Poèmes antiques et modernes/Texte entier

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INTRODUCTION

I

Les Manuscrits et les Éditions

Les textes qui permettent d’établir une édition critique des Poèmes Antiques et Modernes se répartissent naturellement en quatre catégories : 1° les manuscrits ; 2° les éditions, soit dans les périodiques, soit en plaquettes, de poèmes isolés ; 3° les recueils partiels ; 4° les éditions complètes. Ces quatre groupes seront représentés, dans l’apparat critique, le premier par la lettre M, le second par la lettre G, le troisième par la lettre P, le quatrième par les quatre premières lettres de l’alphabet (A, B, C, D), chacun de ces sigles étant accompagné, quand il y aura lieu, d’un numéro d’ordre, conformément à la liste ci-après.

1°. — Manuscrits (M)

J’ai utilisé tous les manuscrits relatifs aux Poèmes Antiques et Modernes dont il m’a été donné de connaître l’existence. Voici ceux que j’ai consultés directement ou indirectement :


Moïse. — Un manuscrit autographe de deux feuillets, contenant seulement la fin du poème. Les variantes m’en ont été obligeamment communiquées par M. F. Baldensperger, qui prépare en ce moment pour l’éditeur parisien bien connu, M. Couard, une réimpression complète des œuvres d’Alfred de Vigny. — (M).


Éloa. — 1° Un manuscrit complet du 1er chant, dont les variantes m’ont été communiquées par M. Baldensperger. — (M).

2° Un manuscrit autographe du 2e chant, gracieusement mis à ma disposition par Madame la Comtesse de Béarn, sur la bienveillante recommandation de M. Henri de Régnier, de l’Académie Française[1]. Il comprend 18 pages in-4o, numérotées de 24 à 41, et porte les traces d’au moins deux révisions postérieures à la rédaction primitive. Il fournit du texte jusqu’à trois, et même quatre états successifs. — (M).

3° Un manuscrit partiel du même chant, v. 1-14 (Bibliothèque municipale de Nantes, Ms., n° 1756, Album de Boulay-Paty, t. II, p. 70). Il est intitulé Èloa, signé : Alfred de Vigny, et daté de juillet 1835. M. Jean Giraud a bien voulu le collationner. Il ne présente que des variantes insignifiantes de ponctuation. Je n’ai pas eu à en faire usage.

4° Un manuscrit complet du 3e chant, complément des manuscrits complets du 1er et du 2e chants. Les variantes m’en ont été communiquées par M. Baldensperger. — (M1).

5° Un manuscrit du même chant, v. 18-24 et 33-36, dont la description a été donnée par M. Fernand Gregh dans la revue les Lettres, n° du 6 juin 1906, p. 284-285. C’est une première ébauche, et parfois très lointaine, du texte actuel. — (M2).

6° Un autre manuscrit partiel du même chant, contenant quelques ébauches en prose et en vers d’une rédaction intermédiaire entre M1 et M2. Ces fragments m’ont été communiqués par M. Baldensperger. — (M3).

7° Un autre manuscrit partiel du même chant, v. 93-108 (Bibliothèque Nationale, Ms., N. A. F. 5371, fo 84). Ces seize vers, intitulés : Éloa, signés : Alfred de Vigny, et datés : av. 1834, sont écrits sur un feuillet de vélin, du format italien, manifestement arraché à un album. Ils n’ont fourni aucune variante.


La Femme Adultère. — Deux manuscrits autographes, à savoir :

1° Un brouillon incomplet. — (M1).

2° Une copie incomplète de la même époque ; certaines corrections en surcharge paraissent avoir été faites plus tard en vue d’un remaniement de la pièce que Vigny n’a pas jugé bon de réaliser. — (M2).

Les variantes de ces deux manuscrits m’ont été communiquées par M. Baldensperger.


Le Bain, fragment d’un poème de Suzanne. — Un manuscrit autographe, qui contient aussi le Chant de Suzanne au bain ; communiqué par M. Baldensperger. — (M).


Le Somnambule. — Un manuscrit autographe, offrant une mise au net revue et corrigée. Il a été mis très libéralement à ma disposition par M. Louis Barthou. — (M).


La Prison. — Un manuscrit autographe ; variantes communiquées par M. Baldensperger. — (M).


Les Amants de Montmorency. — Un manuscrit autographe (Bibliothèque municipale de Nantes, Ms., n° 1755, Album de Boulay-Paty, t. I, p. 66-68 ; collationné par M. Jean Giraud). Il est intitulé : Les Amants de Montmorency, Fragment, signé : Alfred de Vigny, daté de juillet 1835, et comprend les v. 39-80. Il ne fournit que des variantes de ponctuation, dont une, la seule intéressante à noter, concerne les vers 51-52. — (M).

2°. — Éditions isolées (O)

Le Bal. — Le Bal, par le Comte Alfred de Vigny, dans le Conservateur Littéraire, xxviie livraison, décembre 1820, t. III, p. 249-251. — (O).


Le Trappiste. — 1° Le Trapiste, poëme, par l’auteur des Poëmes Antiques et Modernes : le Somnambule, la Femme adultère, la Fille de Jephté, Héléna, etc. Paris — 7 juillet 1822. (Au verso du faux titre : Imprimerie de Guiraudet). — (O1).

Une plaquette in-4o de 16 p., annoncée dans le Journal de la Librairie du 19 octobre 1822. La date du 7 juillet 1822, inscrite sur le titre, est celle, non pas de la publication, mais de l’événement historique sur lequel le poème est fondé.

2° Le Trapiste, poëme, par l’auteur des Poëmes Antiques et Modernes : Héléna, le Somnambule, la Femme Adultère, la Prison, etc. Seconde édition. À Paris, chez Guiraudet et Gallay… ; Painparré… ; Pelicier… ; 1822. — (O2).

Une plaquette in-8o de 22 p., annoncée dans le Journal de la Librairie du 7 décembre 1822.

3° Le Trapiste, poëme, par l’auteur des Poëmes Antiques et Modernes : Héléna, le Somnambule, la Femme adultère, la Prison, etc. Troisième édition. Au bénéfice des Trapistes d’Espagne. À Paris, chez Guiraudet et Gallay…, Painparré…, Pelicier… ; 1823. — (O3).

Une plaquette in-8o de 26 p., annoncée dans le Journal de la Librairie du 22 mars 1823. Elle contient, outre le poème, quelques pages en prose intitulées : Documens sur les Trapistes d’Espagne. (Voir ci-dessous p. xxi, et Appendice, p. 313).


La Prison. — La Prison, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Tablettes Romantiques de 1823, p. 118-130.

Il n’est pas fait état de ce texte qui reproduit purement et simplement le texte des Poèmes de 1822 (voir plus loin, p. xi).


La Neige. — 1° La Neige, ballade, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Tablettes Romantiques de 1823, p. 228-231. — (O).

Les Tablettes Romantiques sont annoncées dans le Journal de la Librairie du 4 janvier 1823.

2° La Neige, ballade, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Annales de la Littérature et des Arts, 128me livraison, tome X, 1823, p. 336-338.

Il n’est pas fait état de ce texte, qui, à part une grosse faute d’impression, reproduit purement et simplement le texte précédent.


Dolorida. — 1° Dolorida, par le Comte Alfred de Vigny, dans la Muse Française, 4e livraison, octobre 1823, tome I, p. 231-236. — (O).

2° Dolorida, par le Comte Alfred de Vigny, dans les Annales Romantiques de 1825.

Il n’est pas fait état de ce texte, qui reproduit purement et simplement le texte précédent.


Le Bain. — Fragmens d’un poëme de Suzanne : Le Bain, Chant de Suzanne au bain, par le Comte Alfred de Vigny, dans la Muse Française, 10me livraison, avril 1824, t. II, p. 212-215.

Le texte du premier de ces morceaux est identique au texte de l’édition de 1822.

Le Chant de Suzanne au bain, a été reproduit sans variante dans les Annales Romantiques de 1826 ; il ne figure dans aucun des recueils donnés par Alfred de Vigny. (Voir ci-dessous, p. xx, et Appendice, p. 304.)


Éloa. — Éloa, ou la Sœur des Anges, mystère, par le Comte Alfred de Vigny, auteur du Trapiste, etc. Paris, Auguste Boulland et Cie, libraires, rue du Battoir, n° 12, 1824. — (O).

Un volume in-8o de 58 p., annoncé dans le Journal de la Librairie du 24 avril 1824.


Le Cor. — Le Cor, ballade, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Annales Romantiques de 1826, p. 90. — (O).

Les Annales Romantiques de 1826 sont annoncées dans le Journal de la Librairie du 28 décembre 1825.


Le Bain d’une dame romaine. — Le Bain d’une dame Romaine, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Annales Romantiques de 1827-1828, p. 37. — (O).

Les Annales Romantiques de 1827-1828 sont annoncées dans le Journal de la Librairie du 5 janvier 1828.


Moïse. — Moïse, poème, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Annales Romantiques de 1827-1828. Simple reproduction du texte des Poèmes Antiques et Modernes de 1826.


Paris. — 1° Paris, élévation, par M. le Comte Alfred de Vigny, auteur de Cinq-Mars, d’Éloa, etc. Paris, Charles Gosselin, libraire, rue Saint-Germain-des-Prés, n° 9, MDCCCXXXI — (O).

Une plaquette in-8o de 28 p., annoncée dans le Journal de la Librairie du 16 avril 1831.

2° Paris, élévation, dans un des numéros d’avril 1831 du Courrier de l’Europe.

L’existence de ce texte est signalée par M. Ernest Dupuy (Alfred de Vigny, la vie et l’œuvre, Paris, 1913, p. 73). C’est, selon toute vraisemblance, la répétition pure et simple du texte précédent. Mais la collection du Courrier (et non Journal, comme l’a imprimé par mégarde M. E. Dupuy) d’avril 1831 étant actuellement introuvable[2], il m’a été impossible de m’en assurer, comme de préciser le jour où le poème a paru.


Les Amants de Montmorency. — 1° Les Amants de Montmorency, élévation X, fragment d’un volume de Poèmes intitulé Élévations, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans les Annales Romantiques de 1832, p. 325-330. — (O1).

Les Annales Romantiques de 1832 sont annoncées dans le Journal de la Librairie du 17 décembre 1831.

2° Les Amans de Montmorency. Élévation X, fragment d’un volume de Poëmes intitulé : Élévations, par le Comte Alfred de Vigny, dans L’Émeraude, morceaux choisis de littérature moderne, Paris, U. Canel et Ad. Guvot, 1832, p. 59-64. — (O2)

L’Émeraude est annoncée dans le Journal de la Librairie du 7 janvier 1832.

3° Les Amants de Montmorency, par M. le Comte Alfred de Vigny, dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1832. — (O3).

3°. — Recueils partiels (P)

Poëmes. Héléna, le Somnambule, la Fille de Jephté, la Femme Adultère, le Bal, la Prison, etc. À Paris, chez Pélicier, libraire, place du Palais-Royal, n° 243, MDCCCXXII — (P1).

Un volume in-8o, sans nom d’auteur, de 158 p., annoncé dans le Journal de la Librairie du 16 mars 1822.

Table des Matières : Introduction. — Héléna, poëme. — Note. — Poëmes Antiques : La Dryade ; Symétha ; Le Somnambule. — Poëmes Judaïques : La Fille de Jephté ; Le Bain, fragment d’un poëme de Suzanne ; la Femme Adultère. — Poëmes modernes : La Prison ; Le Bal ; Le Malheur, ode.


Poemes Antiques et Modernes, par le Comte Alfred de Vigny. Le Déluge, Moïse, Dolorida, Le Trapiste, la Neige, le Cor. — Paris, Urbain Canel, éditeur, rue St-Germain-des-Prés, n° 9, 1826. — (P2).

Un volume in-8o de 92 p., annoncé dans lu Journal de la Librairie du 11 janvier 1826.

La Table des Matières est fournie par le titre.

4°. — Éditions complètes (A, B, C, D)

Poèmes, par M. le Comte Alfred de Vigny, auteur de Cinq-Mars. Seconde édition, revue, corrigée et augmentée. Paris, Charles Gosselin, libraire de S. A. R. Monseigneur le duc de Bordeaux, rue Saint-Germain-des-Prés, n° 9 ; Urbain Canel, rue J.-J. Rousseau, n° 16 ; Levasseur, Palais Royal, MDCCCXXIX. — (A).

Un volume in-8o de vi-344 p., annoncé dans le Journal de la Librairie du 16 mai 1829.

Table des Matières : Préface. — Livre Antique. Antiquité biblique : Moïse, poème ; la Fille de Jephté, poème ; la Femme Adultère, poème ; le Bain, fragment d’un poème de Suzanne. Antiquité homérique : Le Somnambule, poème ; la Dryade, idylle ; Symétha, élégie ; le Bain d’une dame romaine, fragment d’un poème. — Le Déluge, mystère ; Éloa, ou la Sœur des Anges, mystère. — Livre Moderne : Dolorida, poème ; la Prison, poème ; Madame de Soubise, conte du xvie siècle ; la Neige, conte ; le Cor, conte ; le Bal ; le Trapiste, poème ; la Frégate la Sérieuse, poème.


Poèmes, par M. le Comte Alfred de Vigny, auteur de Cinq-Mars ou une conjuration sous Louis XIII. Troisième édition. Paris, Charles Gosselin… ; Urbain Canel… ; Levasseur… MDCCCXXIX.

Un volume in-8o de xii-344 p., annoncé dans le Journal de la Librairie du 8 août 1829. Le texte est identique au précédent, mais précédé de deux préfaces : 1° Préface de la deuxième édition, mai 1829 ; 2° Sur la troisième édition.


Poëmes Antiques et Modernes, par le Comte Alfred de Vigny. — Œuvres complètes. — I. — Paris, H. Delloye, V. Lecou, libraires-éditeurs, 5, rue des Filles Saint-Thomas, place de la Bourse, 1837. — (B).

Un volume in-8o de vi-383 pages. La composition du recueil et la disposition des matières sont les mêmes que dans l’édition de 1859 (voir ci-dessous), à l’exception du Malheur, que Vigny a exclu ainsi qu’Héléna « de l’élite de ses créations ».


Poésies Complètes du Comte Alfred de Vigny, nouvelle édition. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 29, rue de Seine, 1841. — (C1).

Un volume in-18, de 244 pages. Mêmes composition et disposition que dans l’édition de 1859, le Malheur ayant été réintégré dans le Livre Moderne, entre Dolorida et La Prison.


Poèmes Antiques et Modernes, par le Comte Alfred de Vigny, de l’Académie française. Nouvelle édition. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 17, rue de Lille, 1846. — (C2).

Un volume in-18, de 244 pages. Même contenu que le précédent.


Entre cette édition et la suivante, il y aurait eu, si l’on en croit Vigny (Lettre à l’éditeur Charpentier, du 25 avril 1852), une édition « faite en 1849 chez un imprimeur de Corbeil » dont, ajoute-t-il, il avait oublié le nom. De cette édition de 1849, on ne trouve trace nulle part, à commencer par le relevé de comptes de Charpentier[3]. Il est permis de croire à une erreur de mémoire, provenant peut-être d’une confusion avec la tentative de contrefaçon mentionnée dans une lettre à Charpentier du 2 avril 1849. Le fait que l’édition ci-après, de 1852, est présentée comme la sixième, alors qu’en partant de la seconde édition (mai 1829) elle aurait dû être qualifiée septième, suffit à prouver que Vigny n’était pas absolument sûr de sa propre bibliographie.


Poésies Complètes du Comte Alfred de Vigny, de l’Académie française. Sixième édition. Paris, Charpentier, libraire-éditeur, 19, rue de Lille, 1852. — (C3).

Un volume in-18, de 244 pages.

Même contenu que le précédent.


7° Bibliothèque Nouvelle à 3 francs le volume, — Le Comte Alfred de Vigny (de l’Académie française). — Poèmes Antiques et Modernes. Septième édition. Paris, Librairie Nouvelle, Boulevard des Italiens, 15 ; A. Bourdilliat et Cie, éditeurs, 1859. (D)

Un volume in-8o, de 252 pages.


Le tableau ci-contre fera saisir d’un coup d’œil la relation de ces textes les uns aux autres et la composition des différents recueils, en même temps qu’il rendra plus commode l’usage de l’apparat critique. Il n’y a pas été tenu compte des Préfaces, qui sont toutes données intégralement, dans l’ordre chronologique, en tête du présent volume. Les manuscrits ou éditions dont la mention n’est suivie d’aucun sigle, n’ont fourni aucune variante.


II

L’Établissement du texte

Le texte qui doit servir de base à une édition critique des Poèmes Antiques et Modernes est sans aucun doute celui de l’édition de 1859. Elle est la dernière qui ait été publiée du vivant de l’auteur. Elle est la seule des éditions complètes qui puisse être vraiment dite définitive. En effet, les Poèmes de 1829 ne contiennent, et pour cause, ni Les Amants de Montmorency, ni Paris ; Le Malheur, retranché de l’œuvre du poète en 1829, n’y a repris sa place qu’à partir de 1841 ; le texte de Dolorida, mutilé et remanié à dater de 1837, en vue de supprimer la fameuse périphrase de la chemise, n’a été rétabli en son intégrité qu’en 1859. Il semblerait donc qu’on n’eût eu qu’à transcrire le dernier texte arrêté par Vigny, en y joignant les leçons fournies par les manuscrits, quand on en connaissait, et par les éditions antérieures. La tâche n’a pas été tout à fait aussi simple. Voici pourquoi.

Vigny, à chaque réimpression, revoyait les épreuves de ses

TITRES des poèmes. I. MANUSCRITS. II. ÉDITIONS ISOLÉES. III. RECUEILS PARTIELS. IV. RECUEILS COMPLETS.
Poèmes 1822 Poèmes Ant. et Mod. 1826 Poèmes 1829 2e édit. Poèmes 1829 3e édit. Poèmes Ant. et Mod. 1837 Poésies complètes 1841 Poèmes Ant. et Mod. 1846 Poésies complètes 1852 Poèmes Ant. et Mod. 1859
P1 P2 A B C1 C2 C3 D
(Héléna) 
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
Moïse 
ms. partiel (M) 
Annales Romantiques de 1827-28 
  
Éloa 
ms. partiel (M)
Ier chant, ms. complet (M)
IIe chant, ms. complet (M)
IIe chant, ms. partiel
IIIe chant, ms. complet (M1)
IIIe chant, ms. partiel (M2)
IIIe chant, ms. partiel (M3)
IIIe chant, ms. partiel 
Paris, Boulland, 1824 (O) 
  
  
Le Déluge 
  
  
  
La Fille de Jephté 
  
  
  
La Femme Adultère 
brouillon incomplet (M1)
copie incomplète (M2
  
  
Le Bain 
ms. complet (M) 
Muse française, 1824 
  
Le Somnambule 
ms. complet (M) 
  
  
La Dryade 
  
  
  
Symétha 
  
  
  
Le Bain d’une Dame romaine 
  
Annales Romantiques de 1827-28 (O) 
  
  
Dolorida 
  
Muse française, 1823 (O)
Annales romantiques de 1826 
  
Le Malheur 
  
  
  
  
  
  
La Prison 
ms. complet (M) 
Tablettes Romantiques de 1823 
  
Madame de Soubise 
  
  
  
  
La Neige 
  
Tablettes romant. de 1823 (O)
Annales de la litt. et des arts, 1823 
  
Le Cor 
  
Annales romantiques de 1826 (O) 
  
Le Bal 
  
Conservateur littéraire, 1826 (O) 
  
Le Trappiste 
  
1re éd., octobre 1822 (O1)
2e éd., décembre 1822 (O2)
3e éd., mars 1823 (O3
  
La Frégate la Sérieuse 
  
  
  
  
Les Amants de Montmorency 
ms. partiel (M) 
Annales romantiques de 1832 (O1)
L’Émeraude, 1832 (O2)
Revue des Deux Mondes, 1832 O3
  
  
  
  
Paris 
  
Paris, Gosselin, 1831 (O)
Courrier de l'Europe, 1831 
  
  
  
  
ouvrages. On en a la preuve par la correspondance qu’il échangea

avec l’éditeur Charpentier, lors des rééditions de 1841, 1846 et 1852 [4]. Mais bien qu’il se piquât d’être très exigeant, et se qualifiât de « Docteur très noir pour les imprimeurs », en réalité il se contentait très facilement, — trop facilement. Il se plaignait qu’on défigurât sa prose ou ses vers ; mais il corrigeait d’ordinaire, — et assez négligemment, semble-t-il, — une seule épreuve, n’en réclamant une seconde « qu’à la dernière extrémité, c’est-à-dire quand il y avait des omissions ou des changements de mots par trop absurdes ». À l’occasion, des amis dévoués lui rendaient le service de lui signaler les plus grosses coquilles. Brizeux le fit pour l’édition de 1852. Il n’était plus là en 1859. À son défaut, personne sans doute n’assuma ce rôle. Ainsi s’explique le nombre, relativement considérable, des erreurs de détail qui déparent le texte de la dernière édition donnée des Poèmes Antiques et Modernes par Alfred de Vigny.

Ces erreurs sont de deux sortes. Les unes sont des fautes typographiques évidentes. En voici la liste :

Moïse : v. 1, plongeait pour prolongeait.

Éloa, ch. I: v. 109, en tous lieux pour en tout lieu ; v. 235, atmophères pour atmosphères.

Le Déluge : v. 84 et v. 97, encore pour encor ; v. 160, n’eut pour n’eût ; v. 215, épouvantée pour épouvanté.

Le Bain : v. 32, encore pour encor.

Symétha : v. 5, nautoninier pour nautonier ; v. 24, N’es-tu pas Lesbienne pour N’es-tu pas, Lesbienne,

La Prison : v. 123, encore pour encor.

Le Trappiste : v. 29, En spectacle pompeux pour En spectacles pompeux.

La Frégate la Sérieuse : v. 151, patrone pour patronne.

Ajoutez que le grec des épigraphes d’Eschyle mises au Somnambule et à la Dryade est incorrect, comme d’ailleurs dans toutes les éditions, et la référence de l’épigraphe biblique donnée à la Fille de Jephté, légèrement inexacte. — J’ai rectifié ces bévues, sans me croire tenu d’en encombrer l’apparat critique. Mais il était indispensable qu’elles fussent signalées ici, pour servir d’un commencement de justification à quelques corrections plus importantes.

Les autres erreurs, en effet, sont d’une nature plus grave. Elles ont produit une leçon : 1° ou absurde, ou incorrecte, ou peu intelligible, ou contraire à l’intention visible du poète, 2° en contradiction avec l’unanimité ou, dans deux cas, la presque unanimité, des textes antérieurs, manuscrits ou imprimés. Lorsque ces deux conditions se sont trouvées remplies, il m’a semblé juste de maintenir la bonne leçon fournie par tous les textes précédents, et de rejeter en note la mauvaise, donnée uniquement par l’édition de 1859. Voici la liste des changements accomplis en vertu de cette règle :

Éloa, ch. I : v. 31, C’était Marthe et Marie, au lieu de : C’étaient Marthe et Marie.

Ch. I : v. loi, un de ses courts instants, au lieu de : un de ces courts instants.

Ch. I : v. 198, son nid, au lieu de : son lit.

Ch. I : v. 279, en ses routes, au lieu de : en ces routes.

Ch. III : v. 36, tout haut, au lieu de : tout bas. — Au muet abandon de la vierge qui se laisse séduire, le poète a voulu opposer la hardiesse dominatrice du séducteur sûr de son triomphe. Lisez : tout bas, le contraste s’efface, l’effet se perd, le détail devient banal. Il semble peu vraisemblable de supposer que Vigny ait eu l’idée d’une retouche qui n’est pas incompatible avec le contexte, mais qui s’harmonise beaucoup moins bien avec lui que la leçon originale. Il est plus naturel de mettre au compte du typographe une faute de lecture amenée par l’obsession du vers précédent. De ce qu’Éloa dit, sans parler : Je suis à toi, il a inféré un peu trop vite que l’ange ténébreux, pour se mettre à l’unisson, devait parler tout bas, et l’erreur, une fois commise, n’étant pas grossière, a passé inaperçue.

Ch. III : v. 124, et ses bras, au lieu de : et son bras.

Ch. III : v. 182, la céleste main, au lieu de : sa céleste main.

Le Déluge : v. 147, tes yeux, au lieu de : les yeux.

v. 252, ces demi-Dieux, au lieu de : ses demi-Dieux.

Le Bain : v. 30, son teint, au lieu de : son front.

Le Somnambule : v. 22, Phœhé, pardonne-lui, au lieu de : Phœbé, pardonnez-lui (C3, D).

Le Bain d’une dame romaine : v. 11, pourpre, au lieu de : robe. — La leçon de 1859 est un échantillon de ces absurdités que Vigny reprochait aux imprimeurs de glisser dans ses livres.

Dolorida : v. 13, sous des roses cachée, au lieu de : sous deux roses cachées.

V. 82, Est de mon sang, au lieu de : Est dans mon sang.

Le Malheur : v. 40, Parmi des fronts, au lieu de : Parmi les fronts.

La Prison : v. 103, on se parla, au lieu de : on se parlait.

Le Cor : v. 24, au chant, au lieu de : aux chants (C3, D).

Le Bal : v. 75, doux trésor, au lieu de : doux trésors.

Le Trappiste : v. 95, Parmi ces montagnards, au lieu de : Parmi les montagnards.

V. 206, Sondez nos destinées, au lieu de : Sondez vos destinées.

Paris : v. 97, près du sépulcre, au lieu de : près d’un sépulcre. Il s’agit évidemment du sépulcre du Christ.

Dans tous ces cas, je le répète, la leçon unique, ou presque unique, de l’édition de 1859 paraît bien être, non pas une correction du poète, mais une fantaisie de l’imprimeur.

Deux fois seulement je me suis permis de préférer à la leçon de 1859 et de plusieurs des éditions immédiatement précédentes la leçon meilleure donnée par le manuscrit et les premières éditions :

Éloa : ch. II, v. 41, le manuscrit, l’édition originale et les Poèmes de 1829 donnent : moussus ; les éditions de 1837 à 1859 : mousseux. Je n’ai pas cru devoir conserver une impropriété d’expression que le poète, originairement, n’avait pas commise, et dont on est, par suite, fondé à croire qu’elle n’est pas son fait.

La Femme Adultère : les vers 49-50, dans le manuscrit et l’édition originale (1822), sont écrits ainsi :

Elle veut retenir cette nuit, sa complice,
Et la première aurore est son premier supplice.

Le second devient en 1829 :

Et la première aurore et son premier supplice,

puis, de 1837 à 1859 :

Et la première aurore, et son premier supplice.

La chute d’une lettre dans le texte de 1829 a fourni, comme on le voit, une leçon nouvelle, corroborée dans l’édition de 1837 et les suivantes par l’insertion d’une virgule à l’hémistiche. Ces deux modifications, dont la seconde a été entraînée par la première, s’expliquent plus naturellement par une erreur typographique que par une intention du poète. En effet, la leçon ainsi obtenue est inintelligible en soi (car on peut retarder, mais non retenir ce qui n’est pas encore venu), et elle ne se relie plus, comme faisait étroitement la première, aux deux vers qui suivent :

Elle vit tout ensemble et la faute et le lieu,
S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu.

En ce qui regarde la ponctuation, j’ai conservé celle de l’édition de 1859, sauf dans quelques cas où elle corrompait manifestement le sens (Le Malheur, v. 44 et 56-57 ; Les Amants de Montmorency, v. 2). On trouvera en note la ponctuation rejetée.

En matière d’orthographe, j’ai adopté pour chacun des morceaux ou fragments de Vigny reproduits soit dans le texte courant, soit dans l’apparat critique, l’orthographe du texte sur lequel il a été transcrit. Je n’ai fait d’exception que pour l’adjectif nus qui se trouve à plusieurs reprises, dans l’édition de 1859, écrit nuds. Il m’a paru inutile de conserver cette graphie archaïque, qui ne représente ni l’usage personnel de Vigny ni celui de l’époque. En revanche, j’ai noté aussi soigneusement qu’il m’a été possible les variations dans l’emploi des majuscules, qui sont répandues à profusion dans les vers d’Alfred de Vigny. Tout au moins en ce qui concerne les Poèmes Antiques et Modernes, aucune pratique raisonnée ne paraît en régler l’emploi.

III

L’Appendice

j’ai mis à la suite des Poèmes Antiques et Modernes huit morceaux d’inégale étendue et importance, qui en sont l’accompagnement obligé :


1° Le poème d’Héléna, qui après avoir figuré en tête des Poèmes de 1822, a été condamné par le poète et exclu par lui de son œuvre. Ce n’est pas ici le lieu de discuter les motifs de cet ostracisme[5]. Il est suffisamment justifié par la faiblesse indéniable d’une œuvre de circonstance, rapidement conçue et hâtivement exécutée. Cette raison, décisive au temps où Vigny avait à ménager sa gloire, n’a plus la même force aujourd’hui ; et il serait regrettable que les lecteurs désireux d’approfondir l’art du poète n’eussent pas à leur disposition ce millier de vers moins heureusement venus, où, par suite, il est plus facile de saisir sur le vif ses artifices de composition ou de style, ses habitudes d’esprit, ses procédés de travail.

Une seule fois, du vivant d’Alfred de Vigny, des fragments en ont reparu sous le titre de La jeune Hellénienne, dans le Keepsake français, ou Souvenir de littérature contemporaine, recueilli par M. J.-B.-A. Soulié, conservateur à la bibliothèque de l’Arsenal, première année, 1830, Paris, Giraldon, Bovinet et Cie. Ce morceau est composé de trois fragments du IIe chant d’Héléna ; 1° v. 137-142 ; 2° 148-176 ; 30193-256. Le second fragment est séparé du premier par une ligne de points ; le troisième fait corps avec le second. Ils ne présentent aucune variante.


2° Sous le titre de Révélation, une ébauche de prologue pour l’Ange Tombée (titre primitif d’Éloa), que M. Fernand Gregh a publiée dans la revue les Lettres (n° du 6 avril 1906), et qu’il m’a très aimablement autorisé à réimprimer ici.


3° Un long fragment : La Beauté IdéaleAux mânes de Girodet, destiné à servir d’introduction au Déluge, et donné par Vigny lui-même dans le Mercure du xixe siècle, nov. 1825, t. XI, p. 197-199 ;


4° Un important passage dé la Femme Adultère (cinquante vers), retranché de la pièce dans toutes les éditions postérieures à 1822, et que sa longueur ne permettait pas d’insérer dans l’apparat critique.

J’ai utilisé pour ce fragment comme pour le reste du poème les deux manuscrits (M1, M2), que j’ai signalés plus haut (voir p. vii).


5° Le Chant de Suzanne au bain, le second des deux « Fragmens d’un poème de Suzanne » parus conjointement dans la Muse Française de 1824, dont le premier seul. Le Bain, a été recueilli parmi les Poèmes Antiques et Modernes.

On trouvera en note les variantes d’un manuscrit autographe (M), qui contient aussi le Bain (voir ci-dessus, p. vii).


6° Une série de notules dont le manuscrit autographe m’a été bienveillamment communiqué par M. Louis Barthou. Il consiste en un feuillet, reste d’une chemise qui avait dû servir à Vigny à classer ses papiers poétiques. Sur le recto, on lit cette mention au crayon bleu, à demi effacée, qui semble bien avoir été mise par le poète :

Manuscrits

Éloa Suzanne [?]

Manuscrit d’Héléna

— et cette autre à l’encre, qui est certainement de sa main :

Morceaux dans le goût

Judaïque.

Au bas de la page, des dates, et des chiffres additionnés, dont la signification échappe. Peut-être s’agit-il d’un décompte fait par Vigny des vers qu’il avait composés à telle ou telle époque. — Au verso, séparés par un trait, des renseignements notés, des vers ébauchés en vue de poèmes bibliques. J’ai cru pouvoir, en m’inspirant de Vigny lui-même, donner à ces matériaux inutilisés le titre de : Fragments dans le goût judaïque.


7° Une ample notice en prose, Documens sur les Trapistes d’Espagne, qui ne figure que dans la troisième des éditions séparées du Trapiste.

Insérer les textes ci-dessus dans le recueil d’Alfred de Vigny, c’eût été en altérer fâcheusement la physionomie. J’espère, par le moyen que j’ai employé, avoir concilié le respect dû à la volonté du poète avec les obligations de l’éditeur.


8° Enfin, sous ce titre : Alfred de Vigny critiqué par sa mère, une suite de notes inédites mises par Madame de Vigny mère et par son fils sur un exemplaire des Poèmes de 1822. Ce précieux volume fait partie de la collection Spoelberch de Lovenjoul, qui est aujourd’hui la propriété de l’Institut de France. La Commission compétente a bien voulu m’autoriser à reproduire intégralement ces Marginalia.

IV

Le Commentaire

Je n’ai qu’un mot à dire du commentaire qui accompagne le texte. Il est fait exclusivement au point de vue des sources. Un travail de ce genre n’est jamais complet : je ne m’excuserai donc pas de n’avoir pu, pour certains poèmes, le pousser assez loin. Il est rarement irréprochable : distinguer les cas où il y a rapport vague, similitude fortuite, de ceux où il y a inspiration et imitation est souvent chose fort délicate ; et, malgré le soin qu’on y a pris et la prudence qu’on y a mise. on ne peut se flatter de ne s’être jamais trompé. Dans l’embarras où je me suis trouvé souvent, je me suis résolu quelquefois à courir le risque de pécher par témérité plutôt que par timidité, et j’ai, à tout hasard, présenté au lecteur ma récolte entière, en m’excusant de lui imposer la peine de séparer la paille du grain. Une minutieuse enquête sur les sources d’un écrivain peut passer pour un travail « lilliputien et pédantesque » ; un travail de ce genre, on l’a dit fort justement, est « utile toutefois pour expliquer le talent de Vigny, comme pour mieux entendre André Chénier, comme pour apprécier exactement tout poète de seconde inspiration, fût-ce un Milton, fût-ce un Virgile[6]. » J’apporte ce que j’ai amassé, en souhaitant de donner à d’autres l’idée ou le moyen de faire plus et mieux. Je me tiendrai pour satisfait, si ces notes, telles quelles, peuvent fournir aux curieux de Vigny quelques utiles renseignements sur la formation de son génie. Elles doivent le meilleur de leur contenu aux nombreux et importants travaux publiés depuis une quinzaine d’années sur son œuvre. En donnant ci-dessous la liste de ceux que j’ai consultés pour l’établissement de ce commentaire, je crois servir les intérêts du lecteur, et non pas m’acquitter d’une dette, mais la reconnaître au contraire, lorsqu’il y a lieu, avec toute la gratitude dont je suis capable.


Henri Alline, Deux Sources inconnues des premiers poèmes bibliques d’Alfred de Vigny : l’abbé Fleury et dom Calmet (Revue d’Histoire littéraire de la France, oct.-nov. 1907).


Eugène Asse, Alfred de Vigny et les éditions originales de ses poésies, Paris, 1895.


F. Baldensperger, Thomas Moore et Alfred de Vigny, (The Modem language Review, July 1906 ; recueilli dans : Alfred de Vigny, contribution à sa biographie intellectuelle, Paris, 1912).


Max Brandenburg, Zu Alfred de Vignys Gedicht Moïse, et Erwidening (Zeitschrift fur französischen und englischen Unterricht, VIII, 1909).


Paul Buhle, Alfred de Vignys biblische Gedichte und ibre Quellen, Rostock, 1908.


Marc Citoleux, Vigny et l’Angleterre (Feuilles d’histoire, janvier-février-mars 1914).


Ernest Dupuy, Les Origines littéraires d’Alfred de Vigny (Revue d’Histoire littéraire de la France, juillet-sept. 1903 ; recueilli dans : La Jeunesse des Romantiques, Paris, 1905) ; Alfred de Vigny, la vie et l’œuvre, Paris, 1913.


Edmond Estève, Héléna, édition critique, Paris, 1907 ; Byron et le Romantisme français, Paris, 1907 ; Gessner et Alfred de Vigny (Revue d’Histoire littéraire de la France, oct.-déc. 1910).


Jean Giraud, « Les Amants de Montmorency » d’Alfred de Vigny, fait-divers et élévation (Revue Bleue, 27 mai 19 11) ; Deux souvenirs d’Hamlet et de Faust dans « Paris » d’Alfred de Vigny (Revue Germanique, mars-avril 1912) ; Alfred de Vigny, Œuvres Choisies, Paris, 1913.


Maurice Lange, Encore les sources d’Alfred de Vigny (Revue d’Histoire littéraire de la France, avril-juin 1912).


Pierre Ladoué, Un précurseur du romantisme ; Millevoye (1782-1816), Paris, 1912.


Jacques Langlais, Les Origines littéraires d’Alfred de Vigny (Annales Romantiques, janvier-février 1906).


P.-M. Masson, L’influence d’André Chénier sur Alfred de Vigny (Revue d’Histoire littéraire de la France, janvier-mars 1909).


Th. Richm, Zu Alfred de Vignys Gedicht Moïse (Zeitschrift für französischen und englischen Unterricht, VIII, 1909).


Schultz-Gora, Studie zur Eloa (Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 1904, I).


A. B. Thomas, Moore en France, Paris, 1911.


Maurice Wilmotte, À propos d’un passage d’Alfred de Vigny (Mélanges Émile Picot, II, Paris, 1913).


À ces noms j’ajouterai celui de M. Henri Bernés, qui a mis à ma disposition les notes qu’il avait rassemblées sur les sources de Moïse. De plus M. Bernés a lu deux fois le présent travail, en manuscrit et en épreuves. On devine combien je dois à sa vigilance et à ses judicieux conseils. Qu’il me soit permis enfin d’adresser de sincères remerciements à M. Jacques Madeleine, dont l’expérience et le goût m’ont été, pour la mise au point de cette édition, du plus précieux secours.


POÈMES
ANTIQUES ET MODERNES


[1822]

INTRODUCTION[7].

Dans quelques instans de loisir j’ai fait des vers inutiles ; on les lira peut-être, mais on n’en retirera aucune leçon pour nos temps. Tous plaignent des infortunes qui tiennent aux peines du cœur, et peu d’entre mes ouvrages se rattacheront à des intérêts politiques. Puisse du moins le premier de ces Poëmes n’être pas sorti infructueusement de ma plume ! Je serai content s’il échauffe un cœur de plus pour une cause sacrée. Défenseur de toute légitimité, je nie et je combats celle du pouvoir Ottoman.

NOTE[8].

On éprouve un grand charme à remonter par la pensée jusqu’aux temps antiques : c’est peut-être le même qui entraîne un vieillard à se rappeler ses premières années d’abord, puis le cours entier de sa vie. La poésie, dans les âges de simplicité, fut tout entière vouée aux beautés des formes physiques de la nature et de l’homme ; chaque pas qu’elle a fait ensuite avec les sociétés, vers nos temps de civilisation et de douleurs, a semblé la mêler à nos arts ainsi qu’aux souffrances de nos âmes ; à présent, enfin, sérieuse comme notre religion et la destinée, elle leur emprunte ses plus grandes beautés ; sans jamais se décourager, elle a suivi l’homme dans son grand voyage, comme une belle et douce compagne.

J’ai tenté dans notre langue quelques-unes de ces couleurs, en suivant aussi sa marche vers nos jours.

[1829. — Deuxième édition].

Nous réunissons ici, pour la première fois, des poèmes qui furent composés et publiés de temps à autre, çà et là, à travers la vie errante et militaire de l’auteur. Plusieurs nouveaux poèmes en remplacent d’autres, qui ont été jugés sévèrement par lui-même et retranchés de l’élite de ses œuvres.

Le seul mérite qu’on n’ait jamais disputé à ces compositions, c’est d’avoir devancé en France toutes celles de ce genre, dans lesquelles presque toujours une pensée philosophique est mise en scène sous une forme épique ou dramatique.

Ces poèmes portent chacun leur date : cette date peut être à la fois un titre pour tous, et une excuse pour plusieurs ; car, dans cette route d’innovations, l’auteur se mit en marche bien jeune, mais le premier.

[1829. — Troisième édition] [9].

SUR LA TROISIÈME ÉDITION

Ces poèmes viennent d’être réimprimés, et voilà qu’on les imprime encore peu de jours après. Lorsqu’ils parurent il y a neuf ans[10], ils furent presque inaperçus du public.

Tout cela devait être. Les choses se sont bien passées. De part et d’autre on peut être content. Chaque idée a son heure.

C’est bien peu de chose qu’un livre comme celui-ci ; mais s’il plaît aujourd’hui, c’est qu’alors il étonna ; c’est peut-être qu’il prévenait un désir de l’esprit général, et qu’en le prévenant il acheva de le développer ; c’est qu’une goutte d’eau est remarquée lorsqu’elle jaillit au delà d’une mer ou d’un torrent, une étincelle lorsqu’elle dépasse les flammes d’un grand foyer.

Si ce n’était appliquer de trop vastes idées à un humble sujet, on pourrait dire encore que la marche de l’humanité dans la région des pensées ressemble à celle d’une grande armée dans le désert. D’abord la multitude s’avance et n’aperçoit ni ses éclaireurs perdus en avant d’elle, au delà de l’horizon, ni les traînards qu’elle sème en arrière sur sa route ; elle sent bien le besoin du mouvement, mais elle en ignore le terme ; chaque nouvel aspect, elle croit l’avoir découvert ; elle prend possession de l’espace ; et quoiqu’elle ne porte sa vue qu’à une étendue très bornée, elle marche incessamment dans des régions sans bornes ; elle s’aperçoit qu’on l’a précédée seulement lorsqu’elle trouve l’empreinte des pas sur le sable, et un nom d’homme gravé sur quelque pierre ; alors elle s’arrête un moment pour lire ce nom, et continue sa marche avec plus d’assurance. Elle dépasse bientôt les traces du devancier, mais ne les efface jamais. Que ce pas ait été rencontré à une grande ou courte distance, sur la montagne ou dans la vallée, qu’il ait fait découvrir un grand fleuve ou un humble puits, une vaste contrée ou une petite plante, une pyramide ou le bracelet d’une momie, on en tient compte à l’homme qui l’osa faire. Ce faible pas peut servir à créer une haute renommée, tant la destinée de chacun dépend de tous.

Dans cette rapide et continuelle traversée vers l’infini, aller en avant de la foule c’est la gloire, aller avec elle c’est la vie, rester en arrière c’est la mort même.

1er juillet 1829.

[1837][11].

Ces poëmes sont choisis par l’auteur parmi ceux qu’il composa dans sa vie errante et militaire. Ce sont les seuls qu’il juge dignes d’être conservés.

Plusieurs nouveaux poëmes en remplacent d’autres qu’il retranche de l’élite de ses créations.

L’avenir accepte rarement tout ce que lui lègue un poëte. Il est bon de chercher à deviner son goût et de lui épargner, autant qu’on le peut faire [12], son travail d’épurations rigides. Si cela est praticable, c’est, comme ici, lorsque doivent paraître des œuvres complètes sous les yeux de leur auteur et lorsqu’il sait se connaître lui-même et se juger sévèrement.

Le seul mérite qu’on n’ait jamais disputé à ces compositions, c’est d’avoir devancé, en France, toutes celles de ce genre, dans lesquelles une pensée philosophique est mise en scène sous une forme Épique ou Dramatique.

Ces poëmes portent chacun leur date. Cette date peut être à la fois un titre pour tous et une excuse pour plusieurs ; car, dans cette route d’innovations, l’auteur se mit en marche bien jeune, mais le premier.

Août 1837.

LIVRE MYSTIQUE


MOÏSE[13]

poème


Dédicace : P2, À M. Victor H… — A, À M. Victor Hugo.

Épigraphe : P2, Le souffle de Dieu dans l’homme est une lampe dévorante. Prov. Salomon[14].


Le soleil prolongeait sur la cime des tentes
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,
Ces larges traces d’or qu’il laisse dans les airs,
Lorsqu’en un lit de sable il se couche aux déserts.
La pourpre et l’or semblaient revêtir la campagne.
Du stérile Nébo gravissant la montagne,

Moïse, homme de Dieu, s’arrête, et, sans orgueil,
Sur le vaste horizon promène un long coup d’œil.
Il voit d’abord Phasga, que des figuiers entourent ;
Puis, au delà des monts que ses regards parcourent,
S’étend tout Galaad, Ephraïm, Manassé,
Dont le pays fertile à sa droite est placé ;
Vers le Midi, Juda, grand et stérile, étale
Ses sables où s’endort la mer occidentale ;
Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli.
Couronné d’oliviers, se montre Nephtali ;
Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes
Jéricho s’aperçoit, c’est la ville des palmes ;
Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor
Le lentisque touft’u s’étend jusqu’à Ségor[15].
Il voit tout Chanaan, et la terre promise,

Où si tombe, il le sait, ne sera point admise[16].
Il voit ; sur les Hébreux étend sa grande main[17],
Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.



Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,
Pressés au large pied de la montagne sainte[18],
Les enfants d’Israël s’agitaient au vallon
Comme les blés épais qu’agite l’aquilon.
Dès l’heure où la rosée humecte l’or des sables
Et balance sa perle au sommet des érables.
Prophète centenaire[19], environné d’honneur,
Moïse était parti pour trouver le Seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête[20],
Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte,
Lorsque son front perça le nuage de Dieu

Qui couronnait d’éclairs la cime du haut lieu[21],
L’encens brûla partout sur les autels de pierre[22],
Et six cent mille Hébreux[23], courbés dans la poussière,
À l’ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d’une voix le cantique sacré[24] ;
Et les fils de Lévi, s’élevant sur la foule,
Tels qu’un bois de cyprès sur le sable qui roule[25],
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,
Dirigeaient vers le ciel l’hymne du Roi des Rois.



Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face[26].

Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ?
Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?

Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. —
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu[27] ?
J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu.
Voilà que son pied touche à la terre promise.
De vous à lui qu’un autre accepte l’entremise,
Au coursier d’Israël qu’il attache le frein ;
Je lui lègue mon livre et la verge d’airain[28].



Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,
Puisque du mont Horeb jusques au mont Nébo
Je n’ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau ?
Hélas ! vous m’avez fait sage parmi les sages !
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages.

J’ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois[29] ;
L’avenir à genoux adorera mes lois[30] ;
Des tombes des humains j’ouvre la plus antique,
La mort trouve à ma voix une voix prophétique[31],
Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations,
Ma main fait et défait les générations. —
Hélas ! je suis, Seigneur, puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre !



Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux,

Et vous m’avez prêté la force de vos yeux[32].
Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ;
Ma bouche par leur nom a compté les étoiles[33],
Et, dès qu’au firmament mon geste l’appela,
Chacune s’est hâtée en disant : Me voilà.
J’impose mes deux mains sur le front des nuages
Pour tarir dans leurs flancs la source des orages[34] ;
J’engloutis les cités sous les sables mouvants ;
Je renverse les monts sous les ailes des vents[35] ;
Mon pied infatigable est plus fort que l’espace ;
Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe[36],
Et la voix de la mer se tait devant ma voix.
Lorsque mon peuple souffre, ou qu’il lui faut des lois,
J’élève mes regards, votre esprit me visite ;
La terre alors chancelle et le soleil hésite[37],
Vos anges sont jaloux et m’admirent entre eux. —
Et cependant. Seigneur, je ne suis pas heureux ;

Vous m’avez fait vieillir puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.
Sitôt que votre souffle a rempli le berger.
Les hommes se sont dit : Il nous est étranger[38] ;
Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,
Car ils venaient, hélas ! d’y voir plus que mon âme[39],
J’ai vu l’amour s’éteindre et l’amitié tarir ;
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir[40],
M’enveloppant alors de la colonne noire,
J’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire[41],
Et j’ai dit dans mon cœur : Que vouloir à présent ?
Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
Ma main laisse l’effroi sur la main qu’elle touche[42],
L’orage est dans ma voix, l’éclair est sur ma bouche[43] ;
Aussi, loin de m’aimer, voilà qu’ils tremblent tous[44].
Et, quand j’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.

Ô Seigneur ! j’ai vécu puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. »



Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux[45],
Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux[46][47] ;
Car s’il levait les yeux, les flancs noirs du nuage
Roulaient et redoublaient les foudres de l’orage[48],
Et le feu des éclairs, aveuglant les regards.
Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts[49][50].
Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse. —
Il fut pleuré[51]. — Marchant vers la terre promise,
Josué s’avançait pensif, et pâlissant[52],
Car il était déjà l’élu du Tout-Puissant.


Écrit en 1822.

ÉLOA

ou
LA SŒUR DES ANGES
mystère[53]
C’est le serpent, dit-elle, je l’ai écouté, et il m’a trompée.
Genèse[54].


CHANT PREMIER

naissance

Il naquit sur la terre un Ange, dans le temps[55][56]
Où le Médiateur sauvait ses habitants.
Avec sa suite obscure et comme lui bannie,

Jésus avait quitté les murs de Béthanie ;
À travers la campagne il fuyait d’un pas lent,
Quelquefois s’arrêtait, priant et consolant,
Assis au bord d’un champ le prenait pour symbole[57],
Ou du Samaritain disait la parabole[58],
La brebis égarée[59], ou le mauvais pasteur[60],
Ou le sépulcre blanc pareil à l’imposteur[61] ;
Et, de là, poursuivant sa paisible conquête.
De la Chananéenne écoutait la requête[62],
À la fille sans guide enseignait ses chemins[63][64],
Puis aux petits enfants il imposait les mains[65][66].


L’aveugle-né voyait, sans pouvoir le comprendre,
Le lépreux et le sourd se toucher et s’entendre[67][68],
Et tous lui consacrant des larmes pour adieu[69],
Ils quittaient le désert où l’on exilait Dieu[70].
Fils de l’homme et sujet aux maux de la naissance[71],
Il les commençait tous par le plus grand, l’absence[72],
Abandonnant sa ville et subissant l’Édit,
Pour accomplir en tout ce qu’on avait prédit.



Or, pendant ces temps-là, ses amis en Judée
Voyaient venir leur fin qu’il avait retardée[73] ;
Lazare, qu’il aimait et ne visitait plus[74],
Vint à mourir, ses jours étant tous révolus.
Mais l’amitié de Dieu n’est-elle pas la vie[75] ?
Il partit dans la nuit ; sa marche était suivie
Par les deux jeunes sœurs du malade expiré,

Chez qui dans ses périls il s’était retiré[76].
C’était Marthe et Marie ; or, Marie était celle[77]
Qui versa les parfums et fit blâmer son zèle[78].
Tous s’affligeaient ; Jésus disait en vain : Il dort[79].
Et lui-même en voyant le linceul et le mort[80],
Il pleura[81]. — Larme sainte à l’amitié donnée,
Oh ! vous ne fûtes point aux vents abandonnée !
Des Séraphins penchés l’urne de diamant.
Invisible aux mortels, vous reçut mollement.
Et comme une merveille, au Ciel même étonnante,
Aux pieds de l’Eternel vous porta rayonnante[82].

De l’œil toujours ouvert un regard complaisant
Émut et fit briller l’ineffable présent ;
Et l’Esprit-Saint sur elle épanchant sa puissance
Donna l’âme et la vie à la divine essence.
Comme l’encens qui brûle aux rayons du soleil[83]
Se change en un feu pur, éclatant et vermeil,
On vit alors du sein de l’urne éblouissante.
S’élever une forme et blanche et grandissante,
Une voix s’entendit qui disait : Éloa[84] !
Et l’Ange apparaissant répondit : Me voilà[85].



Toute parée, aux yeux du Ciel qui la contemple,
Elle marche vers Dieu comme une épouse au Temple[86] ;
Son beau front est serein et pur comme un beau lis.
Et d’un voile d’azur il soulève les plis ;
Ses cheveux partagés, comme des gerbes blondes,

{{#tag :poem| Dans les vapeurs de l’air perdent leurs molles ondes, Comme on voit la comète errante dans les cieux[87] Fondre au sein de la nuit ses rayons gracieux[88] ; Une rose aux lueurs de l’aube matinale[89] N’a pas de son teint frais la rougeur virginale ; Et la lune, des bois éclairant l’épaisseur[90], D’un de ses doux regards n’atteint pas la douceur. Ses ailes sont d’argent ; sous une pâle robe[91], Son pied blanc tour à tour se montre et se dérobe, Et son sein agité, mais à peine aperçu, Soulève les contours du céleste tissu[92]. C’est une femme aussi, c’est une Ange charmante[93] ; Car ce peuple d’Esprits, cette famille aimante. Qui, pour nous, près de nous, prie et veille toujours, Unit sa pure essence en de saintes amours : L’Archange Raphaël, lorsqu’il vint sur la Terre, Sous le berceau d’Éden conta ce doux mystère[94].

}}

Mais nulle de ces sœurs que Dieu créa pour eux
N’apporta plus de joie au ciel des Bienheureux[95].



Les Chérubins brûlants qu’enveloppent six ailes[96],
Les tendres Séraphins, Dieux des amours fidèles[97],
Les Trônes, les Vertus, les Princes, les Ardeurs[98],
Les Dominations, les Gardiens, les Splendeurs,

Et les Rêves pieux, et les saintes Louanges[99],
Et tous les Anges purs, et tous les grands Archanges[100],
Et tout ce que le Ciel renferme d’habitants,
Tous, de leurs ailes d’or voilés en même temps[101],
Abaissèrent leurs fronts jusqu’à ses pieds de neige[102],
Et les Vierges ses sœurs s’unissant en cortège,
Comme autour de la Lune on voit les feux du soir,
Se tenant par la main, coururent pour la voir.
Des harpes d’or pendaient à leur chaste ceinture ;
Et des fleurs qu’au Ciel seul fit germer la nature,
Des fleurs qu’on ne voit pas dans l’Été des humains[103],
Comme une large pluie abondaient sous leurs mains[104].



« Heureux, chantaient alors des voix incomparables,

» Heureux le monde offert à ses pas secourables !
» Quand elle aura passé parmi les malheureux,
» L’esprit consolateur se répandra sur eux.
» Quel globe attend ses pas ? Quel siècle la demande[105] ?
» Naîtra-t-il d’autres cieux afin qu’elle y commande[106] ? »



Un jour… (Comment oser nommer du nom de jour
Ce qui n’a pas de fuite et n’a pas de retour ?
Des langages humains défiant l’indigence,
L’Éternité se voile à notre intelligence.
Et pour nous faire entendre un de ses courts instants[107],
Il faut chercher pour eux un nom parmi les Temps[108][109][110].)
Un jour les habitants de l’immortel empire,
Imprudents une fois, s’unissaient pour l’instruire[111].
« Éloa, disaient-ils, oh ! veillez bien sur vous[112] :
» Un Ange peut tomber ; le plus beau de nous tous
» N’est plus ici : pourtant dans sa vertu première

» On le nommait celui qui porte la lumière[113] ;
» Car il portait l’amour et la vie en tout lieu,
» Aux astres il portait tous les ordres de Dieu[114][115] ;
» La Terre consacrait sa beauté sans égale[116],
» Appelant Lucifer l’étoile matinale,
» Diamant radieux, que sur son front vermeil,
» Parmi ses cheveux d’or a posé le Soleil[117].
» Mais on dit qu’à présent il est sans diadème[118],
» Qu’il gémit, qu’il est seul, que personne ne l’aime,
» Que la noirceur d’un crime appesantit ses yeux[119],
» Qu’il ne sait plus parler le langage des Cieux ;
» La mort est dans les mots que prononce sa bouche ;
» Il brûle ce qu’il voit, il flétrit ce qu’il touche[120][121] ;

» Il ne peut plus sentir le mal ni les bienfaits ;
» Il est même sans joie aux malheurs qu’il a faits.
» Le Ciel qu’il habita se trouble à sa mémoire,
» Nul Ange n’osera vous conter son histoire[122],
» Aucun Saint n’oserait dire une fois son nom[123][124]. »
Et l’on crut qu’Éloa le maudirait ; mais non,
L’effroi n’altéra point son paisible visage[125],
Et ce fut pour le Ciel un alarmant présage.
Son premier mouvement ne fut pas de frémir[126],
Mais plutôt d’approcher comme pour secourir ;
La tristesse apparut sur sa lèvre glacée
Aussitôt qu’un malheur s’offrit à sa pensée[127] ;
Elle apprit à rêver, et son front innocent
De ce trouble inconnu rougit en s’abaissant ;
Une larme brillait auprès de sa paupière.
Heureux ceux dont le cœur verse ainsi la première !


Un Ange eut ces ennuis qui troublent tant nos jours[128],
Et poursuivent les grands dans la pompe des cours[129] ;
Mais au sein des banquets, parmi la multitude[130].
Un homme qui gémit trouve la solitude ;
Le bruit des Nations, le bruit que font les Rois,
Rien n’éteint dans son cœur une plus forte voix.
Harpes du Paradis, vous étiez sans prodiges !
Chars vivants dont les yeux ont d’éclatants prestiges[131] !
Armures du Seigneur[132], pavillons du saint lieu[133],
Étoiles des bergers tombant des doigts de Dieu,
Saphirs des encensoirs, or du céleste dôme,

Délices du Nebel[134], senteurs du Cinnamome[135][136],
Vos bruits harmonieux, vos splendeurs, vos parfums,
Pour un Ange attristé devenaient importuns ;
Les cantiques sacrés troublaient sa rêverie,
Car rien n’y répondait à son âme attendrie ;
Et soit lorsque Dieu même, appelant les Esprits[137],
Dévoilait sa grandeur à leurs regards surpris,
Et montrait dans les cieux, foyer de la naissance[138].
Les profondeurs sans nom de sa triple puissance ;
Soit quand les Chérubins représentaient entre eux
Ou les actes du Christ ou ceux des Bienheureux,
Et répétaient au ciel chaque nouveau Mystère[139]
Qui, dans les mêmes temps, se passait sur la Terre,
La crèche offerte aux yeux des Mages étrangers[140],
La famille au désert, le salut des Bergers[141] :
Éloa s’écartant de ce divin spectacle.
Loin de leur foule et loin du brillant Tabernacle,
Cherchait quelque nuage où dans l’obscurité
Elle pourrait du moins rêver en liberté.



Les Anges ont des nuits comme la nuit humaine.
Il est dans le Ciel même une pure fontaine[142] ;

Une eau brillante y court sur un sable vermeil[143][144].
Quand un Ange la puise, il dort, mais d’un sommeil
Tel que le plus aimé des amants de la terre
N’en voudrait pas quitter le charme solitaire[145][146],
Pas même pour revoir dormant auprès de lui
La beauté dont la tête a son bras pour appui.
Mais en vain Éloa s’abreuvait de son onde,
Sa douleur inquiète en était plus profonde ;
Et toujours dans la nuit un rêve lui montrait[147]
Un Ange malheureux qui de loin l’implorait[148][149].
Les Vierges quelquefois pour connaître sa peine[150],
Formant une prière inentendue et vaine[151],
L’entouraient, et prenant ces soins qui font souffrir.
Demandaient quels trésors il lui fallait offrir,

{{#tag :poem|

Et de quel prix serait son éternelle vie. Si le bonheur du Ciel flattait peu son envie[152] ; Et pourquoi son regard ne cherchait pas enfin Les regards d’un Archange ou ceux d’un Séraphin[153]. Éloa répondait une seule parole[154] : « Aucun d’eux n’a besoin de celle qui console. » On dit qu’il en est un… » Mais détournant leurs pas, Les Vierges s’enfuyaient et ne le nommaient pas[155].


Cependant, seule, un jour, leur timide compagne Regarde autour de soi la céleste campagne. Étend l’aile et sourit, s’envole, et dans les airs Cherche sa Terre amie ou des astres déserts[156][157].


Ainsi dans les forêts de la Louisiane[158], Bercé sous les bambous et la longue liane. Ayant rompu l’œuf d’or par le soleil mûri. Sort de son nid de fleurs l’éclatant Colibri[159][160] ;

}}

Une verte émeraude a couronné sa tête,
Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête,
La cuirasse d’azur garnit son jeune cœur ;
Pour les luttes de l’air l’oiseau part en vainqueur[161]
Il promène en des lieux voisins de la lumière
Ses plumes de corail qui craignent la poussière[162] ;
Sous son abri sauvage étonnant le ramier,
Le hardi voyageur visite le palmier[163].
La plaine des parfums est d’abord délaissée ;
Il passe, ambitieux, de l’érable à l’alcée[164],
Et de tous ses festins croit trouver les apprêts
Sur le front du palmiste ou les bras du cyprès[165] ;
Mais les bois sont trop grands pour ses ailes naissantes.
Et les fleurs du berceau de ces lieux sont absentes ;
Sur la verte savane il descend les chercher[166] ;
Les serpents-oiseleurs qu’elles pourraient cacher[167]
L’effarouchent bien moins que les forêts arides[168].

Il poursuit près des eaux le jasmin des Florides[169][170],
La nonpareille au fond de ses chastes prisons[171],
Et la fraise embaumée au milieu des gazons[172].



C’est ainsi qu’Éloa, forte dès sa naissance[173],
De son aile argentée essayant la puissance,
Passant la blanche voie où des feux immortels
Brûlent aux pieds de Dieu comme un amas d’autels,
Tantôt se balançant sur deux jeunes planètes.
Tantôt posant ses pieds sur le front des comètes,
Afin de découvrir les êtres nés ailleurs[174][175],
Arriva seule au fond des Cieux inférieurs.


L’Éther a ses degrés, d’une grandeur immense,
Jusqu’à l’ombre éternelle où le Chaos commence[176][177].
Sitôt qu’un Ange a fui l’azur illimité[178],
Coupole de saphirs qu’emplit la Trinité[179],
Il trouve un air moins pur ; là passent des nuages,
Là tournent des vapeurs, serpentent des orages.
Comme une garde agile, et dont la profondeur
De l’air que Dieu respire éteint pour nous l’ardeur.
Mais après nos soleils et sous les atmosphères
Où, dans leur cercle étroit, se balancent nos sphères,
L’espace est désert, triste, obscur, et sillonné
Par un noir tourbillon lentement entraîné.
Un jour douteux et pâle éclaire en vain la nue[180],
Sous elle est le Chaos et la nuit inconnue[181] ;

Et, lorsqu’un vent de feu brise son sein profond,
On devine le vide impalpable et sans fond[182].



Jamais les purs Esprits, enfants de la lumière[183],
De ces trois régions n’atteignent la dernière,
Et jamais ne s’égare aucun beau Séraphin
Sur ces degrés confus dont l’Enfer est la fin.
Même les Chérubins, si forts et si fidèles[184].
Craignent que l’air impur ne manque sous leurs ailes,
Et qu’ils ne soient forcés, dans ce vol dangereux,
De tomber jusqu’au fond du Chaos ténébreux.
due deviendrait alors l’exilé sans défense ?
Du rire des Démons l’inextinguible offense,
Leurs mots, leurs jeux railleurs, lent et cruel affront.
Feraient baisser ses yeux, feraient rougir son front.

Péril plus grand ! peut-être il lui faudrait entendre
Quelque chant d’abandon voluptueux et tendre :
Quelque regret du Ciel, un récit douloureux[185]
Dit par la douce voix d’un Ange malheureux[186].
Et même, en lui prêtant une oreille attendrie.
Il pourrait oublier la céleste patrie,
Se plaire sous la nuit, et dans une amitié
Qu’auraient nouée entre eux les chants et la pitié.
Et comment remonter à la voûte azurée,
Offrant à la lumière éclatante et dorée
Des cheveux dont les flots sont épars et ternis,
Des ailes sans couleurs, des bras, un col brunis,
Un front plus pâle, empreint de traces inconnues
Parmi les fronts sereins des habitants des nues[187],
Des yeux dont la rougeur montre qu’ils ont pleuré.
Et des pieds noirs encor d’un feu pestiféré[188] ?



Voilà pourquoi, toujours prudents et toujours sages.
Les Anges de ces lieux redoutent les passages.


C’était là cependant, sur la sombre vapeur[189],
Que la Vierge Éloa se reposait sans peur :
Elle ne se troubla qu’en voyant sa puissance[190],
Et les bienfaits nouveaux causés par sa présence.
Quelques mondes punis semblaient se consoler ;
Les globes s’arrêtaient pour l’entendre voler.
S’il arrivait aussi qu’en ses routes nouvelles[191]
Elle touchât l’un d’eux des plumes de ses ailes,
Alors tous les chagrins s’y taisaient un moment[192],
Les rivaux s’embrassaient avec étonnement ;
Tous les poignards tombaient oubliés par la haine ;
Le captif souriant marchait seul et sans chaîne[193] ;
Le criminel rentrait au temple de la loi ;
Le proscrit s’asseyait au palais de son Roi ;

L’inquiète Insomnie abandonnait sa proie ;
Les pleurs cessaient partout, hors les pleurs de la joie ;
Et surpris d’un bonheur rare chez les mortels,
Les amants séparés s’unissaient aux autels[194].

CHANT DEUXIÈME

séduction[195]

Souvent parmi les monts qui dominent la terre
S’ouvre un puits naturel, profond et solitaire ;
L’eau qui tombe du ciel s’y garde, obscur miroir
Où, dans le jour, on voit les étoiles du soir[196].
Là, quand la villageoise a, sous la corde agile,
De l’urne, au fond des eaux, plongé la frêle argile,
Elle y demeure oisive, et contemple longtemps
Ce magique tableau des astres éclatants.
Qui semble orner son front, dans l’onde souterraine[197],
D’un bandeau qu’envîraient les cheveux d’une Reine.
Telle, au fond du Chaos qu’observaient ses beaux ; yeux,
La Vierge, en se penchant, croyait voir d’autres Cieux[198].

Ses regards, éblouis par des Soleils sans nombre,
N’apercevaient d’abord qu’un abîme et que l’ombre,
Mais elle y vit bientôt des feux errants et bleus
Tels que des froids marais les éclairs onduleux[199][200] ;
Ils fuyaient, revenaient, puis s’échappaient encore ;
Chaque étoile semblait poursuivre un météore[201] ;
Et l’Ange, souriant au spectacle étranger,
Suivait des 5’eux leur vol circulaire et léger[202].
Bientôt il lui sembla qu’une pure harmonie
Sortait de chaque flamme à l’autre flamme unie[203] :
Tel est le choc plaintif et le son vague et clair[204]
Des cristaux suspendus au passage de l’air,
Pour que, dans son palais, la jeune Italienne
S’endorme en écoutant la harpe-Éolienne[205].
Ce bruit lointain devint un chant surnaturel[206],
Qui parut s’approcher de la fille du Ciel[207] ;
Et ces feux réunis furent comme l’aurore
D’un jour inespéré qui semblait près d’éclore[208].

À sa lueur de rose un nuage embaumé
Montait en longs détours dans un air enflammé,
Puis lentement forma sa couche d’ambroisie,
Pareille à ces divans où dort la molle Asie[209].
Là, comme un Ange assis, jeune, triste et charmant[210].
Une forme céleste apparut vaguement[211].



Quelquefois un enfant de la Clyde écumeuse[212][213],
En bondissant parcourt sa montagne brumeuse[214].
Et chasse un daim léger que son cor étonna,
Des glaciers de l’Arven aux brouillards du Crona[215][216],

Franchit les rocs moussus, dans les gouffres s’élance[217],
Pour passer le torrent aux arbres se balance,
Tombe avec un pied sûr, et s’ouvre des chemins[218]
Jusqu’à la neige encor vierge des pas humains.
Mais bientôt, s’égarant au milieu des nuages[219].
Il cherche les sentiers voilés par les orages[220] ;
Là, sous un arc-en-ciel qui couronne les eaux[221],
S’il a vu, dans la nue et ses vagues réseaux[222].
Passer le plaid léger d’une Écossaise errante,
Et s’il entend sa voix dans les échos mourante.
Il s’arrête enchanté, car il croit que ses yeux
Viennent d’apercevoir la sœur de ses aïeux.
Qui va faire frémir, ombre encore amoureuse,
Sous ses doigts transparents la harpe vaporeuse[223] ;

Il cherche alors comment Ossian la nomma,
Et, debout sur sa roche, appelle Evir-Coma[224][225].



Non moins belle apparut, mais non moins incertaine,
De l’Ange ténébreux la forme encor lointaine,
Et des enchantements non moins délicieux
De la Vierge céleste occupèrent les yeux[226][227].
Comme un cygne endormi, qui seul, loin de la rive.
Livre son aile blanche à l’onde fugitive[228],
Le jeune homme inconnu mollement s’appuyait
Sur ce lit de vapeurs qui sous ses bras fuyait.
Sa robe était de pourpre, et, flamboyante ou pâle[229],
Enchantait les regards des teintes de l’opale[230].

Ses cheveux étaient noirs, mais pressés d’un bandeau ;
C’était une couronne ou peut-être un fardeau :
L’or en était vivant comme ces feux mystiques
Qui, tournoyants, brûlaient sur les trépieds antiques.
Son aile était ployée, et sa faible couleur
De la brume des soirs imitait la pâleur[231].
Des diamants nombreux rayonnent avec grâce
Sur ses pieds délicats qu’un cercle d’or embrasse[232] ;
Mollement entourés d’anneaux mystérieux.
Ses bras et tous ses doigts éblouissent les yeux[233].
Il agite sa main d’un sceptre d’or armée[234],
Comme un roi qui d’un mont voit passer son armée[235],
Et, craignant que ses vœux ne s’accomplissent pas,
D’un geste impatient accuse tous ses pas.
Son front est inquiet ; mais son regard s’abaisse,

{{#tag :poem|

Soit que sachant des yeux la force enchanteresse, Il veuille ne montrer d’abord que par degrés Leurs rayons caressants encor mal assurés, Soit qu’il redoute aussi l’involontaire flamme Qui dans un seul regard révèle l’âme à l’âme[236]. Tel que dans la forêt le doux vent du matin[237] Commence ses soupirs par un bruit incertain Qui réveille la terre et fait palpiter l’onde ; Élevant lentement sa voix douce et profonde, Et prenant un accent triste comme un adieu, Voici les mots qu’il dit à la fille de Dieu :


» D’où viens-tu, bel Archange ? où vas-tu ? quelle voie[238] » Suit ton aile d’argent qui dans l’air se déploie[239] ? » Vas-tu, te reposant au centre d’un Soleil, » Guider l’ardent foyer de son cercle vermeil[240] ; » Ou, troublant les amants d’une crainte idéale, » Leur montrer dans la nuit l’Aurore boréale[241] ; » Partager la rosée aux calices des fleurs, }} {{#tag :poem| » Ou courber sur les monts l’écharpe aux sept couleurs[242][243] ? » Tes soins ne sont-ils pas de surveiller les âmes[244], » Et de parler, le soir, au cœur des jeunes femmes ; » De venir comme un rêve en leurs bras te poser, » Et de leur apporter un fils dans un baiser[245][246] ? » Tels sont tes doux emplois, si du moins j’en veux croire[247] » Ta beauté merveilleuse et tes rayons de gloire. » Mais plutôt n’es-tu pas un ennemi naissant[248] » Qu’instruit à me haïr mon rival trop puissant ? » Ah ! peut-être est-ce toi qui, m’offensant moi-même, » Conduiras mes Païens sous les eaux du baptême[249] ; » Car toujours l’ennemi m’oppose triomphant » Le regard d’une vierge ou la voix d’un enfant[250]. » Je suis un exilé que tu cherchais peut-être[251] :

}}

» Mais s’il est vrai, prends garde au Dieu jaloux ton maître ;
» C’est pour avoir aimé, c’est pour avoir sauvé,
» Que je suis malheureux, que je suis réprouvé.
» Chaste beauté ! viens-tu me combattre ou m’absoudre[252] ?
» Tu descends de ce Ciel qui m’envoya la foudre,
» Mais si douce à mes yeux, que je ne sais pourquoi
» Tu viens aussi d’en haut, bel Ange, contre moi[253]. »



Ainsi l’Esprit parlait. À sa voix caressante[254],
Prestige préparé contre une âme innocente,
À ces douces lueurs, au magique appareil
De cet Ange si doux, à ses frères pareil[255],
L’habitante des Cieux, de son aile voilée.
Montait en reculant sur sa route étoilée[256],
Comme on voit la baigneuse au milieu des roseaux[257]

Fuir un jeune nageur qu’elle a vu sous les eaux[258].
Mais en vain ses deux pieds s’éloignaient du nuage,
Autant que la colombe en deux jours de voyage
Peut s’éloigner d’Alep et de la blanche tour[259]
D’où la sultane envoie une lettre d’amour[260] :
Sous l’éclair d’un regard sa force fut brisée[261] ;
Et, dès qu’il vit ployer son aile maîtrisée[262],
L’ennemi séducteur continua tout bas :



« Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas.
» Sur l’homme j’ai fondé mon empire de flamme,
» Dans les désirs du cœur, dans les rêves de l’âme,
» Dans les liens des corps, attraits mystérieux,
» Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux[263].
» C’est moi qui fais parler l’épouse dans ses songes ;

» La jeune fille heureuse apprend d’heureux mensonges ;
» Je leur donne des nuits qui consolent des jours,
» Je suis le Roi secret des secrètes amours[264].
» J’unis les cœurs, je romps les chaînes rigoureuses[265],
» Comme le papillon sur ses ailes poudreuses[266]
» Porte aux gazons émus des peuplades de fleurs[267],
» Et leur fait des amours sans périls et sans pleurs[268].
» J’ai pris au Créateur sa faible créature ;
» Nous avons, malgré lui, partagé la Nature[269] :
» Je le laisse, orgueilleux des bruits du jour vermeil,
» Cacher des astres d’or sous l’éclat d’un Soleil[270] ;
» Moi, j’ai l’ombre muette, et je donne à la terre
» La volupté des soirs et les biens du mystère.



» Es-tu venue, avec quelques Anges des cieux[271],
» Admirer de mes nuits le cours délicieux ?

» As-tu vu leurs trésors ? Sais-tu quelles merveilles
» Des Anges ténébreux accompagnent les veilles ?



» Sitôt que, balancé sous le pâle horizon[272],
» Le soleil rougissant a quitté le gazon[273],
» Innombrables Esprits, nous volons dans les ombres[274]
» En secouant dans l’air nos chevelures sombres[275] :
» L’odorante rosée alors jusqu’au matin
» Pleut sur les orangers, les lilas et le thym[276].
» La Nature attentive aux lois de mon empire[277]
» M’accueille avec amour, m’écoute et me respire ;
» Je redeviens son âme, et pour mes doux projets,
» Du fond des éléments j’évoque mes sujets.
» Convive accoutumé de ma nocturne fête,
» Chacun d’eux en chantant à s’y rendre s’apprête.
» Vers le ciel étoile, dans l’orgueil de son vol[278],
» S’élance, le premier, l’éloquent rossignol[279] ;
» Sa voix sonore, à l’onde, à la terre, à la nue,

» De mon heure chérie annonce la venue[280] ;
’75 » Il vante mon approche aux pâles alisiers,
» Il la redit encore aux humides rosiers ;
» Héraut harmonieux, partout il me proclame ;
» Tous les oiseaux de l’ombre ouvrent leurs yeux de flamme.
» Le vermisseau reluit ; son front de diamant
» Répète auprès des fleurs les feux du firmament,
» Et lutte de clartés avec le météore[281]
» Qui rôde sur les eaux comme une pâle aurore.
» L’étoile des marais, que détache ma main,
» Tombe et trace dans l’air un lumineux chemin[282][283].



» Dédaignant le remords et sa triste chimère[284],
» Si la Vierge a quitté la couche de sa mère,

» Ces flambeaux naturels s’allument sous ses pas[285],
» Et leur feu clair la guide et ne la trahit pas.
» Si sa lèvre s’altère et vient près du rivage
» Chercher comme une coupe un profond coquillage,
» L’eau soupire et bouillonne, et devant ses pieds nus
» Jette aux bords sablonneux la Conque de Vénus[286].
» Des Esprits lui font voir de merveilleuses choses,
» Sous des bosquets remplis de la senteur des roses ;
» Elle aperçoit sur l’herbe, où leur main la conduit,
» Ces fleurs dont la beauté ne s’ouvre que la nuit,
» Pour qui l’aube du jour aussi sera cruelle[287],
» Et dont le sein modeste a des amours comme elle[288].
» Le silence la suit ; tout dort profondément.
» L’ombre écoute un mystère avec recueillement[289] ;
» Les vents, des prés voisins, apportent l’ambroisie
» Sur la couche des bois que l’amant a choisie[290].
» Bientôt deux jeunes voix murmurent des propos
« Qui des bocages sourds animent le repos.
» Au fond de l’orme épais dont l’abri les accueille,
» L’oiseau réveillé chante et bruït sous la feuille.
» L’hymne de volupté fait tressaillir les airs[291],
» Les arbres ont leurs chants, les buissons leurs concerts,
» Et, sur les bords d’une eau qui gémit et s’écoule,
» La colombe de nuit languissamment roucoule[292][293].



» La voilà sous tes yeux l’œuvre du Malfaiteur[294] ;
» Ce méchant qu’on accuse est un Consolateur[295]
» Qui pleure sur l’esclave et le dérobe au maître[296],
» Le sauve par l’amour des chagrins de son être[297],
» Et, dans le mal commun lui-même enseveli[298],
» Lui donne un peu de charme et quelquefois l’oubli[299]. »
Trois fois, durant ces mots, de l’Archange naissante,
La rougeur colora la joue adolescente,
Et, luttant par trois fois contre un regard impur,
Une paupière d’or voila ses yeux d’azur.

CHANT TROISIÈME

chute[300]

D’où venez-vous, Pudeur, noble crainte, ô Mystère,
Qu’au temps de son enfance a vu naître la terre,
Fleur de ses premiers jours qui germez parmi nous,
Rose du Paradis ! Pudeur, d’où venez-vous[301] ?
Vous pouvez seule encor remplacer l’innocence,
Mais l’arbre défendu vous a donné naissance ;
Au charme des vertus votre charme est égal.
Mais vous êtes aussi le premier pas du mal ;
D’un chaste vêtement votre sein se décore[302],
Ève avant le serpent n’en avait pas encore ;
Et si le voile pur orne votre maintien[303].
C’est un voile toujours, et le crime a le sien[304] ;
Tout vous trouble, un regard blesse votre paupière[305].
Mais l’enfant ne craint rien, et cherche la lumière.

Sous ce pouvoir nouveau, la Vierge fléchissait[306],
Elle tombait déjà, car elle rougissait[307] ;
Déjà presque soumise au joug de l’Esprit sombre[308][309],
Elle descend, remonte, et redescend dans l’ombre[310].
Telle on voit la perdrix voltiger et planer
Sur des épis brisés qu’elle voudrait glaner.
Car tout son nid l’attend ; si son vol se hasarde[311],
Son regard ne peut fuir celui qui la regarde[312]
Et c’est le chien d’arrêt qui, sombre surveillant,
La suit, la suit toujours d’un œil fixe et brillant[313].



Ô des instants d’amour ineffable délire !
Le cœur répond au cœur comme l’air à la lyre.
Ainsi qu’un jeune amant, interprète adoré,
Explique le désir par lui-même inspiré,
Et contre la pudeur aidant sa bien-aimée,
Entraînant dans ses bras sa faiblesse charmée,
Tout enivré d’espoir, plus qu’à demi vainqueur.
Prononce les serments qu’elle fait dans son cœur,
Le prince des Esprits, d’une voix oppressée[314],
De la Vierge timide expliquait la pensée.
Éloa, sans parler, disait : Je suis à toi ;
Et l’Antye ténébreux dit tout haut : Sois à moi !



« Sois à moi, sois ma sœur ; je t’appartiens moi-même ;
» Je t’ai bien méritée, et dès longtemps je t’aime,
» Car je t’ai vue un jour. Parmi les fais de l’air
» Je me mêlais, voilé comme un soleil d’hiver[315][316].
» Je revis une fois l’ineffable contrée,
» Des peuples lumineux la patrie azurée,
» Et n’eus pas un regret d’avoir quitté ces lieux
» Où la crainte toujours siège parmi les Dieux[317].
» Toi seule m’apparus comme une jeune étoile
» Qui de la vaste nuit perce à l’écart le voile[318][319] ;
» Toi seule me parus ce qu’on cherche toujours,
» Ce que l’homme poursuit dans l’ombre de ses jours,
» Le Dieu qui du bonheur connaît seul le mystère,
» Et la Reine qu’attend mon trône solitaire.
» Enfin, par ta présence, habile à me charmer,
» Il me fut révélé que je pouvais aimer.



« Soit que tes yeux, voilés d’une ombre de tristesse,
» Aient entendu les miens qui les cherchaient sans cesse,
» Soit que ton origine, aussi douce que toi,
» T’ait fait une patrie un peu plus près de moi.

» Je ne sais, mais depuis l’heure qui te vit naître,
» Dans tout être créé j’ai cru te reconnaître[320] ;
» J’ai trois fois en pleurant passé dans l’Univers[321],
» Je te cherchais partout, dans un souffle des airs.
» Dans un rayon tombe du disque de la lune,
» Dans l’étoile qui fuit le ciel qui l’importune,
» Dans l’arc-en-ciel, passage aux Anges familier[322].
» Ou sur le lit moelleux des neiges du glacier ;
» Des parfums de ton vol je respirais la trace ;
» En vain j’interrogeai les globes de l’espace.
» Du char des astres purs j’obscurcis les essieux[323],
» Je voilai leurs rayons pour attirer tes yeux,
» J’osai même, enhardi par mon nouveau délire[324],
» Toucher les fibres d’or de la céleste lyre.
» Mais tu n’entendis rien, mais tu ne me vis pas.
» Je revins à la Terre, et je glissai mes pas
» Sous les abris de l’homme où tu reçus naissance.
» Je croyais t’y trouver protégeant l’innocence,
» Au berceau balancé d’un enfant endormi[325].
» Rafraîchissant sa lèvre avec un souffle ami ;
» Ou bien comme un rideau développant ton aile,

» Et gardant contre moi, timide sentinelle[326],
» Le sommeil de la Vierge aux côtés de sa sœur[327],
» Qui, rêvant, sur son sein la presse avec douceur[328].
» Mais seul je retournai sous ma belle demeure[329],
» J’y pleurai comme ici, j’y gémis, jusqu’à l’heure
» Où le son de ton vol m’émut, me fit trembler[330],
» Comme un prêtre qui sent que son Dieu va parler. »



Il disait ; et bientôt comme une jeune Reine[331],
Qui rougit de plaisir au nom de souveraine.
Et fait à ses sujets un geste gracieux[332],
Ou donne à leurs transports un regard de ses yeux,
Éloa, soulevant le voile de sa tête,
Avec un doux sourire à lui parler s’apprête,
Descend plus près de lui, se penche, et mollement
Contemple avec orgueil son immortel amant.
Son beau sein, comme un flot qui sur la rive expire,
Pour la première fois se soulève et soupire ;
Son bras, comme un lis blanc sur le lac suspendu[333],

S’approche sans effroi lentement étendu[334] ;
Sa bouche parfumée en s’ouvrant semble éclore,
Comme la jeune rose aux faveurs de l’aurore[335],
Quand le matin lui verse une fraîche liqueur,
Et qu’un rayon du jour entre jusqu’à son cœur.
Elle parle, et sa voix dans un beau son rassemble
Ce que les plus doux bruits auraient de grâce ensemble ;
Et la lyre accordée aux flûtes dans les bois.
Et l’oiseau qui se plaint pour la première fois,
Et la mer quand ses flots apportent sur la grève
Les chants du soir aux pieds du voyageur qui rêve[336],
Et le vent qui se joue aux cloches des hameaux,
Ou fait gémir les joncs de la fuite des eaux :



« Puisque vous êtes beau, vous êtes bon, sans doute ;
» Car, sitôt que des Cieux une âme prend la route,
» Comme un saint vêtement, nous voyons sa bonté[337]
» Lui donner en entrant l’éternelle beauté[338].
» Mais pourquoi vos discours m’inspirent-ils la crainte ?
» Pourquoi sur votre front tant de douleur empreinte[339] ?

» Comment avez-vous pu descendre du saint lieu ?
» Et comment m’aimez-vous, si vous n’aimez pas Dieu ? »



Le trouble des regards, grâce de la décence[340][341],
Accompagnait ces mots, forts comme l’innocence ;
Ils tombaient de sa bouche, aussi doux, aussi purs,
Que la neige en hiver sur les coteaux obscurs[342][343] ;
Et comme, tout nourris de l’essence première.
Les Anges ont au cœur des sources de lumière.
Tandis qu’elle parlait, ses ailes à l’entour.
Et son sein et ses bras répandirent le jour[344][345] :
Ainsi le diamant luit au milieu des ombres[346][347].
L’Archange s’en effraie, et sous ses cheveux sombres

Cherche un épais refuge à ses yeux éblouis[348] ;
Il pense qu’à la fin des Temps évanouis,
Il lui faudra de même envisager son maître,
Et qu’un regard de Dieu le brisera peut-être[349] ;
Il se rappelle aussi tout ce qu’il a souffert
Après avoir tenté Jésus dans le désert.
Il tremble ; sur son cœur où l’enfer recommence[350],
Comme un sombre manteau jette son aile immense,
Et veut fuir. La terreur réveillait tous ses maux[351].



Sur la neige des monts, couronne des hameaux,
L’Espagnol a blessé l’aigle des Asturies[352],
Dont le vol menaçait ses blanches bergeries ;
Hérissé, l’oiseau part et fait pleuvoir le sang,
Monte aussi vite au ciel que l’éclair en descend[353] ;
Regarde son Soleil, d’un bec ouvert l’aspire[354],
Croit reprendre la vie au flamboyant empire[355] ;

Dans un fluide d’or il nage puissamment[356],
Et parmi les rayons se balance un moment :
Mais l’homme l’a frappé d’une atteinte trop sûre ;
Il sent le plomb chasseur fondre dans sa blessure[357] ;
Son aile se dépouille, et son royal manteau
Vole comme un duvet qu’arrache le couteau.
Dépossédé des airs, son poids le précipite ;
Dans la neige du mont il s’enfonce et palpite,
Et la glace terrestre a d’un pesant sommeil
Fermé cet œil puissant respecté du Soleil.



Tel retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,
L’Ange maudit pencha sa chevelure noire[358],
Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :
« — Triste amour du péché ! sombres désirs du mal !
» De l’orgueil, du savoir gigantesques pensées !
» Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ?
» Maudit soit le moment où j’ai mesuré Dieu[359] !
» Simplicité du cœur ! à qui j’ai dit adieu,
» Je tremble devant toi, mais pourtant je t’adore ;
» Je suis moins criminel puisque je t’aime encore ?
» Mais dans mon sein flétri tu ne reviendras pas[360] !

» Loin de ce que j’étais, quoi ! j’ai fait tant de pas !
» Et de moi-même à moi si grande est la distance,
» Que je ne comprends plus ce que dit l’innocence ;
» Je souffre, et mon esprit, par le mal abattu,
» Ne peut plus remonter jusqu’à tant de vertu[361].



» Qu’êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?
» Quand j’allais, le premier de ces Anges modestes,
» Prier à deux genoux devant l’antique loi[362],
» Et ne pensais jamais au delà de la foi[363] ?
» L’éternité pour moi s’ouvrait comme une tête[364] ;
» Et, des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma tête[365],



Le Tentateur lui-même était presque charmé,
Il avait oublié son art et sa victime.
Et son cœur un moment se reposa du crime[366].
Il répétait tout bas, et le front dans ses mains :
« Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! »


Ah ! si dans ce moment la Vierge eût pu l’entendre.
Si la céleste main qu’elle eût osé lui tendre[367]
L’eût saisi repentant, docile à remonter[368]
Qui sait ? le mal peut-être eût cessé d’exister[369][370].
Mais, sitôt qu’elle vit sur sa tête pensive[371]
De l’Enfer décelé la douleur convulsive[372].
Étonnée et tremblante, elle éleva ses yeux[373],
Plus forte, elle parut se souvenir des Cieux[374],
Et souleva deux fois ses ailes argentées[375],
Entr’ouvrant pour gémir ses lèvres enchantées ;

Ainsi qu’un jeune enfant, s’attachant aux roseaux,
Tente de faibles cris étouffés sous les eaux[376],
Il la vit prête à fuir vers les cieux de lumière[377].
Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière.
Aussitôt en lui-même, et plus fort désormais.
Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais,
Ce noir esprit du mal qu’irrite l’innocence.
Il rougit d’avoir pu douter de sa puissance.
Il rétablit la paix sur son front radieux,
Rallume tout à coup l’audace de ses yeux.
Et longtemps en silence il regarde et contemple
La victime du Ciel qu’il destine à son temple ;
Comme pour lui montrer qu’elle résiste en vain.
Et s’endurcir lui-même à ce regard divin.
Sans amour, sans remords, au fond d’un cœur de glace.
Des coups qu’il va porter il médite la place[378].
Et, pareil au guerrier qui, tranquille à dessein,
Dans les défauts du fer cherche à frapper le sein.
Il compose ses traits sur les désirs de l’Ange ;
Son air, sa voix, son geste et son maintien, tout change,
Sans venir de son cœur, des pleurs fallacieux
Paraissent tout à coup sur le bord de ses yeux.
La Vierge dans le Ciel n’avait pas vu de larmes[379],
Et s’arrête ; un soupir augmente ses alarmes[380].
Il pleure amèrement comme un homme exilé,

Comme une veuve auprès de son fils immolé[381] ;
Ses cheveux dénoués sont épars ; rien n’arrête
Les sanglots de son sein qui soulèvent sa tête.
Éloa vient et pleure ; ils se parlent ainsi[382] :



« Que vous ai-je donc fait ? Qu’avez-vous ? me voici.
— Tu cherches à me fuir, et pour toujours peut-être[383].
Combien tu me punis de m’être fait connaître !
— J’aimerais mieux rester ; mais le Seigneur m’attend.
Je veux parler pour vous, souvent il nous entend[384].
— Il ne peut rien sur moi, jamais mon sort ne change[385],
Et toi seule es le Dieu qui peut sauver un Ange.
— Que puis-je faire ? hélas ! dites, faut-il rester[386] ?
— Oui, descends jusqu’à moi, car je ne puis monter.
— Mais quel don voulez-vous ? — Le plus beau, c’est nous-mêmes[387]
Viens. — M’exiler du Ciel ? — Qu’importe, si tu m’aimes[388] ?
Touche ma main. Bientôt dans un mépris égal[389]

Se confondront pour nous et le bien et le mal[390].
Tu n’as jamais compris ce qu’on trouve de charmes
À présenter son sein pour y cacher des larmes[391].
Viens, il est un bonheur que moi seul t’apprendrai ;
Tu m’ouvriras ton âme, et je l’y répandrai.
Comme l’aube et la lune au couchant reposée
Confondent leurs rayons, ou comme la rosée
Dans une perle seule unit deux de ses pleurs
Pour s’empreindre du baume exhalé par les fleurs[392].
Comme un double flambeau réunit ses deux flammes,
Non moins étroitement nous unirons nos âmes.
— Je t’aime et je descends. Mais que diront les Cieux[393] ? »



En ce moment passa dans l’air, loin de leurs yeux,
Un des célestes chœurs, où, parmi les louanges[394].
On entendit ces mots que répétaient des Anges[395] :
« Gloire dans l’Univers, dans les Temps, à celui[396]

» Qui s’immole à jamais pour le salut d’autrui[397]. »
Les Cieux semblaient parler. C’en était trop pour elle[398].



Deux fois encor levant sa paupière infidèle,
Promenant des regards encore irrésolus,
Elle chercha ses Cieux qu’elle ne voyait plus.



Des Anges au Chaos allaient puiser des mondes[399].
Passant avec terreur dans ses plaines profondes,
Tandis qu’ils remplissaient les messages de Dieu,
Ils ont tous vu tomber un nuage de feu.
Des plaintes de douleur, des réponses cruelles,
Se mêlaient dans la flamme au battement des ailes.



Où me conduisez-vous, bel Ange ? — Viens toujours.
— Que votre voix est triste, et quel sombre discours[400] !
N’est-ce pas Éloa qui soulève ta chaîne ?
J’ai cru t’avoir sauvé. — Non, c’est moi qui t’entraîne.
— Si nous sommes unis, peu m’importe en quel lieu[401] !

Nomme-moi donc encore ou ta Sœur ou ton Dieu[402] !
— J’enlève mon esclave et je tiens ma victime.
— Tu paraissais si bon ! Oh ! qu’ai-je fait ? — Un crime.
— Seras-tu plus heureux, du moins, es-tu content[403][404] ?
— Plus triste que jamais. — Qui donc es-tu ? — Satan.


Écrit en 1823, dans les Vosges[405].

LE DÉLUGE

mystère[406]
Serait-il dit que vous fassiez mourir le Juste avec le méchant ?
Genèse[407].


Dédicace : A-C3, À M. Émile Deschamps.

Épigraphe : P2, A-C2, Sera-t-il dit — P2, A-C3 le juste


I

La Terre était riante et dans sa fleur première[408] ;
Le jour avait encor cette même lumière

Qui du Ciel embelli couronna les hauteurs
Quand Dieu la fit tomber de ses doigts créateurs.
Rien n’avait dans sa forme altéré la nature,
Et des monts réguliers l’immense architecture
S’élevait jusqu’aux Cieux par ses degrés égaux,
Sans que rien de leur chaîne eût brisé les anneaux.
La forêt, plus féconde, ombrageait, sous ses dômes,
Des plaines et des fleurs les gracieux royaumes,
Et des fleuves aux mers le cours était réglé
Dans un ordre parfait qui n’était pas troublé.
Jamais un voyageur n’aurait, sous le feuillage,
Rencontré, loin des flots, l’émail du coquillage[409],
Et la perle habitait son palais de cristal :
Chaque trésor restait dans l’élément natal,
Sans enfreindre jamais la céleste défense ;
Et la beauté du monde attestait son enfance[410] ;
Tout suivait sa loi douce et son premier penchant,
Tout était pur encor. Mais l’homme était méchant.



Les peuples déjà vieux, les races déjà mûres,
Avaient vu jusqu’au fond des sciences obscures ;

Les mortels savaient tout, et tout les affligeait ;
Le prince était sans joie ainsi que le sujet ;
Trente religions avaient eu leurs prophètes,
Leurs martyrs, leurs combats, leurs gloires, leurs défaites.
Leur temps d’indifférence et leur siècle d’oubli ;
Chaque peuple, à son tour dans l’ombre enseveli.
Chantait languissamment ses grandeurs effacées :
La mort régnait déjà dans les âmes glacées[411] :
Même plus haut que l’homme atteignaient ses malheurs.
D’autres êtres cherchaient ses plaisirs et ses pleurs.
Souvent, fruit inconnu d’un orgueilleux mélange,
Au sein d’une mortelle on vit le fils d’un Ange[412][413][414].
Le crime universel s’élevait jusqu’aux cieux[415].
Dieu s’attrista lui-même et détourna les yeux.



Et cependant, un jour, au sommet solitaire
Du mont sacré d’Arar, le plus haut de la Terre,
Apparut une vierge et près d’elle un pasteur :
Tous deux nés dans les champs, loin d’un peuple imposteur[416],
Leur langage était doux, leurs mains étaient unies
Comme au jour fortuné des unions bénies[417] ;

Ils semblaient, en passant sur ces monts inconnus,
Retourner vers le Ciel dont ils étaient venus ;
Et sans l’air de douleur, signe que Dieu nous laisse,
Rien n’eût de leur nature indiqué la faiblesse.
Tant les traits primitifs et leur simple beauté
Avaient sur leur visage empreint de majesté.



Quand du mont orageux ils touchèrent la cime,
La campagne à leurs pieds s’ouvrit comme un abîme.
C’était l’heure où la nuit laisse le Ciel au jour[418] :
Les constellations pâlissaient tour à tour ;
Et, jetant à la terre un regard triste encore[419].
Couraient vers l’Orient se perdre dans l’aurore,
Comme si pour toujours elles quittaient les yeux
Qui lisaient leur destin sur elles dans les Cieux[420].
Le Soleil, dévoilant sa figure agrandie.
S’éleva sur les bois comme un vaste incendie ;
Et la Terre aussitôt, s’agitant longuement,
Salua son retour par un gémissement[421].
Réunis sur les monts, d’immobiles nuages
Semblaient y préparer l’arsenal des orages ;
Et sur leurs fronts noircis qui partageaient les Cieux

Luisait incessamment l’éclair silencieux[422].
Tous les oiseaux, poussés par quelque instinct funeste,
S’unissaient dans leur vol en un cercle céleste ;
Comme des exilés qui se plaignent entre eux,
Ils poussaient dans les airs de longs cris douloureux[423][424].



La Terre cependant montrait ses lignes sombres
Au jour pâle et sanglant qui faisait fuir les ombres[425] ;
Mais, si l’homme y passait, on ne pouvait le voir :
Chaque cité semblait comme un point vague et noir,
Tant le mont s’élevait à des hauteurs immenses !
Et des fleuves lointains les faibles apparences
Ressemblaient au dessin par le vent effacé
Que le doigt d’un enfant sur le sable a tracé.



Ce fut là que deux voix, dans le désert perdues,
Dans les hauteurs de l’air avec peine entendues,
Osèrent un moment prononcer tour à tour
Ce dernier entretien d’innocence et d’amour[426] :


— « Comme la Terre est belle en sa rondeur immense !
La vois-tu qui s’étend jusqu’où le Ciel commence ?
La vois-tu s’embellir de toutes ses couleurs ?
Respire un jour encor le parfum de ses fleurs,
Que le vent matinal apporte à nos montagnes.
On dirait aujourd’hui que les vastes campagnes
Élèvent leur encens, étalent leur beauté,
Pour toucher, s’il se peut, le Seigneur irrité[427].
Mais les vapeurs du Ciel, comme de noirs fantômes,
Amènent tous ces bruits, ces lugubres symptômes
Oui devaient, sans manquer au moment attendu,
Annoncer l’agonie à l’Univers perdu[428][429].
Viens, tandis que l’horreur partout nous environne,
Et qu’une vaste nuit lentement nous couronne,
Viens, ô ma bien-aimée ! et, fermant tes beaux yeux.
Qu’épouvante l’aspect du désordre des Cieux[430],
Sur mon sein, sous mes bras repose encor ta tête.
Comme l’oiseau qui dort au sein de la tempête[431] ;
Je te dirai l’instant où le Ciel sourira,
Et durant le péril ma voix te parlera. »

La vierge sur son cœur pencha sa tête blonde ;
Un bruit régnait au loin, pareil au bruit de l’onde :

Mais tout était paisible et tout dormait dans l’air ;
Rien ne semblait vivant, rien, excepté l’éclair[432].
Le pasteur poursuivit d’une voix solennelle :
« Adieu, Monde sans borne, ô Terre maternelle !
Formes de l’horizon, ombrages des forêts.
Antres de la montagne, embaumés et secrets ;
Gazons verts, belles fleurs de l’Oasis chérie,
Arbres, rochers connus, aspects de la patrie !
Adieu ! tout va finir, tout doit être effacé[433],
Le temps qu’a reçu l’homme est aujourd’hui passé,
Demain rien ne sera. Ce n’est point par l’épée,
Postérité d’Adam, que tu seras frappée,
Ni par les maux du corps ou les chagrins du cœur
Non, c’est un élément qui sera ton vainqueur.
La Terre va mourir sous des eaux éternelles[434],
Et l’Ange en la cherchant fatiguera ses ailes.
Toujours succédera, dans l’Univers sans bruits[435],
Au silence des jours le silence des nuits[436].

L’inutile Soleil, si le matin l’amène,
N’entendra plus la voix et la parole humaine ;
Et quand sur un flot mort sa flamme aura relui,
Le stérile rayon remontera vers lui[437].
Oh ! pourquoi de mes yeux a-t-on levé les voiles[438] ?
Comment ai-je connu le secret des étoiles ?
Science du désert, annales des pasteurs !
Cette nuit, parcourant vos divines hauteurs
Dont l’Égypte et Dieu seul connaissent le mystère,
Je cherchais dans le Ciel l’avenir de la Terre ;
Ma houlette savante, orgueil de nos bergers,
Traçait l’ordre éternel sur les sables légers,
Comparant, pour fixer l’heure où l’étoile passe.
Les cailloux de la plaine aux lueurs de l’espace[439][440].



« Mais un Ange a paru dans la nuit sans sommeil ;
Il avait de son front quitté l’éclat vermeil.
Il pleurait, et disait dans sa douleur amère :
« Que n’ai-je pu mourir lorsque mourut ta mère !

» J’ai failli, je l’aimais. Dieu punit cet amour,
» Elle fut enlevée en te laissant au jour.
» Le nom d’Emmanuel que la Terre te donne,
» C’est mon nom. J’ai prié pourvue Dieu te pardonne ;
» Va seul au mont Arar, prends ses rocs pour autels,
» Prie, et seul, sans songer au destin des mortels,
» Tiens toujours tes regards plus hauts que sur la Terre ;
» La mort de l’Innocence est pour l’homme un mystère[441] ;
» Ne t’en étonne pas, n’y porte pas tes yeux[442] ;
» La pitié du mortel t’est point celle des Cieux.
» Dieu ne fait point de pacte avec la race humaine ;
» Qui créa sans amour fera périr sans haine[443].
» Sois seul, si Dieu m’entend, je viens. » Il m’a quitté ;
Avec combien de pleurs, hélas ! l’ai-je écouté !
J’ai monté sur l’Arar, mais avec une femme[444]. »

Sara lui dit : « Ton âme est semblable à mon âme,
Car un mortel m’a dit : « Venez sur Gelboë,
» Je me nomme Japhet, et mon père est Noë.
» Devenez mon épouse, et vous serez sa fille ;
» Tout va périr demain, si ce n’est ma famille[445]. »

Et moi je l’ai quitté sans avoir répondu,
De peur qu’Emmanuel n’eût longtemps attendu[446]. »
Puis tous deux embrassés, ils se dirent ensemble :
« Ah ! louons l’Éternel, il punit, mais rassemble ! »
Le tonnerre grondait ; et tous deux à genoux
S’écrièrent alors : « Ô Seigneur, jugez-nous ! »

II


Tous les vents mugissaient, les montagnes tremblèrent.
Des fleuves arrêtés les vagues reculèrent,
Et du sombre horizon dépassant la hauteur.
Des vengeances de Dieu l’immense exécuteur,
L’Océan apparut. Bouillonnant et superbe,
Entraînant les forêts comme le sable et l’herbe,
De la plaine inondée envahissant le fond.
Il se couche en vainqueur dans le désert profond[447],
Apportant avec lui comme de grands trophées
Les débris inconnus des villes étouffées.
Et là bientôt plus calme en son accroissement.
Semble, dans ses travaux, s’arrêter un moment,
Et se plaire à mêler, à briser sur son onde
Les membres arrachés au cadavre du Monde.

Ce fut alors qu’on vit des hôtes inconnus
Sur des bords étrangers tout à coup survenus ;
Le cèdre jusqu’au Nord vint écraser le saule ;
Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle,
Heurtèrent l’éléphant près du Nil endormi[448],
Et le monstre, que l’eau soulevait à demi,
S’étonna d’écraser, dans sa lutte contre elle.
Une vague où nageaient le tigre et la gazelle.
En vain des larges flots repoussant les premiers.
Sa trompe tournoyante arracha les palmiers ;
Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides,
Regrettant ses roseaux et ses sables arides.
Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert.
Et jusqu’au vent de flamme exilé du désert.



Dans l’effroi général de toute créature,
La plus féroce même oubliait sa nature ;
195 Les animaux n’osaient ni ramper ni courir.
Chacun d’eux résigné se coucha pour mourir[449].

En vain fuyant aux Cieux[450] l’eau sur ses rocs venue,
L’aigle tomba des airs, repoussé par la nue[451].
Le péril confondit tous les êtres tremblants.
L’homme seul se livrait à des projets sanglants.
Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre.
Se disputaient longtemps les restes de la Terre[452] :
Mais, pendant leurs combats, les flots non ralentis
Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis.
Alors un ennemi plus terrible que l’onde
Vint achever partout la défaite du Monde ;
La faim de tous les cœurs chassa les passions :
Les malheureux, vivants après leurs nations,
N’avaient qu’une pensée, effroyable torture,
L’approche de la mort, la mort sans sépulture.
On vit sur un esquif, de mers en mers jeté.
L’œil affamé du fort sur le faible arrêté[453] ;

Des femmes, à grands cris insultant la nature,
Y réclamaient du sort leur humaine pâture ;
L’athée, épouvanté de voir Dieu triomphant.
Puisait un jour de vie aux veines d’un enfant ;
Des derniers réprouvés telle fut l’agonie.
L’amour survivait seul à la bonté bannie ;
Ceux qu’unissaient entre eux des serments mutuels,
Et que persécutait la haine des mortels.
S’offraient ensemble à l’onde avec un front tranquille[454],
Et contre leurs douleurs trouvaient un même asile[455].



Mais sur le mont Arar, encor loin du trépas.
Pour sauver ses enfants l’Ange ne venait pas ;
En vain le cherchaient-ils, les vents et les orages
N’apportaient sur leurs fronts que de sombres nuages.



Cependant sous les flots montés également
Tout avait par degrés disparu lentement :
Les cités n’étaient plus, rien ne vivait, et l’onde
Ne donnait qu’un aspect à la face du monde[456].

Seulement quelquefois sur l’élément profond
Un palais englouti montrait l’or de son front ;
Quelques dômes, pareils à de magiques îles,
Restaient pour attester la splendeur de leurs villes[457].
Là parurent encore un moment deux mortels :
L’un la honte d’un trône, et l’autre des autels ;
L’un se tenant au bras de sa propre statue.
L’autre au temple élevé d’une idole abattue.
Tous deux jusqu’à la mort s’accusèrent en vain
De l’avoir attirée avec le flot divin[458].
Plus loin, et contemplant la solitude humide,
Mourait un autre roi, seul sur sa pyramide[459].
Dans l’immense tombeau, s’était d’abord sauvé
Tout son peuple ouvrier qui l’avait élevé[460] :
Mais la mer implacable, en fouillant dans les tombes.
Avait tout arraché du fond des catacombes :
Les mourants et leurs Dieux, les spectres immortels.
Et la race embaumée, et le sphinx des autels[461],
Et ce roi fut jeté sur les sombres momies
Qui dans leurs lits flottants se heurtaient endormies.
Expirant, il gémit de voir à son côté
Passer ces demi-Dieux sans immortalité[462],

Dérobés à la mort, mais reconquis par elle
Sous les palais profonds de leur tombe éternelle ;
Il eut le temps encor de penser une fois
Que nul ne saurait plus le nom de tant de rois,
Qu’un seul jour désormais comprendrait leur histoire.
Car la postérité mourait avec leur gloire.



L’arche de Dieu passa comme un palais errant.
Le voyant assiégé par les flots du courant,
Le dernier des enfants de la famille élue
Lui tendit en secret sa main irrésolue,
Mais d’un dernier effort : « Va-t’en, lui cria-t-il,
De ton lâche salut je refuse l’exil ;
Va, sur quelques rochers qu’aura dédaignés l’onde,
Construire tes cités sur le tombeau du monde ;
Mon peuple mort est là, sous la mer je suis roi.
Moins coupables que ceux qui descendront de toi,
Pour étonner tes fils sous ces plaines humides,
Mes géants[463] glorieux laissent les pyramides[464] ;
Et sur le haut des monts leurs vastes ossements,
De ces rivaux du Ciel terribles monuments,
Trouvés dans les débris de la terre inondée[465],

Viendront humilier ta race dégradée[466]. »
Il disait, s’essayant par le geste et la voix
À l’air impérieux des hommes qui sont rois,
Quand, roulé sur la pierre et touché par la foudre,
Sur sa tombe immobile, il fut réduit en poudre[467].



Mais sur le mont Arar l’Ange ne venait pas ;
L’eau faisait sur les rocs de gigantesques pas.
Et ses flots rugissants vers le mont solitaire[468]
Apportaient avec eux tous les bruits du tonnerre.



Enfin le fléau lent qui frappait les humains
Couvrit le dernier point des œuvres de leurs mains[469] ;
Les montagnes, bientôt par l’onde escaladées.
Cachèrent dans son sein leurs têtes inondées.
Le volcan s’éteignit, et le feu périssant
Voulut en vain y rendre un combat impuissant ;
À l’élément vainqueur il céda le cratère,
Et sortit en fumant des veines de la Terre[470].

III


Rien ne se voyait plus, pas même des débris ;
L’univers écrasé ne jetait plus ses cris.
Quand la mer eut des monts chassé tous les nuages,
On vit se disperser l’épaisseur des orages ;
Et les rayons du jour, dévoilant leur trésor,
Lançaient jusqu’à la mer des jets d’opale et d’or ;
La vague était paisible, et molle et cadencée.
En berceaux de cristal mollement balancée ;
Les vents, sans résistance, étaient silencieux ;
La foudre, sans échos, expirait dans les cieux ;
Les cieux devenaient purs, et, réfléchis dans l’onde.
Teignaient d’un azur clair l’immensité profonde.



Tout s’était englouti sous les flots triomphants.
Déplorable spectacle ! excepté deux enfants.
Sur le sommet d’Arar tous deux étaient encore.
Mais par l’onde et les vents battus depuis l’aurore.
Sous les lambeaux mouillés des tuniques de lin,
La vierge était tombée aux bras de l’orphelin ;
Et lui, gardant toujours sa tête évanouie,
Mêlait ses pleurs sur elle aux gouttes de la pluie[471].
Cependant, lorsqu’enfin le soleil renaissant

Fit tomber un rayon sur son front innocent,
Par la beauté du jour un moment abusée,
Comme un lis abattu, secouant la rosée[472],
Elle entr’ouvrit les yeux et dit : « Emmanuel !
Avons-nous obtenu la clémence du Ciel[473] ?
J’aperçois dans l’azur la colombe qui passe,
Elle porte un rameau ; Dieu nous a-t-il fait grâce ?
— La colombe est passée et ne vient pas à nous.
— Emmanuel, la mer a touché mes genoux.
— Dieu nous attend ailleurs à l’abri des tempêtes.
— Vois-tu l’eau sur nos pieds ? — Vois le ciel sur nos têtes,
— Ton père ne vient pas ; nous serons donc punis ?
— Sans doute après la mort nous serons réunis[474].
— Venez, Ange du ciel, et prêtez-lui vos ailes !
— Recevez-la, mon père, aux voûtes éternelles ! »



Ce fut le dernier cri du dernier des humains.
Longtemps, sur l’eau croissante élevant ses deux mains.
Il soutenait Sara par les flots poursuivie ;
Mais, quand il eut perdu sa force avec la vie.
Par le ciel et la mer le monde fut rempli,
Et l’arc-en-ciel brilla, tout étant accompli[475].


Écrit à Oloron, dans les Pyrénées, en 1823[476].

LIVRE MYSTIQUE


ANTIQUITE BIBLIQUE

LA FILLE DE JEPHTÉ[477]

poème
Et de là vient la coutume qui s’est toujours observée depuis en Israël,

Que toutes les filles d’Israël s’assemblent une fois l’année, pour pleurer la fille de Jephté de Galaad pendant quatre jours.

Juges, ch. xi, V. 39-40.


Titre : P1, pas de sous-titre.


Voilà ce qu’ont chanté les filles d’Israël,
Et leurs pleurs ont coulé sur l’herbe du Carmel :

— Jephté de Galaad a ravagé trois villes[478] ;
Abel ! la flamme a lui sur tes vignes fertiles !
Aroër sous la cendre éteignit ses chansons.
Et Mennith s’est assise en pleurant ses moissons !

Tous les guerriers d’Ammon sont détruits, et leur terre[479]
Du Seigneur notre Dieu reste la tributaire[480].
Israël est vainqueur, et par ses cris perçants
Reconnaît du Très-Haut les secours tout-puissants[481].

À l’hymne universel que le désert répète
Se mêle en longs éclats le son de la trompette,
Et l’armée, en marchant vers les tours de Maspha,
Leur raconte de loin que Jephté triompha[482].

Le peuple tout entier tressaille de la fête.
— Mais le sombre vainqueur marche en baissant la tête ;
Sourd à ce bruit de gloire, et seul, silencieux.
Tout à coup il s’arrête, il a fermé ses yeux.

Il a fermé ses yeux, car au loin, de la ville,
Les vierges, en chantant, d’un pas lent et tranquille.
Venaient ; il entrevoit le chœur religieux,
C’est pourquoi, plein de crainte, il a fermé ses yeux.

Il entend le concert qui s’approche et l’honore :
La harpe harmonieuse et le tambour sonore,
Et la lyre aux dix voix, et le Kinnor léger,
Et les sons argentins du Nebel étranger[483],

Puis, de plus près, les chants, leurs paroles pieuses.
Et les pas mesurés en des danses joyeuses[484],
Et, par des bruits flatteurs, les mains frappant les mains[485],
30 Et de rameaux fleuris parfumant les chemins[486].

Ses genoux ont tremblé sous le poids de ses armes ;
Sa paupière s’entr’ouvre à ses premières larmes :
C’est que, parmi les voix, le père a reconnu
La voix la plus aimée à ce chant ingénu :

— « Ô vierges d’Israël ! ma couronne s’apprête
» La première à parer les cheveux de sa tête ;
» C’est mon père, et jamais un autre enfant que moi
» N’augmenta la famille heureuse sous sa loi[487]. »

Et ses bras à Jephté donnés avec tendresse,
Suspendant à son col leur pieuse caresse[488] :
« Mon père, embrassez-moi ! D’où naissent vos retards ?
» Je ne vois que vos pleurs et non pas vos regards.

» Je n’ai point oublié l’encens du sacrifice :
» J’offrais pour vous hier la naissante génisse.
» Qui peut vous affliger ? le Seigneur n’a-t-il pas
» Renversé les cités au seul bruit de vos pas ? »

— « C’est vous, hélas ! c’est vous, ma fille bien-aimée ? »
Dit le père en rouvrant sa paupière enflammée ;
» Faut-il que ce soit vous ! ô douleur des douleurs[489][490] !
» Que vos embrassements feront couler de pleurs !

» Seigneur, vous êtes bien le Dieu de la vengeance ;
» En échange du crime il vous faut l’innocence.

» C’est la vapeur du sang qui plaît au Dieu jaloux[491] !
» Je lui dois une hostie, ô ma fille ! et c’est vous[492] ! »

— « Moi ! » dit-elle. Et ses yeux se remplirent de larmes[493].
Elle était jeune et belle, et la vie a des charmes.
Puis elle répondit : « Oh ! si votre serment[494]
» Dispose de mes jours, permettez seulement

» Qu’emmenant avec moi les vierges mes compagnes,
» J’aille, deux mois entiers, sur le haut des montagnes,
» Pour la dernière fois, errante en liberté,
» Pleurer sur ma jeunesse et ma virginité[495] !

» Car je n’aurai jamais, de mes mains orgueilleuses,
» Purifié mon fils sous les eaux merveilleuses ;
» Vous n’aurez pas béni sa venue, et mes pleurs
» Et mes chants n’auront pas endormi ses douleurs ;

» Et, le jour de ma mort, nulle vierge jalouse
» Ne viendra demander de qui je fus l’épouse[496],
» Quel guerrier prend pour moi le cilice et le deuil[497] :
» Et seul vous pleurerez autour de mon cercueil. »

Après ces mots, l’armée assise tout entière
Pleurait, et sur son front répandait la poussière[498].
Jephté sous un manteau tenait ses pleurs voilés[499] ;
Mais, parmi les sanglots, on entendit : « Allez[500]. »

Elle inclina la tête et partit. Ses compagnes.
Comme nous la pleurons, pleuraient sur les montagnes.
Puis elle vint s’offrir au couteau paternel[501].
— Voilà ce qu’ont chanté les filles d’Israël.


Écrit en 1820[502].

LA FEMME ADULTÈRE

poème
L’adultère attend le soir, et se dit : Aucun œil ne me verra ; et il se cache le visage, car la lumière est pour lui comme la mort.
Job, ch. xxiv, v. 15-17.


M1, M2, P1, Le sous-titre manque, et la division en quatre sections n’existe pas.

Épigraphe : M2, P1, Qu’un tourbillon ténébreux règne dans cette nuit ; qu’elle ne soit pas comptée dans les jours de l’année ! | Que cette nuit soit dans une affreuse solitude, et que les cantiques de joie ne s’y tassent point entendre ! | Que les étoiles de son crépuscule se voilent de ténèbres ! Qu’elle attende la lumière, et qu’il n’en vienne point ! et qu’elle ne voie pas les paupières de l’Aurore ! (Job.)[503].


I


« Mon lit est parfumé d’aloès et de myrrhe[504] ;
» L’odorant cinnamome et le nard de Palmyre[505]
» Ont chez moi de l’Égypte embaumé les tapis.

» J’ai placé sur mon front et l’or et le lapis ;
» Venez, mon bien-aimé, m’enivrer de délices[506]
» Jusqu’à l’heure où le jour appelle aux sacrifices[507] :
» Aujourd’hui que l’époux n’est plus dans la cité[508],
» Au nocturne bonheur soyez donc invité[509] ;
» Il est allé bien loin[510]. » — C’était ainsi, dans l’ombre[511].
Sur les toits aplanis[512] et sous l’oranger sombre,
Qu’une femme parlait, et son bras abaissé[513]
Montrait la porte étroite à l’amant empressé[514].
Il a franchi le seuil où le cèdre s’entr’ouvre[515][516],
Et qu’un verrou secret rapidement recouvre[517] ;

Puis ces mots ont frappé le cyprès des lambris[518][519] :
« Voilà ces yeux si purs dont mes yeux sont épris !
» Votre front est semblable au lis de la vallée[520][521],
» De vos lèvres toujours la rose est exhalée[522] :
» Que votre voix est douce et douces vos amours[523] !
» Oh ! quittez ces colliers et ces brillants atours[524] !
— « Non ; ma main veut tarir cette humide rosée[525]
» Que l’air sur vos cheveux a longtemps déposée[526] :
» C’est pour moi que ce front s’est glacé sous la nuit !
— « Mais ce cœur est brûlant, et l’amour l’a conduit.
» Me voici devant vous, ô belle entre les belles[527][528] !
» Qu’importent les dangers ? que sont les nuits cruelles
» Quand du palmier d’amour le fruit va se cueillir[529][530],
» Quand sous mes doigts tremblants je le sens tressaillir ?
— « Oui… Mais d’où vient ce cri, puis ce spas sur la pierre[531] ?

— « C’est un des fils d’Aaron qui sonne la prière[532][533].
» Et quoi ! vous pâlissez ! Que le feu du baiser
» Consume nos amours qu’il peut seul apaiser[534],
» Qu’il vienne remplacer cette crainte farouche,
» Et fermer au refus la pourpre de ta bouche[535] !… »
On n’entendit plus rien, et les feux abrégés
Dans les lampes d’airain moururent négligés.

II


Quand le soleil levant embrasa la campagne
Et les verts oliviers de la sainte montagne,
À cette heure paisible où les chameaux poudreux
Apportent du désert leur tribut aux Hébreux ;
Tandis que de sa tente ouvrant la blanche toile.
Le pasteur qui de l’aube a vu pâlir l’étoile[536]

Appelle sa famille au lever solennel,
Et salue en ses chants le jour et l’Éternel[537][538] ;
Le séducteur, content du succès de son crime,
Fuit l’ennui des plaisirs et sa jeune victime.
Seule, elle reste assise, et son front sans couleur
Du remords qui s’approche a déjà la pâleur[539] ;
Elle veut retenir cette nuit, sa complice[540],
Et la première aurore est son premier supplice[541] :
Elle vit tout ensemble et la faute et le lieu[542].
S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu.
Elle joignit les mains, immobile et muette[543].
Ses yeux toujours fixés sur la porte secrète ;

Et semblable à la mort, seulement quelques pleurs[544]
Montraient encor sa vie en montrant ses douleurs[545].
Telle Sodome a vu cette femme imprudente[546]
Frappée au jour où Dieu versa la pluie ardente,
Et, brûlant d’un seul feu deux peuples détestés[547],
Éteignit leurs palais dans des flots empestés[548] :
Elle voulut, bravant la céleste défense[549],
Voir une fois encor les lieux de son enfance,
Ou peut-être, écoutant un cœur ambitieux,
Surprendre d’un regard le grand secret des cieux[550] :
Mais son pied tout à coup, à la fuite inhabile[551],
Se fixe, elle pâlit sous un sel immobile[552].
Et le juste vieillard, en marchant vers Ségor,
N’entendit plus ses pas qu’il écoutait encor[553].


Tel est le front glacé de la Juive infidèle[554].
Mais quel est cet enfant qui paraît auprès d’elle ?
Il voit des pleurs, il pleure, et, d’un geste incertain,
Demande, comme hier, le baiser du matin.
Sur ses pieds chancelants il s’avance, et, timide,
De sa mère ose enfin presser la joue humide.
Qu’un baiser serait doux ! elle veut l’essayer[555] ;
Mais l’époux, dans le fils, la revient effrayer[556] ;
Devant ce lit, ces murs et ces voûtes sacrées.
Du secret conjugal encore pénétrées,
Où vient de retentir un amour criminel[557],
Hélas ! elle rougit de l’amour maternel,
Et tremble de poser, dans cette chambre austère,

Sur une bouche pure une lèvre adultère[558].
Elle voulut parler, mais les sons de sa voix[559].
Sourds et demi-formés, moururent à la fois,
Et sa parole éteinte et vaine fut suivie[560]
D’un soupir qui sembla le dernier de sa vie.
Elle repousse alors son enfant étonné,
Tant la honte a rempli son cœur désordonné[561] !
Elle entr’ouvre le seuil, mais là tombe abattue,
Telle que de sa base une blanche statue[562].

III


Ce jour-là, des remparts, on voyait revenir[563][564]
Un voyageur parti pour la ville de Tyr.

Sa suite et ses chevaux montraient son opulence[565] ;
Guidés nonchalamment par le fer d’une lance,
Fléchissaient sous leur poids, et l’onagre rayé[566],
Et l’indolent chameau, par son guide effrayé[567] ;
Et douze serviteurs, suivant l’étroite voie,
Courbaient leurs fronts brûlés sous la pourpre et la soie[568][569] ;

Et le maître disait : « Maintenant Séphora[570][571]
Cherche dans l’horizon si l’époux reviendra ;
Elle pleure, elle dit : « Il est bien loin encore[572] !
« Des feux du jour pourtant le désert se colore !
« Et du côté de Tyr je ne l’aperçois pas[573][574]. »
Mais elle va courir au-devant de mes pas ;
Et je dirai : « Tenez, livrez-vous à la joie !
« Ces présents sont pour vous, et la pourpre et la soie[575],
« Et les moelleux tapis, et l’ambre précieux[576],

« Et l’acier des miroirs que souhaitaient vos yeux[577][578]. »
Voilà ce qu’il disait, et de Sion la sainte[579]
Traversait à grands pas la tortueuse enceinte.

IV


Tout Juda cependant aux fêtes introduit[580],
Vers le temple, en courant, se pressait à grand bruit[581] :
Les vieillards, les enfants, les femmes affligées.
Dans les longs repentirs et les larmes plongées,
Et celles que frappait un mal secret et lent[582],
Et l’aveugle aux longs cris[583], et le boiteux tremblant.
Et le lépreux impur, le dégoût de la terre[584][585],

Tous, de leurs maux guéris racontant le mystère[586][587],
Aux pieds de leur Sauveur l’adoraient prosternés[588],
Lui, né dans les douleurs, roi des infortunés[589],
D’une féconde main prodiguait les miracles,
Et de sa voix sortait une source d’oracles[590] :
De la vie avec l’homme il partageait l’ennui,
Venait trouver le pauvre et s’égalait à lui[591].
Quelques hommes, formés à sa divine école.
Nés simples et grossiers, mais forts de sa parole.
Le suivaient lentement, et son front sérieux[592]
Portait les feux divins en bandeau glorieux.



Par ses cheveux épars une femme entraînée,
Qu’entoure avec clameur la foule déchaînée[593],
Paraît : ses yeux brûlants au Ciel sont dirigés,

Ses yeux, car de longs fers ses bras nus sont charges[594][595],
Devant le Fils de l’Homme on l’amène en tumulte[596]
Puis, provoquant l’erreur et méditant l’insulte,
Les Scribes assemblés s’avancent, et l’un d’eux :
« Maître, dit-il, jugez de ce péché hideux ;
» Cette femme adultère est coupable et surprise :
» Que doit faire Israël de la loi de Moïse ? »
Et l’épouse infidèle attendait, et ses yeux
Semblaient chercher encor quelqu’autre dans ces lieux :
Et, la pierre à la main, la foule sanguinaire
S’appelait, la montrait : « C’est la femme adultère !
» Lapidez-la : déjà le séducteur est mort ! »
Et la femme pleura. — Mais le juge d’abord[597] :
« Qu’un homme d’entre vous, dit-il, jette une pierre[598] :
» S’il se croit sans péché, qu’il jette la première[599] ! »
Il dit, et, s’écartant des mobiles Hébreux[600],
Apaisés par ces mots et déjà moins nombreux,

Son doigt mystérieux, sur l’arène légère[601],
Écrivait une langue aux hommes étrangère.
En caractères saints dans le Ciel retracés…
Quand il se releva, tous s’étaient dispersés[602][603].


Écrit en 1819[604].

LE BAIN[605]

fragment d’un poème de suzanne

. . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . .

C’était près d’une source à l’onde pure et sombre.
Le large sycomore y répandait son ombre :
Là, Suzanne, cachée aux cieux déjà brûlants.
Suspend sa rêverie et ses pas indolents,
Sur une jeune enfant, que son amour protège.
S’appuie, et sa voix douce appelle le cortège
Des filles de Juda, de Gad et de Ruben
Qui doivent la servir et la descendre au bain[606] ;
Et toutes à l’envi, rivales attentives,

Détachent sa parure entre leurs mains actives.
L’une ôte la tiare où brille le saphir
Dans l’éclat arrondi de l’or poli d’Ophir ;
Aux cheveux parfumés dérobe leurs longs voiles,
Et la gaze brodée en tremblantes étoiles ;
La perle, sur son front enlacée en bandeau.
Ou pendante à l’oreille en mobile fardeau ;
Les colliers de rubis, et, par des bandelettes,
L’ambre au cou suspendu dans l’or des cassolettes[607].
L’autre fait succéder les tapis préparés
Aux cothurnes étroits dont ses pieds sont parés ;
Et, puisant l’eau du bain, d’avance elle en arrose
Leurs doigts encore empreints de santal et de rose.
Puis, tandis que Suzanne enlève lentement
Les anneaux de ses mains, son plus cher ornement,
Libres des nœuds dorés dont sa poitrine est ceinte,

Dégagés des lacets, le manteau d’hyacinthe[608],
Et le lin pur et blanc comme la fleur du lis[609],
Jusqu’à ses chastes pieds laissent couler leurs plis.
Qu’elle fut belle alors ! Une rougeur errante
Anima de son teint la blancheur transparente[610] ;
Car, sous l’arbre où du jour vient s’éteindre l’ardeur,
Un œil accoutumé blesse encor sa pudeur ;
Mais, soutenue enfin par une esclave noire,
Dans un cristal liquide on croirait que l’ivoire
Se plonge, quand son corps, sous l’eau même éclairé,
Du ruisseau pur et frais touche le fond doré.


Écrit en 1821[611].

ANTIQUITÉ HOMÉRIQUE

À M. SOUMET
auteur de clytemnesre de saül

LE SOMNAMBULE

poème
Ὄσα δὲ πληγὰς πάσδε ϰαρδίας · σεθεν Εξδουσα γὰρ φρὴν ὄμμασιν λαμπρύνεται· Ἐν ῆμέρᾳ δὲ μοῖρʹ απρόσϰοπος βρότων.
Αὶσχύλος.
Voyez, en esprit, ces blessures : l’esprit, quand on dort, a des yeux, et quand on veille, il est aveugle.
Eschyle[612].


La dédicace, le sous-titre et l’épigraphe manquent dans M, P1. — Le grec est incorrect dans toutes les éditions.


« Déjà, mon jeune époux ? Quoi ! l’aube paraît-elle ?
Non ; la lumière, au fond de l’albâtre, étincelle
Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux ;
La nuit règne profonde et noire dans les cieux[613].
Vois, la clepsydre encor n’a pas versé trois heures[614] ;
Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures ;

Viens, dors près de mon sein. » Mais lui, furtif et lent[615],
Descend du lit d’ivoire et d’or étincelant[616].
Il va, d’un pied prudent, chercher la lampe errante[617],
Dont il garde les feux dans sa main transparente ;
Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas,
L’œil ouvert, immobile, et murmurant tout bas[618] :



« Je la vois, la parjure… interrompez vos fêtes[619].
Aux Mânes un autel… des cyprès sur vos têtes[620]
Ouvrez, ouvrez la tombe… Allons… Qui descendra ? »
Cependant, à genoux et tremblante, Néra,
Ses blonds cheveux épars, se traîne. « — Arrête, écoute.
Arrête, ami ; les Dieux te poursuivent, sans doute ;
Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi[621] ;
Vois, c’est moi, ton épouse en larmes devant toi[622] ;
Mais tu fuis ; par tes cris ma voix est étouffée !
Phœbé, pardonne-lui ; pardonne-lui, Morphée[623]. »



— « J’irai… je frapperai… le glaive est dans ma main ;
Tous les deux… Pollion… c’est un jeune Romain…
Il ne résiste pas. Dieux ! qu’il est faible encore !
D’un blond duvet sa joue à peine se décore[624][625],
L’amour a couronné ce luxe éblouissant…
Écartez ce manteau, je ne vois pas le sang. »



Mais elle : « Ô mon amant ! compagnon de ma vie !
Des foyers maternels si ton char m’a ravie
Tremblante, mais complice, et si nos vœux sacrés
Ont fait luire à l’Hymen des feux prématurés.
Par cette sainte amour nouvellement jurée,
Par l’antique Vesta, par l’immortelle Rhée
Dont j’embrasse l’autel, jamais nulle autre ardeur
De mes pieux serments n’altéra la candeur :
Non, jamais Pénélope, à l’aiguille pudique[626].
Plus chaste n’a vécu sous la foi domestique.
Pollion, quel est-il ? » — « Je tiens tes longs cheveux…
Je dédaigne tes pleurs et tes tardifs aveux,

Corinne, tu mourras[627]… » — « Ce n’est pas moi ! Ma mère[628],
Il ne m’a point aimée ! Oh ! ta sainte colère[629]
À comme un Dieu vengeur poursuivi nos amours !
Que n’ai-je cru ma mère, et ses prudents discours ?
Je ne détourne plus ta sacrilège épée ;
Tiens, frappe, j’ai vécu puisque tu m’as trompée…
… Ah ! cruel !… mon sang coule !… Ah ! reçois mes adieux ;
Puisses-tu ne jamais t’éveiller ! » — « Justes dieux ! »


Écrit en 1819[630].

LA DRYADE[631]

idylle
dans le gout de théocrite
Πρῶτον μὲν εὺχῆ τῆδε πρεσϐεύω θεων Τήν πρωτόμαντιν Ι αῖαν…
Σέϐω δὲ Νόμφας…
Αὶσχύλος.


Honorons d’abord la Terre, qui, la première entre les Dieux, rendit ici les oracles…

J’adore aussi les Nymphes.

Eschyle[632].


Le sous-titre et l’épigraphe manquent dans P1. Le grec est incorrect dans toutes les éditions. — P1, A, B, ses oracles.


Vois-tu ce vieux tronc d’arbre aux immenses racines ?
Jadis il s’anima de paroles divines ;
Mais par les noirs hivers le chêne fut vaincu,
Et la Dryade aussi, comme l’arbre a vécu.
(Car, tu le sais, berger, ces Déesses fragiles,
Envieuses des jeux et des danses agiles.
Sous l’écorce d’un bois où les fixa le sort,
Reçoivent avec lui la naissance et la mort[633].)

Celle dont la présence enflamma ces bocages
Répondait aux pasteurs du sein des verts feuillages.
Et, par des bruits secrets, mélodieux et sourds,
Donnait le prix du chant ou jugeait les amours.
Bathylle aux blonds cheveux, Ménalque aux noires tresses[634],
Un jour lui racontaient leurs rivales tendresses.
L’un parait son front blanc de myrte et de lotus ;
L’autre, ses cheveux bruns de pampres revêtus.
Offrait à la Dryade une coupe d’argile ;
Et les roseaux chantants enchaînés par Bathylle,
Ainsi que le dieu Pan l’enseignait aux mortels,
S’agitaient, suspendus aux verdoyants autels[635].
J’entendis leur prière, et de leur simple histoire
Les Muses et le temps m’ont laissé la mémoire.

ménalque

Ô Déesse propice ! écoute, écoute-moi !
Les Faunes, les Sylvains dansent autour de toi,
Quand Bacchus a reçu leur bruyant sacrifice ;
Ombrage mes amours, ô Déesse propice[636] !

bathylle

Dryade du vieux chêne, écoute mes aveux !
Les vierges, le matin, dénouant leurs cheveux,
Quand du brûlant amour la saison est prochaine,
T’adorent ; je t’adore, ô Dryade du chêne !

ménalque

Que Liber protecteur, père des longs festins.
Entoure de ses dons tes champêtres destins.
Et qu’en écharpe d’or la vigne tortueuse
Serpente autour de toi, fraîche et voluptueuse[637].

bathylle

Que Vénus te protège et t’épargne ses maux,
Qu’elle anime, au printemps, tes superbes rameaux ;
Et si de quelque amour, pour nous mystérieuse,
Le charme te liait à quelque jeune yeuse,
Que ses bras délicats et ses feuillages verts
À tes bras amoureux se mêlent dans les airs[638].

ménalque

Ida ! j’adore Ida, la légère bacchante :
Ses cheveux noirs, mêlés de grappes et d’acanthe,
Sur le tigre, attaché par une griffe d’or.
Roulent abandonnés ; sa bouche rit encor
En chantant Évoë ; sa démarche chancelle ;
Ses pieds nus, ses genoux que la robe décèle[639],
S’élancent[640], et son œil, de feux étincelant.
Brille comme Phébus sous le signe brûlant.

bathylle

C’est toi que je préfère, ô toi, vierge nouvelle.
Que l’heure du matin à nos désirs révèle[641] !
Quand la lune au front pur, reine des nuits d’été,
Verse au gazon bleuâtre un regard argenté[642],
Elle est moins belle encor que ta paupière blonde,
Qu’un rayon chaste et doux sous son long voile inonde.

ménalque

Si le fier léopard, que les jeunes Sylvains
Attachent rugissant au char du Dieu des vins,
Voit amener au loin l’inquiète tigresse
Que les Faunes, troublés par la joyeuse ivresse,
N’ont pas su dérober à ses regards brûlants,
Il s’arrête, il s’agite, et de ses cris roulants
Les bois sont ébranlés ; de sa gueule béante,
L’écume coule à flots sur une langue ardente[643] ;
Furieux, il bondit, il brise ses liens,
Et le collier d’ivoire et les jougs phrygiens[644][645] :
Il part, et, dans les champs qu’écrasent ses caresses,
Prodigue à ses amours de fougueuses tendresses.
Ainsi, quand tu descends des cimes de nos bois,
Ida ! lorsque j’entends ta voix, ta jeune voix,
Annoncer par des chants la fête bacchanale,
Je laisse les troupeaux, la bêche matinale,
Et la vigne et la gerbe où mes jours sont liés :
Je pars, je cours, je tombe et je brûle à tes pieds.

bathylle

Quand la vive hirondelle est enfin réveillée,
Elle sort de l’étang, encor toute mouillée,
Et, se montrant au jour avec un cri joyeux.
Au charme d’un beau ciel, craintive, ouvre les yeux ;
Puis, sur le pâle saule, avec lenteur voltige,

Interroge avec soin le bouton et la tige ;
Et, sûre du printemps, alors, et de l’amour.
Par des cris triomphants célèbre leur retour.
Elle chante sa joie aux rochers, aux campagnes.
Et, du fond des roseaux excitant ses compagnes ;
Venez ! dit-elle ; allons ! paraissez, il est temps !
Car voici la chaleur, et voici le printemps[646].
Ainsi, quand je te vois, ô modeste bergère !
Fouler de tes pieds nus la riante fougère[647],
J’appelle autour de moi les pâtres nonchalants,
À quitter le gazon, selon mes vœux, trop lents ;
Et crie, eu te suivant dans ta course rebelle :
Venez ! oh ! venez voir comme Glycère est belle[648][649] !

ménalque

Un jour, jour de Bacchus, loin des jeux égaré.
Seule je la surpris au fond du bois sacré :
Le soleil et les vents, dans ces bocages sombres.
Des feuilles sur ses traits faisaient flotter les ombres ;
Lascive, elle dormait sur le thyrse brisé ;
Une molle sueur, sur son front épuisé,
Brillait comme la perle en gouttes transparentes,

Et ses mains, autour d’elle, et sous le lin errantes.
Touchant la coupe vide, et son sein tour à tour,
Redemandaient encore et Bacchus et l’Amour[650].

bathylle

Je vous adjure ici, Nymphes de la Sicile,
Dont les doigts, sous des fleurs, guident l’onde docile ;
Vous reçûtes ses dons, alors que sous nos bois,
Rougissante, elle vint pour la première fois.
105 Ses bras blancs soutenaient sur sa tête inclinée
L’amphore, œuvre divine aux fêtes destinée.
Qu’emplit la molle poire, et le raisin doré,
Et la pêche au duvet de pourpre coloré ;
Des pasteurs empressés l’attention jalouse
iio L’entourait, murmurant le nom sacré d’épouse ;
Mais en vain : nul regard ne flatta leur ardeur ;
Elle fut toute aux Dieux et toute à la pudeur[651].



Ici, je vis rouler la coupe aux flancs d’argile ;
Le chêne ému tremblait[652], la flûte de Bathylle
Brilla d’un feu divin ; la Dryade, un moment
Joyeuse, fit entendre un long frémissement[653],
Doux comme les échos dont la voix incertaine
Murmure la chanson d’une flûte lointaine[654].


Écrit en 1815[655].

À PICHALD
auteur de léonidas et de guillaume tell

SYMÉTHA[656]

élégie


La dédicace et le sous-titre manquent dans P1.


« Navire aux larges flancs de guirlandes ornés[657],
Aux Dieux d’ivoire, aux mâts de roses couronnés[658] !
Oh ! qu’Éole, du moins, soit facile à tes voiles[659] !
Montrez vos feux amis, fraternelles étoiles !
Jusqu’au port de Lesbos guidez le nautonier.

Et de mes vœux pour elle exaucez le dernier[660][661] :
Je vais mourir, hélas ! Symétha s’est fiée
Aux flots profonds[662] ; l’Attique est par elle oubliée.
Insensée ! elle fuit nos bords mélodieux,
Et les bois odorants, berceaux des demi-Dieux[663],
Et les chœurs cadencés dans les molles prairies.
Et, sous les marbres frais, les saintes Théories[664].
Nous ne la verrons plus, au pied du Parthénon,
Invoquer Athénée, en répétant son nom ;
Et, d’une main timide, à nos rites fidèle,
Ses longs cheveux dorés couronnés d’asphodèle.
Consacrer ou le voile, ou le vase d’argent,
Ou la pourpre attachée au fuseau diligent.
Ô vierge de Lesbos ! que ton île abhorrée
S’engloutisse dans l’onde à jamais ignorée.
Avant que ton navire ait pu toucher ses bords !
Qu’y vas-tu faire ? hélas ! quel palais, quels trésors
Te vaudront notre amour ? Vierge, qu’y vas-tu faire ?

N’es-tu pas, Lesbienne, à Lesbos étrangère ?
Athène a vu longtemps s’accroître ta beauté,
Et, depuis que trois fois t’éclaira son été,
Ton front s’est élevé jusqu’au front de ta mère ;
Ici, loin des chagrins de ton enfance amère,
Les Muses t’ont souri. Les doux chants de ta voix
Sont nés Athéniens ; c’est ici, sous nos bois.
Que l’amour t’enseigna le joug que tu m’imposes ;
Pour toi mon seuil joyeux s’est revêtu de roses[665].

« Tu pars ; et cependant m’as-tu toujours haï,
Symétha ? Non, ton cœur quelquefois s’est trahi ;
Car, lorsqu’un mot flatteur abordait ton oreille,
La pudeur souriait sur ta lèvre vermeille ;
Je l’ai vu, ton sourire aussi beau que le jour ;
Et l’heure du sourire est l’heure de l’amour[666].
Mais le flot sur le flot en mugissant s’élève,
Et voile à ma douleur le vaisseau qui t’enlève ;
C’en est fait, et mes pieds déjà sont chez les morts ;
Va, que Vénus du moins t’épargne le remords[667] :
Lie un nouvel hymen ! va ; pour moi, je succombe
Un jour, d’un pied ingrat tu fouleras ma tombe,
Si le destin vengeur te ramène en ces lieux
Ornés du monument de tes cruels adieux ».

— Dans le port du Pirée, un jour fut entendue[668]

Cette plainte innocente, et cependant perdue ;
Car la vierge enfantine, auprès des matelots,
Admirait et la rame, et l’écume des flots[669] ;
Puis, sur la haute poupe accourue et couchée.
Saluait, dans la mer, son image penchée.
Et lui jetait des fleurs et des rameaux flottants[670],
Et riait de leur chute et les suivait longtemps ;
Ou, tout à coup rêveuse, écoutait le Zéphire,
Qui, d’une aile invisible, avait ému sa lyre.


Écrit en 1815[671].

LE BAIN

D’UNE DAME ROMAINE
Sous-titre : O, Fragment. A, Fragment d’un poème.


Une Esclave d’Égypte, au teint luisant et noir[672][673],
Lui présente, à genoux, l’acier pur du miroir[674] ;
Pour nouer ses cheveux, une Vierge de Grèce[675]
Dans le compas d’Isis unit leur double tresse[676] ;
Sa tunique est livrée aux Femmes de Milet[677][678],

Et ses pieds sont lavés dans un vase de lait[679].
Dans l’ovale d’un marbre aux veines purpurines
L’eau rose la reçoit ; puis les Filles latines[680],
Sur ses bras indolents versant de doux parfums,
Voilent d’un jour trop vif les rayons importuns,
Et sous les plis épais de la pourpre onctueuse[681]
La lumière descend molle et voluptueuse :
Quelques-unes, brisant des couronnes de fleurs.
D’une hâtive main dispersent leurs couleurs,
Et, les jetant en pluie aux eaux de la fontaine,
De débris embaumés couvrent leur souveraine,
Qui, de ses doigts distraits touchant la lyre d’or.
Pense au jeune Consul, et, rêveuse, s’endort.


Le 20 mai 1817[682].


LIVRE MODERNE


DOLORIDA[683]

poème
Yo amo mas a tu amor que a in vida.
Prov. espagnol.
J’aime mieux ton amour que ta vie.


Titre : O, pas de sous-titre.Dans la Muse Française, en note au titre : Les poëmes de M. de Vigny, Héléna, la Prison, etc., se vendent chez Pélicier, libraire, place du Palais-Royal, 243. L’édition est presque épuisée.

Épigraphe : O, Io.


Est-ce la Volupté qui, pour ses doux mystères,
Furtive, a rallumé ces lampes solitaires[684] ?
La gaze et le cristal sont leur pâle prison.
Aux souffles purs d’un soir de l’ardente saison[685]

S’ouvre sur le balcon la moresque fenêtre ;
Une aurore imprévue à minuit semble naître[686],
Quand la lune apparaît, quand ses gerbes d’argent
Font pâlir les lueurs du feu rose et changeant ;
Les deux clartés à l’œil offrent partout leurs pièges[687].
Caressent mollement le velours bleu des sièges,
La soyeuse ottomane où le livre est encor[688],
La pendule mobile entre deux vases d’or,
La Madone d’argent, sous des roses cachée[689].
Et sur un lit d’azur une beauté couchée.



Oh ! jamais dans Madrid un noble cavalier[690]
Ne verra tant de grâce à plus d’art s’allier[691] ;
Jamais pour plus d’attraits, lorsque la nuit commence.
N’a frémi la guitare et langui la romance ;
Jamais dans nulle église on ne vit plus beaux yeux
Des grains du chapelet se tourner vers les cieux ;
Sur les mille degrés du vaste amphithéâtre
On n’admira jamais plus belles mains d’albâtre

Sous la mantille noire et ses paillettes d’or,
Applaudissant, de loin, l’adroit toréador[692][693].



Mais, ô vous ! qu’en secret nulle oeillade attentive[694]
Dans ses rayons brillants ne chercha pour captive,
Jeune foule d’amants, Espagnols à l’œil noir.
Si sous la perle et l’or vous l’adoriez le soir,
Qui de vous ne voudrait (dût la dague andalouse
Le frapper au retour de sa pointe jalouse)[695]
Prosterner ses baisers sur ces pieds découverts,

Ce col, ce sein d’albâtre, à l’air nocturne ouverts.
Et ces longs cheveux noirs tombant sur son épaule,
Comme tombe à ses pieds le vêtement du saule ?



Dolorida n’a plus que ce voile incertain[696][697],
Le premier que revêt le pudique matin
Et le dernier rempart que, dans sa nuit folâtre[698],
L’amour ose enlever d’une main idolâtre[699][700].
Ses bras nus à sa tête offrent un mol appui[701],
Mais ses yeux sont ouverts, et bien du temps a fui
Depuis que, sur l’émail, dans ses douze demeures.
Ils suivent ce compas qui tourne avec les heures[702][703].
Que fait-il donc, celui que sa douleur attend[704] ?
Sans doute il n’aime pas, celui qu’elle aime tant.

À peine chaque jour l’épouse délaissée
Voit un baiser distrait sur sa lèvre empressée
Tomber seul, sans l’amour ; son amour cependant
S’accroît par les dédains et souffre plus ardent.

Près d’un constant époux, peut-être, ô jeune femme !
Quelque infidèle espoir eût égaré ton âme ;
Car l’amour d’une femme est semblable à l’enfant
Qui, las de ses fouets, les brise triomphant.
Foule d’un pied volage une rose immobile,
Et suit l’insecte ailé qui fuit sa main débile[705].

Pourquoi Dolorida seule en ce grand palais[706],
Où l’on n’entend, ce soir, ni le pied des valets,
Ni, dans la galerie et les corridors tristes.
Les enfantines voix des vives caméristes ?



Trois heures cependant ont lentement sonné ;
La voix du temps est triste au cœur abandonné ;
Ses coups y réveillaient la douleur de l’absence[707],

Et la lampe luttait ; sa flamme sans puissance
Décroissait inégale, et semblait un mourant
Qui sur la vie encor jette un regard errant.
À ses yeux fatigués tout se montre plus sombre[708].
Le crucifix penché semble agiter son ombre :
Un grand froid la saisit ; mais les fortes douleurs
Ignorent les sanglots, les soupirs et les pleurs :
Elle reste immobile, et, sous un air paisible,
Mord, d’une dent jalouse, une main insensible.



Que le silence est long ! Mais on entend des pas !
La porte s’ouvre, il entre : elle ne tremble pas !
Elle ne tremble pas, à sa pâle figure
Qui de quelque malheur semble traîner l’augure ;
Elle voit sans effroi son jeune époux, si beau.
Marcher jusqu’à son lit comme on marche au tombeau.
Sous les plis du manteau se courbe sa faiblesse ;
Même sa longue épée est un poids qui le blesse.
Tombé sur ses genoux, il parle à demi-voix :



« — Je viens te dire adieu ; je me meurs, tu le vois,
Dolorida, je meurs ! une flamme inconnue.
Errante, est de mon sang jusqu’au cœur parvenue[709].
Mes pieds sont froids et lourds, mon œil est obscurci ;
Je suis tombé trois fois en revenant ici.
Mais je voulais te voir ; mais quand l’ardente fièvre
Par des frissons brûlants a fait trembler ma lèvre.

J’ai dit : Je vais mourir ; que la fin de mes jours
Lui fasse au moins savoir qu’absent j’aimais toujours.
Alors je suis parti, ne demandant qu’une heure
Et qu’un peu de soutien pour trouver ta demeure.
Je me sens plus vivant à genoux devant toi.

— Pourquoi mourir ici, quand vous viviez sans moi ?

— Ô cœur inexorable ! oui, tu fus offensée !
Mais écoute mon souffle, et sens ma main glacée ;
Viens toucher sur mon front cette froide sueur ;
Du trépas dans mes yeux vois la terne lueur.
Donne, oh ! donne une main ; dis mon nom. Fais entendre
Quelque mot consolant, s’il ne peut être tendre.
Des jours qui m’étaient dus je n’ai pas la moitié ;
Laisse en aller mon âme en rêvant ta pitié !
Hélas ! devant la mort montre un peu d’indulgence[710] !

— La mort n’est que la mort et n’est pas la vengeance.

— Ô Dieux ! si jeune encor ! tout son cœur endurci !
Qu’il t’a fallu souffrir pour devenir ainsi !
Tout mon crime est empreint au fond de ton langage.
Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage.
Mais viens, écoute-moi, viens, je mérite et veux
Que ton âme apaisée entende mes aveux.
Je jure, et tu le vois, en expirant, ma bouche
Jure devant ce Christ qui domine ta couche,
Et si par leur faiblesse ils n’étaient pas liés[711].
Je lèverais mes bras jusqu’au sang de ses pieds ;
Je jure que jamais mon amour égarée

N’oublia loin de toi ton image adorée ;
L’infidélité même était pleine de toi,
Je te voyais partout entre ma faute et moi.
Et sur un autre cœur mon cœur rêvait tes charmes[712]
Plus touchants par mon crime et plus beaux par tes larmes[713].
Séduit par ces plaisirs qui durent peu de temps[714],
Je fus bien criminel ; mais, hélas ! j’ai vingt ans.

— T’a-t-elle vu pâlir ce soir dans tes souffrances ?

— J’ai vu son désespoir passer tes espérances.
Oui, sois heureuse, elle a sa part dans nos douleurs ;
Quand j’ai crié ton nom, elle a versé des pleurs ;
Car je ne sais quel mal circule dans mes veines ;
Mais je t’invoquais seule avec des plaintes vaines.
J’ai cru d’abord mourir et n’avoir pas le temps
D’appeler ton pardon sur mes derniers instants.

Oh ! parle ; mon cœur fuit ; quitte ce dur langage[715] ;
Qu’un regard… Mais quel est ce blanchâtre breuvage
Que tu bois à longs traits et d’un air insensé ?

— Le reste du poison qu’hier je t’ai versé. »


Écrit en 1823, dans les Pyrénées[716].

LE MALHEUR[717]


La pièce est retranchée dans A, B.

Sous-titre : P1, Ode.


Suivi du Suicide impie,
À travers les pâles cités,
Le Malheur rôde, il nous épie,
Près de nos seuils épouvantés.
Alors il demande sa proie ;
La jeunesse, au sein de la joie.
L’entend, soupire et se flétrit ;
Comme au temps où la feuille tombe.
Le vieillard descend dans la tombe,
Privé du feu qui le nourrit.

Où fuir ? Sur le seuil de ma porte
Le Malheur, un jour, s’est assis ;
Et depuis ce jour je l’emporte
A travers mes jours obscurcis.
Au soleil, et dans les ténèbres,
En tous lieux ses ailes funèbres
Me couvrent comme un noir manteau ;
De mes douleurs ses bras avides
M’enlacent ; et ses mains livides
Sur mon cœur tiennent le couteau.

J’ai jeté ma vie aux délices.
Je souris à la volupté ;
Et les insensés, mes complices,
Admirent ma félicité.
Moi-même, crédule à ma joie.
J’enivre mon cœur, je me noie
Aux torrents d’un riant orgueil ;
Mais le Malheur devant ma face[718]
À passé : le rire s’efface,
Et mon front a repris son deuil.

En vain je redemande aux fêtes
Leurs premiers éblouissements,
De mon cœur les molles défaites
Et les vagues enchantements :
Le spectre se mêle à la danse ;
Retombant avec la cadence,
Il tache le sol de ses pleurs.

Et de mes yeux trompant l’attente,
Passe sa tête dégoûtante
Parmi des fronts ornés de fleurs[719].

Il me parle dans le silence,
Et mes nuits entendent sa voix ;
Dans les arbres il se balance
Quand je cherche la paix des bois[720].
Près de mon oreille il soupire ;
On dirait qu’un mortel expire :
Mon cœur se serre épouvanté.
Vers les astres mon œil se lève,
Mais il y voit pendre le glaive
De l’antique fatalité.

Sur mes mains ma tête penchée
Croit trouver l’innocent sommeil.
Mais, hélas ! elle m’est cachée,
Sa fleur au calice vermeil.
Pour toujours elle m’est ravie,
La douce absence de la vie[721] ;
Ce bain qui rafraîchit les jours[722],
Cette mort de l’âme affligée,
Chaque nuit à tous partagée,
Le sommeil m’a fui pour toujours.

Ah ! puisqu’une éternelle veille
Brûle mes yeux toujours ouverts,

Viens, ô Gloire ! ai-je dit ; réveille
Ma sombre vie au bruit des vers[723].
Fais qu’au moins mon pied périssable
Laisse une empreinte sur le sable.
La Gloire a dit : « Fils de douleur,
» Où veux-tu que je te conduise ?
» Tremble ; si je t’immortalise,
» J’immortalise le Malheur[724]. »

Malheur ! oh ! quel jour favorable[725]
De ta rage sera vainqueur ?
Quelle main forte et secourable
Pourra t’arracher de mon cœur,
Et dans cette fournaise ardente,
Pour moi noblement imprudente.
N’hésitant pas à se plonger.
Osera chercher dans la flamme,
Avec force y saisir mon âme,
Et l’emporter loin du danger ?


Écrit en 1820[726].

LA PRISON

poème[727]
XVIIe SIÈCLE


Le sous-titre manque dans M, P1.

Épigraphe : M,P1, C’est dans la tombe qu’on est à couvert du bruit qu’excitent les impies. | C’est là que ceux qui étaient enchaînés ne souffrent plus, et qu’ils n’entendent plus la voix de l’exacteur. (Job)[728].


« Oh ! ne vous jouez plus d’un vieillard et d’un prêtre[729] !
» Étranger dans ces lieux, comment les reconnaître ?
» Depuis une heure au moins cet importun bandeau[730]

» Presse mes yeux souffrants de son épais fardeau.
» Soin stérile et cruel ! car de ces édifices
» Ils n’ont jamais tenté les sombres artifices.
» Soldats ! vous outragez le ministre et le Dieu,
» Dieu même que mes mains apportent dans ce lieu. »
Il parle ; mais en vain sa crainte les prononce :
Ces mots et d’autres cris se taisent sans réponse[731].
On l’entraîne toujours en des détours savants.
Tantôt crie à ses pieds le bois des ponts mouvants[732] ;
Tantôt sa voix s’éteint à de courts intervalles,
Tantôt fait retentir l’écho des vastes salles ;
Dans l’escalier tournant on dirige ses pas[733] ;
Il monte à la prison que lui seul ne voit pas,
Et, les bras étendus, le vieux prêtre timide
Tâte les murs épais du corridor humide[734].
On s’arrête ; il entend le bruit des pas mourir[735],
Sous de bruyantes clefs des gonds de fer s’ouvrir[736] ;
Il descend trois degrés sur la pierre glissante[737],
Et, privé du secours de sa vue impuissante,
La chaleur l’avertit qu’on éclaire ces lieux ;
Enfin, de leur bandeau l’on délivre ses yeux.
Dans un étroit cachot dont les torches funèbres

Ont peine à dissiper les épaisses ténèbres,
Un vieillard expirant attendait ses secours :
Du moins ce fut ainsi qu’en un brusque discours
Ses sombres conducteurs le lui firent entendre[738].
Un instant, en silence, on le pria d’attendre.
« Mon prince, dit quelqu’un, le saint homme est venu[739].
» — Eh ! que m’importe, à moi ? » soupira l’inconnu.
Cependant, vers le lit que deux lourdes tentures
Voilent du luxe ancien de leurs pâles peintures,
Le prêtre s’avança lentement, et, sans voir
Le malade caché, se mit à son devoir[740].

le prêtre.

Écoutez-moi, mon fils.

le mourant.

Hélas ! malgré ma haine,
J’écoute votre voix, c’est une voix humaine :
J’étais né pour l’entendre, et je ne sais pourquoi
Ceux qui m’ont fait du mal ont tant d’attraits pour moi[741].
Jamais je ne connus cette rare parole[742]
Qu’on appelle amitié, qui, dit-on, vous console ;
Et les chants maternels qui charment vos berceaux[743]
N’ont jamais résonné sous mes tristes arceaux[744] ;
Et pourtant, lorsqu’un mot m’arriva moins sévère[745],

Il ne fut pas perdu pour mon cœur solitaire.
Mais, puisque vous m’aimez, ô vieillard inconnu !
Pourquoi jusqu’à ce jour n’êtes vous pas venu[746] ?

le prêtre.

Ô qui que vous soyez ! vous que tant de mystère,
Avant le temps prescrit, sépara de la terre,
Vous n’aurez plus de fers dans l’asile des morts :
Si vous avez failli, rappelez les remords[747].
Versez-les dans le sein du Dieu qui vous écoute ;
Ma main du repentir vous montrera la route.
Entrevoyez le Ciel par vos maux acheté :
Je suis prêtre, et vous porte ici la liberté.
De la confession j’accomplis l’œuvre sainte,
Le tribunal divin siège dans cette enceinte.
Répondez, le pardon déjà vous est offert[748] ;

{{#tag :poem|

Dieu même…

le mourant.

Il est un Dieu ? J’ai pourtant bien souffert[749] !

le prêtre.

Vous avez moins souffert qu’il ne l’a fait lui-même[750]. Votre dernier soupir sera-t-il un blasphème ? Et quel droit avez-vous de plaindre vos malheurs, Lorsque le sang du Christ tomba dans les douleurs ? Ô mon fils, c’est pour nous, tout ingrats que nous sommes[751], Qu’il a daigné descendre aux misères des hommes. À la vie, en son nom, dites un mâle adieu[752].

le mourant.

J’étais peut-être Roi.

le prêtre.

Le sauveur était Dieu[753] ;

}}

Mais, sans nous élever jusqu’à ce divin Maître,
Si j’osais, après lui, nommer encor le prêtre,
Je vous dirais : Et moi, pour combattre l’enfer,
J’ai resserré mon sein dans un corset de fer[754] ;
Mon corps a revêtu l’inflexible cilice,
Où chacun de mes pas trouve un nouveau supplice.
Au cloître est un pavé que, durant quarante ans,
Ont usé chaque jour mes genoux pénitents[755],
Et c’est encor trop peu que de tant de souffrance
Pour acheter du Ciel l’ineffable espérance[756].
Au creuset douloureux il faut être épuré[757]
Pour conquérir son rang dans le séjour sacré[758].
Le temps nous presse, au nom de vos douleurs passées[759].

Dites-moi vos erreurs pour les voir effacées[760] ;
Et devant cette croix où Dieu monta pour nous[761],
Souhaitez avec moi de tomber à genoux[762].
— Sur le front du vieux moine, une rougeur légère[763]
Fit renaître une ardeur à son âge étrangère[764] ;
Les pleurs qu’il retenait coulèrent un moment[765] ;
Au chevet du captif il tomba pesamment ;
Et ses mains présentaient le crucifix d’ébène,
Et tremblaient en l’offrant, et le tenaient à peine.
Pour le cœur du Chrétien demandant des remords.
Il murmurait tout bas la prière des morts,
Et, sur le lit, sa tête, avec douleur penchée,
Cherchait du prisonnier la figure cachée.
Un flambeau la révèle entière : ce n’est pas
Un front décoloré par un prochain trépas[766],
Ce n’est pas l’agonie et son dernier ravage ;
Ce qu’il voit est sans traits, et sans vie, et sans âge :
Un fantôme immobile à ses yeux est offert[767],
Et les feux ont relui sur un masque de fer.



Plein d’horreur à l’aspect de ce sombre mystère,
Le prêtre se souvint que, dans le monastère,

Une fois, en tremblant, on se parla tout bas[768]
D’un prisonnier d’État que l’on ne nommait pas ;
Qu’on racontait de lui des choses merveilleuses,
De berceau dérobé, de craintes orgueilleuses.
De royale naissance, et de droits arrachés,
Et de ses jours captifs sous un masque cachés[769].
Quelques pères disaient qu’à sa descente en France,
De secouer ses fers il conçut l’espérance ;
Qu’aux geôliers un instant il s’était dérobé,
Et, quoique entre leurs mains aisément retombé,
L’on avait vu ses traits ; et qu’une Provençale,
Arrivée au couvent de Saint-François-de-Sale
Pour y prendre le voile, avait dit, en pleurant.
Qu’elle prenait la Vierge et son Fils pour garant[770]
Que le Masque de Fer avait vécu sans crime[771].
Et que son jugement était illégitime ;
Qu’il tenait des discours pleins de grâce et de foi.
Qu’il était jeune et beau, qu’il ressemblait au Roi[772],

Qu’il avait dans la voix une douceur étrange[773],
Et que c’était un prince ou que c’était un ange.
Il se souvint encor qu’un vieux Bénédictin,
S’étant acheminé vers la tour, un matin,
Pour rendre un vase d’or tombé sur son passage,
N’était pas revenu de ce triste voyage :
Sur quoi, l’abbé du lieu pour toujours défendit
Les entretiens touchant le prisonnier maudit !
« Nul ne devait sonder la récente aventure[774] ;
» Le ciel avait puni la coupable lecture[775]
» Des mystères gravés sur le vase indiscret[776]. »
Le temps fit oublier ce dangereux secret.



Le prêtre regardait le malheureux célèbre ;
Mais ce cachot tout plein d’un appareil funèbre[777],
Et cette mort voilée, et ces longs cheveux blancs,
Nés captifs et jetés sur des membres tremblants[778].
L’arrêtèrent longtemps en un sombre silence.
Il va parler enfin ; mais tandis qu’il balance.
L’agonisant du lit se soulève et lui dit :
« Vieillard, vous abaissez votre front interdit[779],
Je n’entends plus le bruit de vos conseils frivoles,
L’aspect de mon malheur arrête vos paroles[780].
Oui, regardez-moi bien, et puis dites après
Qu’un Dieu de l’innocent défend les intérêts ;
Des péchés tant proscrits, où toujours l’on succombe.
Aucun n’a séparé mon berceau de ma tombe ;
Seul, toujours seul, par l’âge et la douleur vaincu[781].
Je meurs tout chargé d’ans, et je n’ai pas vécu[782].
Du récit de mes maux vous êtes bien avide :
Pourquoi venir fouiller dans ma mémoire vide,
Où, stérile de jours, le temps dort effacé ?
Je n’eus point d’avenir et n’ai point de passé ;
J’ai tenté d’en avoir ; dans mes longues journées[783].
Je traçais sur les murs mes lugubres années ;

Mais je ne pus les suivre en leur douloureux cours.
Les murs étaient remplis et je vivais toujours.
Tout me devint alors obscurité profonde ;
Je n’étais rien pour lui, qu’était pour moi le monde ?
due m’importaient des temps où je ne comptais pas[784][785] ?
L’heure que j’invoquais, c’est l’heure du trépas.
Écoutez, écoutez : quand je tiendrais la vie
De l’homme qui toujours tint la mienne asservie,
J’hésiterais, je crois, à le frapper des maux
Qui rongèrent mes jours, brûlèrent mon repos ;
Quand le règne inconnu d’une impuissante ivresse
Saisit mon cœur oisif d’une vague tendresse.
J’appelais le bonheur, et ces êtres amis
Qu’à mon âge brûlant un songe avait promis[786].
Mes larmes ont rouillé mon masque de toiture,
J’arrosais de mes pleurs ma noire nourriture,
Je déchirais mon sein par mes gémissements[787],

J’effrayais mes geôliers de mes longs hurlements[788] ;
Des nuits, par mes soupirs, je mesurais l’espace ;
Aux hiboux des créneaux je disputais leur place,
Et, pendant aux barreaux où s’arrêtaient mes pas,
Je vivais hors des murs d’où je ne sortais pas[789][790]. »



Ici tomba sa voix. Comme après le tonnerre
De tristes sons encore épouvantent la terre,
Et, dans l’antre sauvage où l’effroi l’a placé.
Retiennent en grondant le voyageur glacé,
Longtemps on entendit ses larmes retenues
Suivre encore une fois des routes bien connues[791] ;
Les sanglots murmuraient dans ce cœur expirant.
Le vieux prêtre toujours priait en soupirant.
Lorsqu’un des noirs geôliers se pencha pour lui dire[792]
Qu’il fallait se hâter, qu’il craignait le délire.
Un nouveau zèle alors ralluma ses discours :
« Ô mon fils ! criait-il, votre vie eut son cours ;
» Heureux, trois fois heureux, celui que Dieu corrige !
» Gardons de repousser les peines qu’il inflige :
» Voici l’heure où vos maux vous seront précieux,
» Il vous a préparé lui-même pour les cieux[793].
» Oubliez votre corps, ne pensez qu’à votre âme ;

» Dieu lui-même l’a dit : L’homme né de la femme[794]
» Ne vit que peu de temps, et c’est dans les douleurs[795].
» Ce monde n’est que vide et ne vaut pas des pleurs.
» Qu’aisément de ses biens notre âme est assouvie !
» Me voilà, comme vous, au bout de cette vie :
» J’ai passé bien des jours, et ma mémoire en deuil[796]
» De leur peu de bonheur n’est plus que le cercueil.
» C’est à moi d’envier votre longue souffrance.
» Qui d’un monde plus beau vous donne l’espérance ;
» Les anges à vos pas ouvriront le saint lieu :
» Pourvu que vous disiez un mot à votre Dieu,
» Il sera satisfait. » Ainsi, dans sa parole[797],
Mêlant les saints propos du livre qui console[798],
Le vieux prêtre engageait le mourant à prier,
Mais en vain : tout à coup on l’entendit crier,
D’une voix qu’animait la fièvre du délire.
Ces rêves du passé : Mais enfin je respire[799][800] !

Ô bords de la Provence ! ô lointain horizon !
Sable jaune où des eaux murmure le doux son !
Ma prison s’est ouverte. Oh ! que la mer est grande[801] !
Est-il vrai qu’un vaisseau jusque là-bas se rende[802] ?
Dieu ! qu’on doit être heureux parmi les matelots !
due je voudrais nager dans la fraîcheur des flots[803] !
La terre vient, nos pieds à marcher se disposent[804],
Sur nos mâts arrêtés les voiles se reposent[805].
Ah ! j’ai fui les soldats ; en vain ils m’ont cherché ;
Je suis libre, je cours, le masque est arraché ;

De l’air dans mes cheveux j’ai senti le passage,
Et le soleil un jour éclaira mon visage.
— Oh ! pourquoi fuyez-vous ? restez sur vos gazons[806],
Vierges ! continuez vos pas et vos chansons ;
Pourquoi vous retirer aux cabanes prochaines ?
Le monde autant que moi déteste donc les chaînes ?
Une seule s’arrête et m’attend sans terreur :
Quoi ! du Masque de Fer elle n’a pas horreur[807] !
Non, j’ai vu la pitié sur ses lèvres si belles[808],
Et de ses yeux en pleurs les douces étincelles.
Soldats ! Que voulez-vous ? quel lugubre appareil[809] !
J’ai mes droits à l’amour et ma part au soleil ;
Laissez-nous fuir ensemble. Oh ! voyez-la ! c’est elle[810]
Avec qui je veux vivre, elle est là qui m’appelle ;
Je ne fais pas le mal ; allez, dites au Roi
Qu’aucun homme jamais ne se plaindra de moi ;
Que je serai content si, près de ma compagne,
Je puis errer longtemps de montagne en montagne[811].
Sans jamais arrêter nos loisirs voyageurs[812] !

Que je ne chercherai ni parents ni vengeurs ;
Et, si l’on me demande où j’ai passé ma vie,
Je saurai déguiser ma liberté ravie ;
Votre crime est bien grand, mais je le cacherai[813].
Ah ! laissez-moi le Ciel, je vous pardonnerai[814].
Non… toujours des cachots… Je suis né votre proie…
Mais je vois mon tombeau, je m’y couche avec joie[815].
Car vous ne m’aurez plus, et je n’entendrai plus
Les verrous se fermer sur l’éternel reclus[816].
Que me veut donc cet homme avec ses habits sombres[817] ?
Captifs morts dans ces murs, est-ce une de vos ombres ?
Il pleure. Ah ! malheureux, est-ce ta liberté ?

le prêtre.

Non, mon fils, c’est sur vous ; voici l’éternité.

le mourant.

À moi ! je n’en veux pas ; j’y trouverais des chaînes[818].

le prêtre.

Non, vous n’y trouverez que des faveurs prochaines.

Un mot de repentir, un mot de votre foi[819],
Le Seigneur vous pardonne.

le mourant.

Ô prêtre ! laissez-moi !

le prêtre.

Dites : Je crois en Dieu. La mort vous est ravie.

le mourant.

Laissez en paix ma mort, on y laissa ma vie.
— Et d’un dernier effort l’esclave délirant
Au mur de la prison brise son bras mourant.
« Mon Dieu ! venez vous-même au secours de cette âme ! »
Dit le prêtre, animé d’une pieuse flamme.
Au fond d’un vase d’or, ses doigts saints ont cherché
Le pain mystérieux où Dieu même est caché :
Tout se prosterne alors en un morne silence[820].
La clarté d’un flambeau sur le lit se balance ;
Le chevet sur deux bras s’avance supporté,
Mais en vain : le captif était en liberté.



Resté seul au cachot, durant la nuit entière,
Le vieux religieux récita la prière ;
Auprès du lit funèbre il fut toujours assis.
Quelques larmes, souvent, de ses yeux obscurcis,
Interrompant sa voix, tombaient sur le saint livre ;
Et, lorsque la douleur l’empêchait de poursuivre,
Sa main jetait alors l’eau du rameau béni
Sur celui qui du Ciel peut-être était banni.
Et puis, sans se lasser, il reprenait encore.
De sa voix qui tremblait dans la prison sonore,
Le dernier chant de paix ; il disait : « Ô Seigneur[821] !
» Nie brisez pas mon âme avec votre fureur[822] ;
» Ne m’enveloppez pas dans la mort de l’impie[823][824]. »
Il ajoutait aussi : « Quand le méchant m’épie[825],
» Me ferez-vous tomber. Seigneur, entre ses mains[826] ?
» C’est lui qui sous mes pas a rompu vos chemins[827] ;
» Ne me châtiez point, car mon crime est son crime[828].

» J’ai crié vers le Ciel du plus profond abîme[829][830]
» Ô mon Dieu ! tirez-moi du milieu des méchants[831] ! »
Lorsqu’un rayon du jour eut mis fin à ses chants,
Il entendit monter vers les noires retraites,
Et des voix résonner sous les voûtes secrètes[832].
Un moment lui restait, il eût voulu du moins
Voir le mort qu’il pleurait sans ces cruels témoins ;
Il s’approche, en tremblant, de ce fils du mystère
Qui vivait et mourait étranger à la terre ;
Mais le Masque de Fer soulevait le linceul[833],
Et la captivité le suivit au cercueil.


Écrit en 1821, à Vincennes[834].

À M. ANTONY DESCHAMPS

MADAME DE SOUBISE

poème du xvie siècle
Le 24 du mesme mois s’exploita l’exécution tant souhaitée, qui deliura la chrestienté d’un certain nombre de pestes, au moyen desquelles le diable se faisoit tort de la destruire, attendu que deux ou trois qui en reschappèrent font encore tant de mal. Ce iour apporta merueilleux allégement et soûlas à l’Église.
La vraye et entière histoire des troublés, par Le Frère, de Laval[835].


Sous-titre : A, Conte du xvie siècle.


I

« Arquebusiers ! chargez ma coulevrine !
Les lansquenets passent ! sur leur poitrine
Je vois enfin la croix rouge, la croix
Double, et tracée avec du sang, je crois !

Il est trop tard ; le bourdon Notre-Dame
Ne m’avait donc éveillé qu’à demi ?
Nous avons bu trop longtemps, sur mon âme !
Mais nous buvions à saint Barthélemi.

II


« Donnez une épée,
Et la mieux trempée,

Et mes pistolets,
Et mes chapelets.
Déjà le jour brille
Sur le Louvre noir ;
On va tout savoir :
— Dites à ma fille
De venir tout voir. »

III


Le Baron parle ainsi par la fenêtre ;
C’est bien sa voix qu’on ne peut méconnaître ;
Courez, Varlets, Échansons, Écuyers,
Suisses, Piqueux, Page, Arbalétriers !
Voici venir madame Marie-Anne ;
Elle descend l’escalier de la tour,
Jusqu’aux pavés baissez la pertuisane[836],
Et que chacun la salue à son tour.

IV


Une haquenée
Est seule amenée.
Tant elle a d’effroi
Du noir palefroi.
Mais son père monte
Le beau destrier,
Ferme à l’étrier :
— « N’avez-vous pas honte,
Dit-il, de crier !

V


» Vous descendez des hauts barons, ma mie ;
Dans ma lignée, on note d’infamie
Femme qui pleure, et ce, par la raison
Qu’il en peut naître un lâche en ma maison.
Levez la tête et baissez votre voile :
Partons. Varlets, faites sonner le cor.
Sous ce brouillard la Seine me dévoile
Ses flots rougis… Je veux voir plus encor.

VI


» La voyez-vous croître
La tour du vieux cloître ?
Et le grand mur noir
Du royal manoir ?
Entrons dans le Louvre.
Vous tremblez, je croi,
Au son du beffroi ?
La fenêtre s’ouvre,
Saluez le Roi. »

VII


Le vieux Baron, en signant sa poitrine.
Va visiter la reine Catherine ;
Sa fille reste, et dans la cour s’assied ;
Mais sur un corps elle heurte son pied :
— « Je vis encor, je vis encor, madame ;
Arrêtez-vous et donnez-moi la main ;
En me sauvant, vous sauverez mon âme ;
Car j’entendrai la messe dès demain. »

 

VIII


— « Huguenot profane,
Lui dit Marie-Anne,
Sur ton corselet
Mets mon chapelet.
Tu prieras la Vierge,
Je prierai le Roi :
Prends ce palefroi.
Surtout prends un cierge.
Et viens avec moi. »

IX


Marie ordonne à tout son équipage
De l’emporter dans le manteau d’un page,
Lui fait ôter ses baudriers trop lourds.
Jette sur lui sa cape de velours,
Attache un voile avec une relique
Sur sa blessure, et dit, sans s’émouvoir :
« Ce gentilhomme est un bon catholique,
Et dans l’église il vous le fera voir. »

X


Murs de Saint-Eustache !
Quel peuple s’attache
À vos escaliers,
À vos noirs piliers,
Traînant sur la claie
Des morts sans cercueil,
La fureur dans l’œil.
Et formant la haie
De l’autel au seuil ?

XI


Dieu fasse grâce à l’année où nous sommes !
Ce sont vraiment des femmes et des hommes ;
Leur foule entonne un Te Deum en chœur,
Et dans le sang trempe et dévore un cœur,
Cœur d’Amiral arraché dans la rue.
Cœur gangrené du schisme de Calvin.
On boit, on mange, on rit ; la foule accrue
Se l’offre et dit : C’est le Pain et le Vin[837].

XII


Un moine qui masque
Son front sous un casque
Lit au maître-autel
Le livre immortel ;
Il chante au pupitre,
Et sa main trois fois,
En faisant la croix,
Jette sur l’épître
Le sang de ses doigts.

XIII


« Place ! dit-il ; tenons notre promesse
D’épargner ceux qui viennent à la messe.
Place ! je vois arriver deux enfants :
Ne tuez pas encor, je le défends ;
Tant qu’ils sont là, je les ai sous ma garde.
Saint Paul a dit : Le temple est fait pour tous[838] ;

Chacun son lot, le dedans me regarde ;
Mais, une fois dehors, ils sont à vous. »

XIV


— « Je viens sans mon père,
Mais en vous j’espère
(Dit Anne deux fois,
D’une faible voix) ;
Il est chez la Reine ;
Moi, j’accours ici
Demander merci
Pour ce capitaine
Qui vous prie aussi. »

XV


Le blessé dit : « Il n’est plus temps, madame ;
Mon corps n’est pas sauvé, mais bien mon âme,
Si vous voulez ; donnez-moi votre main,
Et je mourrai catholique et romain ;
Épousez-moi, je suis duc de Soubise ;
Vous n’aurez pas à vous en repentir :
C’est pour un jour. Hélas ! dans votre église
Je suis entré, mais pour n’en plus sortir.

XVI


« Je sens fuir mon âme !
Êtes-vous ma femme ? »
— « Hélas ! dit-elle, oui, »
Se baissant vers lui.
Un mot les marie.
Ses yeux, par l’effort
D’un dernier transport,
Regardent Marie,
Puis il tombe mort.

XVII


Ce fut ainsi qu’Anne devint duchesse :
Elle donna le fief et sa richesse
À l’ordre saint des frères de Jésus,
Et leur légua ses propres biens en sus.
Un faible corps qu’un esprit troublé ronge
Résiste un peu, mais ne vit pas longtemps :
Dans le couvent des Nonnes, en Saintonge,
Elle mourut vierge et veuve à vingt ans.


Écrit à la Briche, en Beauce. Mai 1828.

LA NEIGE[839]

poème


La division en deux sections n’existe pas dans O.

Sous-titre : O, P2, Ballade. A, Conte.

I

Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d’arbres sont noires[840],
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !
Quand seul dans un ciel pâle un peuplier s’élance,
Quand sous le manteau blanc qui vient de le cacher
L’immobile corbeau sur l’arbre se balance.
Comme la girouette au bout du long clocher !


Ils sont petits et seuls, ces deux pieds dans la neige.
Derrière les vitraux dont l’azur le protège,
Le Roi pourtant regarde et voudrait ne pas voir[841],
Car il craint sa colère et surtout son pouvoir.

De cheveux longs et gris son front brun s’environne.
Et porte en se ridant le fer de la couronne[842] ;
Sur l’habit dont la pourpre a peint l’ample velours.
L’empereur a jeté la lourde peau d’un ours[843].


Avidement courbé, sur le sombre vitrage
Ses soupirs inquiets impriment un nuage.
Contre un marbre frappé d’un pied appesanti,
Sa sandale romaine a vingt fois retenti[844].

Est-ce vous, blanche Emma, princesse de la Gaule ?
Quel amoureux fardeau pèse à sa jeune épaule ?
C’est le page Éginard, qu’à ses genoux le jour
Surprit, ne dormant pas, dans la secrète tour.

Doucement son bras droit étreint un cou d’ivoire.
Doucement son baiser suit une tresse noire.
Et la joue inclinée, et ce dos où les lis
De l’hermine entourés sont plus blancs que ses plis[845].

Il retient dans son cœur une craintive haleine,
Et de sa dame ainsi pense alléger la peine.
Et gémit de son poids, et plaint ses faibles pieds[846]
Qui, dans ses mains, ce soir, dormiront essuyés ;

Lorsqu’arrêtée Emma vante sa marche sûre,
Lève un front caressant, sourit et le rassure,

D’un baiser mutuel implore le secours,
Puis repart chancelante et traverse les cours[847].

Mais les voix des soldats résonnent sous les voûtes,
Les hommes d’armes noirs en ont fermé les routes ;
Éginard, échappant à ses jeunes liens,
Descend des bras d’Emma, qui tombe dans les siens.

II


Un grand trône ombragé des drapeaux d’Allemagne[848]
De son dossier de pourpre entoure Charlemagne.
Les douze pairs debout sur ses larges degrés[849]
Y font luire l’orgueil des lourds manteaux dorés[850].

Tous posent un bras fort sur une longue épée,
Dans le sang des Saxons neuf fois par eux trempée ;
Par trois vives couleurs se peint sur leurs écus
La gothique devise autour des rois vaincus.

Sous les triples piliers des colonnes moresques,
En cercle sont placés des soldats gigantesques,
Dont le casque fermé, chargé de cimiers blancs,
Laisse à peine entrevoir les yeux étincelants.

Tous deux joignant les mains, à genoux sur la pierre.
L’un pour l’autre en leur cœur cherchant une prière,
Les beaux enfants tremblaient, en abaissant leur front
Tantôt pâle de crainte ou rouge de l’affront.

D’un silence glacé régnait la paix profonde.
Bénissant en secret sa chevelure blonde.
Avec un lent effort, sous ce voile, Éginard
Tente vers sa maîtresse un timide regard[851].

Sous l’abri de ses mains Emma cache sa tête,
Et, pleurant, elle attend l’orage qui s’apprête[852] :
Comme on se tait encore, elle donne à ses yeux
À travers ses beaux doigts un jour audacieux.

L’Empereur souriait en versant une larme,
Qui donnait à ses traits un ineffable charme ;
Il appela Turpin, l’évêque du palais,
Et d’une voix très douce il dit : Bénissez-les.



Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,
Quand les branches d’arbres sont noires.
Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé[853] !


1820[854].

LE COR

poème


La division en quatre sections n’existe pas dans O.

Sous-titre : O, P2, Ballade. A, Conte.

I

J’aime le son du Cor, le soir, au fond des bois[855].
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois.
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l’ombre à minuit demeuré,
J’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré !
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.

Ô montagnes d’azur ! ô pays adoré !
Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons[856][857] !
C’est là qu’il faut s’asseoir, c’est là qu’il faut entendre[858]
Les airs lointains d’un Cor mélancolique et tendre[859].

Souvent un voyageur, lorsque l’air est sans bruit.
De cette voix d’airain fait retentir la nuit ;
À ses chants cadencés autour de lui se mêle
L’harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

Une biche attentive, au lieu de se cacher.
Se suspend immobile au sommet du rocher.
Et la cascade unit, dans une chute immense.
Son éternelle plainte au chant de la romance[860].

Âmes des Chevaliers, revenez-vous encor[861] ?
Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor[862] ?
Roncevaux ! Roncevaux ! dans ta sombre vallée
L’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée[863] !

II


Tous les preux étaient morts, mais aucun n’avait fui[864].
Il reste seul debout, Olivier près de lui ;
L’Afrique sur les monts l’entoure et tremble encore.
« Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More[865] ;

« Tous tes Pairs sont couches dans les eaux des torrents. » —
Il rugit comme un tigre, et dit : « Si je me rends,
» Africain, ce sera lorsque les Pyrénées
» Sur l’onde avec leurs corps rouleront entraînées. »

— « Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà. »
Et du plus haut des monts un grand rocher roula.
Il bondit, il roula jusqu’au fond de l’abîme,
Et de ses pins, dans l’onde, il vint briser la cime.

— « Merci, cria Roland ; tu m’as fait un chemin[866]. »
Et jusqu’au pied des monts le roulant d’une main,
Sur le roc affermi comme un géant s’élance.
Et, prête à fuir, l’armée à ce seul pas balance.

III


Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
À l’horizon déjà, par leurs eaux signalées.
De Luz et d’Argelès se montraient les vallées[867].

L’armée applaudissait. Le luth du troubadour
S’accordait pour chanter les saules de l’Adour ;
Le vin français coulait dans la coupe étrangère ;
Le soldat, en riant, parlait à la bergère.

Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi[868].
Assis nonchalamment sur un noir palefroi
Oui marchait revêtu de housses violettes,
Turpin disait, tenant les saintes amulettes :

« Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ;
» Suspendez votre marche ; il ne faut tenter Dieu.
» Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes[869]
» Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

» Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. »
Ici l’on entendit le son lointain du Cor[870]. —
L’Empereur étonné, se jetant en arrière.
Suspend du destrier la marche aventurière.

« Entendez-vous ? dit-il. — Oui, ce sont des pasteurs
» Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs,
» Répondit l’archevêque, ou la voix étouffée[871]
» Du nain vert Obéron qui parle avec sa Fée. »

Et l’Empereur poursuit ; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l’orage des cieux.
Il craint la trahison, et, tandis qu’il y songe[872].
Le Cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.

« Malheur ! c’est mon neveu ! malheur ! car, si Roland[873]
» Appelle à son secours, ce doit être en mourant.
» Arrière, chevaliers, repassons la montagne !
» Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l’Espagne ! »

IV


Sur le plus haut des monts s’arrêtent les chevaux ;
L’écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux
Des feux mourants du jour à peine se colore.
À l’horizon lointain fuit l’étendard du More[874].

— « Turpin, n’as-tu rien vu dans le fond du torrent ?
— » J’y vois deux chevaliers : l’un mort, l’autre expirant.
» Tous deux sont écrasés sous une roche noire[875] ;
» Le plus fort, dans sa main, élève un Cor d’ivoire[876],
» Son âme en s’exhalant nous appela deux fois. »



Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois[877] !


Écrit à Pau, en 1825[878].

LE BAL

poème


Dédicace : A, À M. Jules Lefèvre, auteur du Parricide, de Maria, des Mexicains, etc.

Le sous-titre manque dans O, P1, A.


La harpe tremble encore et la flûte soupire[879],
Car la Walse bondit dans son sphérique empire ;
Des couples passagers éblouissent les yeux,
Volent entrelacés en cercle gracieux,
Suspendent des repos balancés en mesure,
Aux reflets d’une glace admirent leur parure,
Repartent ; puis, troublés par leur groupe riant.
Dans leurs tours moins adroits se heurtent en criant.
La danseuse, enivrée aux transports de la fête[880],
Sème et foule en passant les bouquets de sa tête,
Au bras qui la soutient se livre, et, pâlissant[881],

Tourne, les yeux baissés sur un sein frémissant[882].



Courez, jeunes beautés, formez la double danse.
Entendez-vous l’archet du bal joyeux[883],
Jeunes beautés ? Bientôt la légère cadence
Toutes va, tout à coup, vous mêler à mes yeux[884].



Dansez et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre ;
Liez au blanc muguet l’hyacinthe bleuâtre,
Et que vos pas moelleux, délices d’un amant[885].
Sur le chêne poli glissent légèrement ;
Dansez, car dès demain vos mères exigeantes
À vos jeunes travaux vous diront négligentes ;
L’aiguille détestée aura fui de vos doigts.
Ou, de la mélodie interrompant les lois,

Sur l’instrument mobile, harmonieux ivoire,
Vos mains auront perdu la touche blanche et noire ;
Demain, sous l’humble habit du jour laborieux,
Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux… ;
Ils chercheront en vain, sur la feuille indocile,
De ses simples discours le sens clair et facile ;
Loin du papier noirci, votre esprit égare.
Partant, seul et léger, vers le Bal adoré[886].
Laissera de vos yeux l’indécise prunelle
Recommencer vingt fois une page éternelle.
Prolongez, s’il se peut, oh ! prolongez la nuit[887].
Qui d’un pas diligent plus que vos pas s’enfuit !



Le signal est donné, l’archet frémit encore :
Élancez-vous, liez ces pas nouveaux
Que l’Anglais inventa, nœuds chers à Terpsichore[888],
Qui d’une molle chaîne imitent les anneaux[889].



Dansez, un soir encore usez de votre vie :
L’étincelante nuit d’un long jour est suivie ;
À l’orchestre brillant le silence fatal
Succède, et les dégoûts aux doux propos du bal.
Ah ! reculez le jour où, surveillantes mères.
Vous saurez du berceau les angoisses amères[890] :

Car, dès que de l’enfant le cri s’est élevé.
Adieu, plaisir, long voile à demi relevé.
Et parure éclatante, et beaux joyaux des fêtes,
Et le soir, en passant, les riantes conquêtes
Sous les ormes, le soir, aux heures de l’amour,
Quand les feux suspendus ont rallumé le jour.
Mais, aux yeux maternels, les veilles inquiètes
Ne manquèrent jamais, ni les peines muettes
Que dédaigne l’époux, que l’enfant méconnaît,
Et dont le souvenir dans les songes renait.
Ainsi, toute au berceau qui la tient asservie,
La mère avec ses pleurs voit s’écouler sa vie.
Rappelez les plaisirs, ils fuiront votre voix,
Et leurs chaînes de fleurs se rompront sous vos doigts.



Ensemble, à pas légers, traversez la carrière ;
Que votre main touche une heureuse main,
Et que vos pieds savants à leur place première
Reviennent, balancés dans leur double chemin.



Dansez : un jour, hélas ! ô reines éphémères !
De votre jeune empire auront fui les chimères ;
Rien n’occupera plus vos cœurs désenchantés,
Que des rêves d’amour bien vite épouvantés,
Et le regret lointain de ces fraîches années
Qu’un souffle a fait mourir, en moins de temps fanées
Que la rose et l’œillet, l’honneur de votre front ;
Et du temps indompté lorsque viendra l’affront,
Quelles seront alors vos tardives alarmes ?
Un teint, déjà flétri, pâlira sous les larmes,

Les larmes à présent, doux trésor des amours[891],
Les larmes, contre l’âge inutile secours[892] :
Car les ans maladifs, avec un doigt de glace.
Des chagrins dans vos cœurs auront marqué la place,
La morose vieillesse… Ô légères beautés !
Dansez, multipliez vos pas précipités,
Et dans les blanches mains les mains entrelacées.
Et les regards de feu, les guirlandes froissées.
Et le rire éclatant, cri des joyeux loisirs.
Et que la salle au loin tremble de vos plaisirs[893][894].


Paris, 1818[895].

LE TRAPPISTE[896]

poème


Titre : O1-O3, P2, Le Trapiste — O1-O3, la note au titre manque ; P2, A, Journal des Débats B-D, Moniteur

Épigraphe : O1-O3, Je suis devenu étranger à mes frères parce que le zèle de votre maison m’a dévoré, et que les outrages de ceux qui vous insultaient sont tombés sur moi (Ps. c. LXVIII, v. 8).


C’était une des nuits qui des feux de l’Espagne
Par des froids bienfaisants consolent la campagne ;
L’ombre était transparente, et le lac argenté
Brillait à l’horizon sous un voile enchanté ;

Une lune immobile éclairait les vallées.
Où des citronniers verts serpentent les allées ;
Des milliers de soleils, sans offenser les yeux,
Tels qu’une poudre d’or, semaient l’azur des cieux,
Et les monts inclinés, verdoyante ceinture
Qu’en cercles inégaux enchaîna la nature.
De leurs dômes en fleurs étalaient la beauté,
Revêtus d’un manteau bleuâtre et velouté[897].
Mais aucun n’égalait, dans sa magnificence,
Le Mont Serrât[898], paré de toute sa puissance[899] :
Quand des nuages blancs sur son dos arrondi
Roulaient leurs flots chassés par le vent du midi[900],
Les brisant de son front, comme un nageur habile,
Le géant semblait fuir sous ce rideau mobile ;
Tantôt un piton noir, seul dans le firmament,
Tel qu’un fantôme énorme, arrivait lentement ;
Tantôt un bois riant, sur une roche agreste.
S’éclairait, suspendu comme une île céleste.
Puis enfin, des vapeurs délivrant ses contours,
Comme une forteresse au milieu de ses tours,
Sortait le pic immense : il semblait à ses plaines
Des vents frais de la nuit partager les haleines ;
Et l’orage indécis, murmurant à ses pieds.
Pendait encor d’en haut sur les monts effrayés.


En spectacles pompeux la nature est féconde :
Mais l’homme a des pensers bien plus grands que le monde.
Quelquefois tout un peuple endormi dans ses maux
S’éveille, et, saisissant le glaive des hameaux,
Maudissant la révolte impure et tortueuse[901].
Élève tout à coup sa voix majestueuse :
Il redemande à Dieu ses autels profanés,
Il appelle à grands cris ses Rois emprisonnés[902] ;
Comme un tigre, il arrache, il emporte sa chaîne ;
Il s’élève, il grandit, il s’étend comme un chêne[903],
Et de ses mille bras il couvre en liberté
Les sillons paternels du sol qui l’a porté.
Ainsi, terre indocile, à ton Roi seul constante,
Vendée, où la chaumière est encore une tente,
Ainsi de ton Bocage aux détours meurtriers[904]
Sortirent en priant les paysans guerriers :
Ainsi, se relevant, l’infatigable Espagne
Fait sortir des héros du creux de la montagne.



Sur des rochers, non loin de ces antres sacrés,
Où Pelage appela les Goths désespérés[905],
D’où sort toujours la gloire, et qui gardent encore,
Hélas ! les os français mêlés à ceux du More,
Au-dessus de la nue, au-dessus des torrents.
Viennent de s’assembler les montagnards errants.
La pourpre du réseau dont leur front s’environne

Forme autour des cheveux une mâle couronne,
Et la corde légère, avec des nœuds puissants.
S’est tressée en sandale à leurs pieds bondissants.
Le silence est profond dans la foule attentive ;
Car la hache pesante, avec la flamme active,
D’un chêne que cent ans n’ont pas su protéger
Ont fait pour leur prière un autel passager.



Là ce chef dont le nom sème au loin l’épouvante[906]
Dépose devant Dieu son oraison fervente ;
Triomphateur sans pompe, il va d’une humble voix
Chanter le Te Deum sous le dôme des bois.
Est-ce un guerrier farouche ? est-ce un pieux apôtre ?

Sous la robe de l’un il a les traits de l’autre :
Il est prêtre, et, pourtant, promptement irrité.
Il est soldat aussi, mais plein d’austérité ;
Son front est triste et pâle, et son œil intrépide :
Son bras frappe et bénit, son langage est rapide,
Il passe dans la foule et ne s’y mêle pas[907] ;
Un pain noir et grossier compose ses repas ;
Il parle, on obéit ; on tremble s’il commande.
Et nul sur son destin ne tente une demande[908].
Le Trappiste est son nom : ce terrible inconnu[909],
Sorti jadis du monde, au monde est revenu ;
Car, soulevant l’oubli dont ces couvents funèbres
À leurs moines muets imposent les ténèbres,
Il reparut au jour, dans une main la croix,
Dans l’autre, secouant, au nom des anciens Rois,
Ce fouet[910] dont Jésus-Christ, de son bras pacifique.
Du haut des longs degrés du Temple magnifique,
Renversa les vendeurs qui souillaient le saint mur,

Dans les débris épars de leur trafic impur[911].
Soit que la main de Dieu le couvre ou se retire,
Le condamne à la gloire ou l’élève au martyre,
S’il vit, il reviendra sans plainte et sans orgueil,
D’un bras sanglant encore achever son cercueil.
Et reprendre, courbé, l’agriculture austère
Dont il s’est trop longtemps reposé dans la guerre.
Tel un mort, évoqué par de magiques voix,
Envoyé du sépulcre, apparaît pour les Rois,
Marche, prédit, menace, et retourne à sa tombe,
Dont la pierre éternelle en gémissant retombe[912].



Parmi ces montagnards, ces robustes bergers[913].
Aventuriers hardis, chasseurs aux pieds légers.
Qui rangent sous sa loi leur troupe volontaire.
Nul n’a voulu savoir ce qu’il a voulu taire.
Dieu l’inspire et l’envoie, il le dit : c’est assez,
Pourvu que leurs combats leur soient toujours laissés.

Joyeux, ils voyaient donc, sanctifiant leur gloire[914],
Ce prêtre offrir à Dieu leur première victoire.
Pour lui, couvert de l’aube et de l’étole orné.
Devant l’autel agreste il s’était retourné.
Déjà, soldat du Christ, près d’entrer dans la lice.
Il remplissait son cœur des baumes du calice.
Mais des soupirs, des bruits s’élèvent ; un grand cri
L’interrompt ; il s’étonne, et, lui-même attendri,
Voit un jeune inconnu, dont la tête est sanglante,
Traînant jusqu’à l’autel sa marche faible et lente.
Montrant un fer brisé qui soutenait sa main.
Qui défendit sa fuite et fraya son chemin.
C’est un de ces guerriers dont la constante veille
Fait qu’en ses palais d’or la royauté sommeille[915].
Il tombe ; mais il parle, et sa tremblante voix
S’efforce à ce discours entrecoupé trois fois :
« Pour qui donc cet autel au milieu des ténèbres ?
N’y chantez pas, ou bien dites des chants funèbres.
Quel Espagnol ne sait les hymnes du trépas ?
Les nouveaux noms des morts ne vous manqueront pas :
J’apporte sur vos monts de sanglantes nouvelles.
— Quoi ! le Roi n’est-il plus ? disaient les voix fidèles.
— Pleurez. — Il est donc mort ? — Pleurez, il est vivant ! »
Et le jeune martyr, sur un bras se levant,
Tel qu’un gladiateur dont la paupière errante
Cherche le sol qui tourne, et fuit sa main mourante[916] :

« Nos combats sont finis, dit-il, en un seul jour ;
Nos taureaux ont quitté le cirque, et sans retour[917],
Puisque le spectateur à qui s’offrait la lutte
N’a pas daigné lui-même applaudir à leur chute.
Pour vous, si vous savez les secrets du devoir,
Partez, je vais mourir avant de les savoir.
Mais, si vous rencontrez, non loin de ces montagnes,
Des soldats qui vont vite à travers les campagnes,
Qui portent sous leurs bras des fusils renversés[918],
Et passent en silence et leurs fronts abaissés,
Ne les engagez pas à cesser leur retraite ;
Ils vous refuseraient en secouant la tête :
Car ils ont tous besoin, mon père, ainsi que moi[919],
De retremper leur âme aux sources de la foi.
Nul ne sait s’il succombe ou fidèle ou parjure,
Et si le dévoûment ne fut pas une injure.
Vous, habitant sacré du mont silencieux,
Instruit des saintes morts que préfèrent les Cieux,
Jugez-nous et parlez… Vous savez quelle proie
Le peuple osa vouloir dans sa féroce joie ?
Vous le savez, un Roi ne porte pas des fers
Sans que leur bruit s’entende au bout de l’univers.
Nous qui pensions encore, avant l’heure où nous sommes,
Qu’un serment prononcé devait lier les hommes,
Partant avec le jour, qui se levait sur nous
Brillant, mais dont le soir n’est pas venu pour tous,
Au palais, dont le peuple envahissait les portes,
En silence, à grands pas, marchaient nos trois cohortes :
Quand le balcon royal à dos yeux vint s’offrir[920],

Nous l’avons salué, car nous venions mourir[921].
Mais comme à notre voix il n’y paraît personne,
Aux cris des révoltés, à leur tocsin qui sonne,
À leur joie insultante, à leur nombre croissant,
Nous croyons le Roi mort parce qu’il est absent ;
Et, gémissant alors sur de fausses alarmes,
Accusant nos retards, nous répandions des larmes.
Mais un bruit les arrête, et, passé dans nos rangs,
Fait presque de leur mort repentir nos mourants.
Nous n’osons plus frapper, de peur qu’un plomb fidèle
N’aille blesser le Roi dans la foule rebelle.
Déjà, le fer levé, s’avancent ses amis[922],
Par nos bourreaux sanglants à nous tuer admis.
Nous recevons leurs coups longtemps avant d’y croire,
Et notre étonnement nous ôte la victoire.
En retirant vers vous nos rangs irrésolus,
Nous combattions toujours, mais nous ne pleurions plus[923]. »


Il se tut. Il régna, de montagne en montagne,
Un bruit sourd qui semblait un soupir de l’Espagne.
Le Trappiste incliné mit sa main sur ses yeux[924].
On ne sait s’il pleura ; car, tranquille et pieux,
Levant son front creusé par les rides antiques,
Sa voix grave apaisa les bataillons rustiques :
Comme au vent du midi la neige au loin se fond[925],
La rumeur s’éteignit dans un calme profond.
La lune alors plus belle écartait un nuage,
Et du moine héroïque éclairait le visage ;
Troublé sur ses sommets et dans sa profondeur,
Le mont de tous ses bruits déployait la grandeur ;
Aux mots entrecoupés du vainqueur catholique,
Se mêlait d’un torrent la voix mélancolique[926],
Le froissement léger des mélèzes touffus,
D’un combat éloigné les coups longs et confus,
Et des loups affamés les hurlements funèbres[927],
Et le cri des vautours volant dans les ténèbres :



« Frères, il faut mourir ; qu’importe le moment ?
Et si de notre mort le fatal instrument
Est cette main des Rois qui, jadis salutaire,
Touchait pour les guérir les peuples de la terre ;
Quand même, nous brisant sous notre propre effort,
L’arche que nous portons nous donnerait la mort ;
Quand même par nous seuls la couronne sauvée
Écraserait un jour ceux qui l’ont relevée,

Seriez-vous étonnes, et vos fidèles bras
Seraient-ils moins ardents à servir les ingrats ?
Vous seriez-vous flattés qu’on trouvât sur la terre
La palme réservée au martyr volontaire ?
Hommes toujours déçus, j’en appelle à vous tous :
Interrogez vos cœurs, voyez autour de vous ;
Rappelez vos liens, vos premières années,
Et d’un juste coup d’œil sondez nos destinées[928].
Amis, frères, amants, qui vous a donc appris
Qu’un dévoûment jamais dût recevoir son prix ?
Beaucoup semaient le bien d’une main vigilante,
Qui n’ont pu récolter qu’une moisson sanglante.
Si la couche est trompeuse et le foyer pervers,
Qu’avez-vous attendu des Rois de l’univers ?
Ô faiblesse mortelle, ô misère des hommes[929] !
Plaignons notre nature et le siècle où nous sommes
Gémissons en secret sur les fronts couronnés ;
Mais servons-les pour Dieu qui nous les adonnés.
Notre cause est sacrée, et dans les cœurs subsiste.
En vain les Rois s’en vont : la Royauté résiste ;

Son principe est en haut, en haut est son appui ;
Car tout vient du Seigneur, et tout retourne à lui.
Dieu seul est juste, enfants ; sans lui tout est mensonge,
Sans lui le mourant dit : « La vertu n’est qu’un songe. »
Nous allons le prier, et pour le Prince absent[930],
Et pour tous les martyrs dont coule encor le sang.
Je donne cette nuit à vos dernières larmes :
Demain, nous chercherons, à la pointe des armes,
Pour le Roi la couronne, et des tombeaux pour nous. »



Amen, dit l’assemblée en tombant à genoux.


En 1822, à Courbevoie[931].

Dans O3, le poème est suivi d’une longue notice intitulée : Documens sur les Trapistes d’Espagne, qui a disparu des éditions postérieures. On la trouvera à l’Appendice, p. 313.


LA FRÉGATE LA SÉRIEUSE

ou
LA PLAINTE DU CAPITAINE
poème

I

Qu’elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu’elle voguait dans le vent[932][933] !
Elle avait, au soleil levant,
Toutes les couleurs de l’agate ;
Ses voiles luisaient le matin
Comme des ballons de satin ;
Sa quille mince, longue et plate,

Portait deux bandes d’écarlate
Sur vingt-quatre canons cachés ;
Ses mâts, en arrière penchés,
Paraissaient à demi couches.
Dix fois plus vive qu’un pirate,
En cent jours du Havre à Surate
Elle nous emporta souvent.
— Quelle était belle, ma Frégate,
Lorsqu’elle voguait dans le vent[934] !

II

Brest vante son beau port et cette rade insigne
Où peuvent manœuvrer trois cents vaisseaux de ligne[935] ;
Boulogne, sa cité haute et double, et Calais,
Sa citadelle assise en mer comme un palais ;
Dieppe a son vieux château soutenu par la dune[936],
Ses baigneuses cherchant la vague au clair de lune,
Et ses deux monts en vain par la mer insultés[937] ;
Cherbourg a ses fanaux de bien loin consultés,
Et gronde en menaçant Guernsey la sentinelle[938]
Debout près de Jersey, presque en France ainsi qu’elle.
Lorient, dans sa rade au mouillage inégal,
Reçoit la poudre d’or des noirs du Sénégal ;
Saint-Malo dans son port tranquillement regarde
Mille rochers debout qui lui servent de garde ;

Le Havre a pour parure ensemble et pour appui
Notre-Dame-de-Grâce et Honfleur devant lui ;
Bordeaux, de ses longs quais parés de maisons neuves,
Porte jusqu’à la mer ses vins sur deux grands fleuves[939] ;
Toute ville à Marseille aurait droit d’envier
Sa ceinture de fruits, d’orange et d’olivier[940] ;
D’or et de fer Bayonne en tout temps fut prodigue ;
Du grand Cardinal-Duc La Rochelle a la digue[941] ;
Tous nos ports ont leur gloire ou leur luxe à nommer ;
Mais Toulon a lancé la Sérieuse en mer[942].

LA TRAVERSÉE

III

Quand la belle Sérieuse
Pour l’Égypte appareilla,
Sa figure gracieuse
Avant le jour s’éveilla ;
À la lueur des étoiles
Elle déploya ses voiles,
Leurs cordages et leurs toiles,
Comme de larges réseaux,
Avec ce long bruit qui tremble,
Qui se prolonge et ressemble
Au bruit des ailes qu’ensemble
Ouvre une troupe d’oiseaux[943].

IV


Dès que l’ancre dégagée
Revient par son câble à bord,
La proue alors est changée,
Selon l’aiguille et le Nord[944].
La Sérieuse l’observe,
Elle passe la réserve,
Et puis marche de conserve
Avec le grand Orient :
Sa voilure toute blanche
Comme un sein gonflé se penche ;
Chaque mât, comme une branche,
Touche la vague en pliant.

V


Avec sa démarche leste.
Elle glisse et prend le vent,
Laisse à l’arrière l’Alceste,
Et marche seule à l’avant.
Par son pavillon conduite,
L’escadre n’est à sa suite
Que lorsque, arrêtant sa fuite,

Elle veut l’attendre enfin[945] :
Mais, de bons marins pourvue,
Aussitôt qu’elle est en vue,
Par sa manœuvre imprévue,
Elle part comme un dauphin.

VI


Comme un dauphin elle saute,
Elle plonge comme lui
Dans la mer profonde et haute,
Où le feu Saint-Elme a lui.
Le feu serpente avec grâce ;
Du gouvernail qu’il embrasse
Il marque longtemps la trace,
Et l’on dirait un éclair
Qui, n’ayant pu nous atteindre.
Dans les vagues va s’éteindre.
Mais ne cesse de les teindre
Du prisme enflammé de l’air.

VII


Ainsi qu’une forêt sombre
La flotte venait après,
Et de loin s’étendait l’ombre
De ses immenses agrès.
En voyant Le Spartiate,

Le Franklin et sa frégate,
Le bleu, le blanc, l’écarlate,
De cent mâts nationaux,
L’armée, en convoi, remise
Comme en garde à L’Artémise,
Nous nous dîmes : C’est Venise
Qui s’avance sur les eaux[946].

VIII


Quel plaisir d’aller si vite,
Et de voir son pavillon,
Loin des terres qu’il évite,
Tracer un noble sillon !
Au large on voit mieux le monde,
Et sa tête énorme et ronde
Qui se balance et qui gronde
Comme éprouvant un affront.
Parce que l’homme se joue
De sa force, et que la proue,
Ainsi qu’une lourde roue.
Fend sa route sur son front.

IX


Quel plaisir ! et quel spectacle
Que l’élément triste et froid

Ouvert ainsi sans obstacle
Par un bois de chêne étroit !
Sur la plaine humide et sombre,
La nuit reluisaient dans l’ombre
Des insectes en grand nombre,
De merveilleux vermisseaux,
Troupe brillante et frivole.
Comme un feu follet qui vole,
Ornant chaque banderole
Et chaque mât des vaisseaux.

X


Et surtout La Sérieuse,
Était belle nuit et jour ;
La mer, douce et curieuse,
La portait avec amour,
Comme un vieux lion abaisse
Sa longue crinière épaisse,
Et, sans l’agiter, y laisse
Se jouer le lionceau[947] ;
Comme sur sa tête agile
Une femme tient l’argile,
Ou le jonc souple et fragile
D’un mystérieux berceau.

XI


Moi, de sa poupe hautaine
Je ne m’absentais jamais,

Car, étant son capitaine,
Comme un enfant je l’aimais :
J’aurais moins aimé peut-être
L’enfant que j’aurais vu naître ;
De son cœur on n’est pas maître,
Moi, je suis un vrai marin ;
Ma naissance est un mystère,
Sans famille, et solitaire[948],
Je ne connais pas la terre,
Et la vois avec chagrin.

XII


Mon banc de quart est mon trône,
J’y règne plus que les Rois[949] ;
Sainte Barbe est ma patronne ;
Mon sceptre est mon porte-voix ;
Ma couronne est ma cocarde ;
Mes officiers sont ma garde ;
À tous les vents je hasarde
Mon peuple de matelots.
Sans que personne demande
À quel bord je veux qu’il tende,
Et pourquoi je lui commande
D’être plus fort que les flots[950].

XIII


Voilà toute la famille
Qu’en mon temps il me fallait ;
Ma Frégate était ma fille.
Va ! lui disais-je. — Elle allait,
S’élançait dans la carrière,
Laissant l’écueil en arrière,
Comme un cheval sa barrière ;
Et l’on m’a dit qu’une fois
(Quand je pris terre en Sicile)
Sa marche fut moins facile :
Elle parut indocile
Aux ordres d’une autre voix.

XIV


On l’aurait crue animée[951] !
Toute l’Égypte la prit,
Si blanche et si bien formée,
Pour un gracieux Esprit[952]
Des Français compatriote,
Lorsqu’en avant de la flotte.
Dont elle était le pilote,

Doublant une vieille tour[953][954],
Elle entra, sans avarie[955],
Aux cris : Vive la patrie !
Dans le port d’Alexandrie,
Qu’on appelle Abou-Mandour,

LE REPOS

XV

Une fois, par malheur, si vous avez pris terre,
Peut-être qu’un de vous, sur un lac solitaire.
Aura vu, comme moi, quelque cygne endormi,
Qui se laissait au vent balancer à demi.
Sa tête nonchalante, en arrière appuyée,
Se cache dans la plume au soleil essuyée :
Son poitrail est lave par le flot transparent.
Comme un écueil où l’eau se joue en expirant ;
Le duvet qu’en passant l’air dérobe à sa plume
Autour de lui s’envole et se mêle à l’écume ;
Une aile est son coussin, l’autre est son éventail ;
Il dort, et de son pied le large gouvernail
Trouble encore, en ramant, l’eau tournoyante et douce,
Tandis que sur ses flancs se forme un lit de mousse.
De feuilles et de joncs, et d’herbages errants
Qu’apportent près de lui d’invisibles courants.

LE COMBAT

XVI


Ainsi près d’Aboukir reposait ma Frégate ;
À l’ancre dans la rade, en avant des vaisseaux,
On voyait de bien loin son corset d’écarlate
Se mirer dans les eaux.

Ses canots l’entouraient, à leur place assignée.
Pas une voile ouverte, on était sans dangers.
Ses cordages semblaient des filets d’araignée.
Tant ils étaient légers.

Nous étions tous marins. Plus de soldats timides
Qui chancellent à bord ainsi que des enfants[956] ;
Ils marchaient sur leur sol, prenant des Pyramides,
Montant des éléphants[957].

Il faisait beau. — La mer, de sable environnée.
Brillait comme un bassin d’argent entouré d’or ;
Un vaste soleil rouge annonça la journée
Du quinze Thermidor.

La Sérieuse alors s’ébranla sur sa quille :
Quand venait un combat, c’était toujours ainsi ;

Je le reconnus bien, et je lui dis : « Ma fille,
Je te comprends, merci ! »

J’avais une lunette exercée aux étoiles ;
Je la pris, et la tins ferme sur l’horizon.
— Une, deux, trois, — je vis treize et quatorze voiles ;
Enfin, c’était Nelson[958].

Il courait contre nous en avant de la brise ;
La Sérieuse à l’ancre, immobile, s’offrant,
Reçut le rude abord sans en être surprise.
Comme un roc un torrent.

Tous passèrent près d’elle en lâchant leur bordée ;
230 Fière, elle répondit aussi quatorze fois.
Et par tous les vaisseaux elle fut débordée,
Mais il en resta trois.

Trois vaisseaux de haut bord — combattre une frégate !
Est-ce l’art d’un marin ? le trait d’un amiral ?
255 Un écumeur de mer, un forban, un pirate,
N’eût pas agi si mal !

N’importe ! elle bondit, dans son repos troublée,
Elle tourna trois fois jetant vingt-quatre éclairs.
Et rendit tous les coups dont elle était criblée,
Feux pour feux, fers pour fers.

Ses boulets enchaînés fauchaient des mâts énormes,
Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron.

S’enfonçaient dans le bois, comme au cœur des grands ormes
Le coin du bûcheron.

245 Un brouillard de fumée où la flamme étincelle
L’entourait ; mais, le corps brûlé, noir, écharpé,
Elle tournait, roulait, et se tordait sous elle,
Comme un serpent coupé.

Le soleil s’éclipsa dans l’air plein de bitume.
Ce jour entier passa dans le feu, dans le bruit ;
Et, lorsque la nuit vint, sous cette ardente brume
On ne vit pas la nuit.

Nous étions enfermés comme dans un orage :
Des deux flottes au loin le canon s’y mêlait ;
On tirait en aveugle à travers le nuage :
Toute la mer brûlait.

Mais, quand le jour revint, chacun connut son œuvre.
Les trois vaisseaux flottaient démâtés, et si las,
Qu’ils n’avaient plus de force assez pour la manœuvre ;
Mais ma Frégate, hélas !

Elle ne voulait plus obéir à son maître :
Mutilée, impuissante, elle allait au hasard ;
Sans gouvernail, sans mât, on n’eût pu reconnaître
La merveille de l’art !

Engloutie à demi, son large pont à peine,
S’affaissant par degrés, se montrait sur les flots ;
Et là ne restaient plus, avec moi capitaine.
Que douze matelots.

Je les fis mettre en mer à bord d’une chaloupe,
Hors de notre eau tournante et de son tourbillon ;

Et je revins tout seul me coucher sur la poupe
Au pied du pavillon.

J’aperçus des Anglais les figures livides,
Faisant pour s’approcher un inutile effort
Sur leurs vaisseaux flottants comme des tonneaux vides[959],
Vaincus par notre mort.

La Sérieuse alors semblait à l’agonie :
L’eau dans ses cavités bouillonnait sourdement ;
Elle, comme voyant sa carrière finie,
Gémit profondément.

Je me sentis pleurer, et ce fut un prodige.
Un mouvement honteux[960] ; mais bientôt l’étouffant :
Nous nous sommes conduits comme il fallait, lui dis-je ;
Adieu donc, mon enfant.

Elle plongea d’abord sa poupe, et puis sa proue ;
Mon pavillon noyé se montrait en dessous ;
Puis elle s’enfonça tournant comme une roue,
Et la mer vint sur nous[961].

XVII

Hélas ! deux mousses d’Angleterre
Me sauvèrent alors, dit-on,
Et me voici sur un ponton ; —
J’aimerais presque autant la terre !
Cependant je respire ici
L’odeur de la vague et des brises.
Vous êtes marins, Dieu merci !
Nous causons de combats, de prises,
Nous fumons, et nous prenons l’air
Qui vient aux sabords de la mer.
Votre voix m’anime et me flatte,
Aussi je vous dirai souvent :
— « Qu’elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu’elle voguait dans le vent[962] ! »


À Dieppe, 1828.



LES AMANTS

DE MONTMORENCY[963]

élévation[964]


Sous-titre : O1, O2, Élévation X | Fragment d’un volume de Poèmes intitulé : Élévations O3, pas de sous-titre.

En note au titre dans O3 : En attendant la fin de la première Consultation du docteur noir, qui paraîtra très prochainement, M. Alfred de Vigny nous adresse ce poème qui fait partie d’un nouveau recueil poétique intitulé Élévations, et nous prie de déclarer qu’il désavoue toute autre copie qui aurait pu paraître ailleurs.

La division en trois sections n’existe pas dans O1, O2.


I

Étaient-ils malheureux, Esprits qui le savez[965] !
Dans les trois derniers jours qu’ils s’étaient réservés[966] ?
Vous les vîtes partir tous deux, l’un jeune et grave,

L’autre joyeuse et jeune[967]. Insouciante esclave,
Suspendue au bras droit de son rêveur amant,
Comme à l’autel un vase attaché mollement.
Balancée en marchant sur sa flexible épaule
Comme la harpe juive à la branche du saule ;
Riant, les yeux en l’air, et la main dans sa main.
Elle allait en comptant les arbres du chemin,
Pour cueillir une fleur demeurait en arrière,
Puis revenait à lui, courant dans la poussière.
L’arrêtait par l’habit pour l’embrasser, posait
Un œillet sur sa tête, et chantait, et jasait
Sur les passants nombreux, sur la riche vallée
Comme un large tapis à ses pieds étalée ;
Beau tapis, de velours chatoyant et changeant.
Semé de clochers d’or et de maisons d’argent.
Tout pareils aux jouets qu’aux enfants on achète[968]
Et qu’au hasard pour eux par la chambre l’on jette.
Ainsi, pour lui complaire, on avait sous ses pieds[969]
Répandu des bijoux brillants, multipliés[970],

En forme de troupeaux, de village aux toits roses
Ou bleus, d’arbres rangés, de fleurs sous l’onde écloses,
De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts,
Et de chênes tordus par la poitrine ouverts ;
Elle voyait ainsi tout préparé pour elle :
Enfant, elle jouait, en marchant, toute belle,
Toute blonde, amoureuse et fière ; et c’est ainsi
Qu’ils allèrent à pied jusqu’à Montmorency.

II


Ils passèrent deux jours d’amour et d’harmonie.
De chants et de baisers, de voix, de lèvre unie,
De regards confondus, de soupirs bienheureux,
Qui furent deux moments et deux siècles pour eux[971],
La nuit, on entendait leurs chants, dans la journée,
Leur sommeil ; tant leur âme était abandonnée
Aux caprices divins du désir ! Leurs repas
Étaient rares, distraits ; ils ne les voyaient pas.
Ils allaient, ils allaient au hasard et sans heures,
Passant des champs aux bois, et des bois aux demeures,
Se regardant toujours, laissant les airs chantés
Mourir, et tout à coup restaient comme enchantés[972].
L’extase avait fini par éblouir leur âme,

Comme seraient nos yeux éblouis par la flamme.
Troublés, ils chancelaient, et le troisième soir,
Ils étaient enivrés jusques à ne rien voir
Que les feux mutuels de leurs yeux. La nature
Étalait vainement sa confuse peinture
Autour du front aimé, derrière les cheveux
Que leurs yeux noirs voyaient tracés dans leurs yeux bleus.
Ils tombèrent assis sous des arbres ; peut-être[973]
Ils ne le savaient pas. Le soleil allait naître
Ou s’éteindre… Ils voyaient seulement que le jour
Était pâle, et l’air doux, et le monde en amour…
Un bourdonnement faible emplissait leur oreille
D’une musique vague au bruit des mers pareille,
Et formant des propos tendres, légers, confus.
Que tous deux entendaient, et qu’on n’entendra plus.
Le vent léger disait de la voix la plus douce :
« Quand l’amour m’a troublé, je gémis sous la mousse. »
Les mélèzes touffus s’agitaient en disant :
« Secouons dans les airs le parfum séduisant
» Du soir, car le parfum est le secret langage
» Que l’amour enflammé fait sortir du feuillage. »
Le soleil incliné sur les monts dit encor :
« Par mes flots de lumière et par mes gerbes d’or,
» Je réponds en élans aux élans de votre âme ;
» Pour exprimer l’amour mon langage est la flamme. »
Et les fleurs exhalaient de suaves odeurs,
Autant que les rayons de suaves ardeurs ;
Et l’on eût dit des voix timides et flûtées
Qui sortaient à la fois des feuilles veloutées ;

Et, comme un seul accord d’accents harmonieux,
Tout semblait s’élever en chœur jusques aux cieux ;
Et ces voix s’éloignaient, en rasant les campagnes,
Dans les enfoncements magiques des montagnes ;
Et la terre sous eux palpitait mollement,
Comme le flot des mers ou le cœur d’un amant ;
Et tout ce qui vivait, par un hymne suprême,
Accompagnait leurs voix qui se disaient : « Je t’aime. »

III


Or c’était pour mourir qu’ils étaient venus là.
Lequel des deux enfants le premier en parla ?
Comment dans leurs baisers vint la mort ? Quelle balle
Traversa les deux cœurs d’une atteinte inégale
85 Mais sûre ? Quels adieux leurs lèvres s’unissant
Laissèrent s’écouler avec l’âme et le sang ?
Qui le saurait ? Heureux celui dont l’agonie
Fut dans les bras chéris avant l’autre finie !
Heureux si nul des deux ne s’est plaint de souffrir !
90 Si nul des deux n’a dit : « Qu’on a peine à mourir ! »
Si nul des deux n’a fait, pour se lever et vivre,
Quelque effort en fuyant celui qu’il devait suivre ;
Et, reniant sa mort, par le mal égaré.
N’a repoussé du bras l’homicide adoré ?
Heureux l’homme surtout s’il a rendu son âme.
Sans avoir entendu ces angoisses de femme,
Ces longs pleurs, ces sanglots, ces cris perçants et doux
Qu’on apaise en ses bras ou sur ses deux genoux[974],

Pour un chagrin ; mais qui, si la mort les arrache,
Font que l’on tord ses bras, qu’on blasphème, qu’on cache
Dans ses mains son front pâle et son cœur plein de fiel[975][976],
Et qu’on se prend du sang pour le jeter au ciel. —
Mais qui saura leur fin ? —

Sur les pauvres murailles
D’une auberge où depuis l’on fit leurs funérailles[977],
Auberge où pour une heure ils vinrent se poser,
Ployant l’aile à l’abri pour toujours reposer,
Sur un vieux papier jaune, ordinaire tenture,
Nous avons lu des vers d’une double écriture[978],
Des vers de fou, sans rime et sans mesure. — Un mot[979]
Qui n’avait pas de suite était tout seul en haut ;
Demande sans réponse, énigme inextricable[980],
Question sur la mort. — Trois noms sur une table,
Profondément gravés au couteau. — C’était d’eux
Tout ce qui demeurait… et le récit joyeux
D’une fille au bras rouge. « Ils n’avaient, disait-elle,

{{#tag :poem|

Rien oublie. » La bonne eut quelque bagatelle Qu’elle montre en suivant leurs traces, pas à pas[981][982]. — Et Dieu ? — Tel est le siècle, ils n’y pensèrent pas[983]. }}


Écrit à Montmorency, 27 avril 1830[984].

PARIS

élévation[985]


Le poème est précédée dans O de la note suivante :

Ce poëme, sorte de rêve symbolique, est détaché d’un recueil, incomplet encore, intitulé : Élévations. Le temps emporte si vite les événemens, les impressions, les pressentimens qu’ils font naître, qu’il peut être bon de donner sa date à la moindre chose, quoique cette feuille soit du nombre de celles que le vent emporte, sans qu’on les ait vues passer.

Sous-titre : O, Élévation XIe.


« Prends ma main, Voyageur, et montons sur la tour[986]. —
Regarde tout en bas, et regarde à l’entour.
Regarde jusqu’au bout de l’horizon, regarde
Du nord au sud. Partout où ton œil se hasarde,

Qu’il s’attache avec feu, comme l’œil du serpent
Qui pompe du regard ce qu’il suit en rampant,
Tourne sur le donjon qu’un parapet prolonge,
D’où la vue à loisir sur tous les points se plonge
Et règne, du zénith, sur un monde mouvant
Comme l’éclair, l’oiseau, le nuage et le vent.
Que vois-tu dans la nuit, à nos pieds, dans l’espace.
Et partout où mon doigt tourne, passe et repasse[987] ?



— « Je vois un cercle noir, si large et si profond
» Que je n’en aperçois ni le bout ni le fond.
» Des collines, au loin, me semblent sa ceinture,
» Et pourtant je ne vois nulle part la nature,
» Mais partout la main d’homme et l’angle que sa main
» Impose à la matière en tout travail humain.
» Je vois ces angles noirs et luisants qui, dans l’ombre,
» L’un sur l’autre entassés, sans ordre ni sans nombre,
» Coupent des murs blanchis pareils à des tombeaux.
» — Je vois fumer, brûler, éclater des flambeaux,
» Brillants sur cet abime où l’air pénètre à peine

» Comme des diamants incrustés dans l’ébène.
» — Un fleuve y dort sans bruit, replié dans son cours,
» Comme dans un buisson la couleuvre aux cent tours.
» Des ombres de palais, de dômes et d’aiguilles,
» De tours et de donjons, de clochers, de bastilles,
» De châteaux forts, de kiosks et d’aigus minarets ;
» De formes de remparts, de jardins, de forêts,
» De spirales, d’arceaux, de parcs, de colonnades,
» D’obélisques, de ponts, de portes et d’arcades,
» Tout fourmille et grandit, se cramponne en montant,
» Se courbe, se replie, ou se creuse ou s’étend[988].
» — Dans un brouillard de feu je crois voir ce grand rêve.
» La tour où nous voilà dans le cercle s’élève.
» En le traçant jadis, c’est ici, n’est-ce pas,
» Que Dieu même a posé le centre du compas ?
» Le vertige m’enivre, et sur mes yeux il pèse.
» Vois-je une Roue ardente, ou bien une Fournaise[989] ? »



— Oui, c’est bien une Roue ; et c’est la main de Dieu
Qui tient et fait mouvoir son invisible essieu.

Vers le but inconnu sans cesse elle s’avance.
On la nomme Paris, le pivot de la France.
Quand la vivante Roue hésite dans ses tours,
Tout hésite et s’étonne, et recule en son cours,
Les rayons effrayés disent au cercle : Arrête.
Il le dit à son tour aux cercles dont la crête
S’enchâsse dans la sienne et tourne sous sa loi.
L’un le redit à l’autre ; et l’impassible roi,
Paris, l’axe immortel, Paris, l’axe du monde,
Puise ses mouvements dans sa vigueur profonde,
Les communique à tous, les imprime à chacun,
Les impose de force, et n’en reçoit aucun[990].
Il se meut : tout s’ébranle, et tournoie et circule ;
Le cœur du ressort bat, et pousse la bascule ;
L’aiguille tremble et court à grand pas ; le levier
Monte et baisse en sa ligne, et n’ose dévier.
Tous marchent leur chemin, et chacun d’eux écoute
Le pas régulateur qui leur creuse la route.
Il leur faut écouter et suivre ; il le faut bien :
Car lorsqu’il arriva, dans un temps plus ancien,
Qu’un rouage isola son mouvement diurne,
Dans le bruit du travail demeura taciturne,
Et brisa, par orgueil, sa chaîne et son ressort,

Comme un bras que l’on coupe, il fut frappé de mort[991].
Car Paris l’éternel de leurs efforts se joue,
Et le moyeu divin tournerait sans la Roue ;
Quand même tout voudrait revenir sur ses pas,
Seul il irait : lui seul ne s’arrêterait pas,
Et tu verrais la force et l’union ravie
Aux rayons qui partaient de son centre de vie[992].
— C’est donc bien, Voyageur, une Roue en effet.
Le vertige parfois est prophétique. — Il fait
Qu’une Fournaise ardente éblouit ta paupière ?
C’est la Fournaise aussi que tu vois. — Sa lumière
Teint de rouge les bords du ciel noir et profond ;
C’est un feu sous un dôme obscur, large et sans fond ;
Là, dans les nuits d’hiver et d’été, quand les heures
Font du bruit en sonnant sur le toit des demeures,
Parce que l’homme y dort, là veillent des Esprits[993],
Grands ouvriers d’une œuvre et sans nom et sans prix.
La nuit, leur lampe brûle, et, le jour, elle fume ;
Le jour, elle a fumé, le soir, elle s’allume,
Et toujours et sans cesse alimente les feux
De la Fournaise d’or que nous voyons tous deux,
Et qui, se reflétant sur la sainte coupole,
Est du globe endormi la céleste auréole.
Chacun d’eux courbe un front pâle, il prie, il écrit,
Il désespère, il pleure ; il espère, il sourit ;

Il arrache son sein et ses cheveux, s’enfonce
Dans l’énigme sans fin dont Dieu sait la réponse,
Et dont l’humanité, demandant son décret,
Tous les mille ans rejette et cherche le secret.
Chacun d’eux pousse un cri d’amour vers une idée.
L’un[994] soutient en pleurant la croix dépossédée[995],
S’assied près du sépulcre et seul, comme un banni[996],
Il se frappe en disant : Lamma Sabacthani ;
Dans son sang, dans ses pleurs, il baigne, il noie, il plonge
La couronne d’épine et la lance et l’éponge,
Baise le corps du Christ, le soulève, et lui dit :
« Reparais, Roi des Juifs, ainsi qu’il est prédit ;
Viens, ressuscite encore aux yeux du seul apôtre.
L’Église meurt : renais dans sa cendre et la nôtre,
Règne, et sur les débris des schismes expiés,
Renverse tes gardiens des lueurs de tes pieds. »
— Rien. Le corps du Dieu ploie aux mains du dernier homme,
Prêtre pauvre et puissant pour Rome et malgré Rome.
Le cadavre adoré de ses clous immortels
Ne laisse plus tomber de sang pour ses autels ;
— Rien. Il n’ouvrira pas son oreille endormie
Aux lamentations du nouveau Jérémie[997],
Et le laissera seul, mais d’une habile main,
Retremper la tiare en l’alliage humain.
— Liberté ! crie un autre[998], et soudain la tristesse
Comme un taureau le tue aux pieds de sa déesse[999].

Parce qu’ayant en vain quarante ans combattu,
Il ne peut rien construire où tout est abattu.
N’importe ! Autour de lui des travailleurs sans nombre,
Aveugles inquiets, cherchent à travers l’ombre
Je ne sais quels chemins qu’ils ne connaissent pas[1000],
Réglant et mesurant, sans règle et sans compas,
L’un sur l’autre semant des arbres sans racines,
Et mettant au hasard l’ordre dans les ruines.
Et, comme il est écrit que chacun porte en soi
Le mal qui le tuera, regarde en bas, et voi.
Derrière eux s’est groupée une famille forte[1001][1002]
Qui les ronge et du pied pile leur œuvre morte,
Écrase les débris qu’a faits la Liberté,
Y roule le niveau qu’on nomme Égalité,
Et veut les mettre en cendre, afin que pour sa tête
L’homme n’ait d’autre abri que celui qu’elle apprête :
Et c’est un Temple. Un Temple immense, universel[1003],
Où l’homme n’offrira ni l’encens, ni le sel,
Ni le sang, ni le pain, ni le vin, ni l’hostie,
Mais son temps et sa vie en œuvre convertie,
Mais son amour de tous, son abnégation
De lui, de l’héritage et de la nation ;
Seul, sans père et sans fils, soumis à la parole,
L’union est son but et le travail son rôle,
Et selon celui-là qui parle après Jésus,
Tous seront appelés et tous seront élus.
— Ainsi tout est osé ! Tu vois, pas de statue[1004]

D’homme, de roi, de Dieu, qui ne soit abattue[1005],
Mutilée à la pierre et rayée au couteau,
Démembrée à la hache et broyée au marteau !
Or ou plomb, tout métal est plongé dans la braise,
Et jeté pour refondre en l’ardente fournaise.
Tout brûle, craque, fume et coule ; tout cela
Se tord, s’unit, se fend, tombe là, sort de là ;
Cela siffle et murmure ou gémit ; cela crie,
Cela chante, cela sonne, se parle et prie ;
Cela reluit, cela flambe et glisse dans l’air,
Éclate en pluie ardente ou serpente en éclair.
Œuvre, ouvriers, tout brûle ; au feu tout se féconde :
Salamandres partout[1006] ! — Enfer ! Éden du monde !
Paris ! principe et fin ! Paris ! ombre et flambeau[1007] !
— Je ne sais si c’est mal, tout cela ; mais c’est beau[1008] !
Mais c’est grand ! mais on sent jusqu’au fond de son âme

Qu’un monde tout nouveau se forge à cette flamme,
Ou soleil, ou comète, on sent bien qu’il sera ;
Qu’il brûle ou qu’il éclaire, on sent qu’il tournera,
Qu’il surgira brillant à travers la fumée,
Qu’il vêtira pour tous quelque forme animée,
Symbolique, imprévue et pure, on ne sait quoi,
Qui sera pour chacun le signe d’une foi,
Couvrira, devant Dieu, la terre comme un voile,
Ou de son avenir sera comme l’étoile,
Et, dans des flots d’amour et d’union, enfin
Guidera la famille humaine vers sa fin ;
Mais que peut-être aussi, brûlant, pareil au glaive
Dont le feu dessécha les pleurs dans les yeux d’Eve[1009],
Il ira labourant le globe comme un champ,
Et semant la douleur du levant au couchant ;
Rasant l’œuvre de l’homme et des temps comme l’herbe
Dont un vaste incendie emporte chaque gerbe,
En laissant le désert, qui suit son large cours[1010]
Comme un géant vainqueur, s’étendre pour toujours.
Peut-être que, partout où se verra sa flamme,
Dans tout corps s’éteindra le cœur, dans tout cœur l’âme,
Que rois et nations, se jetant à genoux,

Aux rochers ébranlés crîront : « Écrasez-nous !
» Car voilà que Paris encore nous envoie
» Une perdition qui brise notre voie ! »
— Que fais-tu donc, Paris, dans ton ardent foyer ?
Que jetteras-tu donc dans ton moule d’acier ?
Ton ouvrage est sans forme, et se pétrit encore
Sous la main ouvrière et le marteau sonore ;
Il s’étend, se resserre, et s’engloutit souvent
Dans le jeu des ressorts et du travail savant,
Et voilà que déjà l’impatient esclave
Se meut dans la Fournaise, et, sous les flots de lave,
Il nous montre une tête énorme, et des regards
Portant l’ombre et le jour dans leurs rayons hagards.



Je cessai de parler, car, dans le grand silence,
Le sourd mugissement du centre de la France
Monta jusqu’à la tour où nous étions placés,
Apporté par le vent des nuages glacés.
— Comme l’illusion de la raison se joue !
Je crus sentir mes pieds tourner avec la roue,
Et le feu du brasier qui montait vers les cieux
M’éblouit tellement que je fermai les yeux.



— « Ah ! dit le Voyageur, la hauteur où nous sommes[1011]
» De corps et d’âme est trop pour la force des hommes.
» La tête a ses faux pas comme le pied les siens ;
» Vous m’avez soutenu, c’est moi qui vous soutiens,
» Et je chancelle encor, n’osant plus sur la terre

» Contempler votre ville et son double mystère.
» Mais je crains bien pour elle et pour vous, car voilà
» Quelque chose de noir, de lourd, de vaste, là,
» Au plus haut point du ciel, où ne sauraient atteindre
» Les feux dont l’horizon ne cesse de se teindre ;
» Et je crois entrevoir ce rocher ténébreux
» Qu’annoncèrent jadis les prophètes hébreux.
» Lorsqu’une meule énorme, ont-ils dit… — Il me semble
» La voir. — … apparaîtra sur la cité…[1012] — Je tremble
» Que ce ne soit Paris. — … dont les enfants auront
» Effacé Jésus-Christ du cœur comme du front…
» Vous l’avez fait. — … alors que la ville, enivrée[1013]
» D’elle-même, aux plaisirs du sang sera livrée…[1014]
» Qu’en pensez-vous ? — … alors l’Ange la rayera
» Du monde, et le rocher du ciel l’écrasera[1015]. »


Je souris tristement : — « Il se peut bien, lui dis-je,
Que cela nous arrive avec ou sans prodige ;
Le ciel est noir sur nous ; mais il faudrait alors
Qu’ailleurs, pour l’avenir, il fût d’autres trésors,
Et je n’en connais pas. Si la force divine
Est en ceux dont l’esprit sent, prévoit et devine,
Elle est ici. — Le Ciel la révère. — Et sur nous[1016]
L’ange exterminateur frapperait à genoux[1017],
Et sa main, à la fois flamboyante et timide,
Tremblerait de commettre un second déicide.
Mais abaissons nos yeux, et n’allons pas chercher
Si ce que nous voyons est nuage ou rocher.
Descendons et quittons cette imposante cime
D’où l’esprit voit un rêve et le corps un abîme.
— Je ne sais d’assurés, dans le chaos du sort.
Que deux points seulement, la Souffrance et la Mort[1018].
Tous les hommes y vont avec toutes les villes.
Mais les cendres, je crois, ne sont jamais stériles.
Si celles de Paris un jour sur ton chemin
Se trouvent, pèse-les, et prends-nous dans ta main,
Et, voyant à la place une rase campagne,
Dis : Le volcan a fait éclater sa montagne !
Pense au triple labeur que je t’ai révélé,
Et songe qu’au-dessus de ceux dont j’ai parlé
Il en fut de meilleurs et de plus purs encore,
Rares parmi tous ceux dont leur temps se décore,

{{#tag :poem|

Que la foule admirait et blâmait à moitié, Des hommes pleins d’amour, de doute et de pitié, Qui disaient : Je ne sais, des choses de la vie, Dont le pouvoir ou l’or ne fut jamais l’envie, Et qui, par dévoûment, sans détourner les yeux, Burent jusqu’à la lie un calice odieux. — Ensuite, Voyageur, tu quitteras l’enceinte, Tu jetteras auvent cette poussière éteinte, Puis, levant seul ta voix dans le désert sans bruit, Tu crîras : « Pour longtemps le monde est dans la nuit ! » }}


Écrit le 16 janvier 1831, à Paris.

APPENDICE

    sommet que Sémin, jeune homme généreux, avait sauvé Sémire sa bien-aimée : deux tendres amants qui venaient de se jurer un amour éternel.

    ne puis répondre à l’être immortel qui se tient devant moi ; je ne puis en avoir horreur ; je le contemple avec une crainte mêlée de plaisir, et je ne m’enfuis pas ; dans son regard il y a une attraction puissante qui fixe mes yeux vacillants sur les siens ; mon cœur bat vite ; il m’épouvante, et pourtant il m’attire, il m’attire de plus en plus. — La première rédaction de Vigny était une réminiscence de Chateaubriand, Martyrs, l. XIII : Ainsi lorsqu’un serpent d’or et d’azur roule au sein d’un pré ses écailles changeantes, il lève une crête de pourpre au milieu des fleurs, darde une triple langue de feu, et lance des regards étincelants ; la colombe qui l’aperçoit du haut des airs, fascinée par le brillant reptile, abaisse peu à peu son vol, s’abat sur un arbre voisin, et descendant de branche en branche, se livre au pouvoir magique qui la fait tomber des voûtes du ciel.

  1. M. Henri de Régnier avait signalé l’existence de ce manuscrit et son importance pour l’étude du poème d’A. de Vigny dans un pénétrant article, intitulé Variantes, publié dans le Journal des Débats du 12 septembre 1911.
  2. L’exemplaire que j’aurais pu consulter à la Bibliothèque Nationale est égaré.
  3. J. Marsan, A. de Vigny et G.-H. Charpentier (Revue d’Histoire littéraire de la France, janvier-mars 1913).
  4. Voir J. Marsan, article cité.
  5. Je me permets de renvoyer, pour toutes les questions relatives à ce poème, à l’édition que j’en ai donnée il y a quelques années (Paris, Hachette, 1907), en la faisant précéder d’une introduction à laquelle je ne vois rien d’essentiel à changer.
  6. Ernest Dupuy, La Jeunesse des Romantiques, Paris, 1905, p. 361.
  7. Cette « Introduction » (ainsi l’intitule la table des matières de l’édition de 1822), bien qu’elle soit placée en tête du recueil, est spécialement destinée à présenter Héléna au lecteur. — La dernière phrase fait allusion aux polémiques soulevées dans la presse de 1821 par l’insurrection hellénique. Certains journalistes européens avaient qualifié les Grecs de rebelles et d’ennemis de leur souverain légitime. Dans son numéro du 1er juillet, le Journal des Débats inséra une longue lettre à lui adressée « par un savant distingué originaire de la Grèce ». L’auteur, qui signe N. P., protestait énergiquement contre cette « absurdité ». La question fut discutée et résolue contre la domination turque par de Bonald dans un article des Débats (Sur la Turquie, 20 septembre 1821), qui semble avoir trouvé un écho dans quelques vers d’Héléna (chant 1er, v. 178-180).
  8. Cette « Note » (le titre est fourni par la table des matières) est insérée dans le volume après le poème d’Héléna, et sert de préface aux autres Poèmes, répartis en trois groupes : Poèmes Antiques — Poèmes Judaïques — Poèmes Modernes.
  9. En tête de cette troisième édition, immédiatement avant le morceau ci-dessous, se trouve reproduite, sans aucun changement, la préface de la deuxième édition, sous ce titre : Préface de la deuxième édition. Mai 1829.
  10. Inadvertance d’Alfred de Vigny. En 1829, il y avait non pas neuf ans, mais seulement sept qu’avaient paru les premiers Poèmes (1822).
  11. Cette préface est reproduite, seule et sans aucun changement, sauf la variante ci-dessus, dans toutes les éditions ultérieures.
  12. Var : D, qu’on peut le faire.
  13. Pour le choix du sujet, le cadre et le pittoresque, comparer Chateaubriand (Génie du Christianisme, 1er partie, livre II, chapitre 4, Des lois morales ou du Décalogue) : Nous les avons, ces préceptes divins : et quels préceptes pour le sage ! et quel tableau pour le poète ! Voyez cet homme qui descend de ces hauteurs brûlantes. Ses mains soutiennent une table de pierre sur sa poitrine, son front est orné de deux rayons de feu, son visage resplendit des gloires du Seigneur, la terreur de Jéhovah le précède : à l’horizon se déploie la chaîne du Liban avec ses éternelles neiges et ses cèdres fuyant dans le ciel. Prosternée au pied de la montagne, la postérité de Jacob se voile la tête dans la crainte de voir Dieu et de mourir. — Pour l’idée maîtresse et l’attitude morale, voir Byron, Childe Harold, III, st. 45 : Celui qui surpasse ou subjugue l’humanité doit voir d’en haut la haine de ceux qui sont au-dessous ; — Manfred, acte II, se. 2, passim ; — et Schiller, Cassandre, d’après l’analyse de Madame de Staël, De l’Allemagne, IIe partie, ch. 13, De la Poésie Allemande : Cassandre, au moment où la fête des noces de Polyxène avec Achille va commencer, est saisie par le pressentiment des malheurs qui résulteront de cette fête : elle se promène triste et sombre dans les bois d’Apollon, et se plaint de connaître l’avenir qui trouble toutes les jouissances. On voit dans cette ode le mal que fait éprouver à un être mortel la prescience d’un dieu. La douleur de la prophétesse n’est-elle pas ressentie par tous ceux dont l’esprit est supérieur et le caractère passionné ? Schiller a su montrer, sous une forme toute poétique, une grande idée morale : c’est que le véritable génie, celui du sentiment, est victime de lui-même, quand il ne le serait pas des autres. Il n’y a point d’hymen pour Cassandre, non qu’elle soit insensible, non qu’elle soit dédaignée : mais son âme pénétrante dépasse en peu d’instants et la vie et la mort, et ne se reposera que dans le ciel.
  14. Prov., XX, 27 : Le souffle de Dieu dans l’homme est une lampe divine, qui découvre tout ce qu’il y a de secret dans ses entrailles.
  15. Deutéronome, XXXIV, 1-3 : Moïse monta donc de la plaine de Moab sur la montagne de Nebo au haut de Phasga vis-à-vis de Jéricho ; et le Seigneur lui fit voir de là tout le pays de Galaad jusqu’à Dan, tout Nephtali, toute la terre d’Ephraïm et de Manassé, et tout le pays de Juda jusqu’à la mer occidentale, tout le côté du midi, toute l’étendue de Jéricho, qui est la ville des palmes, jusqu’à Segor. — Le terme de « lentisque » introduit dans cette description vient de l’histoire de Suzanne (Daniel, XIII, 54), qui est le seul passage de la Bible où il soit employé. — Deutér., XXXIV, 6 : [Le Seigneur] ensevelit [Moïse] dans la vallée du pays de Moab, vis-à-vis de Phogor.
  16. Deutér., XXXII, 48-49-52 : Le même jour le Seigneur parla à Moïse et lui dit : Montez sur cette montagne d’Abassim, c’est-à-dire des passages, sur la montagne de Nebo, qui est au pays de Moab vis-à-vis de Jéricho, et considérez la terre de Chanaan, que je donnerai en possession aux enfants d’Israël, et mourez sur la montagne… Vous verrez devant vous le pays que je donnerai aux enfants d’Israël, et vous n’y entrerez point. — Voir aussi XXXIV, 4-5, et Nombres XXVII, 12 et suiv.
  17. Deutér., XXXIV, 10-12 : Il ne s’éleva pas dans Israël de prophète semblable à Moïse… ni qui ait agi avec un bras si puissant (cunctam manum robustam).
  18. Nombres, XXII, 1 : Étant partis de ce lieu, ils campèrent dans les plaines de Moab, près du Jourdain… — Exode, XIX, 2 : Étant partis de Raphidim et arrivés en ce désert, ils campèrent au même lieu, et Israël y dressa ses tentes vis-à-vis de la montagne.
  19. Deutér., XXXIV, 7 : Moïse avait six-vingt ans lorsqu’il mourut.
  20. Exode, XXXIV, 29 : Après cela Moïse descendit de la montagne du Sinaï portant les deux tables du témoignage ; et il ne savait pas que de l’entretien qu’il avait eu avec le Seigneur, il était resté des rayons de lumière sur son visage (quod cornuta esset facies sua). — Dans les Bibles à images, le front de Moïse est surmonté de deux rayons (deux cornes dans la statue de Michel-Ange).
  21. Exode, XIX., 16 : Le troisième jour étant arrivé,… on commença à entendre des tonnerres et à voir briller des éclairs ; une nuée très épaisse couvrit la montagne…
  22. Deutèr., XXVII, 5-6 : Vous dresserez là aussi au Seigneur votre Dieu un autel de pierre où le fer n’aura point touché, de pierres brutes et non polies, et vous offrirez sur cet autel des holocaustes au Seigneur votre Dieu. — Voir encore Exode, XX, 25, XXIV, 4, et Josué, VIII, 50-31.
  23. Nombres, XI, 21 : Moïse lui dit : Ce peuple est de six cent mille hommes de pied.
  24. Nombres, XXX, 17 : Alors Israël chanta ce cantique : Que le puits monte. Et ils chantaient tous ensemble. — Voir encore Exode, XV, I et suiv., et Deutér., XXXI, 19.
  25. Millevoye, la Sulamite :

    Comme l’humble arbrisseau rentre dans la bruyère.
    Quand le pin jusqu’aux cieux lève sa tête altière.
    Les Enfants d’Israël s’abaissent devant toi.

  26. Exode, XXXIII, 11 : Tous les enfants d’Israël, voyant que la colonne de nuée se tenait à l’entrée du tabernacle, se tenaient ainsi eux-mêmes à l’entrée de leurs tentes, et y adoraient le Seigneur. Or le Seigneur parlait à Moïse face à face. — Voir encore Exode, XIX, 9, 19 ; XXIV, 15-16 : Moïse étant monté, la nuée couvrit la montagne. La gloire du Seigneur reposa sur Sinaï, l’enveloppant d’une nuée pendant six jours ; et, le septième jour, Dieu appela Moïse du milieu de cette obscurité.
  27. Nombres, XI, 11-12, 14-15 : [Moïse] dit au Seigneur : Pourquoi avez-vous affligé votre serviteur ? Pourquoi est-ce que je ne trouve point grâce devant vous ? Et pourquoi m’avez-vous chargé du poids de tout ce peuple ? Est-ce moi qui ai conçu toute cette grande multitude et qui l’ai engendrée, pour que vous me disiez : Portez-les dans votre sein, comme une nourrice a accoutumé de porter son petit enfant, et menez-les en la terre que j’ai promise à leurs pères avec serment ?… Je ne puis porter seul tout ce peuple, parce que c’est une charge trop pesante pour moi. Que si votre volonté s’oppose en cela à mon désir, je vous conjure de me faire plutôt mourir, et que je trouve grâce devant vos yeux, pour n’être point accablé de tant de maux. — Exode, V, 22 : Moïse, s’étant retourné vers le Seigneur, lui dit : Seigneur, pourquoi avez-vous affligé ce peuple ? Pourquoi m’avez-vous envoyé ?
  28. Exode, XVII, 14 : Alors le Seigneur dit à Moïse : Écrivez ceci dans un livre, afin que ce soit un monument pour l’avenir, et faites-le entendre à Josué… — et XXIV, 7 : Moïse prit ensuite le livre où l’alliance était écrite, et il le lut devant le peuple… — Exode, IV, 2-4 et 17 : Prenez aussi cette verge en votre main, car c’est avec quoi vous ferez des miracles.
  29. Exode, IX, 25 : Moïse ayant levé sa verge vers le ciel, le Seigneur fit fondre la grêle sur la terre au milieu des tonnerres et des feux…
  30. Ce vers résume tout le sens du chapitre Du Décalogue dans le Génie du ChrisHanisme, lequel élève au-dessus des lois de Minos et de Lycurgue, effort « de cette antique sagesse des temps, si fameuse », les lois de Moïse, « ces préceptes divins » : Lois de Dieu, conclut Chateaubriand, que vous ressemblez peu à celles des hommes ! Éternelles comme le principe dont vous êtes émanées, c’est en vain que les siècles s’écoulent ; vous résistez aux siècles, à la persécution et à la corruption même des peuples.
  31. M. E. Dupuy regarde ces deux vers comme une imitation de Byron, Manfred, II, 2 : Dans mes courses solitaires, je m’enfonçai jusque dans les cavernes de la mort… Je puis évoquer les morts, et leur demander en quoi consiste ce que nous avons horreur d’être. — J’ai proposé d’y voir une réminiscence de deux versets bibliques ; Exode, XIII, 19 et Ecclésiastique, XLIX, 18 : Et Moïse emporta aussi avec lui les os de Joseph, selon que Joseph l’avait fait promettre avec fermeté aux enfants d’Israël en leur disant : Dieu vous visitera, emportez d’ici mes os avec vous. | Nul n’est né sur la terre comme Enoch,… ni comme Joseph… Ses os ont été conservés avec soin, et ont prophétisé après sa mort. — M. Brandenburg et M. Riehm allèguent des textes, Ezéchiel, XXXVII, 12-13, — ou Saint Paul, Ép. aux Romains, V, 1214, et 1er Ép. aux Corinthiens, XV, 21-22, — ou Luc, XX, 37-38, qui ne peuvent être rapprochés du passage de Vigny que par le détour d’une interprétation compliquée et subtile. — Gaston Paris (Bulletin de la Société des Humanistes français, I 1897, p. 243) supposait que le poète avait voulu faire allusion « à quelque légende orientale d’après laquelle Moïse aurait évoqué Abel, ou peut-être Adam, et aurait obtenu de lui une réponse concernant l’avenir ». — Aucune de ces explications ne parait décisive.
  32. Byron, Manfred, II, 2 : Je rendis mes yeux familiers avec l’éternité.
  33. Psaumes, CXLVI, 4 : [Louez le Seigneur] qui sait le nombre prodigieux des étoiles, et qui les connaît toutes par leur nom.
  34. Exode, IX, 33 : Après que Moïse eut quitté Pharaon et fut sorti de la ville, il éleva les mains vers le Seigneur, et les tonnerres et la grêle cessèrent sans qu’il tombât plus une goutte d’eau sur la terre.
  35. Rois, III, 19, II : En même temps le Seigneur passa ; et on entendit devant le Seigneur un vent violent et impétueux, capable de renverser les montagnes et de briser les rochers.
  36. Exode, XIV, 21 : Moïse ayant étendu sa main sur la mer, le Seigneur l’entr’ouvrit, en faisant souffler un vent violent et brûlant pendant toute la nuit ; et il la sécha, et l’eau fut divisée en deux. Les enfants d’Israël marchèrent à pied sec au milieu de la mer. — Josué, III, 16 (passage du Jourdain) : Les eaux qui venaient d’en haut s’arrêtèrent en un même lieu, et, s’élevant comme une montagne, elles paraissaient de loin.
  37. Isaïe, XXIV, 20 : [La terre] sera agitée, et elle chancellera comme un homme ivre. — Josué, X, 12-13 : [Josué dit :] Soleil, arrête-toi sur Gabaon… Le soleil s’arrêta donc au milieu du ciel, et ne se hâta point de se coucher durant l’espace d’un jour.
  38. Byron, Manfred, II, 2 : Dès ma jeunesse, mon esprit ne frayait pas avec les âmes des hommes… Mes joies, mes chagrins, mes passions et mon génie avaient fait de moi un étranger.
  39. Exode, XXXIV, 50 : Aaron et les enfants d’Israël voyant que le visage de Moïse jetait des rayons, craignirent de s’en approcher.
  40. Chateaubriand, pass. cité : La postérité de Jacob se voile la tête dans la crainte de voir Dieu et de mourir. — Et Exode, XX, 19 : Mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que nous ne mourions.
  41. Exode, XIII, 21 : Et le Seigneur marchait devant eux pour leur montrer le chemin, paraissant durant le jour dans une colonne de nuée…
  42. Var : M, Ma main laisse une trace à (corr. : l’effroi sur) la main qu’elle touche ;
  43. Var : M, Comme la voix d’un fleuve est la voix de ma bouche ;
  44. Var : M, 1er main, Au lieu d’amour Moïse enfin (le vers est inachevé) ; — 2e main, texte actuel.
  45. Var : M, 1er main. Or le peuple attendait, les yeux sur le nuage, — 2e main. Or le peuple attendait, et levait eu tremblant, — 3e main. Or le peuple attendait, et toujours à genoux,
  46. Deutér., IV, 24 : Le Seigneur votre Dieu est un feu dévorant et un Dieu jaloux. — Voir encore Exode, XX, 5, et XXXIV, 14.
  47. Var : M, Regardait en tremblant le mont du Dieu jaloux ;
  48. Var : M, Roulaient plus fortement (corr. : et redoublaient) ;
  49. Exode, XIX, 16 : Le troisième jour étant arrivé,… on commença à entendre des tonnerres et à voir briller des éclairs ; une nuée très épaisse couvrit la montagne ; la trompette sonna avec grand bruit, et le peuple qui était dans le camp fut saisi de frayeur. — Voir encore XX, 18.
  50. Var : M, 1er main. Les rattachait au sol — 2e main. Prosternait les Hébreux
  51. Deutér., XXXIV, 8 : Les enfants d’Israël le pleurèrent dans la plaine de Moab pendant trente jours.
  52. Var : M, Josué s’avançait sous un front (corr. : pensif et) palissant, La date manque dans M, P2.
  53. Le sous-titre est emprunté à Byron, qui qualifie de « mystères » ses drames bibliques, Caïn et Ciel et Terre. « Les scènes qui suivent sont intitulées « mystère », conformément au titre que l’on donnait anciennement aux drames roulant sur de semblables sujets, que l’on appelait « mystères, ou moralités » (Préface de Caïn). — L’idée génératrice du poème se trouve peut-être dans ce passage du Génie du Christianisme, 1er partie, 1. III, ch. 3 : L’homme pouvait détruire l’harmonie de son être de deux manières, ou en voulant trop aimer, ou en voulant trop savoir. Il pécha surtout par la seconde : c’est qu’en effet nous avons beaucoup plus l’orgueil des sciences que l’orgueil de l’amour ; celui-ci aurait été plus digne de pitié que de châtiment.
  54. L’épigraphe choisie par Vigny dans la Genèse, à l’exemple de Byron pour son Caïn, ne reproduit pas littéralement un verset du mondes imparfaits qui naissent (1er corr : tous créés, 2e corr : inventés) pour mourir, | Et toutes ces beautés qui doivent se flétrir ? | Comment Dieu n’a-t-il pas des œuvres sans mélange ? | Une femme a paru sous les ailes d’un ange ? — Et plus bas : Sagesse du Très-haut, qui vous pénétrera ? | Une larme a causé la naissance d’un ange. | Toujours quelque douleur (future à son biffé) partout se montrera. | Sagesse du Très-haut, qui vous pénétrera ? | (Ce dernier vers est repris dans un des fragments que l’on trouvera à la suite de la note critique aux vers 73-74).
  55. Un feuillet non paginé donne, biffe, le couplet suivant, qui parait être une ébauche de début : Créateur, Créateur ! pourquoi tant de miracles ? | Ces nouveau-nés frappés par d’antiques oracles ? | Ces texte sacré. Elle en résume le chapitre iii, en s’inspirant plus particulièrement du verset 13 : Le Seigneur Dieu dit à la femme : Pourquoi avez-vous fait cela ? Elle répondit : Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé de ce fruit.
  56. Var : M, Un ange est né jadis sur notre terre au temps
  57. Allusion à la parabole de l’ivraie (Math., XIII, 38) : Le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les enfants de Dieu, et l’ivraie, ce sont les enfants du malin.
  58. Luc, X.
  59. Luc, XV, 1-10 ; Matth., XVIII, 12.
  60. Jean, X.
  61. Matth. XXIII, 27 : Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis…
  62. Matth. XV, 22 : Et en même temps une femme Chananéenne… s’écria en lui disant ; Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi : ma fille est misérablement tourmentée par le démon, etc…
  63. Allusion probable à l’épisode de la Samaritaine (Jean, IV).
  64. Var : M, il montrait (corr. : enseignait)
  65. Matth., XIX, 13 : On lui présenta ensuite de petits enfants, afin qu’il leur imposât les mains.
  66. Var : M, Sur les (corr. : Puis aux)
  67. L’aveugle : Jean, IX, 1-12, ou Marc, VIII, 22-26 ; le lépreux Matth., VIII 2-4 ; le sourd : Marc, VII, 31.
  68. Var v. 15-16 : M, 1er main, L’aveugle-né voyait sur la route isolée | Le lépreux embrasser sa femme consolée, 2e main, L’aveugle-né voyait s’embrassant sur sa route | Le lépreux et le sourd qui le touche et l’écoute,
  69. Var : M, 1er main, Et tous pour la cité qui reçut leur adieu, 2e main, texte actuel.
  70. Luc, V, 15-16 : Cependant comme sa réputation se répandait de plus en plus, les peuples venaient en foule pour l’entendre, et pour être guéris de leurs maladies ; mais il se retirait dans le désert et il priait.
  71. Var : M, Au début du vers, Sa, biffé.
  72. La Fontaine, Les Deux Pigeons :
    L’absence est le plus grand des maux.
  73. Var v. 21-24 : ces vers sont rajoutés sur le manuscrit.
  74. Jean, XI, 5 : Jésus aimait Marthe, Marie sa sœur, et Lazare.
  75. Jean, XI, 25 : Jésus lui repartit : Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra.
  76. Luc, X, 58-39 : Jésus, étant en chemin avec ses disciples, entra dans un bourg, et une femme nommée Marthe le reçut en sa maison. Elle avait une sœur nommée Marie…
  77. Var : M, et (corr. : or) Marie D, C’étaient Marthe et Marie ;
  78. Jean, XI, 2 : Cette Marie était celle qui répandit sur le Seigneur une huile de parfum ; et XII, 4-5 : Alors un de ses disciples, nommé Judas Iscariote, celui qui devait le trahir, commença de dire : Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, qu’on aurait donnés aux pauvres ? — Voir aussi Matth. XXVI, 6-9.
  79. Var : M, 1er main, Elles pleuraient : en vain Jésus disait : il dort. 2e main, texte actuel.
  80. Var : M, 1er main, Mais lui, quand le sépulcre ouvert montra le mort, 2e main, Et lui-même ayant vu la dépouille du mort, 3e main, texte actuel.
  81. Jean, XI, 11 : Après leur avoir dit ces paroles, il ajouta : Notre ami Lazare dort… — XI, 33-35 : Jésus, voyant qu’elle (Marie) pleurait, et que les Juifs qui étaient venus avec elle pleuraient aussi, frémit en esprit et se troubla lui-même. Puis il leur dit : Où l’avez-vous mis ? Ils lui répondirent : Seigneur, venez et voyez. Alors Jésus pleura.
  82. Vigny parait s’inspirer ici de la légende de la Sainte Larme de Vendôme. On la trouvera tout au long dans la Cosmographie Universelle de Fr. de Belle-Forest, Paris, 1575 ; t. I, p. 322. « Lorsque nostre Seigneur resuscita le Lazare, et qu’il ploura, un Ange recueillit cette larme d’un grand nombre qui ruisseloyent des yeux du Sauveur, formant soudain un vase qui à dire vray est de merveilleux artifice, et le dehors duquel est blanc et aussi transparent que chrystal ; et la sainte Larme (qui tousjours tremblote dans ce petit vaisseau) est de couleur d’eau et azurée : je vous en parle comme sçavant, qui ay pris soigneuse garde à la contempler à mon aise. » Toujours d’après Belle-Forest, qui tient ses renseignements des religieux de Vendôme, l’Ange donna la sainte Larme à la Madeleine, qui la légua à saint Masimin, évêque de Marseille. Elle fut emportée par l’empereur Constantin à Constantinople ; elle en revint avec le comte d’Anjou Geoffroy Martel, qui la déposa en l’abbaye de la Trinité de Vendôme. Je ne sais par quelle voie cette légende était parvenue à Alfred de Vigny. Elle était également connue d’Henri de Latouche, qui y fait allusion dans son compte-rendu d’Éloa (Mercure du XIXe siècle, 1825, t. IX, p. 347 et suiv.).
  83. Var : M, Ainsi que le salpêtre (corr. : texte actuel).
  84. Var : M, Une voix inconnue au ciel dit : Éloa !
  85. Klopstock, chant I, v. 289-291, 299-502, trad. d’Antelmy, 1769, t. I, p. 21 : Le premier-né des Trônes, celui que Dieu honore du nom de son élu et que les cieux appellent Éloa… Dieu le créa le premier : il le revêtit d’un corps éthéré, formé des rayons les plus purs de l’aurore. Un ciel de nuées l’enveloppait au moment qu’il parvint à l’existence. Dieu, en le tirant du sein des nuées, le bénit et lui dit : « Créature, me voici. » — Ce passage de Klopstock est cité par Chateaubriand, Génie, 2e partie, l. IV, ch. 10.
  86. Moore, Les Amours des Anges, trad. Belloc, 1823, p. 19 : Comme la jeune épouse qui se penche au bord du lit nuptial…
  87. Var : M, Telle on voit
  88. Moore, A. d. A., p. 72 : Elle s’était évanouie comme un météore qui luit tout à coup sur nos têtes, et qui s’enfuit au moment où l’on crie : « Voyez, voyez !… »
  89. Var : M, La rose à la lueur (corr. : texte actuel).
  90. Var : M, Et des forêts la lune
  91. Var : M, sont d’argent est rajouté d’une autre encre.
  92. Var v. 65-66 : M, Et prodige enchanteur, dans son double dessin, | Le céleste tissu couvre à peine un beau sein.
  93. Var : C1, C2, ange
  94. Milton, P. P., V, 375 (l’archange Raphaël vient visiter Adam et Eve dans le Paradis terrestre) : Conduis-moi donc [dit-il à Adam] là où ton berceau répand son ombre. — VIII, 615 : À la question qui lui est posée par Adam : « N’aiment-ils point, les esprits célestes ? et leur amour, comment l’expriment-ils ? » l’archange répond : « Qu’il te suffise de savoir que nous sommes heureux ; et sans l’amour il n’est pas de bonheur… Plus aisément que l’air avec l’air, si les esprits s’embrassent, ils se mêlent tout entiers, désirant l’union du pur avec le pur. »
  95. Var v. 73-74 : M, Mais jamais les sœurs qui naquirent (corr. : Mais nulle de ces sœurs que Dieu créa) pour eux 1er main, n’arriva plus brillante au ciel des bienheureux 2e main, texte actuel.

    Plusieurs fragments inutilisés, écrits sur des feuillets non paginés du manuscrit, semblent se relier les uns aux autres, et former comme une première ébauche du développement qui va du vers 75 au vers 106 :

    1. — Sitôt que l’urne sainte eut fait naître Éloa, | Pour le triste univers l’heureux ciel espéra.

    2. — À leurs transports d’amour les Séraphins fidèles | L’accueillirent longtemps par le bruit de leurs ailes ; | mais troublant de leurs voix (corr. : à l’écart) les sons harmonieux | De l’hymne créateur que chantèrent les cieux, | Des Chérubins savans le chœur toujours austère | Répéta gravement, l’œil baissé vers la terre : | Prends garde, ô Vierge ailée (corr. : ô notre sœur) à la douce pitié, | Car des vertus du ciel tu n’as que la moitié. | À la pitié tu mo (inachevé ; ces deux vers et demi sont biffés). | Sagesse du très haut, qui vous pénétrera ? | 1er main, Pourquoi l’élevez-vous, celle qui tombera ? | 2e main, Sans la main du Seigneur l’étoile tombera.

    3. — Et sa couronne d’or aux magiques merveilles | n’ornera plus son front las de ses saintes (corr. : la nuit pendant ses) veilles. | Sous la main du Seigneur à peine épanoui | L’arc en ciel pâlira dans l’air évanoui. | Fuyez l’antique orgueil, créature nouvelle : | 1er main. C’est au fond de parfums (corr. : de l’encens) que le feu se révèle. | 2e main, Sous la myrrhe et l’encens la flamme se révèle. | Qui, naît parmi les pleurs peut être infortuné, | Ainsi que sur la terre est l’homme nouveau-né.

    4. — Elle enchante la femme et peut égarer l’ange. (Elle, dans ce vers, représente évidemment la pitié. Voir ci-dessus, fragment 2.)

  96. Milton, P. P., V, 276 : Raphaël reprend sa propre forme, celle d’un Séraphin ailé. Il portait six ailes, pour ombrager ses membres divins… — Ce passage est cité par Chateaubriand, Génie, 2e partie, l. IV, ch. 10.
  97. Var : M, 1er main, Les tendres Séraphins aux bleuâtres prunelles, 2e main, texte actuel.
  98. Var : M, Les trônes, les vertus, les princes.
  99. Var : M, Et les rêves légers et les saintes louanges,
  100. Milton, P. P., V, 600 : Écoutez, vous tous, Anges, race de lumière, Trônes, Dominations, Principautés, Vertus, Puissances… — et passim. — Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. I, ch. 4, Des Anges : Ils sont les invisibles gardiens des hommes,… La religion nous permet d’attacher des anges protecteurs à la belle nature ainsi qu’aux sentiments vertueux… De globe en globe, avec les Séraphins, les Trônes, les Ardeurs, qui gouvernent les mondes, l’imagination fatiguée redescend enfin sur la terre… — Et Chateaubriand énumère, entre autres, le Génie des rêveries du cœur et l’Ange des saintes amours.
  101. Var : M, les vers 82-90 sont d’une écriture un peu postérieure.
  102. Moore, A. d. A., p. 32-33 : Vous vous rappelez tous deux le jour où celui à qui tout obéit assembla dans les bosquets nouvellement créés d’Éden les puissances angéliques pour contempler la merveille qu’il voulait accomplir avant d’apposer sur le monde le sceau de sa divinité… Au milieu du cercle des anges ravis d’admiration et de surprise, la Femme ouvrit les yeux pour la première fois… Avez-vous oublié sa rougeur, lorsque promenant ses regards étonnés sur le jardin solitaire et enchanté d’Éden, sur la mer, sur les cieux, elle entendit le frémissement des ailes de la multitude céleste ?
  103. Moore, A. d. A., p. 34 : … Ces fleurs lumineuses qui jaillirent au premier souffle de l’éternel.
  104. Var : M, 1er main, Abondante rosée échap (inachevé) 2e main, texte actuel.
  105. Moore, A. d. A., p. 19 : Pourquoi mon destin ne m’a-t-il pas fait naître esprit de cette belle étoile, habitant sa brillante sphère… ?
  106. Var : O, A, Cieux
  107. Var : D, un de ces courts instants,
  108. Milton, P. P., V, 579 : Quand un jour (car, même dans l’éternité, le temps, appliqué au mouvement, mesure toutes les choses durables par le présent, le passé et l’avenir), un de ces jours comme en produit la grande année céleste…
  109. Var : C3, parmi le temps.
  110. Var v. 97-102 : O, pas de parenthèse.
  111. Var v. 97-104 : M, 1er main, La terre aura peut-être un bienfait de ses mains ; | Quand on naît dans les pleurs on ressemble aux humains 2e main, La terre est son berceau, qu’elle soit dans ses mains, | Puisque les pleurs de Dieu coulaient pour les humains. » | Ainsi le ciel chantait et priant pour la terre. | Voulait qu’en sa faveur s’accomplit le mystère, | Mais Dieu souvent nous trompe, et ses profonds desseins | Ne sont pas mieux connus des anges ni des saints. | Ces chastes habitants de l’immortel empire, | Imprudents une fois, s’unissaient pour l’instruire.
  112. Var : M, Ils lui disaient un jour : (corr. : Éloa, disaient-ils,) Veillez toujours (corr. : bien) sur vous :
  113. Milton, P. P., VII, 131 : Sache donc qu’après que Lucifer (appelle-le ainsi, lui plus brillant jadis parmi l’année des anges que cette étoile parmi les étoiles) fut tombé du ciel avec ses légions flamboyantes à travers l’abime…
  114. Moore, A. d. A., p. 14 : Créatures de lumière… qui, à chaque instant de la nuit et du jour, transmettent, à travers leurs innombrables légions, l’écho de sa parole lumineuse. — Milton, P. P., X, 649 : Le Créateur, appelant par leur nom ses anges puissants, leur donna diverses missions, les mieux appropriées à la situation présente. Le soleil, le premier, reçut l’ordre de régler sa marche et son éclat… À la pale lune ils prescrivirent son devoir, et aux cinq autres planètes leurs mouvements et leurs positions… — Chateaubriand, Génie, 2e partie, l. IV, ch. 8 : Les messagers du Très-Haut portent ses décrets d’un bout de l’univers à l’autre.
  115. Var : M, Il portait au soleil (corr. : texte actuel).
  116. Var : M, La terre bénissait sa beauté virginale,
  117. Chateaubriand, Martyrs, l. III : L’astre humide et tremblant qui précède les pas du matin, cette autre planète qui parait comme un diamant dans la chevelure d’or du soleil.
  118. Var : M, 1er main, Et voilà qu’à présent vous ignorez sa gloire, 2e main, texte actuel.
  119. Var : M, habite dans ses yeux,
  120. Moore, A. d. A., p. 65 : À peine avais-je touché son corps frémissant, que je sentis… — ô affreux souvenir ! — oui, je sentis chaque étincelle de ce feu, si pur quand j’habitais parmi les astres, se changer, dénaturé par mon crime, en un feu terrestre et grossier qui brûlait et consumait tout ce qu’il touchait…
  121. Var : M, Il brûle ce qu’il voit et flétrit
  122. Var : M, vous dire son histoire,
  123. Milton, P.P., V, 657 : Mais ce n’est pas ainsi que veillait Satan (appelez-le ainsi, son autre nom ne se fait plus entendre au ciel)…
  124. Var : M, vous prononcer son nom. »
  125. Byron, Ciel et Terre, sc. I (Aholibamah, une fille des hommes, s’adresse à l’archange Samiasa) : Avec toi je puis tout partager, même une immortelle douleur… Non, quand le dard du serpent devrait me transpercer, et quand tu serais toi-même pareil au serpent, alors encore enroule-toi autour de moi ! et je sourirai, et je ne te maudirai pas…
  126. Var v. 127-129 : M, 1er main, L’effroi n’altéra point son paisible visage, | Nul mépris n’y jeta son flétrissant nuage, | Elle ne sentit pas la volonté de fuir, 2e main, L’effroi n’altéra point son visage paisible, | Et le premier désir qui s’y montra visible, | Ce ne fut pas celui qui conseille de fuir, 3e main, Son premier mouvement ce ne fut pas de fuir (corr. : texte actuel).
  127. Moore, A. d. A., p. 20 : Ce n’était point l’expression de la colère. Non… elle n’était pas irritée, mais triste. C’était une douleur aussi calme que profonde, un deuil qui ne permet point de larmes, tant l’amertume qui remplit le cœur s’y fixe et s’y glace.
  128. Var : M, 1er main, Il fut pour les esprits (corr. : un esprit) comme pour les humains | Une mélancolie et (corr. : sur) de secrets chemins. 2e main, Un ange eut ces ennuis qui troublent les mortels | Et poursuivent nos cœurs jusqu’au pied des autels.
  129. Vigny était encouragé par Chateaubriand à prêter aux anges les sentiments des hommes ; voir Génie, 2e partie, l. IV, ch. 16 : Pour éviter la froideur qui résulte de l’éternelle et toujours semblable félicité des justes, on pourrait essayer d’établir dans le ciel une espérance, une attente quelconque de plus de bonheur, ou d’une époque inconnue dans la révolution des êtres ; on pourrait rappeler davantage les choses humaines, soit en tirant des comparaisons, soit en donnant des affections et même des passions aux élus : l’Écriture nous parle des espérances et des tristesses du ciel. Pourquoi donc n’y aurait-il pas dans le Paradis des pleurs tels que les saints peuvent en répandre ?
  130. Var : M, À travers les banquets, parmi la multitude.
  131. Milton, P. P., VI, 846 : Les roues vivantes, semblablement parsemées d’une multitude d’yeux. — Chateaubriand, Martyrs, l. III : Près de lui (du Fils) est son char vivant dont les roues lancent des foudres et des éclairs. (Une note renvoie à Ezéchiel, I, 18-20, et à Milton.) — Moore, A. d. A., p. 35 : Les astres… roulant au milieu de l’espace comme des chars vivants de lumière.
  132. Milton, P. P., VII, 197 : Autour de son char étaient répandus sans nombre Chérubins et Séraphins, Potentats, Trônes et Vertus, esprits ailés et chars ailés, tirés de l’arsenal de Dieu (from fhe armoury of God). — VI, 713 (le Père s’adresse au Fils) : Ceins mes armes invincibles, et suspends mon épée sur ta forte cuisse.
  133. Milton, P. P., V, 646 : L’armée angélique répartie en bandes et en files, étend son camp le long des vivants ruisseaux, parmi les arbres de vie, pavillons innombrables et soudainement dressés…
  134. Voir La Fille de Jephté, v. 26.
  135. Prov., VII, 16-17 : J’ai suspendu mon lit… Je l’ai parfumé d’aloès, de myrrhe et de cinnamome.
  136. Var : B-C3, cinnamome,
  137. Var : O, A-C3, esprits,
  138. Var : O, A, B, Cieux,
  139. Var : O, A-C2, mystère
  140. Var : M, 1er main, La crèche de l’enfant, le salut des bergers, | La famille au désert, ses peines, (corr. : Dieu pleurant) ses dangers : 2e main, texte actuel.
  141. Var : M, O, A-C3, bergers :
  142. Var : O, ciel
  143. Milton, P. P., III, 356 (il s’agit de l’amarante, fleur du Ciel) : C’est là qu’elle pousse et dresse ses fleurs, ombrageant la Fontaine de Vie, et là où le Fleuve de Félicité roule sur les fleurs élyséennes son flot ambré.
  144. Var : M, 1er main, La rose a sa couleur, son rivage est vermeil 2e main, texte actuel.Un vers inemployé : Roule comme un beau sable avec des bruits charmants.
  145. Chateaubriand, Martyrs, l. XXIII : [Démodocus] ignorait ce sommeil de vie qui vient du ciel ; charme puissant composé de paix et d’innocence, qui n’amène point de songes, qui n’appesantit point l’âme, et qui semble être une douce vapeur de la vertu.
  146. Var- : M, Ne voudrait pas finir d’en rêver le mystère,
  147. Var : M, Et toujours dans la nuit un rêve (corr. : un songe)
  148. Moore, A. d. A., p. 44 (récit du second ange) : Ce fut pendant ses rêves que je m’emparai de son âme avec une douce puissance…
  149. Var : M, qui toujours (biffé, corrigé par : de loin également biffé) l’implorait.
  150. Var : M, 1er main, Quelquefois s’attristant et pleurant de sa peine, 2e main, Les Vierges quelquefois (1er corr. : Les sœurs une autre fois 2e corr. : Les Vierges quelquefois) pour connaître sa peine,
  151. A. Chènier, Hylas (texte de 1819) :

    Le jeune enfant de loin croit entendre sa voix,
    Et du fond des roseaux, pour adoucir sa peine,
    Lui répond d’une voix inentendue et vaine.

  152. Var v. 183-184 : M, 1er main, Et si les biens du ciel flattaient peu son envie, | Qui remplirait pour elle une éternelle vie ? 2e main, texte actuel.
  153. Var : M, Les regards (corr. : Le regard)
  154. Var : M, Mais elle répondait
  155. Var : M, Tous (biffé) les Anges (corr. : les Vierges) fuyaient (1er corr : s’envolaient 2e corr : s’enfuyaient)
  156. Moore, A. d. A., p. 27 : Ce fut vers cette étoile lointaine que je la vis diriger son vol à travers l’espace lumineux, vers cette île étincelante au milieu du firmament bleuâtre.
  157. Var : M, Cherche d’autres soleils ou de nouveaux déserts.
  158. Chateaubriand, Atala, Prologue : Une délicieuse contrée…, à laquelle les Français ont laissé le doux nom de Louisiane.
  159. Atala : Des colibris étincellent sur le jasmin des Florides.
  160. Var : D, lit
  161. Var : M, Prêt aux (corr. : Pour les) luttes
  162. Buffon, Histoire Naturelle, De l’oiseau-mouche : De tous les êtres animés voici le plus élégant pour la forme et le plus brillant pour les couleurs… L’émeraude, le rubis, la topaze brillent sur ses habits, il ne les souille jamais de la poussière de la terre, on le voit à peine toucher le gazon par instants, il est toujours en l’air, volant de fleurs en fleurs ; il a leur fraîcheur comme il a leur éclat, il vit de leur nectar. — La description du colibri par Vigny rappelle celle que Buffon donne du saphir-émeraude : la gorge saphir, et le reste du corps d’un vert glacé très brillant.
  163. Atala : Il [le magnolia] domine toute la forêt, et n’a d’autre rival que le palmier.
  164. Atala : Les vignes sauvages… s’élancent de l’érable au tulipier, du tulipier à l’alcée.
  165. Atala : Des perroquets jaunes… grimpent en circulant au haut des cyprès.
  166. Atala : Sur le bord occidental, des savanes se déroulent à perte de vue ; leurs flots de verdure, en s’éloignant, semblent monter dans l’azur du ciel.
  167. Atala : Des serpents oiseleurs sifflent suspendus au dôme des bois.
  168. Var : M. que les branches (corr. : forêts) arides.
  169. Voir ci-dessus, p. 34, n. 3.
  170. Var : O, A-C1, nompareille
  171. Atala : Des oiseaux moqueurs… descendent sur les gazons rougis par les fraises.
  172. Atala, Les chasseurs. Si le geai bleu du Meschacebé disait à la nonpareille des Florides : Pourquoi vous plaignez-vous si tristement ? n’avez-vous pas ici de belles eaux et de beaux ombrages ?… — Oui, répondrait la nonpareille fugitive, mais mon nid est dans le jasmin : qui me l’apportera ?
  173. Var : M, grande (corr. : forte) dès sa naissance — au verso du feuillet : fière de sa naissance.
  174. Moore, A. d. A. p. 34 : Oh ! quelle sublime vision furent pour moi les astres, lorsque je les vis pour la première fois… Ils furent la première passion de mon cœur. Infatigable, jour et nuit, soutenu par mes ailes, je me balançais dans leurs rayons. — P- 35 : Souvent je parcourais soir et matin les lignes radieuses qui s’étendent comme des réseaux d’or entre les étoiles et le soleil… Puis je volais rapidement à la découverte des astres lointains et solitaires qui veillent, comme des sentinelles vigilantes, sur le vide au-delà duquel habite le Chaos… Je suivais quelque comète voyageuse… Je me rappelle avec quels transports j’entonnais l’hymne de gloire, lorsque de nouveaux mondes d’étoiles, brillants de jeunesse et de fraîcheur, semblaient s’élancer du sein des ténèbres pour éblouir mes yeux. — p. 48 : comme les nuages d’automne qui retiennent les éclairs prêts à s’échapper de leurs flancs pour laisser briller une jeune étoile.
  175. Var : M, Cherchant à (corr. : afin de) découvrir
  176. Milton, P. P., III, 501 : [Satan] découvre au loin un grand édifice qui par des degrés magnifiques s’élève jusqu’à la muraille du Ciel… Les degrés étaient semblables à ceux par lesquels Jacob vit monter et descendre des Anges… Chaque degré était un mystère…
  177. Var : M, 1er main, Jusqu’aux lieux où du mal l’obscurité commence. 2e main, texte actuel.
  178. Var : M, 1er main, Lorsqu’un ange a quitté 2e main, texte actuel.
  179. Milton, P. P., II, 1034 : Mais enfin l’influence sacrée de la lumière commence à se faire sentir, et des murailles du Ciel elle pousse au loin dans le sein de l’obscure nuit une lueur d’aurore. Ici la Nature commence par son extrémité la plus lointaine, et le Chaos se retire… Satan, avec moins de fatigue, glisse sur les vagues apaisées… [Il contemple] les tours d’opale et les créneaux ornés de vivants saphirs, jadis sa demeure natale. — VI, 757 : Au-dessus de leurs tètes, c’est un firmament de cristal, où s’élève un trône de saphir.
  180. Var : M, Un jour douteux et jaune (corr. : pâle),
  181. Milton, P. P., III, 418 : Cependant sur le ferme globe opaque de ce monde sphérique, dont la première convexité enveloppe les orbes inférieurs lumineux, et les sépare du Chaos et de l’irruption des antiques Ténèbres, Satan se pose et marche. De loin cette convexité semblait un globe ; maintenant elle semble un continent sans bornes, sombre, désolé, sauvage, exposé à l’horreur d’une nuit sans étoiles, et aux orages toujours menaçants du Chaos qui gronde à l’entour ; ciel inclément, sauf du côté qui reçoit, par réflexion, des murailles du Ciel, encore que bien lointaines, une faible lumière, moins tourmentée par la bruyante tempête. — VII, 210 : Ils se tenaient [le Fils de Dieu et son cortège d’anges] sur le sol céleste, et du bord ils contemplaient le vaste, l’incommensurable abîme, tumultueux comme un océan, sombre, dévasté, sauvage, bouleversé de fond en comble par les vents furieux… — II, 890 : Devant leurs yeux, dans une vue soudaine, apparaissent les secrets du vieil abîme, sombre, incommensurable océan, sans borne, sans dimension, où la longueur, la largeur et la profondeur, le temps et l’espace sont perdus, où l’antique Nuit et le Chaos, ancêtres de la Nature, maintiennent une éternelle anarchie, au milieu du fracas de guerres sans fin, et règnent par la confusion. — La plupart des textes cités dans cette note et dans la précédente se trouvent rassemblés dans la 2e partie, l. IV, ch. 12, du Génie du Christianisme.
  182. Entre 242 et 243 : O, pas de filet.
  183. Var : O, A, B, C2, esprits,
  184. Var : M, 1er main, Même les Séraphins, Rois des anges fidèles, 2e main, Même les Chérubins, l’effroi des dieux rebelles,
  185. Var : M, 1er main, Quelque regret du ciel, d’un ami (corr. : où sont les) bienheureux 2e main, texte actuel.
  186. Ce « récit douloureux » ne serait-il pas l’un de ceux que font les trois anges déchus qui prennent tour à tour la parole dans le poème de Moore ? Le premier a été entraîné par sa passion sensuelle pour une fille de la terre ; le second s’est perdu par désir de savoir ; le troisième est passé insensiblement de l’amour du Créateur à l’amour de la créature.
  187. Moore, A. d. A., p. 15 : La lumière d’Éden lui restait encore, mais altérée, mais ternie. Ce n’est pas l’amour seul qui dans sou passage rapide avait obscurci son front ; d’autres joies plus terrestres y avaient laissé leur empreinte profonde.
  188. Entre 270 et 271 : O, pas de filet.
  189. Var : M, une note en prose parait se rapporter à ce passage : Et cependant ce fut là que vint Éloa.
  190. Var : M, esquisse en prose du développement final : Sans doute quelque puissance inconnue était en elle, car à son passage les mondes tressaillirent de joie. Toutes les infortunes furent un moment suspendues, les ennemis s’embrassèrent, les jalousies, les haines s’éteignirent, les Rois descendirent de leurs trônes, les conspirateurs jettèrent leurs poignards, les armées se reposèrent, les lions s’endormirent. Hélas ! pourquoi n’arrivas-tu pas jusqu’à nous, ange du bonheur et de la pais !
  191. Var : D, en ces routes
  192. Chateaubriand, Martyrs, XXIII : L’ange du sommeil abandonne aussitôt les voûtes éthérées… Il franchit d’abord la région des soleils et s’abaisse vers la terre, où le conduit un long cri de douleur… Il fend les airs sans bruit et sans agiter ses ailes ; il répand sur son passage la fraîcheur et la rosée ; il paraît : les flots s’assoupissent, les fleurs s’inclinent sur leurs tiges, la colombe cache sa tête sous son aile, et le lion s’endort dans son antre. Les sept collines de la ville éternelle s’offrent enfin aux regards de l’ange consolateur… Il ferme en passant les yeux des martyrs ; il vole à la retraite solitaire de Démodocus. Ce père infortuné s’agitait brûlant sur sa couche : le messager divin étend son sceptre pacifique et touche les paupières du vieillard : Démodocus tombe à l’instant dans un repos profond et délicieux.
  193. Var ; A, Le captif souriait, marchait
  194. Une note, jetée sur un feuillet du manuscrit du IIe chant d’Éloa (voir v. 148), semble indiquer que Vigny avait songé à insérer dans la dernière partie du chant 1er, à une place qui ne peut être exactement déterminée, un développement auquel il a ensuite renoncé : « Quelques vers dans le voyage d’Éloa où elle voie la terre et s’arrête à y penser : j’y suis née, ils ont l’air triste. »
  195. Var : M, 1er main, L’Enfer en surcharge : Les TénèbresDans le coin supérieur de gauche, ces deux mots jetés en marge : Séduction et un peu au-dessous : Véronèse. — O, Chant Second.
  196. Chateaubriand, Génie du Christ., 1er partie, l. V, ch. 10 : On trouve au pied des monts Apalaches, dans les Florides, des fontaines qu’on appelle puits naturels. Chaque puits est creusé au centre d’un monticule planté d’orangers, de chênes-verts et de catalpas. Ce monticule s’ouvre en forme de croissant du côté de la savane, et un courant d’eau sort du puits par cette ouverture. Les arbres, en s’inclinant sur la fontaine, rendent sa surface toute noire au-dessous ; mais à l’endroit où le courant d’eau s’échappe de la base du cône, un rayon du jour, pénétrant par le lit du canal, tombe sur un seul point du miroir de la fontaine, qui imite l’effet de la glace dans la chambre obscure du peintre.
  197. Var : M, dans l’ombre souterraine
  198. Milton, P. P., IV, 457 : Je me couchai [c’est Ève qui parle] sur la rive verdoyante, pour plonger mes regards dans le lac clair et lisse, qui me semblait un autre ciel. Comme je me penchais pour voir, juste en face de moi une forme apparut dans le miroir liquide, se penchant aussi pour me voir…
  199. Moore, A. d. A., p. 25 : Les feux livides qui rampent à la surface de la terre dés que le jour a disparu…
  200. Var : M, éclairs surcharge un mot illisible.
  201. Moore, A. d. A., p. 56 : Je suivais quelque comète voyageuse se dirigeant de loin vers des points lumineux.
  202. Var v. 19-20 : M, 1er main, Et l’ange curieux (corr. : curieuse) | Souriait à leur vol et les suivait des yeux. (corr. : et des yeux les suivait.) 2e main, Et l’ange, à voir (corr. : ces) doux jeux d’un royaume étranger, (corr. : en souriant au spectacle étranger,) | Souriait à (corr. : Suivait des yeux) leur vol circulaire et léger.
  203. Moore, A. d. A., p. 36 : En vain je prêtais l’oreille à la musique jadis si mélodieuse qui retentissait autour de mes sphères favorites.
  204. Var : M, Telle est la voix plaintive (corr. : Tel est le choc plaintif)
  205. Var : M, la harpe Éolienne. O, la Harpe-Éolienne. A-C3, la harpe éolienne.
  206. Var : M, un chant mystérieux
  207. Var : M, de l’ange curieux ; O, de la fille du ciel ;
  208. Var : M, prêt d’éclore.
  209. Var : M, Ainsi qu’un des divans
  210. Var : M, 1er main, homme en surcharge : ange
  211. Lewis, Le Moine, ch. VII (Matilda, en présence d’Ambrosio, évoque Satan dans les souterrains du monastère de Sainte-Claire) : « Il vient ! » s’écria Matilda avec un accent de joie. Ambrosio tressaillit, et attendit le démon avec terreur. Quelle fut sa surprise quand, le tonnerre cessant de rouler, les larges accords d’une mélodieuse musique firent résonner l’air ! En même temps, le nuage disparut, et il aperçut une figure plus belle que n’en dessina jamais le crayon de la fantaisie. C’était un jeune homme qui paraissait avoir dix-huit ans environ : ses formes et son visage étaient d’une perfection incomparable… Son corps resplendissait d’une clarté éblouissante : il était entouré de nuages de lumière couleur de rose, et au moment qu’il apparut, une brise rafraîchissante exhala ses parfums dans la caverne.
  212. Il est fréquemment question dans les poèmes ossianiques de la Clutha ou Cluath « ancien nom du Clyde ou de la Clyd » (Trad. de Le Tourneur, 1777, t. I, p. lxxi).
  213. Var : Ce vers commence la page 28 du manuscrit ; en haut de cette page, dans le coin de gauche, en travers : (l’esprit ténébreux) ; ces mots ont été biffés ; au verso du feuillet, dans le coin supérieur de gauche, ces indications : Le chasseur écossais et, au-dessous : La baigneuse.
  214. Var : M, 1er main, sa en surcharge : son
  215. L’Arven est une montagne de Calédonie ; le Crona, une colline et un torrent. Ces deux noms sont souvent rapprochés l’un de l’autre. Voir notamment le poème de Comala : On n’entend plus sur l’Arven que le bruit du torrent. Fille de Morni, viens des rives de Crona. (Le Tourneur, t. II, p. 124). — Lève-toi, brouillard du sombre Crona, enveloppe le chasseur dans tes voiles… (p. 126). — Quel héros est tombé sur les bords du Carron ?… Était-il blanc comme la neige d’Arven, éclatant comme l’arc de la pluie ? (p. 127).
  216. Var : M, glaciers surcharge un mot illisible.
  217. Var : B-D, mousseux
  218. Var : M, 1er main, Tombe sur (corr. : avec) un pied sûr, et (corr. : ou) s’ouvre des chemins
  219. Var : M, 1er main, Mais dès que sur le mont où l’ombre le retarde, 2e main, Mais si dans les vapeurs dont l’ombre le retarde, 3e main, Mais dépassant l’éclair que d’en haut il regarde, 4e main, texte actuel.
  220. Var : M, 1er main, Dans un nuage obscur (corr. : Si parmi les vapeurs) marche le (corr. : ce) fils du Barde, 2e main, texte actuel.
  221. Var : M, Si (corr. : Et) sous un arc-en-ciel
  222. Var : M, S’il a vu dans la brume (corr. : nue) et ses vagues (1er corr. : brumeux, 2e corr. : vagues) réseaux
  223. Entre autres innombrables apparitions de fantômes que Vigny avait pu retenir de la lecture d’Ossian, noter dans le poème de Carrictura les chants qui célèbrent les amours de Vinvela et de Shilric. « Vinvela : Mon Amant erre sans cesse sur la montagne, il poursuit le chevreuil léger. Ses dogues haletants l’environnent, et la corde de son arc résonne dans l’air. Te reposes-tu, cher Amant, au bord de la source du rocher, ou prés du torrent de la montagne ? Le vent balance les joncs, et fait voler le brouillard par-dessus les collines. Je vais, sans être aperçue, m’approcher de mon Amant, et le voir du haut du rocher. Que tu me parus aimable, ô Shilric, quand je te vis pour la première fois, etc. [Mais Shilric, en revenant de la guerre, ne retrouve plus dans sa patrie sa chère Vinvela] : Je suis assis au sommet de la colline sur la mousse qui borde le torrent ; le feuillage d’un arbre antique frémit sur ma tête… Il est midi ; tout est calme ; je suis seul, et la tristesse s’empare de mes pensées ? Est-ce toi, Vinvela, que j’entrevois à peine sur cette bruyère ? Tes longs cheveux flottent sur tes épaules ; ton sein d’albâtre s’élève et s’abaisse en exhalant de profonds soupirs : tes beaux yeux sont remplis de larmes… Elle parle : que le son de sa voix est faible ! C’est le murmure du zéphyr entre les roseaux. Mais pourquoi restes-tu seule sur cette colline déserte ? — Vinvela : Oui, je suis seule, ô Shilric, seule dans la sombre et froide demeure. Je suis morte de douleur pour toi, Shilric, je suis dans la tombe. (Le Tourneur, I, p. 187-192.)
  224. Il est question d’Évir-Coma dans le chant III du poème de Temora : Quelle est celle qui vient de Strumon, les cheveux épars ? Elle marche d’un air triste et lève ses yeux sur Erin. Évir-Coma, pourquoi cette tristesse ? Qui peut égaler la gloire de ton époux ? Que Gaul était terrible dans le combat ! Il revient couvert de gloire : il a levé sou épée, et les ennemis ont fui. — Voir encore ch. V, p. 159.
  225. Entre 56 et 57 : O, ni filet ni blanc.
  226. Var : M, enchantèrent
  227. Entre 60 et 61 : O, un liane et un filet.
  228. Var : M, Plonge une aile d’argent dans (corr. : Livre son aile blanche à) l’onde fugitive,
  229. Var : M, 1er main, La pourpre de sa robe était longue et brillante, 2e main, Sa robe était de pourpre, et tantôt rouge ou pâle,
  230. Var : M, 1er main, Mais ainsi que l’opale en reflets vacillante. 2e main, Qui changeait aux regards comme change l’opale. 3e main, texte actuel.
  231. Var : M, 1er main, D’un brouillard tran (le vers est resté en suspens) 2e main, texte actuel.
  232. Var v. 73-74 : M, 1er main, Le diamant en feu dans l’or pur étincelle | (mots illisibles) des pieds que la pourpre décèle ; 2e main, Des diamants nombreux rayonnent avec grâce | Sur chacun de ses pieds qu’un cercle d’or surmonte (corr. : enlace) ;
  233. Var v. 75-76 : M, 1er main, Tous ses doigts et ses bras (blancs biffé) souples et gracieux | Brillent environnés d’anneaux mystérieux. 2e main, Ses bras et tous ses doigts éblouissent les yeux, | Et brillent entourés d’anneaux mystérieux.
  234. Lewis, Le Moine, ch. VII (portrait de Satan) : Il était entièrement nu : une étoile brillante étincelait sur son front, deux ailes cramoisies se déployaient de ses épaules, et ses boucles soyeuses étaient pressées par un bandeau de mille feux colorés, qui se jouaient autour de sa tête, prenaient toutes les formes, et resplendissaient d’un éclat bien supérieur à celui des pierres précieuses. Des anneaux de diamant entouraient ses bras et ses chevilles, et, dans la main droite, il tenait un rameau d argent en forme de myrte... Enchanté d’une vision si contraire à son attente, Ambrosio contemplait l’esprit avec ravissement et surprise ; mais, si belle que fût cette figure, il ne put s’empêcher de remarquer un égarement dans les regards du démon, et une mystérieuse mélancolie imprimée sur ses traits, qui trahissaient l’ange déchu, et inspiraient aux spectateurs une frayeur secrète.
  235. Var : O, Roi M, qui d’en haut O, Armée,
  236. Var : M, 1er main, Qui remplit un regard de la couleur de l’âme. 2e main, Qui par les yeux aux yeux révèle l’âme à l’âme. 3e main, texte actuel.
  237. Var v. 87-92 : M, Une première rédaction de ce passage, au verso du feuillet, ne donne que ces deux vers : Sa voix semble gémir et faire un doux adieu | Dans ces mots qu’il adresse à la fille de Dieu. La seconde rédaction, au recto, donne les cinq vers dans leur teneur actuelle, sauf le 1er hémistiche du vers 87 : Comme dans la forêt et le vers 91 : Comme s’il, s’affligeait et faisait quelque adieu.
  238. Var : M, 1er main, bel Archange, M, 2e main, O, A-C2, belle Archange, — En haut de la page du manuscrit qui commence par le vers 93, ces indications jetées : (demandes) quelle M. Vauquet.
  239. Var : M, Suivra en surcharge : Suit
  240. Var : M, au-dessus de Guider, Rallumer biffé.
  241. Var : M, 1er main ; Porter aux sombres nuits 2e main, Leur montrer dans la nuit
  242. Chateaubriand, Martyrs, III : C’est dans les parvis de la cité sainte et dans les champs qui l’environnent que sont à la fois réunis ou partagés les chœurs des chérubins et des séraphins, des anges et des archanges, des trônes et des dominations ; tous sont les ministres des ouvrages et des volontés de l’Éternel : à ceux-ci a été donné tout pouvoir sur le feu, l’air, la terre et l’eau ; à ceux-là appartient la direction des saisons, des vents et des tempêtes ; ils font mûrir les moissons, ils élèvent la jeune fleur, ils courbent le vieil arbre vers la terre. Ce sont eux qui soupirent dans les antiques forêts, qui parlent dans les flots de la mer, et qui versent les fleuves du haut des montagnes.
  243. Entre 100 et 101, les deux vers suivants sont biffés sur le manuscrit : Tes soins sont-ils d’aller de tes mains enfantines | Balancer les grelots des cloches argentines ?
  244. Var : M, O, A, de surveiller des âmes.
  245. Chateaubriand, Atala, Épilogue : Âme de mon fils, âme charmante, ton père t’a créée jadis sur mes lèvres par un baiser.
  246. Entre 104 et 105, les deux vers suivants sont biffes sur le manuscrit : Ne vas-tu pas souvent, ô blanche messagère, | Dis-le moi, dans la nuit conduire (corr. : éclairer) la bergère ?
  247. Var : M, 1er main, j’en dois 2e main, j’en peux
  248. Var : M, n’es-tu pas (quel biffé) un ennemi
  249. Var : M, payens O, A-C3, païens
  250. Var : B-C2, Vierge
  251. Var v. 113-116 : Ces quatre vers manquent dans le manuscrit.
  252. Var v. 117-119 : M, 1er main, Hélas ! il sait si bien que moi je suis sans armes. | Sur qui se défend mal et ne sait que ses larmes | La victoire est facile, et je ne sais pourquoi 2e main, Chaste beauté ! veux-tu (corr. : viens-tu) me défaire (corr. : combattre) ou m’absoudre | Toi qui descends d’un (corr. : Tu viens du même) ciel qui m’envoya la foudre, | Mais si douce à mes yeux que je ne sais pourquoi

    Dans l’interligne du vers 117 au vers 118, cette indication jetée : Ne verrai-je jamais venir du ciel que des ennemis ?

  253. Var : M, O, A-C2, belle Ange,
  254. Var v. 121-122 : M, 1er main, Ainsi parlait l’Esprit. À ces mots, à sa vue, | À ces aveux trompeurs d’une voix imprévue 2e main, Ainsi l’Esprit parlait. À sa voix caressante, | Prestige dédaigné par une âme innocente,

    En haut de la page du manuscrit qui commence au vers 121, cette note : Elle recula comme l’Italienne qui se baigne.

  255. Var : M, 1er main, De cet ange étranger, à ses anges pareil, 2e main, Du nouvel immortel, à ceux d’en haut pareil, 3e main, De cet ange si doux, à ceux d’en haut pareil,
  256. Var : M, 1er main, Sur un fleuve de lait (le vers, resté en suspens, a été biffé) ; 2e main, texte actuel.
  257. Var : M, Telle on voit
  258. Les mots jetés à la première page du manuscrit : Séduction. Vèronése, et la note inscrite sur le feuillet même qui contient les v. 127-128 : Elle recula comme l’Italienne qui se baigne, font supposer que Vigny avait dans l’esprit quelque tableau de l’école italienne, d’après lequel ces deux vers auraient été conçus. Il n’existe pas, à ma connaissance, de scène analogue dans l’œuvre du Véronèse.
  259. Var : M, 1er main, S’éloigne (illisible) et de la (illisible) tour 2e main, texte actuel.
  260. Var : M, 1er main, Où l’on mit sous son aile 2e main, D’où la sultane attache (corr. : envoie) O, A, Sultane
  261. Moore, A. d. A., p. 14 : Semblable à l’oiseau qui abandonne son nid élevé, fasciné par des yeux séducteurs…
  262. Var : M, 1er main, Dès qu’il vit se ployer 2e main, texte actuel.

    Au bas de la page du manuscrit dont le vers 1)4 est la dernière ligne, cette note : J’ai entendu qu’on t’envoyait porter le bonheur à la terre. Eh ! ne le lui ai-je pas donné ? — En haut de la page suivante, dans le coin de droite : (la nuit terrestre).

  263. Moore, A. d. A., p. 43 : Là habitent tant d’innombrables choses qui nourrissent l’ardeur des jeunes cœurs, les désirs vagues, les tendres illusions, les rêves d’amour encore sans objet, les espérances légères et ailées qui obéissent au désir,… et les passions cachées sous des pensées virginales.
  264. Var : M, B-C3, roi.
  265. Var : M, 1er main, Pour lier tous (corr. : enchaîner) ces nœuds j’ai des mains taciturnes, 2e main, Ma main dans l’ombre unit deux mains aventureuses, 3e main, J’unis les cœurs, malgré (corr. : je romps) les chaines rigoureuses,
  266. Var : M, Comme le papillon sur ses ailes nocturnes (en surcharge : poudreuses),
  267. Var : M, Porte aux gazons naissans (corr. : émus)

    Au bas de la page du manuscrit dont le vers 148 est la dernière ligne, cette note : Quelques vers dans le voyage d’Éloa où elle voie la terre et s’arrête à y penser : j’y suis née, ils ont l’air triste.

  268. Chateaubriand, Génie, 1er partie, 1. V, ch. 11 : Le narcisse livre aux ruisseaux sa race virginale, la violette confie aux zéphyrs sa modeste postérité ; une abeille cueille du miel de fleurs en fleurs, et, sans le savoir, féconde toute une prairie : un papillon porte un peuple entier sur son aile. Cependant les amours des plantes ne sont pas également tranquilles ; il en est d’orageuses comme celles des hommes…
  269. Var : M, O, A-C3, nature :
  270. Var : M, Cacher les feux du jour (en surcharge : des astres d’or) dans (en surcharge : sous) l’éclat d’un soleil,
  271. Var : O, A, Cieux,
  272. Var : M, 1er main, Sitôt que se cachant sous le paie horizon. 2e main, Sitôt que balancé (derrière biffé) sous le pale horizon.
  273. Var : M, 1er main, Le soleil a quitté les cimes (corr. : pointes) du gazon, 2e main, Le soleil a cessé de dorer le gazon, 3e main, Le soleil a cessé d’éclairer le gazon, 3e main, texte actuel. O, A-C3, Soleil
  274. Var : M, O, A, B, esprits
  275. Chateaubriand, Atala : Le Génie des airs secouait sa chevelure bleue, embaumée de la senteur des pins.
  276. Var : M, Tombe (en surcharge Pleut) sur les orangers C3, D, le lilas
  277. Var : M, O, A-C3, nature
  278. Var : À la page du manuscrit qui contient les vers 171 à 184, cette note jetée en travers de la marge : 3. 33. M. Vauquet.
  279. Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. V, ch. 5 : [Le rossignol] attend l’heure du recueillement et du repos, et se charge de cette partie de la fête qui se doit célébrer dans les ombres. Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées ; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l’oreille de l’homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l’Éternel.
  280. Milton, P. P., V, 35 : Il me semblait que, me parlant à l’oreille, quelqu’un m’invitait à la promenade avec une douce voix. Cette voix disait : « Pourquoi dors-tu, Ève ? Voici l’heure enchanteresse, l’heure fraîche, l’heure silencieuse, sauf là où le silence se retire devant l’oiseau mélodieux des nuits, qui, maintenant éveillé, module très doucement son chant inspiré par l’amour ; maintenant, dans son plein, règne la lune ;… le ciel ouvre tous ses yeux ».
  281. Var : M, Et lutte près des eaux (1er corr. : par l’éclat 2e corr. : de clartés) avec le météore
  282. Byron, Manfred, I, 1 : Quand la lune sera sur la vague, et le verluisant dans le gazon, et le météore sur le tombeau, et le feu-follet sur le marais, quand tomberont les étoiles filantes, quand les hiboux se répondront en huant…
  283. Var v. 183-184 : M, 1er main, L’étoile des marais que détachent mes mains | Tombe (sur biffé) et s’ouvre dans l’air de rapides chemins. 2e main, texte actuel.
  284. Var : M, 1er main, Soulevant du devoir la chaîne trop amère, 2e main, texte actuel.
  285. Var : M, Les (en surcharge : Ces) flambeaux.
  286. Var : M, la conque de Vénus. O, A, la Conque-de-Vénus. B, la Conque de vénus.
  287. Var : M, doit être aussi cruelle,
  288. Var : M, Et dont le sein (fécond biffé) modeste
  289. Var : M, 1er main, L’herbe écoute ses pas 2e main, texte actuel.
  290. Var : M, qu’un (en surcharge : que l’) amant
  291. Var : M, tressaille dans (corr. : fait tressaillir) les airs,
  292. Chateaubriand, Martyrs, XIII : Aussitôt le démon delà Volupté se revêt de tous ses charmes. Il prend à la main une torche odorante, et traverse les bois de l’Arcadie. Les zéphyrs agitent doucement la lumière du flambeau. Le fantôme magique fait naître sous ses pas une foule de prestiges. La nature semble se ranimer à sa présence, la colombe gémit, le rossignol soupire, le cerf suit en bondissant sa légère compagne… On entend des voix mystérieuses dans la cime des arbres.
  293. Var : M, La colombe en fuyant (corr : de nuit) languissamment roucoule.
  294. Var : M, La voilà, (tu le vois biffé) sous tes yeux, l’œuvre du malfaiteur ; — Au mot malfaiteur un renvoi à la note suivante, inscrite au bas de la page : Car sans doute on t’aura dit de te méfier de moi.
  295. Var : M, libérateur (en surcharge : consolateur) O, A-C2, consolateur.
  296. Var : M, Qui gémit sur l’esclave
  297. Var : M, 1er main, du désespoir de l’être, 2e main, du désespoir de naître, 3e main, texte actuel.
  298. Var) : M, Et dans ce mal
  299. Entre 216 et 217, un hémistiche, amorce d’un développement qui n’a pas été poursuivi : Tendre et faible Éloa (biffé).
  300. Titre : M1, La Chute.
  301. Millevoye, Les adieux d’Hélène (ce vers est inspiré lui-même d’une épigramme de Sapho) :
    Ô Pudeur ! où fuis-tu quand tu nous as quittée ?
  302. Var : M1, Des longs plis d’un lin pur (corr. : texte actuel.)
  303. Var : M1, Et si le voile blanc (corr. : Et si l’ombre d’un voile)
  304. Milton, P. P., IV, 312 : Ces mystérieuses parties [du corps d’Adam et d’Ève] n’étaient point cachées alors ; il n’y avait point alors de honte coupable. Honte déshonnête des œuvres de la nature, honneur déshonorant, produit du péché, comme vous avez troublé toute l’humanité avec ces apparences, ces seules apparences de pureté, et banni de la vie de l’homme le plus grand bonheur de sa vie, la simplicité et l’immaculée innocence. Ils allaient donc, nus…
  305. Var : M1, un regard baisse (1er corr. : trouble 2e corr. : blesse)
  306. Var : M’, 1er main, Sous le pouvoir magique (corr. : Ô pudeur ! c’est par vous qu’) Éloa fléchissait, 2e main, C’est ce pouvoir caché qu’Éloa subissait, 3e main, Ô terrestre pouvoir qu’un ange subissait !
  307. Moore, A. d. A., p. 29 : L’ange déchu inclina sa tête de honte, honte qui eût seule révélé de quelle immense hauteur il était tombé !… cette sainte honte qui ne laisse pas oublier le pur honneur qu’en a perdu, dont la rougeur reste, après que la vertu s’enfuit, pour marquer du moins son passage.
  308. Var : O, A-C3, esprit
  309. Var v. 17-24 : M2 fournit de ce passage une rédaction plus ancienne : Dans les prés inconnus l’alouette imprudente | Vient du miroir trompeur (corr. : tournant) voir la facette ardente. | Des mines de la terre élancé promptement | Le fer emprunte une âme aux ordres de l’aimant. | 1er main, Le tourtereau privé de sa compagne blanche, 2e main, : La tourterelle en vain dressant sa plume blanche, | Aux regards du serpent tombe de branche en branche. | 1er main, Tels s’étaient réunis (corr. : rapprochés) les habitants des cieux. 2e main, Telle elle descendait l’habitante des cieux. | Les yeux pleins (corr. : lourds) de langueur recherchèrent (corr. : regardèrent) les yeux,

    M3, donne l’esquisse en prose de la version définitive : Elle rougit et devina la pudeur, premier effet du mal. Alors elle descendit, remonta, descendit encore ; ainsi une perdrix qui veut recueillir du bled pour ses petits descend, remonte et descend encore, car elle aperçoit le chien d’arrêt qui la regarde avec des yeux fixes et brillants.

  310. Var : M1, vers l’ombre.
  311. Var : M1, Car ses petits ont faim ; corr. : texte actuel).
  312. Var : M1, Elle reste devant (corr. : texte actuel.)
  313. Byron, Giaour : Et comme l’oiseau dont les ailes battent, mais ne peuvent fuir le serpent qui le fixe, les autres se troublent sous son regard [celui du Giaour], et ils n’évitent pas le coup d’œil qu’ils peuvent à peine soutenir. — Caïn, I, 1 (Adah parle de Lucifer) : Je
  314. Var v. 33-36 : M1, Le prince des esprits de la céleste belle (corr. : d’une voix oppressée) | 1er main, Expliquait le discours qui n’était plus rebelle. 2e main, De la Vierge timide expliquait la pensée. | Éloa se disait presque : Je suis à toi ; | Et l’ange ténébreux dit tout haut : Sois à moi. | 1er main, Sois à moi, mon amour a mérité la tienne, | Pour moi de te chérir la coutume est ancienne, (corr. : Je n’ai de l’avenir rien qui ne t’appartienne.) 2e main, texte actuel.

    M2 fournit des quatre premiers vers une rédaction plus ancienne : Le prince des esprits de la céleste belle | Entendait (en surcharge : expliquait) le discours, qui n’était plus rebelle. | Éloa se disait tout bas : Je suis à toi, | Et l’Ange ténébreux dit tout haut : Sois à moi. D, tout bas

  315. Milton, P. P., I, 594 : Comme lorsque le soleil, nouvellement levé, chauve de rayons, regarde à travers la brume de l’horizon…
  316. Var : M1, Où je pensais (corr. : je me mêlais) O, A, Soleil
  317. Var : M, O, A, parmi des Dieux.
  318. Moore, A. d. A., p. 48 : Les nuages d’automne qui retiennent les éclairs prêts à s’échapper de leurs flancs, pour laisser briller une jeune étoile…
  319. Var : M1, 1er main, Qui d’un nuage errant 2e main, texte actuel.
  320. Var : M’, (J’ai biffé) Dans tout être créé j’ai cru revoir ton être ; (corr. : te reconnaître ; )
  321. Moore, A. d. A., p. 35 : Je parcourais soir et matin les lignes radieuses qui s’étendent comme des réseaux d’or entre les étoiles et le soleil, déliant tous ces rayons de lumière…
  322. Var : O, anges
  323. Var : M1, 1er main, Aux constellations j’apportai d’autres cieux, 2e main, texte actuel.
  324. Var v. 69-70 : M’, J’osai même (long biffé) toucher dans (corr. : enhardi par) mon nouveau délire, | Toucher les fibres lumineux (corr. : d’or) de la céleste lyre.
  325. Var : M1, Dans les cheveux bouclés d’un enfant endormi,
  326. Var : M1, Sentinelle céleste, (corr. : timide sentinelle,)
  327. Var : O, vierge
  328. Var : O, A, Qui, rêvant sur son sein, le presse avec douceur. B-C2, Qui, rêvant, sur son sein le presse avec douceur (sic).
  329. Var : M1, Si triste (corr. : Mais seul)
  330. Var : M1, où le bruit (corr. : son)
  331. Var : M1, Il parlait (corr. : Il disait)
  332. Var : M1, (Ou leur donne au retour biffé) Ou jette (corr. : donne) à leurs transports un regard de ses yeux,
  333. Moore, Le Paradis et la Péri (trad. de Bruguière de Sorsum, Lycée Français, 1820, t. III, p. 410) : Ces lys virginaux s’inclinant sur l’onde du lac, afin de se redresser plus frais et plus brillants au retour de leur soleil bien-aimé…
  334. Var : M1, Se présente aux baisers (corrections successivement essayées : S’incline S’étend Tombe et s’ét correction définitive : S’approche sans effroi)
  335. Var : M1, Comme la jeune rose aux baisers (1er corr. : au lever biffé 2e corr. : aux soupirs biffé)
  336. Moore, A. d. A., p. 76 : Ce fut pendant le crépuscule du soir, sur le rivage de la mer tranquille, qu’il entendit pour la première fois les sons du luth et la voix de celle qu’il aima glisser sur les eaux argentées.
  337. Var : M1, 1er main, Comme un bandeau royal, sur son front la bonté 2e main, Pure comme un matin des mondes, sa bonté 3e main, Comme un prix à des (corr. : pour ses) jours sans fautes (corr. : taches), sa bonté
  338. Var : M1, Lui donne en arrivant l’éternelle beauté.
  339. Var : M1, Cette (corr. : tant de) douleur empreinte ?
  340. Var : O, Ce trouble
  341. Var v. 117-118 : M1, 1er main, Ainsi pleine de grâce et pleine de décence | Éloa dit ces mots, 2e main, Un incarnat sacré, couleur (corr. : charme) de la décence, | accompagnait ces mots, 2e main, texte actuel.
  342. A. Chénier, L’Aveugle, 260 : Les trois enfants… admiraient…

    De sa bouche abonder les paroles divines
    Comme en hiver la neige au sommet des collines.

    L’image est empruntée à Homère, Iliade, III, 220 :

    ὰλλʹ ὄ δή ῤʹ ὄπα τε μεγάλην ἐϰ στήθεος ἵει
    ϰαὶ ἔπεα νιφάδεσσιν ἐοιϰότα χειμερίησιν.

  343. Entre 120 et 121 : C1-D, un blanc.
  344. Moore, A. d. A., p. 30 : Quoique le jour eût disparu, ses ailes diaprées étincelaient de mille feux qu’animées de l’éclat d’Éden, elles ne tiraient que d’elles-mêmes.
  345. Var : D, et son bras
  346. Moore, A. d. A., p. 51 : Les diamants, semblables à des yeux qui brillent au milieu des ténèbres, furent surpris dans leur retraite obscure.
  347. Var : M1, Ainsi le diamant reluit parmi (corr. : luit au milieu) des ombres.
  348. Moore, A d. A., p. 75 : Souvent, quand du front du Très-Haut s’échappait un éclair trop vif pour le supporter, et que tous les Séraphins se voilaient le visage de leurs ailes et n’osaient en contempler l’éclat…
  349. Milton, P. P., IV, 23 : Maintenant la conscience éveille [dans le cœur de Satan] le désespoir assoupi ; elle éveille l’amer souvenir de ce qu’il fut, de ce qu’il est, et pis encore, de ce qu’il lui faudra être : de pires actions doivent s’ensuivre de pires souffrances.
  350. Milton, P. P., IV, 18 : L’horreur et l’incertitude bouleversent son esprit troublé, et jusqu’au fond elles remuent l’enfer au-dedans de lui, car en lui, et tout autour de lui, il porte l’enfer.
  351. Var : M1, réveille
  352. Var : O, l’Aigle
  353. Milton, Comus : Aussi rapide que l’éclair du scintillement d’une étoile, je descendis du ciel.
  354. Moore, A. d. A., p. 62 : Encore l’amour et ses soins caressants pouvaient-ils lui apprendre à supporter cet éclat, comme les jeunes aigles supportent celui du soleil.
  355. Var : M1, à son magique (corr. : au flamboyant) empire ;
  356. Chateaubriand, René : Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m’arrêtais sur les ponts pour voir se coucher le soleil. L’astre, enflammant les vapeurs de la cité, semblait osciller lentement dans un fluide d’or.
  357. Var : M1, Il sent le plomb chasseur brûler (corr. : fondre dans sa blessure)
  358. Var : M1, 1er main, Le prince ténébreux courba sa tête noire, 2e main, texte actuel.
  359. Milton, P. P., IV, 40 : L’orgueil et l’ambition pire m’ont précipité ; j’ai porté la guerre dans le ciel contre le roi du ciel, qui n’a pas de rival.
  360. Var : M1, Mais dans moi-même, hélas ! (corr. : texte actuel.)
  361. Entre 168 et 169 : M1, pas d’intervalle.
  362. Var : M1, Loi,
  363. Milton, P. P., IV, 58 : Oh ! que son puissant destin ne fit-il de moi quelque ange inférieur ! je serais demeuré heureux ; un espoir sans bornes n’eût pas exalté mon ambition.
  364. Var : M1, L’Éternité
  365. A. Chénier, Hylas : Et des fleurs sur son sein, et des fleurs sur sa tête…
  366. Var : M1, 1er main, Et la mélancolie avait banni le crime. 2e main, Le remords (corr. : Et son cœur) un moment se reposa du crime.
  367. Var : D, sa céleste main
  368. Var : M1, L’eût conduit (corr. : saisi)
  369. Milton, P. P., IV, I : Oh ! que ne se fît-elle entendre, cette voix prophétique que le voyant de l’Apocalypse entendit résonner dans le ciel, quand le Dragon, mis une seconde fois en déroute, accourut furieux se venger sur les hommes : « Malheur aux habitants de la terre ! » Ah ! si, quand il en était temps encore, nos premiers parents avaient été avertis de la venue de leur secret ennemi ! ils eussent échappé peut-être à son piège mortel.
  370. Var : O, A, docile à remonter…,
  371. Var : M1, Mais (de l’enfer biffé) sitôt
  372. Var : M1, De l’enfer révolte
  373. Var v. 187 et suivants : M3, donne une ébauche de ce développement commencée en vers et continuée en prose : Et la pure Éloa, prête à se dérober | Au formidable attrait qui la faisait tomber, | Commençait à lever ses ailes engourdies, | Entr’ouvrant pour crier des lèvres enhardies, | (Comme un m inachevé) ainsi qu’un jeune enfant étouffé sous les eaux (corr. : s’attachant aux roseaux) | Se noie avec des (corr. : Tente de faibles) cris étouffés sous les eaux. | Il sentit son danger (1er corr. : son péril 2e corr. : Il la vit prête à fuir) et répandit des larmes ; | 1er main, Ce sont, il le savait, les plus puissantes armes. 2e main, Ô pur amour, ainsi le mal te prend ses armes ! | Il pleura longuement, comme un homme exilé, | Comme une veuve aux pieds de son fils immolé, | Comme un amant qui rêve à sa fureur jalouse, | Après qu’il a (1er corr. : Mourant d’avoir 2e corr. : Triste d’avoir) frappé son adultère épouse. — La voyant tombée il sourit tout à coup, et s’écrie avec les feux du soleil dans ses yeux…
  374. Var : O, cieux
  375. Var v. 189-190 : M1, Et souleva deux fois ses ailes engourdies (corr. : argentées) | Entr’ouvrant pour crier des lèvres enhardies (corr. : pour gémir ses lèvres enchantées).
  376. A. Chènier, Hylas (texte de 1819) :

    Le jeune enfant de loin croit entendre sa voix,
    Et du fond des roseaux, pour adoucir sa peine,
    Lui répond d’une voix inentendue et vaine.

  377. Var : M1, 1er main, et vit sa faute entière 2e main, jusqu’où luit la (corr. : vers les cieux de) lumière O, A, B, cieux.
  378. Var : M1, il médite (corr. : désigne)
  379. Var : B-C2, ciel
  380. Var : M1, 1er main, S’arrête et son silence augmente ses alarmes 2e main, S’arrête, un long soupir augmente ses alarmes 3e main, texte actuel.
  381. Amos, VIII, 10 : Je plongerai Israël dans les larmes, comme une mère qui pleure son fils unique.
  382. Var : M1, Éloa se décide (1er corr. : se rapproche 2e corr. : lui revient 3e corr. : vient et pleure),
  383. Var : M1, Hélas ! tu veux (corr. : tu cherches à) me fuir,
  384. Var : M1, Je parlerai (corr. : Je veux parler) pour vous, toujours il nous entend.
  385. Var : M1, 1er main, Il ne peut rien, crois moi, pour que mon destin change, 2e main, texte actuel.
  386. Var : O, A, due puis-je faire, hélas 1 dites, faut-il rester ?
  387. Var : M1, 1er main, Mais je t’appartiendrai. — Je t’appartiens moi-même, 2e main, texte actuel.
  388. Var : M1, Mais je ferai bien (corr. : Mais aurai-je fait) mal ? O, ciel
  389. Var v. 251-232 : M1, Dis : je t’aime, et (corr. : Touche ma main) bientôt sous (corr. : dans) un mépris égal | S’effaceront (corr. : Se confondront) pour nous
  390. Byron, Caïn, II, 2 (Lucifer à Caïn) : Le bien et le mal sont tels par leur propre essence, et ne sont pas rendus bon ou mauvais par celui qui les dispense ; mais si ce qu’il vous donne est bon, appelez-Le bon ; si le mal sort de Lui, ne me l’attribuez pas, avant de mieux connaître sa véritable source ; jugez non pas sur des paroles prononcées par des esprits, mais sur les fruits de votre existence, telle qu’elle doit être.
  391. Var : M1, pour recevoir (corr. : pour y cacher) des larmes.
  392. Var : M1, 1er main, Pour savourer l’encens qui s’exhale des fleurs, 2e main, texte actuel.
  393. Var : M1, 1er main, Mais nous voit-on des Cieux ? 2e main, mais que diront (pensent biffé) les cieux ?
  394. Var : M1, 1er main, Un nuage, où, parmi des chants et des louanges, 2e main, Un de ces chœurs divins, où, parmi les louanges, 3e main, texte actuel.
  395. Var : M1, On entendait
  396. Var : M1, Gloire dans l’Univers, gloire au Ciel, à celui O, A-C3, temps,
  397. Var : M1, Les cieux parlaient ainsi (corr. : semblaient parler) : — Trois vers biffés, qui semblent avoir amorcé un développement non poursuivi : Cependant aussitôt qu’en boucles vagabondes | Des cheveux blonds tressés s’écoulèrent les ondes | Ainsi qu’au front d’un Roi s’unit l’ébène à l’or
  398. Entre 249 et 250 : O, ni blanc ni filet.
  399. Milton, P. P., VII, 364 : Là (dans l’orbe du Soleil), comme à leur source, les autres astres se réparent ; ils puisent la lumière dans leurs urnes d’or ; et c’est là que la planète du matin dore sa corne.
  400. Var : M1, Que votre voix est sombre, et quel sombre discours !
  401. Moore, A. d. A., p. 47 : Transporte-moi à l’ombre de tes ailes dans ta sphère lumineuse, dans ton ciel, ou… oui, même avec toi !
  402. Var : M1, 1er main, Tu ne m’appelles plus ou ta Reine ou ton Dieu. 2e main, Nomme-moi donc encore ou ta sœur ou ton Dieu !
  403. Byron, Manfred, II, 4 (Manfred à Astarlé) : « Dis-moi que tu ne me détestes pas, que je suis seul puni pour tous les deux, que tu seras reçue au nombre des bienheureux… » — Caïn, I, 1 (Caïn à Lucifer) : « Et vous autres ? — Nous sommes immortels. — Êtes-vous heureux ? — Nous sommes puissants. — Êtes-vous heureux ? — Non… »
  404. Var : M1, 1er main, Seras-tu plus heureux du moins, es-tu content ?
  405. La date manque dans M1-M3, O.
  406. Ce sous-titre, comme celui d’Éloa (voir p. 20) est emprunté à Byron, dont le drame biblique Ciel et Terre, mystère, est une des principales sources du Déluge. — Il est bon de se rappeler, en lisant le poème, que Vigny admirait fort le Déluge du Poussin, et que ce tableau était familier à sa mémoire : « Ce beau et réel talent de compositeur [il s’agit de Berlioz] semble surtout, en musique, ce qu’est celui d’un sombre paysagiste en peinture. En l’écoutant, je songe toujours involontairement au Déluge du Poussin. » (Lettre au comte d’Orsay, du 50 janvier 1848, citée par M. E. Dupuy, R. des D. M., 15 avril 1911, p. 858). — Il ne faut pas oublier non plus que la pièce devait être primitivement dédiée « aux mânes de Girodet » dont le tableau représentant une Scène du Déluge avait obtenu le grand prix décennal en l’an X. (Voir à l’Appendice le fragment intitulé : La Beauté Idéale). — On notera enfin que tel ou tel trait descriptif a pu être suggéré à Vigny par un orage qu’il avait vu, en septembre 1823, dans les Pyrénées, et dont le souvenir est évoqué d’une manière beaucoup plus précise dans le ch. XXII de Cinq-Mars.
  407. Genèse, XVIII, 22-23 : Alors deux de ces hommes partirent de là et s’en allèrent à Sodome : mais Abraham demeura encore devant le Seigneur ; Et, s’approchant, il lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ?
  408. Moore, Les Amours des Anges, début (traduction Belloc, 1823, p. 13) : Le monde était dans sa fleur ; les étoiles brillantes venaient de commencer leur course radieuse, et le temps, jeune alors, comptait ses premiers jours par le soleil… C’était avant le règne de la douleur, avant que le péché eût étendu son voile sombre entre l’homme et les cieux. La terre était alors plus près du ciel que dans ces jours de crime et de désolation… — Directement ou non, le premier vers du poème parait dériver d’un vers de Lucrèce, De natura reruin, v. 940 : novitas tum florida mundi…
  409. Byron, Ciel et Terre, sc. 3 : La vague se brisera sur vos rochers, et les coquillages, les petits coquillages, les moindres créatures de l’océan, seront déposés là où maintenant habite la progéniture de l’aigle.
  410. Var : P2, A-C2 Monde
  411. Var : B-C3, Mort
  412. Les enfants de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour femmes celles qui leur avaient plu. (Gen., chap. vi, v. 2.)
  413. Byron, Manfred, III, 2 et 4, et Moore, Am. des Anges, passim.
  414. Var : P2, A-C2, de l’Ange.
  415. Var : P2, A-C2, Cieux.
  416. Var : A-C2, loin d’un peuple imposteur,
  417. Gessner, Tableau du Déluge (trad. Huber) : Le front sourcilleux d’un rocher s’élevait seul encore du fond des eaux… C’est sur ce
  418. Var : P2, A-C1, ciel
  419. Var : P2, A-C2, Terre
  420. Var : P2, cieux
  421. Byron, C. et T., sc. 3 : La terre geint comme sous un pesant fardeau.
  422. Byron, C. et T., sc. 3 : Les nuages reprennent les teintes de la nuit, sauf là où leurs bords bronzés rayent l’horizon sur lequel se levaient d’ordinaire de plus brillantes aurores. — Et voyez ce jet de lumière, messager du tonnerre lointain, qui apparaît là-bas !
  423. Byron, C. et T., sc. 3 : Entendez ! Entendez ! les oiseaux de mer crient ! Ils couvrent de leurs nuées le ciel blafard, et planent autour de la montagne… Et les oiseaux crient leur angoisse dans l’air.
  424. Entre 68 et 69, P2, A, B, ni filet ni fleuron.
  425. Byron, C. et T., sc. 3 : Au lieu du soleil une pâle et sinistre lueur a enveloppé l’atmosphère mourante. — Ténèbres : La terre glacée se balançait sombre et noirâtre dans l’atmosphère sans lune.
  426. Entre 80 et 81, P2, A, ni filet ni fleuron.
  427. Entre 88 et 89, P2, A, B, un blanc de deux on quatre lignes, C1, d’une ligne.
  428. Byron, C. et T., sc. 5 : Écoutez ! Écoutez ! déjà nous pouvons entendre la voix des sombres vagues de l’océan qui monte ; les vents, eux aussi, préparent leurs ailes rapides ; les nuages ont bientôt rempli leurs réservoirs ; les cataractes de l’abîme vont s’ouvrir, et le ciel va lâcher ses écluses ; tandis que l’humanité voit, sans les comprendre, tous ces redoutables signes.
  429. Var : P2, univers
  430. Var : P2, B, cieux
  431. Chateaubriand, Génie, 1er partie, livre V, ch. 5 : Ainsi quand nous voyons à l’entrée de la nuit, pendant l’hiver, des corbeaux perchés sur la cime dépouillée de quelque chêne,… plus ils sont bercés par les orages, plus ils dorment profondément.
  432. Entre 104 et 105, P2, A-C3, un filet ou fleuron.
  433. Byron, C. et T., sc. 3 : Solitudes, qui paraissez éternelles, et toi, caverne qui sembles sans fond, et vous, montagnes si variées et si terribles dans votre beauté… Monde magnifique, si jeune, et voué à la destruction, c’est le cœur déchiré que je te contemple, jour après jour, nuit après nuit, ces jours et ces nuits qui sont comptés.
  434. Var : P2, A-C3, Ta Terre
  435. Var : P2, A-C1, univers
  436. Byron, C. et T., sc. 3 : Réjouissons-nous ! La race abhorrée qui n’a pu garder son haut rang dans l’Éden, mais qui a écouté la voix de la science impuissante, touche à l’heure de la mort ! Ce n’est pas lentement, ce n’est pas un a un, ce n’est pas par l’épée, ni par le chagrin, ni sous les années, ni par le déchirement du cœur, ni sous l’action minante du temps qu’ils doivent succomber ! Voici leur dernier lendemain ! La terre sera l’Océan ! et aucun souffle, sauf celui des vents, ne passera sur les flots sans limites ! Les anges fatigueront leurs ailes sans trouver un lieu où se poser… Un autre élément sera le maître de la vie… Et à l’universelle clameur de l’humanité succédera l’universel silence. — Byron parait ici se souvenir de deux vers d’Ovide, Métam., l, 307-308, qu’on trouvera cités plus loin, p. 85, n. 1.
  437. Byron, C. et T., sc. 5 : … un globe sur lequel le soleil se lèvera et n’échauffera pas de vie.
  438. Var : P2, A, Ô pourquoi
  439. Bailly, Histoire de l’Astronomie ancienne, Paris, 1775, l. III, De l’Astronomie antédiluvienne, § VII : Les hommes ont mené longtemps une vie errante et pastorale. C’est dans leurs courses, dans leurs veilles souvent nécessaires, que l’Astronomie a été fondée par des observations peut-être grossières, mais qui furent la base des premières déterminations. Avant l’écriture alphabétique, ils avaient des signes hiéroglyphiques, de quelque espèce qu’ils fussent, pour désigner les faits dont ils voulaient laisser la mémoire. Ils s’en servaient pour écrire leurs observations. Leurs registres étaient des pierres sur lesquelles ces observations étaient gravées, et qu’ils laissaient dans le lieu même où ils avaient observé. Ensuite, après de longues années, lorsque le hasard ou le besoin les ramenait, eux ou leurs descendants, au même lieu, les nouvelles observations étaient comparées aux anciennes.
  440. Entre 154 et 155, P2, A-C1, ni filet ni fleuron.
  441. Var : P2-, A-C2, innocence
  442. Var : D, les yeux
  443. Gessner, Tableau du Déluge : Ô Dieu, pardonne : nous mourons. Qu’est-ce que l’innocence de l’homme devant toi ?… — Relève ton courage. Une éternité de bonheur nous attend au-delà de cette vie… Oui, ma chère Sémire, élevons nos mains vers Dieu. Est-ce à des mortels de juger de ses voies ? Celui dont le souffle nous a animés envoie la mort aux justes et aux injustes. Mais heureux celui qui a marché dans le sentier de la vertu.
  444. Var : V2, auprès d’une femme.
  445. De même, dans C. et T., Japhet voudrait épouser Anah et la sauver avec lui : Plût à Dieu… que la dernière et la plus aimable ides filles de Caïn pût entrer dans l’Arche qui recevra le reste de la race de Seth ! (sc. 3).
  446. Var : P2, Parce que plus longtemps tu m’aurais attendu.
  447. Byron, C. et T., sc. 3 : On fuirons-nous ? Pas sur les hautes montagnes, car maintenant leurs torrents se ruent, avec un double mugissement, à la rencontre de l’océan, qui, avançant toujours, étreint déjà et submerge chaque colline, et ne laisse pas de caverne qu’il ne fouille… Les océans en furie rompent toute barrière, jusqu’à ce que les déserts mêmes ne connaissent plus la soif.
  448. Bernardin de St-Pierre, Études de la Nature, IVe étude (description du déluge) : Ce fut alors que tous les plans de la nature furent renversés. Des îles entières de glaces flottantes, chargées d’ours blancs, vinrent s’échouer parmi les palmiers de la zone torride ; et les éléphants de l’Afrique furent roulés jusque dans les sapins de la Sibérie, où l’on retrouve encore leurs grands ossements. — Le trait se retrouve dans Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. IV, ch. 4, Du Déluge : Les dépouilles de l’éléphant des Indes s’entassèrent dans les régions de la Sibérie. — C’est une variante du thème posé par Ovide, Métam., I, 299-300 :

    Et modo qua graciles gramen carpsere capellae,
    Nunc ibi déformes ponunt sua corpora phocae.

  449. Byron, C. et T., sc. 5 : Les bêtes elles-mêmes, dans leur désespoir, cesseront de dévorer l’homme et de se dévorer entre elles, et le tigre rayé se couchera pour mourir à côté de l’agneau, comme s’il était son frère… — Le même détail se trouve dans Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. IV, ch. 4, Du Déluge. — Souvenir d’Ovide, Métam., I, 304-505 :

    Nat lupus inter oves ; fulvos vehit unda leones,
    Unda vehit tigres.

  450. Var : P2, cieux
  451. Byron, C. et T., sc. 3 : Comme il criera [l’aigle] en planant sur la mer impitoyable… Ses ailes ne sauraient le sauver : où pourrait-il les reposer quand toute l’immensité n’offre rien à sa vue que l’abîme, son tombeau ? — Chateaubriand, Génie, Du Déluge : L’oiseau même, chassé de branche en branche par le flot toujours croissant, fatigua inutilement ses ailes sur des plaines d’eau sans rivages. — C’est encore une réminiscence d’Ovide, Métam., I. 307-308 :

    Quæsitisque diu terris ubi sidere detur,
    In mare lassatis volucris vaga decidit alis.

  452. Byron, Les Ténèbres : Les animaux les plus féroces devinrent doux et tremblants… Et la Guerre, qui pour un temps avait cessé, s’assouvit de nouveau…
  453. Byron, Les Ténèbres : Les hommes oubliaient leurs passions dans l’épouvante de cette désolation… On achetait un repas avec du sang ;… il n’y avait plus d’amour ; toute la terre n’avait qu’une pensée, et cette pensée, c’était la mort immédiate et sans gloire ; et les tortures de la faim déchiraient toutes les entrailles ; les hommes mouraient, et leurs os restaient sans sépulture comme leur chair ; le maigre était dévoré par le maigre.
  454. Var : P2, A, B, d’eux-même C1, d’eux-mêmes (vers faux).
  455. Bernardin de Saint-Pierre, pass. cité (par opposition) : Au désordre des cieux, l’homme désespéra du salut de la terre. Ne pouvant trouver en lui-même la dernière consolation de la vertu, celle de périr sans être coupable, il chercha au moins à finir ses derniers moments dans le sein de l’amour et de l’amitié. Mais dans ce siècle criminel où tous les sentiments naturels étaient éteints, l’ami repoussa son ami, la mère son enfant, l’époux son épouse.
  456. Ovide, Métam., I, 291-292, et I, 6 :

    Jamque mare et tellus nullum discrimen habebant :
    Omnia pontus erat…
    Unus erat toto natura ; vultus in orbe.

  457. Bernardin de Saint-Pierre, pass. cité : Tout fut englouti dans les eaux, cités, palais, majestueuses pyramides, arcs de triomphe chargés des trophées des rois…
  458. Byron, Les Ténèbres : D’une immense cité il ne survécut que deux hommes, et c’étaient deux ennemis…
  459. Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. I, ch. 3 : Il semble aux hommes qu’en entassant tombeaux sur tombeaux ils cacheront ce vice capital de leur nature, qui est de durer peu… Mais ils se trahissent eux-mêmes…, car plus la pyramide funèbre est élevée, plus la statue vivante placée au sommet diminue, et la vie paraît encore bien plus petite quand l’énorme fantôme de la mort l’exhausse dans ses bras.
  460. Var : P2, Tout son peuple, ouvrier qui l’avait élevé.
  461. Var : P2, A, Sphinx
  462. Var : D, ses demi-Dieux
  463. Or, il y avait des géants sur la terre. Car, depuis que les fils de Dieu eurent épousé les filles des hommes, il en sortit des enfants fameux et puissants dans le siècle. (Genèse, ch. vi, v. 4.)
  464. Byron, C. et T., sc. 5 : Mais les mêmes tempêtes morales submergeront l’avenir, comme les vagues dans quelques heures les tombeaux des glorieux géants. — Byron cite en note le même verset de la Genèse auquel renvoie Vigny.
  465. Var : P2, A, Terre
  466. Byron, C. et T., sc, 3 : Ton nouveau monde et sa nouvelle race seront voués au malheur. Les hommes seront moins beaux à voir et moins riches en années que les glorieux géants qui aujourd’hui parcourent orgueilleusement le monde, fils du Ciel par maintes unions terrestres.
  467. Var : P2, A, Sur sa tombe immobile il fut réduit en poudre
  468. Var : P2, A, rugissant
  469. Chateaubriand, Du Déluge : Le reste des êtres vivants… gagnèrent tous ensemble la roche la plus escarpée du globe : l’Océan les y suivit, et, soulevant autour d’eux sa menaçante immensité, fit disparaître sous ses solitudes orageuses le dernier point de la terre.
  470. Chateaubriand, Du Déluge : Les volcans s’éteignirent en vomissant de tumultueuse fumées, et l’un des quatre éléments, le feu, périt avec la lumière.
  471. Gessner, Tableau du Déluge : Ils étaient seuls, les flots avaient englouti tout le reste ; ils étaient seuls, au milieu de l’orage et des vents furieux… Sémire pressa son amant contre son cœur palpitant ; des larmes, mêlées avec les gouttes de la pluie, ruisselaient le long de ses joues pâles… Les bras défaillants de Sémin serrèrent la jeune fille évanouie ; ses lèvres tremblantes se turent ; il ne voyait plus la destruction d’alentour ; il ne voit que son amante évanouie penchée sur son sein… Il baisa ses joues pâles, lavées par l’eau froide de la pluie…
  472. Var : P2, lys
  473. Var : P2, A, B, ciel
  474. Gessner, Tableau du Déluge : Loue le Seigneur, ô ma bouche ! versez des larmes de joie, mes yeux, jusqu’à ce que la mort vienne vous fermer ! Un ciel plein de béatitude nous attend. Vous nous y avez précédés, ô vous tous qui nous étiez si chers ! Nous vous suivrons, et bientôt nous vous y reverrons.
  475. Byron, Les Ténèbres (traduction de Bruguière de Sorsum, Lycée Français, octobre 1819) :
    Le temps enfin s’arrête, et tout est consommé.
  476. La date manque dans P2.
  477. Pour l’idée première et le choix du sujet, voir Chateaubriand, Martyrs, l. XVIII : L’Église se préparait à souffrir avec simplicité ; comme la fille de Jephté, elle ne demandait à son père qu’un moment pour pleurer son sacrifice sur la montagne. — et Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 258 : Les Israélites étaient fort religieux à observer leurs vœux et leurs serments. Pour les vœux, l’exemple de Jephté n’est que trop fort. — Rappelons pour mémoire qu’il y a dans les Mélodies Hébraïques de Byron une Fille de Jephté à laquelle celle de Vigny ne paraît pas redevable, si ce n’est peut-être du choix du rythme. Voir le texte anglais.
  478. Var : P1, Le fer de Galaad a ravagé vingt villes ;
  479. Var v. 7-8. P1, ont attristé leurs mères, | Et leurs veuves ont bu l’eau des larmes amères.
  480. Juges, XI, 1, 32-33 : En ce temps-là, il y avait un homme de Galaad nommé Jephté… Jephté passa ensuite dans les terres des enfants d’Ammon pour les combattre, et le Seigneur les livra entre ses mains. Il prit et ravagea vingt villes depuis Aroër jusqu’à Mennith, et jusqu’à Abel qui est planté de vignes : les enfants d’Ammon perdirent dans cette défaite un grand nombre d’hommes, et ils furent désolés par les enfants d’Israël. — Bible de Vence, t. X, 1772, p. 796, au verset 17 du c. XXVII d’Ezéchiel : On lit dans l’Hébreu, BKTI MNIT, in frumentis Minnith ; les Septante semblent avoir lu BKT ULUT, in frumento et stacte, le froment, la myrrhe. — Dom Calmet, Comm. litt . de l’Ancien et du Nouveau Testament, Eicchiel et Daniel, 1730, p. 274, même passage : Juda vous a apporté le plus pur froment ou le meilleur froment. L’Hébreu : du froment de Minnit. On connaît un canton ou une ville de Minnit au-delà du Jourdain, entre Héribon et Rabbat des Ammonites.
  481. Exode, XV, 1 et 2 (cantique de Moïse et de son armée) : Chantons des hymnes au Seigneur parce qu’il a fait éclater sa grandeur et sa gloire… Le Seigneur est ma force et le sujet de mes louanges, parce qu’il est devenu mon Sauveur.
  482. Juges, XI, 34 : Mais lorsque Jephté revenait à Maspha dans sa maison…
  483. Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 195 : Ils (les Hébreux) avaient une grande diversité d’instruments à vent, comme des trompettes et des flûtes de diverses sortes, des tambours et des instruments à cordes, dont les deux qui se trouvent le plus souvent sont cinnor et nebel… — Don Calmet, dissertation sur les instruments de musique des Hébreux, dans la Bible de Vence, VII, p. 156-157 : Nous comptons six instruments à cordes : 1° Le Nebel ou Nable, que nous croyons être le Psantherin ou Psaltérion. 2° Le Hasor ou instrument à six cordes, que nous croyons être le Kitbros ou Cithare. 3° Le Kinnor, que nous croyons être la Lyre… On le nommait [le Nebel] Sidonien, parce qu’on croyait que les Phéniciens l’avaient inventé.
  484. Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 194 : Leurs chants étaient accompagnés de danses, car c’est ce que veut dire le mot de chœur… Il est parlé de chœurs à la procession que fit David pour transférer l’arche en Sion, et en plusieurs occasions de victoires, où il est dit que les filles sortaient des villes en chantant et en dansant. — Rois, I, XVIII, 6 : Or quand David revint de la guerre après avoir tué le Philistin, les femmes sortirent de toutes les villes d’Israël au-devant du roi Saül en chantant et en dansant, témoignant leur réjouissance avec des tambours et des timbales.
  485. Psaumes, XLVI, 2 : Peuples, frappez tous des mains, louez Dieu avec des transports de joie et des cris de réjouissance.
  486. Matth., XXI, 8 : Une grande multitude de peuple étendit aussi ses vêtements le long du chemin ; les autres coupaient des branches d’arbre, et les jetaient par où il passait.
  487. Juges, XI, 34 : … sa fille, qui était unique, parce qu’il n’avait pas eu d’autres enfants qu’elle, vint au-devant de lui en dansant au sou des tambours.
  488. Var : P1, A-C2, cou
  489. D. Calmet, Commentaire littéral, Josué, les Juges et Ruth, 1720, p. 189 ! Fallait-il que vous vous présentassiez la première à ma rencontre ?
  490. Var : P1, A, ô douleurs
  491. Byron, Caïn, acte III, sc. 1 : Adah : Que savons-nous si quelque jour une expiation de ce genre ne pourra pas racheter notre race ? — Caïn : En sacrifiant l’innocent pour le coupable ? Quelle expiation serait-ce là ?… — caïn (à Abel) : Ton offrande de chair brûlée a un meilleur succès ; vois comme le ciel aspire la flamme, quand elle est chargée de sang… (En parlant de Jehovah :) Son plaisir ! Qu’était le souverain plaisir qu’il prenait aux vapeurs de la chair brûlée et du sang fumant, comparé à la douleur des mères bêlantes ?… Va-t’en ! Va-t’en ! Ton Dieu aime le sang ! — Exode, XX, 5 : Car je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux…
  492. D. Calmet, Commentaire littéral, etc., p. 189 : … je dois vous annoncer que vous êtes dévouée au Seigneur.
  493. Var : A-C2, « Moi ? »
  494. Var : P1, A, O si.
  495. Juges, XI, 36-57 : Sa fille lui répondit : Mon père, si vous avez fait vœu au Seigneur, faites de moi tout ce que vous avez promis… Accordez-moi seulement, ajouta-t-elle, la prière que je vous fais : laissez-moi aller sur les montagnes pendant deux mois, afin que je pleure ma virginité avec mes compagnes.
  496. Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 165 : La virginité, considérée comme une vertu, était encore peu connue : on n’y regardait que la stérilité, et l’on estimait malheureuses les filles qui mouraient sans être mariées… Ce fut le sujet des regrets de la fille de Jephté. — D. Calmet, Dissertation sur les mariages des Hébreux, dans la Bible de Vence, VIII, 1721, p. 409 : La virginité était un opprobre dans Israël… De Là viennent les pleurs de la fille de Jephté, qui fait le deuil de sa propre personne, comme d’une personne morte, parce qu’elle mourait sans être mariée et sans avoir donné des héritiers à son père.
  497. Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 225 : Il fallait [en signe de deuil] porter des habits sales et déchirés, ou des sacs… Ils les nommaient aussi cilices.
  498. Fleury, ouvr. cité, p. 222 : Ils demeuraient assis à terre ou couchés sur la cendre [en signe de deuil]… Les marques de deuil étaient de déchirer ses habits sitôt qu’on apprenait une mauvaise nouvelle,… mettre ses mains sur sa tête,… et y jeter de la poussière ou de la cendre.
  499. Fleury, ouvr. cité, p. 223 : Quelquefois ils s’enveloppaient d’un manteau pour ne point voir le jour et cacher leurs larmes.
  500. Juges, XI, 58 : Jephté lui répondit : Allez.
  501. Juges, XI, 38-39 : Elle alla donc avec ses compagnes et ses amies, et elle pleurait sa virginité sur les montagnes. Après les deux mois, elle revint trouver son père, et il accomplit ce qu’il avait voué b. l’égard de sa fille.
  502. La date manque dans P1.
  503. Qu’un tourbillon ténébreux règne dans cette nuit, qu’elle ne soit point comptée parmi les jours de l’année ni mise au nombre des mois. Que cette nuit soit dans une affreuse solitude, et qu’on la juge indigne qu’on s’en souvienne jamais… Que les étoiles soient obscurcies par sa noirceur, qu’elle attende la lumière et qu’elle ne la voie point, et que l’aurore lorsqu’elle commence à paraître ne se lève point pour elle. (Job, trad. de Sacy, III, 6-7, 9).
  504. Var : M1 donne en marge le nom des interlocuteurs : l’épouse, l’amant.
  505. Var : M1, l’ambre (corr. : le nard) de Palmyre
  506. Var : M1, Venez, mon bien-aimé, m’enivrer de (corr. : Qui me pardonnera mes coupables) délices.
  507. Var : M1, Jusqu’à l’heure où le jour appelle aux (corr. : Voici venir bientôt l’heure des) sacrifices :
  508. Var : M1, Aujourd’hui que l’époux (corr. : À peine mon époux) n’est plus dans la maison (corr. : cité),
  509. Var : M1, 1er main, Elle sera pour vous une douce prison 2e main, Au nocturne (corr. : Qu’au nocturne) bonheur soyez donc (corr. : l’amour est) invité.
  510. Prov., VII, 16-19 : J’ai suspendu mon lit, et je l’ai couvert de courtes-pointes (tapetibus) d’Égypte en broderie. Je l’ai parfumé d’aloès, de myrrhe et de cinnamome. Venez, enivrons-nous de délices, et jouissons de ce que nous avons désiré jusqu’à ce qu’il fasse jour. Car mon mari n’est pas à la maison, il est allé faire un voyage qui sera très long.
  511. Var : M1, Il est allé bien loin (corr. : Qui me pardonnera ?)
  512. Fleury, Mœurs des Israélites, 1712, p. 124 : Que les toits fussent plats dans la terre d’Israël et aux environs, il y en a bien des preuves dans l’Écriture.
  513. Var : M1, Que parlait une femme, et (corr. : Qu’une femme parlait, mais)
  514. Var : M1, Montrait la porte étroite (corr. : Pourtant montrait la porte)
  515. Cant. des Cant., I, 16 : Les solives de nos maisons sont de cèdre, nos lambris sont de cyprès. — Ce détail est également relevé par Fleury, Mœurs des Isr., p. 128.
  516. Var : M1, 1er main, Le cèdre qu’un verrou ferme vite et recouvre 2e main, texte actuel.
  517. Cant. des Cant., v. 6 : J’ouvris ma porte à mon bien-aimé, en ayant tiré le verrou.
  518. Voir ci-dessus, n° 3.
  519. Var : M1, En marge, par deux fois : Cant. des C5., c. I, v 16.
  520. Cant. des Cant., II, 1 : Je suis la fleur des champs, je suis le lys des vallées.
  521. Var v. 17-18 : M1 donne, dans le corps du texte, les ébauches suivantes, qui ont été biffées : Votre taille s’élève au Carmel égalée | Par vos lèvres toujours la pourpre est égalée | Votre tête s’élève — et en marge : Par (corr. : de) vos lèvres toujours la pourpre (corr. : rose) est égalée (corr. : la rose est exhalée). — En marge encore l’indication : C. d. C, VII, 7.
  522. Cant. des Cant., VII, 8 : L’odeur de votre bouche [sera] comme celle des pommes.
  523. Cant. des Cant., II, 14 : Car votre vois est douce, et votre visage est agréable.
  524. Var : M1, Dépouillez (corr. : Ô quittez) P1, A, O quittez.
  525. Var v. 21-22 : M1, En marge : C. d. C., V, v. 3.
  526. Cant. des Cant., V, 2 : Ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux de gouttes d’eau qui sont tombées pendant la nuit.
  527. Cant. des Cant., V, 9, 17 : Ô la plus belle d’entre les femmes…
  528. Var : M1, Qui suis-je (corr : Me voici) devant vous.
  529. Cant. des Cant., VII, 7-8 : Votre taille est semblable à un palmier et vos mamelles à des grappes de raisin. J’ai dit : Je monterai sur le palmier, et j’en cueillerai les fruits.
  530. Var : M1, En marge : C. d. C, c. VII, v. 8.
  531. Var : M1 Oui… Dieu ! quels sont (corr. : d’où vient ce cri)
  532. Nombres, X, 1-2, 8 : Le Seigneur parla encore à Moïse et lui dit : Faites-moi deux trompettes d’argent battues au marteau afin que vous puissiez vous en servir pour assembler tout le peuple… Les Prêtres enfants d’Aaron sonneront des trompettes. — Dom Calmet, Dissertation sur la musique des anciens et en particulier des Hébreux, dans la Bible de Vence, t. VII, 1770, p. 138 : Des douze tribus d’Israël, il y en avait une tout entière destinée au culte du Seigneur : c’était celle de Lévi. De toutes les familles qui la composaient, il n’y en avait qu’une seule, qui était celle d’Aaron, qui eût droit au sacerdoce et qui en fit les fonctions. — Fleury, Mœurs des Israélites, p. 251 : Ils se servaient de trompettes d’argent pour marquer les fêtes, et appeler le peuple aux prières publiques : et le nom de Jubilé vient d’une corne de bélier dont on sonnait pour en marquer l’ouverture.
  533. Var : M1, 1er main, C’est celui dont la voix appelle à la prière 2e main, texte actuel. En marge : Nombres, X, 8.
  534. Var v. 53-34 : M1 donne ces deux vers biffes : Ô que ma lèvre enfin presse ma bien-aimée, | Et boive en expirant son haleine embaumée.
  535. Cant. des Cant., IV, 3 : Vos lèvres sont comme une bandelette d’écarlate (Sicut vitta coccinea, labia tua).
  536. Var : M1, Le Pasteur du matin voyant (corr. : qui de l’aube a vu) pâlir l’étoile.
  537. Ces vers sont peut-être inspirés par le début du Caïn de Byron. Adam, au lever du jour, entouré de sa famille, offre à Dieu un sacrifice : « Dieu ! éternel ! infini ! sagesse suprême ! toi qui d’une parole, du sein des ténèbres de l’abîme fis jaillir la lumière sur les eaux, salut, Jehovah, au retour de la lumière, salut ! « Le poème de Byron n’a paru, il est vrai, qu’en 1821, et celui de Vigny est daté de 1819 ; mais on peut admettre un raccord fait après coup.
  538. Var : P1, l’éternel.
  539. Var : M1, 1er main, Du regret éternel a déjà la pâleur M1, 2e main, P1, De l’immortel remords a déjà la pâleur ;
  540. Var v. 49-50 : M1, 1er main, Elle contemple alors, amante abandonnée, | De ses chastes foyers l’enceinte profanée ; 2e main, Elle veut retenir cette nuit, etc. (Vigny marque ainsi son intention de transporter à cette place deux vers qui faisaient primitivement partie d’un développement ultérieur. Voir ci-dessous, vers 69-72). P1, Elle veut retenir cette nuit, sa complice, I Et la première aurore est son premier supplice. A, Et la première aurore et son premier supplice. B-D, Et la première aurore, et son premier supplice.
  541. Byron, Parisina (trad. de Bruguiére de Sorsum, Lycée Français, août 1819) : Il faut qu’ils se séparent, le cœur appesanti par la crainte, et avec ce frissonnement qui suit de prés les actions criminelles.
  542. Var v. 51-52 : M1, 1er main, Sa paupière d’ébène, orgueil de son regard, | Ne sait plus dérober le feu d’un œil hagard. 2e main, Tout parle de sa faute, et son .âme en ce lieu | S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu. P1, C’est alors qu’elle vit et la faute et le lieu,
  543. Var v. 55-54 : M1, M2, P1, Une terne blancheur, comme un voile épaissie, Entoura tristement sa prunelle obscurcie.
  544. Var : C2, à la Mort,
  545. Byron, Parisina (même trad.) : Elle était, je l’ai dit, debout, immobile et pâle, la cause vivante du malheur d’Hugo. Ses yeux fixes et ouverts n’avaient encore fait aucun mouvement… Elle était donc debout et l’œil fixe, comme si son sang eût été glacé dans ses veines ; seulement, de temps à autre, une grosse larme, lentement amassée, s’échappait des longues franges de ses belles paupières…
  546. Var : M1, Elle était telle enfin que la (corr. : Telle Sodome a vu cette) femme imprudente
  547. Var : M1, 1er main, Et brûlant à la fois 2e main, Et livrant au néant 3e main, texte actuel.
  548. Var : M1, 1er main, Noya leurs murs en feu 2e main, texte actuel.
  549. Var : M1, Incrédule ! biffé et remplacé par le texte actuel.
  550. Var : P1, Cieux ;
  551. Var : M1, Mais tout à coup son pied,
  552. Var : M1, Se fixe, elle est changée en (corr. : pâlit sous) un sel immobile.
  553. Genèse, XIX, 25-26 : Le soleil se levait sur la terre, au même temps que Loth entra dans Ségor. Alors le Seigneur envoya de la part du Seigneur du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe une pluie de soufre et de feu, et perdit ces villes avec tous leurs habitants, et tout le pays d’alentour, et tout ce qui avait quelque verdeur sur la terre. La femme de Lot regarda derrière elle, et elle fut changée en une statue de sel.
  554. Var v. 69-72 : M1, 1er main, Tel est le front glacé de l’infidèle Juive. | Quel remords (corr. : vœu) fait trembler sa lèvre convulsive, | Cette lèvre où naguère a frémi le plaisir ? | Si le destin alors eût comblé son désir, | Que n’a-t-elle arrêté (corr. : Sombre, il eût retenu) cette nuit sa complice, | Un rayon de soleil est son premier supplice.

    2e main, Tel est le front glacé de la Juive infidèle, | De la faiblesse humaine infortuné modèle, | Où lèves-tu ces yeux qu’inondait le plaisir ? | La crainte en traits brûlants y grave ton désir, | Tu voudrais retenir cette nuit, ta complice, | Et la première aurore est ton premier supplice.

    3e main, Tel est le front glacé de la Juive infidèle, | Mais quel est cet enfant qui se joue auprès (1er corr. : rit et court auprès, 2e corr. : parait auprès) d’elle ? | Quel est ce jeune enfant qui d’un pas (1er corr. : Le jour l’a fait venir et d’un œil 2e corr. : Il voit des pleurs, il pleure, et d’un geste) incertain | Vient en riant chercher (corr. : Demande comme hier) le baiser du matin.

  555. Var : M1, 1er main, Elle veut l’embrasser, mais comment le tenter ? 2e main, Un baiser la rassure, elle veut l’essayer ; 3e main, Qu’un baiser serait doux ! elle veut l’essayer ;
  556. Var : M1, Mais (son biffé) l’époux dans (son biffé) le fils la vient (?) épouvanter (corr. : revient effrayer.)
  557. Var v. 79-80 : M1, 1er main, Le baiser maternel n’ose plus s’approcher ; | Elle au sein de la terre eût voulu se cacher ; 2e main, texte actuel.
  558. Millevoye, Les Adieux d’Hélène :

    Sur les parquets de cèdre, effleurés en tremblant,
    Elle posait dans l’ombre un pied furtif et lent ;
    Un obstacle imprévu l’arrête… elle frissonne…
    Hélas ! ses mains touchaient le berceau d’Hermione.
    Le ciel pour la punir lui gardait ces adieux…

  559. Var : P1, mais les sons en sa voix,
  560. Var : M1, Il semble que Vigny ait écrit successivement 1° : Et sa parole fut éteinte (vers inachevé) 2° : Et sa faible parole éteinte fut suivie 3° : Et sa parole éteinte et vaine fut suivie
  561. Var v. 88-89 : M1, M2, P1, S’arrache avec fureur au lit empoisonné, | Court vers le seuil, l’entr’ouvre, et là tombe abattue,
  562. Byron, Parisina (même trad.) : Elle voulut parler ; le son confus fut étouffé dans sa gorge gonflée, et cependant son cœur tout entier s’élançait dans ce long et profond gémissement : il cessa. Elle fit un effort pour parler encore : sa voix éclata par un cri perçant, et elle tomba sur la terre comme une pierre, ou comme une statue renversée de sa base.
  563. Entre 90 et 91, quadro en prose du développement suivant : Cependant l’époux revenant chez lui le matin était suivi de ses chameaux et de ses esclaves (corr. : serviteurs) portant des présens pour sa femme.
  564. Var v. 91-92 : M1, M2, P1, Or l’époux revenait en se réjouissant | Jusqu’au fond de son cœur. Le lin éblouissant
  565. Var : M1, 1er main, Se gonflait des trésors de sa noble opulence ; 2e main, Recouvrait des fardeaux, trésors de l’opulence ; 3e main, P1, Recouvrait des fardeaux, fruits de son opulence ;
  566. Var) : M1, Renvoi pour l’onagre à Buffon, Hist. Nat., t. 7, quadr.(a). — P1, A, sous ces dons.

    a Buffon, Hist. Nat., De l’âne : Les Latins, d’après les Grecs, ont appelé l’âne sauvage onager, onagre, qu’il ne faut pas confondre, comme l’ont fait quelques naturalistes et plusieurs voyageurs, avec le zèbre… L’onagre, ou âne sauvage, n’est point rayé comme le zèbre… — On peut se demander si Vigny n’avait pas noté cette référence sur son manuscrit en vue d’une rectification ultérieure, qu’il n’a pas jugé à propos de faire.

  567. Var : M1, Et le chameau souvent (corr. : Et l’indolent chameau) parle guide effrayé ;
  568. Ézéchiel, XXVII, 16 (il s’adresse à Tyr) : Les Syriens ont été engagés dans votre trafic, à cause de la multitude de vos ouvrages, et ils ont exposé en vente dans vos marchés des perles, de la pourpre, des toiles ouvragées, des byssus, de la soie et toutes sortes de marchandises précieuses.
  569. Var : M1, Renvoi pour la soie à Gessner, hist. anim. l. 4. De pinna (b).

    bConradi Gesneri Tigurini Historiæ Aninialium Liber IV, Francofurti, 1620, p. 731, De pinna magna. L’article ainsi intitulé est emprunté à Rondeletius (Guillaume Rondelet) ; il a rapport à une espèce de grosse moule, vulgairement nommée « jambonneau ». Voici la traduction du passage qui est visé par Vigny : Les pinnes viennent sur les fonds de sable ou de vase ; elles se fixent au moyen d’un byssus. Ce byssus est une laine très souple et très fine, ainsi nommée par analogie avec celle dont on faisait les étoffes les plus précieuses à l’usage des riches. Par exemple, dans l’Évangile, il est question d’un riche qui était vêtu de pourpre et de byssus : de quoi on a donné les interprétations les plus ridicules. Le byssus des pinnes diffère du byssus des moules autant que la filasse de la soie la plus fine et la plus déliée. — Le texte de l’Évangile auquel Rondelet fait allusion est Luc, XVI, 19 : Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de lin. (Trad. de Sacy). Vigny semble s’appuyer sur l’autorité de l’Historia Animalium pour substituer le terme de « soie » à celui de « lin », qui est celui dont Sacy traduit ordinairement byssus. Voir Prov. XXXI, 22 : [La Femme Forte] se revêt de lin et de pourpre : byssus et purpura indumentuin ejus. — La référence à Gesner a été fournie à Vigny par Fleury (Mœurs des Israélites, 1712, p. 115) qui définit le byssus « une espèce de soye d’un jaune doré qui croît à de grandes coquilles ».

  570. Séphora, nom d’une des sages-femmes des Hébreux (Exode, I, 25), ou de la femme de Moïse (Exode, II, 21).
  571. Var v. 99-100 : M1, Et le maître disait : Maria maintenant (corr. : Maintenant Sephora) | 1er main, Regarde le soleil et le trouve trop lent ; 2e main, Cherche dans l’horizon si l’époux revenant (corr. : reviendra ;) — En noie : Maria signifie amertume (a).

    a Bible, trad. de Sacy, Explication des Noms Hébreux, etc : Maria, fille d’Araram, Exode, VI, 20, en hébreu Miriam, signifie… amertume de la mer.

  572. Var : M1, il ne vient pas (corr. : il est bien loin) encore !
  573. Byron, Giaour (d’après la trad. Pichot, qui, on ne sait pourquoi, transporte la scène du soir au matin) : La mère d’Hassan regarde par le balcon, et voit la rosée qui tombe sur les vertes prairies : elle voit pâlir les étoiles à l’approche de l’aurore : « Voici le jour, dit-elle, Hassan ne doit pas être éloigné. » Elle descend dans le jardin ; mais en proie à une inquiétude inconnue, elle monte sur la tour la plus élevée, et porte de là ses regards sur les montagnes : « Pourquoi n’arrive-t-il pas ?… Pourquoi n’envoie-t-il pas le présent de noces ?… Mais j’ai tort ; voici un Tartare qui est déjà sur le sommet de la dernière montagne… J’aperçois sur les arçons de sa selle le présent que mon fils m’envoie… » — Byron s’inspire lui-même d’une scène de la Bible, la mère de Sisara guettant le retour de son fils (Juges, V, 28-30).
  574. Var : M1, P1, Et son amour peut-être invente mon trépas.
  575. Var : M1, 1er main, texte actuel ; 2e main, Prenez ces dons pour vous, la pourpre s’y déploie ; 3e main, texte actuel.
  576. Var : M1, Et les épais (corr. : moelleux) tapis, A-C3, le moelleux tapis,
  577. Ezéchiel, XXVII, 18-19 (il s’adresse à Tyr) : Dan, la Grèce et Mosel ont exposé en vente dans vos marchés des ouvrages de fer… Ceux de Dédau trafiquaient avec vous avec des tapis à s’asseoir.
  578. Var : M1, Et l’acier des miroirs, le bonheur de vos yeux (corr. : que souhaitaient vos yeux).
  579. Var v. 109-110 : Ces deux vers remplacent, à partir de A, une tirade de cinquante vers racontant la rentrée de l’époux dans sa maison, ses soupçons, et l’épreuve de l’eau, à laquelle est soumise la femme adultère. On trouvera ce fragment à l’appendice, p. 302 et suivantes.
  580. Var : M1, 1er main, Cependant un grand peuple (corr. : Tout Israël alors) aux autels introduit, 2e main, texte actuel.
  581. Jean, VII 2-3, 10 : Mais la fête des Juifs, appelée des Tabernacles, étant proche, ses frères lui dirent : Quittez ce lieu, et vous en allez en Judée… Il alla aussi lui-même à la fête…
  582. Matth., IX, 20 : En même temps une femme qui depuis douze ans était affligée d’une perte de sang, s’approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement.
  583. Matth., IX, 27 : Comme Jésus sortait de ce lieu-là, deux aveugles le suivirent, et ils criaient, disant : Fils de David, ayez pitié de nous.
  584. Matth., VIII, 2 : En même temps un lépreux vint à lui et l’adora, en lui disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. — Voir Marc, I, 40 ; Luc, V, 12.
  585. Var : M1, Et le sombre lépreux (corr. : Et le lépreux impur)
  586. Matth., IX, 50-51 : Aussitôt leurs yeux furent ouverts, et Jésus leur défendit fortement d’en parler, en disant : Prenez bien garde que qui que ce soit ne le sache. Mais eux, s’en étant allés, ils le firent connaître dans tout ce pays.
  587. Var : M1, 1er main, Tous se jetant aux pieds d’un homme au front austère, 2e main, texte actuel.
  588. Var : M1, S’écriant hosanna (corr. : Aux pieds de leur sauveur)
  589. Var : M1, 1er main, Et lui, tel que le Roi des Hébreux étonnés, 2e main, Et lui tel qu’un Roi fait par les infortunés, 3e main, texte actuel.
  590. Var : M1, 1er main, Et de sa vois sortaient de sublimes oracles : 2e main, texte actuel.
  591. Jean, VII, 14 : Or, vers le milieu de la fête, Jésus monta au temple où il se mit à enseigner…
  592. Var v. 127-128 : M1, 1er main, Le suivaient, et son front tranquille et radieux | Apparaissait brillant et pur comme les cieux. 2e main, Le suivaient lentement, et sur son front pieux | L’auréole éclatait en bandeau radieux, 3e main, et son front sérieux | Portait une auréole à l’éclat radieux. M2, Portait les feux du ciel (corr. : divins) en bandeau glorieux.
  593. Var : P1, A, B, avec clameurs
  594. Virgile, Énéide, II, 403-406 :

    Ecce trahebatur passis Priameïa virgo
    Crinibus a templo Cassandra adytisque Minervæ,
    Ad cælum tendens ardentia lurnina frustra,
    Lumina, nam teneras arcebant vincuLa palmas.

  595. Var : M1, Ses yeux, car de longs fers pressent ses bras (corr. : ses bras nus sont) chargés.
  596. Var v. 133-134 : M1, 1er main, On l’arrache avec peine à ce peuple en tumulte | Et vers le fils de Dieu que la terre consulte 2e main, texte actuel.En marge : Év. St Jean, C. VIII.
  597. Var : M1, Et la femme pleura. — L’arbitre de son sort (corr. : Mais le juge d’abord) :
  598. Var : M1, Que celui (corr. : Qu’un homme) d’entre vous
  599. Var : M1, Qui se croit (corr. : S’il se croit), — Au bas de la page, cette variante aux vers 145-146 : S’il en est d’entre vous, dit-il, exempt de blâme (corr. : pur jusqu’au fond de l’âme), | Qu’il jette le premier la pierre à cette femme.
  600. Var v. 147-148 : M1, 1er main, Il dit, et s’écartant de ce peuple irrité, | Du vieillard à l’enfant tout à coup arrêté 2e main, texte actuel.
  601. Var v. 149-150 : M1, Le Dieu mystérieux, courbé sur la poussière, | Y traçait une langue 2e main, texte actuel.
  602. Jean, VIII, 2-9 : Et dès la pointe du jour il retourna au temple, où tout le peuple s’amassa autour de lui, et s’étant assis, il commença de les instruire. Alors les Scribes et les Pharisiens amenèrent une femme qu’on avait surprise en adultère, et la firent tenir debout au milieu, et dirent à Jésus : Maître, cette femme vient d’être prise en adultère. Or Moyse nous a ordonné dans la loi de lapider les adultères. Quel est donc sur cela votre sentiment ? Ils disaient ceci en le tentant, afin d’avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus, se baissant, écrivait avec son doigt sur la terre. Et comme ils continuaient de l’interroger, il se releva et leur dit : Que celui d’entre vous qui est sans péché, lui jette la première pierre. Puis se baissant de nouveau, il continua d’écrire sur la terre. Mais pour eux, l’ayant entendu parler de la sorte, ils se retirèrent l’un après l’autre… — Cette scène avait été remise sous les yeux de Vigny par un article de J.-E. Delécluze paru dans le Lycée Français du 18 septembre 1819 (Troisième lettre au rédacteur… sur l’exposition des ouvrages de Peinture, Sculpture, Architecture et Gravure des artistes vivants) : Je suppose qu’on veuille peindre le sujet de la femme adultère : on consulte l’Écriture, et voici ce qu’on y trouve, etc. Il est très certain qu’autorisés par le teste de l’Évangile, quelques peintres de nos jours n’auraient pas manqué de placer Jésus-Christ dans le temple et de l’entourer de la foule du peuple. Cependant le Poussin qui connaissait si bien les ressources pratiques de son art, le Poussin qui a si admirablement traité ce sujet, n’a pas jugé à propos de se soumettre à tant d’exactitude. Il a établi le lieu de la scène suranné place publique de Jérusalem. Prés de Jésus-Christ, la femme adultère, plongée dans la plus profonde humiliation, est à genoux. L’Homme-Dieu, qui veut confondre la ruse de ceux qui cherchent à le trouver en faute, a tracé sur la poussière des mots que deux des accusateurs cherchent à comprendre, et il prononce alors ces belles paroles : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Tous les assistants se sentant repris par leur conscience, les uns confus, les autres menaçant encore, cherchent à s’évader. C’est le moment que le peintre a choisi…
  603. Au bas du dernier feuillet, dans M1 : 206 vers.
  604. La date manque dans M1, M2, P1.
  605. Le manuscrit donne ainsi le sommaire du poème auquel appartenait ce fragment : 1er chant, L’Enfant ; 2e chant. Les Vieillards ; 3e chant, Le Bain ; 4e chant. Le Jugement.
  606. Daniel, XIII, 7, 13, 17 : Sur le midi, lorsque le peuple s’en était allé, Suzanne entrait et se promenait dans le jardin de son mari… Il arriva que Suzanne entra dans le jardin, selon sa coutume, étant accompagnée de deux filles seulement, et qu’elle voulut se baigner, parce qu’il faisait chaud… Alors Suzanne dit à ses filles : Apportez-moi de l’huile de parfums, et des pommades, et fermez les portes du jardin, afin que je me baigne. — Les noms de Juda, de Ruben et de Gad sont ceux de trois des tribus d’Israël, et se trouvent souvent associés, les deux derniers du moins, dans l’Écriture : Voyez Exode, I, 1-4, et Nombres, Deutéronome, Josué, Rois, passim.
  607. Isaïe, III, 18-24 : En ce jour-là, le Seigneur leur ôtera [aux filles de Sion] leurs chaussures magnifiques, leurs croissants d’or, leurs colliers, leurs filets de perles, leurs bracelets, leurs colliers, leurs rubans de cheveux, leurs jarretières, leurs chaînes d’or, leurs boites de parfums, leurs pendants d’oreilles, leurs bagues, leurs pierreries qui leur pendent sur le front, leurs robes magnifiques, leurs écharpes, leurs beaux linges, leurs poinçons de diamant, leurs miroirs, leurs chemises de grand prix, leurs bandeaux et leurs habillements légers qu’elles portent en été… — Ézéchiel, XVI, 10-15 : Je vous ai donné des robes en broderie et une chaussure magnifique. Je vous ai ornée du lin le plus beau, et je vous ai revêtue des habillements les plus fins et les plus riches. Je vous ai parée des ornements les plus précieux, je vous ai mis des bracelets aux mains et un collier autour de votre cou. Je vous ai donné un ornement d’or pour vous mettre sur le front, et des pendants d’oreilles et une couronne éclatante sur votre tête. Vous avez été parée d’or et d’argent, et vêtue de fin lin et de robes en broderies de diverses couleurs. — Exode, XXVIII, 5, 56-37 (description des vêtements du grand-prêtre) : Ils y emploieront l’or, l’hyacinthe, la pourpre, l’écarlate deux fois teinte et le fin lin… Vous ferez aussi une lame d’un or très pur ; Vous l’attacherez sur la tiare avec un ruban de couleur d’hyacinthe. — Il est fréquemment question de l’or d’Ophir dans l’Écriture : voir Rois, III, ix, 28 ; x, 11 ; xxii, 49, etc.
  608. Var : P1, A-O, C3, Hyacinthe,
  609. Dom Calmet, Dissertation sur les habits des anciens Hébreux, dans la Bible de Vence, VIII, p. 666 : Les filles avaient des rubans ou des ceintures qui leur serraient le sein ou la poitrine… — p. 667 : Les plus précieux [manteaux] étaient d’écarlate, de pourpre ou de cramoisi. L’auteur de l’Ecclésiastique, voulant marquer l’extrémité des deux conditions du pauvre et du riche, dit : Depuis celui qui est vêtu de couleur d’hyacinthe (ou de bleu céleste), et qui porte la couronne, jusqu’à celui qui est couvert de lin cru. — p. 664 : La couleur ordinaire de la tunique était le blanc. Salomon dans l’Ecclésiasto conseille à celui qui veut vivre agréablement d’avoir toujours des habits bien propres et bien blancs… Ce prince, le plus magnifique des rois de Juda, paraissait ordinairement vêtu de blanc dans son chariot. Jésus-Christ dans l’Évangile dit que Salomon dans toute sa gloire n’approchait pas de la magnificence des lys, qui, comme ou sait, sont d’un blanc éclatant.
  610. Var : D, de son front
  611. La date manque dans M, P1, A, B.
  612. Eschyle, Les Euménides, vers 103-105 (trad. de La Porte du Theil).
  613. Var : P1, Cieux
  614. Var : P1, Clepsydre
  615. Var : M, 1er main, Mais lui d’un pied furtit, 2e main, Mais lui, furtif et (illisible ; corr. : lent).
  616. Var : M, 1er main, Descend du lit d’ivoire, inquiet et pensif ; 2e main, illisible ; 3e main, texte actuel.
  617. Var : M, Il va lent et soigneux ; 1er corr., d’un pied soigneux ; 2e corr., d’un pas prudent ; 3e corr., texte actuel.
  618. Var : M, P1, A, B, L’œil ouvert immobile en murmurant tout bas : C1-C3, L’œil ouvert, immobile, en murmurant tout bas :
  619. Var : M, 1er main, Où sont les bandelettes ? 2e main, texte actuel.
  620. Var : M, au haut de la page qui commence par ce vers, dans le coin gauche : Quoi — Les rimes des mots bandelettes, tètes, sont soulignées d’une encre plus récente ; à un moment donné elles n’ont plus paru suffisantes à Vigny.
  621. Var : M, 1er main, Au nom du saint hymen, 2e main, Écoute la pitié, 2e main, texte actuel.
  622. Var : M, 1er main, Vois (corr. : Oui) ton épouse (vers inachevé) 2e main, texte actuel.
  623. Var : M, 1er main, T’avons-nous épargné quelque offrande, ô Morphée. 2e main, P1, A-C2, Phœbé, pardonne-lui ; pardonne-lui, Morphée. C3, D, Phœbé, pardonnez-lui ; pardonne-lui, Morphée.
  624. Millevoye, Simèthe, ou le sacrifice magique (portrait d’Eudamippe et de Delphis) :
    Un duvet délicat ombrageait leur visage.
  625. Var : M, D’un blond duvet son teint à peine se colore (corr. : décore), P1, son front à peine se décore. — Au bas de la page qui se termine par ce vers, dans le coin gauche : Suite.
  626. Var : M, 1er main, Jamais la reine veuve 2e main, texte actuel.En note, au bas de tapage : ou : Non jamais Pénélope à la couche pudique… Homère parle de cette couche qu’aucun homme ne connaissait qu’Ulysse.
  627. Parisina, dans le poème de Byron, livre de même pendant son sommeil le nom de l’amant pour qui elle a trahi son époux.
  628. Var : M, P1, Ce n’est pas moi, ma mère,
  629. Var : M, P1, A-C, ô ta sainte colère
  630. La date manque dans M, P1. — À la dernière page du manuscrit, Vigny a fait soigneusement le décompte de sa pièce : 48 v[ers].
  631. Pour le cadre et le dessin général du morceau, voir Gessner, Idylles, traduction Huber : Lycas et Milon, et Amyntas.
  632. Les Euménides, v. 1-2, 22 (invocation de la Pythie), (trad. de La Porte du Theil).
  633. Gessner, Amyntas, note : Les Dryades étaient les divinités tutélaires des chênes : elles naissaient et mouraient avec l’arbre.
  634. Gessner, Lycas et Milon : Le jeune chanteur Milon, dont le menton délicat n"était encore garni que d’un duvet léger, répandu çà et là, comme Therbe naissante qui perce, à l’ouverture du printemps, à travers les dernières neiges ; le beau Lycas, portant ses cheveux ondoyants et blonds comme les épis aux approches de la moisson…
  635. Gessner, Lycas et Milon : Mais bientôt Pan m’apparut en songe. « Jeune homme, me dit-il, va dans la forêt chercher la flûte que le chanteur Hylas a suspendue au chêne qui m’est consacré… » — Idas, Micon : Si tu m’apprends cette chanson, je te ferai présent de cette flûte à neuf trous. Moi-même j’en ai taillé les roseaux, après les avoir choisis avec soin sur le rivage, et je les ai réunis avec de la cire odoriférante.
  636. Gessner, Chloé : Nymphes favorables qui habitez cette grotte paisible…, vous qui de vos urnes versez les eaux de cette claire fontaine lorsque vous n’êtes point occupées à danser dans les épaisses forêts avec les dieux des bois…, nymphes favorables, prêtez l’oreille à nos plaintes !… soyez favorables à mon amour !
  637. Gessner, Idas, Micon : Ô vous, branchages flexibles qui vous élevez en cintre sur ma tête, votre ombre m’inspire un saint transport… Et vous, chèvres et brebis, épargnez, ah ! épargnez le jeune lierre qui naît au pied de ce chêne : ne l’arrachez pas : qu’il monte le long de sa tige blanchâtre, et qu’il forme autour d’elle des guirlandes de verdure. Ô arbre, que jamais la foudre, que jamais les vents impétueux ne renversent ta cime élevée…
  638. Chateaubriand, Génie, 1er partie, livre V, ch. 1 : Dans ce moment même où il semble que tout est tranquille, la nature conçoit ; et ces plantes sont autant de jeunes mères tournées vers la région mystérieuse d’où leur doit venir la fécondité… Il faut des tempêtes pour marier au cèdre du Liban le cèdre du Sinaï… En mettant les sexes sur des individus différents dans plusieurs familles de plantes, la Providence a multiplié les mystères et les beautés de la nature.
  639. Var : D, nuds,
  640. Gessner, Tbyvsis : Sa robe légère, s’insinuant dans les contours gracieux de sa taille et de ses genoux, flottait derrière elle au gré des airs, avec un doux frémissement. — Ce passage a été imité également par André Chénier (Bucoliques, éd. Dinioff, p. 149) ; mais il est à remarquer que ces vers de Chénier ne figurent pas dans l’édition de 1819.
  641. Gessner, Daphnis et Chloé : Ma Chloé plaît à l’égal des premiers rayons du matin, lorsque le soleil se détache lentement du sommet des montagnes.
  642. Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. V, ch. 12, Deux perspectives de la nature : Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres… Une brise embaumée, que cette reine des nuits amenait de l’Orient avec elle, semblait la précéder… Le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres… La clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons.
  643. Var : P1, A-C2, en flots
  644. Voir André Chénier, Bacchus (éd. de 1819) :
    Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée, etc.
  645. Var : P1, Phrygiens :
  646. Gessner, Daphnis et Chloé : L’hirondelle est transportée de joie lorsque, réveillée du sommeil qui pendant l’hiver la tenait ensevelie dans un étang, elle ouvre les yeux aux charmes du printemps. Elle voltige sur les saules, elle chante aux collines et aux vallons le plaisir qu’elle ressent ; elle s’écrie : « Ô mes compagnes, réveillez-vous ! voici le printemps. »
  647. Var : D, nuds
  648. André Chénier (cité par Chateaubriand, Génie du Chr., 1802) :

    ........et les bergers, le soir,
    Quand, le regard baissé, je passe sans les voir.
    Doutent si je ne suis qu’une simple mortelle,
    Et, me suivant des yeux, disent : «Comme elle est belle ! »

  649. Var : P1, A, ô venez voir
  650. Gessner, Chloé : Ô quel long intervalle s’est écoulé depuis que j’ai vu Lycas pour la dernière fois dans l’automne ! Hélas ! il dormait couché dans le bocage. Qu’il était beau ! Comme les zéphyrs se jouaient dans les boucles de sa chevelure ! La clarté du soleil répandait sur lui les ombres flottantes des feuilles. Ah ! je le vois encore ! je vois les ombres des feuilles voltiger çà et là sur son beau visage ; je le vois sourire comme dans le songe le plus agréable… — La Cruche Cassée : On y voyait aussi gravé [sur la cruche d’un Faune] le beau Bacchus, assis sous un berceau de pampres. Une nymphe était couchée à son côté. Elle avait son bras gauche passé sous la tête du Dieu, et de sa main droite élevée, elle lui enlevait la coupe que redemandaient ses lèvres riantes. Elle le regardait d’un air languissant, qui semblait solliciter des baisers…
  651. Gessner, Thyrsis : Soudain j’entendis le bruit du verrou qui ferme la porte du jardin. Chloé en sortit. Qu’elle était belle ! Dans l’une de ses mains elle tenait une jolie corbeille remplie des plus beaux fruits ; de l’autre (la pudeur veille même lorsqu’elle ne soupçonne aucun témoin), de l’autre elle serrait sa robe contre ce sein naissant que le jeu des Zéphyrs s’efforçait de découvrir. — Le v. 107 rappelle ce vers de Millevoye (trad. des Bucoliques) :
    Et la molle châtaigne et le lait épaissi.
  652. Gessner, Daphnis, l. 1er : Il m’a semblé que pendant que tu chantais, le cyprès avait agité plus fortement son feuillage.
  653. Var : P1, A-C2, un doux frémissement
  654. Gessner, Chloé : Alors il sortit de la grotte un doux frémissement, semblable au murmure de l’écho lorsqu’il répète les sons d’une flûte éloignée.
  655. La date viatique dans P1.
  656. Le titre de la pièce est manifestement emprunté à une pièce de Millevoye, Simèthe ou le sacrifice magique, laquelle est elle-même une traduction de la IIe idylle de Théocrite, les Magiciennes. Simætha (Σιμαίθα), assistée de sa servante Thestylis, prépare le philtre qui doit lui ramener l’inconstant Delphis. La graphie Symétha, grécisation aventureuse du nom fourni par Millevoye, parait indiquer que Vigny n’a pas recouru au texte original.
  657. Var v. 1-2 : P1, Navire aux larges flancs de roses couronnés, | Aux Dieux d’ivoire, aux mâts de guirlandes ornés,
  658. Chateaubriand, Martyrs, IV : Nous vîmes tout à coup sortir une théorie du milieu de ces débris… C’était une députation des Athéniens aux fêtes de Délos. Le vaisseau déliaque, couvert de fleurs et de bandelettes, était orné des statues des dieux ; les voiles blanches, teintes de pourpre par les rayons de l’aurore, s’enflaient aux haleines des zéphyrs, et les rames dorées fendaient le cristal des mers… — et XVII : Cymodocée était assise sur la poupe ornée de fleurs, entre les statues d’ivoire de Castor et de Pollux.
  659. Var : P1, A, O qu’Éole.
  660. Gessner, La Navigation : Il fuit, le vaisseau qui porte Daphné sur des rives lointaines. Ah ! que du moins Zéphyr seul et les Amours volent autour d’elle ! — Horace, Odes, I, 3 (au vaisseau qui portait Virgile) :

    Sic te diva potens Cypri,
    Sic fratres Helenœ, lucida sidéra,
    Ventorumque regat pater,
    Obstrictis aliis, præter lapyga,
    Navis, quæ tibi creditum
    Debes Vergilium : finibus atticis
    Reddas incolumem, precor,
    Et serves animag dimidium meæ.

  661. Var : P1, Et de mes vœux ce vœu montera le dernier.
  662. André Chénier (cite par Chateaubriand, Génie du Christianisme, 1802) :
    Néère, ne va point te confier aux flots…
  663. Var : P1, A-C2, demi-dieux,
  664. Voir le passage des Martyrs cité ci-dessus, et la note : Grâce au Voyage d’Anacharsis, tout le monde sait aujourd’hui qu’une théorie veut dire une procession ou une pompe religieuse. — Le passage visé d’Anacharsis est le chapitre LXXVI, Délos et les Cyclades.
  665. Chénier, Néère (éd. de 1819) :

    Soit qu’aux bords de Pœstum, sous ta soigneuse main,
    Les roses deux fois l’an couronnent ton jardin…

  666. Comparer, dans Millevoye, le refrain de la romance d’Éginard ;
    Heure du soir est aurore d’amour.
  667. Var : P1, A-C2, les remords :
  668. Var : P1, C3, du Pyrée A, de Pyrée B, de Pirée
  669. Réminiscence (par opposition) de la Jeune Tarentine :

    Mais, seule sur la proue invoquant les étoiles,
    Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
    L’enveloppe : étonnée, et loin des matelots.
    Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.

  670. Chateaubriand, Martyrs, IV (suite du passage cité ci-dessus) : Des théores penchés sur les flots répandaient des parfums et des libations…
  671. La date manque dans P1.
  672. Boettiger, Sabine, ou la Matinée d’une dame romaine à sa toilette, à la fin du 1er siècle de l’ère chrétienne, trad. fr., Paris, 1813, p. 83 : Dès que Psecas a fini son service, se présente Cypassis. C’est une jolie négresse très adroite…
  673. Var : O, esclave
  674. Boettiger, p. 88 : Personne n’a à remplir un rôle plus pénible et plus désagréable que la pauvre Latris. C’est le nom de l’esclave qui doit présenter le miroir à Sabine, tantôt à droite, tantôt à gauche… Ces miroirs n’étaient point de verre comme les nôtres ; c’était une plaque de métal poli…
  675. Var : O, vierge
  676. Boettiger, p. 85 : Quand les cheveux ont été bien peignés, bien garnis de parfums, elle [Cypassis] tresse ceux du derrière de la tête et les rassemble tous sur le front en une espèce de bourrelet… C’est à Cypassis qu’est aussi confié l’écrin qui renferme toutes les épingles précieuses de Sabine parmi lesquelles il faut choisir aujourd’hui celle qui conviendrait le mieux… L’adroite Cypassis prit aussitôt une autre épingle également belle ; c’était l’ouvrage d’un orfèvre grec, représentant la déesse de l’Abondance, qui d’une main tenait une corne d’Archélaüs, et de l’autre caressait un dauphin. Sa tête était surmontée de deux cornes, symbole de la déesse Isis ou de la Lune… « Veux-tu que je mette dans tes cheveux l’épingle d’Isis ? » demanda Cypassis à sa maîtresse…
  677. Boettiger, p. 290 : Drocas présente la tunique, que Cypassis l’aide à passer à Sabine… L’étoffe en est en laine de Milet tissée avec du coton… — p. 284 : Accompagnons un moment la femme de chambre jusque dans le bâtiment qui forme l’aile gauche de la maison, où sont les esclaves qui tissent les étoffes, celles qui les brodent, et les couturières… — p. 297 : Les fileuses de Sabine étaient presque toutes des Grecques.
  678. Var : O, aux femmes
  679. Boettiger, p. 282 : À un signe, Cypassis s’approche avec un bassin d’argent. Elle venait de tremper dans du lait d’ânesse une petite éponge, qu’elle passe légèrement sur la main de sa maîtresse.
  680. Var : O, filles Latines
  681. Var : D, robe
  682. La date manque dans O.
  683. Il semble bien que le point de départ du poème se trouve dans une anecdote publiée par une revue légitimiste, la Foudre, dont un vieux camarade de Vigny, A. de Beauchamp, était le principal rédacteur. On lit dans le n° du 5 novembre 1821 l’entrefilet suivant : « Une Anglaise, se trouvant au lit de la mort, conjura son mari de lui pardonner une faute dont elle était coupable, et lui avoua qu’elle lui avait fait infidélité. « Soyez tranquille, ma chère, lui répondit son mari ; je vous pardonne de bon cœur, mais il faut qu’à votre tour vous usiez d’indulgence envers moi. Je vous avoue que m’étant aperçu de ce que vous venez de m’avouer, je vous ai empoisonnée, ce qui est la cause de votre mort. » Il est à remarquer que l’anecdote a été reproduite mot pour mot dans les Lettres Champenoises, tome XIII, 1823, p. 271.
  684. Var : O, P2, A, rayons
  685. Var : O, A l’air pur d’une nuit
  686. Var v. 6-8 : O, Une autre aurore ici dans l’ombre semble naître ; | Car la lune, de loin, unit son feu d’argent | Au feu qui, suspendu, veille rose et changeant ;
  687. Var v. 9-10 : P2, A substituent à ces deux vers les six vers suivants : Car sa flamme est auprès de celle de la terre | Ce qu’est l’amour céleste à l’amour adultère. | Comme un fleuve de lait lentement répandu, | Inondant le tapis dans la chambre étendu, | L’astre mystérieux présente à l’œil des pièges, | Il éclaire en montant le velours bleu des sièges,
  688. Var : O, où la sieste s’endort
  689. Var : O, P2, madone D, deux roses
  690. Var : O, F2, A, Ô jamais
  691. Var : O, P2, Ne peut voir
  692. Byron, Childe Harold, trad. Pichot, chant I, st. xlvi : Mais tous les habitants de Séville, croyant encore leur ruine éloignée, se livrent aux fêtes, aux chants joyeux… On n’entend point le son guerrier du clairon, mais la guitare des amants… La jeunesse avide de plaisirs fait ses expéditions nocturnes… — St. lv : Si vous l’aviez connue aux jours de la paix, vous auriez admiré ses yeux plus noirs que son voile, les accords mélodieux dont elle faisait retentir les bosquets de l’amour, les boucles pendantes d’une chevelure qui défiait l’art du peintre, sa taille aérienne et sa grâce divine… — St. lxvii : [À Cadix], depuis le matin jusqu’à la nuit, depuis la nuit jusqu’au moment où la timide aurore éclaire en rougissant les joyeux groupes de la gaieté, on entend la tendre romance… — St. lxviii : Le dimanche arrive. Comment sur ce rivage chrétien honore-t-on le jour destiné à un pieux repos ? On célèbre une fête solennelle ; j’entends mugir le roi des forêts… Ces furieux applaudissent à l’aspect des entrailles palpilantes ; la beauté n’a pas détourné les yeux ; elle n’a même pas feint d’être émue… — St. lxxi : Aussitôt que la cloche du matin a sonné neuf heures, tes dévots habitants comptent les grains de leur rosaire… Ils courent de là au cirque.
  693. Var : O, Torréador. P2, A-C3, Toréador.
  694. Var v. 25-34 : Au lieu de ces dix vers, O, P2 donnent les deux vers ci-après, qui font corps avec le paragraphe suivant : Laissant ses cheveux noirs flotter sur son épaule, | Comme ce long manteau qui tombe autour du saule, | Dolorida, etc.
  695. Byron, Childe Harold, I, st. lxxx : Quoiqu’une armée nombreuse se soit réunie contre l’usurpateur, il reste encore assez d’Espagnols loin des camps pour aiguiser en secret le poignard qui doit punir par le trépas la plus légère offense. Mais le règne de la jalousie est fini…
  696. Berlin, Élégies, I, 8 (portrait d’Eucharis jouant de la harpe) :

    Et le voile incertain des cordes transparentes,
    Même en les dérobant, embellit ses appas.

  697. Var v. 35-58 : B-C3 suppriment totalement ces quatre vers et les remplacent par les vers 55-58 du texte définitif : Pourquoi Dolorida, etc.
  698. Var : O, la nuit
  699. Le Brun, Élégies, IV, 4 :

    La lumière veillait : elle offrait à ma vue
    En dépit des rideaux importuns et jaloux
    Ta, vermeille beauté mollement étendue
    Sous un lin qui voilait les charmes les plus doux.
    Je n’osais soulever l’importune barrière…

  700. Var : P2, A, L’Amour
  701. Var : D, nuds
  702. André Chénier (éd. de 1819) :

    Peut-être avant que l’heure en cercle promenée
    Ait posé sur l’émail brillant,
    Dans les soixante pas où sa course est bornée,
    Son pied sonore et vigilant…

    — Millevoye, La demeure abandonnée :

    L’aiguille qui du temps, dans ses douze demeures
    Ne marque plus les pas…

  703. Var : P2, A-C3 le compas
  704. Var : B-C3, que toujours elle attend ?
  705. Byron (Mazeppa, XII), peint le cheval qui emporte son héros « aussi furieux qu’un enfant gâté dont on contrecarre le caprice, ou bien, — plus terrible encore, — qu’une femme en colère qui n’en veut faire qu’à sa tête. » — Giaour, trad. Pichot : Telle on voit, dans les vertes prairies de Cachemire, la reine des papillons de l’Orient qu’un enfant poursuit sans pouvoir l’atteindre : chaque fois qu’elle se pose sur une fleur, il croit enfin la saisir, son cœur palpite, il approche une main tremblante : l’insecte aux ailes d’azur s’échappe encore, et laisse le jeune chasseur haletant et l’œil humide de larmes. C’est ainsi que brillante et volage comme le papillon, la beauté se joue des désirs de l’enfant devenu homme.
  706. Var v. 55-58 : Ces quatre vers manquent totalement dans O, P2, A ; ils sont supprimés à cette place dans B-C3, en raison de leur substitution aux vers 35-38.
  707. Var v. 61-62 : O, Chaque son a longtemps retenti dans ce vide. | Et la lampe luttait, et sa flamme livide
  708. Var : O, Malheureuse ! à ses yeux
  709. Var : D, dans mon sang
  710. Var : P2, Hélas ! avec la mort es-tu d’intelligence ?
  711. Var v. 111-112 : O, entre parenthèses.
  712. Var v. 117-118 : O, Nul sourire enchanté ne me cachait tes larmes, | Et sur un autre cœur mon cœur rêvait tes charmes,
  713. Millevoye, Les regrets d’un infidèle :

    Oui, c’en est fait, Isore, un sentiment vainqueur
    Triomphe du nœud qui nous lie !
    Pauvre Isore, j’ai vu Délie :
    Délie a tous mes vœux, Délie a tout mon cœur.
    Et tandis que la nuit obscure
    Protège, loin de toi, nos muets entretiens.
    Tandis que ma bouche parjure
    Appelle des baisers qui ne sont plus les tiens.
    Aux tremblantes lueurs d’une lampe affaiblie
    Tu relis le dernier serment
    De l’infidèle qui t’oublie ;
    Tu songes à l’amour et tu n’as plus d’amant !
    Je suis déjà puni. Ta rivale a des charmes…
    Eh bien ! ton souvenir est encor plus puissant.
    Je te pleure eu te trahissant ;
    La légère inconstance a donc aussi des larmes !

  714. Var : O, qui vivent
  715. Var v. 149-150 : O, Oh ! parle, hâte-toi, pleure sur ton veuvage, Pleure moi !…
  716. La date manque dans O, P2.
  717. Schiller, La Fiancée de Messine, (cité par Madame de Staël, De l’Allemagne, IIe partie, ch. XIX) : Le Chœur : De tout côté le malheur parcourt les villes. Il erre en silence autour des habitations des hommes : aujourd’hui c’est à celle-ci qu’il frappe, demain c’est à celle-là ; aucune n’est épargnée. Le messager douloureux et funeste tôt ou tard passera le seuil de la porte où demeure un vivant. Quand les feuilles tombent dans la saison prescrite, quand les vieillards affaiblis descendent dans le tombeau, la nature obéit en paix à ses antiques lois, l’homme n’en est point effrayé : mais sur cette terre, c’est le malheur imprévu qu’il faut craindre. Le meurtre, d’une main violente, brise les liens les plus sacrés, et la mort vient enlever dans la barque du Styx le jeune homme florissant. Quand les nuages amoncelés couvrent le ciel de deuil, quand le tonnerre retentit dans les abîmes, tous les cœurs sentent la force redoutable de la destinée ; mais la foudre peut partir des hauteurs sans nuages, et le malheur s’approche comme an ennemi rusé, au milieu des jours de fête.
  718. Var : C2, malheur
  719. Var : D, Parmi les fronts
  720. Var : D met une virgule à la fin du vers.
  721. Var : à la fin du vers, P1, virgule.
  722. Var : à la fin du vers, P1, D, point et virgule.
  723. Millevoye, Les plaisirs du poète :
    Et le cri de la gloire en sursaut te réveille.
  724. Var : P1, malheur
  725. Var : P1, ô quel jour
  726. La date manque dans P1.
  727. Extrait du journal de Dujunca, lieutenant du roi à la Bastille, donné dans les Mémoires du Maréchal duc de Richelieu, 1790, t. III, p. 105 : « Du lundi 19 novembre 1703. Le prisonnier inconnu, toujours masqué d’un masque de velours noir, que M. de Saint-Mars avait amené avec lui, venant de l’île Sainte-Marguerite, qu’il gardait depuis longtemps, s’étant trouvé hier un peu plus mal, en sortant de la messe, il est mort aujourd’hui, sur les dix heures du soir, sans avoir eu une grande maladie, il ne se peut pas moins. M. Guiraut, notre aumônier, le confessa hier ; surpris de la mort, il n’a pu recevoir ses sacrements, et notre aumônier l’a exhorté un moment avant que de mourir. »
  728. C’est là que le grand bruit qu’ont fait les impies s’est enfin terminé… C’est là que ceux qui étaient autrefois enchaînés ensemble ne souffrent plus aucun mal, et qu’ils n’entendent plus la voix de ceux qui exigeaient d’eux des travaux insupportables (vocem exactoris) (Job, trad. de Sacy, III,17-18).
  729. Var : P1, Ô ne vous jouez plus.
  730. Var : M, Quoi ! pourrais-je jamais ici me reconnaître ? P1, Passager dans ces lieux, comment les reconnaître ?
  731. Var : M, Ces mots et d’autres cris demeurent (corr. : se taisent) sans réponse.
  732. Var : M, P1, Tantôt craque
  733. Var : M, P1, D’un escalier rapide on avertit ses pas :
  734. Var : M, P1, D’un mur qui le conduit tâte l’obstacle humide.
  735. Var : (M ?), P1, A-C2, le bruit des pieds — Pour ce vers comme pour quelques autres qu’on trouvera plus loin, il ne m’a pas été signalé de variante manuscrite. J’ai peine à croire cependant que Vigny ait écrit du premier coup la version définitive, puis l’ait modifiée, — parfois peu heureusement, — dans le texte de l’édition originale, pour y revenir sept ans, ou même, dans un cas, trente ans après. J’exprime ce doute en faisant suivre d’un point d’interrogation le sigle M placé entre parenthèses.
  736. Var : (M ?), P1, Sous de bruyantes clés une porte s’ouvrir ;
  737. Var : M, P1, Il descend quelques pas
  738. Var : M, Les sombres conducteurs à sa vue incertaine (corr. : le lui firent entendre) | Expliquaient (biffé).
  739. Var : P1, Mon Prince
  740. Var : M, commença (corr. : se mit à.) son devoir.
  741. Var : M, Ces discours (corr. : Ceux qui)
  742. Var : M, Jamais je n’entendis (corr. : ne connus)
  743. Var : M, Ni (corr. : Et)
  744. Var : M, 1er main, Ni les mots familiers (l’idée n’a pas été suivie) ; 2e main, N’ont jamais pénétré (corr. : résonné)
  745. Var : M, arrivait (corr. : m’arriva)
  746. Var : (M ?), P1, Dites, pourquoi déjà n’êtes-vous pas venu ? — À la suite de ce vers, M et P1 intercalent les huit vers suivants, qui complètent la tirade du prisonnier :

    Vous m’appelez mon fils ? Si vous étiez mon père,
    Vos pas seraient tardifs en ces lieux. Et ma mère,
    Ne viendra-t-elle pas me regarder mourir ?
    Aujourd’hui que leur fils va cesser de souffrir.
    Qu’ils viennent tous les deux voir ma reconnaissance.
    Mais ne les a-t-on pas punis de ma naissance ?
    Ils ont dû l’expier, car devant votre loi,
    Si je suis criminel, ils le sont plus que moi.

  747. Var : M, Il n’est plus de cachots (corr. : Vous n’aurez plus de fers) dans l’azyle des morts :
  748. Pierre Lebrun, Marie Stuart, 1820, V, 3 (scène de la confession) :

    Pourquoi ces pleurs et ces gémissements ?
    Pourquoi me plaignez-vous lorsque la délivrance
    Vient mettre enfin un terme à ma longue souffrance ?
    Soyez plutôt joyeux de voir briser mes fers :
    La prison disparaît et les cieux sont ouverts…
    La bienfaisante mort, du doux pardon suivie,
    Répare en un moment les fautes de ma vie :
    L’être faible, abattu sous le fardeau du sort,
    Est à son dernier jour relevé par la mort.

  749. Var : P1, A-C3, Il est un Dieu !
  750. Chateaubriand, Atala : Le vieillard me releva avec bénignité, et je m’aperçus alors qu’il avait les deux mains mutilées. Atala comprit sur-le-champ ses malheurs. « Les barbares ! » s’écria-t-elle. « Ma fille, reprit le père [Aubry] avec un doux sourire, qu’est-ce que cela auprès de ce qu’a enduré mon divin Maître ? » — et plus loin : « La voilà donc [dit Chactas], cette religion que vous m’avez tant vantée ! Périsse le serment qui m’enlève Atala ! Périsse le Dieu qui contrarie la nature ! Homme prêtre, qu’es-tu venu faire dans ces forêts ? — Te sauver, dit le vieillard d’une voix terrible, dompter tes passions et t’empêcher, blasphémateur, d’attirer sur toi la colère céleste ! Il te sied bien, jeune homme à peine entré dans la vie, de te plaindre de tes douleurs !… Quand tu auras comme le père Aubry, passé trente années exilé sur les montagnes, tu seras moins prompt à juger des desseins de la Providence ; tu comprendras alors que tu ne sais rien, que tu n’es rien, et qu’il n’y a point de châtiments si rigoureux, point de maux si terribles, que la chair corrompue ne mérite de souffrir… Mon fils, le ciel, le ciel, voilà ce qu’il ne faut jamais accuser !… Ne nous lassons point d’espérer. Chactas, c’est une religion bien divine que celle-là qui a fait une vertu de l’espérance ! »
  751. Var : M, 1er main, Homme ingrat, c’est pour vous (inachevé) 2e main, Ne soyons pas ingrats, ô mon fils, c’est pour nous 3e main, texte actuel.
  752. Var : M, 1er main, Et de plaindre nos maux nous croyons avoir lieu ? 2e main, Et nous ne quittons pas le bonheur sans adieu ; 3e main, texte actuel.
  753. Var : P1, A-C3, roi. Le Sauveur
  754. Var : M, Mon cœur s’est enfermé (corr. : J’ai resserré mon sein).
  755. Var : (M, ?) P1, Ont usé, dans les pleurs,
  756. Walter Scott, Le Lai du dernier ménestrel, trad. Defauconpret, ch. II, 5 (c’est un vieux moine qui parle) : Ma poitrine est entourée d’une ceinture de fer, mon corps est couvert d’un cilice armé de pointes aiguës. J’ai passé soixante ans dans la pénitence, mes genoux ont usé les pierres de ma cellule, et c’est encore trop peu pour obtenir le pardon d’avoir connu ce qui ne devait jamais l’être.
  757. Var v. 79-80 : M, P1, Au creuset douloureux (M, 1er main, du malheur) tout notre être épuré | S’envole en bienheureux vers le séjour sacré.
  758. Pierre Lebrun, Marie Stuart, V, 3 :

    Marie, autrefois reine et maintenant martyre,
    Lorsque le roi des cieux du monde vous retire.
    Allez vers lui sans peur : l’or pur est éprouvé ;
    De la paix du Seigneur l’instant est arrivé.
    Coupable seulement des erreurs d’une femme,
    Vos fautes dans le ciel ne suivront pas votre âme ;
    Et quiconque vers Dieu s’élève avec amour
    N’emporte rien du monde au céleste séjour.

    (Comparer surtout avec le texte du manuscrit et de la 1er édition.)

  759. Var : M, 1er main, Le temps presse, ô mon fils, par vos douleurs passées 2e main, texte actuel.
  760. Var : M, 1er main, Montrez-moi par des pleurs vos fautes effacées ; M, 2e main, P1, Par des larmes montrez vos fautes effacées ;
  761. Var : P1, A-C3, Croix
  762. Var : M, P1, Souhaitez comme moi
  763. Var : M, Sur le front du vieillard (corr. : vieux moine)
  764. Var : M, 1er main, L’enflamma d’une ardeur qui semblait étrangère 2e main, Fit paraître (corr. : renaître) une ardeur à son âge étrangère
  765. Var : M, P1, Ses yeux gonflés (M, 1er main, rougis) de pleurs, fixés avidement
  766. Var : M, Un front défiguré (corr. : décoloré)
  767. Var : M, 1er main, C’est un spectre immobile échappé de l’enfer, 2e main, Un fantôme immobile à ses yeux s’est offert
  768. Var : M, Autrefois (corr. : Une fois) D, on se parlait
  769. Mémoires du Maréchal duc de Richelieu, tome III, Relation de la naissance et de l’éducation du Prince infortuné, soustrait par les cardinaux de Richelieu et Mazarin à la société, et renfermé par l’ordre de Louis XIV ; composée par le gouverneur de ce Prince au lit de mort. D’après cette relation, le Masque de Fer aurait été un frère jumeau de Louis XIV ; il serait né le second ; on ne l’en aurait pas moins fait disparaître, pour éviter toute contestation. « Sa majesté me parut craindre que si jamais la naissance de cet enfant était connue du vivant de son frère le jeune Roy, quelques mécontents n’en prissent raison pour se révolter, parce que plusieurs médecins prétendent que le dernier-né de deux enfants jumeaux est le premier conçu, et par conséquent qu’il est roi de droit, tandis que ce sentiment n’est pas reconnu par d’autres de cet état. » (p. 81.)
  770. Var : M, (Qu’elle prenait la Vierge (sainte biffé) et son fils P1, fils
  771. Var : M, P1, Que le Masque de fer n’avait point fait de crime,
  772. Var : P1, A-C3, roi.
  773. Var : M, 1er main, Que de grâces c’était le plus parfait mélange, 2e main, P1, Que de vertus c’était un céleste mélange,
  774. Var : M, P1, A, « Cet homme de l’enfer était une imposture ;
  775. Var : M, 1er main, La mort avait suivi 2e main, texte actuel.
  776. Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. xxv : Un jour, le prisonnier écrivit avec un couteau sur une assiette d’argent et jeta l’assiette par la fenêtre vers un bateau qui était au rivage, presque au pied de la tour. Un pêcheur, à qui ce bateau appartenait, ramassa l’assiette et la rapporta au gouverneur. Celui-ci étonné demanda au pêcheur : « Avez-vous lu ce qui est écrit sur cette assiette, et quelqu’un l’a-t-il vue entre vos mains ? — Je ne sais pas lire, répondit le pécheur. Je viens de la trouver, personne ne l’a vue. » Ce paysan fut retenu jusqu’à ce que le gouverneur fût bien informé qu’il n’avait jamais lu, et que l’assiette n’avait été vue de personne. « Allez, lui dit-il, vous êtes bien heureux de ne pas savoir lire ». — Mémoires de Richelieu, t. III, p. 98 (extrait du Voyage de Provence de l’abbé Papon, Paris, 1780, p. 247) : Je trouvai dans la citadelle un officier de la compagnie franche, âgé de 79 ans ; il me dit que son père, qui servait dans la même compagnie, lui avait plusieurs fois raconté qu’un frater aperçut un jour sous la fenêtre du prisonnier quelque chose de blanc qui flottait sur l’eau ; il l’alla prendre et l’apporta à M. de Saint-Mars ; c’était une chemise très fine, pliée avec assez de négligence, et sur laquelle le prisonnier avait écrit d’un bout à l’autre. M. de Saint-Mars, après l’avoir dépliée, et avoir lu quelques lignes, demanda au frater, d’un air fort embarrassé, s’il n’avait pas eu la curiosité de lire le contenu. Celui-ci lui protesta plusieurs fois qu’il n’avait rien lu ; mais deux jours après, il fut trouvé mort dans son lit.
  777. Var : M, 1er main, Mais cet étroit cachot, cet appareil funèbre, 2e main, texte actuel.
  778. Var : M, 1er main, Qui répandus 2e main, texte actuel.
  779. Var : M, (O biffé) Vieillard, à mon aspect (corr. : vous abaissez) votre front interdit,
  780. Var : (M, ?) P1, L’aspect de mon malheur fait taire vos paroles.
  781. Var : M, Quand vous autres vivants faisiez des attentats, P1, Quand les vivants au jour montraient des attentats,
  782. Var : M, P1, Mon enfance au cachot ne les soupçonnait pas.
  783. Var v. 153-154 : (M, ?) P1, J’ai tenté d’en avoir, et long-temps mes journées | Ont tracé
  784. Byron, Le Prisonnier de Chillon, II (trad. Pichot) : Combien d’années dura ma captivité ? Hélas ! j’en perdis le compte au moment où je vis le dernier de mes frères s’affaiblir et expirer près de moi… — IX : Que s’est-il passé depuis ce moment ? je ne le sais point, et je ne l’ai jamais su. Je devins d’abord étranger à tout ce qui m’entourait, à l’air, à la lumière et même à l’obscurité. Je n’avais aucune pensée ; mon âme ne conservait aucun sentiment… Autour de moi tout était pâle et confus. Ce n’était pas la nuit, ce n’était pas le jour, ce n’était pas même la clarté du donjon, si odieuse à mes yeux fatigués ; c’était un vide absorbant l’espace, un chaos vague, où il n’y avait ni étoiles, ni terre, ni temps, ni lois, ni changements, ni bien, ni mal, mais le silence et une respiration sans mouvement, qui n’était ni la vie, ni la mort, une mer immobile et silencieuse, un abîme obscur et sans bornes. — XIII : Les mois, les jours, les années s’écoulèrent, mais je n’en tins pas compte.
  785. Var v. 159-160 : P1, Que m’importaient des temps où je ne comptais pas | L’heure que j’invoquais : c’est l’heure du trépas. Cette ponctuation inintelligible est rectifiée dans le texte donné par les Tablettes Romantiques.
  786. Var : M, Qu’en mon âme sans but la jeunesse avait mis.
  787. Var : M, Par les gémissemens,
  788. Var : M, par (corr. : de) mes longs hurlemens ;
  789. Byron, Le Prisonnier de Chillon, XII : Je creusai des échelons dans le mur. Ce n’était pas pour m’échapper de ma prison… Seulement j’étais curieux de monter aux barreaux de ma fenêtre, et de reposer encore une fois ma vue sur ces montagnes que j’avais tant aimées.
  790. Entre 176 et 177, dans P1, A, ni filet ni interligne.
  791. Var : M, des routes trop (corr. : bien) connues ;
  792. Var : M, s’approcha (corr. : se pencha) pour lui dire
  793. Var : P1, A-C3, Cieux.
  794. Var : P1, A, en note : Job, chap. XIV, v. 1.
  795. Var : M, Ne vit que peu de temps abreuvé de (corr. : et c’est dans les) douleurs.
  796. Var : M, J’ai vécu (corr. : passé)
  797. Var : M, 1er main, Par ses paroles saintes 2e main, texte actuel.
  798. Var : M, Remplis biffé, remplacé par : Mêlant les
  799. Pierre Lebrun, Marie Stuart (1820), III, 1. (Dans cette scène, qui suit d’assez prés le texte de Schiller, Marie, échappée pour un moment de sa prison, explique à sa suivante les impressions qui l’agitent) :

    Ah ! laisse-moi jouir
    D’un bonheur que je crains de voir s’évanouir.
    Laisse mes libres pas errer à l’aventure.
    Je voudrais m’emparer de toute la nature.
    Combien le jour est pur ! Que le ciel est serein !
    Ne sommeillé-je pas ? N’est-ce qu’un songe vain ?
    À mon cachot obscur suis-je en effet ravie ?
    Suis-je de mon tombeau remontée à la vie ?
    Ah ! d’un air libre et pur laisse-moi m’enivrer…
    Et si ce n’est qu’un songe, ah ! laisse-moi du moins.

    Soulevant un moment ma chaîne douloureuse,
    Rêver que je suis libre et que je suis heureuse.
    Ne respiré-je pas sous la voûte des cieux ?
    Un espace sans borne est ouvert à mes yeux.
    Vois-tu cet horizon qui se prolonge immense ?
    C’est là qu’est mon pays ; là l’Écosse commence.
    Ces nuages errants qui traversent le ciel,
    Peut-être hier ont vu mon palais paternel.
    Ils descendent du Nord, ils volent vers la France.
    Oh ! saluez le lieu de mon heureuse enfance…

    Vigny connaissait bien ce passage, dont les quatre derniers vers lui ont fourni le thème d’une page de Cinq Mars (ch. XXIII, L’absence, début).

  800. Var : M, 1er main, Ouvrez-moi : je respire. 2e main, Vous m’ouvrez ? je respire. 3e main, À la fin je respire. 4e main, Mais enfin je respire.
  801. Var : P1, A-C2, ô que la mer
  802. Byron, Le Prisonnier de Chillon, XIII : Je les revis [les montagnes] ; elles étaient toujours les mêmes… J’aperçus dans le lointain les murailles blanches de la ville, et les voiles plus blanches encore qui dirigeaient le cours des bateaux voguant sur le lac… Alors de nouveaux pleurs coulèrent de mes yeux, je laissai retomber ma tête sur ma poitrine, et j’aurais voulu n’avoir jamais abandonné mes chaînes.
  803. Racine, Phèdre, scène de la folie (I, 3) :

    Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
    Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
    Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ?

    — Pierre Lebrun, Marie Stuart, III, 1 :

    … Entends-tu ces sons et ces lointaines voix
    Dont la chasse bruyante a rempli tous les bois ?
    Anna, les entends-tu ? Que ne puis-je sans guide
    M’élancer tout à coup sur un coursier rapide !
    Que ne suis-je emportée à travers les forêts !

  804. Var : M, P1, les pieds
  805. Var : M, P1, Les mâts baissent leurs bras, les voiles s’y reposent.
  806. Var : P1, Ô pourquoi.
  807. Var : P1, Masque de fer.
  808. Var v. 229-230 : M, P1, Non, j’ai vu les beautés de sa démarche, et celles | Qui venaient de ses yeux en douces (P1 remplace douces par vives) étincelles.
  809. Var v. 231-233 : M, P1, Soldats, que voulez-vous ? Encor ce masque froid ? | Que vous ai-je donc fait ? Le soleil est à moi, | Il ranime ma vie. — A, et ma part du soleil ;
  810. Var : P1, A, Ô voyez-la !
  811. Var : M, P1, Je puis mener nos jours de montagne en montagne,
  812. Chateaubriand, Martyrs, X (épisode de Velléda) : Tu croyais peut-être que dans mes songes de félicité, je désirais des trésors, des palais, des pompes ? Hélas ! mes vœux étaient plus modestes, et ils n’ont point été exaucés ! Je n’ai jamais aperçu au coin d’un bois la hutte roulante d’un berger sans songer qu’elle me suffirait avec toi… Nous promènerions aujourd’hui notre cabane de solitude en solitude, et notre demeure ne tiendrait pas plus à la terre que notre vie. — Atala : Qu’une hutte avec Atala sur ces bords eût rendu ma vie heureuse !… là avec une épouse, inconnu des hommes, cachant mon bonheur au fond des forêts, j’aurais passé comme ces fleuves qui n’ont pas même un nom dans le désert.
  813. Var : M, P1, A, J’inventerai des jours où je vous cacherai :
  814. Var : M, Même au fond de mon cœur (corr. : Ah ! laissez-moi le ciel)
  815. Var : M, P1, je suis ravi de joie.
  816. Var : P1, Les verrous
  817. Var v. 249-250 : M, P1, Que me veut donc cet homme avec sa robe sombre ? | De quelque prisonnier sans doute que c’est l’ombre ?
  818. Var : M, P1, Ô moi !
  819. Var : M, un mot de notre foi,
  820. Chateaubriand, Atala : Le solitaire, se levant d’un air inspiré et étendant les bras vers la voûte de la grotte : « Il est temps, s’écria-t-il, il est temps d’appeler Dieu ici ! » À peine a-t-il prononcé ces mots qu’une force surnaturelle me contraint de tomber à genoux, et m’incline la tête au pied du lit d’Atala. Le prêtre ouvre un lieu secret où était enfermée une urne d’or couverte d’un voile de soie ; il se prosterne, et adore profondément… Le prêtre ouvrit le calice ; il prit entre ses deux doigts une hostie blanche comme la neige et s’approcha d’Atala en prononçant des mots mystérieux… Ses lèvres s’entr’ouvrirent, et vinrent avec respect chercher le Dieu caché sous le pain mystique.
  821. Var : P1, A, en note : Pseaume xxxvii, v. 1.
  822. Psaumes, XXXVII, 1 : Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me punissez pas dans votre colère.
  823. Psaumes, XXVII, 3 : Ne m’entraînez pas avec les pécheurs, et ne me perdez pas avec ceux qui commettent l’iniquité.
  824. Var : P1, A, en note : Pseaume xxvii, v. 5 (sic).
  825. Psaumes, XXXVI, 32 : Le pécheur observe et considère le juste, et il cherche à le tuer.
  826. Var : P1, A, en note : Pseaume xxxvi, v. 32.
  827. Job., XXX, 13 : Ils ont rompu tous les chemins par où je marchais, ils m’ont tendu des pièges.
  828. Psaumes, LIV, 4 : … ils m’ont imposé des crimes et ils me maltraitent dans leur colère.
  829. Psaumes, CXXIX, 1 : Seigneur du profond abîme où je suis, je m’écrie vers vous.
  830. Var : P1, A, en note : De Profundis.
  831. Psaumes, LVIII, 3 : Arrachez-moi du milieu de ces ouvriers d’iniquité… — CXXXIX. 1 : Délivrez-moi, Seigneur, de l’homme méchant.
  832. Var : M, P1, A, dans ces voûtes
  833. Var : P1, le linceuil (Le texte des Tablettes Romantiques donne : linceul).
  834. La date manque dans P1, — M, Du 1er au 8 avril 1821.
  835. La vraye et entière histoire des trovbles et gverres civiles avenuës de notre temps pour le faict de la religion tant en France, Allemaigne que pays-bas, recueillie de plusieurs discours Français et Latins et réduite en dixneuf livres, par I. Le Frère, de Laval ; de nouveau reveuë, corrigée et augmentée en plusieurs endroits par le mesme autheur. Seconde édition. Paris, 1574, in-8o. — Le passage qui sert d’épigraphe au poème se trouve au livre XIX, f° 519 v°. La suite ne fournit sur la Saint-Barthélémy, dont le récit est très succinctement traité, aucun détail qui ait passé dans la pièce d’A. de Vigny. La première édition ne contenait que 18 livres ; une troisième (Paris, 1584), qui en comprend 38, donne un tableau beaucoup plus complet du massacre ; mais on n’y retrouve plus la phrase citée par Vigny. Quelques pages du livre XX semblent pourtant contenir toute la substance historique qui, plus ou moins accommodée, a passé dans l’œuvre du poète : De Leyran, sujet au Roy de Navarre, eschappé d’un nombre de coups qui lui faisoient rendre le sang de tous costez, gagne la chambre de la Roine de Navarre, qu’il vit ouverte fort à propos : où il trouva son salut dans la douceur des dames. Le baron du Pont, en Bretagne, surnommé de Soubize pour l’alliance prise avec Damoiselle Catherine de Parthenay, seule héritière de Soubize, avoit jà esté renversé corps sans âme par un autre corps de garde, comme il vouloit aller trouver l’Amiral (p. 558). — Entre les Seigneurs François qui furent remarquez avoir garanti la vie à plus de confederez, les Ducs de Guyse, d’Aumale, Biron, Bellieure, et Walsingham, ambassadeur anglais, les obligèrent plus ; le Roy mesme sauva la vie à plusieurs autres, qui l’asseurèrent d’aller à la Messe et quitter leur religion (p. 559). — S’il n’a pas puisé ces détails dans l’ouvrage de Jean Le Frère, Vigny a pu tout aussi bien les glaner dans les Mémoires du temps (Lestoile, Brantôme, Marguerite de Valois), à moins qu’il ne les ait trouvés réunis dans l’Histoire de la Saint-Barthélemy de J.-V. Audin, Paris, 1826, notamment p. 264 et 268. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas eu en 1572 de gentilhomme qui, de son chef, fût duc de Soubise ni qui se soit converti au catholicisme in extremis ; que Catherine de Parthenay, qui avait hérité de son père la seigneurie de Soubise, était une fervente calviniste, qui devint par un second mariage avec René de Rohan, la mère des deux chefs du parti protestant sous Louis XIII. Henri de Rohan et Benjamin de Soubise.
  836. Var : A-C2, Jusqu’au pavé
  837. Var : A-C3, le pain et le vin.
  838. Saint Paul, Ephès., II, 19-22 : Vous n’êtes donc plus des étrangers qui sont hors de leur pays et de leur maison ; mais vous êtes citoyens de la même cité que les saints, et domestiques de la maison de Dieu, puisque vous êtes édifiés sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, et unis en Jésus-Christ qui est lui-même la principale pierre de l’angle, sur lequel tout l’édifice étant posé s’élève et s’accroît dans ses proportions et sa symétrie, pour être un saint temple consacré au Seigneur ; et vous-mêmes aussi, ô Gentils, vous entrez dans la structure de cet édifice, pour devenir la maison de Dieu par le Saint Esprit.
  839. La légende que Vigny raconte ici après beaucoup d’autres, notamment après Millevoye, auteur, en 1808, d’un poème d’Emma et Éginard, a pour point de départ une tradition recueillie, vers la fin du xiie siècle, dans le Cartulaire de l’abbaye de Lorsch. On en trouvera le texte intégral dans les Monumenta Germaniæ historica de Pertz, Scriptoruni, tomus XXI, Hannoverae, 1868, p. 357-359, ou dans les Œuvres complètes d’Éginhard, éd. Teulet, Paris, 1840-1843, tome 11, p. xxiv et 61. Je donne ci-dessous quelques extraits du récit abrégé qui, inséré dans le Dictionnaire de Bayle, art. Éginhart, puis dans le Spectateur, ou le Socrate moderne, trad. de l’anglais, 51e discours, 1716, popularisa cette anecdote, destinée à devenir, entre 1770 et 1825, grâce à la vogue du genre troubadour, un des thèmes favoris de la poésie française.

    « Éginhart, chapelain et secrétaire de Charlemagne… était aimé de tout le monde. Il le fut même ardemment d’Imma, fille de cet empereur, et il conçut aussi pour elle beaucoup de passion… Il se glissa de nuit à l’appartement de la Princesse… Il se voulait retirer avant la pointe du jour ; mais il s’aperçut que pendant qu’il s’était bien diverti avec Imma, il était tombé beaucoup de neige. Il craignit donc que la trace de ses pas ne le fit découvrir, et il s’entretint de son inquiétude avec la Princesse… Elle s’offrit de charger sur ses épaules son amant, et de le porter jusques au-delà de la neige. L’empereur avait passé cette nuit-là sans dormir… Il se leva de grand matin, et regardant par la fenêtre, il vit sa fille qui avait de la peine à marcher sous le fardeau qu’elle portait, et qui, après s’en être défaite, se retirait au plus vite. Il fut ému et d’admiration et de douleur… » Charlemagne assemble son conseil, et lui soumet le cas. « Les avis furent partagés : plusieurs conseillers opinèrent à une rude punition ; les autres, ayant bien pesé la chose, conseillèrent à l’empereur de la décider lui-même. Voici quelle fut sa décision. Il déclara qu’en châtiant Éginhart, il augmenterait plutôt la honte de sa famille qu’il ne la diminuerait, et qu’ainsi il aimait mieux couvrir cette ignominie sous le voile du mariage… On fit entrer le galant… Je vous donnerai ma fille, lui dit Charlemagne, cette porteuse qui vous chargea si bénignement sur son dos. Tout à l’heure on fit venir la Princesse, et on la mit entre les mains d’Éginhart, aussi bien dotée que le pouvait être la fille d’un si grand prince n. Vigny a pu lire ce conte un peu partout, en particulier dans l’Histoire de Charlemagne, de Gaillard, 1782, t. II, p. 554.

  840. Var : O, branches d’arbre
  841. Var : O, roi
  842. Gaillard, Histoire de Charlemagne, II, p. 124 : Il eut grand soin de joindre au titre de Roi des Français celui de Roi des Lombards… Il voulut, suivant l’usage des anciens rois de Lombardie, recevoir dans Modèce ou Monza, bourg voisin de Milan, la couronne de fer. — En note : C’était une couronne d’or, dans laquelle il y avait un cercle de fer incrusté.
  843. Ces détails paraissent provenir de la Vie de Charlemagne, d’Éginhard, par l’intermédiaire vraisemblablement de Gaillard, qui y renvoie au t. III, p. 194, de son histoire, à propos du costume de Charlemagne. Je cite le teste d’Éginhard : Le costume ordinaire du roi était celui de ses pères, l’habit des Francs ; il avait sur la peau une chemise et des haut-de-chausses de toile de lin ; par-dessus étaient une tunique serrée avec une ceinture de soie et des chaussettes ; des bandelettes entouraient ses jambes, des sandales renfermaient ses pieds, et l’hiver un justaucorps de peau de loutre lui garantissait la poitrine et les épaules contre le froid.
  844. Éginhard, Vie de Charlemagne : Deux fois seulement, dans les séjours qu’il fit à Rome,… il consentit à prendre la longue tunique, la chlamyde et la chaussure romaine.
  845. Var : O, P2, A, que les plis.
  846. Var : O, ces faibles pieds
  847. Var : O, chancelant
  848. Gaillard, Histoire de Charlemagne, II, p. 44 : Les Allemands…, qui n’occupaient qu’une petite contrée de la Germanie, et qui n’égalaient pas, à beaucoup près, la puissance des Saxons, ont eu l’honneur de donner leur nom à la Germanie entière, que nous appellerons désormais indifféremment de son nom ancien, Germanie, ou de son nom moderne, Allemagne.
  849. Var : P2, sur les larges degrés
  850. Gaillard, Histoire de Charlemagne, II, p. 465 (d’après le Moine de Saint-Gall) : Les Ambassadeurs [grecs] furent admis à l’audience de l’Empereur dans le palais de Seltz en Alsace ; on les fit passer par quatre grandes salles superbement ornées, et où la pompe allait toujours croissant de salle en salle. Dans la première, qui était consacrée au faste militaire, une foule de guerriers et d’officiers, revêtus les uns d’habits somptueux, les autres de riches armures, environnait avec respect un trône élevé, sur lequel était assis un Roi devant qui les Ambassadeurs allaient se prosterner, lorsqu’on les avertit que cet honneur devait être réservé à l’Empereur, dont ils ne voyaient là que le Connétable… Au fond d’un appartement encore plus riche, ils trouvèrent l’Empereur tout éclatant d’or et de pierreries, au milieu des Rois ses enfants, des Princesses ses filles, et d’une multitude de Prélats et de Ducs. — Le tome III, p. 288 et suiv., contient une longue dissertation sur la Pairie : Rien de si célèbre chez les romanciers que les douze pairs de Charlemagne… Ces douze Pairs ou Paladins de Charlemagne étaient douze guerriers distingués, douze braves.
  851. Var : O, un oblique regard.
  852. Var : O, P2, pleurante
  853. Var : O, branches d’arbre
  854. La pièce n’est pas datée dans O, P2.
  855. Var : O, cor
  856. Delille, L’Homme des Champs, ch. iii :

    Ici de frais vallons, une terre féconde ;
    Là des rocs décharnés, vieux ossements du monde ;
    À leur pied le printemps, sur leur front les hivers.

  857. Var : O, trônes
  858. Var : O, P2, A, les pieds
  859. Var : O, cor
  860. Var : C3, D, aux chants
  861. Var : O, chevaliers
  862. Var : O, cor
  863. Var : O, Rolland
  864. Le récit de Vigny est fondé sur la Chronique des prouesses et faits d’armes de Charlemagne, attribué à l’archevêque Turpin, dont il avait pu lire le résumé dans la Bibliothèque Universelle des Romans, 1er livraison de juillet 1777, ou dans l’Histoire de Charlemagne, de Gaillard, 1782, t. III, p. 474. L’épisode avait été dramatisé par Marchangy dans un Chant funèbre en l’honneur de Rolland, inséré au t. III, p. 71, de la Gaule Poétique, 3e éd., 1819. Il semble bien que Vigny ait extrait de cette prose emphatique et prolixe, pour les recomposer sur un autre plan, quelques-unes des données essentielles de son poème : « Ce preux invincible dit à ses guerriers : Retournez à la patrie impatiente ; l’absence a trop longtemps désolé vos amours et refroidi la cendre de vos foyers hospitaliers ; partez, je marcherai le dernier, afin que, si les vaincus épars, se ralliant au cri de la vengeance, veulent suivre en les menaçant nos illustres bannières, ils rencontrent l’écueil de mon bouclier… — Oui, nous te précédons, lui répondent ses compagnons… Allons suspendre des lauriers aux portes de nos temples ; allons accorder les lyres et tresser les couronnes des festins… Tout à coup un bruit sourd fait retentir la triple chaîne des échos sonores. Le preux, sans s’effrayer, lève les yeux et voit la cime des monts hérissée de soldats nombreux. Forts de leur nombre, et plus encore de leurs postes inexpugnables, les lâches crient au héros qu’il faut mourir… Leurs carquois s’épuisent, mais ils arrachent les mélèzes, les sapins et les cyprès ; ils font rouler des rochers énormes, qui, dans leur chute, détournent le cours des torrents, entraînent les neiges amoncelées… Ses compagnons ont disparu ; mais sanglant, mutilé, il se montre encore debout, et c’est lui qui menace… Les débris qu’on lui lance, les troncs d’arbres, les éclats des pics fracassés, les éboulements des montagnes, sont autant de degrés qu’il escalade pour atteindre les hauteurs. Déjà son front terrible a dépassé l’abîme ; les perfides le voient, jettent leurs armes et s’enfuient en poussant d’affreux… Il sonne du cor, et le son qu’il en tire roule comme un tonnerre dans les gorges de Roncevaux… La sentinelle des châteaux lointains s’inquiète à ce bruit surnaturel qui se fait entendre jusqu’à l’armée française. Elle a soudain connu le danger de Rolland, car lui seul pouvait faire résonner avec tant de force le belliqueux instrument… Mais à mesure qu’elle s’avance à son secours, le bruit s’affaiblit, et le cor n’était plus animé que par les derniers soupirs de Rolland ; il expirait… et nos bataillons, entourant les bords de l’abîme, gémissent pendant trois jours sur le plus magnanime et le plus courageux des guerriers. » — Il peut être intéressant de rappeler que le tableau de Michallon, La mort de Roland (Musée du Louvre), avait été exposé au Salon de 1819.
  865. Var : O, Rolland, O, le Maure.
  866. Var : O, Rolland
  867. Var : O, P2, Argèlez
  868. Var : O, Rolland
  869. Var : O, P2, Par le grand saint Denis,
  870. Var : O, cor.
  871. Var v. 67-68 : O, ou les voix étouffées | Du nain vert Oberon qui parle avec les fées. » P2, Oberon P2, A, fée. »
  872. Var v. 71-72 : O, P2, Il redoute en secret les trahisons du Maure (P2, More). | Le cor (P2, Cor) éclate et meurt, se tait et sonne encore.
  873. Var : O, Rolland
  874. Var : O, Maure.
  875. Var : O, Leurs corps sont écrasés
  876. Var : O, cor
  877. Var : O, cor
  878. La pièce n’est pas datée dans O, P2.
  879. Les vers 1-12 manquent dans O.
  880. Var : P1, Et la vierge, enivrée
  881. À la place des vers 11 et 12, P1 donne les dix vers suivants :

    Mais dans les airs émus, la musique a cessé :
    La danseuse est assise en. un cercle pressé :
    Tout se tait. Et pourquoi, graves, mais ingénues,
    Ces trois jeunes beautés vers un homme venues ?
    Cette douleur secrète, errante dans ses yeux.
    N’a pas déconcerté l’abord mystérieux ;
    Elles ont supplié ; puis, s’aidant d’un sourire.
    Elles ont dit : « Les vers ont sur nous tant d’empire !
    « Ils manquaient à la fête, et le bal les attend. »
    Le sujet est donné, c’est la danse ; on entend :

  882. Cette description de la « walse » rappelle un passage célèbre de Werther, trad. Sévelinges, 1804 (Charlotte et Werther ont commencé de danser ensemble) : On en vint aux valses. D’abord peu de danseurs étant au fait, ce fut, au bout de quelques tours, une confusion épouvantable. Prudemment, nous les laissâmes se démêler, et les plus gauches renonçant à la partie, nous nous emparâmes du parquet, et reprîmes avec une nouvelle ardeur. Audran et sa danseuse furent les seuls qui continuèrent avec nous. Jamais je ne me sentis pareille agilité. Je n’étais plus un homme. Tenir dans ses bras la plus aimable des créatures ! Voler avec elle comme le tourbillon qui annonce la tempête ! voir tout passer, tout s’éclipser autour de soi ! sentir !… Mon ami, pour être franc, je fis alors le serment qu’une fille que j’aimerais, sur laquelle j’aurais des droits, ne valserait jamais avec un autre homme, dussé-je cent fois périr ! Tu me comprends. — Les dix vers ajoutés dans l’édition de 1822 semblent mettre en scène Vigny lui-même, rêveur et distrait, tel que nous le dépeint la comtesse d’Agoult, qui fut vers ce temps-là une de ses danseuses, et qui déclare n’avoir connu de lui, au bal, « que ses distractions à la contredanse ». (Daniel Stern, Mes Souvenirs, 1880, p. 305).
  883. Var : O, P1, Bal
  884. Var : O, Va tout à coup vous mêler à mes yeux (vers de dix syllabes).
  885. Var : O, P1, délices de l’amant,
  886. Var : O, P1, bal
  887. Var : O, P1, ô prolongez
  888. Var : O, Therpsycore C3, Therpsicore
  889. Var : O, Qui d’une chaîne imitent les anneaux (vers de dix syllabes).
  890. Millevoye, Satire des romans du jour :

    Ce jeune enfant… Il souffre ; on ne plaint point son mal.
    Il appelle sa mère… et sa mère est au bal.
    Mère ! Elle ne l’est plus ? Voluptueuse, ardente,
    Voyez-la tout entière à la walse enivrante…

  891. Var : O, P1, sous des larmes
  892. Var : D, doux trésors
  893. André Chénier, Élégies (éd. de 1819, xxix : Et c’est Glycère, amis…) :

    Mais quels éclats, amis ! C’est la voix de Julie :
    Entrons. Oh ! quelle nuit ! joie, ivresse, folie !
    Que de seins envahis et mollement pressés !…
    Il faut que de la Seine, au cri de notre fête,
    Le flot résonne au loin, de nos jeux égayé…

  894. Après le vers 84, P1 ajoute les 14 vers suivants qui forment épilogue :

    Où donc est la gaîté de la danse légère ?
    Ces mots ont-ils détruit sa grâce passagère ?
    Au lieu du rire éteint qui n’ose plus s’offrir,
    L’éventail déployé nous dérobe un soupir.
    Hélas ! lorsqu’un serpent est mort dans une source,
    D’une eau vivo et limpide elle poursuit sa course ;
    Mais son matin n’a plus de fécondes vapeurs,
    Et le gazon s’abreuve à des trésors trompeurs ;
    La reine marguerite a perdu sa couronne,
    Le bleuet incliné de pâleur s’environne.
    Et l’enfant qui, joyeux, vient et s’y rafraîchit,
    Pleure et crie en fuyant, car son genou fléchit.
    Son cœur traîne un feu sourd, une torture amère,
    Et des maux dont jamais n’avait parlé sa mère.

  895. La date manque dans O, P1.
  896. On a proposé au roi de profiter du temps pour quitter Madrid avec une escorte sûre ; mais l’infortuné prince n’a pu se résoudre à suivre ce conseil.

    Le bruit s’étant répandu parmi les gardes que le roi était emmené hors du palais, prisonnier des cortés, l’ardeur de cette troupe fidèle ne pouvait plus se contenir. Elle résolut de pénétrer jusqu’au palais et de mettre le roi en liberté. Après une charge meurtrière, ils parvinrent sur la place du palais. Ils attendaient impatiemment des ordres ; nul ordre ne fut donné de l’intérieur ! Figurez-vous le palais du roi entouré de ses malheureux gardes, dix pièces de canon braquées contre les portes et les fenêtres, et dix mille personnes, tant miliciens que bandits, poussant des cris épouvantables… Ils ont combattu… Le nombre des gardes échappés (vers l’armée de la Foi) est d’environ trois cents… Le roi a paru au balcon et a salué le peuple.

    Journal des Débats, 15 juillet 1822a.

    a Et non Moniteur, comme le portent par erreur plusieurs éditions. Les événements relatés dans cet extrait remontaient au 7 juillet 1822.

  897. Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. V, ch. 12 : Le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres.
  898. Le Mont Serrât est une montagne de la Catalogne, où s’élevait un monastère fréquenté comme lieu de pèlerinage. « On a conduit au fort de Monjoui les religieux du couvent de Montserrat, que l’on a surpris faisant des cartouches pour les insurgés » (Débats du 5 août 1822).
  899. Var : O1-O3, P2, A-C2 Le Mont-Serrat
  900. Var : O2, O3 : Midi
  901. Var : O2, O3, Révolte
  902. Var : O1, rois
  903. Var : O1-O3, P2, A, Il se lève
  904. Var : O1-O3, bocage
  905. Var : O1, D’où les Goths foudroyaient leurs vainqueurs massacrés,
  906. Le héros du poème de Vigny était en 1822 un des chefs les plus populaires du parti royaliste eu Catalogne, et un des meneurs de l’insurrection qui aboutit, grâce à l’intervention française, à la restauration de Ferdinand VII dans ses droits de monarque absolu. Le vicomte de Martignac, dans son Essai historique sur la révolution d’Espagne, Paris, 1832, t. I, p. 598, et Chateaubriand, au ch. XI du Congrès de Vérone, ont tracé le portrait de ce moine soldat. Voici celui qu’en donnait le Moniteur du 15 juin 1832 : « Il se nomme Maragnon, fut lieutenant à la suite du régiment de Murcie. En 1817 son régiment reçut ordre de venir de Calatayud, où il était en garnison, à Barcelone. À son passage à 1erida, il joua, et perdit tout son argent, engagea tout ce qu’il possédait, même ses brevets, et retourna au jeu où il perdit tout encore. Honteux de sa conduite, il déserta et fut se cacher au couvent de la Trappe, où il fut admis. Lors de la suppression de cet ordre, il se rendit en France… Il y a un mois et demi, et au plus deux mois qu’il eu revint… Avant d’entrer au combat, il se met à genoux pour dire ses prières, et se met ensuite à la tête des siens avec une intrépidité extraordinaire. » Les journaux de 1822 et de 1825 sont pleins de détails sur sa personne et sur ses exploits. Vers la fin de novembre 1822, il séjourna à Toulouse, où sa présence fit sensation, et le 1er avril 1823 il eut, à Bayonne, l’honneur d’être présenté au duc d’Angoulême. Outre le poème de Vigny, il inspira quelques pièces de circonstance, entre autres Le Trappiste, élégie héroïque, lue à la Société des Bonnes Lettres dans sa séance du 18 avril 1823, par Ernest de Blosseville (Annales de la Littérature et des Arts, tome XI, 1823), et Don Antonio de Maragnon, par Madame Caroline de M… (Lettres Champenoises, tome XII, 1823).
  907. Var : O1, Il pense, et du tumulte aime à sauver ses pas ;
  908. Byron, Le Corsaire, ch. I, 2, 8, 9 (trad. Pichot) : Mais quel est ce chef ? Son nom est fameux et redouté partout ; ils n’en demandent pas davantage. Il ne se mêle avec eux que pour les commander ; ses paroles sont rares, mais son œil est perçant et sa main est prompte… Les soldats les plus durs de sa troupe trouveraient ses repas trop sévères : le pain le plus noir, les herbes les plus simples, quelquefois le luxe des fruits de l’été, composent tous ses mets… Tels sont ses brefs commandements, telle est sa promptitude : tous obéissent ; il en est peu qui demandent pourquoi… Conrad commande ! qui oserait hésiter ? Cet homme, qui s’entoure de la solitude et du mystère,… dirige et fait trembler le vulgaire… Son noir sourcil [protégeait] un œil de feu… Le soleil avait bruni ses joues ; son front large et pâle était ombragé par les boucles nombreuses de ses noirs cheveux.
  909. Var : O1-O3, P2, Le Trapiste
  910. « La Ruche d’Aquitaine donne les nouvelles suivantes : Une lettre de la Seo d’Urgel… annonce que les royalistes qui assiégeaient les forts… s’en sont emparés par escalade ; le trappiste monta le premier, tenant un crucifix d’un main, et un fouet de l’autre. » (Journal des Débats du 3 juillet 1822.)
  911. Jean, II, 15-16 : La Pâque des Juifs étant proche, Jésus s’en alla à Jérusalem, Et ayant trouvé dans le temple des gens qui vendaient des bœufs, des moutons et des colombes, comme aussi des changeurs qui étaient assis à leurs bureaux, Il fit un fouet avec des cordes et les chassa tous du temple avec les moutons et les bœufs, et il jeta par terre l’argent des changeurs et renversa leurs bureaux ; Et il dit à ceux qui vendaient des colombes : Ôtez tout cela d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
  912. Souvenir de l’évocation de Samuel par la pythonisse d’Endor en présence du roi Saül (Rois, I, xxviii) : Or Samuel était mort… La femme lui dit [à Saül] : Qui voulez-vous voir ? Il lui répondit : Faites-moi venir Samuel… Samuel dit à Saül : Le Seigneur vous traitera comme je vous l’ai dit de sa part. Il déchirera votre royaume… Demain vous serez avec moi, vous et vos fils.
  913. Var : D, Parmi les montagnards
  914. Var v. 101-102 : O1, Joyeux, ils voyaient donc l’instrument de leur gloire, | Lui-même offrir à Dieu leur première victoire.
  915. Var : O1-O3, Royauté
  916. Byron, Childe Harold, IV, st. 140 (trad. Pichot) : Je vois devant moi le gladiateur étendu sur le sable ; sa tête est appuyée sur sa main ; son mâle regard exprime qu’il consent à mourir… Déjà l’arène tourne autour de lui…
  917. Var : O1-O3, P2, A, Les taureaux
  918. Var : O1-O3, P2, des glaives renversés
  919. Var : O1-O3, mon Père,
  920. Var : O1-O3, le Balcon Royal
  921. Les gardes réunis au Prado étaient entrés dans la ville divisés en trois corps, qui, battus ou découragés, se retirèrent vers le palais et y rejoignirent les deux bataillons de service (Journal des Débats du 15 juillet 1822).
  922. Var : O1, Déjà nos feux éteints nous font voir ses amis
  923. Les Cortès exigeaient que la garde royale se rendit à discrétion : « Les deux bataillons du Palais se soumirent à cette condition, mais les gardes venus du Prado ne purent supporter l’humiliation de se rendre à discrétion. Cette affreuse condition a rendu à ces infortunés le courage du désespoir ; ils se sont ralliés, ont forcé le passage, et traversé le Mançanarez. La cavalerie les a poursuivis jusqu’au village de Bondilla et leur a tué ou blessé 200 hommes : ils en avaient perdu un nombre à peu prés égal dans les rues de Madrid… » — du 8 : « On apprend aujourd’hui que les débris de la Garde se sont reformés, et qu’ils vont se réunir aux royalistes de Siguenza. Les nouvelles de la Catalogne annoncent des succès du Trappiste » (Journal des Débats du 15 juillet 1822).
  924. Var : O1-O3, P2, Le Trapiste
  925. Var : O1, Comme la molle neige au vent du sud se fond,
  926. Var : O1-O3, P2, A, Se mêlaient
  927. Var v. 189-190 : O1, Et le cri des vautours volant dans les ténèbres, | Et réclamant déjà leurs alimens funèbres.
  928. Var : D, sondez vos destinées.
  929. Var v. 215-215 : O1,

    Ô faiblesse mortelle ! ô misère profonde !
    Le poids d’un grand service est trop lourd pour le monde ;
    Qui sait mourir, serait ingrat étant puissant,
    On s’immole plutôt qu’on n’est reconnaissant.
    Tel fuit les malheureux, qui n’a pas craint les armes :
    Le sang coule du cœur plus vite que les larmes.
    Plaignons notre nature et les fronts couronnés ;

    O2, O3, P2, A,

    Ô faiblesse mortelle ! ô misère profonde !
    Le poids d’un grand service est trop lourd pour le monde.
    On s’immole plutôt qu’on n’est reconnaissant,
    D’un élan généreux tant l’attrait est puissant,
    Et tant est fugitif le souvenir des hommes !
    Plaignons notre nature et le siècle où nous sommes :
    Gémissons en secret sur les fronts couronnés ;

  930. Var : 1-O3, P2, A, le prince
  931. Date : O1 (sur la couverture), 7 juillet 1822 O2, O3, la pièce n’est pas datée ; P2 (sur le faux-titre) : Ce poëme a déjà paru en 1822, au mois de juillet (a).

    a La première édition du « Trapiste » a paru au mois d’octobre 1822 (voir le Journal de la Librairie du 19 octobre 1822). La date du 7 juillet 1822, qu’elle porte sur sa couverture, est celle de l’événement historique sur lequel le récit est fondé. Quanta l’allégation des Poèmes de 1826 ; que le poème aurait paru au mois de juillet 1822, c’est évidemment de la part de Vigny une simple erreur de mémoire.

  932. La correction faite par Vigny au texte primitif du second vers lui fut suggérée par un article de Ch. Magnin, qui rendit compte des Poèmes dans le Globe du 21 octobre 1829. « Nous avons entendu des marins, disait Magnin, entrer dans une furieuse colère contre l’auteur pour la manière dont il défigure leur belle langue en croyant la parler. Nous avons d’abord ri de leurs critiques, puis nous avons fini par être ébranlé. Au fait, si l’école nouvelle a raison de substituer le mot juste et propre au mot noble et vague que recherchait sa devancière, encore faut-il qu’elle emploie vraiment le mot propre et non le mot à côté… « Voguer sous le vent » n’est d’aucune langue. On est sous le vent d’un autre navire, ce qui exprime un rapport de position, et le plus souvent un désavantage ; on serre le vent ; on est près du vent… Vous voulez être plus précis, plus vrai que vos devanciers : vous avez raison ; mais prenez garde ! De tous les genres de faussetés, le technique faux serait le pire. »
  933. Var : A, sous le vent !
  934. Var : A, sous le vent !
  935. Var : A, cinq cents
  936. Var : A, Dune,
  937. Var : A, Et ses vaisseaux d’ivoire habilement sculptés ;
  938. Var v. 25-32 : A, les vers 25 et 26 manquent ; les vers 31 et 32 manquent également ; les vers 27 et 28 occupent la place des vers 31 et 32 ; B-C2, les vers 25 à 28 manquent ; les vers 31 et 32 existent comme dans le texte actuel.
  939. Var : A, Porte à la mer ses vins sur l’eau de deux grands fleuves ;
  940. Var : A, Sa ceinture de fruits d’orange et d’olivier ;
  941. Var : A, Toulon a ses beaux forts, La Rochelle a sa digue ;
  942. Var40 : A, Mais Le Havre a lancé La Sérieuse en mer.
  943. Byron, Childe Harold, II, st. 17 (trad. Pichet) : Celui qui a parcouru la route azurée des flots a pu voir quelquefois un brillant spectacle, lorsque le souffle d’une brise fraîche arrondit les blanches voiles de la frégate aux formes gracieuses… Les vaisseaux qui composent la flotte voguent, semblables à une troupe de cygnes sauvages.
  944. Var : A-C3, nord.
  945. Byron, Childe Harold, II, 20 : Alors celui [des navires] qui porte le pavillon amiral sera forcé de ployer ses voiles, afin que les bâtiments plus lourds qui sont restés en arrière puissent l’atteindre.
  946. Ader, Histoire de l’expédition d’Égypte, Paris, 1826, p. 11 : Les bâtiments sortis successivement de Toulon ayant gagné la pleine mer et se trouvant à la hauteur de Gènes, le général en chef fit le signal de ralliement. Toute la flotte, réunie alors autour du vaisseau amiral, formait une masse si considérable qu’elle offrait l’aspect d’une ville au milieu des ondes. Le même cri : « Voilà Venise ! » échappa à tous ceux qui connaissaient cette reine détrônée des mers.
  947. Byron, Childe Harold, IV, st. 184 : Je t’ai toujours aimé, océan !… j’étais comme un de tes enfants, je me confiais gaiement à tes vagues, et je jouais avec ton humide crinière…
  948. Byron, Le Corsaire, I, 8 (il s’agit du corsaire Conrad) : Cet homme qui s’entoure de la solitude et du mystère (That man of loneliness and mystery) — et Fenimore Cooper, Le Pilote, ch. 2 : (c’est un vieux loup de mer qui parle) : Je suis né à bord d’un navire et je n’ai jamais compris à quoi servait la terre… La vue de la terre me met toujours mal à l’aise.
  949. Byron, Le Corsaire, I, 3 : Qui n’affronterait le canon et le naufrage pour plaire au roi de cette ville flottante ?
  950. Byron, Le Corsaire, I, 2 (portrait de Conrad) : « Qu’on vogue vers ce rivage. » — On y vogue. — « Qu’on se prépare au combat. » — On est prêt. — « Qu’on me suive. » — La victoire est à lui. — Tels sont ses brefs commandements, telle est sa promptitude : tous obéissent ; il en est peu qui demandent pourquoi.
  951. Byron, Le Corsaire, I, 3 : Comme il [le navire] s’avance avec grâce et majesté !… Il parcourt le liquide élément comme un être doué de la vie (like a thing of life), et semble défier les flots.
  952. Var : A-C3, esprit
  953. La tour des Arabes, près d’Alexandrie.
  954. Var, note : A, Tour
  955. Var : A, Patrie !
  956. Fenimore Cooper, Le Pilote, ch. 7 : Donnez-moi des matelots, dit Barnstable, et je trouverai de la place pour trente. Ces soldats ne savent que faire de leurs bras et de leurs jambes quand ils ne sont pas à l’exercice… — et ch. 18 : Heureusement pour nous le capitaine Manuel a emmené à terre avec lui tous ses soldats de marine… s’ils étaient ici, ils encombreraient notre pont comme du bétail.
  957. Var : A-C2, thermidor.
  958. Ader, Histoire de l’expédition d’Égypte, p. 88 : L’escadre anglaise fut signalée le 1er août, [quatorze thermidor], à deux heures de l’après-midi. Poussée par un vent favorable, elle se trouvait à trois heures si rapprochée de la flotte française que l’on pouvait à la simple vue distinguer les quinze vaisseaux qui la composaient. À six heures on fut en présence, et le feu commença de part et d’autre.
  959. Fenimore Cooper, Le Pilote, ch. 17 : Nous allons le voir [notre canot] rouler sur la plage comme un tonneau vide.
  960. Fenimore Cooper, Le Pilote, ch. 22 (Toni Coffin, le vieux loup de mer, vient d’apprendre que son navire est à la merci d’une batterie anglaise) : sa tête, inclinée par la douleur, tomba entre ses mains calleuses, et malgré les efforts qu’il fit pour cacher son émotion, il pleura amèrement.
  961. Le récit du dernier combat de la Sérieuse ne paraît fondé sur aucune donnée historique. Ader présente ainsi les faits : « La Sérieuse, attaquée par le Goliath, d’une force double, oppose la plus vigoureuse résistance. Percée de part en part par les boulets, elle coula ; mais comme son arrière se trouvait sur un haut fond, il ne fut pas submergé, et servit de refuge à l’équipage, qui continua à se défendre dans cette position jusqu’à ce qu’il eût obtenu une capitulation. Le capitaine Martin, aussi généreux qu’intrépide, se dévoua pour ses compagnons, en offrant de rester prisonnier pourvu qu’on leur laissât la liberté et qu’on les transportât à terre ; ce qui fut accepté par les Anglais et exécuté. » (p. 93). — Et voici le rapport du capitaine Martin lui-même. Après avoir exposé comment la frégate canonnée par l’Orion, et percée à la flottaison par nombre de boulets, coula à fond à 4 brasses et demie d’eau, il continue ainsi : « Cependant le pavillon tricolore flottait encore à bord de la frégate. Le peu d’équipage qui me restait, au nombre de 60, s’était retiré avec moi sur le gaillard d’arrière. Dans cette situation, notre seule espérance était fondée sur les secours que nous attendions de nos frères d’armes. Le lendemain 15 [thermidor ], à trois heures du matin, un canot vint à nous. Je le hêlai ; l’officier qui y était me dit être anglais, et que son capitaine l’avait envoyé pour nous donner tous les secours que notre position réclamait, mais qu’au préalable il exigeait que le pavillon fût amené, et qu’en cas de refus il devait nous déclarer qu’on allait recommencer de tirer sur nous pour nous détruire entièrement. Il ajouta à cette sommation que six vaisseaux de l’avant-garde s’étaient rendus… D’une part me voyant sans défense, et de l’autre considérant que l’ennemi ne pourrait point profiter de la frégate par l’impossibilité qu’il y aurait de la mettre à flot, je demandai à parlementer, et j’obtins que l’état-major et le restant de l’équipage seraient mis à terre en liberté, et que moi seul resterais prisonnier. » (Arch. Mar., BB4, 126, cité par C. de la Jonquière, L’expédition d’Égypte, 1789-1801, Paris, s. d., Il, p. 418).
  962. Var : A, sous le vent !
  963. Le fait divers qui a fourni le point de départ de cette « élévation » (à savoir le suicide, le 29 avril 1829, dans une auberge de Montmorency, du caissier du journal le Voleur, Stéphane D., et de sa maîtresse Laure) a été longuement raconté dans une brochure dont Vigny a pu avoir connaissance : Les trois derniers jours d’un suicide, Paris, Levasseur ; à Montmorency, chez Leduc, restaurateur, au Cheval Blanc, 1829. Elle contient, outre les détails de l’événement, le journal tenu par Stéphane D. du 23 au 29 avril.
  964. Vigny, lettre à Mlle Camilla Maunoir, 21 décembre 1838 : « J’ai nommé ces poèmes [Les Amants de Montmorency et Paris] Élévations parce que tous doivent partir de la peinture d’une image toute terrestre pour s’élever à des vues d’une nature plus divine et laisser (autant que je le puis faire) l’âme qui me suivra dans les régions supérieures ; la prendre sur terre et la déposer aux pieds de Dieu. »
  965. Var : O2, Esprit
  966. Var : B-D, qu’ils s’étaient réservés,
  967. Stéphane D. trace ainsi le portrait de la jeune modiste dont il s’est ardemment épris : « Laure est une toute petite fille de dix-sept à dix-huit ans : on n’est jamais bien certain de l’âge d’une femme ; son teint n’est ni pâle ni frais ; il porte une légère nuance basanée que lui a sans doute donnée le soleil de l’Italie qu’elle a habitée pendant quelque temps ; ses cheveux, châtains, sont rudes et paraissent presque toujours négligés ; ses 3’eux bleus sont plutôt vifs que beaux : quelques-uns les trouvent fripons ; son menton est joli ; sa bouche, petite, est surtout ravissante ; elle lui donne quand elle veut une expression de dédain qui intimide et anéantit… À la gaîté la plus folle elle unit… le talent de chanter d’une manière supérieure ». Lui-même est qualifié par l’auteur de la brochure, d’ « infortuné jeune homme, tendre et exalté comme le Werther de Gœthe ».
  968. Var : O2, Tous pareils
  969. Var v. 21-26 : entre guillemets dans O1, O2.
  970. Var v. 22-23 : O1, brillants, multipliés | En forme de troupeaux,
  971. « Toute la journée on les avait entendus chanter, et dix minutes avant l’accomplissement de leur funeste dessein, ils étaient revenus gaiment du bois et s’étaient approchés pour se chauffer au feu des cuisines. »
  972. Var : O1, et tout d’un coup
  973. Var : O1, Ils tombèrent après, sous des arbres, peut-être ; | Ils ne le savaient pas, M, O2, O3, B-C3. Ils tombèrent assis sous des arbres ; peut-être | Ils ne le savaient pas.
  974. Var : O1, Qu’on apaise en ses bras et sur ses deux genoux,
  975. « Aucun bruit n’avait été entendu ; on ignorait même si les deux jeunes gens étaient enfermés dans leur chambre ou s’ils étaient allés se promener. C’est vainement qu’on les appela ; il fallut faire ouvrir la porte… Le lit avait été traîné en travers de la porte, qui en s’ouvrant laissa voir les deux corps étendus par terre et baignés dans leur sang… Les deux chaises sur lesquelles sans doute ils étaient assis au moment de l’explosion étaient restées l’une en face de l’autre. Les yeux de la jeune fille étaient bandés d’un mouchoir ; la balle avait traversé son cœur. La main du malheureux jeune homme avait été moins assurée après le meurtre de la femme qu’il aimait ; le coup qu’il se tira porta au-dessous du cœur ; de cruelles souffrances ont dû précéder la fin de son existence. L’infortuné était parvenu à se traîner auprès de sa maîtresse et à saisir sa main avant d’expirer… »
  976. Var : O1, et son cœur gros de fiel
  977. Var : O1-O3, où depuis on fit leurs funérailles,
  978. Var : O1, O2, Nous avons vu des vers
  979. Var : O1, Des vers de fous,
  980. Var : O2, énigme inexplicable,
  981. Avant de mourir, les deux jeunes gens avaient écrit à l’aubergiste Leduc une lettre dans laquelle ils s’excusaient d’avoir choisi sa maison « pour le lieu de la scène » ; la forêt était celui qu’ils avaient eu d’abord en vue, mais il y faisait froid, leurs mains tremblaient, la crainte de se manquer les força de rentrer. Cette lettre se terminait par « un compte détaillé du solde de leur dépense, d’une gratification, et du legs fait par Laure de son schall à une des filles de l’auberge. »
  982. Var : O1-O3, Qu’elle montre aux passants, en contant le trépas.
  983. « Tu quittes donc la vie sans regrets, lui dis-je alors. — Oui. — Sans craintes ? — Oui. — L’enfer ?… — Je n’y crois pas ; à la mort l’être entier rentre dans le néant… Que penses-tu qu’on devienne, toi ? — Mon amie, j’espère revenir sur la terre. » (Journal de Stéphane D. — Il pense qu’il n’y a dans l’univers qu’un certain nombre d’âmes qui animent tour à tour des corps différents).
  984. La date viatique dans O2, O3.
  985. Pour ce sous-titre, voir p. 223, n. 2.
  986. Le cadre de ce poème visionnaire, où passent des réminiscences certaines de l’Apocalypse (voyez v. 215-221) a peut-être été suggéré par ce verset de la « Révélation » de Saint-Jean (XXI, 10) : « Et il [l’Ange] me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la ville, la sainte Jérusalem, qui descendait du ciel, venant de Dieu… » Le poète y a mis les pensées qui lui venaient à l’esprit, quand au cours de quelque promenade solitaire, il « contemplait d’en haut » la grande ville : « L’autre jour, je montai à Montmartre. Ce qui m’attrista le plus fut le silence de Paris quand on le contemple d’en haut. Cette grande ville, cette immense cité ne fait donc aucun bruit, et que de choses s’y disent ! que de cris s’y poussent ! que de plaintes au ciel ! Et l’amas de pierres semble muet. Un peu plus haut, que serait cette ville, que serait cette terre 1 Que sommes-nous pour Dieu ? » (Journal d’un Poète, 1835). Il semble qu’il ait songé de bonne heure à faire de méditations analogues la matière d’un poème, si on en juge par cette note du Conservateur littéraire (26e livr., déc. 1820, t. II, p. 246), où il paraît bien qu’il est clairement désigné : « Parmi ce peu de personnes que les convulsions politiques ont laissées sensibles aux charmes de la littérature, on parle beaucoup d’un petit poème, d’une composition tout à fait originale, intitulé : Montmartre. Si nous ne craignions de commettre une indiscrétion, nous ferions connaître le nom de l’auteur, jeune officier qui remplit déjà toutes les espérances qu’il a fait concevoir à ses amis, et dont la réputation naissante ne tardera pas à devenir de la célébrité. Nous n’osons donner notre opinion sur ses ouvrages ; ce n’est pas notre habitude de louer sans mesure, et nous nous contentons de prédire qu’on y trouvera la poésie d’André Chénier et l’originalité de Lord Byron. » Dans la même livraison se trouvait l’article signé A. de V. sur les Œuvres complètes de Lord Biron, qui est la première trace de la collaboration de Vigny au Conservateur.
  987. Entre les vers 12 et 13 : D, ni blanc ni filet.
  988. Il ne semble pas qu’il y ait ici autre chose qu’une rencontre avec le fameux chapitre de Notre-Dame de Paris, Paris à vol d’oiseau « vu du haut des tours de Notre-Dame » (l. III, ch. 2) — (Le roman de Victor-Hugo a paru le 17 Mars 1831 ; le poème de Vigny environ un mois plus tard) : Pour le spectateur qui arrivait essoufflé sur ce faîte, c’était d’abord un éblouissement de toits, de cheminées, de rues, de ponts, de plans, de flèches, de clochers. Tout vous prenait aux yeux à la fois, le pignon taillé, la toiture aiguë, la tourelle suspendue aux angles des murs, la pyramide de pierre du onzième siècle, l’obélisque d’ardoise du quinzième, la tour ronde et nue du donjon, la tour carrée et brodée de l’église, le grand, le petit, le massif, l’aérien. Le regard se perdait longtemps à toute profondeur dans ce labyrinthe…
  989. Entre les vers 40 et 41, D, ni blanc ni filet.
  990. Shakespeare, Hamlet, III, 3, trad. Guizot (Rosencrantz expose au roi Claudius qu’il doit veiller soigneusement à la conservation de sa vie) : La vie isolée et privée est sujette à ce devoir d’employer la force et l’armure entière de l’esprit pour se préserver de toute atteinte ; mais bien plus encore cette âme au salut de laquelle se rattachent et se fient les vies de beaucoup d’autres. Le décès d’une majesté n’est pas une mort unique ; mais comme un gouffre, elle entraine avec elle tout ce qui est près d’elle. C’est une roue encore fixée au sommet de la plus haute montagne ; dans ses vastes rayons sont enchaînées et engagées dix mille menues pièces ; lorsqu’elle tombe, chaque petite accessoire, conséquence chétive, la suit dans sa bruyante ruine. Jamais ne sont seuls les soupirs du roi, mais toujours avec un gémissement public.
  991. A. de Vigny, lettre à Mlle Camilla Maunoir, 21 décembre 1838 : « Oui, Lyon pourrait être un exemple de ces rouages brisés, mais lorsque j’écrivis Paris, en 1831, cette révolte [il s’agit de l’insurrection des canuts de Lyon, 21 novembre 1831] n’avait pas éclaté. Je pensais alors aux Girondins fédéralistes, qui voulurent inutilement séparer le mouvement des provinces de celui de Paris. Cette centralisation n’a fait que croitre et se fortifier depuis. »
  992. Voir ci-dessus, p. 233, n. 1.
  993. Var : O, B-C3, esprits,
  994. M. l’abbé de Lamennais.
  995. Var : O, B, C1, la note manque.
  996. Var : D, S’assied près d’un sépulcre,
  997. Var : O, B-C2, Rien. — Il n’ouvrira pas
  998. Benjamin Constant.
  999. Var : O, B-C1, la note manque.
  1000. Var : O, je ne sais quel chemin
  1001. L’école saint-simonienne.
  1002. Var : O, B, C1, la note manque.
  1003. Var : B-C3, Et c’est un temple. Un temple immense, universel,
  1004. Var : O, B, Tu vois ? Pas de statue
  1005. Var : O, de dieu,
  1006. Gœthe, Faust, Nuit de Sabbat (trad. Albert Stapfer, 1823) : Faust : De quelles étranges lueurs brillent ces vallées, comme éclairées d’un triste crépuscule ! Elles pénètrent jusqu’aux profondeurs les plus reculées de l’abîme. Là s’élève une vapeur ; plus loin voltige un lambeau de nuage ; ici brille une flamme ardente à travers le crêpe des brouillards ; et tantôt elle serpente comme un étroit sentier tantôt elle jaillit comme une source limpide… Près de nous des milliers d’étincelles tombent sur la terre, qui semble couverte d’une poussière d’or… Méphistophélès (après le chœur des Sorciers) : Cela se pousse et se presse, cela s’élance et frémit, cela siffle et grouille, cela marche et jacasse, cela reluit, étincelle, et pue, et flambe. Véritable élément de sorcières !
  1007. A. de Vigny, lettre à Mlle Camilla Maunoir, 26 novembre 1839 : « Voyez, mademoiselle, quelle est l’influence de cette fournaise dont je peignais l’ardeur en 1851 ! C’était alors que l’école Saint-Simonienne, bientôt après divisée en trois écoles, poussant sciemment l’application de ses idées jusqu’au ridicule, répandait ses maximes et ses formules, qui sont devenues populaires en peu de temps : l’organisation des travailleurs, l’amélioration du sort moral, physique et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ; tout à la capacité, etc… Peu après, la révolte de Lyon ! Tant le centre de la roue a donné le mouvement aux rayons ! Les ouvriers, en marchant sur la mitraille, portaient sur les drapeaux : Vivre en travaillant ou mourir en combattant… Je n’ai point ces exagérations patriotiques que pouvaient indiquer ces mots de : Paris, axe du monde, etc. Mais ce peuple français si homogène, si ramassé dans son unité, si centralisé dans sa capitale, a une furie de prosélytisme, et une vitesse d’application des idées, si ardentes à l’action, que le mouvement vient toujours de lui… Trop souvent cela le mène à la destruction et au mal, il le sent, et détruit son œuvre aussi vite et à ses dépens, mais il a fait l’épreuve.»
  1008. Var : O, Pas de tiret devant Je ne sais.
  1009. Genèse, III, 24 : [Le Seigneur ayant chassé Adam du Paradis Terrestre] mit des Chérubins devant le jardin des délices, qui faisaient étinceler une épée de feu pour garder le chemin qui conduisait à l’arbre de vie.
  1010. Var : O, B-C3, le Désert,
  1011. Var : O, B, le voyageur.
  1012. Apocalypse, XVIII, 21 : Alors un ange fort leva en haut une pierre semblable à une grande meule de moulin, et la jeta dans la mer, en disant ; C’est ainsi que Babylone, cette grande ville, sera précipitée avec impétuosité, en sorte qu’elle ne se trouvera plus…
  1013. Var v. 219-220 : D, les virgules manquent.
  1014. Apocalypse, XVII, 5-6 : Et, m’ayant transporté dans le désert, je vis une femme assise sur une bête de couleur d’écarlate… Et sur son front ce nom était écrit : Mystère : la grande Babylone, mère des fornications et des abominations de la terre. Et je vis cette femme enivrée du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus… — XVIII, 24 : On a trouvé dans cette grande ville le sang des Prophètes et des Saints, et de tous ceux qui ont été tués sur la terre.
  1015. Voir ci-dessus, note 1, et Apocalypse, XXII, 19 : Et si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu l’effacera du livre de vie… — Il est curieux de noter que l’Avenir, que Vigny lisait certainement puisqu’il y collabora, annonçait dans son numéro du 30 octobre 1830 l’ouvrage suivant : La fin prochaine du monde, ou explication, prophéties et commentaires de certains passages de l’Apocalypse et des livres saints sur la fin des temps, par un membre de l’association catholique, Toulouse, Senac, 1830.
  1016. Var : O, B-C2, Le ciel
  1017. Exode, XII, 25 : Le Seigneur passera en frappant de mort les Égyptiens, et lorsqu’il verra ce sang sur le haut de vos portes et sur les deux poteaux, il passera la porte de votre maison, et il ne permettra pas à l’ange exterminateur d’entrer dans vos maisons ni de vous frapper.
  1018. Var : O, Que deux points seulement, la souffrance et la mort.