Pierrots

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Pierrots
Poésies complètesLéon Vanier, libraire-éditeur (p. 166-176).


PIERROTS


C’est, sur un cou qui, raide, émerge
D’une fraise empesée idem,
Une face imberbe au cold-cream,
Un air d’hydrocéphale asperge.

Les yeux sont noyés de l’opium
De l’indulgence universelle,
La bouche clownesque ensorcèle
Comme un singulier géranium.

Bouche qui va du trou sans bonde
Glacialement désopilé,
Au transcendantal en-allé
Du souris vain de la Joconde.

Campant leur cône enfariné
Sur le noir serre-tête en soie,

Ils font rire leur patte d’oie
Et froncent en trèfle leur nez.

Ils ont comme chaton de bague
Le scarabée égyptien,
À leur boutonnière fait bien
Le pissenlit des terrains vagues.

Ils vont, se sustentant d’azur,
Et parfois aussi de légumes,
De riz plus blanc que leur costume,
De mandarines et d’œufs durs.

Ils sont de la secte du Blême,
Ils n’ont rien à voir avec Dieu,
Et sifflent : « Tout est pour le mieux
« Dans la meilleur’ des mi-carême ! »

II

Le cœur blanc tatoué
De sentences lunaires,
Ils ont : « Faut mourir, frères ! »
Pour mot-d’ordre-Évohé.


Quand trépasse une vierge,
Ils suivent son convoi,
Tenant leur cou tout droit
Comme on porte un beau cierge.

Rôle très-fatigant,
D’autant qu’ils n’ont personne
Chez eux, qui les frictionne
D’un conjugal onguent.

Ces dandys de la Lune
S’imposent, en effet,
De chanter « s’il vous plaît ? »
De la blonde à la brune.

Car c’est des gens blasés ;
Et s’ils vous semblent dupes,
Çà et là, de la Jupe,
Lange à cicatriser,

Croyez qu’ils font la bête
Afin d’avoir des seins,
Pis-aller de coussins
À leurs savantes têtes.


Écarquillant le cou
Et feignant de comprendre
De travers, la voix tendre,
Mais les yeux si filous !

— D’ailleurs, de mœurs très fines,
Et toujours fort corrects,
(École des cromlechs
Et des tuyaux d’usines).

III

Comme ils vont molester, la nuit,
Au profond des parcs, les statues,
Mais n’offrant qu’aux moins dévêtues
Leur bras et tout ce qui s’ensuit,

En tête à tête avec la femme
Ils ont toujours l’air d’être un tiers,
Confondent demain avec hier,
Et demandent Rien avec âme !

Jurent « je t’aime ! » l’air là-bas,
D’une voix sans timbre, en extase,
Et concluent aux plus folles phrases
Par des : « Mon Dieu, n’insistons pas ? »


Jusqu’à ce qu’ivre, Elle s’oublie,
Prise d’on ne sait quel besoin
De lune ! dans leurs bras, fort loin
Des convenances établies.

IV

Maquillés d’abandon, les manches
En saule, ils leur font des serments,
Pour être vrais trop véhéments !
Puis tumultuent en gigues blanches,

Beuglant : Ange ! Tu m’as compris,
À la vie, à la mort ! — et songent :
Ah ! passer là-dessus l’éponge !…
Et c’est pas chez eux parti pris,

Hélas ! mais l’idée de la femme
Se prenant au sérieux encor
Dans ce siècle, voilà, les tord
D’un rire aux déchirantes gammes !

Ne leur jetez pas la pierre, ô
Vous qu’affecte une jarretière !
Allez, ne jetez pas la pierre
Aux blancs parias, aux purs pierrots !


V

Blancs enfants de chœur de la Lune,
Et lunologues éminents,
Leur Église ouvre à tout venant,
Claire d’ailleurs comme pas une.

Ils disent, d’un œil faisandé,
Les manches très sacerdotales,
Que ce bas monde de scandale
N’est qu’un des mille coups de dé

Du jeu que l’Idée et l’Amour,
Afin sans doute de connaître
Aussi leur propre raison d’être,
Ont jugé bon de mettre au jour.

Que nul d’ailleurs ne vaut le nôtre,
Qu’il faut pas le traiter d’hôtel
Garni vers un plus immortel,
Car nous sommes faits l’un pour l’autre ;

Qu’enfin, et rien de moins subtil,
Ces gratuites antinomies

Au fond ne nous regardant mie,
L’art de tout est l’Ainsi soit-il ;

Et que, chers frères, le beau rôle
Est de vivre de but en blanc
Et, dût-on se battre les flancs,
De hausser à tout les épaules.


PIERROTS


(On a des principes.)


Elle disait, de son air vain fondamental :
« Je t’aime pour toi seul ! » — Oh ! là, là, grêle histoire ;
Oui, comme l’art ! Du calme, ô salaire illusoire
Du capitaliste l’Idéal !

Elle faisait : « J’attends, me voici, je sais pas »…
Le regard pris de ces larges candeurs des lunes ;
— Oh ! là, là, ce n’est pas peut-être pour des prunes,
Qu’on a fait ses classes ici-bas ?

Mais voici qu’un beau soir, infortunée à point,
Elle meurt ! — Oh ! là, là ; bon, changement de thème !
On sait que tu dois ressusciter le troisième
Jour, sinon en personne, du moins


Dans l’odeur, les verdures, les eaux des beaux mois !
Et tu iras, levant encor bien plus de dupes
Vers le Zaïmph de la Joconde, vers la Jupe !
Il se pourra même que j’en sois.


PIERROTS


(Scène courte mais typique.)


Il me faut vos yeux ! Dès que je perds leur étoile,
Le mal des calmes plats s’engouffre dans ma voile,
Le frisson du Væ soli ! gargouille en mes moelles…

Vous auriez dû me voir après cette querelle !
J’errais dans l’agitation la plus cruelle,
Criant aux murs : Mon Dieu ! mon Dieu ! Que dira-t-elle ?

Mais aussi, vrai, vous me blessâtes aux antennes
De l’âme, avec les mensonges de votre traîne,
Et votre tas de complications mondaines.

Je voyais que vos yeux me lançaient sur des pistes,
Je songeais : oui, divins, ces yeux ! mais rien n’existe
Derrière ! Son âme est affaire d’oculiste.


Moi, je suis laminé d’esthétiques loyales !
Je hais les trémolos, les phrases nationales ;
Bref, le violet gros deuil est ma couleur locale.

Je ne suis point « ce gaillard-là ! » ni Le Superbe !
Mais mon âme, qu’un cri un peu cru exacerbe,
Est au fond distinguée et franche comme une herbe.

J’ai des nerfs encor sensibles au son des cloches,
Et je vais en plein air sans peur et sans reproche,
Sans jamais me sourire en un miroir de poche.

C’est vrai, j’ai bien roulé ! j’ai râlé dans des gîtes
Peu vous ; mais, n’en ai-je pas plus de mérite
À en avoir sauvé la foi en vos yeux ? dites…

— Allons, faisons la paix, venez, que je vous berce,
Enfant. Eh bien ?
Enfant. Eh bien ?— C’est que, votre pardon me verse
Un mélange (confus) d’impressions… diverses…

(Exit.)