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Poèmes choisis (Cadou)/Interdit aux nomades

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INTERDIT AUX NOMADES

Le wagon rose orné d’un panier à salade
Qui tangue dans le soir comme un navire hanté
Ne s’avance aux à-coups d’une bête malade
Que par quelques enfants porteurs de brins d’osier

Mais la mère surveille en attendant son heure
Dans la craie du chemin la trace des enfants
Voici la ferme bienheureuse et cette odeur
De jacinthe mêlée à l’odeur du froment

Le cheval s’enhardit et la femme pénètre
Suivie des chenapans dans le chaud du pommier
J’étale tout sur le rebord de la fenêtre
Ma dentelle mon cœur et mes fleurs en papier

Comme si sur le tard d’une journée qui traîne
De toute la langueur insidieuse des champs
La fermière esseulée se faisait avec peine
À la nécessité d’un corsage voyant

Tandis que le nomade épris de solitude
Fier de l’autorité du maître et du mari
Dans un moment d’âpre grandeur que rien n’élude
Écrase entre ses doigts des grains de tabac gris.