Poésies/Lemerre, 1883/Symétha
SYMÉTHA
« Navire aux larges flancs de guirlandes ornés,
Aux Dieux d’ivoire, aux mâts de roses couronnés !
Oh ! qu’Eole, du moins, soit facile à tes voiles !
Montrez vos feux amis, fraternelles étoiles !
Jusqu’au port de Lesbos guidez le nautonier,
Et de mes vœux pour elle exaucez le dernier :
Je vais mourir, hélas ! Symétha s’est fiée
Aux flots profonds ; l’Attique est par elle oubliée.
Insensée ! elle fuit nos bords mélodieux,
Et les bois odorants, berceaux des demi-Dieux,
Et les chœurs cadencés dans les molles prairies,
Et, sous les marbres frais, les saintes Théories.
Nous ne la verrons plus, au pied du Parthénon,
Invoquer Athénée en répétant son nom ;
Et, d’une main timide, à nos rites fidèle,
Ses longs cheveux dorés couronnés d’asphodèle,
Consacrer ou le voile, ou le vase d’argent,
Ou la pourpre attachée au fuseau diligent.
O vierge de Lesbos ! que ton île abhorrée
S’engloutisse dans l’onde à jamais ignorée,
Avant que ton navire ait pu toucher ses bords !
Qu’y vas-tu faire ? Hélas ! quel palais, quels trésors
Te vaudront notre amour ? Vierge, qu’y vas-tu faire ?
N’es-tu pas, Lesbienne, à Lesbos étrangère ?
Athène a vu longtemps s’accroître ta beauté,
Et, depuis que trois fois t’éclaira son été,
Ton front s’est élevé jusqu’au front de ta mère ;
Ici, loin des chagrins de ton enfance amère,
Les Muses t’ont souri. Les doux chants de ta voix
Sont nés Athéniens ; c’est ici, sous nos bois,
Que l’amour t’enseigna le joug que tu m’imposes ;
Pour toi mon seuil joyeux s’est revêtu de roses.
« Tu pars ; et cependant m’as-tu toujours haï,
Symétha ? Non, ton cœur quelquefois s’est trahi ;
Car, lorsqu’un mot flatteur abordait ton oreille,
La pudeur souriait sur ta lèvre vermeille :
Je l’ai vu, ton sourire aussi beau que le jour ;
Et l’heure du sourire est l’heure de l’amour.
Mais le flot sur le flot en mugissant s’élève,
Et voile à ma douleur le vaisseau qui t’enlève.
C’en est fait, et mes pieds déjà sont chez les morts ;
Va, que Vénus du moins t’épargne le remords !
Lie un nouvel hymen ! va ; pour moi, je succombe ;
Un jour, d’un pied ingrat tu fouleras ma tombe,
Si le destin vengeur te ramène eu ces lieux
Ornés du monument de tes cruels adieux. »
— Dans le port du Pirée, un jour fut entendue
Cette plainte innocente, et cependant perdue ;
Car la vierge enfantine, auprès des matelots,
Admirait et la rame, et l’écume des flots ;
Puis, sur la haute poupe accourue et couchée,
Saluait, dans la mer, son image penchée,
Et lui jetait des fleurs et des rameaux flottants,
Et riait de leur chute et les suivait longtemps ;
Ou, tout à coup rêveuse, écoutait le Zéphire,
Qui, d’une aile invisible, avait ému sa lyre.
Écrit en 1815.