Pièces ajoutées au Second Livre des Sonnets pour Hélène (1587)
Vous ruisseaux, vous rochers, vous antres solitaires,
Vous chesnes, heritiers du silence des bois,
Entendez les souspirs de ma derniere vois,
Et de mon testament soyez presents notaires.
Soyez de mon mal-heur fideles secretaires,
Gravez le en vostre escorce, afin que tous les mois
Il croisse comme vous : ce pendant je m’en vois
Là bas privé de sens, de veines, et d’arteres.
Je meurs pour la rigueur d’une fiere beauté,
Qui vit sans foy, sans loy, amour ne loyauté,
Qui me succe le sang comme un Tygre sauvage.
Adieu forests adieu ! adieu le verd sejour
De vos arbres, heureux pour ne cognoistre Amour
Ny sa mere qui tourne en fureur le plus sage.
Est-ce tant que la Mort : est-ce si grand mal’heur
Que le vulgaire croit ? Comme l’heure premiere
Nous faict naistre sans peine, ainsi l’heure derniere
Qui acheve la trame, arrive sans douleur.
Mais tu ne seras plus ? Et puis : quand la paleur
Qui blesmit nostre corps sans chaleur ne lumiere
Nous perd le sentiment ! quand la main filandiere
Nous oste le desir perdans nostre chaleur !
Tu ne mangeras plus ? Je n’auray plus envie
De boire ne manger, c’est le corps qui sa vie
Par la viande allonge, et par refection :
L’esprit n’en a besoin. Venus qui nous appelle
Aux plaisirs te fuira ? Je n’auray soucy d’elle.
» Qui ne desire plus, n’a plus d’affection.