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Poésie - Le Père Jean - Ballade de la fileuse

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Poésie - Le Père Jean - Ballade de la fileuse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 79 (p. 931-934).
POÉSIE


LE PERE JEAN.

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Le père Jean s’en va sous la falaise grise
Dans son vieux camion. — Cocotte, la jument
Renifle le grand air, car il fait bonne brise
Et, ce soir, les bateaux vont danser rudement !

Le vieux fume sa pipe ; il suit une mouette
Qui rase le flot sombre et piaille dans le vent…
La bête tend le cou sous l’eau qui la fouette
Et le bonhomme chante ! — Il a vu ça souvent
Quand il courait la mer ! Il connaît les orages !
On n’a pas fait trente ans la pêche sur le banc
Sans se douter un peu comment sont les nuages,
Et ce n’est pas pour rien, morbleu, qu’on est tout blanc !
Et puis, le vent lui parle ! — Il apporte au bonhomme
Les bonjours de tous ceux qui sont couchés là-bas
Sous l’eau verte ! — On dirait que le vent les lui nomme !
Ah ! les bons vieux amis !.. Mais la mer ne rend pas
Ceux qu’elle prend ! — Un jour, son fils, un gars solide.
Est parti pour la pêche et n’est pas revenu !
Père Jean, bêtement, regarde dans le vide.
Triste et songeur ! — Le vent lui souffle un nom connu !
Et bientôt quand, au plein, les deux pieds dans l’écume.
Il va de varechs lourds faire une ample moisson.
Le vieux, de temps en temps, au travers de la brume,
Cherchera si le flot ne rend pas son garçon !

Car c’est bien dur, allez, de passer sa vieillesse
Tout seul ! — Et sans jamais prendre un brin de repos
Avec un fils on vit presque une autre jeunesse,
Et si le père est las, le garçon est dispos !

La bête songe aussi! Sa poitrine frissonne...
Elle flaire du nez les gros galets luisans;
La falaise noircit; — au bourg, l’Angélus sonne
Et le vieux tasse encor les goémons pesans !

Pauvre vieux père Jean ! La mer impitoyable
Gardera ton garçon et ne te rendra rien !
Console-toi, vois-tu, car les tombeaux de sable
Ne sont pas violés et l’on y rêve bien !
Je sais que si ton fils dormait au cimetière
Sous les gazons touffus où l’herbe pousse mieux,
Tu pourrais quelquefois t’asseoir sur une pierre
Et regarder ton fils! — Te voilà déjà vieux!..
Et quand tu seras mort, sur la dune sauvage.
Personne ne viendra dans les creux de rocher.
Arracher un bouquet aux baisers de l’orage
Pour qu’il parle du flot à ton fils, le nocher !
Oh! non, personne, va, ne viendra sur sa couche
Apporter quelques fleurs pleines de sel marin.
Et le jour où la mort aura fermé ta bouche,
Aucune voix n’ira lui conter ton chagrin !
Et puis, les malheureux n’ont pas au cimetière
Le droit d’y reposer pour leur éternité.
Et l’on peut sur ses os sentir une autre bière
Quand on dort dans un sol qu’on n’a pas acheté!..
Tandis que sous la mer, parmi les algues vertes.
On peut rêver tranquille, étendu tout au fond.
Et rien ne vient troubler aux profondeurs désertes
Les marins endormis dans les rêves qu’ils font!

Père Jean, moi qui crois que l’âme prend ses fêtes
Dans les affections qu’elle eût de son vivant,
Je te dis qu’il fait bon d’être au sein des tempêtes
Lorsque l’on fut marin et qu’on aimait le vent !
D’ailleurs, quand tu t’en vas assis dans ta charrette
Te courbant sous les grains, mais écoutant les voix
Qui s’en viennent du large et qu’un souffle te jette,
Ton fils, le bon marin, t’appelle quelquefois!
La mer t’en parle mieux qu’un nom mis sur la pierre ;
C’est comme s’il dormait à l’ombre d’un gazon,

Car l’océan sans borne est un grand cimetière
Où tu viens, tous les jours, penser à ton garçon !

Le vent grince en courbant les ajoncs de la dune.
Les courlis, dans les rocs, jettent des cris plaintifs,
La mer pleure, et l’on voit briller dans la nuit brune
Une ceinture blanche aux flancs noirs des récifs !
La besogne est finie et la vieille charrette
Gémit en s’enfonçant dans le sable mouillé !
Assis sur un brancard, le bonhomme fouette
En tenant un fanal que la pluie a rouillé...
Il siffle entre ses dents une vieille romance
Que la tempête enlève!.. — Et qu’elle portera
Au fils, qui, retrouvant un air de son enfance.
Reconnaîtra la voix du père et sourira !


BALLADE DE LA FILEUSE.

-


Bonne femme, filez, filez la laine blanche !
C’est la saison des nids dans les bois parfumés.
Un rayon de soleil danse sur votre manche
Et baigne de clarté les tableaux enfumés...
Bonne femme, filez, filez la laine blanche!

Parmi les nénuphars dormant sur l’eau dormante,
Les papillons dorés et les papillons blancs
S’en vont en tournoyant... singulière tourmente
D’ailes qu’on croit des fleurs dans les roseaux tremblans,
Parmi les nénuphars dormant sur l’eau dormante!

Vous n’irez plus au bois récolter les morilles
Qui se cachent dans l’herbe à l’ombre des ormeaux ;
Bonne femme, laissez, laissez les jeunes filles
Cueillir les fruits à l’arbre en courbant les rameaux ;
Vous n’irez plus au bois récolter les morilles !

On dit que vous aviez de belles boucles blondes,
Que vous portiez gaîment, bras nus, les lourds paniers,
Et qu’un fichu croisé sur vos épaules rondes,
Vous dansiez tout un soir sous les hauts maronniers...
On dit que vous aviez de belles boucles blondes!

On dit que vous aimiez Pierre, le garde-chasse,
Dont la tête passait par-dessus les taillis.
Et que sur votre cœur vous gardiez une place
Pour mettre les bouquets que Pierre avait cueillis.
On dit que vous aimiez Pierre, le garde-chasse !

Bonne femme, on en parle encore à la veillée
De la noce de Pierre ! — On conte que Suzon
Était blanche, était rose,.. était ensoleillée,
Et que le garde-chasse était un beau garçon !
Bonne femme, on en parle encore à la veillée !

Est-ce vrai qu’on vous voit pleurer sur votre ouvrage
Quand, par-dessus les blés fêtés par les grillons.
Le vieux clocher du bourg annonce un mariage
Et fait peur aux oiseaux de ses gais carillons?
Est-ce vrai qu’on vous voit pleurer sur votre ouvrage?

Suzon, vous pensez donc encore au garde-chasse ?
Vous marmottez son nom parfois entre vos dents ;..
Si, dans votre cerveau, le souvenir se lasse.
L’amour de votre cœur est plus vieux que le temps !
Suzon, vous pensez donc encore au garde-chasse?

Depuis que Pierre est mort, Suzon, vous êtes mortel
Lorsque pour votre deuil les cloches sonneront,
Que le prêtre viendra, sur le pas de la porte.
Chercher votre cercueil, peu de gens le suivront!..
Depuis que Pierre est mort, Suzon, vous êtes morte!

On ne sait plus le nom de Suzon la fileuse...
Les filles d’autrefois et leurs doux amoureux
Dorment depuis longtemps sous la terre frileuse,
Et le chardon fleurit sur leurs tombeaux poudreux !
On ne sait plus le nom de Suzon la fileuse !

Aussi, filez en paix, filez la laine blanche,
C’est la saison des nids dans les bois parfumés,
Un rayon de soleil danse sur votre manche
Et baigne de clarté les tableaux enfumés...
Bonne femme, filez, filez la laine blanche!


EUGENE LE MOUËL.