Poème de la prison/La Despartie d’amours en ballades

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Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 101-112).


LA DESPARTIE D’AMOURS

En ballades.

BALLADE I.

     Quant vint à la prochaine feste
Qu’Amours tenoit son Parlement,
Je lui presentay ma requeste
Laquelle leut tresdoulcement.
Et puis me dist : « Je suy dolent
Du mal qui vous est avenu,
Mais il n’a nul recouvrement,
Quant la Mort a son cop feru.
      Eslongnez hors de vostre teste
Vostre douloreux pensement,
Monstrez vous homme non pas beste,
Faittes que, sans empeschement,
Ait en vous le gouvernement
Raison, qui souvent a pourveu
En maint meschief tressagement,
Quant la Mort a son cop feru.
      Reprenez nouvelle conqueste,
Je vous aideray tellement
Que vous trouverés Dame preste
De vous amer tresloyaument,
Qui de biens aura largement ;
D’elle serez amy tenu :
Je n’y voy autre amendement,
Quant la Mort a son cop feru. »

BALLADE II.

     « Helas ! sire, pardonnez moy,
Se dis je, car, toute ma vie,
Je vous asseure par ma foy,
Jamais n’auray Dame, n’amie ;
Plaisance s’est de moy partie
Qui m’a de Liesse forclos,
N’en parlez plus, je vous supplie,
Je suis bien loings de ce pourpos.
      Quant ces parolles de vous oy,
Vous m’essaiés, (ne faittes mye ;)
À vous dire vray, je le croy ;
Ou ce n’est dit qu’en moquerie.
Ce me seroit trop grant folie,
Quant demourer puis en repos,
De reprandre merencolie,
Je suis bien loings de ce pourpos.
      Acquittié me sui, comme doy,
Vers vous et vostre seigneurie.
Desormais me vueil tenir coy.
Pource, de vostre courtoisie.
Accordez moy, je vous en prie,
Ma requeste ; car à briefs mos,
De plus amer, quoy que nul dye,
Je suis bien loings de ce pourpos. »


BALLADE III.

     Amour congnu bien que j’estoye
En ce pourpos, sans changement,
Pource respondy : « Je vouldroye
Que voulsissiez faire autrement,

Et me servir plus longuement,
Mais je voy bien que ne voulés,
Si vous accorde franchement
La requeste que faitte avés.
     Escondire ne vous pourroye,
Car servy m’avez loyaument,
N’onques ne vous trouvay en voye,
N’en voulenté aucunement
De rompre le loyal serment
Que me feiste, comme savés ;
Ainsi le compte largement
La requeste que faitte avés.
     Et afin que tout chacun voye
Que de vous je suis trescontent,
Une quittance vous octroye,
Passée par mon Parlement,
Qui relaissera plainement
L’ommage que vous me devés,
Comme contient ouvertement
La requeste que faitte avés »


BALLADE IV.

     Tantost Amour, en grant array,
Fist assembler son Parlement.
En plain conseil mon fait contay,
Por congié et commandement ;
Là fust passée plainement
La quittance que demandoye,
Baillée me fut franchement,
Pour en faire ce que vouldroye.
     Oultre plus, mon cueur demanday
Qu’Amour avoit eu longuement,
Car en gage le lui baillay,

Quant je me mis premièrement
En son service ligement ;
Il me dist que je le rauroye,
Sans refuser aucunement,
Pour en laire ce que vouldroye,
     À deux genoilz m’agenoillay,
Merciant Amour humblement
Qui tira mon cueur, sans delay,
Hors d’un escrin privéement.
Le me baillant courtoisement,
Lyé en un noir drap de soye ;
En mon sain le mist doulcement.
Pour en faire ce que vouldroye.


COPIE DE LA QUITTANCE DESSUS DITTE.

     Sachent presens et avenir,
Que nous, Amours, par Franc Desir
Conseilliez, sans nulle contrainte,
Après qu’avons oy la plainte
De Charles, le duc d’Orlians,
Qui a esté, par plusieurs ans,
Nostre vray loyal serviteur
Rebaillié lui avons son cueur
Qu’il nous bailla, pieçà, en gage.
Et le serment, foy et hommage,
Qu’il nous devoit quittié avons
Et par ces presentes quittons.
Oultre plus, faisons assavoir.
Et certiffions, pour tout voir,
Pour estoupper aux mesdisans
La bouche, qui trop sont nuisans,
Qu’il ne part de nostre service

Par deffaulte, forfait ou vice.
Mais seulement la cause est telle :
Vray est que la Mort trop cruelle
À tort lui est venu oster
Celle que tant souloit amer,
Qui estoit sa Dame et maistresse,
S’amie, son bien, sa léesse ;
Et pour sa loyaulté garder,
Il veult désormais ressembler
À la loyalle turterelle
Qui seule se tient, apar elle,
Après qu’elle a perdu son per.
Si lui avons voulu donner
Congié du tout de soy retraire
Hors de nostre court, sans forfaire.
Fait par bon conseil et advis
De nos subgiez et vrais amis,
En nostre present Parlement
Que nous tenons nouvellement ;
En tesmoing de ce avons mis
Nostre scel, plaqué et assis,
En ceste présente quittance,
Escripte par nostre ordonnance,
Presens mains notables recors,
Le jour de la Feste des Mors,
L’an mil quatre cent trente et sept,
Ou chastel de Plaisant Recept.


BALLADE V.

     Quant j’euz mon cueur et ma quittance,
Ma voulenté fut assouvie.
Et non pour tant, pour l’acointance
Qu’avoye de la seigneurie

D’Amour et de sa compaignie,
Quant vins à congié demander,
Trop mal me list la departie
Et ne cessoye de pleurer
     Amour vit bien ma contenance,
Si me dist : « Amy, je vous prie.
S’il est riens dessoubz ma puissance
Que vueilliez, ne l’espargniez mie. »
Tant plain fu de merencolie.
Que je ne peuz à lui parler
Une parolle ne demye,
Et ne cessoye de pleurer.
     Ainsi party en desplaisance
D’Amour, faisant chiere marrie.
Et comme tout ravy en trance,
Prins congié, sans que plus mot dye.
À Confort dist qu’il me conduye.
Car je ne m’en savoye aler,
J’avoye la veue esbluye
Et ne cessoye de plourer.


BALLADE VI.

     Confort, me prenant par la main.
Hors de la porte me convoye ;
Car Amour, le Roy souverain.
Lui chargea moy monstrer la voye
Pour aler où je desiroye ;
C’estoit vers l’ancien manoir
Où en enffance demouroye,
Que l’en appelle Nonchaloir.
     À Confort dis : « Jusqu’à demain
Ne me laissiez, car je pourroye
Me forvoier, pour tout certain,

Par desplaisir, vers la saussoye
Où est Vieillesse rabat joye ;
Se nous travaillons fort ce soir,
Tost serons au lieu que vouldroye,
Que l’en appelle Nonchaloir. »
     Tant cheminasmes qu’au derrain
Veismes la place que queroye ;
Quant de la porte fu prouchain,
Le portier qu’assez congnoissoye,
Si tost comme je l’appelloye,
Nous receut, disant que pour voir
Ou dit lieu bien venu estoye,
Que l’en appelle Nonchaloir.


BALLADE VII.

     Le gouverneur de la maison
Qui Passe Temps se fait nommer,
Me dist : « Amy, ceste saison
Vous plaist il céans séjourner ? »
Je respondy qu’à brief parler,
Se lui plaisoit ma compaignie,
Content estoye de passer
Avecques lui toute ma vie.
     Et lui racontay l’achoison
Qui me fist Amour delaissier ;
Il me dist qu’avoye raison,
Quant eut veu ma quittance au cler,
Que je lui baillay à garder ;
Aussi de ce me remercie
Que je vouloie demourer
Avecques lui toute ma vie.
     Le lendemain lettres foison
À Confort baiilay à porter

D’umble recommandacion,
Et le renvoyay sans tarder
Vers Amour, pour lui raconter
Que Passe Temps, à chiere lye,
M’avoit receu pour reposer
Avecques lui toute ma vie.


A tresnoble, hault et puissant seigneur
Amour, Prince de mondaine doulceur.

     Tresexcellent, treshault et noble prince,
Trespuissant Roy en chascune province,
Si humblement que se peut serviteur
Recommander à son maistre et seigneur,
Me recommande à vous, tant que je puis,
Et vous plaise savoir que tousjours suis
Tresdesirant oïr souvent nouvel es
De vostre estat, que Dieu doint estre telles
Et si bonnes comme je le désire,
Plus que ne sçay raconter ou escrire ;
Dont vous suppli que me faittes sentir
Par tous venans, s’il vous vient à plaisir ;
Car d’en oïr en bien et en honneur,
Ce me sera parfaitte joye au cueur.
Et s’il plaisoit à votre seigneurie
Vouloir oïr, par sa grant courtoisie.
De mon estat, je suis en tresbon point.
Joyeux de cueur, car soussy n’ay je point ;
Et Passe Temps, ou lieu de Nonchaloir,
M’a retenu pour avec lui manoir
Et sejourner, tant comme me plaira,
Jusques à tant que Vieillesse vendra,
Car lors fauldra qu’avec elle m’en voise

Finer mes jours. Ce penser fort me poise
Dessus le cueur, quant j’en ay souvenance,
Mais, Dieu mercy, loing suis de sa puissance,
Presentement je ne la crains en riens,
N’en son dangier aucunement me tiens.
En oultre plus, sachiés que vous renvoya
Confort, qui m’a conduit la droite voye
Vers Nonchaloir, dont je vous remercie
De sa bonne, joyeuse compaignie,
En ce fait, à vostre commandement,
De bon vouloir et tressoingneusement ;
Auquel vueilliez donner foy et fiance
En ce que lui ay chargié, en créance,
De vous dire plus plainement de bouche.
Vous suppliant qu’en tout ce qui me touche,
Bien à loisir, le vueilliez escouter,
Et vous plaise me vouloir pardonner
Se je n’escris devers vostre Excellence,
Comme je doy, en telle révérence
Qu’il appartient, car c’est par Non Savoir
Qui destourbe d’acomplir mon vouloir.
En oultre plus, vous requérant mercy,
Je congnois bien que grandement failly,
Quant me party derrainement de vous,
Car j’estoye si rampli de courrous
Que je ne peu un mot à vous parler,
Ne mon congié, au partir, demander.
Avecques ce, humblement vous mercie
Des biens qu’ay euz soubz vostre seigneurie.
Autre chose n’escris, quant à présent.
Fors que je pry à Dieu, le Tout Puissant,
Qu’il vous ottroit honneur et longue vie,
Et que puissiez tousjours la compaignie
De faulx Dangier surmonter et deffaire,
Qui en tous temps vous a esté contraire.

Escript ce jour troisiesme, vers le soir,
En novembre, ou lieu de Nonchaloir.
Le bien vostre, Charles duc d’Orlians,
Qui jadis fut l’un de voz vrais servans.


BALLADE VIII.

     Balades, chançons et complaintes
Sont pour moy mises en oubly,
Car Ennuy et pensées maintes
M’ont tenu long temps endormy.
Non pour tant, pour passer Soussy,
Essayer vueil se je sauroye
Rimer, ainsi que je souloye.
Au moins j’en feray mon povoir.
Combien que je congnois et sçay
Que mon langage trouveray
Tout enroillié de Nonchaloir.
      Plaisans parolles sont estaintes
En moy qui deviens rassoty ;
Au fort, je vendray aux attaintes.
Quant Beau Parler m’aura failly.
Pourquoy pry ceulx qui m’ont oy
Langagier, quant pieçà j’estoye
Jeune, nouvel et plain de joye,
Que vueillent excusé m’avoir.
Oncques mais je ne me trouvay
Si rude, car je suis, pour vray,
Tout enroillié de Nonchaloir.
      Amoureux ont parolles paintes
Et langaige frais et joly ;
Plaisance dont ilz sont accointes
Parle pour eulx ; en ce party
J’ay esté, or n’est plus ainsy ;

Alors, de Beau Parler trouvoye
À bon marchié tant que vouloye ;
Si ay despendu mon savoir,
Et s’un peu espargné en ay.
Il est, quant vendra à l’essay,
Tout enroillié de Nonchaloir.


ENVOI

Mon Jubilé faire devroye,
Mais on diroit que me rendroye
Sans coup ferir, car Bon Espoir
M’a dit que renouvelleray ;
Pource, mon cueur fourbir feray
Tout enroillié de Nonchaloir.


BALLADE IX.

     L’emplastre de Nonchaloir
Que sus mon cueur pieçà mis,
M’a gueri, pour dire voir,
Si nettement que je suis
En bon point, ne je ne puis
Plus avoir, jour de ma vie,
L’amoureuse maladie.
      Si font mes yeulx leur povoir
D’espier par le pays,
S’ilz pourroyent plus veoir
Plaisant Beauté, qui jadis
Fut l’un de mes ennemis.
Et mist en ma compaignie
L’amoureuse maladie.
      Mes yeux tense main et soir,
Mais ilz sont si treshastis.

Et trop plains de leur vouloir !
Au fort, je les metz au pis,
Facent selon leur advis ;
Plus ne crains, dont Dieu mercie,
L’amoureuse maladie.


ENVOI

     Quant je voy en doleur pris
Les amoureux, je m’en ris ;
Car je tiens, pour grant folie,
L’amoureuse maladie.


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