Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/Chant de mort d’un huron

La bibliothèque libre.
Texte établi par Casimir HébertLe pays laurentien (p. 19-20).

1840

Chant de Mort d’un huron

LÉGENDE CANADIENNE


Sur la grande montagne aux ombres solitaires,
Un jour il avait fui le chasseur ;
Son œil était de feu, comme l’œil de ses pères ;
Mais son ombre roulait avec plus de fureur !
Où guide-t-il ses pas ? quelle rage l’anime ?
Le bronze de son front paraît étinceler !
Est-ce un sombre guerrier ou bien une victime
Qu’aux mânes de son frère il brûle d’immoler ?
Il est là près du chêne : une hache sanglante
Soutient ses larges bras l’un dans l’autre enlacés ;
On dit qu’il se calma, que sa lèvre tremblante
Laissa même échapper ces mots qu’il a tracés :
« Chêne de la grande colline,
« Arbre chéri de mes aïeux,
« Écoute ! qu’à ma voix ton oreille s’incline,
« Je suis venu te faire mes adieux !
« Il m’avait dit : tes pieds ont perdu leur vitesse
« À quoi te peuvent-ils servir ?
« Ta hache est là qui pleure et maudit ta vieillesse :
« Elle sent que tu vas mourir !

« Pourtant je te l’apporte : à mon heure dernière,
« C’est le seul don que je puisse t’offrir !
« Je te la donne, à toi, mais fais que sa paupière
« Ne m’aperçoive point mourir !
« Quand de sa pesante massue
« Athaenzic aura broyé mes os,
« Pour te fertiliser j’ébranlerai ma nue,
« Qui te fera tomber ses eaux !
« Si tu vois l’orignal au pied toujours rapide
« Près de ton feuillage bondir,
« Dis, pour le consoler, qu’il marche moins timide,
« Parce que tu m’as vu mourir !
« Chêne de la grande colline,
« Arbre chéri de mes aïeux,
« Écoute ! qu’à ma voix ton oreille s’incline
« Je suis venu te faire mes adieux ! »
On dit qu’ayant chanté d’une voix bien sonore,
Le vieillard s’arrêta pour essuyer ses yeux,
Que ses larmes coulaient comme il en coule encore
Quand on perd un bonheur qui n’a pu rendre heureux !
On dit même qu’après, sur la grande montagne,
L’ombre du vieux guerrier parut souvent,
Qu’on entendit gémir, la nuit, au bruit du vent,
Comme une voix de mort qu’une lyre accompagne !