Poèmes (Canora, 1905)/Réponse de Monsieur Sully-Prudhomme

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À Monsieur Jean CANORA

Paris.

Mon cher Confrère,

Je regrette que mes occupations m’empêchent de répondre à votre intéressante lettre avec l’ampleur que je voudrais, car vous y soulevez des questions qui me sont fort à cœur. Vous y montrez, à vrai dire, plus d’esprit que d’indignation. Vous avez raison. Comme l’écrit notre confrère et ami Albert Sorel dans un récent article du Temps sur le beau livre : « l’Art des vers » d’Auguste Dorchain : « Il faut bien que la jeunesse s’amuse et que la vieillesse se console de ne s’amuser plus. Ne nous effarons pas. Ce n’est pas une révolution qui passe, c’est une cavalcade historique et narquoise de précieuses et d’incroyables ».

Tout en réprouvant les excentricités des dernières écoles de versification sans avenir, vous attestez l’indépendance de votre critique en prenant dans vos propres vers des libertés légitimes contre les quelques règles abusives de la poétique traditionnelle. Je ne saurais vous désapprouver. Ma fidélité à ces règles est affaire d’habitude. Il est vrai que l’habitude a des droits en art, car il s’agit de plaire, et l’on ne plaît pas en offusquant. Il y a donc une mesure à garder. Vous ne l’outrepassez point et vous demeurez un champion de la bonne cause.

Je vous suis reconnaissant de la servir par des vers qui font honneur à notre art par leur facture et aussi par leur inspiration naturelle, pure et généreuse, et je vous prie mon cher confrère d’agréer l’expression de mes sentiments affectueux et dévoués.

SULLY PRUDHOMME


Châtenay, 12 nov. 1905.