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Poèmes inachevés (Samain)/Dans la salle aux tiédeurs…

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Poèmes inachevésMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 3 (p. 241-243).

Dans la salle aux tiédeurs féminines d’église
Où le Mourir des fleurs lentes se subtilise,
De larges fleurs berçant dans l’air triste du soir
Leurs coupes de velours lourdes de nonchaloir,
Éparses dans le sombre en blancheurs indécises
Des femmes aux grands airs indolents sont assises,
Qu’on dirait d’un pays et d’un temps très lointains,
Des femmes pâles dans des vagues de satins.


Et ces Dames ce sont mes intimes Pensées
En silence par les fleurs larges encensées,
Et qui, de leurs beaux yeux qu’éclaire à son reflet
Le rêve intérieur sous leurs longs cils voilé,

Regardent sur le parc au faste séculaire
S’effeuiller en lys bleus l’heure crépusculaire.
Immobiles, les mains vagues, le col penchant,
Elles rêvent, le cœur vers le soleil couchant
Qui, s’épuisant encore en caresses subtiles,
Traîne un rayon mourant dans leurs yeux immobiles
Et semble à leurs pâleurs fragiles prodiguer
La câline douceur d’un adieu fatigué.
Or de ces Dames, l’une a nom Mélancolie,
L’autre Amertume, l’autre Espérance-Abolie,
Puis encor Souvenir, Exil, Renoncement,
Volupté, Lassitude et Découragement.
À leur souffle si faible, à leur mourante haleine
Le miroir le plus pur se ternirait à peine,
Et si fluides sous leurs longs cheveux flottants,
Et telles, on dirait, les filles de l’Étang,
De l’Étang qui reflète en son cœur monotone
Les somptuosités tristes des soirs d’automne.
La plus fière, rigide en ses brocarts lamés,
A nom Indifférence et ses yeux sont fermés !

L’ombre à flots vaporeux baigne les troncs des arbres,
Les eaux, les jardins bleus où s’érigent les marbres ;

Et les roses dans les grands vases florentins
Versent un lourd vertige aux horizons lointains.
Mais de l’Occident riche où la lumière sombre
Ce qui s’exhale est triste à l’infini dans l’ombre ;
Et les femmes penchant leur peine sur les fleurs
Dans l’âme des parfums respirent leurs douleurs
Et sentent dans leur cœur opprimé par la terre
Descendre comme un grand désespoir solitaire…
C’est dans la salle triste et dans le soir navré
Un long sanglot montant comme un Miserere.

Or, voici s’élever, là-bas, vers la rivière
La sonore chanson des bonnes Lavandières
Qui reviennent, parmi des rires ingénus,
Saines, le baiser frais des eaux à leurs bras nus,
Contentes du labeur utile des Journées
Et soumises dans leur simplesse aux Destinées.
Leur chant robuste verse, en larges accords purs,
Un flot vivant de joie et d’aise aux champs obscurs ;
Et rien qu’en l’entendant, là-bas, les mornes femmes
Sous le satin splendide ont eu froid dans leurs âmes
Et, le cœur traversé du grand frisson humain,
Ont crié vers la vie, en meurtrissant leur sein.