Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/Le bandit mort

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Texte établi par Casimir HébertLe pays laurentien (p. 39-40).

1848
Le bandit mort


Imité de l’anglais.

Pourquoi dort-il ici, tandis que la trompette
Rugit son cri de guerre et guide les poignards ?
Les braves ont jeté du sang sur son aigrette :
Il n’est donc plus leur chef, l’homme aux brûlants regards ?

Bien qu’un rouge manteau lui serve de suaire,
Bien qu’un chaînon d’acier prenne ses larges reins,
Cet homme, dont la voix ébranlait son repaire,
Plus que les sons du cor, aimait les chants sereins !

Où le torrent s’écoule avec un bruit étrange,
Farouches, l’arme au poing, des soldats sont venus.
Il est nuit : de la mort on voit flamboyer l’ange !…
Mais lui, pourquoi dort-il ?… Ces pas lui sont connus !

Il a bondi soudain : une rumeur lointaine,
Traversant les flots noirs, arrive jusqu’à lui !
Indécis, il regarde et le ciel et la plaine,
Et cette belle enfant qui le charme aujourd’hui.


Ira-t-il au combat ? Sa douce fiancée
Est là ! Sur son front pâle il pose un long baiser !
Sa bande généreuse a compris sa pensée !…
Tout ce qu’il a de haine est venu l’embraser !

Et puis, il est tombé comme tombe le chêne,
Quand le feu de l’orage a divisé son tronc !
Les vainqueurs, en passant, ne le virent qu’à peine,
Et les pieds des chevaux lui broyèrent le front !

On ne le verra plus, le soir, sur la falaise,
Regarder les flots bleus qui courent sur la mer,
Ni dans les bois obscurs, à cette heure mauvaise,
Où le bandit qui veille a le sourire amer !

Le barde ne doit pas rappeler sa mémoire,
Ni le cyprès funèbre ombrager son tombeau !
Mourir comme il est mort, est-ce là de la gloire ?
Qui sait ? Mais du soldat le sort n’est pas plus beau !

Montréal, 12 juillet 1848.