Poème de l’amour/34

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XXXIV


Le temps n’a pas toujours une égale valeur,
              Tu cours et je suis immobile,
Je t’attends ; cela met quelque chose en mon cœur
              De frénétique et de débile !

J’entame avec l’instant un infime combat
              Que départage le silence.
L’heure, qui tout d’abord semblait me parler bas,
              Frappe soudain à coups de lance.

Elle semble savoir, et garder son secret,
              Le destin se confie à elle ;
On ne pénètre pas dans cette ample forêt
              Où rien n’est promis ni fidèle !


— Puisque la passion, en son sauvage trot,
              Gaspille sa richesse amère,
Révérons ces instants de la vie éphémère
              Dont chacun nous semblait de trop ! —

Attendre : épuisement sanglant de l’espérance,
              Tentative vers le hasard,
Hâte qui se prolonge, indécise souffrance
              De savoir s’il est tôt ou tard !

Impatience juste, exigeante et soumise,
              À qui manque, pour bien lutter,
Le pouvoir défendu de refaire à sa guise
              L’univers puissant et buté !

— Certes, mon cœur ne veut te faire aucun reproche
              Des minutes que tu perdais ;
Tu me savais vivante, active, sûre et proche,
              Moi, cependant, je t’attendais !

Sans doute la démente et subite tristesse
              Qui se mêle aux jeux éperdus
Est le profond sanglot refoulé que nous laisse
              La douleur d’avoir attendu !…