Piquillo Alliaga/69

La bibliothèque libre.
Texte établi par Maresq et Cie, Libraires, Vialat et Cie, Éditeurs (p. 315-318).


LXIX.

saint loyola et saint dominique.

Voici par quels moyens Escobar, après l’inutile tentative qu’il avait faite sur l’esprit de Piquillo, était parvenu à conclure une sorte de traité d’alliance entre sa compagnie et la sainte inquisition.

Pendant les dernières scènes que nous avons décrites, à la suite de son entrevue avec le jeune confesseur du roi, Escobar s’était d’abord tenu à l’écart, peu à peu il s’était éloigné du détachement de soldats qu’il avait rencontré en route, et descendait rapidement la montagne, pendant que les troupes du capitaine Diégo suivaient au contraire un mouvement ascensionnel.

Bientôt il les eut perdus de vue, à sa grande satisfaction.

Escobar plaçait trop haut l’esprit, l’adresse, la puissance du raisonnement et de l’argumentation pour estimer la force matérielle et brutale ; les questions qui se décidaient par l’épée lui semblaient indignes d’une nature intelligente, telle que la nôtre. Les animaux féroces ne savent qu’égorger ; l’homme seul sait tromper ! C’était là, selon lui, la preuve de sa supériorité morale et sa véritable mission.

Le révérend père arriva le soir même à Cuença, et s’informa du grand inquisiteur. Il n’était point à Valence, comme il le croyait, et le voyage qu’il avait à faire se trouvait abrégé. Sandoval s’était rendu au Val-Paraiso, dans l’habitation du Maure.

Les propositions que Delascar d’Albérique avait faites au ministre pour empêcher la publication de l’édit ; les régiments et la flotte qu’il avait promis d’entretenir ; les douze millions de réaux qu’il s’engageait à verser immédiatement dans les coffres de l’État et deux autres millions dans la caisse du duc de Lerma, tout cela annonçait des richesses immenses, qu’il fallait bien se garder de laisser sortir du royaume.

Le bruit courait que Delascar était parti avec ses trésors. Il n’en était rien.

Le vice-roi de Valence, le marquis de Cazarena, avait eu l’ordre de visiter soigneusement la tartane qui emportait la famille d’Albérique et n’avait rien trouvé.

Toute cette fortune était donc restée cachée dans quelqu’une des habitations du Maure. Les soupçons s’étaient dirigés tout naturellement sur le magnifique domaine de Val-Paraiso, demeure favorite du vieux négociant.

C’est dans cette idée que Sandoval s’y était transporté. Mais toutes ses recherches avaient été vaines.

Il avait bien trouvé une habitation royale, des tableaux des grands maîtres, des statues, des vases de bronze ou de marbre, des trésors comme objet d’art, mais de l’or ou de l’argent monnayé, il n’y en avait aucune trace.

D’Albérique et son fils connaissaient seuls le souterrain des rois maures, et la reine, fidèle à son serment, avait emporté avec elle ce secret dans la tombe. Ces trésors allaient donc être perdus.

Il en était à peu près de même dans toute l’Espagne.

Les Maures, avant de partir, avaient enfoui leurs richesses, aimant mieux, au risque de ne jamais les retrouver, les laisser au sein de la terre qu’aux mains de leurs persécuteurs.

Quelques-uns avaient trouvé moyen, par des banquiers juifs, de faire passer une partie de leur fortune en pays étranger. Les ambassadeurs de France et d’Angleterre avaient eux-mêmes reçu une masse énorme d’argent et de lettres de change, et malgré les menaces du duc de Lerma, qui parlait de saisir leurs malles, les priviléges et le droit d’ambassade furent respectés[1].

L’expulsion des Maures n’avait donc pas produit, sous le rapport financier, les résultats qu’on en avait espérés. Il n’y avait de positif et de réel jusqu’alors que l’odieux d’une pareille mesure et la réprobation universelle qu’elle avait causée.

Le grand inquisiteur, désappointé et furieux, venait en outre de recevoir de terribles nouvelles. Le cri général qui s’élevait contre lui et contre le duc de Lerma, au sujet de l’empoisonnement de la reine, prenait chaque jour de nouvelles forces ; au bruit de pareilles clameurs, il n’y avait pas moyen de fermer plus longtemps l’oreille. D’ailleurs, les lettres qu’il recevait de toutes parts, et de la cour de Rome et du duc de Lerma lui-même, ne lui permettaient plus d’ignorer le crime dont la voix publique les accusait tous deux. On leur disait, on leur écrivait :

— Justifiez-vous. Prouvez votre innocence.

Mais comment se justifier ?.. Comment donner des preuves authentiques et évidentes ? Où les trouver ? À qui les demander ? Le grand inquisiteur et le ministre ne savaient quel parti prendre, et cependant ils comprenaient tous les deux la nécessité d’une grande manifestation et d’un appel à la nation espagnole ; sans cela ils étaient perdus, et malgré le roi, qu’ils tenaient en tutelle, malgré leur autorité toujours croissante, l’opinion publique, plus puissante qu’eux encore, finirait par les renverser.

Le grand inquisiteur était dans cette disposition d’esprit et en proie à toutes ces inquiétudes, lorsqu’il reçut au Val-Paraiso un billet ainsi conçu :

« Si Votre Excellence veut connaitre un secret qui intéresse au plus haut point la sureté de l’État, celle du grand inquisiteur et celle du cardinal-duc, elle est suppliée de vouloir bien accorder quelques instants d’audience à l’ami dévoué qui a tracé ce billet, et qui attend avec impatience la réponse. »

— Un ami dévoué ! s’écria Sandoval ; qu’il entre ! qu’il entre !

La porte du cabinet s’ouvrit, et le grand inquisiteur vit paraitre devant lui le prieur de la Compagnie de Jésus.

— Vous ici, frère Escobar, vous !

— Moi-même, monseigneur.

— Ce billet n’est donc pas de votre main ? dit Sandoval avec ironie, car il me parlait d’un ami dévoué.

— C’est comme tel que je viens.

— Ou plutôt comme suppliant, car je sais ce qui vous amène mais il n’est plus temps.

Sandoval, prenant alors un parchemin jeté sur sa table au milieu de beaucoup d’autres papiers, ajouta en souriant, autant qu’un inquisiteur peut sourire :

— Vous voyez que je m’occupais de vous, seigneur Escobar, et je ne suis pas le seul. Il a été question dernièrement au conseil du roi des révérends pères de la Compagnie de Jésus.

— Je le sais, monseigneur.

— Notre bien-aimé neveu, le duc d’Uzède, a été chargé de faire un rapport sur votre congrégation, sur sa morale et sur ses principes ; ce rapport est fait et très-bien fait.

— Monseigneur le duc d’Uzède a tant d’esprit !

— Il n’en manque pas.

— Il a de qui tenir.

— Ce rapport est clair, précis, véridique, en un mot foudroyant pour vous. Il conclut à l’expulsion immédiate de votre ordre en vous permettant de vous retirer où vous le jugerez convenable.

— Monseigneur le duc d’Uzède est bien bon.

— Ces conclusions ont été adoptées par le duc de Lerma, qui m’a envoyé ce rapport signé de lui ; il va l’être par moi et envoyé à Sa Majesté, dont le consentement et la signature sont probables.

— C’est-à-dire certains ! le roi signera sans lire !

— C’est assez son ordinaire, et dans quelques minutes, continua Sandoval (en préparant un cachet et de la cire devant une bougie qui brûlait tout allumée sur son bureau de travail), dans quelques minutes cette dépêche sera partie.

— Non, monseigneur, dit froidement Escobar, elle ne partira pas.

Le grand inquisiteur le regarda d’un air étonné, comme doutant de ce qu’il venait d’entendre. Puis il s’écria en fronçant le sourcil :

— Qu’est-ce à dire, seigneur Escobar ?

— Que Votre Excellence est comme le duc d’Uzède son neveu ; elle a trop d’esprit pour renvoyer du royaume des gens qui peuvent seuls, dans ce moment, sauver son honneur et celui du duc de Lerma, prouver votre innocence à tous deux et affermir à jamais votre pouvoir.

— Parlez, s’écria vivement Sandoval, dont les yeux : brillaient de joie, parlez, mon père.

— Cela m’est impossible tant que j’aurai là devant les yeux cet objet qui me trouble et me fait perdre la suite de mes idées.

Il montrait du doigt le parchemin.

— Je comprends bien, dit l’inquisiteur d’un air défiant ; mais il me faut avant tout des preuves authentiques, des preuves que je puisse publier, imprimer et répandre dans toute l’Espagne.

— C’est ainsi que je l’entends : la preuve évidente que ni vous ni le duc de Lerma n’êtes auteur ni complice de l’empoisonnement de la reine.

— C’est la vérité, je l’atteste.

— Je le sais, monseigneur.

— Mais comment le prouverez-vous ?

— D’un seul mot.

— Et lequel ?

— En nommant les vrais coupables ; en racontant, en attestant, en signant, s’il le faut, la relation exacte et véridique des faits, tels qu’ils se sont passés dans les plus petits détails et dans leur moindre circonstance.

— Je vous écoute. Parlez mon père.

— Je vous ai dit, monseigneur, ce qui jetait du trouble et de l’obscurité dans mes idées.

Le grand inquisiteur prit le rapport et l’approcha de la bougie. Le feu y prit, et pendant que la flamme le consumait :

— Je commence à y voir plus clair, dit Escobar d’une voix pateline ; cela dissipe déjà bien des nuages entre nous, non pas qu’on ne puisse aisément faire au roi un second rapport.

— Oui, certes, répéta froidement Sandoval, et sans beaucoup de peine.

— Cette peine, répondit Escobar d’un air affectueux, j’ai voulu même vous l’éviter.

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— Que ce second rapport je l’ai fait moi-même et le voici :

Il présenta au grand inquisiteur un papier ployé en quatre, que celui-ci ouvrit et parcourut avec impatience.

C’était bien réellement un rapport au roi, dans lequel les vertus, les talents et la piété de la Compagnie de Jésus étaient exaltés outre mesure. On y parlait surtout, avec éloge, des services que, dans l’université d’Alcala, elle rendait à la jeunesse.

On y démontrait enfin l’utilité, la nécessité même de l’existence des bons pères, et la sainte inquisition elle-même concluait à leur maintien, ad æternum, dans le royaume d’Espagne.

— J’entends, j’entends, dit Sandoval avec un mouvement d’humeur. Puis, se reprenant, il ajouta d’un air fort gracieux : Il est possible que je ne repousse pas, que même j’approuve… et que je signe ce rapport ; mais ce n’est pas dans ce moment, c’est plus tard, c’est quand j’aurai apprécié l’importance des faits que vous avez à m’apprendre ; car, jusqu’à présent, je ne puis avoir confiance en vous qu’à moitié.

— Soit, monseigneur, je ne puis mieux faire que d’imiter Votre Excellence, et je ne vous découvrirai alors que la moitié de mon secret.

— Pourquoi pas tout entier ?

— Cela dépendra de vous… Je puis d’abord vous raconter les faits, plus tard vous dire les noms et enfin vous donner les preuves.

L’inquisiteur frémissant d’impatience et de curiosité, fit signe à frère Escobar de s’asseoir, s’approcha de lui et écouta d’une oreille attentive le récit du bon père.

— Votre Excellence se rappelle-t-elle le jour où mourut l’aumônier de la reine ?

— Qu’importe ?

— C’est bien essentiel, je vais vous dire pourquoi.

Le lendemain, qui était un dimanche, la reine n’entendit point la messe dans son oratoire ; elle se rendit à la chapelle du roi, et c’est ce jour-là que le crime fut commis. Voici comment :

L’inquisiteur rapprocha encore plus son fauteuil, et quoique les deux moines fussent seuls dans le cabinet, Escobar, par un mouvement involontaire continua à voix basse :

— La reine, en sortant de la messe, traversa les jardins pour se rendre à ses appartements ; elle était entourée d’une suite nombreuse, et le duc de Lerma marchait à côté d’elle. On était au milieu du jour et il faisait une chaleur insupportable. Sa Majesté se plaignit d’une soif ardente, et le duc de Lerma, en courtisan empressé, ou plutôt en galant cavalier, s’élança dans les appartements de la reine, qui étaient proches et qui donnaient sur les jardins.

Il entra dans une salle basse sommeillait une jeune fille, une dame d’honneur de la reine. À côté d’elle, sur une table de marbre était placé dans une assiette d’argent un verre d’orangeade glacée.

Cette circonstance, en apparence peu importante, demande quelques explications préliminaires, essentielles et très-importantes.

Le grand inquisiteur redoubla d’attention.

— Cette jeune demoiselle d’honneur, que je ne nommerai pas à Votre Excellence, mais qu’elle devinera sans peine, déplaisait à quelques personnes influentes de la cour, par la raison toute naturelle qu’elle plaisait trop à un très-grand personnage. Comme elle gênait par là des desseins ambitieux ou autres, on avait résolu de s’en défaire et l’on venait de mettre cette idée à exécution.

Qui, monseigneur, poursuivit Escobar, quelques instants auparavant une main adroite et inconnue de tous, excepté de moi, venait de jeter quelques gouttes de poison dans un verre d’orangeade glacée placé près de la jeune fille endormie.

On ne doutait point qu’elle ne le bût à son réveil. C’était probable, c’était certain. Le hasard en décida autrement et déjoua toutes les combinaisons.

La jeune fille, réveillée en sursaut par l’entrée du duc de Lerma, s’écria vivement :

— Qu’est-ce, monseigneur ? que voulez-vous ?

— Daignez, senora, appeler les femmes de la reine. Sa Majesté est accablée par la chaleur et meurt de soif… Hâtez-vous !

— Eh mais, voici une orangeade glacée préparée pour moi… je vais l’offrir à Sa Majesté.

— Non, non, senora, ne prenez pas cette peine. Le duc, dans l’excès de son zèle, prit des mains de la jeune fille le verre et le plateau, et le porta à la reine, qui s’avançait.

Il présenta ainsi lui-même à sa souveraine le breuvage fatal, le poison lent qui, plus tard, lui donna la mort. De là tous les bruits qui ont couru sur le ministre et sur vous-même, monseigneur ; de là l’horrible accusation qui pèse sur vos têtes.

— Je comprends, je comprends, dit l’inquisiteur, tout pâle encore de ce qu’il venait d’entendre.

— Et maintenant, acheva Escobar d’un air de bonhomie, Votre Excellence sait tout.

— Au contraire ! je ne sais rien encore, et tant que vous ne m’aurez pas dit le nom des auteurs de ce complot…

— Je croyais vous les avoir fait connaitre.

— Et non ! par saint Jacques !

— Ce sera alors quand Votre Excellence le voudra… elle n’a qu’un signe, un geste à faire.

Et de l’œil, l’adroit Escobar indiquait le rapport au roi qu’il était nécessaire de signer.

L’inquisiteur comprit et prit la plume ; il la trempa dans l’écritoire, et pendant qu’il écrivait les premières lettres de son nom, le bon père lui disait à voix basse et lentement :

— La personne qui avait jeté le poison dans le verre d’Aïxa était la comtesse d’Altamira. La personne qui avait tramé ce complot, de concert avec elle, était votre neveu, le duc d’Uzède !

L’inquisiteur poussa un cri de surprise et d’effroi, et laissa tomber de sa main tremblante la plume qui n’avait pas encore tout à fait achevé de tracer ces mots :

« Au nom du saint-office, nous, grand inquisiteur Bernard y Royas de Sandoval… »

— Ah ! se dit Escobar à part lui, j’ai parlé trop tôt.

— Mon propre neveu ! s’écria Sandoval ; le fils du ministre, le duc d’Uzède !

— Lui-même.

— Et comment le savez-vous ?

— Comment je le sais ? reprit le bon père en prenant lui-même le sceau du saint-office, qui était placé sur la table, et en le mettant sous la main de Sandoval ; comment je le sais ! Le révérend père Jérôme et moi le tenons des coupables eux-mêmes. C’est nous qui dirigeons leur conscience.

— Et ils vous ont avoué tous ces détails ?

— À nous-mêmes, répondit Escobar en cherchant Un morceau de cire verte qu’il avait aperçu sur le bureau et qu’il plaçait également à la portée de Sandoval ; c’est à nous qu’ils se sont adressés dans leur effroi pour réclamer nos conseils.

— Et qui prouvera aux autres comme à moi la vérité de ces faits ? qui en prendra sur lui la responsabilité ?

— Le père Jérôme, qui pense à tout, avait bien prévu cette judicieuse observation de Votre Excellence, car j’ai là sur moi le récit, que je viens de vous faire, écrit en entier de sa main ; je suis également prêt à l’attester et à le signer.

— En vérité ! s’écria l’inquisiteur avec joie.

— À l’instant même et sur ce bureau… mais pardon, j’empêche Votre Excellence de mettre la cire et d’apposer le sceau du saint-office à ce papier qu’elle vient de signer. Faites, monseigneur, ajouta-t-il en se reculant d’un pas, d’un air humble et doucereux, que je ne vous dérange point. Rien ne presse, j’écrirai après vous.

Le grand inquisiteur tendit alors le parchemin signé, scellé et en bonne forme à Escobar, qui, à son tour, se hâta de parapher son nom à côté de celui du père Jérôme, au bas de la terrible déclaration qui justifiait pleinement le duc de Lerma et son frère l’inquisiteur, mais qui perdait, sans rémission, le duc d’Uzède et la comtesse d’Altamira.

— Personne, excepté moi, n’a connaissance de ces faits ?

— Non, Excellence.

— Je suis le premier à qui vous en ayez parlé ?

— Je voulais, n’ayant pu pénétrer jusqu’au duc de Lerma et craignant de ne pas être admis devant vous, je voulais d’abord confier ce secret à un des vôtres, à votre âme damnée, à celui qui vous doit tout.

— Qui donc ?

— Frey Alliaga, confesseur du roi.

— Malheureux ! qu’alliez-vous faire ?

— Ce qui m’en a empêché, c’est qu’il m’a déclaré qu’il vous détestait, vous et le duc de Lerma et qu’il avait juré de vous renverser.

— Il vous a dit cela ?

— Je n’en ai pas cru un mot… mais c’est égal…

— Il vous a dit vrai.

— Ce n’est pas possible.

— Il vous a dit la vérité, l’exacte vérité.

— Alors il m’a bien trompé ! s’écria Escobar avec naïveté et pourtant d’un air un peu humilié. C’est un homme bien dangereux et bien adroit.

— À qui le dites-vous ! On ne peut jamais connaître au juste les desseins qu’il médite ou les motifs qui le font agir.

— Le moyen, en effet, de savoir sur quoi compter, s’il pousse la dissimulation jusqu’à dire parfois ce qu’il pense !

— Il s’était d’abord et de lui-même montré tout dévoué à nos intérêts, poursuivit le grand inquisiteur, il nous a même rendu d’immenses services, l’ingrat ! et maintenant il a juré notre perte.

— La nôtre aussi, répondit Escobar en levant les yeux au ciel avec une sainte indignation.

— C’est notre ennemi commun, ennemi d’autant plus redoutable que c’est nous qui l’avons placé auprès du roi.

— La main qui l’a élevé ne peut-elle pas le renverser ?

— Nous y tâcherons du moins, dit Sandoval avec un soupir.

— Et si nous pouvons vous y aider, répondit Escobar, comptez sur notre zèle et sur notre loyauté.

— J’y compte, mon père.

— Et vous faites bien, Excellence, car nous lui portons une haine implacable et vivace.

— Tels sont aussi nos sentiments.

— Qu’ils nous réunissent alors en une sainte ligue contre l’ennemi commun.

— C’est notre intérêt et le ciel qui le veulent.

— La volonté de Dieu soit faite !

Saint Dominique et Loyola se touchèrent dans la main, et la ruine de Piquillo fut jurée.

  1. Lettres du chevalier Cottington au premier lord de la trésorerie.