; car la grandeur étant un continu se forme de parties qui sont indéfiniment divisibles. — Par exemple, si la grandeur ABC, il faudrait tracer une figure composée de deux lignes parallèles, l’une ABC représentant la grandeur parcourue, l’autre DEF représentant le mouvement qui parcourt cet espace. Les parties DEF répondent successivement à chacune des parties ABC, et les unes et les autres sont également ou indivisibles, ou divisibles.
  757. La ligne selon laquelle le mouvement a lieu, le texte est loin d’être aussi précis ; et la formule dont il se sert implique plutôt l’idée de ligne qu’elle ne l’exprime positivement. J’ai cru que ma traduction devait prendre nettement parti, sous peine de n’être pas intelligible ; et il me paraît certain qu’après avoir parlé du mouvement, Aristote veut parler de la grandeur parcourue, bien qu’il ne la désigne qu’obscurément. — Par exemple, O, on se rappelle que O est le mobile, ABC est la grandeur, et DEF le mouvement.
  758. Dans un même instant, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Se mouvoir et avoir été mu, ce qui serait contradictoire ; il s’est donc écoulé un certain intervalle de temps, correspondant au mouvement et à la grandeur parcourue. — Qui est sans parties, c’est-à-dire que l’on suppose sans parties, quand on admet que le temps, le mouvement et la grandeur sont des indivisibles, ce qu’Aristote n’admet pas. — À laquelle correspondait le mouvement D, D étant une portion du mouvement, de même que A est une portion de la grandeur. — Si le mobile O a parcouru, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. Je crois qu’Aristote suppose ici deux conditions qui lui semblent également inadmissibles, l’une que le mobile parcourt et a parcouru la grandeur, dans un seul et même temps ; l’autre qu’il la parcourt et l’a parcourue dans des temps distincts. Dans l’une et l’autre hypothèse, on arrive toujours, cette conclusion que la grandeur A est divisible, et que, par conséquent, le mouvement et le temps sont divisibles comme elle. — Il en résulte, autre absurdité insoutenable.
  759. Si l’on admet, c’est une objection que suppose Aristote, et à laquelle il répond. L’objection serait celle-ci : « Oui, le corps O a bien parcouru la ligne entière ABC ; mais il n’a pas parcouru la partie A, laquelle est indivisible, » Aristote montre que cet argument est insoutenable pour plusieurs raisons, qu’il donne à la suite des autres, et qui toutes aboutissent à des impossibilités. — Il s’ensuit alors, première impossibilité. — Mais de soubresauts, ou de fins de mouvements, comme le veulent plusieurs commentateurs. La première expression me semble mieux répondre à celle du texte. — Il s’ensuit encore, seconde impossibilité : on pourra dire d’un corps qu’il a un mouvement, sans avoir jamais pu dire qu’actuellement il a un mouvement. — Mais si nécessairement, troisième impossibilité : on pourra dire d’un corps qu’il est tout à la fois en mouvement et en repos. — Enfin, quatrième et dernière impossibilité : on pourra dire que le mouvement ne se compose pas de mouvements.
  760. Il serait pareillement nécessaire, en admettant que la longueur parcourue et le mouvement qui la parcourt soient indivisibles, le temps pendant lequel s’accomplit le mouvement devrait être indivisible aussi. Mais Aristote n’accepte pas cette théorie, comme la suite le prouve. — Car si tout mouvement est divisible, la transition est trop brusque, et il aurait fallu montrer plus nettement l’opposition des idées. — Conservant une égale vitesse, c’est le mouvement. — Moins d’espace, c’est la longueur. — Le temps alors sera divisible aussi, comme la longueur et le mouvement. C’est là ce qu’Aristote va démontrer.
  761. Il a été démontré, voir plus haut, § 1. — Toute grandeur est continue, et peut toujours se diviser en parties indéfiniment divisibles. — Qui est doué de plus de vitesse, il y a trois conditions possibles pour que la vitesse d’un corps soit plus grande que celle d’un autre : ou il parcourt plus d’espace en un temps égal ; ou il parcourt un espace égal dans un temps plus court ; ou même dans ce temps plus court, il parcourt un espace plus grand. Ces trois conditions vont être successivement étudiées, pour arriver à démontrer que, si la grandeur et le mouvement sont divisibles, le temps l’est également.
  762. Le corps représenté par A plus rapide, c’est la première condition. Le corps plus rapide est celui qui parcourt plus d’espace dans un temps égal. — A a changé de C en D, ces formules littérales ne rendent pas ici la pensée plus claire, et il eût mieux valu conserver les formes ordinaires.
  763. Mais, dans un temps moindre, c’est la troisième condition après la première ; la seconde ne viendra qu’au § suivant. — Dans le temps que A met à venir à D, pour rendre ceci plus clair, il faut tracer deux lignes parallèles, suivant lesquelles le mouvement de A et de B aurait lieu. La première porterait les lettres CEHD ; la seconde porterait les lettres FHIG.
  764. Un espace égal dans un temps plus petit, c’est la seconde condition. Les lignes parallèles qu’il faudrait encore tracer, porteraient l’une les lettres LXM ; et l’autre, les lettres PSRQ.
  765. Autre démonstration, de cette seconde condition, où le corps dont la vitesse est plus grande, parcourt un espace égal dans un temps plus petit. Cette démonstration est purement logique, et ne s’appuie plus sur des formules littérales et sur des moyens graphiques qui puissent parler aux yeux. — Que tout mouvement se passe, ceci s’entend d’un mouvement comparé à un autre mouvement.
  766. Dans le temps entier, c’est-à-dire, en une période quelconque de temps. La pensée, qui d’ailleurs est claire, n’est pas très nettement rendue, et j’ai dû conserver cette obscurité dans ma traduction.
  767. Que le temps aussi est continu, voir plus haut § 6. C’est à cette dernière démonstration que fendaient toutes les démonstrations précédentes. — J’entends par continu, voir plus haut § 1. — Soit A le corps plus rapide, il faut encore ici tracer deux lignes parallèles, l’une représentant la longueur avec les lettres CID ; l’autre, représentant le temps avec les lettres FHG. Tout l’artifice de la démonstration repose sur la relation qu’on établit entre le mobile plus lent, qui parcourt moins d’espace dans le même temps, et le mobile plus rapide, qui met moins de temps à parcourir un égal espace. L’espace égal correspond pour l’un à moins de temps ; et le temps égal correspond pour l’autre à moins d’espace. Ainsi le temps divise toujours l’espace, et l’espace divise toujours le temps. Aristote en conclut que le temps est continu, comme la longueur ou l’espace.
  768. Toute grandeur est continue, comme le temps, pendant lequel le mobile parcourt cette grandeur. — C’est-à-dire des divisions égales, le texte dit : Et, au lieu de C’est-à-dire ; ce qui se confond avec les Mêmes divisions.
  769. On peut se convaincre, après les démonstrations de la science, Aristote a recours au témoignage du sens commun. — Les opinions et le langage ordinaires, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Seront les mêmes, d’après l’opinion commune.
  770. Infini à ses extrémités, l’expression est étrange ; mais j’ai dû la conserver. Aristote distingue deux infinis, l’un de grandeur actuelle, qui n’a pas de limite ; et l’autre de division, c’est-à-dire où la division est indéfiniment possible. — Sous ces deux rapports, infinitude de grandeur, infinitude de divisibilité.
  771. Zénon, voir plus loin ch. 44 une réfutation plus complète de la théorie de Zénon, qui niait le mouvement. — Ni toucher les infinis successivement, cette expression est obscure ; mais j’ai dû la conserver pour rester fidèle au texte. — Toucher les infinis, c’est toucher successivement à tous les points dont le nombre est supposé infini — Ou de la division, ou des extrémités, voir plus haut le § 20. La division représente l’infini en puissance ; et les extrémités représentent l’infini en acte. — Qu’on les touche, même observation que plus haut sur l’obscurité de cette expression. — On le peut pour les infinis de division, parce qu’en réalité on les perçoit et qu’on les parcourt successivement. — Que le temps lui-même est infini, en tant qu’indéfiniment divisible ; ce qui n’empêche pas qu’il l’est aussi par ses extrémités, et qu’on ne peut pas plus en assigner la fin que le commencement. — Toucher des infinis, même observation que plus haut, Au lieu de toucher, on pourrait peut-être dire aussi : percevoir,
  772. Il n’est donc pas possible, cette conclusion semble d’accord avec celle de Zénon, combattue un peu plus haut. — Si le temps est infini, ces idées ne semblent pas assez liées à ce qui précède, bien que les rapports de la grandeur et du temps soient exacts. Voir plus haut § 10.
  773. Soit, en effet, une grandeur finie, il faut tracer deux lignes parallèles : la première pour la grandeur AEB, et la seconde pour le temps. Sur cette seconde ligne supposée infinie, on prendra CD. — Exactement, j’ai ajouté ce mot ici, comme plus bas, parce qu’il me semble indispensable pour compléter la pensée. — Elle sera plus petite, c’est-à-dire qu’après plusieurs divisions, le reste sera plus petit que la partie aliquote. — Ou bien enfin elle sera plus grande, parce qu’on n’aura pas épuisé toute la série des divisions. — Comme la grandeur AB, le texte dit simplement : « Comme la grandeur. »
  774. De plus, si l’on n’a pas besoin, le début de ce § n’est qu’une répétition du précédent, ainsi que font remarqué les commentateurs ; et M. Prantl a supprimé toute cette répétition dans sa traduction, jusqu’aux mots : « Mais il est évident. » Je n’ai pas cru devoir faire cette suppression, quoiqu’elle semble bien justifiée, et qu’en l’admettant, la pensée se suive beaucoup mieux. — Dans un des deux sens, soit à son point de départ, soit à sa fin. — Si l’on parcourt la partie, ajoutez : BE. — L’une des deux limites, celle d’où le mouvement est parti.
  775. Si c’est la grandeur qui est infinie, plus haut § 23, il a été supposé que la grandeur était finie, et que le temps était infini.
  776. Que ni la ligne ni la surface, voir plus haut § 1. — Mais encore parce qu’il en résulterait, une autre impossibilité, à savoir que l’indivisible ne serait plus indivisible. — Le mouvement rapide, voir plus haut § 16. — Le corps plus rapide, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — AB, BC, CD, il faudrait tracer trois lignes : la première, égale à la troisième, qui représente le temps, et la seconde étant les deux tiers de la première. Les lettres de la première seraient ABCD ; les lettres de la seconde, EFG ; et les lettres de la troisième, KLMN. — Donc aussi l’indivisible sera divisé, attendu que le plus rapide parcourra un peu plus que la première partie KL, et empiétera sur LM ; LM, qu’on supposait indivisible, sera donc divisé en un certain point, — L’espace qui est sans parties, c’est-à-dire la portion de la longueur qu’on supposait indivisible, et qui est parcourue en plus de temps par le corps le plus lent que par le plus rapide. — Qui soit sans parties, et qui se compose d’indivisibles, comme le supposait une théorie fausse.
  777. L’instant considéré, voir plus haut, Livre IV, ch. 19, §§ 14 et suiv., la définition de l’instant. La définition du § 14 est la définition de l’instant en soi ; les autres ne sont que des acceptions voisines de celle-là. — Il demeure indivisible dans un temps quelconque, le temps alors ne peut être composé d’instants, pas plus que la ligne n’est composée de points, puisque le temps est continu, et qu’un continu doit toujours être composé de parties indéfiniment divisibles. Voir aussi Livre IV, ch. 17. — Dans le sens absolu, le texte dit précisément : Primitif. — Comme nous l’avons dit, Livre IV, ch. 19, § 14.
  778. Il sera démontré du même coup, l’instant est indivisible, parce qu’il est identique ; il faut donc démontrer qu’il est identique en effet, comme on le dit.
  779. Car s’il était différent, l’expression de la pensée est ici un peu trop concise ; en voici le développement : « L’instant ne peut qu’être identique ou différent. Si on le suppose différent, il s’ensuit que l’un des deux instants devrait suivre l’autre ; mais cela ne se peut, puisque le temps qui est un continu ne peut se composer d’indivisibles. » — Si l’un et l’autre sont séparés, sans se suivre immédiatement. Voir plus bout la définition de ces termes divers, Livre V, ch. 5, § 3 et § 8. — De synonyme et d’homogène, j’ai ajouté ce second mot pour compléter la pensée. — L’instant est divisible, dans la supposition qu’il est homogène au temps. — Quelque chose du passé dans le futur, impossibilité manifeste. — Et quelque chose du futur dans le passé, autre impossibilité non moins évidente. Donc l’instant n’est pas divisible. — Cela même qui divisera l’instant, et qui alors serait seul le véritable instant.
  780. L’instant ne serait pas en soi, on arriverait à dire que l’instant n’est pas en soi, après avoir soutenu qu’il n’est pas identique. — Et par un autre, c’est-à-dire par ses parties, dont l’une serait dans le passé et l’autre dans le futur, — Ce qui est en soi, et est par conséquent indivisible. Il y a ici une variante admise par quelques éditeurs : » La division n’est pas en soi. » C’est la leçon donnée par l’édition de Berlin.
  781. L’instant se partagera, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Ces caractères ou Ces propriétés, qu’on vient de parcourir, pour essayer de démontrer que l’instant n’est pas en soi et identique.
  782. Qu’on vient d’énumérer plus haut, dans les §§ 3, 4 et 5.
  783. Ainsi il est démontré, comme on l’avait annoncé plus haut, § 7.
  784. Il n’y a pas de mouvement possible dans la durée de l’instant, le mouvement est toujours divisible en tant que continu ; il ne peut donc pas y avoir de mouvement dans l’instant, puisqu’il est indivisible. — Ou plus rapide ou plus lent, propriété inhérente au mouvement. — Soit l’instant N, le mouvement peut être représenté par une ligne dont les trois lettres seraient ABC. — Donc l’Instant sera divisé, conséquence évidente, et qui contredit le principe posé plus haut que l’instant est indivisible.
  785. Il y ait du repos, la conséquence est évidente, puisque les deux idées de mouvement et de repos sont corrélatives. — Dans la durée de l’instant, ce principe n’est peut-être pas aussi certain qu’Aristote semble le croire ; mais le mouvement qui a lieu dans un instant nous est imperceptible, et en ce sens nous n’avons point à en tenir compte. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que, dans la théorie d’Aristote, l’instant n’est qu’une limite.
  786. Sera tout à la fois en mouvement et en repos, ce qui est impossible. — De l’un et l’autre temps, du passé et de l’avenir. Ce § est assez obscur ; voir la Paraphrase, où j’ai taché de l’éclaircir.
  787. Ce qu’elles étaient auparavant, il y a donc dans l’idée de repos deux idées, celles d’antériorité et de postériorité, tandis que l’idée de l’instant est simple.
  788. Dans un certain temps, distinct de l’instant, qui n’est pas du temps à proprement parler, et qui est seulement la limite du temps.
  789. Tout ce qui change, ce qui comprend aussi le mouvement, qui est une des espèces du changement, — Dans l’état vers lequel elle a tendu, l’état nouveau qu’elle prend après le changement subi. — Dans l’état qu’elle doit changer, c’est-à-dire l’état antérieur au changement. — Une de ses parties soit en tel état, la chose qui change tient à la fois des deux états, et de celui qu’elle quitte et de celui où elle tend. — Qui apparaît d’abord, ce sens me paraît résulter de toute la suite de la pensée et de l’exemple cité plus bas ; mais le texte n’est pas aussi formel. — Au gris d’abord, j’ai ajouté ce dernier mot. — Donc, il est évident, répétition du principe posé au début du §.
  790. Selon le temps, c’est la manière la plus habituelle de diviser le mouvement, les parties du temps correspondant toujours à celles du mouvement. — Selon les mouvements des diverses parties du mobile, cette seconde division n’empêche pas la première, et les diverses parties du mouvement correspondent toujours aux diverses parties du temps, le mouvement total se composant de la somme des mouvements partiels.
  791. Si, par exemple, AC, Aristote commence par la seconde division du mouvement, et il s’y arrêtera beaucoup plus qu’à la première, dont il ne dira que quelques mots § 6. — La partie AB et la partie BC, il faut tracer deux lignes parallèles l’une ABC, et l’autre DEF. — De ces mouvements particuliers, j’ai ajouté ce dernier mot, pour que la pensée fût plus précise. Ces mouvements particuliers sont ceux que représentent DE et CF, correspondant aux parties AB et BC du mobile. — Nul corps ne peut avoir le mouvement d’un autre, axiome peut-être pur trop évident.
  792. De plus, autre argument pour prouver que le mouvement total est le mouvement de toute la grandeur qui se nient, et non point le mouvement de l’une de ses parties. — Toujours le mouvement est le mouvement de quelque corps, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de mouvement possible sans mobile. — Chaque mouvement particulier, j’ai ajoute ce dernier mot. — Sont les mouvements de ABC, il vaudrait mieux dire : « De AB et de BC. » — Comme on l’a vu, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. Voir plus haut Livre V, ch. 6. — Le mouvement entier DF, j’ai ajouté les deux lettres DF.
  793. Si, en effet, troisième argument pour démontrer que la grandeur totale AC doit avoir le mouvement total DF : car si elle n’a pas en mouvement, elle en a un autre, ou plus grand, ou plus petit. Or, on démontre que ce mouvement ne peut être, ni plus grand, ni plus petit : donc elle a le mouvement DF, et non point un autre. — En retrancher le mouvement de chacune des parties, en supposant que HI est égal à DF, ou plus grand grand DF. — Est partagé exactement, j’ai ajouté ce dernier mot pour éclaircir la pensée. — S’il manque quelque chose, c’est-à-dire si HI est plus petit que DF, et par exemple, d’une partie KI plus petite que EF. — Ce ne sera le mouvement de rien, car celle partie ne correspondra à aucune partie du mobile. — Ni le mouvement de quoi que ce soit, répétition de ce qui précède. — Au lieu de manquer, j’ai ajouté ces mots, afin que la pensée soit plus claire. — Il y avait de l’excès après la division, et que HI fût plus grand que DF au lieu d’être plus petit. — Que le mouvement soit le même, c’est-à-dire que, HI soit égal à DF. § 5. Telle est la division du mouvement, d’après les mouvements des parties, cette démonstration n’est rien moins que claire ; et loin d’expliquer la division du mouvement, il a été seulement établi que le mouvement du tout se composait des mouvements divers des parties. Mais ce principe même aurait besoin d’explications, qui ne sont point données ici.
  794. L’autre division du mouvement, voir plus haut § 4. — Tout mouvement, en effet, est dans le temps, c’est un fait d’observation qu’attestent tous les phénomènes. — Le temps est toujours divisible, en tant que continu, et l’instant n’est pas du temps à proprement parler. — Le mouvement est moindre dans un temps moindre, la vitesse étant supposée rester toujours la même.
  795. Dans une certaine chose, j’ai pris à dessein cette expression générale pour mieux répondre à celle du texte ; car le mouvement n’a pas lieu seulement dans l’espace ; il a lieu aussi dans la quantité et la qualité, comme on l’indiquera plus bas. — Pour le résultat du mouvement, je n’ai pas trouvé de formule meilleure pour rendre clairement le mot du texte qui est lui-même fort obscur ; c’est sans doute la distinction du mouvement abstrait et du mouvement concret. — La division y a lieu en soi, c’est-à-dire que c’est la quantité elle-même qui est directement divisible, tandis que la qualité n’est divisible que par l’intermédiaire de la quantité où elle est. — Et indirectement, j’ai ajouté ces deux mots pour compléter et éclaircir l’expression.
  796. Le mouvement sera moindre, on pouvait ici, comme on le fait plus bas, préciser davantage en disant que le mouvement serait la moitié, la vitesse, d’ailleurs, restant égale. — Et ainsi de suite, la division pouvant être indéfinie.
  797. De même, si le mouvement est divisible, de la divisibilité du temps, il a conclu à celle du mouvement ; la réciproque n’est pas moins vraie ; et de la divisibilité du mouvement, on peut conclure à celle du temps.
  798. Le résultat du mouvement, voir la note du § 9 sur cette expression. — Dans la moitié du mouvement, même démonstration que plus haut. Le résultat du mouvement se divisera comme le mouvement lui-même. C’est d’ailleurs le troisième des cinq termes qui ont été énumérés plus haut dans le § 1.
  799. Tels que DC et CE, il faudrait tracer une ligne dont les lettres seraient DCE ; mais cette démonstration graphique n’apporte aucun éclaircissement à ces idées, qui pourraient être plus facilement exposées sous la forme ordinaire. — Nous avons démontré, voir plus haut, ch. 4, § 5. — N’en sera pas moins continu, et répondra par conséquent à un mouvement total et continu comme lui.
  800. Que la longueur, la longueur étant prise ici pour le mobile, le quatrième des termes énumérés plus haut, § 4. — Tout ce dans quoi il y a changement, c’est-à-dire le corps, puisque le mouvement n’est qu’une espèce du changement. — La division est indirecte, comme dans la qualité ; voir plus haut, § 1. — Un seul de ces termes, c’est-à-dire le temps, le mouvement, le résultat du mouvement, le mobile et l’espace ; voir plus haut, § 4.
  801. Quant à être finis ou infinis, c’est-à-dire qu’ils seront tous soumis aux mêmes conditions, soit qu’on les suppose finis, soit qu’on les suppose infinis.
  802. Divisibles à l’infini, le texte dit simplement : Infinis ; mais le sens est évident. — À l’idée du changement, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Les caractères les plus certains et les plus évidents, on pourrait traduire aussi « Les caractères évidents et essentiels. » — On l’a démontrée, plus haut, ch. 3. — On la démontrera, plus loin, ch. 11.
  803. De tel état dans tel autre état, le texte n’est pas aussi précis, et l’expression grecque est tout fait indéterminée ; je ne pouvais la laisser aussi vague en français. — Dans la chose en laquelle il a changé, ceci sera plus clair par les exemples qui sont donnés un peu plus bas. Du reste, la théorie pouvait être présentée d’une manière beaucoup plus simple. — En laquelle il a changé, le changement alors est accompli, et il n’est plus en train de s’accomplir. — Le changement par contradiction, c’est-à-dire passant de l’affirmation à la négation, ou réciproquement. Voir les Catégories, ch. X. §§ 2 et 21, p. 110 et suiv. de ma traduction, — Soit ou ne soit pas, c’est le fondement du principe de contradiction. — Dans la chose en laquelle elle a changé, et ici la chose en quittant le non-être ne peut qu’avoir passé à l’être. — Pour tous les autres changements, voir les Catégories, loc, cit. — Pour un seul, c’est-à-dire le changement par contradiction, qu’on a pris pour exemple, comme étant le plus évident de tous.
  804. On peut encore, seconde démonstration venant à l’appui de celle qui précède. — Dans un certain lieu, ce qui ne s’applique qu’au changement dans l’espace ou déplacement. — Ou dans une certaine chose, ce qui s’applique d’une manière plus générale à toute espèce de changement. — Dans lequel il a changé, j’ai ajouté ces mots, qui m’ont paru indispensables pour compléter la pensée. M. Prantl a fait la même addition dans sa traduction allemande. — En C, par exemple, il faut supposer que C est antérieur à B, et que c’est un point où le changement n’est pas encore accompli. — Car C n’est pas supposé, le texte n’est pas aussi formel. — Le changement est continu, du premier état où est le corps qui change, jusqu’au nouvel état dans lequel il est après avoir changé. — Ce qui a changé… change, la contradiction qui fait ici toute la force de la démonstration, pourrait être exposée d’une manière plus frappante. — Donc, ce qui a changé, confirmation du principe posé plus haut au début du § 1.
  805. Est au moment, le texte dit précisément : Sera. — N’existe plus, le texte dit précisément : Ne sera pas. — À toute espèce de changement, et non pas de mouvement parce que le mouvement n’est qu’une espèce du changement.
  806. Ainsi, l’on voit, conclusion qui reproduit le principe posé plus haut, au début du § 1.
  807. L’instant primitif, le texte dit simplement : « Le primitif. » Il est évident d’après tout le contexte qu’il ne s’agit que du temps.
  808. Quelqu’autre partie, le texte n’est pas aussi formel, et il dit simplement : « Quelqu’autre chose. »
  809. Supposons, par exemple, AC divisible, pour démontrer que l’instant où le changement a lieu primitivement est indivisible, il suppose que cet instant est divisible, et il prouve que cette supposition mène à l’absurde. Poile, l’instant est indivisible. AC représente le temps où le changement a lieu primitivement. — Qu’il soit divisé en B, les lettres de la ligne représentant le temps seraient alors ABC ; et les deux divisions du temps seraient AB et BC. — Ou ensuite, il vaudrait mieux, Et au lieu de Ou, comme le remarque Pacius. — Dans le primitif AC, c’est-à-dire dans AC considéré comme primitif. — AB et BC, j’ai ajouté ces lettres pour que le raisonnement fût plus clair. — Il y a nécessité, du moment qu’on suppose AC divisé en AB et en BC au point B, comme il a été dit plus haut. — Mais on a supposé qu’il avait changé dans AC, et non pas qu’il y change. J’ai ajouté : « Dans AC. » — Dans l’un, soit DC, par exemple. — Dans l’autre, soit AB. — D’antérieur au primitif, il y aura un instant antérieur à celui que l’on supposait le premier, où le changement avait lieu. — N’est pas divisible, puisqu’en le supposant divisible, on arrive nécessairement à des absurdités.
  810. Ce qui a péri ou est né, c’est le changement par contradiction, dont il a été parlé dans le chapitre précédent, § 1. — Une chose périt quand elle passe de l’être au non-être ; elle naît, au contraire, quand elle passe du non-être à l’être.
  811. Du point primitif, l’expression du texte est indéterminée et signifie seulement : « Du primitif. » — Est complet et achevé, il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec. — A commencé à se produire, Aristote va essayer de prouver qu’il n’y a pas de primitif en ce dernier sens, et que le point primitif du changement ne peut s’entendre que du premier moment où le changement est tout à fait accompli. Mais l’expression de primitif a quelque chose de contradictoire, du moins à l’apparence, avec l’idée de terminaison et de fin.
  812. Est réellement, j’ai rajouté ce dernier mot. — Il est possible, et l’observation sensible nous l’atteste. — Nous avons démontré, voir plus haut Livre IV, ch. 19, § 14 et passim, dans le Livre IV et la théorie du temps. — Une limite et un terme, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  813. Il n’y a pas de début du changement, il semble, tout au contraire, qu’il y a un début très réel au changement, et qu’on peut saisir un moment du temps où en effet il commence. Mais quand le changement commence, on ne peut pas dire encore que la chose est changée, et c’est le seul cas qu’Aristote considère. Le changement n’est vraiment un changement que quand il est achevé. Cette distinction est vraie, quoiqu’elle soit certainement un peu subtile. — Le changement ait eu lieu, tant qu’il devient, il n’est pas encore. — Ce primitif n’est certes pas indivisible, parce qu’il n’est point une limite, et que tout au contraire il est un point de départ. — Il en résulterait, Aristote aurait dû expliquer comment il arrive à cette conclusion. Voici sans doute ce qu’il veut dire : Le changement est un continu ; or, si le point de départ est indivisible, comme il est un instant, il faut que l’instant qui succède au premier y soit continu, et ainsi de tous les instants qui s’écoulent durant le changement. Mais les instants étant des limites, ne peuvent jamais être des continus ; seulement c’est par eux que le temps est continu, parce que l’instant, tout indivisible qu’il est, peut encore être considéré comme la fin du passé, et le commencement de l’avenir. Voir plus haut Livre IV, ch. 17, § 4, et ch. 19, § 15. — Durant tout le temps CA, il faut supposer une ligne où les lettres seraient CAD ; CA représenterait un temps antérieur à CD, et pendant lequel le changement n’aurait pas lieu, puisqu’on suppose le corps en repos. — Durant le temps A, puisque c’est de A en D qu’on supposait le point primitif du changement. — Si AD est indivisible, c’est ce qui résulte de l’hypothèse, puisqu’on suppose que AD est le primitif. — Tout à la fois… en repos… et en état de changement, ce qui est impossible en tant que contradictoire. — Mais si AD, le texte n’est pas tout à fait aussi précis, et ne répète pas AD. Au lieu de Comme, je préférerais Si. — Qu’il soit divisible, c’est la seconde hypothèse qui est tout aussi insoutenable que celle qui faisait AD indivisible. Dans le texte, cette seconde forme de l’hypothèse n’est pas indiquée assez nettement. — Il n’a pas non plus changé dans le tout, ce qui est contre l’hypothèse principale, puisqu’on supposait que le primitif du changement se trouvait dans AD. — Il a changé dans le tout également, et alors le primitif est dans la partie et non plus dans le tout. — Que ce n’est pas là le point, c’est-à-dire que le point primitif du changement n’est pas le point où le changement commence, mais celui où il est achevé.
  814. .. Dans l’objet changé, le primitif du changement ne se trouve pas plus dans le mobile, que dans le moment initial du mouvement. — Soit DF, la partie de DE, il faudrait tracer une ligne dont les lettres seraient DFE, DF étant une partie quelconque de DE. — On a démontré, voir la théorie du changement Livre V, ch. 2. — Ce qui a changé dans la moitié du temps, puisque DF est supposé divisible, il y aura une de ses parties qui aura changé d’une façon proportionnelle au temps écoulé. — Antérieur à DF, et par conséquent DF n’est pas le primitif cherché. — Dans l’objet qui change, c’est-à-dire dans le mobile.
  815. Qu’il n’y a pas de primitif, c’est-à-dire que le changement proprement dit n’est, ni dans une partie du mobile qui change, ni dans le temps durant lequel le changement a lieu.
  816. De la chose dans laquelle l’objet se change, le texte ordinaire ne paraît pas ici marquer suffisamment la différence de ce passage avec celui qui précède ; car il semblerait, d’après ce texte, qu’il n’a été question plus haut que d’une partie du mobile, pour démontrer que le primitif du changement ne pouvait se trouver dans aucune des parties spécialement ; et qu’ici au contraire il est question du mobile entier. Mais celle leçon ne s’accorde pas avec le contexte, et je crois devoir adopter la correction proposée par M. Prantl, et admise par lui dans sa traduction (p. 306. ligne 4). Elle consiste dans l’addition d’une préposition qui me semble tout à fait indispensable. Cependant je n’aurais pas cru devoir faire ce changement, tout ingénieux qu’il est, si je ne le trouvais en partie justifié, à défaut de manuscrits, par le commentaire de Simplicius. Avec le texte ordinaire, qui d’ailleurs pourrait suffire, il faudrait traduire : De la chose qui change, au lieu de : De la chose dans laquelle l’objet se change. — C’est-à-dire, le texte dit simplement : Ou ; j’ai cru devoir rendre l’expression un peu plus précise. — De la qualité, l’expression du texte est plus vague. — Ce dans quoi, c’est le temps, comme le prouve ce qui suit ; ce pourrait être aussi l’espace. — Et ce en quoi il change, la qualité nouvelle qu’il prend après que le changement est accompli. — C’est autre chose pour la blancheur, c’est-à-dire que la blancheur en tans que qualité n’est pas divisible, ou du moins elle ne l’est qu’indirectement et par l’intermédiaire de la quantité ou substance dans laquelle elle est. — Tout ce qui par soi-même… est appelé divisible, l’homme, par exemple, en tant flue grandeur quelconque ; le temps, en tant que continu. — Les grandeurs… la grandeur, il s’agit ici des grandeurs parcourues par le mouvement, c’est-à-dire de l’espace. — Un objet sans parties sera continu, ceci implique contradiction, puisque le continu suppose nécessairement l’idée de divisible. Le texte aurait dû être ici développé davantage, et sa concision le rend obscur. — Le corps a changé, il faudrait ajouter : Primitivement, pour que la pensée fût complète. — Ne fera jamais défaut, puisqu’on a supposé BC indéfiniment divisible. — Il n’y aura pas de primitif, pour l’espace. — Le changement dans la quantité, au lieu du changement dons l’espace, qui est bien aussi une sorte de quantité. — Comprise dans le continu, c’est-à-dire qu’elle est continue. — Le mouvement relatif à la qualité, le changement d’altération ; voir les Catégories, ch. III, § 3, p. 128 de ma traduction. Voir aussi la Paraphrase et la Préface.
  817. Au temps primitif, voir plus haut ch. 7, § 2, et livre IV, ch, 4, § 1, et ch. 5, § 3. L’exemple qui suit explique ce terme mieux que les définitions. — Dans telle année, c’est le temps relativement à un autre. — À un certain jour, c’est le temps primitif. Le jour est le temps premier où le changement a eu lieu ; et comme le jour est dans l’année, il s’ensuit que l’année est le temps secondaire. — Dans toutes les parties, et non dans une des parties ; car alors ce serait cette partie qui serait le temps primitif.
  818. De la définition, donnée plus haut ch. 7, § 2. — Que nous comprenions, id. ibid. Voir aussi les deux autres passages indiqués dons la note précédente.
  819. Voici encore un autre moyen, ce second moyen n’ajoute pas beaucoup à la définition donnée ; mais il prouve cependant que le primitif ne peut pas être supposé divisible ; car alors il ne serait plus le primitif. — Soit en effet XR, il faut tracer une ligne dont les lettres seraient XKR, XK = KR. — Le temps primitif, le texte dit simplement : « le primitif. » — S’il ne se meut que dans l’une des deux, soit l’une soit l’autre indifféremment ; car la démonstration reste la même. — Il ne se meut pas dans XR primitivement, ce qui est contre l’hypothèse, et par conséquent contradictoire. — Relatif à un autre, au sens où on l’a dit au § 1, c’est-à-dire que le mouvement n’a lieu en XR que parce qu’il a eu lieu dans un autre temps contenu dans XR. C’est alors cet autre temps qui est le primitif véritable. Voir la Paraphrase et la Préface.
  820. Tout ce qui se meut actuellement, j’ai ajouté ce dernier mot pour éclaircir un peu la pensée. — Doit avoir été déjà, même remarque. — Mu antérieurement, la théorie qui est exposée ici est fort obscure, et il est très difficile de la faire bien comprendre. Tous les commentateurs, et commencer par Simplicius, y ont fait d’assez vains efforts ; je ne me flatte pas d’avoir été plus heureux. Il semble que cette théorie revient à dire que tout mouvement actuel suppose toujours un mouvement antérieur qui l’a précédé, en d’autres termes que le commencement précis du mouvement nous échappe parce que l’espace et le temps dans lesquels le mouvement a lieu sont indéfiniment divisibles en tant que continus. — Antérieurement, au moment où nous observons le mouvement. — Un corps s’est mu de la grandeur KL, on pourrait traduire encore : « Si une grandeur KL s’est mue. » — Un corps qui se meut avec la même vitesse, et pour lequel XR n’est plus un temps primitif ; car il faut nécessairement ajouter cette condition. — Se sera mu de la moitié, tandis que le premier corps se meut suivant XR pris comme primitif. — De la même grandeur, laquelle doit être imperceptible, puisque XR est supposé le temps primitif du mouvement.
  821. D’un autre côté, c’est une seconde démonstration du même principe. — Le corps a été mu dans le temps entier XR, même hypothèse qu’au § précédent. — Ou absolument, c’est-à-dire en prenant le temps en masse. — Ou pour une partie quelconque, c’est-à-dire en considérant une à une toutes les parties de ce temps. — Que l’instant extrême, l’instant extrême est d’ailleurs dans le même cas que tous les instants intermédiaires. — L’instant extrême de la moitié, en supposant que XR est divisé en deux moitiés égales XS = SR. — Se sera mu dans la moitié, bien que le temps primitif soit XR qu’on supposait indivisible. — Au moment même, ou bien encore : « Au point même, etc. » — L’intervalle des instants, l’instant est la limite du temps : et c’est toujours du temps, qui est entre les instants qui se succèdent, sans être continus les uns aux autres. C’est le temps seul qui est continu. — Tout ce qui change actuellement, j’ai ajouté ce dernier mot. — Un nombre infini de fois antérieurement, même remarque.
  822. Autre considération, troisième démonstration du même principe. — Si ce qui change d’une manière continue, les idées de changement et de mouvement sont prises dans tout ce passage l’une pour l’autre indifféremment. — Dans chacun des instants successifs, j’ai ajouté ce dernier mot. — Sont infinis, en nombre. — Tout ce qui change actuellement, ou tout ce qui se meut, comme on le disait au § 9. — Changé déjà une infinité de fois, c’est la conclusion déjà indiquée à la fin du § précédent.
  823. Mais non seulement, démonstration de la thèse réciproque : « Si ce qui change actuellement doit avoir changé, ce qui a changé doit changer avant d’avoir changé. » Cette seconde thèse n’est guère moins obscure que l’autre, et les commentateurs, soit grecs soit latins, ne contribuent pas beaucoup à l’éclaircir. — Doit aussi changer antérieurement, ceci revient sans doute à dire que le changement ne peut pas être instantané, et qu’avant d’être complet, il a dû passer par plusieurs degrés successifs. — D’un certain état à un autre état, voir plus haut, ch. 6, § 1. — Supposons que dans l’instant, il semble qu’il ne faudrait pas limiter ainsi le temps, et qu’il suffirait de dire : « Supposons que le corps a changé de A en B. » — En A et en B, A étant le point de départ, et B étant le terme où le changement est accompli. — N’est plus dans cet instant, d’où il est parti pour changer. — Plus haut, ch. 6, § 1 et § 4. — Ne sont pas supposés continus, les instants ne peuvent pas être continus puisqu’ils ne sont que des limites ; c’est ce qui a été démontré plus haut, à diverses reprises. — En une autre mesure, le reste n’est pas tout à fait aussi précis. — Le corps change antérieurement, c’est-à-dire avant que le changement ne soit entièrement accompli.
  824. Est encore plus clair, il semble, en effet, que dans la grandeur les progrès du changement soient plus facilement perceptibles, parce qu’on peut les mesurer sur la grandeur même, au lieu qu’un ne peut pas les mesurer aussi directement par le temps. — Un corps sans parties, un plutôt « un point, » qui serait ici le point C. — À un corps sans parties, le point D. — L’intervalle, entre le point C et le point D. — En ces parties, qui sont infinies en nombre comme les divisions même de la grandeur.
  825. Il faut donc, cette conclusion semblerait mieux placée au § suivant. — Les choses qui ne sont pas continues, comme la grandeur et le temps, — Pour les contraires, c’est le changement dans la qualité, quand l’objet passe d’une qualité à la qualité contraire. — Pour la contradiction, voir plus haut, ch. 6, § 1. C’est le passage de l’être au non-être, de l’affirmation à la négation ; ou réciproquement.
  826. Par conséquent, résumé des théories antérieures. Voir aussi un peu plus bas la fin du chapitre. — On ne peut jamais arriver au primitif, même remarque.
  827. Un corps sans parties, c’est-à-dire un indivisible, comme l’instant ou comme le point. — Car la division, du temps et de la grandeur. Comme pour les lignes, voir plus haut, Livre III, ch. 11, § 8. — À volonté, c’est-à-dire par hypothèse, comme le font les mathématiciens pour les besoins de la démonstration.
  828. On voit donc, répétition sous une autre forme de ce qui vient d’être dit au § 7. — Divisibles et continues, dont toutes les parties sont absolument homogènes, comme celles du temps. — L’objet entier qui s’est produit, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Comme le fondement de la maison, la concision extrême de l’expression la rend obscure. Aristote veut dire par cet exemple que l’on ne peut pas dire encore que la maison soit faite quand il n’y a que les fondements de faits. — C’est toujours continu, dans les limites même où l’objet est contenu ; car autrement il serait infini. — Que ce qui n’a point été soit, il faut entendre ceci avec la restriction qui vient d’être indiquée ; car, autrement cette théorie serait absolument fausse, ainsi que la suivante. — Il est donc manifeste, résumé de tout le chapitre en même temps que des derniers paragraphes. Voir la préface.
  829. Ne peut se mouvoir que dans le temps, plus haut ch. 2, il a été démontré que l’instant étant indivisible, il ne peut pas y avoir de mouvement dans l’instant, qui n’est qu’une limite. Le mouvement est donc dans le temps. — Est parcourue dans un temps plus grand, en supposant toujours que la vitesse du mobile reste la même. — Qui serait toujours le même, comme, par exemple, celui des corps célestes, le soleil en particulier, qu’Aristote regardait commue mobile.
  830. Si le corps se meut avec une vitesse égale, première hypothèse. Au § suivant, on étudiera le cas où le mobile n’aurait pas une vitesse régulière. — Exactement, j’ai ajouté ce mot, qui n’est qu’implicitement compris dans l’expression du texte.
  831. Peu importe, d’ailleurs.., cette première phrase semble devoir être reportée un peu plus bas. — Soit en effet, un intervalle fini, démonstration du principe posé aux deux premiers §§. — De l’espace, j’ai ajouté ces mots qui m’ont paru indispensables pour éclaircir la pensée. — Avec une vitesse qui n’est pas égale, autre hypothèse, après celle qui a été indiquée au § 2. — Une partie AE, il faudrait tracer une ligne dont les lettres seraient AEB. — Doit se trouver, le texte dit précisément : « Se trouvait. » Cette nuance d’expression se rapporte aux hypothèses antérieures. — Tout entier, j’ai ajouté ces mots. — Égale, je suppose, à AE, la démonstration sera pour cette seconde partie tout à fait la rnême, qu’elle a été pour la première. — Il n’y a pas de partie de l’infini, parce que l’infini est incommensurable. — Sont toujours mesurées, tandis que l’infini ne l’est pas. — Par les AE, portions de l’espace total AB.
  832. . Pour l’inertie et le repos, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; c’est-à-dire que dans un temps infini, il doit y avoir un repos infini.
  833. Donc il est impossible, il y a des éditeurs qui ont regardé ce § comme une interpolation, et l’on ne comprend guère, en effet, comment il se rattache au reste du contexte.
  834. Même raisonnement, c’est la contrepartie de la démonstration donnée dans les §§ 2 et 3. Dans un temps fini, il n’y a pas plus de mouvement infini que dans un temps infini, il n’y a de mouvement fini. — Non plus qu’un repos infini, voir le § 4. — Si l’on prend une partie, du temps, comme tout à l’heure on prenait une partie de la grandeur ou du mouvement. — Une autre partie de la grandeur, égale à la première, si le mouvement est uniforme. — Que le temps étant épuisé, puisqu’on le suppose fini, et qu’on a pris successivement toutes les parties qui le composent. — Parce que tout retranchement, cette réflexion paraîtrait mieux placée, si elle venait après : « Le temps étant épuisé. » Dans un sens seulement, c’est-à-dire que le mouvement se poursuive à l’infini après qu’il a commencé, ou qu’il n’ait ni commencement ni fin.
  835. Une grandeur finie, après avoir étudié le temps et le mouvement, Aristote passe au mobile, et il y appliquera les démonstrations antérieures. Un mobile fini ne peut pas avoir un mouvement infini, ni l’avoir durant un temps infini. — Par des raisons toutes semblables, aussi ces nouvelles démonstrations se confondront-elles souvent avec les précédentes.
  836. Si le fini, c’est-à-dire une grandeur finie, comme dans le § précédent. — L’infini ne peut pas davantage, par infini, il faut encore entendre ici une grandeur infinie. J’ai cru devoir laisser dans la traduction l’indécision du texte ; car il aurait fallu faire trop de changements pour le rendre plus clair. J’ai réservé ces changements pour la Paraphrase. — Celui des deux qui est en mouvement, il faut comprendre que l’un des deux est immobile, tandis que l’autre est en mouvement ; et c’est alors une relation analogue à celle du mesurage d’une étoffe où il importe peu, comme le remarque Pacius, que ce soit l’aune qui reste en place et que l’étoffe se meuve, ou bien au contraire que ce soit l’étoffe qui reste en place, et que l’aune se meuve à son tour. — Qui sera dans B, c’est-à-dire qui correspondra à B. — Que l’infini se meuve dans le fini, comme la grandeur supposée infinie remplirait nécessairement tout l’espace, il s’ensuit que la seule manière de comprendre que l’infini parcoure le fini, c’est de supposer au contraire que c’est le fini qui parcourt l’infini. — Soit en mesurant l’infini, sans pouvoir jamais l’épuiser.
  837. Que l’infini parcoure l’infini, dans le § précédent, ou suppose la grandeur finie ; on la suppose maintenant infinie. — Il parcourrait aussi le fini, ce qui a été démontré impossible dans le § précédent.
  838. En prenant le temps au lieu de la grandeur, c’est-à-dire en supposant le temps, soit fini, soit infini. J’ai ajouté : Au lieu de la grandeur.
  839. Le fini ne peut parcourir l’infini, hypothèse du § 7. — L’infini ne peut parcourir le fini, hypothèse du § 8. — L’infini ne peut parcourir l’infini, hypothèse du § 9. Cette dernière leçon n’est donnée que par quelques manuscrits. — Soit le temps, soit la grandeur, répétition de ce qui a été dit au § 10. — Tout déplacement a lieu dans l’espace, il faudrait ajouter : « Et dans le temps, » pour que la pensée fût complète. Toutes ces théories peuvent paraître encore plus subtiles qu’exactes, et il est probable qu’Aristote en aurait supprimé plus d’un passage, s’il eût eu le temps d’y mettre la dernière main.
  840. Ou rester en repos, il faut distinguer le repos et l’inertie. Le repos vient après le mouvement, et quand le mouvement s’arrête ; c’est un état transitoire, comme le mouvement lui-même. L’inertie, au contraire, est permanente et éternelle. — Se ralentit et s’arrête, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Soit en mouvement au moment où il s’arrête, c’est la définition même du repos, qui exige, en effet, qu’il y ait un mouvement antérieur ; car, sans ce mouvement, il n’y aurait pas de repos. — Tende à se reposer, cette nuance n’est pas aussi précisément indiquée dans le texte. Il faut distinguer entre s’arrêter et être en repos ; s’arrêter est un ralentissement du mouvement plutôt qu’une cessation complète du mouvement.
  841. Que le corps s’arrête, l’expression du texte est plus indéterminée. — Il a été démontré, dans le § précédent.
  842. D’un autre côté, c’est une nouvelle démonstration du principe qui vient d’être posé, à savoir que tout repos comme tout mouvement a lieu dans le temps. En effet, le repos se fait plus ou moins vite ; et la vitesse et la lenteur se mesurent par le temps.
  843. Primitivement dans un temps, voir plus haut, ch. 9, § 1. — Dans toute partie quelconque de ce temps, c’est-à-dire dans ce temps tout entier. — Le temps étant divisé, il faudrait dire plutôt : « En supposant que le temps ait été divisé, au lieu d’être considéré comme primitif, et indivisible en tant que tel. »— Le mouvement, ou le corps. — Dans une des deux parties, en supposant que le temps ait été divisé en deux parties seulement. — Relativement à un autre, et non plus dans le temps primitif ; voir plus haut, ch. 8, § 4. — Plus haut, voir plus haut, ch. 8, § 4.
  844. De primitif où se meuve le mobile, c’est-à-dire qu’on ne peut pas déterminer précisément la partie du temps où le mobile commence à se mouvoir. On ne peut pas davantage préciser la partie du temps où le mobile commence à s’arrêter. Voir plus tant, ch. 7 et 8. — C’est-à-dire, le texte dit précisément : Car. — Le primitif, cette expression toute indéterminée se rapporte ici au temps, comme la suite du contexte le prouve. — Soit sans parties, ce qui en ferait un instant, et non plus du temps. — Dans ce qui est sans parties, le mouvement n’a jamais lieu que dans le temps et non dans l’instant. Voir plus haut, ch. 14, § 1. — Antérieurement, j’ai ajouté ce mot dont l’idée est implicitement comprise dans l’expression grecque, qui est un verbe mis au passé. Voir plus haut, ch. 8, § 3. — Il a été démontré, plus haut, ch. 10 § 1. — On a fait voir plus haut, § 4. — Dans le temps, j’ai ajouté ces mots, qui tue paraissent indispensables.
  845. De même pour ce qui est en repos, voir plus haut, § 4, la note sur ce qu’on doit entendre par le repos. L’arrêt est une simple tendance au repos, et Aristote répète en partie pour le repos ce qu’il vient de dire pour cette tendance. — Dans un temps sans parties, le texte n’est pas aussi précis. — Il n’y a pas de mouvement possible dans l’indivisible, voir plus haut, ch. 2, § 8. — Là aussi est le mouvement, puisque le repos n’est qu’une conséquence du mouvement. — Nous avons dit, plus haut, § 1 du présent chapitre. — Sur deux termes tout au moins, l’état antérieur de mouvement et l’état actuel de repos. — Le temps, le texte n’est pas aussi formel. — Ne peut pas être sans parties, c’est-à-dire un Instant indivisible. — Qu’on a donnée plus haut, dans les cinq premiers §§ de ce chapitre. — Il n’y a point ici de primitif, pour le temps, comme on l’explique au § suivant.
  846. Tout continu est divisible à l’infini, voir plus haut, ch. 1, § 17.
  847. La pensée de ce chapitre est encore plus obscure que celle des précédents ; et Simplicius lui-même reconnaît qu’il est très difficile de l’expliquer. Il paraît cependant l’avoir complètement comprise, et il exprime une profonde admiration pour ces théories. — Dans le temps, et non dans l’instant. — D’un certain état à un autre état, le texte n’est pas aussi précis. — Où il se meut, voir plus haut, ch. 9 § 1. Le temps en soi est ici le temps primitif dans lequel le mobile est censé se mouvoir. L’expression du texte est peut-être d’ailleurs peu correcte ; car le temps primitif, précisément parce qu’il est considéré comme primitif, ne devrait pas avoir de parties ; mais il peut lui-même faire partie d’un temps plus long. — Dans un lieu primitif quelconque, le texte ne précise pas autant ; mais c’est le sens que donne Simplicius.
  848. Qu’elle est en repos, voir plus haut, Livre V, ch. 8 et 9. — Dans le même état, l’expression du texte est plus vague. — Soit tout entier dans tel ou tel rapport, je n’ai pas pu rendre ce passage d’une manière plus claire ; et je n’ai pas pu préciser davantage l’expression, qui est tout à fait indéterminée dans le texte. Voir la Paraphrase correspondant sur ce chapitre.
  849. Un seul des instants, au lieu du temps, qui est toujours divisible. — Pendant la limite du temps, en d’autres termes, pendant l’instant ; ce qui est impossible, puisqu’il a été démontré plus haut que dans l’instant il ne peut y avoir ni mouvement ni repos. Voir plus haut, ch, 2, § 9.
  850. Le corps existe bien toujours de quelque façon, j’ai admis ici la conjecture de M. Prantl, qui consiste uniquement dans le changement de quelques accents. Le texte ordinaire est peut-être moins satisfaisant : « Le corps s’arrête bien toujours de quelque façon. » — Ni mouvement ni repos, voir plus haut, ch. 2, §§ 8 et 9. — Il en résulterait cette absurdité, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  851. Zénon fait un faux raisonnement, la théorie de Zénon d’Élée n’est exposée ici que d’une manière fort concise, et l’on peut dire insuffisante. Il est probable que dans le temps d’Aristote celle explication pouvait suffire ; mais déjà Simplicius en est embarrassé, et il ne semble pas être sûr de la bien comprendre. Nous la trouvons aussi très difficile, et elle serait plus claire, si elle était plus développée. — Il s’ensuit, évidemment cette conclusion ne ressort pas des deux hypothèses qui viennent d’être posées, et il faut y ajouter cette autre hypothèse que l’espace égal soit toujours aussi le même espace. Par espace égal, on doit entendre ici un espace égal à l’étendue de la chose elle-même. C’est du moins ainsi que ce passage est interprété par Simplicius, Albert-le-Grand et Saint-Thomas ; l’expression du texte est tout à fait indéterminée. Il est probable d’un autre côté que les arguments même de Zénon n’étaient pas très clairs ; car il est peu aisé d’opposer des raisons bien intelligibles à un fait aussi irrécusable que le mouvement. Voir le mémoire de M. V. Cousin sur Zénon d’Élée, page 92, édition de 180. Comme le prouve la réponse d’Aristote, toute l’argumentation sophistique de Zénon repose sur cette supposition que pendant chaque instant l’espace est toujours égal à la chose même. Pour que cela fût vrai, il faudrait que le mouvement eût lieu pendant chaque instant ; or, il n’y a pas de mouvement dans un instant, qui n’est que la limite du temps. — À elle-même, j’ai ajouté ces mots. — Pas plus que nulle autre grandeur, voir plus haut, ch. 9, § 18, et ch. 2, §§ 7 et 8.
  852. Quatre raisonnements, Aristote vient déjà d’en indiquer un, auquel il reviendra un peu plus bas § 8.
  853. Dans nos discussions antérieures, voir plus haut, ch. 1, § 21.
  854. Qu’on appelle l’Achille, c’est le plus célèbre des quatre arguments de Zénon ; et il a reçu cette désignation, parce qu’Achille y figure comme exemple. — Le plus lent, d’ordinaire, c’est la tortue que l’on cite.
  855. De la division par deux, ou dichotomie. Ceci se rapporte à ce qui vient d’être dit un peu plus haut § 3, et c’est ainsi que plusieurs commentateurs ont compris ce passage ; mais on a cru aussi qu’il s’agissait de la méthode de division, où l’on procède toujours en divisant par deux les éléments de la définition. Cette conjecture ne s’accorde pas bien avec le contexte. — Continuellement, j’ai ajouté ce mot. — Toujours absolument la même chose que dans la division par deux, répétition de ce qui précède. — Qu’on partage la grandeur, soit en deux, soit selon toute autre proportion. — C’est plus pompeux et plus tragique, il n’y a dans le texte que ce dernier mot ; j’ai cru devoir ajouter l’autre pour que la pensée fût plus claire.
  856. Des deux côtés, c’est-à-dire pour le premier argument et pour le second. — C’est là qu’est l’erreur, et il suffit de la moindre observation pour l’attester. — Zénon doit accorder, voir plus haut, ch. 4, § 21.
  857. À l’instant, voir plus haut, § 1. — En repoussant ce principe, l’objection contre l’argument de Zénon est ici la même que plus haut ; mais elle n’est pas développée davantage, et elle reste toujours aussi obscure.
  858. Par exemple, j’ai ajouté ces mots, qui ne font qu’éclaircir la pensée sans y rien changer. — Et l’on prétend démontrer, c’est là qu’est le sophisme, puisqu’on essaie de prouver que la moitié est l’égal du tout, comme dans l’exemple qui va suivre.
  859. Soit relativement à la masse qui est en mouvement, il est clair que les deux masses qui vont à la rencontre l’une de l’autre, auront plus de mouvement que les deux masses dont l’une parcourt l’autre qui demeure immobile.
  860. Égales en nombre, c’est-à-dire au nombre de quatre. — De la longueur des A, on doit supposer les quatre masses AAAA placées à la suite les unes des autres, et occupant une certaine étendue. Pour bien comprendre ce passage, il faut tracer une figure où les trois séries de masses seraient représentées sur trois lignes parallèles. L’extrémité droite des B correspondrait au milieu des A, et l’extrémité gauche des C correspondrait à l’extrémité droite des A. Les B sont censés se mouvoir en sens contraire des C ; il s’ensuit que les B parcourent les C, ou réciproquement que les C parcourent les B en moitié moins de temps qu’ils ne parcourent les A ; et comme les A sont de même grandeur, on en conclut qu’ils doivent être parcourus en un temps égal. Mais les B et les C, qui sont égaux aux A, sont parcourus en moitié moins de temps. Donc la moitié est égale au tout. Ce qui est absurde, mais ce que conclut néanmoins le sophiste Zénon. — Est parallèle, mais en sens contraire. — Les B ne sont qu’à la moitié, puisqu’ils sont partis de la moitié des A, et que sans doute ils ne se sont mis en mouvement que quand les C avaient déjà parcouru la moitié des A. — C’est parfaitement égal, j’ai dû conserver l’indécision du texte ; mais il ne semble pas que l’égalité de part et d’autre soit aussi parfaite qu’on le dit. Les C ont parcouru tous les A, et les B n’en ont, il est vrai, parcouru que la moitié ; mais ils ont en outre parcouru un espace égal en dehors de la ligne des A. Il a donc fallu un autre temps égal, et Zénon ne paraît pas le compter. — Le premier C, qui, au fond, est le dernier, puisque les C se meuvent en sens contraire des B. — Et le premier B, qu’on peut aussi considérer comme le dernier dans le sens où vont les B. M. V. Cousin, loc. cit., a rappelé avec les arguments de Zénon les explications de Bayle ; mais ces explications ne contribuent guère à éclaircir toutes ces obscurités, Voir Bayle, Dictionnaire historique, article Zénon.
  861. Ainsi que nous l’avons dit, dans les réfutations qui précèdent.
  862. Quant à la nôtre, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Par rapport au changement, ceci est expliqué par ce qui suit. — Si l’on objecte, l’expression du texte n’est pas aussi formelle. — Je réponds, même remarque. — Les autres oppositions par contradiction, voir les Catégories, ch. 10, § 21, p. 119 de ma traduction. — La chose soit dans l’un des opposés, il faut nécessairement que l’un des deux membres de la contradiction soit vrai, et l’autre faux. Voir les Catégories, id., ibid.
  863. D’autre part, il semble que ce soit encore ici un autre argument auquel répond Aristote, comme il vient de répondre à l’argument contre l’opposition par contradiction. Quelques commentateurs ont pensé que ces deux nouveaux arguments devaient être ajoutés aux quatre arguments célèbres de Zénon, Ainsi, Zénon aurait nié encore le mouvement en soutenant qu’il renversait, s’il était admis, les règles de la contradiction, et qu’il menait à cette absurdité que les corps sphériques qui se meuvent sur eux-mêmes sont tout à la fois en mouvement et en repos. Mais il n’est pas sûr que ces deux derniers arguments soient de Zénon, et le § 12 semble, en effet, prouver le contraire. — Tout ce qui se meut sur soi-même, comme le mouvement des corps célestes. — On prétend bien, le texte n’est pas aussi formel. — Durant quelque temps dans le même lieu, ou : « le même état ; », voir plus haut la définition du repos, ch. 12, § 6.
  864. Jamais un seul moment dans le même lieu, le cercle peut se mouvoir sans cesse ; et bien qu’il soit toujours à la même place, ses parties n’y sont jamais.
  865. Le cercle entier qui change toujours en un autre, la réponse n’est pas très solide ; car ce n’est pas le cercle précisément qui change ; c’est seulement le point de départ ; et à ce compte, le cercle n’a pas besoin de se mouvoir pour changer. Il a beau être en place, on peut toujours commencer la circonférence où l’on veut. — Et elle n’est jamais en repos, cette conclusion ne ressort pas très régulièrement des prémisses ; la circonférence change sans doute ; mais il ne s’ensuit pas qu’elle soit en mouvement, comme on semble l’admettre ici.
  866. Ceci démontré, cette transition n’est pas purement verbale ; et après avoir réfuté les arguments de Zénon contre le mouvement, il est naturel de montrer en quel sens et par rapport à quels objets on peut dire réellement qu’il n’y a pas de mouvement. C’est ainsi que ce chapitre est la conséquence de celui qui précède, Saint Thomas croit, par une conjecture ingénieuse, que toute cette discussion est dirigée contre le système de Démocrite, et qu’elle a pour but de démontrer que les atomes ne peuvent pas être en mouvement. — Ce qui est sans parties, ou ce qui est indivisible, comme on le dira plus bas. — Et, par exemple, l’indivisible ne se meut, le texte n’est n’est pas tout à fait aussi précis.
  867. Ce qui est indivisible, soit en réalité, soit rationnellement. Ainsi, rationnellement l’individu est un indivisible, quoique matériellement il puisse être divisé. Ce § semble d’ailleurs interrompre le raisonnement, qui continue dans le suivant.
  868. Car les mouvements, ceci est la suite du § 1er. — À la surface, ou si l’on veut aussi : « A la circonférence. » On pourrait traduire encore : « Qui sont en dehors du centre. » — Un seul mouvement, pour le tout et pour les parties.
  869. En passant d’une grandeur à une autre grandeur, c’est l’accroissement ou la diminution, — D’une forme à une autre forme, c’est l’altération ou le changement de qualité. — Par simple contradiction, de l’être au non-être, ou de l’affirmation à la négation ; et réciproquement. Voir les Catégories, ch. 44, §§ 4 et suiv., p. 128 de ma traduction. — Ou en AB ou en BC, il faut tracer une ligne droite dont les lettres seraient ABC. — Ainsi que nous l’avons vu, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. Voir plus haut, ch. 13, § 1 et passim. — Dans l’un et dans l’autre, il serait plus correct de dire : « Dans l’un et une autre partie dans l’autre. » — Serait divisible, ce qui est contre l’hypothèse, puisqu’on suppose l’objet indivisible. — Davantage être dans BC, attendu que BC étant le point d’arrivée du changement, le corps, quand il y parvient, ne change plus, mais a déjà changé. — Ainsi que nous l’avons dit, voir plus haut, ch. 12, § 6.
  870. Le temps se composerait d’instants, Aristote a toujours combattu cette théorie, parce qu’il fait de l’instant la limite du temps, et non le temps lui-même. Voir plus haut, Livre IV, ch. 17, § 3, et ch. 19, § 20, — Actuellement, j’ai ajouté ce mot pour rendre toute la force de l’expression grecque. — Antérieurement démontré, voir plus haut, Livre IV, ch. 17, § 8, et ch, 19, § 14. — De motions successives ou d’impulsions ; mais j’ai taché de conserver dans ma traduction l’analogie d’expression qui est dans le texte. — La grandeur se compose de points, théorie aussi fausse que celle qui admet que le temps se compose d’instants.
  871. Une autre conséquence, cette conséquence n’est pas autre précisément, puisque c’est la question même posée au début de ce chapitre, § 1. — Un espace plus petit que lui-même, ce qui serait impossible, puisque le point est supposé indivisible, et qu’il n’y a rien de plus petit que l’indivisible. — Un mouvement égal à lui-même, le texte dit seulement : « Un mouvement égal. »
  872. Doit se mouvoir dans le temps. Voir plus haut, ch. 2, §§ 7 et 8. — Pour tout mobile quelconque, il semble que cette expression est trop générale, et qu’il faudrait la restreindre au mobile indivisible. — Il a été démontré, voir plus haut, Livre IV, ch. 10, § 7. — Un temps plus petit, puisque le temps est indéfiniment divisible. — L’indivisible serait divisé en parties moindres, ce qui est contradictoire et impossible.
  873. Il y eût mouvement dans un instant indivisible, voir plus haut, ch. 2, § 12. — Mouvement dans l’instant, voir plus haut la théorie de l’instant, Livre IV, ch. 17.
  874. Mais il n’y a pas de changement, saint Thomas d’Aquin croit que cette nouvelle discussion est dirigée contre le système d’Héraclite, qui pensait que toutes les choses sont dans un mouvement perpétuel, de même que la discussion précédente était destinée à réfuter le système de Démocrite. Cette seconde conjecture n’est pas moins ingénieuse que l’autre ; mais elle n’est pas plus démontrée. — Nous avons vu, voir plus haut, Livre V, ch. 2, § 1. — Dans la contradiction, ou : « Par contradiction, » J’ai préféré conserver la formule du texte. — Dans les contraires, c’est surtout dans les contraires que se produit le mouvement, selon qu’il y a altération, accroissement ou déplacement. Voir les Catégories, ch. 17, p. 128 de ma traduction, et ch. 10, p. 109.
  875. L’être pour la génération des choses, voir plus haut, Livre V, ch. 2, § 3. C’est-à-dire que le changement cesse et est accompli, dès que dans un cas l’être passe au non-être, ou lorsque réciproquement le non-être passe a l’être.
  876. Les points extrêmes du changement, le changement ou le mouvement ne peut pas aller plus loin ; car lorsqu’une chose blanche, par exemple, est devenue noire, en passant d’un contraire à un contraire, le mouvement est achevé, et il se termine dans les limites mêmes que les contraires lui assignent.
  877. De toute espèce d’altération, ou de modification. L’altération est le mouvement ou changement d’une qualité dans une autre. Voir les Catégories, ch. 14, § 3, p. 128 de ma traduction. C’est la première espèce de mouvement.
  878. L’accroissement et la décroissance, seconde espèce de mouvement. Voir les Catégories, id., ibid., § 9. — Que la chose doit atteindre, le texte n’est pas aussi formel. — La disparition, partielle ou totale. Voir plus loin, Livre VIII, ch. 11, § 2.
  879. Le déplacement dans l’espace, c’est le mouvement proprement dit, et celui qui frappe le plus nos sens. — Fini et limité, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — De cette manière, c’est-à-dire, par des contraires. — Il ne se fait pas toujours dans les contraires, en effet, si le mouvement dans l’espace est circulaire, on ne peut pas dire qu’il soit accompli dans les limites des contraires, puisque les contraires n’existent pas dans la ligne circulaire. — Ce qui est ainsi impossible, c’est-à-dire impossible d’une manière absolue. — Actuellement, j’ai ajouté ce mot pour rendre toute la force de l’expression grecque. Ce passage est d’ailleurs embarrassé, bien qu’il ne soit pas très obscur. Aristote veut dire que, si une chose peut actuellement coupée, il y aura un temps où l’on pourra affirmer qu’elle a été coupée. Il y aura donc ici une limite au changement ou au mouvement. De même pour le déplacement dans l’espace : si la chose se meut actuellement, il arrivera un temps où l’on pourra affirmer qu’elle a été mue ; le mouvement aura donc en un terme. — Change en quelque chose, c’est-à-dire, éprouve quelque changement. — C’est qu’il peut avoir changé, et il arrivera un temps où l’on pourra dire qu’il a changé, et que, par conséquent, son mouvement a été fini. — Il est impossible de la parcourir, et impossible de la manière la plus absolue.
  880. Il n’y a pas de changement infini, voir plus haut, § 1. — Sans limites qui le déterminent, comme les limites aux changements qui viennent d’être indiqués, sont la contradiction et les contraires.
  881. Mais il faut voir, ces théories seront exposées dans le Livre VI et spécialement ch. 10 et 11. — Sous le rapport du temps, c’est l’éternité du mouvement, à laquelle est consacré tout le Livre VIII. — La translation circulaire, voir plus loin, Livre VIII, ch. 10, 11 et 12, les développements de cette théorie.
  882. Tout ce qui est mu, cette proposition paraît identique ; et, dans la première partie, il y a déjà implicitement la pensée de la seconde. Toute la nuance consiste ici dans la différence entre ces deux expressions : Être mu, et Se mouvoir.
  883. En lui-même le principe de son mouvement, le mobile alors se meut, et il n’est pas mu. — Le vrai moteur, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  884. Examinons la première hypothèse, même remarque. — Où le mobile a le mouvement en lui-même, la pensée de ce § est obscure ; car il semblerait en résulter que, même quand le mobile a un mouvement propre, on devrait dire qu’il n’en est pas moins uni par une cause extérieure ; ce qui serait contradictoire. — KL, mettant LM en mouvement, les commentateurs pour expliquer ces formules, se servent de l’exemple du pilote, qui, placé à une des extrémités du navire, le met en mouvement, et est mu aussi lui-même parce que le navire où il est, se meut. — KM, est l’ensemble de KL et de LM, c’est-à-dire, le pilote et le navire. — On ne pourrait pas voir clairement, ceci donne quelque vraisemblance à l’exemple allégué par les commentateurs, et il est en effet assez difficile de distinguer le pilote du navire, et de démêler à un certain moment lequel meut et lequel est mu.
  885. De plus, cette proposition paraît par trop évidente, et du moment qu’un corps se meut lui-même, il est clair que c’est lui aussi qui s’arrête. — Un objet en mouvement, sans que le mouvement vienne de lui-même. — Il y a nécessité, répétition de ce qui est dit au § 4 ; mais la démonstration n’en est pas plus avancée.
  886. Il est nécessairement divisible, voir plus haut, Livre VI, ch. 5, § 8. — Divisible en tant qu’il est C, il faudrait tracer une ligne dont les lettres seraient ACB ; la ligne serait alors divisée en AC et CB. — BC n’étant pas mu, BBC est une partie de AB ; et la partie BBC n’étant pas mue, le tout AB ne le sera pas non plus. Ce principe n’est pas aussi absolu que l’auteur semble le croire, et il aurait besoin d’explication. Les commentateurs croient qu’il s’agit ici du mouvement de l’âme et du corps ; l’âme est dans le corps et elle se meut avec lui, quoiqu’au fond ce soit elle qui le meuve. — Donc, AB ne se meut pas par lui-même, cette conclusion ne semble pas ressortir de ce qui précède ; et l’on ne voit pas assez clairement ce qu’on a voulu démontrer. — CB,… BA l’ordre des lettres est renversé, au lieu de BC et de AB, employés plus haut.
  887. On convient que cette première chose, le principe est de toute évidence ; mais il semble aussi qu’il est une négation absolue de tout mouvement spontané. — Est mu nécessairement par quelque chose, que ce soit une cause extérieure ou une cause interne ; mais, dans ce dernier cas, on ne peut pas dire que la chose est mue ; on doit dire qu’elle se meut, même en supposant que ce soit une seule de ses parties qui mette le tout en mouvement. — Quand la partie est en repos, ce principe aurait encore besoin d’une explication plus étendue. Il faudrait peut-être ajouter : la partie motrice. §
  888. et 8. Alors le moteur est mu, il faut sous-entendre le moteur dans l’espace, puisque l’auteur se borne ici à considérer cette seule espèce de mouvement. C’est en effet de ce mouvement qu’Aristote tirera surtout la nécessité d’un premier moteur et d’une première cause, comme on le verra au livre suivant.
  889. Il faut bien cependant, ce grand principe est peu développé dans ce chapitre ; il le sera plus spécialement dans le cours et à la fin du Livre VIII, comme il l’est aussi dans le XIIe Livre de la Métaphysique. — L’on ne peut aller à l’infini, principe bien souvent invoqué par Aristote.
  890. Supposons, en effet, qu’on puisse aller à l’infini, il en résultera des impossibilités et des contradictions, signalées plus bas au § 10.
  891. . Sera simultané, la conclusion est évidente ; car le premier des moteurs est mu en même temps qu’il meut le premier des mobiles ; le second des moteurs est mu en même temps que le premier, par la même raison ; et ainsi de suite.
  892. Prendre le mouvement de chacun d’eux, c’est-à-dire considérer comme fini chacun des mouvements, quoique l’ensemble de ces mouvements soit supposé infini. — Comme étant un numériquement, en d’autres termes, comme étant fini et limité. — D’un point à un autre point, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  893. Le mouvement est un numériquement, voir plus haut, Livre V, ch. 6, §§ 6 et 7. — Un et le même, il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec.
  894. En genre… en espèce, ces définitions ne sont pas tout à fait les mêmes que celles qui ont été données, Livre V, ch. 6. — Le même en espèce, voir Livre V, ch. 6, § 3. — Le même numériquement, voir Livre V, ch. 6, §. 7.
  895. . Représenté par K, il faudrait tracer trois lignes : l’une où les mobiles-moteurs seraient ABCD ; la seconde, où les mouvements seraient EFGH ; et la troisième enfin, qui représenterait le temps K, durant lequel le premier mobile A accomplit son mouvement.
  896. . Les moteurs et les mobiles sont infinis, c’est l’hypothèse posée dans le § 2. — Car nous ne supposons ici que le possible, on ne voit pas trop ce que signifie cette pensée ainsi interposée. Peut-être aussi faut-il simplement traduire : « Nous ne faisons qu’admettre la conclusion qui peut sortir de notre hypothèse. »
  897. Le mouvement de A est simultané, voir plus haut § 3.— Dans le même temps que le mouvement de A, qui est un mouvement fini.
  898. C’est là une impossibilité, c’est ce qui a été démontré plus haut, Livre VI, ch. § 8.
  899. La question posée au début, plus haut § 2. — Une impossibilité absolue, j’ai ajouté ce dernier mot. — Il se peut fort bien, comme le contraire a été démontré, Livre VI, ch. 11, l’auteur va réfuter cette objection dans le § suivant.
  900. Ou un mouvement corporel, ou matériel, celle expression paraît singulière, et probablement elle n’appartient pas à la langue d’Aristote. — Y soit adhérent et contigu, il y a les deux mots dans le texte. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici du moteur primitif et initial, c’est-à-dire immédiat ; car autrement le principe ne serait pas exact. — Puissent être égaux ou plus grands, voir plus haut § 8. — Ce qui est possible, voir aussi la fin du § 8.
  901. Quelque point d’arrêt, voir plus haut § 1.
  902. Que l’impossible ressorte d’une hypothèse, comme on vient de le prouver, § 10 et § 12. Voir sur les rapports des conclusions aux prémisses contingentes les Premiers Analytiques, Livre I, ch. 13, et chapitres suivants, p. 54 de ma traduction.
  903. Le moteur primitif, il faut entendre par là le moteur qui est le plus rapproché du mobile. — Est dans le même lieu, le texte dit simplement : « Est ensemble »; mais la suite prouve qu’il s’agit du lieu et non du temps.
  904. Il y a trois mouvements, plus haut, il a été admis quatre mouvements ; mais ils ont été réduits à trois ; voir Livre III, ch. 1, § 4, et ch. 3. — Qu’il y ait trois moteurs, quelques manuscrits disent au contraire : « Trois mobiles. » Les deux leçons sont acceptables ; mais je préfère celle que j’ai suivie.
  905. Parlons d’abord de la translation, notre langue ne m’a pas offert d’expression meilleure ; on aurait pu traduire aussi : « Le mouvement dans l’espace. »
  906. Ou se meut par lui-même, plus haut, ch. 1, § 1, on a cherché à établir au contraire que tout ce qui est mu doit nécessairement être mu par un autre.
  907. D’intermédiaire et d’interposé, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. On peut voir plus haut, § 1, la note sur le moteur primitif.
  908. Quant aux corps qui sont mus par un autre, c’est le second cas, posé au § 4. — La compulsion, j’ai tâché par le choix de ce mot de rendre l’idée spéciale qui est développée dans le contexte. — Suit et accompagne, il n’y a qu’un seul mot dans le texte — La répulsion, est, un mouvement qui éloigne le mobile du moteur. — La projection, par exemple quand on lance une pierre. — Loin du moteur lui-même, j’ai dû prendre cette formule pour rendre la force de l’expression grecque. — La contraction n’est qu’une traction, il n’y a pas dans le grec cette coïncidence de mots. — Celles qui se rapportent à la génération et à la destruction des choses, parce que ce ne sont pas de vrais mouvements ; et voilà pourquoi on n’a compté : plus haut, § 2, que trois mouvements et non quatre. — L’aspiration.., l’expiration, ces idées ne paraissent pas très bien amenées ici. — Énoncés plus haut, au début même de ce §.
  909. Faire rentrer le transport et la rotation, et alors les quatre espèces de déplacements dans l’espace se trouvent réduits à deux.
  910. Est mue accidentellement, ou indirectement ; car, puisqu’elle est transportée, c’est qu’elle n’a pas de mouvement propre.
  911. . Attire et pousse tout ensemble, c’est la force centrifuge, et la force centripète.
  912. Est dans le même lieu, c’est le principe posé plus haut, § 1. — Et allant vers soi, quand le moteur qui tire reste en place et tire le mobile à lui. — Ou vers un autre, quand le moteur qui tire change aussi de place, et que le mobile tiré prend le lieu que le moteur vient de quitter. — En séparant les continus, il faut comprendre que le mouvement de traction est assez fort pour disjoindre les choses qui formaient un continu et les diviser en fragments. — L’un est attiré avec l’autre, c’est-à-dire que le mobile est tiré à la suite du moteur. — On peut, il est vrai, c’est une abjection au-devant de laquelle l’auteur croit devoir aller. — Le bois attire le feu, il s’agit sans doute du bois sec, qui, en effet, semble attirer le feu ; mis c’est alors comme but, et non point comme moteur initial, d’après la distinction faite un § 1. — Précédemment, j’ai cru devoir ajouter ce mot pour plus de clarté. — Sans toucher cet objet, et alors il n’y a pas d’intermédiaire entre le moteur et le mobile ; voir plus haut, § 1.
  913. L’objet altéré et l’objet altérant, après le mouvement dans l’espace, l’auteur considère le mouvement dans la qualité, ainsi qu’il l’a annoncé plus haut, au § 2. — L’extrémité altérante et le premier altéré, on doit comprendre par ces formules l’extrémité dernière du corps qui altère, et le premier point du corps qui est altéré. — Sont dans le même lieu, le texte dit : « Ensemble ». Voir plus haut la note du § 1.
  914. Ou s’échauffe, après avoir été froid ; Ou s’adoucit, après avoir été amer, etc. — À ce qui est animé, et à ce qui est inanimé, ces idées sont un peu singulières, et elles n’ont point été préparées par ce qui précède.
  915. L’inanimé est altéré, même remarque. — D’après des sensations éprouvées, puisque l’inanimé ne sent rien,
  916. L’un a conscience, c’est l’être animé. — À la suite de sensations, ainsi, toutes les altérations que l’âge amine en nous sont insensibles, et aucune sensation ne nous les révèle.
  917. L’extrémité dernière, voir plus haut, § 11.
  918. et § 17. répétition et conclusion de ce qui précède.
  919. Entre ce qui est accru et ce qui accroît, c’est la troisième espèce de mouvement indiquée au § 2, après le déplacement et l’altération. — Le primitif accroissant, celle formule se comprend bien après toutes celles qui précèdent. — Doit être continu, puisque dans un cas c’est une adjonction, et dans l’autre cas une séparation. — Entre les continus, il n’y a point d’intermédiaire, c’est ce qui résulte de la définition même du continu ; voir plus haut, Livre V, ch. 5, § 9.
  920. Premier et dernier, les développements qui précèdent expliquent suffisamment ces deux mots. — Relativement au mobile, qu’il touche directement, bien qu’il puisse ne pas être en réalité le moteur initial.
  921. Avons-nous dit, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. Voir le chapitre précédent, § 15. — Par des causes sensibles, cette expression n’est pas très claire, et elle peut signifier à la fois et des causes qui sont accessibles à nos sens, et des causes qui peuvent être elles-mêmes sensiblement affectées. — Dans les objets, ou dans les êtres. — Aux formes, aux figures, la différence est difficile à comprendre entre la forme et la figure ; et très souvent on les confond l’une avec l’autre. — Aux habitudes ou propriétés, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Vraiment, j’ai ajouté ce mot.
  922. Par le nom de la matière même, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — De la bougie, l’expression pourra paraître un peu moderne ; mais elle est exacte dans le fait qu’elle représente. Le texte dit : « La pyramide. » — Qu’il est humide, ou fluide. — Et non seulement.., est de l’airain, il semble que toute cette phrase n’est qu’une interpolation qui gêne la suite de la pensée.
  923. On peut remarquer encore, tout ce § ne fait guère que reproduire la pensée du précédent. — À se produire et à naître, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Ce quelque chose peut être la matière, c’est ce qui vient d’être dit au § précédent.
  924. Les qualités, les manières d’être, il n’y a qu’un seul mot dans le texte, Voir sur les différentes espèces de qualités les Catégories, ch. 8, § 3, p. 95 de ma traduction. — Ne sont pas davantage, c’est-à-dire pas plus que la génération. — La vertu est une perfection et un achèvement, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. La pensée est aussi juste que belle. — La déchéance, l’expression grecque a peut-être un sens plus général. — Des dégradations, l’expression est ici répétée dans le texte ; mais j’ai cru nécessaire de la changer dans la traduction.
  925. Les vertus ou qualités du corps, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais Les vertus du corps m’aurait semblé une expression un peu singulière, et j’ai dû ajouter : ou qualités. — Spéciales signifie ici… ou détruire l’être, interpolation probable. — Que les qualités ou façons d’être, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Voir sur les Relatifs les Catégories, ch. 7, § 22, p. 89 de ma traduction.
  926. La vertu du corps, j’ai ajouté ces derniers mots pour rappeler qu’il s’agit toujours ici dit corps, comme il s’agira ici de l’âme dans les §§ suivants. La vertu du corps signifie la santé, la force, la beauté, l’activité, etc.
  927. . Des affections, ou qualités.— Elles aussi, voir plus haut, § 5.
  928. . Des désordres et des déchéances, il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; voir plus haut, § 4.
  929. Pour les affections et les passions, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le vice dispose mal, voir le petit traité des Vertus et des vices, tome III, p.  [] de ma traduction de la Morale. — De l’âme, j’ai ajouté ces mots, qui ressortent du contexte et qui rendent la pensée plus claire.
  930. Une altération ou un changement, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — De la partie susceptible de sentir, voir le Traité de l’âme, Livre II, ch. 5, § 1, p. 498 et suiv. de ma traduction. — À sentir actuellement, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — À l’action présente de la sensibilité, même remarque. — Du genre de celui dont nous parlons ici, c’est-à-dire du plaisir de la partie sensible de l’âme. — Or, comme c’est à la suite, etc., répétition de ce qui précède.
  931. Avec une certaine altération, et après cette altération.
  932. Pensante et intellectuelle, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Voir pour la théorie de l’Intelligence le Traité de l’âme, Livre III, ch. 4, § 9, p. 298 de ma traduction. — Qu’il y ait génération pour elles, c’est-à-dire qu’elles naissent, et qu’elles soient après n’avoir point été. Elles subsistent sans agir, et elles n’agissent qu’en présence des images que leur transmet la sensibilité, selon le système d’Aristote. — Quelque autre chose est survenue, c’est-à-dire l’image d’un objet sensible. — C’est en quelque sorte par l’universel, voir les Derniers Analytiques, Livre II, ch. 19, § 7, p. 290, de ma traduction. Cette théorie se rapproche beaucoup de celle de Platon. §
  933. Pour une génération, quelques manuscrits ajoutent : « Et, pour une altération. » — Un repos et un temps d’arrêt, l’intelligence se meut et s’agite tant qu’elle cherche la science ; mais dès qu’elle suit, elle s’arrête et se repose. — Ainsi qu’on l’a dit antérieurement, voir plus haut, Livre V, ch. 3, § 4.
  934. Quelques instants auparavant, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Pour la première fois, la comparaison n’est pas tout à fait exacte ; mais l’auteur veut dire seulement que l’ignorance initiale qui précède la science est analogue à certains égards, aux obstacles factices ou naturels qui s’y opposent dans l’ivresse et dans le sommeil. — D’un certain trouble physique, d’autres manuscrits, au lieu de ces mots, donnent ceux-ci : Par la vertu morale. Ceci semblerait impliquer l’égalité essentielle de toutes les intelligences ; et elles seraient plus ou moins savantes, selon que le trouble physique qui empêche la science, serait en elles plus ou moins violent. Sous quelques rapports, cette théorie revient à la théorie platonicienne de la réminiscence, comme Simplicius le remarque.
  935. Les enfants ne peuvent apprendre, cette théorie, qui se représente souvent dans Aristote, est aussi exacte que profonde, et ceci explique comment, par suite de l’apaisement du trouble physique, l’âge rend presque tous les hommes plus intelligents et plus sages, indépendamment même de l’expérience et de la réflexion. — C’est la nature elle-même, par le progrès seul des années. — Ce sont d’autres causes que la nature, l’éducation, la pratique de la vie, parfois même les maladies et les souffrances.
  936. Quand on se trouve dégrisé, ceci répond à l’ivresse, dont il a été question plus haut, § 16.
  937. Dans les choses sensibles, voir plus haut, § 1. — Et dans la partie sensible de l’âme, voir plus haut, § 10. La désignation spéciale de la partie sensible exclut implicitement la partie pensante et intellectuelle. L’intelligence elle-même est impassible, et il n’y a d’altération que dans les images et la faculté où l’entendement les perçoit. C’est là ce que l’auteur entend par indirectement.
  938. C’est une question de savoir, la nouvelle question discutée dans ce chapitre ne manque ni d’intérêt, ni d’importance ; mais elle n’est pas suffisamment rattachée à toutes celles qui précèdent. — Avec tout autre mouvement quelconque, voir plus haut, Livre V, ch. 2, la réduction de tous les mouvements à trois : translation ou déplacement dans l’espace, altération et accroissement ou diminution. Dans ce qui va suivre, l’auteur comparera l’altération à la translation ; et dans la translation, il comparera aussi la translation circulaire à la translation en ligne droite. Voir la Préface.
  939. Une ligne circulaire sera égale à une droite, ce qui est impossible, en supposant que l’une et l’autre ligne partent du même point et aboutissent au même point ; car la définition de la ligne droite, c’est qu’elle est la plus courte ligne entre deux points ; la ligne courbe est donc plus longue et ne peut pas être égale. Le texte dit Circulaire ; mais c’est Courbe qu’il faudrait dire.
  940. Il en résulterait encore, le texte est moins précis. — Une altération, c’est-à-dire un mouvement ou un changement dans la catégorie de la qualité. — À une translation, c’est-à-dire à un mouvement dans l’espace. — Telle affection, ou telle qualité. — À telle longueur, ou à telle quantité. Mais il est impossible qu’une qualité soit égale à une longueur, et la séparation des catégories, ou en d’autres termes, des idées, s’y oppose. — Donc non plus, c’est la conclusion que l’auteur énonce ici, et qu’il va prouver dans le reste du chapitre.
  941. . Les vrais rapports, l’expression du texte est un peu plus vague. — Du cercle et de la droite, dont il a été question plus haut, § 2. En d’autres termes : « Ne peut-on pas comparer le mouvement circulaire au mouvement en ligne droite ? » L’auteur va soutenir contrairement à ce qui a été dit au § 2, que les deux mouvements sont comparables. — L’un soit plus rapide et l’autre plus lent, et que, par conséquent, les mouvements étant inégaux, ils ne soient plus comparables.
  942. Par conséquent, aussi être égale, les commentateurs font remarquer qu’il y a des choses qui peuvent être plus grandes ou plus petites sans pouvoir être jamais égales. Ainsi, un cercle et un carré peuvent être ou plus petits ou plus grands l’un que l’autre ; ils ne peuvent jamais être égaux, parce que le diamètre est incommensurable à la circonférence. — Soit, par exemple, l’exemple qui est cité ici tend à prouver que la ligne circulaire et la ligne droite peuvent être égales. — Dans le temps A, qui reste égal pour les deux corps. — Doit être alors plus grand que C, puisque l’on suppose que le premier corps est plus rapide que le second. — Ce que nous comprenions, voir plus haut, Livre VI, ch. 1, § 10, la définition du mouvement plus rapide. — Dans laquelle le corps B, qui est le plus rapide des deux. — Le corps C parcourra la ligne C, les corps sont désignés par les mêmes lettres que les lignes qu’ils parcourent.
  943. Si ces deux mouvements sont comparables, c’est-à-dire si le mouvement circulaire que décrit B est égal au mouvement en ligne droite que décrit C. — Qu’on vient de dire, un peu plus haut, §. 2. — Les mouvements ne le sont pas davantage, c’est ce que l’auteur veut prouver, bien qu’il présente aussi les arguments en sens contraire.
  944. . Le vin qu’on boit, on ne dit pas du vin dans notre langue qu’il est aigu ; on dit qu’il est aigre ou acide ; mais en grec le même mot s’applique très bien aux trois choses : le stylet, le vin et la note. Nous disons aussi d’une noir en musique qu’elle est aigre comme nous le disons du vin ; mais on ne le dit pas d’un stylet, lequel n’est qu’aigu. Pour la définition des Homonymes, voir les Catégories, ch. 1, § 1, p. 53 de ma traduction. — La tonique et la dominante, qui sont toutes les deux des notes. J’ai pris ces expressions musicales, quoiqu’elles ne s’accordent peut-être pas fort bien avec le système musical des Grecs. — Des deux parts, le texte dit : « Ici et là, » c’est-à-dire pour le mouvement circulaire, et le mouvement en ligne droite. — Cette expression l’est-elle moins. A cause de ce qui sait dans le § 8 et le § 9, on pourrait traduire aussi : « L’expression de Beaucoup est-elle moins pareille dans l’altération, etc. »
  945. Du moment qu’elles ne sont pas homonymes, et s’il ne faut pas par conséquent une autre condition encore, pour que les choses soient comparables entr’elles. — L’air et l’eau ne sont pas comparables, cette pensée aurait besoin d’être expliquée ; car l’air et l’eau peuvent être comparés à bien des égards, si, sous d’autres rapports, ils ne peuvent pas l’être. — Les termes, auxquels s’applique l’expression de Double.
  946. Le mot Beaucoup lui-même est homonyme, il aurait été nécessaire d’expliquer en quel sens on entend l’homonymie du mot Beaucoup. — Les définitions sont homonymes, voir les Topiques, Livre I, ch. 15, § 14. — Signifie Tant et quelque chose encore de plus, cette signification de Beaucoup peut être vraie ; mais d’ordinaire elle n’est pas aussi précise ; et ce serait plutôt l’expression de Davantage qu’il faudrait substituer à celle de Beaucoup. — Un peut à certains égards aussi passer pour homonyme, ceci aurait encore besoin d’explication.
  947. Une et la même, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le primitif qui les reçoit originairement, on verra, par les exemples suivants, que le primitif pour la couleur c’est la surface, de même que pour la grandeur c’est le corps. — De part et d’autre, dans le cheval et le chien. — La surface, parce que c’est à la surface d’abord que se rapporte la couleur, et ce n’est que médiatement qu’elle se rapporte à l’animal, soit cheval, soit chien. — Pour la grandeur, si on compare un cheval et un chien sous le rapport de la grandeur, le primitif sera le corps pour l’un et pour l’autre. — L’eau et la voix, citées dans les exemples précédents du § 7 et du § 8.
  948. Cependant, n’est-il pas évident, objection contre la théorie qui vient d’être exposée dans le § précédent. — Le doux, pourrait s’appliquer à la fois, par exemple, à la voix et à l’eau ; mais ce serait une erreur de croire que la douceur suit la même close, quand on l’applique à une voix harmonieuse, ou à une saveur agréable. On ne peut pas dire qu’il y ait identité, en ajoutant seulement que les récipients ne sont pas les mêmes.
  949. Ajoutez, ce § pourrait bien n’être qu’une interpolation, et une note de quelque commentateur, qui serait entrée dans le texte. La pensée d’ailleurs est tout à fait conforme à la doctrine aristotélique. — Pour chaque qualité, l’expression du texte est plus indéterminée ; mot à mot : « Un pour un. »
  950. Ne pas être homonymes, voir plus haut, § 7. — Ni pour l’espèce, le texte n’est pas aussi précis ; mais ce sens plus déterminé résulte de ce qui suit. — De différence ou de division, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — L’objet, il vaudrait peut-être mieux dire : « Les objets, » au pluriel. — Général, j’ai ajouté ce mot. — Si l’on ne spécifie pas telle couleur, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  951. Tout de même aussi pour le mouvement, il faut distinguer soigneusement les espèces. — Altérée et modifiée, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le mouvement a des espèces, il faut en distinguer au moins trois ; l’accroissement, l’altération et le déplacement. Voir plus haut, Livre V, ch. 2, § 2.
  952. La droite et la circonférence sont égales, voir plus haut, § 2. Cette conclusion est amenée ici trop brusquement, et on ne voit point assez ce qui la justifie. Elle sera expliquée en partie du moins par ce qui suit.
  953. La translation est un genre, et au § 18, il a été établi que les choses doivent être comparées sous le rapport de l’espèce et non du genre. — La direction selon laquelle elle se meut, c’est-à-dire que la translation est circulaire ou en ligne droite, tout de même que la ligne est circulaire ou droite. Les espèces sont les mêmes de part et d’autre.
  954. Si c’est par des pieds, au fond le déplacement est le même ; et il ne diffère que dans ses formes, comme il sera dit à la fin de ce même §. — Dans ses formes, et non essentiellement.
  955. . Par conséquent, on ne voit pas bien comment ceci est la conclusion de ce qui précède. — Celle qui ne diffère pas en espèce, par exemple, la translation circulaire et la ligne droite. L’édition de Berlin a ici une leçon un peu différente ; j’ai préféré la leçon ordinaire. « J’entends par le même qu’il n’y nit pas de différence d’espèce, non plus que de différence de mouvement. »
  956. Quelle est la différence du mouvement, de même que plus haut, § 13, il a été recommandé de regarder aux espèces particulières de la couleur.
  957. Le genre n’est pas une unité, ceci est une digression qui s’écarte du sujet. — Bien d’autres termes, c’est-à-dire bien des espèces.
  958. Parmi les homonymies, continuation de la digression, qui ne semble plus se rattacher au sujet assez directement. Ces observations d’ailleurs sont justes en même temps que délicates. — Soit par le genre, les commentateurs citent l’exemple d’un homme en vie, et d’un homme en peinture, qu’on appellerait tous deux Homme, par une simple homonymie. — Soit par l’analogie, comme on dit le pied d’un arbre, et le pied d’une montagne.
  959. . L’espèce est-elle différente… la même, il y a contradiction jusque dans les termes. — Le blanc et le doux, voir plus haut, § 10, l’exemple de la blancheur dans deux animaux différents. — La qualité paraît différente, voir la note du § 11. La douceur n’est pas la même, selon qu’on l’applique à la voix ou à une saveur. — En soi elle n’est pas du tout la même, c’est là la vraie solution.
  960. Pour en revenir à l’altération, l’expression du texte n’est pas aussi formelle. Je l’ai précisée davantage pour montrer que tout ceci est une digression. — Égale en vitesse, voir plus haut, § 3. — Tel malade guérisse vite, l’exemple peut paraître assez inattendu. — Modifié et altéré, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Le malade s’altère quand il guérit ; car alors, en effet, il devient autre qu’il n’était.
  961. Dans le cas dont nous nous occupons, c’est-à-dire dans la catégorie de la qualité.
  962. Que faut-il donc comparer, voir plus haut, § 3 et § 7. — La modification, ou l’altération. — Qui blanchit… qui guérit, le mouvement d’altération a bien toujours lieu dans la catégorie de la qualité ; mais les espèces sont différentes, et la blancheur se distingue de la guérison. — Ni pour l’égalité, il semble que l’égalité appartenant à la catégorie de la quantité, tandis que la ressemblance appartient à la qualité, ce ne sont pas là, comme le dit le texte, des espèces de l’altération, qui n’est que dans la catégorie de la qualité. — Qui cesse alors d’être mue, c’est-à-dire qui a plusieurs espèces. — Aussi bien que la translation, qui peut être circulaire ou en ligne droite.
  963. Reste donc à savoir, pour pouvoir établir convenablement la comparaison qu’on veut faire, et qui ne doit avoir lieu qu’entre les espèces.
  964. Différeront aussi en espèces… en genre… et en nombre, il et été bon de donner des exemples réels pour éclaircir toutes ces généralités.
  965. Si les altérations sont d’égale vitesse, voir plus haut, § 23, et aussi § 3. L’auteur revient ici à la question posée dans le § 25. — Si l’affection est identique, des exemples réels auraient rendu tout ceci beaucoup plus clair,
  966. Dans la génération et la destruction des choses, c’est une troisième espèce de mouvement après l’altération et la translation. — La génération peut-elle être de vitesse égale, voir plus haut la même question pour l’altération, § 23, et § 4 pour la translation ou déplacement dans l’espace. — Un être autre, ceci doit s’entendre, non point d’un être d’un genre différent, ni même d’une espèce différente, mais du même être qui devient autre, en supposant qu’il devienne plus parfait, et qu’alors il lui faille plus de temps pour arriver à cette perfection relative. Mais l’expression du texte est certainement très obscure à force de concision. — À l’un et à l’autre, c’est-à-dire aux deux êtres qu’on veut comparer, et qui sont identiques sous le rapport de la substance. — S’exprime par Plus, c’est-à-dire que, par exemple, on dit d’une chose qu’elle est plus douce ou plus blanche qu’une autre. — Est plus grande, quand on parle de quantité, il faut ajouter toujours que l’une des deux choses comparées est plus grande que l’autre, tandis que dans la catégorie de la qualité, il suffit de dire qu’une chose est plus telle chose que ne l’est l’autre chose. A la fin de ce long chapitre, il eût été bien nécessaire de résumer en quelques mots tout ce qui précède. Voir la Paraphrase.
  967. Le moteur meut toujours quelque chose, il y a quatre termes à considérer dans le mouvement : le moteur, le mobile, le temps et la distance parcourue. — En même temps qu’il a mu, c’est ce qui a été démontré plus haut, Livre VI, ch. 10, § 4. — Une certaine quantité, c’est le mobile. — Dans une certaine quantité, c’est l’espace que parcourt le mobile.
  968. C la quantité dont il a été mu, c’est-à-dire la distance parcourue sous l’action du moteur, qui reste le même. — Dans un temps égal, cette première régit est un des principes fondamentaux de la dynamique. Une force égale dans un temps égal fait parcourir un espace double à un poids moitié moindre. — Et il fera parcourir la distance C, c’est là une seconde règle, qu’il aurait fallu distinguer davantage de la première. Une force égale dans un temps moitié moindre fait parcourir une distance égale à un poids moitié moindre. — Car ce sera là la proportion, entre les moteurs et les mobiles, entre les distances et les temps.
  969. Il produira la moitié de ce mouvement, troisième règle : Une force égale meut un poids égal d’une distance moitié moindre dans un temps moindre. — La moitié de la force, quatrième règle : Une force moitié moindre meut un poids moitié moindre d’une distance égale dans un temps égal. Cette quatrième règle n’est pas dans le texte assez expressément distinguée de la troisième. — Ces deux forces, celle de la première règle, et celle de la quatrième.
  970. Il n’en résulte pas nécessairement, mais il peut y avoir des cas où cela est possible. Il aurait été bon de spécifier au moins un de ces cas.
  971. Si A meut le mobile B, c’est l’hypothèse générale posée dans le § 2. — Ne pourra pas mouvoir B dans le temps D, il semble qu’il faut ici ne prendre que la moitié de B ou que la moitié de D ; mais les manuscrits n’offrent pas de variante. — Comme A est à E, il semble qu’il faut renverser le rapport et dire : « Comme E est à A. » — Ce cas posé, c’est-à-dire que la moitié de la force ne pourra pas imprimer le moindre mouvement au mobile. — Il suffirait d’un homme tout seul, la comparaison est ingénieuse et frappante.
  972. Une partie quelconque du tas de grains, par exemple un seul et unique grain. On suppose qu’un tas de grains tombe de haut et fait en tombant un grand bruit. Zénon prétend que chaque grain pris à part doit faire sa part de bruit. On nie cette conséquence ; mais quand on dit que le grain tout seul ne fait pas de bruit, on veut dire un bruit perceptible à nos sens. — Sur la totalité, de l’air que le boisseau de grains déplace en tombant. — Dans le tout, c’est-à-dire que, en dehors de la totalité du boisseau de grains, un grain n’est rien par lui-même, et qu’il n’agit que par son rapport au tout,
  973. Que si l’on suppose deux forces, après avoir considéré les forces isolément, l’auteur les étudie dans leur combinaison. Deux forces égales réunies poussent un poids double à une même distance, et dans un même temps. — Car c’est là la proportion, voir plus haut, § 2.
  974. De l’altération et de l’accroissement, autre espèce de mouvement, que l’auteur étudie après la translation ou le mouvement dans l’espace. — Modifiés en plus et en moins, c’est-à-dire que la force qui altère est plus ou moins grande, et que l’altération produite est en proportion de la force altérante. — Il ne s’ensuit pas nécessairement, voir plus haut, § 4, une restriction analogue. — Dans le cas de la pesanteur, dans les exemples cités plus haut, il s’agissait de forces agissant sur des poids pour les mouvoir. C’est à quoi l’on fait allusion ici. Voir sur ce septième Livre tout entier la Dissertation préliminaire sur la composition de la Physique.
  975. Le mouvement a-t-il commencé, il s’agit ici du mouvement pris de la manière la plus générale, sans distinction d’espèce, et même sans distinction de lieu. C’est là ce qui a fait croire à quelques commentateurs qu’Aristote ne traitait dans ce chapitre que du mouvement du ciel. On peut remarquer comme le langage d’Aristote s’élève et s’éclaircit avec les sujets même dont il s’occupe. Dans tout ce huitième Livre, on retrouvera le style du douzième Livre de la Métaphysique. — Comme une vie, comparaison profonde et simple tout à la fois.
  976. Tous les philosophes qui ont étudié la nature, il faut bien remarquer cette restriction ; car tous les philosophes n’ont pas admis l’existence du mouvement ; et notamment l’École d’Élée. — La génération et la destruction des choses, qui sont elles-mêmes aussi des espèces de mouvements ou changements.
  977. Que les mondes sont infinis, il eût été curieux de savoir quels philosophes Aristote veut désigner ici. Il est probable que c’est Démocrite avec Leucippe et son école. — Qui n’admettent qu’un seul monde, c’est Anaxagore, qui n’admet pas l’éternité du monde, du moins dans sa forme actuelle, puisqu’il suppose qu’à un certain moment l’Intelligence divine y a introduit de l’ordre.
  978. Il n’y a que deux manières, Aristote exclut ici la théorie de l’éternité absolue du mouvement ; il considère le cas où l’on admet que le mouvement a commencé à un certain moment, et il divise cette hypothèse en deux, selon que le mouvement est continu ou alternatif. — Comme Anaxagore, voir le livre I de la Métaphysique, ch. 4, p. 985, a, 18, de l’édition de Berlin. — Comme Empédocle, id. ibid. ch. 4, p. 985, a, 5. — Qui séparent l’action de l’Amour et de la Discorde, j’ai ajouté ce complément, qui ressort du contexte et qui m’a paru indispensable. — D’une forme à l’autre, ou bien : « De ce monde-ci à l’autre, » c’est-à-dire du monde où tout est divisé au Sphérus où tout est réuni.
  979. La science du principe premier des choses, c’est la Métaphysique, voir le douzième Livre de la Métaphysique.
  980. Antérieurement dans notre Physique ; la même expression se retrouve plus loin à la fin de ce traité. Ceci semblerait indiquer que le huitième Livre ne fait pas partie de la Physique proprement dite ; mais on peut comprendre aussi ce passage en un sens un peu différent. « Que nous avons posées antérieurement dans nos discussions sur les choses de la nature. » J’ai préféré le premier sens qui est celui de tous les commentateurs. — Le mouvement est l’entéléchie, voir plus haut, Livre III, ch. 4, § 7. — Être capable d’être mu, il semble qu’il faudrait dire d’une manière absolue que cet objet doit être, avant de pouvoir être mu — Il faut que le combustible existe, ceci confirme la remarque précédente.
  981. Les choses naissent… ou qu’elles soient éternelles, dans l’une ou l’autre hypothèse le mouvement est éternel.
  982. Et les moteurs, l’édition de Berlin n’a pas ces mots. — Sont nés à un certain moment, c’est la première hypothèse posée au § précédent. La seconde sera examinée au § 9. — Il faudrait de toute nécessité, cette proposition sera démontrée un peu plus bas ; ici Aristote se borne à indiquer cette conclusion absurde.
  983. Mais si l’on suppose, seconde hypothèse de l’éternité du moteur et du mobile existant sans que l’un meuve, et que l’autre soit mu. — Les moteurs et les mobiles, le texte n’est pas aussi précis, et l’expression dont il se sert est tout à fait indéterminée. — Les étranges conséquences, en effet, il est difficile de comprendre comment à un montent donné le mouvement a pu commencer, après un repos qui attrait duré jusque-là.
  984. Recevoir le mouvement, ce sont les mobiles. — De le communiquer, ce sont les moteurs. — Un changement antérieur, au mouvement qu’on donne cependant pour le mouvement primitif. Changement est synonyme ici de Mouvement. — Avant le premier changement, tel qu’on le suppose. La cause du repos est donc antérieure à la cause du mouvement dans cette hypothèse.
  985. Certaines choses, en effet, tout ce § paraît une sorte de parenthèse et de note ajoutée après coup. Il interrompt le cours de la pensée, qui serait beaucoup mieux liée si elle passait tout à coup du § 10 au § 12. — Et ne refroidit pas, ceci est un peu contredit par ce qui suit ; car on peut dire du feu, comme du froid, qu’en se retirant il produit un effet contraire à celui que produit sa présence. — La science des contraires, en supposant que la science soit un mouvement. — Une seule et même science, c’est-à-dire que quand on connaît un des contraires, on connaît aussi du même coup l’autre contraire.
  986. Susceptibles d’agir, ce sont les moteurs. — Susceptibles d’être mues, c’est-à-dire les mobiles. — Elles soient proches les unes des autres, la proximité ne se confond pas avec le contact.
  987. Le mouvement n’a pas toujours eu lieu, c’est la même hypothèse qu’au § 10. — Pour tous les relatifs, le moteur et le mobile sont des relatifs, puisque l’un implique nécessairement l’autre ; car si le moteur existait sans mobile, il ne serait moteur qu’en puissance, et il n’agirait pas réellement. — Il y aura donc ainsi un changement, voir plus haut, § 10. — Qu’on croyait, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  988. Antérieur et postérieur, ou bien : « Antériorité et postériorité. » — S’il n’y a pas de temps, ce n’est pas là l’hypothèse qu’on a faite ; mais le temps et le mouvement se confondent ; et nier le mouvement c’est nier aussi le temps. Voir plus haut la théorie du temps, Livre IV, ch. 14 et suiv.
  989. Le nombre du mouvement, voir plus haut, Livre IV, ch. 15, § 6, et ch. 16, § 7. — L’univers, le texte dit : « Toutes les choses. » Cette opinion de Démocrite est celle du matérialisme, qui repousse toute idée de création. — Il n’y a que Platon, voir le Timée, p. 130, 134 de la traduction de M. V. Cousin. Cette exception est en effet très remarquable. — Le ciel a pris naissance, ces théories de Platon se trouvent d’accord avec celles du Christianisme et celles de la Bible. — Impossibles sans l’instant, voir la théorie de l’instant, Livre IV, ch. 47. — Un commencement et une fin, voir ibid., ch. 17, § 5. — De saisir autre chose qu’un instant, attendu que le passé n’est plus et que l’avenir n’est pas encore. — Des deux côtés de l’instant, c’est-à-dire avant et après,
  990. Le mouvement est indestructible, en d’autres termes, il ne peut cesser pas plus qu’il n’a pu commencer.
  991. Un changement postérieur, changement et mouvement se confondent ici comme plus haut. — Cessera d’être mu et d’être mobile, c’est-à-dire qu’une chose qui peut être mue existe encore, avec cette capacité, après même qu’elle est devenue immobile, de même que le moteur existe encore avec la faculté de mouvoir, même après qu’il a cessé de mouvoir. L’argument n’est pas complet ; car il resterait à démontrer que tout ce qui est en puissance passe nécessairement à l’acte.
  992. Le destructible devra avoir été détruit, le raisonnement est ici présenté d’une manière trop concise, et il reste obscur même en y suppléant, avec toutes les modifications nécessaires, par le raisonnement antérieur. — Ce qui le détruit, la cause destructrice subsistant, elle causera de nouvelles destructions.
  993. Si tout cela est impossible, il serait plus exact de dire : « Si toutes les impossibilités qu’entraîne la négation de l’éternité du mouvement, sont bien réelles. »
  994. Empédocle semble le prétendre, voir plus haut, § 4. — Dans l’intervalle de leurs luttes, l’expression du texte n’est pas tout à fait aussi précise.
  995. Ne reconnaissent qu’un seul principe, il semble qu’il vaudrait mieux dire ici, puisqu’il s’agit d’Anaxagore : « Ceux qui font remonter le mouvement à un principe, » et supposent qu’il a commencé à un certain moment donné. Voir plus haut, § 4.
  996. Il n’y a jamais de désordre, grand principe, qu’Aristote a toujours soutenu. — Un rapport et une raison, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Après un repos, selon Anaxagore l’Intelligence serait restée un temps infini dans le repos, sans donner le mouvement aux choses et sans les ordonner. — Antérieurement, j’ai ajouté ce mot. — Ce n’est plus là une œuvre de la nature, cette critique contre Anaxagore semble contredire les éloges qui lui sont donnés dans le premier livre de la Métaphysique, ch. 3, p. 984 de l’édition de Berlin. — Ce qui n’est pas absolu, c’est-à-dire ce qui n’est pas toujours de la même façon. — Une cause rationnelle, le texte dit simplement : « Une raison. »
  997. Comme l’a fait Empédocle, il doit paraître assez étonnant qu’Empédocle soit mis ici au-dessus d’Anaxagore. — Cette succession alternative, l’expression du texte est beaucoup plus générale et plus vague.
  998. . Affirmer simplement, cette critique s’adresse sans doute à Empédocle aussi bien qu’à Anaxagore. — À l’induction, c’est-à-dire à l’observation des phénomènes. — La démonstration, en remontant à des principes évidents.
  999. Ne sont pas des causes, ne sont pas les causes qui puissent sérieusement expliquer les phénomènes. — À quelles choses cette succession s’applique, ou bien : « Par quelles causes il en est ainsi. » — Égaux et réguliers, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Cette objection, du reste, est très forte contre le système d’Empédocle.
  1000. Un principe et une cause, le texte n’a qu’un seul mot — Démocrite réduit toutes les causes, c’est là le fond de la métaphysique du matérialisme, qui, de fait, nie les causes ou prétend qu’elles sont inaccessibles à l’intelligence humaine. — Il ne croit pas devoir la rechercher, ce sont des théories qui ont été mille fois répétées depuis Démocrite, et qui, de nos jours, ont encore une certaine vogue. — Une autre cause, qui est le principe même de la démonstration. Ainsi, il ne suffit pas d’affirmer la propriété éternelle du triangle, on peut encore démontrer cette propriété en remontant à des principes supérieurs. — N’ont absolument aucune autre cause, ce sont les vrais principes, qui sont indémontrables, et qui servent à démontrer tout le reste. Voir la théorie de la démonstration, Derniers Analytiques.
  1001. Mais que ceci suffise, résumé de tout ce chapitre, où il a été question cependant plutôt du mouvement que du temps.
  1002. Voici les principaux arguments, Aristote les réduit à trois, et il les réfute après les avoir exposés. — Le mouvement s’est produit à un certain moment, et que, par conséquent, il n’est point éternel.
  1003. . Il n’y a point de changement, le mouvement et le changement sont confondus ici, bien que parfois Aristote les distingue. — A pour limite les contraires, l’un d’où il part, et l’autre où il arrive. — Qui puisse aller à l’infini, dans le temps pas plus que dans l’espace.
  1004. On peut se convaincre, par l’observation, le texte dit simplement : « nous voyons. » — Les êtres inanimés, par exemple, une pierre qu’on lance, et qui n’a de mouvement que celui qu’on lui communique.
  1005. Bien plus sensible encore dans les êtres animés, troisième argument plus fort que les deux précédents, quoiqu’Aristote ne doive pas l’accepter davantage. Les êtres animés se donnent à volonté le mouvement et le repos ; pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’univers, dont l’homme est en quelque sorte l’abrégé ? — Le petit monde, c’est-à-dire l’homme. — L’infini, voir la définition de l’infini, plus haut, Livre III, ch, 9, § 1.
  1006. Le premier dont nous avons parlé, plus haut, § 2. — Qui va aux opposés, ou plutôt qui se passe entre les opposés, allant de l’un à l’autre. — Un et toujours le même, il faut supposer que le mouvement se produit en ligne droite. — Un son différent, il est clair que c’est un son différent, puisqu’il recommence, quoique d’ailleurs ce puisse être un son tout à fuit semblable pour le diapason et l’intensité. Il en est de même pour le mouvement entre deux contraires. Le mouvement est toujours différent, bien qu’il soit toujours le même ; il y a nécessairement un intervalle de repos, quand le mouvement est obligé de retourner en arrière. — En étant continu et éternel, c’est le mouvement circulaire. — Par ce qui va suivre, voir plus loin, le chapitre 12.
  1007. Il n’y a rien d’absurde, ceci répond au second argument. Comme les corps inanimés n’ont pas de mouvement, et qu’ils sont mus par une cause extérieure, c’est pour cette cause extérieure qu’il faut rechercher d’où lui est venu le mouvement ; et comment il se fait que tantôt elle agisse et tantôt n’agisse pas.
  1008. Quant au troisième argument, voir plus haut, § 4. — Mais c’est là une erreur, ceci ne va pas à moins qu’à nier la liberté dans l’homme. On peut la refuser aux animaux ; mais non la nier à nous-mêmes, c’est contredire le témoignage le plus manifeste de la conscience. — Agissent à leur tour sur la pensée, c’est vrai dans bien des cas ; mais ce n’est pas vrai dans tous. — Dans les phénomènes du sommeil, le fait, pris ici pour exemple, est exact ; mais il ne prouve pas que les choses se passent toujours exclusivement ainsi. — Éclaircira tout ceci, on verra que la suite de ce traité n’éclaircit pas ce point délicat. La théorie toute mécanique qui est développée ici, ne s’accorde pas avec les théories d’Aristote sur la volonté dans la Morale ; voir la Morale à Nicomaque, Livre III, ch. I, § 6, tome II, p. 3 de ma traduction.
  1009. Que nous venons d’indiquer, voir plus haut, ch. 2, § 6, et aussi § 3. Pour toute la discussion qui va suivre, voir Platon, Lois, Livre X, p. 233.
  1010. Nécessairement, d’abord Aristote pose les trois seules hypothèses possibles, et ensuite il subdivise la dernière hypothèse en trois autres. — Et dans ce dernier cas, c’est-à-dire celui où certaines choses sont en mouvement, tandis que d’autres sont en repos. — La troisième et dernière supposition, c’est celle à laquelle Aristote s’arrêtera définitivement. — C’est là ce qu’il nous faut étudier, la troisième et dernière supposition. — Le complément définitif de tout ce traité, ce passage servirait à prouver que les huit livres de la Physique forment un ensemble et un tout qu’on ne peut diviser. Voir la Dissertation préliminaire.
  1011. . Prétendre que tout est en repos, et nier par conséquent le mouvement ; voir plus haut, Livre I, ch. 2, § 6. — Sans tenir compte de l’observation, nos sens nous attestent le mouvement, et ce doit être pour nous un principe indiscutable.
  1012. Nier et mettre en doute, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — L’ensemble des choses physiques, ou peut-être de la Physique ; voir plus haut, Livre III, ch. 1, § 1.
  1013. Puisque toutes font usage, cette assertion est peut-être un peu trop générale ; mais il faut se rappeler que dans les théories d’Aristote, le mouvement s’applique non seulement au déplacement dans l’espace, mais encore à l’altération et à la production des choses.
  1014. Les objections contre les principes, voir une théorie analogue dans les Derniers analytiques, Livre 1, ch. 7, p. 47 de ma traduction. — Le problème que nous agitons ici, le problème de savoir s’il y a ou non du mouvement. Voir plus haut, Livre I, ch. 2, § 3, une déclaration toute semblable.
  1015. Affirmer que tout est en mouvement, c’est le système d’Héraclite. Voir plus haut, Livre 1, ch. 2, § 4, et ch. 3, § 10. — Nous avons établi, voir plus haut, Livre 1, ch. 2, § 6.
  1016. Quelques philosophes soutiennent aussi, ce § ne semble guère qu’une répétition du précédent, et c’est seulement par la conclusion qu’il en diffère. — Échappe et se dérobe à nos sens, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Ces philosophes partaient encore de l’observation sensible, qui atteste le mouvement, pour le supposer dans les choses même où on ne le voit pas.
  1017. De quel mouvement spécial, soit déplacement, soit altération, soit génération, soit accroissement. C’est par cette dernière espèce qu’Aristote va commencer.
  1018. Soient continuels et perpétuels, il n’y a qu’un seul mot dans le teste. — Un moyen terme, où il y a un temps d’arrêt et un repos. — La goutte finit par percer la pierre, ce n’est pas un mouvement continu, et chaque goutte n’enlève pas une parcelle de la pierre. Cette opinion est très contestable, et on pourrait, au contraire, soutenir que dans ces deux cas le mouvement est continu, sauf les intervalles des gouttes entre elles. — Connu les matelots qui font le halage d’un navire, la comparaison n’est peut-être pas très juste, puisque les matelots agissent tous ensemble et que les gouttes ne peuvent agir que successivement. — Aucune de ses parties séparément, c’est résoudre la question par la question, et il est possible de concevoir que chaque goutte ait agi séparément dans une proportion excessivement petite. — Elles l’y ont été toutes ensemble, ceci est contraire à l’observation. — Le tout se détache, même remarque, à moins qu’on n’entende par le tout chaque morceau de la pierre, qui se détache après la chute de plusieurs gouttes.
  1019. L’altération n’est pas divisible à l’infini, on ne peut pas dire cependant qu’elle soit instantanée, et on peut observer les degrés successifs par lesquels passe une chose, par exemple, pour devenir noire de blanche qu’elle était. — Souvent, mais pas toujours. — La congélation de l’eau, cette observation n’est peut-être pas elle-même tout à fait exacte. J’ai ajouté « De l’eau, » qui ne se trouve pas dans le texte.
  1020. Qu’il guérira, la nuance de la pensée est ici très délicate ; et Aristote veut dire qu’avant la guérison complète, il y a dans toute maladie un moment où l’on peut prévoir qu’elle aura lieu, en supposant toutefois qu’elle doive avoir lieu. Ce fait est vrai ; mais il semble qu’il prouve contre la thèse d’Aristote peut-être autant que pour elle ; car la guérison semblerait alors une sorte de continuité. Mais cette continuité cesse, il est vrai, et elle n’est pas perpétuelle. — Tout d’un coup, j’ai ajouté ces mots.
  1021. Se fait toujours d’un contraire à l’autre, et se termine par conséquent à l’un des deux contraires, sans pouvoir être perpétuelle.
  1022. La pierre ne devient, ni plus dure, la pensée est obscure, parce que l’expression est trop concise. Aristote veut dire sans doute qu’une des preuves du repos, c’est la stabilité de certaines choses, des pierres, par exemple, qui demeurent toujours aussi dures ou aussi molles qu’elles sont. Donc tout n’est pas en mouvement. Cette objection n’est peut-être pas très bien choisie ; car la pierre elle-même s’altère dans bien des cas.
  1023. Il serait fort étonnant, et l’on se mettrait en contradiction avec le témoignage des sens, qui attestent et le mouvement de la pierre et son repos après le mouvement qui l’a précipitée à la surface du sol.
  1024. La terre, et d’une manière générale les corps graves, qui sont tous compris sous celle dénomination. — Ne soient pas en mouvement, et, par conséquent, il y a du repos, malgré le système contraire d’Héraclite, qui soutient que tout est dans un perpétuel mouvement.
  1025. Également impossible, voir plus haut les deux premières hypothèses exposées dans le § 2. — Que tout soit en repos, c’est le système de l’École d’Élée, opposé au système d’Héraclite.
  1026. . Il ne se peut pas non plus, c’est la première partie de la troisième hypothèse ; voir plus haut, § 2.
  1027. Que nous signalions un peu plus haut, §§ 13, 14 et 15. Il faut s’en fier au témoignage des sens et ne rien admettre qui le contredise. — Successifs, j’ai ajouté ce mot pour rendre la pensée plus claire.
  1028. Combattre l’évidence, que les sens nous attestent. — L’accroissement des choses, voir plus haut, § 10, où il a été démontré que l’accroissement n’est pas continu, et qu’il suppose toujours des intervalles de mouvement et de repos. — Précédemment en repos, le mouvement n’est donc pas perpétuel. — Cette théorie, qui veut que le mouvement soit perpétuel et qu’il n’y ait jamais de repos. — Soit dans l’objet même, soit dans le lieu, le texte est fort concis, et j’ai dit le paraphraser plutôt que le traduire.
  1029. Donc évidemment, et d’après le témoignage de nos sens, que nous ne pouvons récuser.
  1030. Quant à cette opinion, la seconde partie de la troisième hypothèse ; voir plus haut, § 2. — Qui viennent d’être rappelés, c’est-à-dire des arguments tirés du témoignage des sens.
  1031. Antérieurement adopté, voir plus haut, § 2. Il semble qu’Aristote doit exactement répéter ici ce qui a été dit au § 2 ; mais les manuscrits ne sont pas d’accord, et la reproduction des idées n’est pas aussi fidèle qu’elle devrait l’être, Il eût été plus simple de se répéter mot pour mot.
  1032. Plus haut, § 17 et § 3. — Mais reprenons encore, ce qui va suivre, en effet, n’est guère qu’une répétition de ce qui précède. — Ainsi qu’on le prétend parfois, ceci fait allusion à Mélissus et à Parménide ; voir Livre I, ch. 2, § 1. — Nos sens n’en peuvent rien apercevoir, voir plus haut, § 8. — Du moment qu’existe l’imagination, voir le Traité de l’âme, Livre III, ch. 3, § 4, p. 78 de ma traduction. — Réels, j’ai ajouté ce mot pour compléter la pensée et la rendre plus claire.
  1033. . Avoir mieux que des raisonnements, c’est-à-dire le témoignage irrécusable des sens ; voir plus haut, §§ 3 et 43.
  1034. Il n’est pas moins impossible, voir plus haut, § 2. — Une seule réponse péremptoire, j’ai ajouté ce dernier mot.
  1035. Reste donc à examiner, c’est la dernière partie de la troisième hypothèse ; voir plus haut, § 2. — Qui peuvent être ainsi, c’est-à-dire qui sont tantôt en mouvement et tantôt en repos. Ainsi, Aristote fait trois classes des choses : les unes sont dans un éternel mouvement ; les autres sont dans un éternel repos ; d’autres choses enfin sont alternativement soit en mouvement soit en repos.
  1036. D’une façon accidentelle, ou indirecte. — Qui meuvent ou sont mus, j’ai répété ces mots, que n’a pas le texte, pour que la pensée fût plus claire. — Parce qu’ils sont dans les moteurs, ainsi un matelot qui est dans le navire n’a qu’un mouvement accidentel, quand il n’a que celui du navire qui le porte. — Ils n’ont le mouvement que dans une partie, comme on dirait d’un chien qu’il se meut, par cela seul qu’il remue sa queue. C’est là un mouvement accidentel, parce que ce n’est pas l’être entier, mais seulement une de ses parties qui est mue. — En soi et essentiellement, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  1037. Les moteurs et les mobiles en soi, il faut entendre ceux qui se meuvent tout entiers ; cette nuance est indispensable pour qu’il n’y ait point ici quelque contradiction ; car il est clair que quand un être se meut lui-même, c’est qu’il n’est pas mu par un autre.
  1038. . Ce qui se meut soi-même, il faut sous-entendre : Tout entier, et non dans une de ses parties, ce qui ne serait plus qu’un mouvement indirect et accidentel. Cette distinction sera faite d’ailleurs expressément un peu plus bas. — L’animal se meut lui-même tout entier, c’est-à-dire selon les deux parties qui le composent : l’âme et le corps. — Et contre nature, lorsque par quelque accident le corps reçoit un mouvement que la volonté ne lui donnerait pas. — Comme il y en a, le texte est un peu moins précis.
  1039. Autrement que par eux-mêmes, ce sont toutes les choses inanimées. — Des corps terrestres, ou terreux, c’est-à-dire des corps pesants comme la terre,
  1040. Les parties des animaux, au lieu de l’animal tout entier. — Contre leurs positions régulières, les commentateurs citent l’exemple des saltimbanques, qui marchent la tête en bas sur leurs mains. — Contre leurs modes ordinaires de mouvement, la main, par exemple, est faite pour se fermer, les doigts se rapprochant et se pliant en dedans. C’est un mouvement contre nature, quand on force les doigts à fléchir en arrière.
  1041. Est imprimé du dehors au mobile, c’est, par exemple, une pierre lancée par quelqu’un ; on voit alors aussi clairement que possible que le mobile reçoit le mouvement d’une cause qui lui est étrangère.
  1042. . Les plus manifestes, c’est-à-dire ceux où se montre le plus clairement qu’ils sont mis en mouvement par une cause autre qu’eux-mêmes. — Comme les animaux, il faut se rappeler qu’on a distingué deux éléments dans l’animal, l’âme et le corps ; voir plus haut, § 3. — Un autre qu’eux-mêmes, ceci peut être discutable, à moins qu’on ne comprenne que l’âme, qu’on ne voit pas, meut le corps, qui est le seul qu’on voie et qui frappe nos sens. — Sur ce qui meut, et ce qui est mu, l’âme étant dans le corps le principe et la cause du mouvement, et le corps étant le mobile. Voir dans le Traité de l’âme, Livre II, ch. 4, § 6, p. 490 de ma traduction, toute la théorie de la locomotion. — Ce qui se passe pour les bateaux, c’est le marinier qui les fait mouroir ; il est dans le bateau, qui sans lui n’aurait pas de mouvement. L’âme est supposée dans le corps comme le matelot dans le navire. — De tout ce qui se meut soi-même, où la partie apparente et sensible est toujours mise en mouvement par une autre.
  1043. Mais il y a le plus grand doute, c’est-à-dire qu’on ne sait pas si les corps légers et graves sont mus par une autre cause qu’eux-mêmes. — Pour le reste de la division, voir plus haut, § 4. — Que nous venons d’établir, id., ibid. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Nous avons dit, voir plus haut, § 4. — Ces derniers, c’est-à-dire les corps graves qui iraient en bas, et les corps légers qui iraient en haut. Le mouvement est alors parfaitement naturel ; à quelle cause faut-il le rapporter ? c’est là la question qui remplira le reste du chapitre. — En ce cas, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — Un mouvement qui ne leur est pas naturel, car alors on voit nettement la cause qui leur communique mouvement contre nature.
  1044. Se meuvent alors eux-mêmes, c’est-à-dire, quand ils n’ont que leur mouvement propre et naturel. — Toute vitale, ou plutôt : « animale. »
  1045. S’il en était ainsi, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Tout aussi bien s’arrêter, et se tenir en repos. — S’il ne dépendait que du feu, l’argument est très fort pour prouver que le feu n’a pas en lui-même une libre cause de mouvement.
  1046. Un seul et unique mouvement, cet argument n’est pas moins bon que celui qui précède.
  1047. Le continu et l’homogène, comme le sont les éléments, la terre, l’eau, l’air, le feu, que les anciens supposaient absolument homogènes, chacun dans leur genre. On ne connaissait point alors les corps simples dont ces prétendus éléments, ou trois au moins, sont composés. — Qu’il se meuve, j’ai ajouté ces mots pour que la pensée fût plus claire. — Il est impassible, c’est-à-dire que le corps étant supposé continu, il ne peut point se toucher lui-même. — Mais c’est seulement en tant que séparés, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Puisqu’ils sont homogènes, on peut le dire peut-être du feu ; mais c’est inexact pour les trois autres éléments. On pouvait, il est vrai, s’y méprendre longtemps pour l’eau et pour l’air ; mais il est singulier qu’on n’ait pas tout d’abord distingué plusieurs éléments dans le prétendu élément de la terre.
  1048. Ces choses, c’est-à-dire les éléments naturels, dont il vient d’être question un peu plus haut. — En divisant les causes, cette expression est obscure, et Aristote veut dire sans doute qu’on peut se convaincre de cette théorie en examinant chacune des causes du mouvement dans chaque cas particulier. — Pour les moteurs, après avoir étudié les mobiles. — Qui, naturellement, n’a pas la faculté, et qui a besoin pour agir d’être mis lui-même en mouvement par quelque force étrangère. — Ce qui est chaud en acte, le feu, par exemple, qui est actuellement chaud et qui échauffe les corps qui sont susceptibles d’être échauffés, et ne sont chauds qu’en puissance. — En acte et en fait, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — De mettre en mouvement, c’est-à-dire d’échauffer. — Ce qui n’est chaud qu’en puissance, l’eau, par exemple, qui a la faculté de s’échauffer quand le feu est en contact avec elle. — A en lui-même un tel principe de mouvement, au sens où en l’a dit plus haut, § 4. — L’une n’est qu’accidentellement à l’autre, cette pensée est exprimée d’une manière trop concise, et elle reste obscure.
  1049. Tout en n’étant qu’en puissance, la terre n’est grave en acte que quand elle tombe et descend par son mouvement naturel ; elle est grave seulement en puissance tant qu’elle ne tombe pas. Il est plus difficile de comprendre cette même distinction pour le feu. — À leurs actes spéciaux, l’acte spécial de la terre, c’est de descendre ; l’acte spécial du feu, c’est de monter.
  1050. C’est là ce qui empêche, Aristote sent lui-même le besoin d’expliquer ce qu’il vient de dire. — De voir clairement la cause, voir plus loin, § 19.
  1051. On est en puissance, il faudrait dire plutôt « on est savant en puissance. » — Selon qu’on apprend, quand on ne sait pas encore. — On n’en fait point usage, le texte dit précisément : « On ne contemple point. » J’ai préféré l’autre expression, qui est plus claire dans notre langue.
  1052. Ce qui peut agir et ce qui peut souffrir, l’expression aurait pu être plus claire. — Où l’on est tout autrement en puissance, dans le premier cas on ne savait rien, mais on était savant en puissance, c’est-à-dire qu’on était susceptible d’apprendre ; dans le second cas, on sait ; mais comme on n’applique pas la science qu’on possède, ou qu’on n’y pense pas, on n’est encore savant qu’en puissance. Or, celle seconde situation est toute différente de la première, — Ou autrement, on devra dire, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. Si l’on ne fait pas usage de la science, quand rien ne s’y oppose, c’est qu’on ne la possède pas ainsi qu’on le croyait. — Le froid par exemple est chaud en puissance, ceci peut paraître assez subtil, quoique ce ne soit pas faux, attendu que les choses froides peuvent en effet s’échauffer, si les conditions viennent à changer.
  1053. L’air vient de l’eau, quand l’eau se vaporise par la chaleur ou par toute autre cause. — A la quantité et à la qualité, voir plus haut § 13, et plus bas § 20.
  1054. Les corps légers ou les corps graves, voir plus haut § 8 ; c’est là la seule question à discuter. — C’est par une loi de la nature, il semble que cette réponse, qui est en effet la seule, s’est fait bien longtemps attendre. — Exclusivement, j’ai ajouté ce mot qui est implicitement dans le texte.
  1055. Ainsi qu’on vient de le dire, voir plus haut § 15. — Légère en puissance, c’est-à-dire que dans certaines circonstances elle peut devenir légère, en changeant de nature. — La qualité change, par exemple, la qualité de la science ; voir plus haut § 17. — S’étend et se dilate, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Un exemple aurait été nécessaire ici pour bien éclaircir la pensée.
  1056. Mettre en mouvement l’obstacle, il eût été plus exact de dire : « Éloigner l’obstacle. » — Ce n’est pas précisément mouvoir, c’est seulement rendre le mouvement possible. — Qui soutient quelque chose, et qu’alors cette chose tombe emportée par son poids naturel. — Qui est sur une outre dans l’eau, et qui empêche l’outre gonflée d’air de remonter à la surface. — C’est encore mouvoir indirectement, ou « accidentellement. » — Non par le mur, sur lequel elle est frappée.
  1057. Non pour mouvoir, il semble que ce soit détourner un peu le sens vrai des mots, et que ce soit faire une équivoque.
  1058. Ainsi, on le voit, résumé de tout ce chapitre, où Aristote s’est proposé de démontrer que tout ce qui est en mouvement est mu par quelque cause soit interne soit étrangère. — Par quelque cause, qui est une cause intérieure pour les animaux. — Comme les corps légers et pesants, il semble au contraire qu’ils aient le mouvement par eux-mêmes, puis qu’ils l’ont par une loi de la nature. — Donc, il semble que tout ce qui est mu, conclusion générale, d’où Aristote tirera plus tard toutes les conséquences en ce qui regarde le premier moteur.
  1059. La proposition qu’on vient d’énoncer, à la fin du chapitre précédent. — Est le premier après l’extrême, ceci est expliqué par les exemples qui suivent, et qui sont très clairs. L’homme est le moteur initial, et le bâton qui remue la pierre est le moteur extrême.
  1060. Au premier moteur, c’est-à-dire l’homme. — Qui meut le dernier, c’est-à-dire le bâton. — Celui-ci, le dernier moteur ou le bâton. — Sans celui-là, le premier moteur ou l’homme.
  1061. Un premier moteur qui ne soit pas mu, c’est là la proposition qui sera démontrée dans ce chapitre. — Il n’est pas besoin d’en rechercher un autre, puisqu’on a précisément ce qu’on cherche. — Il n’y a point de premier, et l’on a démontré ici qu’il y a un premier moteur.
  1062. Ne peut pas être mu par un autre, car alors il ne serait plus le moteur initial. — Que ce moteur se meuve lui-même, au chapitre suivant, il sera expliqué comment le moteur premier se meut lui-même.
  1063. Voici encore une autre démonstration, cette démonstration donnée ici pour différente ressemble beaucoup à celle qui précède, et ce n’en est guère qu’une répétition. — Et par quelque chose, cette seconde condition n’est pas nécessaire ; car le moteur peut mouvoir directement et sans intermédiaire. On ne peut pas dire alors qu’il meuve par quelque chose, à moins que l’on n’entende aussi sous cette formule générale qu’il meut par lui-même.
  1064. Il n’y a plus besoin, c’est en quelque sorte la répétition du § 3 ci-dessus. — On irait à l’infinii, autre répétition.
  1065. C’est alors la main, considérée comme premier moteur. — Qui meuve par lui-même, voir plus haut, § 4.
  1066. . Le moteur est mu, l’expression du texte est plus vague. — Est mu par le moteur, soit directement soit indirectement, par un ou plusieurs intermédiaires.
  1067. À cette même conclusion, à savoir que le premier moteur doit se mouvoir lui-même. — Un point de vue nouveau, la différence de ce point de vue nouveau est très légère ; et on ne s’aperçoit pas qu’il ajoute beaucoup à la démonstration précédente. — C’est un accident… c’est en soi, il sera démontré que ces deux alternatives sont impossibles, § 10 et § 14. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que tout moteur soit mu par une cause étrangère.
  1068. Il n’y a pas nécessité, puisque l’accident ne peut jamais être nécessaire. — Aucun être au monde n’ait de mouvement, ce qui est formellement contraire au témoignage irrécusable des sens ; voir plus haut, ch. 1. — Et il peut ne pas être, voir la définition de l’accident, Métaphysique, Livre V, ch. 9, p. 1017 de l’édition de Berlin.
  1069. Que le possible a lieu, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de mouvement, puisqu’on admet qu’il est possible qu’il n’y en ait pas. — Il n’y a rien là d’absurde, puisque c’est la conséquence de l’hypothèse admise. — Ainsi qu’on l’a démontré antérieurement, voir plus haut, ch. 1.
  1070. Ceci d’ailleurs, quelques commentateurs ont trouvé non sans raison que ce § interrompait la suite de la pensée, et qu’il anticipait sur les théories du chapitre suivant. — Et ce par quoi il cause le mouvement, et qui peut être un principe intérieur, ou un intermédiaire extérieur. — Le mobile doit nécessairement être mu, car autrement il ne serait pas le mobile. — Change en même temps que le mobile, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Jusqu’à un certain point, ainsi de plusieurs corps qui se meuvent en se poussant mutuellement, le dernier est mu sans mouvoir à son tour, parce qu’il ne touche plus un autre corps. — Il transmette le mouvement, il serait plus exact de dire : « par lequel le mouvement soit transmis. » — Le terme extrême, par exemple, la pierre mise en mouvement par le bâton que dirige la main. — Un troisième terme, le moteur initial.
  1071. Anaxagore a-t-il bien raison, bel éloge d’Anaxagore. Voir la Métaphysique, Livre I, ch, 3, p. 984 de l’édition de Berlin.
  1072. Non pas par accident, voir plus haut, § 9. C’est la seconde alternative. — Une autre espèce de mouvement, plus haut, Livre V, ch. 3, § 1. Aristote a distingué trois espèces de mouvement dans trois catégories différentes : la quantité, la qualité et le lieu.— Jusqu’aux cas individuels, cette pensée n’est pas assez clairement exprimée ; et il aurait fallu la développer un peu davantage. L’exemple donné dans le texte ne suffit pas pour l’éclaircir. — Transporterait… Accroissement,.. Altéré, ce sont les trois seules espèces de mouvement, dans les catégories du lieu, de la quantité et de la qualité. — Sont en nombre limité, c’est-à-dire au nombre de trois ; voir plus haut, Livre V, ch. 3, § 1. — Il y a retour du mouvement, c’est-à-dire que le même mouvement revient après une période plus ou moins longue. — Que l’un n’ait point la science, c’est le disciple qui reçoit l’enseignement. — Que l’autre, au contraire, la possède, c’est le maître qui donne la leçon.
  1073. Une autre conséquence, ce § n’est guère qu’une répétition sous une autre forme de celui qui précède ; la pensée est la même, et l’expression seule varie. — Dire qu’il est mu, il faudrait ajouter : « De la même espèce de mouvement, » pour que la pensée fût complète. — Ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut, au § précédent. — L’une de ces conséquences, à savoir que tout moteur est animé du même mouvement que celui qu’il transmet. — Et l’autre, à savoir que le moteur doit toujours être mu lui-même, et avoir un mouvement différent de celui qu’il transmet au mobile. — Donc en résumé, cette conclusion ne ressort pas assez directement des développements qui précèdent.
  1074. La vraie cause, j’ai ajouté le mot : Vraie. — Antérieur et supérieur ; antérieur par le rang et non par le temps.
  1075. D’un principe différent, cette expression n’est pas assez claire, et les principes qui suivent ne semblent guère que le complément de ceux qui précèdent. — Quelque chose, le mot grec est aussi indéterminé que celui par lequel je l’ai rendu en français.
  1076. . Démontré plus haut, voir Livre VI, ch. 1, § 17 et § 20. — Dans les généralités sur la nature, Il semblerait résulter de ce passage que le sixième livre et les livres précédents font partie d’un autre ouvrage que le huitième livre ; voir la Dissertation préliminaire. Mais ici l’expression dont se sert Aristote peut vouloir dire simplement : « Dans nos considérations générales sur la nature. »
  1077. Se meuve soi-même tout entier, c’est-à-dire que le tout meuve le tout ; il faut que ce soit une partie qui meuve le tout, qui se trouve ainsi moteur et mobile. — Il serait transporté tout entier, c’est le mouvement de déplacement ou de translation dans l’espace. — Il serait altéré, c’est le mouvement dans la qualité ou l’altération. Aristote ne donne pas d’exemple de la troisième espèce du mouvement, le mouvement dans la catégorie de la quantité.
  1078. Il a de plus été établi, voir plus haut, Livre III, ch. 1, § 12 et ch. 2, § 1. — C’est seulement quand il est en puissance, c’est le mouvement qui convertit la puissance en acte et la complète en la réalisant. — L’acte incomplet, l’expression n’est pas très juste, et il semble qu’il faudrait dire précisément le contraire ; mais il faut entendre que c’est l’acte qui complète le mobile incomplet. — Mais le moteur est déjà en acte, à la différence du mobile, qui n’est qu’en puissance. — Ce qui est chaud échauffe, le feu, qui est chaud en acte et en fait échauffe l’eau, qui n’est chaude qu’en puissance. — Ce qui a la forme ou l’espèce, ce qui est cloué d’une certaine qualité engendre cette qualité. — Il faudra donc conclure, il y a ici une assez forte ellipse qu’il est bon de rétablir : « Si l’on dit que le corps tout entier se meut lui-même tout entier, » il faudra conclure, etc. — Chaude et non chaude, ce qui est une contradiction manifeste. — L’affection synonyme, c’est-à-dire la même qualité que celle qu’il transmet au mobile sur lequel il agit.
  1079. Reste donc à dire, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Il y a une partie qui meut, évidemment cette théorie est tirée des rapports de l’âme et du corps, l’âme étant une partie d’un tout dont le corps forme l’autre partie.
  1080. Il n’y aurait plus de premier moteur, il y aurait en effet alors deux moteurs qui seraient en même temps deux mobiles. — Il meut aussi bien davantage, voir plus haut ch. V, § 2.
  1081. Nous avons dit en effet, voir plus haut ch. V, § 1. — Mais ce qui est éloigné du mobile, la pensée est obscure comme conséquence de ce qui précède, et on ne voit pas comment cet argument contribue à démontrer que les parties ne peuvent pas se donner mutuellement le mouvement.
  1082. . Il n’y a de nécessité, autrement le mouvement pourrait n’être qu’accidentel ; et par conséquent, il pourrait ne pas être ; or c’est ce que contredit l’évidence. — Je supposais, cette forme de style est très rare dans Aristote. — L’une des parties, le texte n’est pas aussi précis. Il s’agit évidemment ici des deux parties indiquées plus haut au § 5.
  1083. Il n’est pas nécessaire non plus, et le mouvement communiqué réciproquement au moteur pourrait n’être qu’accidentel, c’est-à-dire être ou n’être pas, comme pour le mobile, tandis qu’il faut que le mouvement soit éternel.
  1084. De plus, le moteur recevrait, voir plus haut § 4. — Un corps qui échauffe, le feu par exemple serait échauffé par l’eau, ce qui est impossible.
  1085. Du moteur supposé doué primitivement, le texte n’est pas aussi formel. — Par une quelconque de ses parties, c’est la théorie qu’adoptera Aristote. — Sans elle, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — Si ensuite on suppose, c’est la seconde alternative qui vient d’être posée. — Une partie donnera le mouvement, voir plus haut § 5.
  1086. Une ligne, le texte ne désigne pas formellement l’objet qu’il prend pour exemple ; le contexte m’a autorisé à préciser davantage. Il semble d’ailleurs que cet exemple soit donné pour soutenir la théorie qu’adopte Aristote, c’est-à-dire que dans un corps qui se meut lui-même, il y a nécessairement une partie qui, étant elle-même immobile, communique à tout le reste le mouvement qu’elle a par elle-même. — Tout à la fois, le texte n’est pas tout à fait aussi formel.
  1087. Puisque le mouvement peut être donné, voir plus haut, ch. 5, § 1. — Qui meut quelque chose à son tour, j’ai ajouté les trois derniers mots pour rendre la pensée plus complète. — Doit donc nécessairement être composé, c’est l’hypothèse du § précédent. — Le tout ABC a la Puissance de se mouvoir, sans que C soit nécessaire au mouvement. — Si je retranche C, qui reçoit le mouvement sans y contribuer, et qui pourrait aussi le transmettre. — Car B ne peut donner le mouvement, il semblerait alors que B est tout à fait dans le même cas que C, et qu’il pourrait être retranché tout comme lui. — Donc le corps qui se meut, c’est la théorie définitive d’Aristote.
  1088. Ou ces deux éléments, le texte est moins précis.— L’un des deux seulement touche l’autre, il est assez difficile de comprendre comment une première chose en touche une seconde, sans que cette seconde touche la première. Mais comme dans les chapitres suivants, il sera démontré que le premier moteur est sans parties, et qu’il est incorporel, on peut concevoir que les deux choses étant de nature différente, la première peut avoir sur la seconde une influence qui n’est pas réciproque.
  1089. Il est continu de toute nécessité, parce qu’il est composé de parties. Voir plus haut, Livre VI, ch. 1. — Mais c’est A tout seul, il semble que ceci est contradictoire à ce qui précède, puisqu’il vient d’être dit que le tout se meut lui-même.
  1090. Que le moteur immobile soit continu, comme on vient de supposer au § précédent que je mobile est continu. — Le reste de A, la question est de savoir si le moteur ayant des parties et étant continu, on peut lui enlever une de ses parties sans que le mouvement cesse. — Ce n’était pas AB, voir plus haut § 13.
  1091. Rien n’empêche, réponse à la question précédente. Le moteur peut être continu ; mais il faut qu’il le soit alors simplement en puissance ; car s’il l’était en acte et en réalité, il ne serait plus le premier moteur. — La même puissance, c’est l’expression propre du texte ; on aurait pu en trouver une plus précise. — Qui soient divisibles en puissance, mais qui ne soient jamais divisibles en réalité, c’est-à-dire que le premier moteur doit être absolument indivisible et sans parties.
  1092. De tout ceci il résulte, cette conclusion ne ressort pas très évidemment de tout ce qui précède. — Sans intermédiaire et tout à coup, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Au primitif immobile, c’est-à-dire que le mobile est directement sous l’influence du moteur. — À un autre mobile, il y aurait alors deux mobiles au lieu d’un. — Et d’être en repos, en tant que moteur immobile. — Après tous les termes, le texte dit précisément : « Dans tous les termes. »
  1093. Puisqu’il faut que le mouvement soit perpétuel, ainsi que l’atteste le témoignage irrécusable des sens. — Quelque chose d’éternel, l’expression du texte n’est pas plus précise. — Soit unique, soit multiple, il sera prouvé un peu plus bas que le premier moteur doit être unique.
  1094. Toutes les choses qui sont immobiles, ceci est une allusion à la théorie des Idées ; car dans le système Platonicien, les Idées sont éternelles et immobiles. — À l’abri de toute espèce de changement, c’est l’immuabilité divine et l’indéfectibilité. — Et en dehors de lui, j’ai ajouté ces mots qui me semblent impliqués dans le contexte.
  1095. Si l’on veut, cette formule prouve qu’il s’agit ici d’une objection qu’Aristote rappelle pour pouvoir la réfuter ; mais la pensée pouvait être exprimée d’une manière plus précise. — Tantôt être et tantôt n’être pas, il faudrait ajouter aussi que ces choses sont des moteurs immobiles, et que cependant elles ne sont pas éternelles. — Qu’on ne peut faire pour tous, parce qu’alors il n’y aurait plus de mouvement ; or le mouvement est éternel.
  1096. . Il doit y avoir une cause, et c’est cette cause qui est éternelle, et qui est par conséquent le premier moteur. — Tout ce qui se meut soi-même, sans être éternel. — D’après ce que nous avons dit, voir le chapitre précédent. — Le moteur, c’est-à-dire le moteur primitif immobile. — Mais qui ne sont pas cependant éternelles, tandis qu’il faut nécessairement que la cause du mouvement soit éternelle, puisque le mouvement est éternel lui-même. — Mais qui sont mues à leur tour, tout ce passage est obscur, et il ne m’a pas été possible de le rendre plus clair. — Les choses de ce genre, c’est-à-dire les moteurs immobiles, mais non éternels. — Qu’il en soit ainsi, c’est-à-dire que le mouvement soit éternel. — Sont infinies en nombre, et par conséquent on ne peut les connaître. — Toutes à la fois, et par conséquent leur action ne peut être simultanée. — Qui sont immobiles, sans être éternelles. — Qui enveloppe et comprend tout cela, il n’y a qu’un seul mot dans le texte,
  1097. Puis donc que le mouvement est éternel, voir plus haut § 1.
  1098. Vaut mieux que sa pluralité, ce n’est pas le principe de l’optimisme, mais du meilleur possible, dans l’ordre universel des choses. Voir la Métaphysique, Livre XII, p. 1.075, édit. de Berlin. — Si l’on en admet plusieurs, j’ai ajouté ces mots qui m’ont paru indispensables pour compléter la pensée. — Que le contraire, même remarque. — Parmi les immobiles, le moteur premier étant toujours supposé immobile.
  1099. D’après ce qui a été démontré plus haut, voir plus haut § 4, et aussi tout le chapitre premier de ce VIIIe Livre. — Qu’il soit continu, voir plus haut Livre VI, ch. 1, § 1, la théorie du continu.
  1100. L’existence d’un primitif immobile, c’est-à-dire d’un premier moteur qui est lui-même immobile. — Aux principes suivant lesquels agissent les moteurs, le texte dit simplement : « Aux principes des moteurs. »
  1101. Tantôt en mouvement et tantôt en repos, voir plus haut ch. 3, § 1. — Sans exception, j’ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — C’est là ce que prouvent bien les choses, l’expression aurait pu être un peu plus développée et un peu plus précise. — Qui participent à l’un et à l’autre, au mouvement et au repos.
  1102. Les unes sont éternellement immobiles, la seule chose qui soit éternellement immobile, c’est le premier moteur immobile. — En procédant à cette démonstration, voir plus haut les chapitres 4, 5, 6 et 7. — Que tout mobile est mu, c’est ce qui a été démontré au ch. 4, § 23. — Ou mu à son tour, ch. 5, § 1. — C’est l’immobile, plus haut, ch. 6, § 18.
  1103. Certaines choses, ou certains êtres. — Les êtres vivants et les animaux, il est probable que les deux idées se confondent, et que par êtres vivants, Aristote n’entend pas autre chose que les animaux. — Que le mouvement pourrait bien naître, il y a dans le texte une négation qui ne répond qu’à la forme dubitative de l’expression. — Préalablement, j’ai ajouté ce mot. — Du moins à ce qu’il semble, ou peut-être : « Ainsi qu’on l’observe. »
  1104. Qu’une seule espèce de mouvement, le mouvement dans l’espace. — Ils ne se la donnent pas positivement, voir plus haut, ch. 2, § 7, où il a été établi qu’il y a toujours quelque cause étrangère qui provoque le mouvement que l’animal se donne à lui-même. — La cause n’en vient pas de l’animal même, le témoignage de la conscience nous atteste au contraire que dans une foule de cas, le mouvement vient spontanément de nous, et de nous seuls. — Le mouvement spécial, j’ai ajouté ce dernier mot. — C’est le milieu où vit l’animal, on peut comprendre qu’il s’agit ici de l’air ou de l’eau, qui exerce certaines influences sur le corps de l’animal. Le texte dit simplement : « Ce qui enveloppe. » — Ils s’éveillent, voir plus haut, ch. 2, § 7, où sont indiquées des idées analogues. Voir aussi le Traité du sommeil et de la veille, ch. III, § 2, p. 162 de ma traduction. — Bien qu’il puisse lui-même être mu, voir plus haut, ch. V, § 1.
  1105. C’est cependant d’une façon accidentelle, comme l’âme se meut avec le corps auquel elle est jointe et auquel elle donne le mouvement. C’est donc indirectement qu’elle s’y meut. — Ce qui est dans le corps, c’est-à-dire l’âme. — Analogue à celle du levier, cette pensée est obscure, parce que l’expression est trop concise ; Aristote veut dire sans doute que l’âme, en donnant le mouvement au corps, est mue elle-même simultanément, comme la main qui meut le levier est mue en même temps que lui.
  1106. Ainsi que nous l’avons dit, voir plus haut, ch. 7, § 7. — Et dans le même lieu, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. Il faut entendre d’ailleurs ici par l’être, l’univers qui ne peut pas en effet être dans un autre lieu, puisqu’il renferme tout. — Le point de départ, le principe, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Que tout demeure aussi de même, ici Tout signifie l’Univers. Le principe étant immuable, l’ordre universel reste éternellement immuable comme lui,
  1107. Le mouvement qui vient d’une cause étrangère, il s’agit toujours du mouvement accidentel. — De choses qui sont dans le Ciel, la pensée reste obscure, et il eût été nécessaire de donner ici quelque exemple qui l’expliquât. — Plusieurs espèces de translations, on dirait qu’Aristote veut faire allusion aux doubles mouvements qu’ont les corps célestes, de rotation sur eux-mêmes, et de translation dans l’espace.
  1108. Ainsi que nous le disons, dans les chapitres précédents. — Le premier mobile, il faut entendre par là le mobile qui reçoit directement le mouvement du premier moteur, et qui doit lui-même le transmettre à d’autres, qui ne seront plus que des mobiles seconds.
  1109. La naissance, la destruction et le changement, c’est-à-dire les diverses espèces du mouvement, outre le déplacement dans l’espace. — Qu’à cette seule condition, c’est là en effet le point le plus difficile de la question, de savoir comment le premier moteur, dont l’unité est absolue, peut produire la variété infinie des choses et des phénomènes. — Puisqu’il ne change jamais, l’éternel est en effet immuable tout aussi bien qu’immobile. — Mu par l’immobile, c’est le premier mobile. — Qui a déjà reçu le mouvement, c’est un mobile second. — Se trouvant dans des rapports constamment divers, c’est là un point qui aurait peut-être besoin d’être démontré. — Pourra ne plus être cause, peut-être eût-il mieux valu remplacer cette tournure négative, et dire : « Pourra être cause d’un mouvement multiple.
  1110. Au début, voir plus haut, ch. 3, § 2. — La cause en est maintenant évidente, peut-être l’explication du mouvement n’est-elle pas aussi complète qu’on pourrait le désirer ; mais dans un problème aussi difficile, personne n’a creusé plus profondément qu’Aristote, sans en excepter un seul des philosophes modernes. — Qui change lui-même, l’origine de ce changement demanderait aussi une explication. — Ainsi que nous l’avons déjà dit, voir plus haut, ch. 7, § 1, la théorie du moteur immobile.
  1111. En prenant un autre point de départ, parce qu’il semblerait que c’est avec le chapitre précédent que tout le traité devrait finir ; voir plus haut, ch. 7, § 1. — S’il peut ou non y avoir un mouvement continu, c’est ce qui sera démontré dans le chapitre suivant. — Ce qu’il est, il sera démontré aussi plus loin que le mouvement continu est nécessairement circulaire. — Quel est le premier de tous les mouvements, c’est la translation, comme on le démontrera dans le présent chapitre. — Un, le même, continu et premier, c’est la translation circulaire, qui seule, remplira toutes ces conditions.
  1112. Parmi les trois espèces de mouvement, voir plus haut, Livre V, ch. 3, § 4. — À l’espace, ou au lieu — Doit être nécessairement le premier mouvement, c’est ce qui est démontré dans ce chapitre. — Est l’aliment du contraire, le texte dit précisément : La nourriture. — En devenant semblable au semblable, par exemple les aliments se convertissant en chair. — L’altération, c’est-à-dire, le changement dans la qualité. — Tantôt plus près et tantôt plus loin, il faut entendre que c’est d’abord sous le rapport de la qualité, et ensuite, par rapport au lieu. — Un déplacement, une translation, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le premier des mouvements, et ici relativement à la seule altération, puisque c’est le seul mouvement dont il ait été question jusqu’à présent.
  1113. C’est la condensation et la raréfaction, quelques commentateurs ont pensé que c’était là le système de quelques anciens philosophes plutôt que le système particulier d’Aristote. — À ce qu’il semble, Aristote n’adopte donc pas entièrement ces théories. — Il faut également changer de lieu, et dès lors la raréfaction et la condensation supposent le mouvement dans l’espace, qui est ainsi antérieur au mouvement dans la qualité. — Pour s’accroître et pour dépérir, il l’est également au mouvement dans la quantité. Par conséquent, le mouvement dans l’espace est le premier mouvement.
  1114. Voici encore une autre manière, ce second argument est aussi fort et aussi clair que le premier. Le mouvement dans l’espace est supposé dans tous les autres mouvements auxquels il est indispensable, tandis que lui-même ne suppose pas un autre mouvement. — Le temps et la substance, pour le temps, l’idée d’antériorité est de toute évidence ; pour l’essence, cela revient à dire que le genre est antérieur à l’espèce, parce que le genre est indispensable à l’existence de l’espèce, tandis que l’espèce n’est pas nécessaire au genre.
  1115. Existe continûment, j’ai conservé le mot spécial du texte ; mais cela revient à dire que le mouvement est nécessairement éternel ; voir plus haut, ch. 1. — Le continu est préférable, c’est une des applications du principe du mieux. — Dans la nature, théorie très féconde et très vraie. — Nous la démontrerons plus loin, voir un peu plus bas, ch. 12. — S’accroisse ou s’altère, c’est-à-dire, ait un mouvement de quantité ou de qualité. — Sans ce mouvement continu, il faut sous entendre ; « Dans l’espace. »
  1116. Chronologiquement, après avoir prouvé que la translation est le premier mouvement sous le rapport de la substance, puisqu’il est nécessaire aux autres, et que les autres ne le lui sont pas, Aristote veut prouver qu’il est aussi le premier sous le rapport du temps.
  1117. Au contraire, c’est une objection à la théorie précédente. Peut-être eût-il été bon de l’indiquer d’une manière un peu plus précise. — Qui est nécessairement le dernier des mouvements, chronologiquement parlant. — C’est l’altération et la croissance, c’est-à-dire le mouvement en qualité, et le mouvement en quantité. — Complets et parachevés, il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  1118. Mais il faut nécessairement, réponse à l’objection du § précédent. — Sans être produite elle-même, au moment où elle en produit une autre. Pour qu’une chose en produise une autre, il faut que cette chose soit antérieurement ; et cette génération suppose nécessairement un mouvement. — On pourrait croire, ceci semblerait une répétition de ce qui précède. — Naissent et se produisent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Il faut encore une autre chose, c’est-à-dire qu’on pourrait pousser cette série à l’infini. L’expression du texte laisse ici quelque chose à désirer en ce qu’elle est incomplète.
  1119. Tout ce qui est en mouvement serait périssable, puisqu’alors tout serait soumis à la génération et à la destruction, si la génération était le premier mouvement. — Postérieurs à la génération, voir plus haut, § 7. — Antérieur à la translation, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Aucun des autres changements, ou mouvements.
  1120. Ce qui devient et se produit, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Semble toujours incomplet, et son principe est plus complet que lui. — Antérieur par nature, voir plus haut, § 4, ce qui est dit de l’antérieur en substance. — La dernière, en génération, et par conséquent la première en nature.
  1121. Dans les êtres vivants, plantes et animaux. Les plus parfaits ont le mouvement de translation ; les moins parfaits n’ont que les mouvements d’altération et de croissance. — Par essence, ou en substance, comme plus haut, § 4.
  1122. Sort moins de sa substance, c’est-à-dire, change moins de sa substance que dans toute autre espèce de mouvement, Cet argument nouveau n’a pas moins de force que les précédents.
  1123. Se donne d’une manière tout à fait spéciale, c’est-à-dire que le mouvement propre au moteur premier est le mouvement de translation ; mais c’est ce qui n’a point été encore prouvé. — Et la cause première, aux différents sens qui ont été expliqués dans ce chapitre. — Donc, en résumé, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  1124. La nature de cette translation première, cette démonstration ne sera donnée que dans le chapitre suivant ; celui-ci sera consacré à quelques théories préliminaires. — Antérieurement, voir plus haut, ch. 10, § 1.
  1125. Tous les mouvements et tous les changements, ces deux termes sont à peu près identiques, quoique l’idée de changement soit plus large que celle de mouvement, Mais Aristote ajoute ici le Changement, parce qu’il sera surtout question de la génération et de la destruction, où il y a simple changement, et non pas mouvement proprement dit. — Des opposés aux opposés, même observation sur l’emploi du terme d’Opposés au lieu de celui de Contraires. Voir les Catégories, ch. 10, § 1, p. 109 de ma traduction.— L’être et le non-être, qui sont une simple opposition et qui ne sont pas des contraires proprement dits. C’est une contradiction et non une contrariété. — Pour l’altération, seconde espèce de changement ; c’est un mouvement dans la qualité. — Pour l’accroissement, c’est un mouvement dans la quantité. — L’achèvement ou l’inachèvement, c’est-à-dire que la grandeur propre à l’espèce est atteinte ou n’est pas atteinte. — D’une grandeur déterminée, j’ai ajouté ce dernier mot. — Qui aboutissent aux contraires, et non pas seulement aux opposés. — Un instant de repos, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Dans le contraire, c’est-à-dire que l’objet, avant de passer à un état contraire, aura un intervalle de repos entre les deux états, l’un qu’il quitte et l’autre qu’il prend.
  1126. Les autres espèces de changements, c’est-à-dire, les changements autres que les mouvements indiqués au § précédent — La destruction et la génération, en d’autres termes, l’être et le non être. — Des changements opposés, par exemple une même chose ne peut à la fois être et ne pas être ; elle ne peut être blanche et noire à la fois. — Un temps de repos, le texte dit simplement : « Du temps. »
  1127. . De l’être et du non-être, j’ai ajouté ces mots pour que la pensée fût plus claire. — Réellement, même remarque. — Car ce n’est d’aucune utilité, c’est-à-dire qu’on n’a pas besoin, pour la démonstration présentée ici, de supposer que l’être et le non-être soient contraires absolument l’un à l’autre, au lieu d’être simplement opposés ; il suffit qu’ils soient contraires en ce sens qu’ils ne peuvent pas être simultanément à un même objet.
  1128. Nécessité absolue, j’ai ajouté ce mot. — Dans la contradiction, c’est-à-dire, dans le passage de l’être au non-être, ou du non-être à l’être. — De changement contraire au repos, Aristote dit ici Changement et non Mouvement, parce qu’il s’agit de l’être et du non-être. — Le non-être n’est peut-être pas en repos, le non-être n’est ni en mouvement ni en repos. — Dans l’intervalle, entre l’être et le non-être, ou bien entre le non-être et l’être. — Le mouvement ne soit plus continu, c’est ce qu’on veut démontrer dans ce chapitre — Dans les choses antérieures, soit que le non-être précède l’être, soit que l’être précède le non-être, et soit qu’il y ait génération ou destruction.
  1129. De nous voir admettre, le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Et à l’inertie, ou au repos ; mais j’ai changé de mot, parce que le texte en a changé aussi. — Et au mouvement en sens contraire, voir plus haut, livre V, ch. 7. — L’égal et le moyen, l’égal est opposé et à ce qui est plus grand et à ce qui est plus petit ; le moyen l’est aussi et à ce qui le dépasse et à ce qu’il dépasse. — Ne peuvent coexister, c’est-là la seule condition ; et peu importe que les termes soient ou contraires ou opposés.
  1130. Pour la génération et la destruction, voir plus haut, § 3. — L’être périt aussitôt, ceci est absolument contredit par le témoignage des sens, qui nous attestent que les êtres vivent et subsistent toujours un certain temps. — Différents de la génération, l’expression du texte est un peu moins précise. S’il y a un intervalle de repos pour la génération et la destruction, il doit y en avoir également un pour les autres espèces de changements ; c’est là le sens de ce passage.
  1131. Expliquons maintenant, il a été prouvé plus haut qu’il ne peut y avoir de continuité que dans le mouvement de translation et non dans les autres espèces de mouvement. Il va être prouvé dans ce chapitre que dans le mouvement de translation, il n’y a que la translation circulaire qui puisse être continue.
  1132. Tout corps animé d’un mouvement de translation, il n’y a que trois espèces de translation possibles : ou circulaire, ou directe, ou mixte c’est-à-dire composée des deux premières. Ainsi le corps se meut circulairement, ou en ligne droite, ou en ligne brisée, que cette ligne brisée soit une suite de lignes droites ou un composé de droites et de courbes.
  1133. De ces deux premiers mouvements, la translation circulaire et la translation en ligne droite. — Le mouvement formé des deux, c’est-à-dire dont une partie serait courbe et dont l’autre partie serait en ligne droite, en combinant ces deux éléments dans telle proportion qu’on voudrait.
  1134. Et dans une ligne finie, cette addition est indispensable, parce qu’on pourrait supposer un mouvement continu en ligne droite, si cette droite pouvait être infinie. — Il revient sur lui-même, après avoir parcouru la ligne droite en un sens, il la parcourt en sens contraire, et ainsi de suite à l’infini, si l’on veut ; mais alors le mouvement cesse d’être continu. — Du lieu et de l’espace, il n’y a qu’un seul mot dans le lexique nous avons distinguées, ce sont les distinctions très claires et très naturelles qui ont été rappelées fréquemment dans tout le cours de ce traité. — Antérieurement, voir plus haut, Livre V, ch. 6. — L’homme ou Dieu, sans doute, Aristote a choisi ces deux exemples, parce que c’est en Dieu d’abord, et ensuite dans l’homme que se manifeste la spontanéité du mouvement ; mais alors c’est le Moteur et non le Mobile qu’il faudrait dire. — Qu’on vient d’énumérer, dans ce § même.
  1135. Ces deux mouvements s’arrêtent et s’empêchent, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Il faut supposer deux corps qui vont à la rencontre l’un de l’autre, et qui s’arrêtent mutuellement. — Il en est de même pour le cercle, on peut supposer sur le cercle, comme sur la ligne droite, que deux corps marchent en sens contraire à la rencontre l’un de l’autre. Plus tard, il sera établi, que le mouvement circulaire peut être continu. — Mais le mouvement oblique, c’est-à-dire un mouvement qui serait horizontal, tandis que l’autre aurait lieu de bas en haut, les deux mouvements étant supposés partir d’un même point.
  1136. Le mouvement en ligne droite, « et fini, » faudrait-il ajouter. — Mais encore sur le cercle, en supposant que le corps, après avoir parcouru le cercle en un sens, le parcoure ensuite dans l’autre.
  1137. Un mouvement circulaire, qui est continu et toujours le même. — Un mouvement sur le cercle, c’est-à-dire qui parcourt le cercle en un sens d’abord, et ensuite dans un sens opposé. La suite du texte explique d’ailleurs fort clairement cette distinction.
  1138. Que le mouvement s’arrête, et qu’il y ait par conséquent un temps de repos, ce qui constitue deux mouvements différents au lieu d’un seul mouvement continu. — Ici un instant, j’ai cru devoir ajouter ces mots pour éclaircir la pensée. — Par l’observation sensible… par la raison seule, l’une contrôlant les données de l’autre. La sensibilité ne fait connaître que les phénomènes ; la raison en fait connaître la casse,
  1139. Notre principe… le point de départ, le texte emploie le même mot pour rendre ces deux idées. — Rationnellement il est deux, c’est-à-dire qu’il est à la fois la fin par rapport au commencement, et le commencement par rapport à la fin.
  1140. Ici, j’ai ajouté ce mot. — La puissance et l’acte, en d’autres termes : Ce qui peut être et ce qui est. — Est le milieu, non pas précisément parce qu’il est à égale distance des deux extrémités, mais parce qu’il peut être le point où le mouvement s’arrête pour recommencer. — À moins qu’il ne divise cette droite, et qu’on ne le prenne alors pour point de repos, et qu’ensuite le mouvement ne recommence, comme le dit le texte.
  1141. Je donne un exemple, qui éclaircit et confirme ce qui vient d’être dit. — Ni être allé au point B ni s’en être éloigné, c’est-à-dire que le corps n’a pu s’arrêter en B, après avoir parcouru un certain espace, et pour y recommencer à parcourir un espace nouveau. — Qu’un instant, et l’instant ne fait pas partie du temps ; il le divise seulement. Voir plus haut, Livre IV, ch. 14, § 4. — Appréciable, j’ai ajouté ce mot. — Le temps total ABC, j’ai ajouté ABC. — Dont cet instant est une division, et non point une partie ; l’instant est indivisible, tandis que le temps se compose d’éléments divisibles à l’infini.
  1142. S’approche et s’éloigne de B, c’est-à-dire du point où le mouvement antérieur cesse, et où commence un mouvement nouveau. — S’arrête dans son déplacement, et que le mouvement cesse d’être continu puisqu’il y aura un temps de repos. — En même temps, il faut nécessairement deux temps distincts : le premier, où le corps en mouvement arrive à B ; le second, où il part de B pour aller plus loin, ou pour revenir. — Un point différent du temps, peut-être vaudrait-il mieux dire : « Dans une partie différente du temps. » — Il y aura donc du temps, et non plus seulement un instant. — Entre deux mouvements, dont l’un finit et dont l’autre recommence. — De même pour les autres points, pour les points autres que B, à quelque distance qu’on les prenne de l’une ou l’autre extrémité.
  1143. Emploie le milieu B, c’est-à-dire, passe par B, où il arrive et s’arrête pour en repartir de nouveau. — Comme la pensée pourrait aussi le faire, voir plus haut, §§§ 8 et 9.
  1144. Cependant le corps s’est éloigné, ce § a pour but de marquer la différence des extrêmes avec le milieu, à quelque distance qu’on le prenne. Le point A, n’est que le commencement, et pas autre chose ; le point C n’est également que la fin. Le point milieu au contraire, B ou tout autre, est à la fois fin et commencement, ou commencement et fin.
  1145. Qui consiste dans l’argument suivant, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Si E est égal à F, il faudrait construire une figure composée de deux lignes, l’une plus longue, dont une partie désignée par E serait égale à l’autre ligne désignée par F. A est un des mobiles ; D est l’autre mobile, tous deux animés d’une égale vitesse, à ce qu’on suppose. Si A arrive à E, et qu’à ce même instant D parte de F, on prétend que D arrivera à G avant que A n’arrive à C, bien que D et A aient la même distance à parcourir et qu’ils aient une vitesse égale, attendu que A se sera arrêté en E après y être arrivé et avant d’en repartir. On répondra à cette objection au § 17.
  1146. Ce n’est donc pas en même temps, ceci n’est que le développement plus complet de l’objection précédente. — Aussi arrive-t-il plus tard, puisqu’on suppose qu’il s’est arrêté en E avant d’en repartir. — Un certain temps d’arrêt, et par conséquent une perte de temps, pendant lequel D a marché.
  1147. Donc, il ne faut pas admettre, réponse à l’objection, — Quand A parvenait en B, en suivant son mouvement continu. — Si A arrive en B, on ne peut pas dire que A arrive en B précisément ; mais il passe par B sans s’y arrêter. — Dans une section du temps, et non dans une partie du temps. Plus haut, § 11, il a été dit : « Une division du temps. » — Au continu, car le continu n’a pas de temps d’arrêt ni de division, si ce n’est en puissance. La réponse à l’objection est plus nette que l’objection même, qui aurait pu âtre présentée d’une manière plus satisfaisante.
  1148. Quant au mouvement qui revient sur lui-même, soit sur une même ligne droite ; soit sur une ligne mixte composée de courbes et de droites. Voir plus haut, § 8. — Il fût porté en bas, il faut supposer que le corps G s’élève en montant jusqu’à un point D, et qu’ensuite il redescend selon la ligne qu’il a suivie pour monter. Alors il est bien évident que D est à la fois la fin du mouvement qui élève F, et le commencement du mouvement qui l’abaisse.
  1149. Que nous donnions tout à l’heure, plus haut, § 16, c’est-à-dire que le point D où parvient le corps G, n’est pas simplement en puissance, mais qu’il est bien réel comme l’observation le prouve. — Ce qui est au milieu, c’est-à-dire le point qu’on prenait sur la ligne arbitrairement, pour en faire la fin d’un premier mouvement et le commencement d’un second. Le point sur la ligne est pris où l’on veut, et il n’est qu’en puissance ; mais le point extrême où un corps arrive en montant et d’où il part pour redescendre, est une réalité sensible et incontestable. — Il en est de même aussi pour les mouvements, sous-entendu que pour les lignes ; et en effet la ligne que parcourt le corps en montant et celle qu’il parcourt en descendant, se confondent avec les deux mouvements dont le corps est tour à tour animé.
  1150. Donc, nécessairement, conclusion de la discussion annoncée aux §§ 6 et 8. — Qu’il y ait un mouvement continu éternel, la démonstration n’est peut-être pas aussi satisfaisante que le croit Aristote ; mais la conclusion n’en est pas moins vraie ; et le mouvement éternel est circulaire, et il n’est pas en ligne droite.
  1151. Contre le mouvement, j’ai ajouté ces mots pour éclaircir la pensée. Sur l’argument de Zénon, voir plus haut, Livre VI, ch. 14, § 8. — L’infini ne peut pas être parcouru, voici l’argument entier, qui n’est d’ailleurs qu’un sophisme. Pour que le corps arrive à la fin de la ligne qu’il parcourt, il faut qu’il passe par tous les points intermédiaires ; or, ces points sont infinis, et comme on ne peut parcourir l’infini, il s’ensuit que le corps ne peut arriver à la fin de la ligne, et que le mouvement est impossible.
  1152. La forme différente, cette différence est à peine sensible, et il semble qu’elle consiste seulement à ce qu’on applique à la moitié de la ligne le raisonnement qu’on appliquait tout à l’heure à la ligne entière. — La première moitié de l’étendue, ou de la ligne. — Compté aussi un nombre infini, puisque le nombre des milieux est infini, et qu’on suppose les avoir tous parcourus, — Tout le monde accorde, voir plus haut, Livre VI, ch. 4, § 21.
  1153. Nos premières recherches sur le mouvement, voir plus haut, Livre VI, ch. 1, § 21. Il semblerait d’après cette citation que le livre VIII ne fait pas partie du même ouvrage que le livre VI ; mais il est possible que ceci se rapporte dans la pensée d’Aristote aux époques différentes où il aura rédigé cet ouvrage. — Dans un temps infini on peut parcourir l’infini, il ne semble pas que cette proposition soit aussi évidente que le croit Aristote ; ou plutôt elle est contradictoire ; car du moment que le temps est infini, on ne peut le parcourir tout entier. — Soit dans la grandeur, soit dans le temps, en effet, il importe peu que l’on considère l’infini soit dans un corps quelconque soit dans le temps.
  1154. Contre celui qui argumente ainsi, c’est ce qu’on appelle une réponse ad hominem ; mais il faut en outre examiner la chose en soi, et résoudre l’objection indépendamment de la forme que lui donne celui qui la fait. — Relativement au temps lui-même, c’est-à-dire à la portion de temps qu’a duré le mouvement, et non au temps entier. Or, cette portion de temps a des éléments infinis, puisque le temps est continu.
  1155. D’énoncer tout à l’heure, voir plus haut, § 5. — Soit que l’on compte numériquement, c’est une des formes de l’objection de Zénon, plus haut, § 22 : On ne peut compter l’infini. — Soit qu’on divise la ligne en moitiés, c’est l’autre forme de l’objection, plus haut, § 21 : On ne peut parcourir l’infini. — La ligne cesse d’être continue, et alors l’objection de Zénon ne porte plus, puisque le mouvement est fini par cela même. — Aussi bien que le mouvement, qui la parcourt ; et ce qu’on dit de la ligne s’applique tout aussi bien au mouvement que cette ligne représente. — Pour un continu, c’est-à-dire sur une ligne continue. — Il y a bien des moitiés, on peut subdiviser la première moitié en deux autres, et ainsi de suite à l’infini. Moitiés signifie ici Milieux. — On s’arrête, et alors le mouvement n’est plus continu. — Quand on compte les moitiés, au § suivant il sera question de la division des moitiés et non plus de leur nombre. — Car il faut alors nécessairement, cette fin du § est une répétition peu utile, à ce qu’il semble, du début.
  1156. Parcourir l’infini, c’est la seconde forme de l’objection de Zénon : On parcourt l’infini au lieu de le compter. — En acte, en réalité, il n’y a qu’un seul mot dons le texte. — On parcourt accidentellement, ou indirectement, parce que le mouvement continu a une infinité de divisions possibles, si ce n’est réelles. — D’une manière absolue, ou réelle. — Des moitiés, la ligne étant d’abord divisée en deux ; puis, chacune des moitiés en deux autres, et ainsi de suite à l’infini. — Mais son essence et son être, c’est-à-dire que cette propriété n’est pas essentielle à la ligne, qui est définie : Une longueur sans largeur.
  1157. En antérieur et postérieur, j’ai conservé toute la généralité de l’expression grecque ; elle s’applique au temps, au mouvement, ou à la longueur. — Est à la fois et n’est pas, voir plus bas, § 28. — Quand elle sera devenue, voir plus bas, § 29. — Rationnellement, voir plus haut, § 9. — À la dernière affection, c’est-à-dire qu’il faut toujours considérer le point de division comme étant le commencement d’un mouvement nouveau, et non comme la fin d’un mouvement antérieur. Voir au § suivant.
  1158. Représenté par ABC, A est la première moitié du temps ; B est la seconde moitié ; C est le point où cesse un premier mouvement, et où en commence un second. — La chose dont il s’agit, j’ai ajouté les derniers mots. — Dans le temps C, le texte est un peu moins précis, et il dit simplement : En C. — Mais C est dans les deux, parce qu’il est la fin de l’un, et le commencement de l’autre. — Dans le temps A tout entier, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Le dernier instant, il faut se rappeler que l’instant n’est pas du temps, mais une division du temps.
  1159. Si la chose devenait, au lieu d’être ; c’est la seconde hypothèse énoncée au § 27. — Si elle périssait blanche, cette tournure singulière est dans le texte, et j’ai cru devoir la conserver. — Dans A tout entier, il semble que c’est plutôt dans une simple partie de A, et dans sa dernière partie représentée par C ; peut-être ces mots : « Tout entier, » sont-ils une interpolation. — C’est bien en C, le texte n’est pas tout à fuit aussi précis, et il ne nomme pas C. — Quoique la chose soit devenue, ce qu’elle doit devenir et qu’elle ait éprouvé le changement qu’elle doit éprouver. — Elle ne sera pas, j’ai conservé la concision du texte. § 30. Mais si ce qui d’abord… on ne voit pas bien comment ce § et les deux suivants 31 et 32 se rattachent à ce qui précède. L’ordre de la pensée ne recommence qu’au § 33. — Diviser le temps en temps indivisibles, c’est une théorie qui a été discutée déjà tout au long, plus haut, Livre VI, ch. 1, §§ 5, 6 et 17 ; ici elle n’est qu’une digression. — Qui est la suite de A, le texte est un peu moins précis. Si l’on suppose que D est la suite de A, il n’y a plus alors de temps intermédiaire, entre A et B, où l’objet D ait pu devenir blanc.
  1160. Le temps est continu, le temps est confondu ici avec la durée ; c’est la durée qui est continue ; mais le temps n’est pas plus continu que le mouvement ; l’un répond à l’autre, et ils sont tous les deux ou continus ou successifs. Chacun des mouvements a son temps spécial ; et entre les deux temps, il y a la même interruption qu’entre les deux mouvements. — Il n’en est pas moins successif, voir pour la définition de l’idée de succession, plus haut, Livre V, ch. 5, § 8.
  1161. . Car cette même démonstration, la pensée n’est plus ici très nette ; et il semble que c’est une objection qu’Aristote se fait à lui-même ; car il est de ceux qui nient que le temps soit indivisible et qui soutiennent qu’il est au contraire toujours divisible, si ce n’est en acte du moins en puissance. — Mais on répond, le texte n’est pas aussi formel. — Dans le point extrême du temps, c’est-à-dire en C, pour reprendre les termes du § 28. — Rien ne tient à ce point, qui n’est qu’une section et non une partie du temps. — Ils doivent se suivre, de façon qu’il n’y ait rien d’intermédiaire entre eux.
  1162. Dans le temps entier A, c’est-à-dire y compris C, qui appartient à la partie dernière de A ; voir plus haut, § 27. — Et a été, ce qu’elle était avant de devenir. — N’est pas plus considérable, c’est-à-dire qu’il est un seul et même temps. — Devenue seulement, j’ai ajouté ce dernier mot pour éclaircir la pensée.
  1163. Cette théorie, à savoir que le mouvement en ligne droite ne peut être continu et éternel. — Logiquement, il semble que les discussions qui précèdent sont au moins aussi purement logiques que celles qui vont suivre. — Par les arguments qui suivent, le texte n’est pas tout à fait aussi formel.
  1164. Antérieurement, c’est-à-dire dès le début de son mouvement, comme il est dit un peu plus bas. — Le mouvement venu de C, puisqu’on suppose que le mouvement est continu et qu’il n’y a pas de temps d’arrêt. Ainsi le corps partant de A est animé tout à la fois, et du mouvement qui le porte en C, et du mouvement qui le ramène de nouveau de C en A, d’où il est parti. Il a donc les mouvements contraires, si l’on soutient qu’il n’y a pas de repos en C. — Les mouvements en ligne droite, dont l’un va de A en C, et dont l’autre revient de C en A.
  1165. Change et sort, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — D’un état, ou d’un lieu. — Où il n’est pas, ce qui est contradictoire. — Qu’il y ait un arrêt en C, et qu’après un moment de repos, le corps reprenne un nouveau mouvement. — Le mouvement interrompu par un repos, après lequel commence un mouvement différent.
  1166. À toute espèce de mouvement, translation, accroissement, altération. — Dont nous avons parlé, plus haut, Livre V, ch. 2, § 2, les espèces du mouvement ou du changeaient ont été réduites à trois. — Que ceux qu’on a indiqués, voir plus haut, Livre V, ch. 8 et 9. — Différents en espèce, par exemple la translation, l’altération, l’accroissement, etc. — Et non point une partie quelconque, comme serait une portion de la ligne droite, ou circulaire, parcourue par le corps.
  1167. Sont ici, j’ai ajouté ce dernier mot pour rendre la pensée plus claire. — De A en C, voir plus haut, § 34. — Antérieurement, c’est-à-dire avant de revenir de C en A. — Arrêté en C, d’où est parti un nouveau mouvement ; et par conséquent, le mouvement initial n’est pas continu. L’argument exposé dans ce § revient à ce principe évident que les contraires ne peuvent coexister dans un seul et même objet.
  1168. . Encore plus direct, en ce qu’il touche une certaine espèce de mouvement, tandis que l’argument précédent ne reposait que sur un principe général de logique. — Que ce qui n’est pas blanc a péri, le non-blanc a péri en même temps que le blanc se produisait, c’est-à-dire qu’il a fallu que l’un disparût pour faire place à l’autre. — L’altération qui mène au blanc, l’altération est une espèce de mouvement ; c’est le mouvement dans la qualité. — Si elle ne subsiste pas un certain laps de temps, c’est-à-dire s’il n’y a pas un certain temps d’arrêt et un certain repos, comme on a supposé plus haut qu’il devait y en avoir dans la translation au point C, où le corps revient sur lui-même. — Sera un seul et même temps, ce qui est impossible, puisque ce sont aussi des contraires.
  1169. L’extrémité, c’est-à-dire le point intermédiaire où les deux objets se confondent pour n’en faire qu’un. — Pour le blanc et le noir, voir plus haut, § 38. Le blanc et le noir ne peuvent être continus l’un à l’autre, parce qu’ils n’ont pas d’extrémité commune. Voir la définition de la continuité, Livre V, ch. 5, § 11.
  1170. D’impossibilité, comme il y en avait dans les mouvements qu’on a étudiés un peu plus haut, c’est-à-dire qu’on peut admettre la continuité dans le mouvement circulaire, sans qu’on soit réduit à des conséquences absurdes et impossibles. — Tout ensemble, peut-être pouvait-on expliquer plus nettement ce que le mouvement circulaire a de particulier. — Il se meut vers le point où il devra arriver, c’est-à-dire qu’au moment où il quitte un point, il se meut déjà vers ce point ; ce qui se répète sans interruption sur la circonférence entière et indéfiniment. — Ni même les mouvements opposés, opposé est une nuance affaiblie de contraire ; voir les Catégories, ch. X, page 109 de ma traduction ; mais l’idée de contraire est moins large que celle d’opposé. — Selon le diamètre, il faut supposer un carré et deux mouvements dont l’un se passe sur le diamètre et l’autre sur un des côtés. Le mouvement qui revient en ligne droite sur le diamètre est plus contraire que celui qui revient en ligne droite aussi sur un des côtés. Il eût été plus simple de dire que le mouvement sur le diamètre est plus étendu que le mouvement latéral. — C’est le plus éloigné, ou plutôt le plus étendu. — Dans un intervalle quelconque de temps, qui constitue un repos, et par conséquent un second mouvement.
  1171. Part de soi pour revenir à soi, définition très-ingénieuse. Le cercle revient sans cesse sur lui-même, en même temps qu’il s’éloigne sans cesse. — De soi pour aller à un autre, le mouvement direct part d’un certain point pour aller à un point différent.
  1172. N’est jamais dans les mêmes points, si ce n’est quand le corps parcourt une seconde fois ou plusieurs fois la même circonférence ; mais entre les circonférences parcourues successivement, il n’y a jamais de repos dans le mouvement. — Aussi souvent qu’on veut, le texte dit : « Plusieurs fois, » — Dans un autre point, puis dans un autre, ceci semble un peu contradictoire avec ce qui précède, si on l’applique au mouvement circulaire ; mais il faut rapporter cette expression à ce qui vient d’être dit du mouvement en ligne droite, qui revient nécessairement vers les mêmes points, de A en C et de C en A, pour pouvoir être continu. — Des mouvements opposés, ou plutôt des mouvements contraires.
  1173. . Ni dans le demi-cercle, en supposant que le corps parcourt d’abord le demi-cercle sur la circonférence et revienne ensuite au point de départ par le diamètre ; ce serait alors un mouvement mixte, courbe d’abord et direct ensuite. — Ni dans toute autre partie de la circonférence, comme serait un arc de la circonférence, sous-tendu par une corde, au lieu du demi-cercle et du diamètre. — Subissent plusieurs fois les mêmes mouvements, en effet le mouvement qui d’abord était courbe, se change successivement en ligne droite. — L’extrémité ne s’y rattache pas au point de départ, tandis que dans le cercle le mouvement va toujours du même au même, et que le point de départ s’y confond sans cesse avec le point d’arrivée, et réciproquement.
  1174. La division que nous venons de faire, en distinguant le mouvement circulaire du mouvement en ligne droite. — Les autres espèces de mouvements, l’altération, l’accroissement, etc. — Se répète à plusieurs reprises, et revient sur lui-même en passant par les mêmes points. — Les qualités intermédiaires, par exemple une chose passant du noir au blanc et du blanc au noir, en prenant successivement les nuances intermédiaires, qui séparent les deux, couleurs extrêmes. — Les grandeurs moyennes, un corps s’accroissant, puis diminuant, passe et repasse par la même grandeur moyenne, comme le mouvement en ligne droite revient sur ses pas. — La génération et la destruction, qui est plutôt une contradiction qu’un mouvement proprement dit. — Les choses où a lieu le changement, c’est-à-dire les intermédiaires. — Qu’on ajoute ou qu’on retranche, pour le mouvement qui a lieu dans la quantité, selon que la chose grandit on diminue.
  1175. Les Naturalistes, ceci s’applique surtout à Héraclite ; voir plus haut, Livre 1, ch. 2, § 1. — Selon eux, j’ai ajouté ces mots pour éclaircir la pensée. — Dont nous avons parlé, translation, altération, accroissement. — La génération et la destruction des choses, qu’Aristote range avec raison dans la contradiction. — Ni dans l’altération ni dans l’accroissement, comme les Naturalistes l’ont supposé.
  1176. Voilà ce que nous avions à dire, on peut trouver que cette discussion a été un peu longue et par fois un peu subtile ; mais le principe est vrai, et il est d’une importance considérable pour toute la théorie du mouvement.
  1177. Qui est la première, c’est-à-dire la première en perfection et en date.
  1178. Un peu plus haut, voir ch. 12, § 2. — C’est-à-dire composée de l’une et de l’autre, j’ai ajouté cette glose, pour que la pensée fût plus claire, et elle est d’ailleurs tirée de ce qui suit.
  1179. Soient antérieures, chronologiquement parlant, puisque sans les deux premières la troisième ne pourrait exister.
  1180. Antérieure à la translation en ligne droite, et par conséquent à toute autre translation. Antérieure a ici le sens de Supérieure. — Elle est plus qu’elle, cette tournure assez singulière est celle même du texte. — Il n’y a point d’infini de ce genre, c’est ce qui a été démontré plus haut, livre III, ch, 7. — Une ligne infinie, il faut entendre qu’il s’agit d’une ligne droite. — Il est composé, et alors il n’a plus la simplicité de la translation circulaire. — Il est incomplet, c’est-à-dire qu’il arrive au terme où il doit s’arrêter. — Le complet est antérieur, le terme propre serait : Supérieur. Antérieur signifie ici : Antérieur en essence, comme il est expliqué dans ce qui suit. — Antérieur au périssable même remarque.
  1181. Est antérieur, comme ci-dessus. — Translation ou tout autre, déplacement dans l’espace, ou altération de qualité, ou bien encore changement de quantité.
  1182. Une et continue, par conséquent éternelle. — Où il s’arrête, j’ai ajouté ces mots. — Ou à celle d’où il part, ou à celle où il arrive, il semble qu’au lieu de ou il faudrait et. — Sont indéfinis, c’est-à-dire que dans le cercle on ne peut marquer précisément ni le commencement, ni le milieu, ni la fin. — Elle occupe toujours le même lieu, quand elle tourne sur elle-même ; mais la sphère peut avoir aussi un mouvement de translation et de déplacement. C’est par exemple le mouvement des corps célestes autour de leur centre d’attraction. Mais au temps d’Aristote on ne connaissait pas ce double mouvement ; et même les philosophes qui admettaient que la terre tourne autour du soleil, faisaient le soleil immobile.
  1183. D’abord, j’ai ajouté ce mot. — Le centre en effet est le commencement, dans les théories des mathématiciens grecs, le centre engendrait la sphère comme le point engendre la ligne. — En dehors de la circonférence, c’est-à-dire qu’il ne fait pas partie de la circonférence, et que la circonférence tourne autour du centre, comme son nom seul l’indique. — Il est porté sans cesse vers le milieu, nous dirions aujourd’hui attiré, au lieu de porté. — Voilà comment le cercle entier, au lieu du cercle entier, on pourrait comprendre qu’il s’agit ici de l’univers. J’ai préféré la première traduction à la seconde, quoique celle-ci rendit sous cette forme l’idée plus générale.
  1184. Mais il y a ici réciprocité, la suite du contexte explique ce qu’il faut entendre par cette réciprocité. — Est la mesure de tous les autres, cette expression n’est pas assez claire ; mais Aristote a peut-être voulu dire que c’est la révolution circulaire des jours, avec toutes les divisions du jour, qui est la mesure générale du temps et par suite du mouvement. — Le premier de tous, en ce qu’il est le plus simple et le plus complet. — Et c’est parce que ce mouvement est le premier, voilà la réciprocité.
  1185. Qui puisse être uniforme, c’est-à-dire n’avoir toujours qu’une seule et même vitesse. — Les mouvements en ligne droite, soit naturels, soit violents. — Est mu d’autant plus vivement, ceci est vrai pour les graves qui tombent de leur chute naturelle. L’impulsion est d’autant plus vive qu’ils s’éloignent davantage du point d’où ils sont partis, et où ils étaient en repos. — Du point d’inertie, c’est-à-dire du point initial où ils étaient d’abord, avant de recevoir le mouvement ; mais pour les corps qui reçoivent un mouvement contre nature, l’impulsion est également plus vive au départ, c’est-à-dire près du point d’où ils partent. Pour eux le point d’inertie, au sens où l’entend Aristote, n’est donc pas le point d’où ils partent ; mais au contraire celui où ils s’arrêtent pour redescendre. — Au dehors, voir plus haut, § 3.
  1186. Tous les philosophes, il va rappeler dans le cours de ce § les principaux systèmes sur le mouvement. — La translation dans l’espace, circulaire ou directe. — Le premier des mouvements, au sens où plus haut l’on a pris cette expression ; ce n’est pas seulement le premier chronologiquement ; il l’est aussi en essence. — Aux seuls moteurs, j’ai ajouté le mot seuls, pour que la pensée fût plus claire. — Cette sorte de mouvement particulier, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. Ceci revient à dire que les philosophes n’ont en général reconnu qu’une seule espèce de mouvement, tandis qu’Aristote en admet trois.— L’Amour et la Discorde, c’est le système d’Empédocle. — Divise et ordonne, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le principe du mouvement que dans le vide, voir plus haut, Livre IV, ch. 8, § 4. — Comme dans le lieu, qui est supposé plein. — Aux éléments primitifs, le texte dit seulement : Aux primitifs. — Les autres mouvements, c’est-à-dire l’altération et l’accroissement. — Des corps indivisibles, des atomes, le texte n’a qu’un seul mot. — La production et la destruction des choses, qu’Aristote ne reconnaît pas pour de véritables mouvements. — Par la condensation et par la raréfaction, c’est Thalès et Héraclite. — De ces autres philosophes, c’est Platon. — Qui a une âme, ou qui est vivant. — Ou la locomotion, j’ai ajouté cette paraphrase.
  1187. . On ne dit réellement, après les systèmes des philosophes, voici l’appel au sens commun et au langage ordinaire. — S’accroître ou dépérir, ce passage semble indiquer qu’Aristote faisait assez bon marché des trois espèces de mouvements qu’il avait distinguées, et qu’il les réduisait à une seule. Dans toutes les théories générales sur le mouvement, il n’est plus question aujourd’hui que du mouvement dans l’espace. — D’une certaine façon, en expliquant ce mode spécial de mouvement. Voir la Préface.
  1188. On a démontré, ce résumé s’applique à tout ce qui a été dit jusqu’à présent, dans le cours de ce huitième livre.
  1189. Il nous reste maintenant à prouver, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. — Quelques principes antérieurs à celui-là, ces principes sont au nombre de quatre : Une force finie ne peut agir durant un temps infini ; une force infinie ne peut résider dans une grandeur finie ; une force finie ne peut résider dans une grandeur infinie ; le mouvement éternel uniforme ne peut venir que d’un moteur unique.
  1190. Une force finie puisse jamais…, le texte n’est pas tout à fuit aussi formel.
  1191. Il y a ici trois termes, il pourrait y en avoir quatre, en ajoutant le lieu où le mouvement se passe ; mais Aristote n’a pas besoin de considérer ce quatrième terme pour la démonstration qu’il poursuit.
  1192. Soit A le moteur, qu’on suppose fini. — Soit B le mobile, qu’on suppose également fini. — Et le temps infini C, infini d’après la supposition de l’adversaire ; mais Aristote va prouver que si le moteur et le mobile sont finis, le temps doit l’être comme eux. — Supposons que D, qui est une partie de A le moteur. — Égal à C, c’est-à-dire, infini. — Un mouvement plus grand, c’est-à-dire le mouvement total de A, dont D n’est qu’une partie. — Dans un temps plus long, c’est-à-dire le temps C tout entier. — J’épuiserai A, cette forme d’expression où Aristote parle à la première personne, mérite d’être remarquée, parce qu’il ne l’emploie pas fréquemment. Épuiser A signifie qu’en accroissant D, qui est une partie de A, ou finira par le rendre égal à A. Même raisonnement sur E, qui est une partie du mobile B. — Enlever toujours une portion égale au temps, une portion de temps correspondante à l’accroissement de D et de E. — Attendu qu’il est infini, dans l’hypothèse que combat Aristote. — Tout A, c’est-à-dire qu’en prenant le moteur dans sa force entière, et B le mobile dans toute sa résistance, le mouvement devra nécessairement avoir lieu dans un temps fini. — Donc, évidemment, le fini…, c’est le premier principe qu’il fallait prouver.
  1193. En second lieu, le texte n’est pas aussi précis. — Une grandeur finie, voilà le second principe. — Et voici ce qui le prouve, cette preuve sera développée dans les deux paragraphes qui suivent.
  1194. Soit, en effet, hypothèse préliminaire pour arriver à la démonstration : Une force qui s’accroit sans cesse met de moins en moins de temps pour produire le même effet ; le temps décroît dans la proportion même où la force ne cesse de s’accroître. — Échauffe, qu’elle adoucisse, qu’elle projette, ce sont différentes espèces de mouvements. — Ou que plus simplement elle meuve, cette expression générale est plus simple et plus claire à la fois que les précédentes. — Exerce son action… avec plus de force, c’est là un théorème évident.
  1195. La moindre parcelle de temps, c’est-à-dire que la force infinie doit agir dans un temps infiniment moindre ; en d’autres termes, dans un temps nul. — Soit, en effet, A, le temps, qui est infini puisque la force est infinie. — Ou a échauffé ou a poussé, ou en termes plus généraux, A produit un mouvement quelconque. — Soit aussi AB le temps, supposé fini, puisqu’il n’est qu’une partie du temps infini A. — Le mouvement dans le temps A, c’est-à-dire qu’on arrivera à la force infinie agissant dans un temps infini. — À dépasser tout fini quelconque, mais non pas à égaler l’infini. — Également à épuiser, voir plus haut, § 4.— Donc aucune grandeur finie, le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  1196. De même non plus, c’est le troisième principe qui n’est que l’inverse du second : Une grandeur infinie ne peut avoir une puissance finie. — Une puissance plus grande se trouve dans une grandeur moindre, mais il faut alors que cette grandeur soit d’une autre espèce. — Dans une grandeur plus grande, la grandeur restant de même espèce, plus elle s’accroît, plus sa force grandit avec elle. — BC a une certaine puissance, il faut admettre que la grandeur BC n’est qu’une partie de la grandeur infinie, représentée par AB. — Dans un certain temps, dans un temps, le texte n’a pas cette répétition. — Cette nouvelle force, j’ai ajouté ce mot nouvelle pour que la pensée fût plus claire. — De moins en moins du temps donné, c’est-à-dire que plus la force est grande, plus le temps diminue pour produire le même effet, — Donc la puissance sera infinie, la raison qui en est donnée ici ne paraît pas absolument démonstrative. — Selon la proportion inverse, c’est-à-dire que plus la force est grande, plus le temps est court. — Comme le sont le nombre et la grandeur, cette phrase peut paraître une glose plutôt qu’une partie du texte,
  1197. On peut encore démontrer ceci, cette seconde démonstration est très concise. — Une puissance de même espèce, c’est-à-dire infinie, mais qu’on supposera dans une grandeur finie. — De façon qu’elle puisse mesurer, tout ceci aurait besoin de développements pour être bien compris ; mais le texte ne les a pas donnés. Il est difficile d’y suppléer avec quelque certitude.
  1198. Tout ceci démontre donc, les démonstrations qui sont résumées dans ce §, s’appliquent au second et au troisième principes.
  1199. Quant aux corps qui ont un mouvement de translation, la démonstration du quatrième principe, celui de l’unité du moteur éternel, commence dans ce §, bien que rien dans le texte ne nous en avertisse. — En effet, c’est l’énoncé de la question que se pose ici Aristote sur les projectiles : « Comment se fait-il qu’un projectile puisse continuer son mouvement, quand le moteur qui l’a lancé, cesse de le toucher et de le mouvoir ? ». — Qui ne se meuvent point spontanément eux-mêmes, comme une pierre, par exemple, qui continue son mouvement après avoir été lancée, et dont on ne peut pas dire qu’elle se meut elle-même.
  1200. Si l’on répond, la réponse que suppose ici Aristote ne fait que reculer la difficulté, et ne la résout pas. — Qui, mu d’abord lui-même, par la main qui lance la pierre. — Transmet ensuite le mouvement, à la pierre, qui n’est plus alors chassée par la main, mais par l’air. — Toute la série, le texte est un peu moins précis. La série comprend ici la main qui est prise pour le moteur, l’air qui est mu par la main, et la pierre qui est aussi mue par l’air. — Que le moteur agisse comme l’aimant, le texte n’est pas tout à fait aussi formel. Pour désigner l’aimant, le texte dit simplement : « la pierre, » c’est-à-dire la pierre magnétique, qui donne au fer qu’elle touche la faculté de transmettre l’aimantation à d’autres fers.
  1201. Ou à l’air, ou à l’eau, selon que le projectile traverse un de ces deux milieux. — Pour donner le mouvement et le recevoir, peut-être aurait-il été mieux de dire : « Pour recevoir le mouvement et le donner. » — Ne cessent pas à la fois, c’est-à-dire que le premier mobile, après avoir été mu, devient moteur à son tour, alors que le premier moteur a déjà cessé d’agir. — Il meut quelque autre chose, par exemple dans l’hypothèse faite plus haut, l’air mu par la main meut la pierre ; et la main a cessé d’agir que l’air agit encore. — Qui est à la suite, la pierre étant en contact avec l’air et ne venant qu’après lui. — Pour cette seconde chose, et ainsi de suite, autant qu’on voudra supposer de termes à la série. — À ce qui suit, c’est-à-dire au second, au troisième, au quatrième corps, etc. — Devient moins capable, la force diminue au fur et à mesure qu’elle passe de corps en corps. — Que le corps meuve, il faut entendre qu’il s’agit du corps qui est placé le dernier dans la série. — Alors, j’ai ajouté ce mot pour que la pensée fût plus claire.
  1202. Qui peuvent être tantôt en mouvement et tantôt en repos, et qui par conséquent n’ont pas un mouvement éternel.
  1203. Il semble qu’il le soit, le mouvement est bien continu pour la pierre qui est lancée ou qui tombe ; mais le moteur n’est pas unique, et il y a autant de moteurs qu’il y a de mobiles dans la série tout entière. — Qui se suivent mutuellement, comme dans l’hypothèse précédente, l’air et la pierre.
  1204. Dans l’air également et dans l’eau, c’est-à-dire dans des milieux qui offrent peu de résistance ; voir plus haut, § 15. Du reste ce § 18 et le suivant semblent n’être que des gloses.
  1205. D’action ou de résistance réciproque, il n’y a qu’un seul mot dons le texte. L’expression qui est citée ici est employée par Platon dans le Timée.
  1206. Les questions que nous venons de poser, voir plus haut, § 13. — Tout peut à la fois être mu et mouvoir, dans la série de moteurs et de mobiles qu’on a supposée plus haut. — Ici, c’est-à-dire dans l’étude qu’on applique actuellement à la question du moteur unique et au mouvement continu du projectile.
  1207. Puisque dans les choses, c’est-à-dire dans tout ce qui est, dans l’univers. — Le mouvement d’une certaine grandeur, ceci semble en contradiction avec ce qui va être dit plus loin, § 20. — Ne peut recevoir le mouvement, mais il sera prouvé qu’une chose sans aucune grandeur peut et doit être la cause première du mouvement. — D’un seul mobile, le texte n’est pas aussi formel.
  1208. Ou il meut après avoir été mu lui-même, première alternative. — Ou il meut en étant immobile, seconde alternative. — Au mouvement produit par l’immobile, de telle sorte qu’on n’aura fait que reculer la difficulté d’un moteur à l’autre, et il faudra toujours finir par un moteur immobile.
  1209. Ce terme dernier, c’est-à-dire le moteur immobile, qu’on y arrive d’ailleurs par une série plus ou moins longue. — Ni fatigue à le produire, voir plus haut, § 15. — Ou du moins plus que tous les autres, cette restriction ne semble pas très juste ; car le mouvement continu donné par le moteur immobile est le seul vraiment uniforme ; les autres mouvements n’en ont que l’apparence, — Le mobile lui-même, doit être immuable comme le moteur ; car s’il changeait dans ses dimensions et dans sa résistance, l’action du moteur ne pourrait plus être la même, et par conséquent elle cesserait d’être uniforme.
  1210. Mais il faut nécessairement, ce §, qui semble interrompre la suite de la pensée, a été rejeté par quelques commentateurs après le § 26, de manière qu’il termine tout ce traité. Thémistius semble avoir été de cet avis. Je n’ai pas cru devoir me permettre cette transposition, que Pacius adopte dans son commentaire. — Ou dans le cercle, c’est-à-dire dans un des points de la circonférence. — Et tel est le mouvement de l’univers, le texte dit positivement : « Et tel est le mouvement du tout, » ce qui signifie peut-être : « Du corps entier. » La leçon que j’ai donnée me semble cependant préférable. — C’est à la circonférence, le texte est un peu moins positif et dit simplement : « C’est là » etc.
  1211. Un mobile, et non plus un moteur qui tire de soi tout le mouvement qu’il donne ; le mobile au contraire reçoit d’un autre le mouvement qu’il communique. — De ce genre, j’ai ajouté ces mots pour mieux distinguer le moteur mobile du moteur immobile. — Comme nous venons de l’expliquer, voir plus haut, §§ 13 et 14. — Le mouvement produit par l’immobile, c’est là toute l’explication de l’action de Dieu sur le monde d’après la théorie d’Aristote.
  1212. Plus haut, dans la Physique, voir plus haut, Livre III, ch. 7, §§ 9 et suivants. Il semblerait, par le titre qu’Aristote donne ici à son ouvrage, que les premiers livres seulement s’appelaient la Physique, et que les autres sans doute s’appelaient le Traité du mouvement. Mais il est possible que celle indication : Dans la Physique, signifie seulement : Dans nos considérations sur la nature. — Et ici nous venons de prouver, voir plus haut, §§ 5 et suivante. — Aucune espèce de grandeur, le texte n’est pas tout à fait aussi précis, Pour le complément de ces théories sur le premier moteur, c’est-à-dire sur Dieu, voir le douzième livre de la Métaphysique, édition de Berlin, page 1073, a, 5.