Piquillo Alliaga/61

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Texte établi par Maresq et Cie, Libraires, Vialat et Cie, Éditeurs (p. 282-285).


LXI.

delascar d’albérique.

Jamais foule plus nombreuse n’avait encombré les appartements du ministre. Le duc était parvenu au plus haut point de fortune et de grandeur où puisse s’élever un sujet.

Le roi n’était plus rien dans l’État ; le ministre était roi ! Depuis les plus importantes fonctions jusqu’aux plus petits emplois, tout était dans sa main. Les titres, les honneurs, la faveur ou la disgrâce, tout dépendait de lui ; aussi ce n’était plus chez le roi, c’était chez le duc de Lerma que se tenait la cour. Les rangs des courtisans et des solliciteurs étaient serrés, et jamais, comme il le disait bien, Delascar d’Albérique n’eût pu se frayer un passage. Mais à la vue de frey Luis Alliaga, confesseur du roi, la foule s’ouvrit, les huissiers s’inclinèrent, et ils parvinrent jusqu’à la porte même du duc.

— Faut-il que j’entre avec vous, mon père ?

— Non… il y a quelques-unes de mes paroles qui ne doivent être entendues que de lui seul. La présence d’un tiers en empêcherait l’effet. Au sortir de l’audience, je te dirai ce qui se sera passé.

— Bien ; je vous attendrai à l’hôtel de Santarem.

Puis s’adressant à l’huissier, il lui dit :

— Annoncez à Son Excellence le seigneur don Albérique Delascar.

À ce nom, à ce titre surtout, qui rappelait l’ancienne protection de la reine, le ministre se leva surpris d’une visite aussi imprévue, visite qui, dans les circonstances actuelles, l’embarrassait beaucoup, et qu’il ne pouvait s’expliquer.

— Vous à Madrid, seigneur Albérique !

— J’arrive à l’instant même, Excellence.

Sachant que les instants d’un ministre sont comptés, surtout quand il reçoit malgré lui, d’Albérique se hâta d’arriver au fait.

— Je viens, monseigneur, au nom des Maures d’Espagne, vous parler…

— De leurs intérêts, dit le duc.

— Non, monseigneur, des vôtres.

Le duc le regarda d’un air étonné, et en même temps ne put s’empêcher d’admirer les beaux cheveux blancs et la tête noble et calme du vieillard. Celui-ci continua :

— Votre Excellence est accablée de tant d’occupations ou entourée de tant de gens qui ont intérêt à lui cacher la vérité, qu’il lui semblera peut-être nouveau et utile de la connaître ; je veux lui rendre ce service si elle veut bien me le permettre.

Déroulant alors une petite note qui ne contenait que des faits et des chiffres, il lui démontra que l’agriculture, l’industrie et tout le commerce du royaume étaient entre les mains des Maures ; que l’Espagne s’était affaiblie par la guerre et surtout par ses colonies d’Amérique, qui lui avaient enlevé le tiers de la population ; que les Maures, au contraire, ne suivaient point la carrière des armes et n’émigraient jamais ; qu’il n’y avait parmi eux ni moines ni monastères ; qu’aussi leur population doublait-elle tous les dix ans ; qu’elle s’élevait dans ce moment à plus de deux millions de fidèles sujets du roi d’Espagne, lesquels cultivaient les trois quarts des terres de l’Andalousie, des deux Castilles, des royaumes de Grenade, de Murcie et même de la Catalogne ; que les Maures avaient construit des routes, creusé des canaux, amélioré le lit des fleuves et uni toutes les villes d’Espagne par des relations commerciales ; que Valence, Malaga, Barcelone et Cadix, ports de mer par où s’écoulaient les riches produits de l’industrie musulmane, rapportaient au roi d’immenses impôts, auxquels il faudrait renoncer ; que les villes manufacturières allaient être dépeuplées, les campagnes les plus fertiles désertes et incultes ; et qu’enfin l’expulsion des Maures allait tarir toutes les sources de la prospérité nationale.

D’Albérique termina ce simple exposé par ces mots : Voilà ce que rapportait l’Espagne.

— Le duc le savait bien.

— Et voici ce qu’elle rapportera. Il lui remit alors une série de chiffres, que le duc parcourut d’un œil effrayé.

Jusque-là Sandoval et Ribeira ne lui avaient parlé que du triomphe de la foi, de la volonté du ciel, des bénédictions de la chrétienté. D’Albérique lui présentait la question sous une autre face, et il faut dire, à la honte du ministre, qu’il ne lui était jamais arrivé de l’envisager ainsi. Lui, si prodigue et si fastueux ; lui qui trouvait que les revenus d’Espagne suffisaient à peine à ses caprices, ne pouvait penser sans frémir que ces revenus allaient être diminués de plus d’un tiers. Il faut dire aussi, et d’Albérique le savait bien, que chez le duc l’amour des richesses égalait son ambition. Ce n’était pas qu’il fût avare, ses coffres étaient toujours vides ; il aimait l’or, non pour l’amasser, mais pour le jeter à pleines mains.

Il restait donc pensif et silencieux devant la perspective effrayante que d’Albérique avait eu l’habileté de mettre sous ses yeux. Celui-ci le laissa quelque temps livré à ses réflexions, puis il continua d’une voix calme :

— On assure que les conseillers de la couronne sont tous d’avis de signer l’édit de bannissement, mais Votre Excellence ne voudra pas que sous son administration, je dirai plus, sous son règne, on prenne une mesure qui doit à jamais ruiner le royaume ; vous ne voudrez pas que ce soit du duc de Lerma que date la décadence de l’Espagne !..

Le duc tressaillit, et d’Albérique, dont les yeux étaient fixés sur les siens, poursuivit avec chaleur :

— Au contraire, vous voudrez que, par vous, elle devienne plus florissante que jamais ; que par vous, elle augmente ses finances, ses armées et ses flottes ; et cela dépend d’un seul mot.

— Vous connaissez ce secret ? dit le duc en souriant.

— Je viens l’offrir à Votre Excellence, sans qu’il lui en coûte rien.

— Et que faut-il faire pour cela ? continua le ministre du même ton.

— Ne rien faire, monseigneur, absolument rien ! Laisser les choses comme elles sont.

Le duc rapprocha involontairement son fauteuil de celui de d’Albérique. Le vieillard ne perdant point de vue le ministre, dont les yeux restaient baissés, continua d’une voix calme et lente :

— Si l’on renonce à l’édit que l’on médite, les Maures, dont les premières familles et les principaux chefs m’ont chargé de venir trouver Votre Excellence, les Maures consentent à ce que l’on augmente d’un quart les impôts de toutes sortes qu’ils paient déjà.

Le duc leva la tête et redoubla d’attention.

— Comme on les accuse de n’être point sujets du roi, ils demandent à le servir et s’engagent à tenir toujours au complet douze régiments qui, sur tous les champs de bataille, verseront leur sang pour l’Espagne. Comme on les accuse d’entretenir des intelligences secrètes avec les puissances Barbaresques, ils promettent d’équiper une flotte qui protégera continuellement le commerce et les côtes du royaume. Comme on les accuse de haïr les catholiques et d’être leurs ennemis, ils offrent de racheter tous les chrétiens captifs en Barbarie[1].

Le duc étonné fit un mouvement pour parler.

— Attendez, dit d’Albérique, des vaisseaux et des soldats ne suffisent pas quand les coffres de l’État sont vides, et pour les remplir nous proposons d’y verser immédiatement douze millions de réaux[2].

— En vérité ! dit le duc, étourdi de tout ce qu’il entendait. Vous êtes donc bien riches ! vous autres Maures ?

— J’ai tant de confiance en Votre Excellence, répondit froidement d’Albérique, que je lui avouerai franchement la vérité. Nous pourrions réunir d’immenses capitaux ; et si nous les retirions de l’Espagne, pour les emporter avec nous en France, en Angleterre et en Hollande…

— J’entends ! j’entends ! dit vivement le duc ; des nations rivales ou ennemies qui s’enrichiraient de tous les trésors…

— Dont s’appauvrirait l’Espagne !.. dit d’Albérique en achevant sa phrase. Mesure tellement impolitique, qu’elle suffirait pour ternir à jamais le gouvernement le plus glorieux et le plus habile jusqu’alors.

— C’est vrai, se dit le duc en lui-même en se mordant les lèvres. Et il se leva avec agitation.

— Que Votre Excellence veuille bien attendre encore un instant, s’écria d’Albérique, je n’ai pas fini.

— Qu’est-ce donc ? dit le duc avec un vif sentiment de curiosité.

— Je n’ai parlé jusqu’ici qu’au nom de mes frères, poursuivit le vieillard ; mais moi, qui suis plus riche qu’eux tous, je n’entends point me laisser surpasser par eux. Je suis né sur le sol d’Espagne, je tiens à y mourir. À mon âge, monseigneur, on doit s’occuper de son tombeau, et je veux que le mien soit à ma guise, dût-il m’en coûter cher.

— Ce sera donc, dit le duc avec intérêt, un monument magnifique ?

— Une simple pierre, mais cette pierre sera placée à Valence au milieu de tous les miens, et portera cette seule inscription : Et ego in Hispania ! (Et moi aussi je suis resté en Espagne !) Je tiens tant à cette inscription que, pour laisser à mes héritiers le droit de la graver sur ma tombe (et cela dépend de vous, monseigneur), je n’hésiterais pas à acheter ce droit de mon vivant et à le payer, s’il le fallait, un million de réaux.

— Y pensez-vous ? dit le duc en se récriant ; une pareille somme !…

— Est trop faible, sans doute, répondit le vieillard en feignant de se méprendre sur l’étonnement du ministre, et vous avez raison, elle doit être digne de celui à qui j’ose l’offrir, digne surtout du puissant ministre qui va sauver l’Espagne, et Votre Excellence me permettra bien d’élever cette somme jusqu’à deux millions de réaux. La reconnaissance sera encore au-dessous du bienfait !

— Mais ce n’est pas possible ! seigneur Albérique, c’est de la folie !

— Que voulez-vous, répondit froidement le vieillard, j’ai des goûts sédentaires, et je tiens à ne pas me déplacer.

Ils étaient seuls, personne ne les entendait. D’Albérique, en réservant cet argument pour le dernier, savait bien ce qu’il faisait, il avait frappé juste. Les raisonnements qui avaient précédé celui-ci revenaient alors avec bien plus de puissance et de clarté à l’esprit du duc ; aussi, convaincu en lui-même, mais n’osant pas le paraître, il répétait avec embarras :

— Quoi !.. vraiment, seigneur Albérique, vous voulez…

— Supplier Votre Excellence de faire mon bonheur et celui de l’Espagne par-dessus le marché ; oui, monseigneur, vous n’enlevez point au roi de fidèles sujets, au royaume des bras qui le nourrissent.

— Certainement ! dit le duc en hésitant, je n’avais point encore étudié la question sous ce point de vue ; j’ai, grâce au ciel, l’habitude de saisir assez promptement les affaires, et aux premiers mots que vous m’avez dits de celle-ci, j’ai embrassé d’un coup d’œil ses inconvénients et ses avantages. Je vous déclare, avec la franchise d’un homme d’État, que, pour ma part, mes idées se sont complétement modifiées, et s’il ne tenait qu’à moi…

— Quels que soient nos adversaires et leurs insistances, il sera facile à Votre Excellence d’en triompher. Tout doit céder devant l’intérêt et le salut de l’État et si quelqu’un osait résister à une raison pareille, ce ne serait plus nous, ce serait lui qui serait un ennemi du roi et du pays ; ce serait celui-là qu’il faudrait condamner et bannir !

— C’est possible, mais ce sont des personnages si puissants et si haut placés.

— J’ai beau regarder, je ne les vois point, répondit d’Albérique.

— Vous ne les voyez point ! s’écria vivement le ministre.

— Celui à qui je parle m’empêche de les voir. Son élévation est telle qu’elle domine tous les autres ; sa volonté suffit pour emporter la balance, et si j’étais de lui…

— Que feriez-vous ?

— Je serais charmé d’être seul de mon avis, pour avoir seul la gloire de sauver et d’enrichir l’Espagne.

— C’est une idée, dit le duc, et j’y songerai. Mais, continua-t-il lentement et en pesant sur chaque parole, si je prenais sur moi une pareille responsabilité, et si je me décidais enfin…

Albérique tressaillit de joie.

— Qui me répondrait de l’exécution des promesses que vous venez de me faire, car je stipule ici pour l’État ; c’est à moi de veiller à ses intérêts, et je ne puis m’engager sans garantie.

— D’abord, répondit froidement le vieillard, les deux millions de réaux dont je parlais tout à l’heure à Votre Excellence lui seront remis comptant, dès demain, par une personne de confiance.

— Quelle personne ? dit le ministre avec inquiétude.

— Frey Luis d’Alliaga, confesseur du roi, seul admis dans cette confidence, et par qui seul je désire correspondre avec vous.

— Très-bien, répondit le duc.

Et il se dit, en lui-même, avec joie et confiance :

— Alliaga est mêlé dans cette affaire ! C’est étonnant ! toutes les chances heureuses qui m’arrivent depuis quelque temps me viennent de lui. Et après ? continua-t-il à voix haute, et en se retournant vers Albérique.

Celui-ci répondit :

— Les douze millions de réaux que nous devons verser dans les caisses de l’État, seront payés avant huit jours par moi, et sans que vous ayez besoin d’aucun autre percepteur. Je pars ce soir, je vais trouver mes frères ; je leur annonce les bienveillantes intentions de Votre Excellence ! Tous s’empresseront d’acquitter la dette contractée en leur nom, et dont je suis responsable.

— Ah ! c’est vous qui en répondez ? dit le ministre étonné.

— Oui, Excellence… chacun vous dira que je le puis.

— Quoi ! vos biens suffiraient ?..

— Et audelà, répondit froidement le vieillard ; j’ai soixante-dix ans, Monseigneur, et il y en a soixante que je travaille. Quant à la flotte et aux soldats que nous nous engageons à équiper, et pour l’exécution de toutes nos autres promesses, moi, mon fils Yézid et quatre de nos frères, les chefs de nos plus riches familles, nous viendrons nous remettre, comme otages, entre vos mains, prêts à payer de nos têtes le premier manque de foi ou la première révolte.

Il y avait dans la parole du vieillard, dans ses yeux, dans son attitude, tant de dignité, de courage et de véritable dévouement, que le duc, entrainé par un ascendant irrésistible, peut-être aussi par un sentiment d’amour national, par une lueur de patriotisme qu’il n’est pas impossible de rencontrer chez un homme d’État, le duc s’écria avec chaleur :

— Je vous crois ! je vous crois ! seigneur d’Albérique !

— Votre Excellence accepte mes propositions et celles de mes frères ?

— C’est convenu.

— Vous me le jurez, monseigneur !

— Je vous le jure !

Le vieillard serra la main du ministre et lui dit :

— Dieu vous a entendu, et bientôt l’Espagne va vous bénir !

Demain frey Alliaga sera chez Votre Excellence, et moi, dès ce soir, je pars.

Albérique courut à l’hôtel Santarem, où son fils l’attendait avec impatience. Il lui raconta dans les plus grands détails, et presque mot pour mot, la conversation qu’il venait d’avoir avec le duc de Lerma. Piquillo, qui ignorait les immenses ressources dont son père pouvait disposer, s’effraya d’abord des engagements que le généreux vieillard venait de prendre. Celui-ci lui prouva qu’il lui était facile de les acquitter ; qu’il venait, au prix d’une partie de ses trésors, d’acheter le repos, l’avenir de ses frères, et de leur donner à jamais une patrie. On ne pouvait payer trop cher de pareils résultats.

D’ailleurs le Maure était lui-même un financier trop habile, pour ne pas comprendre, ainsi que ses frères, que les nouveaux impôts dont ils offraient de se charger seraient chaque année couverts et au delà par l’extension immense qu’allaient prendre en Espagne l’industrie, le commerce et l’agriculture, dont ils avaient presque le monopole. Jamais spéculation n’avait été ni meilleure, ni plus noble. En échange de son adoption, ils forçaient leur nouvelle patrie à devenir riche, puissante et heureuse.

Aussi, certain désormais du succès de sa cause, Albérique partit le soir même, pour aller porter lui-même à Valence, à Murcie et à Grenade, ces heureuses nouvelles, tandis que Pedralvi allait parcourir par ses ordres les deux Castilles, l’Aragon et la Catalogne.

C’étaient les provinces habitées spécialement par les Maures, et d’Albérique connaissait si bien la population et les ressources de chaque ville, de chaque village, de chaque campagne, que la répartition faite par lui fut sur-le-champ adoptée. Dès les premiers jours chacun accourait avec empressement apporter sa part de l’impôt pour son rachat et celui de ses frères, et jamais contribution aussi énorme ne fut acquittée avec plus de facilité et plus de joie.

Albérique, avant son départ, avait remis à Alliaga les deux millions de réaux promis au duc de Lerma. Il les lui avait donnés en traites, non-seulement sur Barcelone et Cadix, mais sur Venise et Constantinople, sur Londres, Marseille et Amsterdam.

Muni de ces valeurs, Alliaga se rendit le lendemain chez le duc de Lerma.

Toutes les portes lui furent ouvertes, et le domestique de confiance le conduisit, non pas dans le cabinet, mais dans la chambre même du duc, en le priant de vouloir bien attendre.

Le ministre était en conférence secrète au palais du saint-office avec son frère Bernard de Sandoval.

— J’attendrai, dit Alliaga.

Il venait de s’asseoir, et se releva tout à coup à la vue d’un riche tableau placé en face de lui ; c’était le portrait d’un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans qui lui fit jeter un cri de surprise.

Ce portrait était celui d’un moine, et ce moine ressemblait exactement à Piquillo. Il détourna un instant les yeux de cette peinture et se rencontra encore face à face avec elle dans une grande glace de Venise, devant laquelle il se regardait.

Étonné d’un pareil hasard, il rappela le domestique au moment où celui-ci allait s’éloigner.

— Quel est ce portrait ? lui dit-il.

— Celui du fils de monseigneur.

— Comment, c’est là le duc d’Uzède ?

— Oui, mon révérend ; peint à vingt-cinq ans par le peintre du roi, Pantoja de la Cruz.

— Pourquoi est-il en moine ?

— Comment, mon révérend, vous ne savez pas cela ?

— Eh non ! puisque je vous le demande.

— C’est l’usage à Madrid et dans toute l’Espagne : chaque enfant de grande maison est, au moment de sa naissance, affilié à quelque confrérie. Le duc d’Uzède l’a été à celle des dominicains, et il s’était fait peindre sous leur costume pour faire plaisir à son oncle Sandoval, à qui ce portrait était destiné ; mais le duc de Lerma a voulu le garder chez lui, dans sa chambre à coucher.

— Je comprends alors, dit Alliaga, pourquoi le duc d’Uzède est habillé comme moi.

— C’est vrai, dit le domestique en levant les yeux sur Alliaga, c’est exactement le même costume…

Il poussa tout à coup un cri, s’arrêta et dit en tremblant :

— Ah ! mon Dieu ! et la même figure… On dirait que c’est le portrait qui marche… et qui parle. Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Rien, dit Alliaga en s’efforcant de sourire, un jeu du hasard… tous les moines se ressemblent… Laissez-moi.

Le valet se retira tout interdit, regardant plusieurs fois encore le moine et le portrait.

Cet incident avait jeté Alliaga dans un trouble inexprimable.

Cette ressemblance est donc bien réelle, se dit-il, je ne suis pas le seul qui l’ait rêvée, puisque ce valet l’a remarqué ainsi que moi.

Alors ses anciens doutes se réveillèrent dans sa pensée, et un affreux désespoir s’empara de lui. Les yeux fixés sur ce portrait, il se disait avec rage :

— Si je dois la vie à cet homme que je déteste, si ce sang odieux est le mien, il m’était donc permis d’aimer Aïxa. Je pouvais donc sans crime réclamer son amour !

En parlant ainsi, il laissa tomber sa tête sur sa poitrine où tant d’amour brûlait encore, où le feu couvait toujours caché sous la cendre ; il aperçut alors sa robe de moine, cet autre signe d’esclavage, cet obstacle éternel élevé entre lui et Aïxa, et il maudit de nouveau les auteurs de sa perte. En ce moment parut le duc de Lerma.

  1. Toutes ces propositions furent faites par les Maures. — Lettres manuscrites de Cottington en possession de lord Hardwick. — Et Mémoires du temps.
  2. Fonseca.