Poésie (Ch. Berkeley)

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Poésie (Ch. Berkeley)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 115 (p. 202-204).
POESIE

I. CATHÉDRALES. — PAQUES.


Christ est ressuscité. Voici les saints miracles !
Aux feux des vieux vitraux, tout percés de soleil,
Signe de paix, le saint ciboire de vermeil
Luit, dans son éclat sombre, au fond des tabernacles.

Du pavé, tout gravé d’armes seigneuriales,
Aux voûtes de la nef où l’encens vient mourir,
On sent frémir, monter, redescendre et courir,
Les grands hymnes sacrés des vieilles cathédrales.

L’orgue, avec des frissons étranges, pleure et chante ;
Pâle, foulant sans bruit le riche tapis sourd,
Le prêtre, soulevant le Saint-Sacrement lourd,
Récite, à demi-voix, une prière lente.

Et dehors, tout en haut, les vieilles solitaires,
Les cloches au front noir, les filleules d’airain
Du Roi, notre seigneur, donateur et parrain,
Sèment, dans l’air du ciel, leurs longues notes claires…

En sorte que d’un bout de la ville et du monde,
À l’autre bout, un cri seul parte, et se réponde
Partout, disant aux gens de bonne volonté,
« Peuple, réjouis-toi, Christ est ressuscité ! »



II. ELOPEMENT.


Mignonne, vous portiez une fierté d’archange
Au front d’enfant serti dans l’or de vos cheveux :
Vos grands yeux de velours se baissaient sous la frange
De cils longs, recourbés, fins, touffus et soyeux.
Pâle comme un beau marbre, indolente et sereine,
Vous aviez des bras et des épaules de reine,
Des pieds auxquels on rêve, et les plus nobles mains !
Quand vous passiez au bal, avec vos robes blanches,
Serrant étroitement la splendeur de vos hanches,
J’ai vu vous suivre au loin des yeux de souverains…
Hier, — je vous regardais, — en bas, dans la chapelle
Des comtes, vos aïeux. Vous étiez vraiment belle !
Jamais ange du ciel plus pur n’avait prié.
On me dit ce matin que vous êtes partie
Avec Dick, le second cocher de l’écurie :
Vous ne saviez donc pas que Dick est marié ?


III. PETITE CHANSON DU CŒUR.


Comme un lord de Rosslyn couché dans son armure[1],
Mon cœur dort maintenant de l’éternel sommeil.
Laissez-le reposer… À quelle source pure
Prendrez-vous l’onde fraîche à laver sa blessure ?
Voulez-vous faire encor couler son sang vermeil ?

Voulez-vous, pour savoir si la plaie est fermée,
Comme un enfant cruel y présenter le doigt ?
De nobles mains d’un baume exquis l’ont parfumée ;
L’office est dit des morts, la lampe est allumée :
Dans le caveau profond tout est tranquille et froid.


C’est bien fini : rentré, meurtri, de la bataille,
Le preux s’est, pour mourir, de son long étendu ;
Marquant, avec du sang, son nom à la muraille,
Et priant Monseigneur Dieu pour qu’il ne lui faille,
Et reçoive son gant qu’il n’a jamais rendu.

Allez, sonnez du cor dans la forêt profonde,
Allez, jetez au vent des cris de rendez-vous !
La pâle fleur des bois se mire encor dans l’onde,
Le convive, aux festins, passe la coupe ronde,
Mais las ! Mon cœur n’est plus, si fidèle et si doux.


IV. ÉROS ET PSYCHÉ (de Baudry).


Assis légèrement au bord du siège antique,
Le dieu retient Psyché, tremblante, sur son cœur,
D’un geste si charmant, dans sa grâce pudique,
Qu’il semble que Psyché soit une jeune sœur :
À peine si ses doigts pressent la chère épaule !
Perdue aux flots de gaze, et souple comme un saule,
La tête renversée, et dans ses cheveux blonds,
Portant une fleur blanche, une fleur de la plaine,
Elle fixe sur lui ses doux regards profonds :
Sur sa bouche entr’ouverte on sent sa jeune haleine…
Svelte, un bandeau d’argent ceignant ses longs cheveux,
Le jeune dieu, pensif, et comme curieux,
Attire doucement et presse à sa poitrine
Une main de Psyché, les yeux sur ses yeux bleus.
Un sentiment exquis, d’une essence divine,
Comme un souffle du ciel, les anime tous deux.
Craintive, l’autre main de la jeune immortelle
Tient Éros embrassé, dont elle effleure l’aile,
Et la gaze, en longs plis qui tombe chastement,
Laisse à peine entrevoir son pied très vaguement.

CHARLES DE BERKELEY.

  1. Suivant une tradition bien connue, les lords de Rosslyn étaient enterrés revêtus de leur armure.