Plainte du marquis de Sade

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Acte de protestation

Moi Louis Aldonze Donatien comte de Sade, maître de camp de cavalerie, et lieutenant general des provinces de Bresse, Bugei, Gex et Valromei ; prenant a temoin, Dieu, la justice, et les hommes, des execrables vexations, menaces, injures, mauvais traitemens, et vols commis envers ma personne et mes possessions la nuit du trois au quatre juillet 1789. Par une troupe de bandits insolens, introduite dans la chambre que j’occupais a la bastille, et qui sans exhiber dordre, s’y est dite executrice du despotisme ministeriel si generalement en honneur a toute la france, et qui sous ce pretexte illusoire dangereux, et criminel, s’est permis de me transferer dans une maison de fous, parmi lesquels j’ai été ignominieusement méle sans aucune différence de traitement, bien que ma raison grace au ciel n’ait jamais souffert d’altération. Et dans une telle position de gene et de rigueur qu’il m’est, dans cet état absolument devenu impossible de dormir, de manger et de prendre l’air, – je, soussigné déclare – qu’obligé de ceder a la force, je profite des premiers moments que j’ai a moi, pour protester contre cette demarche tirranique, injuste, deplacée, barbare, et outrageant visiblement les constitutions de la monarchie françoise et que je jure que le premier usage que je ferai de ma liberté, sera de dénoncer, soit a la nation si elle est encor assemblee, soit aux tribunaux de justice l’infame violence dont on me rend la victime de laquelle les motifs seront dévoilés par moi, ainsi que les auteurs, contre lesquels je réclamerai sans doute la punition due à de pareils attentats a des abus aussi criants, a des injustices enfin d’une telle force, que les annalles les plus scandaleuses du despotisme oriental n’en offrirait aucun exemple. Fait dans une loge de fous, entourés de fous, a charenton ce 9 juillet 1789. Le Cte de Sade

envoyé a Monsieur le commissaire Chenot le meme jour pour etre gardé pour lui, jusque l’usage qui lui sera indiqué par moi.