Poésies (Renée de Brimont, Revue des Deux Mondes)/04
POÉSIES
LE VOYAGE AU BORD DE L’EAU
La fin d’un jour d’été. Le ciel mauve est sans pli.
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— Étang de nacre et de jade,
De topaze et de béryl ;
Étang grave et puéril,
Indifférent et maussade ;
Pâle et luisant à la fois
De multiples influences,
Étang, j’ai dans vos nuances,
Un à un, plongé mes doigts.
Les froids baisers de votre onde
Me pénètrent lentement…
O fluide diamant,
Caresse chaste et profonde !
O douceur, ô volupté
Merveilleuse et délicate ;
Reflets de perle ou d’agate,
De l’eau morte et de l’été !…
L’heure est chaude, pesante, moite…
Des nymphéas à demi clos
Dorment sur l’étang qui miroite…
Je suis couchée au bord de l’eau.
Dans sa dédaigneuse indolence
Un cygne me frôle en passant…
— Prescience intime, silence
Inquiet, obscur et puissant !
L’orage est proche… Des corolles
Inclinent leurs fronts courbatus ;
Dans les saules aux branches molles,
Soudain les oiseaux se sont tus ;
Et c’est une torpeur trop forte
Que parfois nous verse l’été,
Car toute chose est comme morte,
Et le jardin comme enchanté !
…Sur l’étang de nacre et de jade
Les blancs nymphéas se sont clos…
— Mon âme orageuse et malade,
Je n’irai plus au bord de l’eau.
— Soleil, soleil, vous dispersez
A travers les rameaux blessés
Par l’Automne aux rigueurs naissantes
Vous dispersez votre trésor,
L’essaim muet des guêpes d’or
Lumineuses et frémissantes.
Soleil, vous dont l’Aube a rêvé,
Pour vous accueillir, j’ai levé
Mes mains en forme de corbeille ;
Vous glissez le long de mes doigts…
Sur le sable, à mes pieds, je vois
L’ombre mince qui m’est pareille.
Je vous offre tout ce que j’ai,
Soleil, — le jardin négligé,
Le mur vêtu d’un lierre triste,
La vigne où pend un raisin noir,
Et la terrasse, et ce miroir, —
L’étang d’opale et d’améthyste !
Parmi les nymphéas déclos,
Jouez, soleil, jouez dans l’eau
Que ride une brise, au passage…
Jouez I Ce miroir est à moi,
Et j’irai voir dans son œil froid,
Nimbé du vôtre, mon visage !
Étendue au seuil du bassin,
Dans l’eau plus froide que le sein
Des vierges sages,
J’ai reflété mon vague ennui,
Mes yeux profonds couleur de nuit
Et mon visage.
Autour de moi dansaient, légers
A travers les blonds orangers,
De vains atomes…
Mes doigts souples demeuraient joints :
Il me semblait venir de loin,
Comme un fantôme !
Or, dans ce miroir incertain,
J’ai vu de merveilleux matins…
J’ai vu des choses
Pâles comme des souvenirs,
Dans l’eau que ne saurait ternir
Nul vent morose.
Alors — au fond du Passé bleu —
Mon corps mince n’était qu’un peu
D’ombre mouvante ;
Sous les lauriers et les cyprès,
J’aimais la brise au souffle frais
Qui vous évente…
J’aimais vos caresses de sœur,
Vos nuances, votre douceur,
Aube opportune ;
Et votre pas souple et rythmé,
Nymphes au rire parfumé,
Au teint de lune ;
Et le galop des aegypans,
Et la fontaine qui s’épand
En larmes fades…
Par les bois secrets et divins
J’écoutais frissonner sans fin
L’Hamadryade !
J’aimais la ruche aux larges flancs,
Le chant des abeilles, les blancs
Troupeaux de chèvres ;
Avec le miel ensoleillé,
L’acre saveur du lait caillé
Monte à mes lèvres !
Dans l’ombre molle qui consent,
J’ai parfois sucé votre sang,
Grenades mûres ;
Et pour mes cheveux j’ai mêlé
Des fleurs, des pampres et des blés
A des ramures…
— O cher Passé mystérieux
Qui vous reflétez dans mes yeux
Comme un nuage,
Il me serait plaisant et doux,
Passé, d’essayer avec vous
Le long voyage !…
Si je glisse, les eaux feront
Un rond fluide… un autre rond.
Un autre à peine…
Et puis le miroir enchanté
Reprendra sa limpidité
Froide et sereine.
Le même insatiable et merveilleux tourment
Vous emporte vers trop de choses !…
— Reposez-vous, mon cœur, ne fût-ce qu’un moment ;
Ce soir je suis faible, morose…
Après avoir goûté l’allégresse du jour
Dans sa lumière forte et rude,
Ce soir, il faut goûter, mon cœur, au philtre lourd
D’une émouvante lassitude !
Il faut tout oublier : les yeux qui ne sont plus,
Les heures trop tôt épuisées,
Les délicats matins, les soirs irrésolus
Sous leur écharpe de rosée ;
Les jardins bourdonnans au vol d’or des frelons,
Les lis purs comme des reliques,
Et les pas dans la brume, au bord des eaux, le long
Des peupliers mélancoliques…
A quoi bon tant aimer le beau front nébuleux
Des bois visités par la lune ;
Les roses nymphéas des pâles étangs bleus
Où vont des feuilles, une à une…
Et le silence, et l’ombre, et le soleil de mai
Qui fait luire les toits d’argile ;
Et le vol des palombes blanches, mieux rythmé
Que le vol d’un rythme fragile !
A quoi bon s’arrêter au charme périlleux
D’une harmonie ample et sonore,
A des mots frémissans qui laissent après eux
Beaucoup plus de détresse encore ;
Que sort de désirer d’un désir si fervent
La ramure la mieux fleurie ?
A quoi bon ! Tout au monde, hélas ! est décevant,
Et je suis faible, endolorie…
Reposez-vous, mon cœur, d’avoir battu trop fort
Pour des rêves, pour des chimères,
Qui, derrière le masque, ont l’aspect de la Mort
Sur un lit de cendres amères !
Ah ! Mensonges, reflets trompeurs, jeux de miroir,
Illusions et folles courses !
Ce soir, écoutez-moi, — n’écoutez pas, ce soir,
Le bondissant appel des sources !
N’écoutez pas le souffle amoureux et léger
De la nuit apprêtant ses voiles…
Du chant des rossignols demeurez protégé,
Et des yeux tendres des étoiles ;
Et de l’écho muet des désirs, des aveux,
Des souvenirs, — perfides baumes…
Restez sourd, ô mon cœur, à la lampe qui veut
Que l’on veille avec les fantômes !
Reposez, reposez, ne fût-ce qu’un moment,
Dans l’indifférence des choses…
Mais le don de sentir, ce merveilleux tourment,
Meurt et renaît de mille causes ;
C’est un vin que les dieux composent à leur gré
Pour nos cœurs débordans et vides,
Et dont vous resterez à jamais altéré
Comme l’urne des Danaïdes !
Fantômes légers, vains et fluides corps
Devinés à peine,
O vous qui parlez avec la voix des Morts,
Cette voix lointaine…
Lorsque vient la nuit, la donneuse de paix
Et de solitude,
Vous m’apparaissez — et je vous reconnais
Avec certitude.
Je vous vois surgir comme à pas de velours
De l’alcôve sombre ;
Parfois vous chassez le vol d’un rêve lourd,
O fragiles Ombres !
Vous touchez mon front, mes cheveux dévoilés,
Mes paupières closes,
Et je vous écoute, et vous me rappelez
De très vieilles choses, —
Car c’est du Passé, des souvenirs secrets,
Des lèvres fanées,
C’est de mes désirs et c’est de mes regrets
Que vous êtes nées !
— Ombres, vous gardez mes plus chères amours,
Mes fleurs les plus rares,
Et la cendre fine et chaude de mes jours,
Dans vos doigts avares ;
Tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai voulu
Des heures trop brèves,
Vous l’avez pesé… Seules, vous avez lu
Le feuillet des rêves !…
Oui, vous savez tout, Visiteuses de nuit,
Et je vous redoute,
Et sans vous, pourtant, je n’aurais nul appui
Sur l’hostile route ;
J’irais devant moi vers l’avenir diffus
Sans but et sans bible,
Si vous n’attachiez à tout ce que je fus
Des fils invisibles !
— Ombres, guidez-moi hors des vagues chemins,
Loin des rives pâles…
Je ne vous crains plus, je vous tends mes deux mains,
Ombres sororales ;
Votre voix ressemble au murmure des Morts
Dont le rythme berce…
Fantômes légers, vains et fluides corps
Qu’une voix disperse !
O Temps, suspendu ton vol, et vous, heures propices, Suspendez votre cours !…
Passé, dormez en paix dans le linceul des cendres !
Je ne livrerai point de regrets superflus
Aux défuntes douceurs, aux choses qui n’ont plus
Ni regard, ni chaleur, ni grâce neuve et tendre ;
Je ne reviendrai point aux feuillets déjà lus,
A la vague sans fond qu’entraîne le reflux…
Que nous sert, puisque rien ici-bas ne demeure !
L’aile sombre du Temps glisse, désigne, effleure…
Emporte ! Et c’est l’abime insondable des heures.
Or, la vie est un flot merveilleux et divin,
Profond comme la mer, grisant comme le vin,
Un large flot mouvant que nulle main n’entrave !
Elle va, sourde, aveugle, ouvrant les faibles doigts
Qui retenaient encor les songes d’autrefois…
Elle va, torrent fol où dansent des épaves,
Dénouant les liens, assourdissant les voix,
Brisant et dispersant, tels des fétus de paille,
L’esquisse et le serment, le marbre et la muraille !
Et de vous, ô Passé, monte un muet murmure…
Dormez, dormez en paix. Ce monde où rien ne dure,
Où rien ne nous séduit qui ne soit décevant,
Ce monde fugitif, ce monde n’est vivant,
Et ne vaut ce qu’il vaut, et n’a d’étrange charme,
Que parce qu’un sourire est proche d’une larme.
Or, sachant désormais ce que vivre a de prix,
Il ne me restera de crainte ou de mépris
Pour nul chant passager, pour nulle brève joie ;
Mes yeux seront émus, mes yeux seront épris
Du nuage enroulé dans sa traîne de soie…
Je veux n’aimer le jour que de pourpre blessé !
— Molle branche du saule où s’accroche la brise,
Rose blonde au front lourd dont le blond s’harmonise
A la fragilité d’un vase de Venise ;
Visage, bleu reflet par un souffle effacé,
Cher amour périlleux sans trêve menacé,
Je veux, si mes désirs, mes rêves, mes chimères,
Pêle-mêle entraînés dans l’éternel courant
Se perdent à jamais sur des plages amères,
Je veux n’avoir pas dit aux heures éphémères
De suspendre pour moi leur vol indifférent !…
À ANDRÉ CHÉNIER
Adossée au rocher, fluait une fontaine…
Le condamné sur sa charrette, |