Poèmes mobiles/Plus de Cors !

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Poèmes mobiles ; MonologuesLéon Vanier, éditeur des Modernes (p. 9-13).


PLUS DE CORS !

À Charles de Sivry.


Ô désespoir, ô désespoir !
Zoé (c’est ma femme), étendue
Sur un sofa, jambe tendue,
Tristement gémissait un soir !

N’était-ce pas une migraine
Ou quelque névrose inhumaine ?
Hélas ! c’était bien pis encor,
Pis que la mort, je vous assure :

La pauvre enfant souffrait d’un cor,
Ayant mis étroite chaussure.

Ce n’était pas un cor banal,
De ces cors qui ne font la guerre
Qu’aux extrémités du vulgaire :
C’était un cor phé-no-mé-nal !


Or chacun sait où les victimes
D’un cor intempestif et dur
Trouvent un remède très sûr
Pour quatre-vingt-quinze centimes.

Comme un fou, je prends mon chapeau,
Mon lorgnon, ma canne et ma bourse,
Et je m’en vais, au pas de course,
Chez le célèbre Galopeau.

« Monsieur, me dit ce pédicure
(Lequel habite un entresol
Au boulevard Sébastopol),
Avant de tenter cette cure,

Je crois qu’il est superflu d’ex-
(La formule est dans le Codex)
Pliquer avec quoi je compose
Mon onguent odorant et rose.

Grâce à son efficacité,
Il est dans l’univers cité ! »

Après avoir dit cette phrase,
Très simplement et sans emphase,
Il me remit un petit pot
Plein de pommade Galopeau.


Or la malade avec adresse
Oignit de l’onguent sans pareil
L’extrémité de son orteil.

Voilà soudain qu’elle se dresse,
Elle marche, court, galope… oh !…
Cette pommade Galopeau !…

............

Voilà bientôt une semaine
(Ô merveilleuse guérison !)
Que mon épouse se promène
Sans revenir à la maison.

Moi qui sais que la terre est ronde,
J’attends en paix la vagabonde,
En contemplant le petit pot
Plein de pommade Galopeau !