Poèmes incongrus/Ballade des déplaisants Culs-de-Jatte

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Poèmes Incongrus : suite aux Poèmes mobilesLéon Vanier, bibliopole (p. 38-39).

BALLADE
DES DÉPLAISANTS CULS-DE-JATTE


Depuis le matin jusqu’au soir
Guettant les âmes généreuses,
Nous naviguons sur le trottoir,
Assis sur nos cuisses cagneuses
Dans des voitures merveilleuses,
Et nous bousculons les passants
Pour qu’ils soient plus compatissants,
La police à nous s’accoutume,
Mais nous nous moquons des agents
Quand nous roulons sur le bitume !

Parfois il se met à pleuvoir
Sur nos troupes tumultueuses,
Alors nous nous penchons pour voir
Par-dessous les dames rieuses
Qui relèvent leurs balayeuses :
Quand on voit des bas éclatants,
Ça console du mauvais temps !
Puis, pour se sécher, on s’allume
Un brûle-gueule entre les dents
Quand nous roulons sur le bitume !


Mais voilà que le désespoir
Courbe nos têtes soucieuses.
Les temps sont durs, il va falloir
Chômer : adieu les nuits joyeuses
Où l’on trinquait avec des gueuses !
Nous avons tant de concurrents !
Les gens passent indifférents ;
Les chiens même, pleins d’amertume,
Ne flairent plus nos bienséants
Quand nous roulons sur le bitume !

envoi

Reines des trottoirs opulents
Qui vous promenez à pas lents
Dans un riche et galant costume,
Envoyez-nous donc des clients
Quand nous roulons sur le bitume !