Poésie - Veillée de Noël

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Poésie - Veillée de Noël
Revue des Deux Mondes5e période, tome 18 (p. 904-908).
POÉSIE

VEILLEE DE NOËL


Dehors, c’est un confus murmure, un vague bruit.
On dirait un léger bourdonnement d’abeille.
Et, dans la chambre tiède et bien close où je veille,
J’écoute au loin sonner la messe de minuit.

Je songe, en tisonnant la braise qui s’écroule.
Que pour moi, vieux pécheur, a retenti la voix
Des cloches de Noël vainement tant de fois ;
Et voilà les regrets qui m’assaillent en foule.

Car je serai jugé bientôt, — qui sait ? — demain ;
Et cependant, pareil à la mer sur les côtes.
Monte toujours en moi le flot lourd de mes fautes,
Et j’en fais tristement le sévère examen.

C’est donc vrai. J’ai vécu si longtemps près des fanges
Où mes pieds imprudens souvent se sont plongés,
Et je n’ai pas suivi l’étoile des bergers.
Et je suis resté sourd au chœur d’appel des anges !

O nuit de Bethléem, en ton suave azur,
A présent je vois l’astre et j’entends le cantique.
Pourtant, bien qu’éclairé par ta splendeur mystique,
Suis-je vraiment meilleur ? Suis-je un peu moins impur ?



Mais j’ai tort. Reprenons courage et confiance.
L’Enfant-Dieu ne veut pas qu’on tremble devant lui.
Je prétends l’adorer et le voir aujourd’hui
Avec les yeux, avec l’âme de mon enfance.

Car mes soirs de Noël les meilleurs, je les eus
Alors qu’innocemment — Bonne Vierge, pardonne ! —
Je confondais un peu ma mère et la Madone,
Et quand j’étais pour elle un peu l’Enfant-Jésus.

Elle m’avait montré, dans un livre d’images,
Saint Joseph s’appuyant, las, sur son grand bâton,
Les rustiques pasteurs sous leurs peaux de mouton,
Et, coiffés de turbans somptueux, les Rois Mages.

Comme il s’était gravé dans mon cerveau tout neuf,
Cet enfant radieux dans cette étable sombre
Où, sur le mur croulant, se dresse et grandit l’ombre
Des oreilles de l’âne et des cornes du bœuf !

Je retrouve aujourd’hui l’impression première :
A genoux, cils baissés devant le cher petit,
La Vierge est là, priant son Fils qui resplendit
D’une mystérieuse et céleste lumière.

Je le vois comme alors, le divin nouveau-né :
Dans un geste charmant qui bénit et qui joue,
De sa petite main il caresse la joue
Du pâtre en cheveux gris devant lui prosterné ;

Ou bien, si gracieux, nu malgré la nuit fraîche,
Il se roule en tenant à plein poing son orteil,
Et son corps potelé brille comme un soleil
Et transforme en rayons les pailles de la crèche




C’est ainsi que la Foi, comme éclôt une fleur,
Naquit en moi, candide, ingénue, instinctive,
Quand je balbutiais la prière naïve
Des tout petits : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur ! »

Et quand dans ma couchette, enfant faible et malade,
Ma mère me voyait tendre, avec un soupir.
Mes deux mains vers Jésus, avant de m’endormir,
Pour l’embrasser ainsi qu’un petit camarade.



Un demi-siècle et plus a passé depuis lors.
Le vent des passions, partout où l’homme pèche,
M’emporta, me roula comme une feuille sèche,
Et je me suis cent fois souillé l’âme et le corps.

Mais, enfin, j’ai rougi de ce honteux délire,
J’ai rouvert le vieux livre où, montrant chaque mot,
Patiemment, avec son aiguille à tricot,
Ma mère, quand j’étais enfant, m’apprit à lire.

Je revins humblement au Dieu qui fut le sien.
Je retrouvai le pur trésor de ma croyance,
Et, maintenant, malgré plus d’une défaillance.
Je tâche de finir mon voyage en chrétien.

Hélas ! c’est un chemin où je trébuche et glisse,
Ployant sous le fardeau si lourd de mon passé.
Un sentier dans les monts, par la neige effacé,
Où j’ai souvent failli choir dans le précipice.

Mais, ce soir, écoutant les cloches bourdonner
Derrière les épais rideaux de ma fenêtre.
Je songe à la bonté du Dieu qui vient de naître
Et j’ai le ferme espoir qu’il veut me pardonner.

Debout dans le giron de la Vierge Marie,
Il m’accueille et m’absout d’un geste, en souriant,
Et, comme les bergers et les rois d’Orient,
Plein d’amour, devant lui je m’agenouille et prie.

Mon cœur, ce soir, au cœur d’un enfant est pareil.
Je suis sûr que sur moi le pardon va descendre,
Comme jadis, mettant mes souliers dans la cendre,
J’étais sûr d’y trouver des jouets, au réveil.

O douceur ! Le petit Jésus a la puissance
De faire refleurir, avec un seul regard,
L’enfantine candeur dans l’âme d’un vieillard ;
Et, dans un vieux coupable, une jeune innocence I



De puissans malfaiteurs, en ce temps trop vanté,
S’acharnent, furieux, contre l’œuvre féconde
De Celui qui, — voilà vingt siècles, — dans ce monde,
Fonda la plus sublime école de bonté.

En plus d’un lieu, déjà, — spectacle lamentable ! —
L’herbe de l’abandon pousse au pied de la Croix.
Ils veulent à présent, par leurs iniques lois.
Éloigner nos enfans du Dieu né dans l’étable.

Pousseront-ils plus loin leur labeur criminel ?
Fermeront-ils bientôt l’église, — après l’école ?
L’an prochain, — que sait-on ?... la rage les affole... —
Entendrons-nous encor les cloches de Noël ?

Mais la haine est stérile et son œuvre éphémère
Ils n’auront rien fait, rien, tant qu’un pauvre petit.
Devant un Christ orné d’un brin de buis bénit.
Répétera, naïf, les mots dits par sa mère.

Jetez la Croix à terre et l’Evangile au feu,
Persécuteurs ! Un peu de vérité chrétienne
Suffira tôt ou tard pour qu’une âme revienne
A la foi confiante, à la paix avec Dieu.

Faire une France athée, oui, c’est votre démence !
Mais notre sol, depuis plus de treize cents ans.
Avec nos morts, au fond des guérets bienfaisans,
Conserve une immortelle et pieuse semence.

Sachez-le. Quand seraient jetés bas et couchés
Sur la terre, en débris, les murs de nos églises.
Un jour nous reverrions, dardant leurs flèches grises,
Surgir une moisson nouvelle de clochers ;

Et, dans un très joyeux branle, à toute volée,
Pour célébrer l’instant à jamais solennel
Où naquit l’Homme-Dieu, le Sauveur éternel,
Les cloches sonneraient dans la nuit étoilée.


FRANÇOIS COPPÉE.