Poésies (Renée de Brimont, Revue des Deux Mondes)/04

La bibliothèque libre.
livraison du 15 juillet 1914
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 19 (p. 921-934).
livraison du 15 juillet 1914

POÉSIES


LE VOYAGE AU BORD DE L’EAU

La fin d’un jour d’été. Le ciel mauve est sans pli.
— De dociles roseaux qu’un souffle à peine frôle…
Des brumes qu’une fée attache à son épaule…
Un silence de paix, de tendresse, d’oubli…
Une onde paresseuse et la grâce d’un saule…

Je suis des yeux cette eau dont le ruban glacé
Semble, à travers les prés, une couleuvre lente ;
Cette fluidité magique, transparente,
Où l’heure, en déclinant, a pour moi nuancé
De vains reflets d’argent, d’azur et d’amarante…

Et mon rêve, guidé par le fil du courant,
S’éloigne… et puis s’éloigne encore… Je suppose
Par-delà l’horizon teinté d’un peu de rose,
Les chemins fabuleux, les beaux chemins que prend
Toute source limpide en ses deux rives close !

Je suppose à loisir l’étrangeté des ciels,
Les nocturnes soleils parés de sortilège
Et les mornes sapins tout ruisselans de neige
Qui se mirent, figés et comme artificiels,
Dans la virginité des ondes de Norvège…


J’imagine l’Écosse humide aux gazons frais…
La Hollande : un moulin sur des eaux pudibondes…
Une nixe du Rhin coiffant ses nattes blondes
Avec le peigne pris aux gnomes des forêts
Quand passe un voyageur sur la vague profonde…

Je découvre les flots sauvages, les torrens
Qui murmurent au fond des gorges de Bohême…
Et la verte « Donaù » plus ample qu’un poème…
Et ces pâles ruisseaux où va boire en pleurant,
Dans les légendes d’or, la princesse qu’on aime !…

Je vois les doux, les purs, les délicats matins
Se baignant aux bassins d’Espagne et d’Italie…
Les fontaines de Rome et leur mélancolie…
Les lourds soleils couchans sous des roses éteints
Que reflètent les yeux pleurans de Castalie…

Car la Grèce m’accueille où l’onde n’a chanté
Que pour des chevriers, des dieux et des poètes,
La Grèce où, dénouant ses triples bandelettes,
Une nymphe lavait la belle nudité
Des chevilles d’Athène au front de violettes !

Je vais plus loin… plus loin… Il me souvient encor
Et du Gange opulent, et des fleuves de Chine,
Et des jaunes rameurs ployant leur maigre échine ;
Et des soirs d’Assouan, et des nuits de Louqsor…
Mes rêves font le tour du monde : j’imagine !…

— Or, me voici captive au bord d’un filet d’eau,
Un mince filet d’eau dans un jardin de France.
… Des roseaux balancés avec indifférence…
Une ombre qui s’allonge ainsi qu’un lent rideau…
Un saule échevelé qui frémit en silence…

Toute lueur évoque un paradis perdu,
La brume qui s’étend forme de blancs sillages,
Et j’ai, lasse d’errer de voyage en voyage,
À mes songes lointains peu à peu confondu
Ces brouillards cotonneux et ces penchans feuillages…




AU BORD DE L’EAU


— Étang de nacre et de jade,
De topaze et de béryl ;
Étang grave et puéril,
Indifférent et maussade ;

Pâle et luisant à la fois
De multiples influences,
Étang, j’ai dans vos nuances,
Un à un, plongé mes doigts.

Les froids baisers de votre onde
Me pénètrent lentement…
O fluide diamant,
Caresse chaste et profonde !

O douceur, ô volupté
Merveilleuse et délicate ;
Reflets de perle ou d’agate,
De l’eau morte et de l’été !…




L’heure est chaude, pesante, moite…
Des nymphéas à demi clos
Dorment sur l’étang qui miroite…
Je suis couchée au bord de l’eau.

Dans sa dédaigneuse indolence
Un cygne me frôle en passant…
— Prescience intime, silence
Inquiet, obscur et puissant !

L’orage est proche… Des corolles
Inclinent leurs fronts courbatus ;
Dans les saules aux branches molles,
Soudain les oiseaux se sont tus ;


Et c’est une torpeur trop forte
Que parfois nous verse l’été,
Car toute chose est comme morte,
Et le jardin comme enchanté !

…Sur l’étang de nacre et de jade
Les blancs nymphéas se sont clos…
— Mon âme orageuse et malade,
Je n’irai plus au bord de l’eau.




— Soleil, soleil, vous dispersez
A travers les rameaux blessés
Par l’Automne aux rigueurs naissantes
Vous dispersez votre trésor,
L’essaim muet des guêpes d’or
Lumineuses et frémissantes.

Soleil, vous dont l’Aube a rêvé,
Pour vous accueillir, j’ai levé
Mes mains en forme de corbeille ;
Vous glissez le long de mes doigts…
Sur le sable, à mes pieds, je vois
L’ombre mince qui m’est pareille.

Je vous offre tout ce que j’ai,
Soleil, — le jardin négligé,
Le mur vêtu d’un lierre triste,
La vigne où pend un raisin noir,
Et la terrasse, et ce miroir, —
L’étang d’opale et d’améthyste !

Parmi les nymphéas déclos,
Jouez, soleil, jouez dans l’eau
Que ride une brise, au passage…
Jouez I Ce miroir est à moi,
Et j’irai voir dans son œil froid,
Nimbé du vôtre, mon visage !



REFLETS DANS L’EAU


Étendue au seuil du bassin,
Dans l’eau plus froide que le sein
Des vierges sages,
J’ai reflété mon vague ennui,
Mes yeux profonds couleur de nuit
Et mon visage.

Autour de moi dansaient, légers
A travers les blonds orangers,
De vains atomes…
Mes doigts souples demeuraient joints :
Il me semblait venir de loin,
Comme un fantôme !

Or, dans ce miroir incertain,
J’ai vu de merveilleux matins…
J’ai vu des choses
Pâles comme des souvenirs,
Dans l’eau que ne saurait ternir
Nul vent morose.

Alors — au fond du Passé bleu —
Mon corps mince n’était qu’un peu
D’ombre mouvante ;
Sous les lauriers et les cyprès,
J’aimais la brise au souffle frais
Qui vous évente…

J’aimais vos caresses de sœur,
Vos nuances, votre douceur,
Aube opportune ;
Et votre pas souple et rythmé,
Nymphes au rire parfumé,
Au teint de lune ;

Et le galop des aegypans,
Et la fontaine qui s’épand


En larmes fades…
Par les bois secrets et divins
J’écoutais frissonner sans fin
L’Hamadryade !

J’aimais la ruche aux larges flancs,
Le chant des abeilles, les blancs
Troupeaux de chèvres ;
Avec le miel ensoleillé,
L’acre saveur du lait caillé
Monte à mes lèvres !

Dans l’ombre molle qui consent,
J’ai parfois sucé votre sang,
Grenades mûres ;
Et pour mes cheveux j’ai mêlé
Des fleurs, des pampres et des blés
A des ramures…

— O cher Passé mystérieux
Qui vous reflétez dans mes yeux
Comme un nuage,
Il me serait plaisant et doux,
Passé, d’essayer avec vous
Le long voyage !…

Si je glisse, les eaux feront
Un rond fluide… un autre rond.
Un autre à peine…
Et puis le miroir enchanté
Reprendra sa limpidité
Froide et sereine.


LE MÊME INSATIABLE ET MERVEILLEUX TOURMENT…


Le même insatiable et merveilleux tourment
Vous emporte vers trop de choses !…
— Reposez-vous, mon cœur, ne fût-ce qu’un moment ;
Ce soir je suis faible, morose…


Après avoir goûté l’allégresse du jour
Dans sa lumière forte et rude,
Ce soir, il faut goûter, mon cœur, au philtre lourd
D’une émouvante lassitude !

Il faut tout oublier : les yeux qui ne sont plus,
Les heures trop tôt épuisées,
Les délicats matins, les soirs irrésolus
Sous leur écharpe de rosée ;

Les jardins bourdonnans au vol d’or des frelons,
Les lis purs comme des reliques,
Et les pas dans la brume, au bord des eaux, le long
Des peupliers mélancoliques…

A quoi bon tant aimer le beau front nébuleux
Des bois visités par la lune ;
Les roses nymphéas des pâles étangs bleus
Où vont des feuilles, une à une…

Et le silence, et l’ombre, et le soleil de mai
Qui fait luire les toits d’argile ;
Et le vol des palombes blanches, mieux rythmé
Que le vol d’un rythme fragile !

A quoi bon s’arrêter au charme périlleux
D’une harmonie ample et sonore,
A des mots frémissans qui laissent après eux
Beaucoup plus de détresse encore ;

Que sort de désirer d’un désir si fervent
La ramure la mieux fleurie ?
A quoi bon ! Tout au monde, hélas ! est décevant,
Et je suis faible, endolorie…

Reposez-vous, mon cœur, d’avoir battu trop fort
Pour des rêves, pour des chimères,
Qui, derrière le masque, ont l’aspect de la Mort
Sur un lit de cendres amères !


Ah ! Mensonges, reflets trompeurs, jeux de miroir,
Illusions et folles courses !
Ce soir, écoutez-moi, — n’écoutez pas, ce soir,
Le bondissant appel des sources !

N’écoutez pas le souffle amoureux et léger
De la nuit apprêtant ses voiles…
Du chant des rossignols demeurez protégé,
Et des yeux tendres des étoiles ;

Et de l’écho muet des désirs, des aveux,
Des souvenirs, — perfides baumes…
Restez sourd, ô mon cœur, à la lampe qui veut
Que l’on veille avec les fantômes !

Reposez, reposez, ne fût-ce qu’un moment,
Dans l’indifférence des choses…
Mais le don de sentir, ce merveilleux tourment,
Meurt et renaît de mille causes ;

C’est un vin que les dieux composent à leur gré
Pour nos cœurs débordans et vides,
Et dont vous resterez à jamais altéré
Comme l’urne des Danaïdes !


LES OMBRES


Fantômes légers, vains et fluides corps
Devinés à peine,
O vous qui parlez avec la voix des Morts,
Cette voix lointaine…
Lorsque vient la nuit, la donneuse de paix
Et de solitude,
Vous m’apparaissez — et je vous reconnais
Avec certitude.
Je vous vois surgir comme à pas de velours
De l’alcôve sombre ;
Parfois vous chassez le vol d’un rêve lourd,
O fragiles Ombres !

Vous touchez mon front, mes cheveux dévoilés,
Mes paupières closes,
Et je vous écoute, et vous me rappelez
De très vieilles choses, —
Car c’est du Passé, des souvenirs secrets,
Des lèvres fanées,
C’est de mes désirs et c’est de mes regrets
Que vous êtes nées !
— Ombres, vous gardez mes plus chères amours,
Mes fleurs les plus rares,
Et la cendre fine et chaude de mes jours,
Dans vos doigts avares ;
Tout ce que j’ai fait, tout ce que j’ai voulu
Des heures trop brèves,
Vous l’avez pesé… Seules, vous avez lu
Le feuillet des rêves !…
Oui, vous savez tout, Visiteuses de nuit,
Et je vous redoute,
Et sans vous, pourtant, je n’aurais nul appui
Sur l’hostile route ;
J’irais devant moi vers l’avenir diffus
Sans but et sans bible,
Si vous n’attachiez à tout ce que je fus
Des fils invisibles !
— Ombres, guidez-moi hors des vagues chemins,
Loin des rives pâles…
Je ne vous crains plus, je vous tends mes deux mains,
Ombres sororales ;
Votre voix ressemble au murmure des Morts
Dont le rythme berce…
Fantômes légers, vains et fluides corps
Qu’une voix disperse !


PASSÉ, DORMEZ EN PAIX…


O Temps, suspendu ton vol, et vous, heures propices, Suspendez votre cours !…

Passé, dormez en paix dans le linceul des cendres !
Je ne livrerai point de regrets superflus
Aux défuntes douceurs, aux choses qui n’ont plus


Ni regard, ni chaleur, ni grâce neuve et tendre ;
Je ne reviendrai point aux feuillets déjà lus,
A la vague sans fond qu’entraîne le reflux…

Que nous sert, puisque rien ici-bas ne demeure !
L’aile sombre du Temps glisse, désigne, effleure…
Emporte ! Et c’est l’abime insondable des heures.

Or, la vie est un flot merveilleux et divin,
Profond comme la mer, grisant comme le vin,
Un large flot mouvant que nulle main n’entrave !
Elle va, sourde, aveugle, ouvrant les faibles doigts
Qui retenaient encor les songes d’autrefois…
Elle va, torrent fol où dansent des épaves,
Dénouant les liens, assourdissant les voix,
Brisant et dispersant, tels des fétus de paille,
L’esquisse et le serment, le marbre et la muraille !

Et de vous, ô Passé, monte un muet murmure…
Dormez, dormez en paix. Ce monde où rien ne dure,
Où rien ne nous séduit qui ne soit décevant,
Ce monde fugitif, ce monde n’est vivant,
Et ne vaut ce qu’il vaut, et n’a d’étrange charme,
Que parce qu’un sourire est proche d’une larme.

Or, sachant désormais ce que vivre a de prix,
Il ne me restera de crainte ou de mépris
Pour nul chant passager, pour nulle brève joie ;
Mes yeux seront émus, mes yeux seront épris
Du nuage enroulé dans sa traîne de soie…

Je veux n’aimer le jour que de pourpre blessé !
— Molle branche du saule où s’accroche la brise,
Rose blonde au front lourd dont le blond s’harmonise
A la fragilité d’un vase de Venise ;
Visage, bleu reflet par un souffle effacé,
Cher amour périlleux sans trêve menacé,


Je veux, si mes désirs, mes rêves, mes chimères,
Pêle-mêle entraînés dans l’éternel courant
Se perdent à jamais sur des plages amères,
Je veux n’avoir pas dit aux heures éphémères
De suspendre pour moi leur vol indifférent !…

|}



À ANDRÉ CHÉNIER

Adossée au rocher, fluait une fontaine…
Lasse du chaud midi, de ma course lointaine,
Et séduite déjà par l’appel murmurant,
J’avançais, — quand je vis, penché sur le courant,
Un enfant demi-nu, plus souple qu’un arbuste.
L’enfant riait. Ses bras, ses frêles bras robustes
Portaient une chevrette… Or, devant ce tableau
Rustique, en écoutant les murmures de l’eau,
Du jeune André Chénier j’évoquai la mémoire, —
Le Chénier de seize ans qui, s’arrêtant pour boire
À quelque source en pleurs de notre Languedoc,
Vit s’enfuir une nymphe, et grava sur le roc :
« Fons est ille Deis sacratus. » Je suis sûre
Que, séduit comme moi devant ce froid murmure,
Ce petit pâtre grec et ce chevreau bêlant,
Un jour de grand soleil, au bord d’un chemin blanc,
Il les eût célébrés sur la cadence agile
Avec les pipeaux d’or que lui prêtait Virgile !

André Chénier !… Son nom bruit tel un rameau
Balancé par les vents de la côte latine !
— Ma mère, d’une voix nuancée, en sourdine,
Me faisait réciter naguère, mot à mot,
Les strophes de « Myrto, la jeune Tarentine… »

Elle m’avait conté qu’il était né très loin,
Là-bas, dans Galata que baigne le Bosphore ;
Que sa mère chantait aux sons d’une mandore,
Sous un voile embaumé de musc et de benjoin,
À l’heure merveilleuse où le couchant se dore…


Qu’il jouait tout enfant dans un jardin fermé,
Près du jet d’eau fluet des bassins de porphyre ;
Qu’à l’ombre d’un figuier, il apprenait à lire…
— Et moi, j’appris ainsi, Poète, à vous aimer
À travers le passé, le soleil et la myrrhe !

Je connais aujourd’hui l’écolier studieux
Découvrant le Platon, ravi par l’Odyssée
Car déjà, vous pliant à rythmer la pensée,
De cet amour du Beau qu’élaborent les dieux,
Vous sentîtes votre âme obscurément blessée !

Des vers inachevés comme votre destin
Tombaient de votre plume en cadences soudaines ;
Aux amis préférés, Pange, Fondat, Trudaine,
Vous les lisiez, parfois, — ce furent, incertains,
De naissans papillons essayant leurs antennes…

Plus tard, j’ai rencontré le pèlerin fervent
Que possède sans doute une belle folie
Le long des clairs chemins de Suisse et d’Italie ;
Vous alliez, tête haute et les cheveux au vent…
Je vous faisais le don de ma mélancolie !

Avec vous, j’ai compté les étoiles au ciel
Et les flots alanguis du golfe de Sorrente ;
Sur l’horizon passaient quelques barques errantes…
Des femmes à la taille souple, au teint de miel,
Vous offraient en riant leurs fiasques odorantes.

Vous aimiez faire halte aux margelles des puits,
Cueillir ces fruits plus doux que la mangue des îles ;
Dans la paix qui s’allonge au pied des campaniles,
Il vous plaisait rêver les lumineuses nuits
Et les tendres matins de Crète et de Sicile…

Puis vous avez quitté l’Italie, et les yeux
Charmés, et le parler musical de ses filles,
Pour les yeux de la « fille d’Arno, » pour Camille,
Pour la pure Fanny des soirs harmonieux
Que Versailles abrita sous de molles charmilles ;


La Muse du Plaisir et celle de l’Amour,
Voluptueusement vous portaient dans leurs ailes…
Mais vous serviez encore une Muse plus belle :
La Liberté, prenant votre lyre à son tour,
L’a su faire vibrer sur des cordes nouvelles !

C’était à l’heure trouble où craquaient les remparts
Et les donjons des places fortes ;
Où, sur notre vieux sol miné de toutes parts,
Montaient de farouches cohortes…
La Liberté, Chénier ! D’innombrables courroux
L’appelaient comme une revanche,
Mais nul n’aura rêvé plus ardemment que vous
De sa chaste poitrine blanche ;
Et lorsque, la voyant au milieu du danger
Se voiler, dédaigneuse et pâle,
Fidèle, vous avez bondi, pour protéger
Du moins sa robe virginale !
À ceux-là qu’entraînaient toutes les passions
Vers le meurtre et vers la ruine,
Vous avez répondu par l’indignation
Qui vous soulevait la poitrine ;
Ceux-là, vous les avez maudits, marqués au front.
Mais voici que dans leur délire
Ils ont imaginé le douloureux affront
De vouloir briser votre lyre !
Oui, captif, savourant l’injustice du sort,
Il fallait que vos mains amères
Arrachassent enfin l’azur, la pourpre et l’or
Dont vous revêtaient les Chimères…
Hélas ! Dans l’ombre affreuse où s’étouffent les pas,
Coulaient parfois de fières larmes,
Et mon cœur a suivi, jour à jour, des combats
Où vous étiez seul et sans armes ;
Et pourtant, ces pamphlets vengeurs, ce beau défi
Que vous leur lanciez à la face,
Tous ces rythmes fiévreux, poète, auront suffi,
Car nulle mort ne les efface.

Paris, gorgé de sang, a vu passer un soir

Le condamné sur sa charrette,
Et Paris ignorait qu’un glorieux espoir
Tombait avec sa jeune tête…
Vos cendres, ô Chénier, vos cendres ont frémi
De cet indifférent blasphème,
Mais votre tombe, alors, s’est ouverte à demi,
Laissant échapper un poème !
Nous l’avons recueilli. — Les ruches, les vergers,
Bruissaient du vol des abeilles ;
Au bord de l’Ilyssus dansaient les bruns bergers
Et les porteuses de corbeilles…
Et nous avons chanté ce regret tendre et vain,
Mélodieux, triste et sonore :
« Mon beau voyage encore est si loin de sa fin…
« Je ne veux pas mourir encore !… »



Baronne Antoine de Brimont.