Poésies érotiques (Parny)/12 — Souvenir

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Poésies érotiquesIsle de Bourbon (p. 20-22).


SOUVENIR.


Déjà la nuit s’avance, & du sombre Orient
Ses voiles par dégrés dans les airs se déploient.
Sommeil, doux abandon, image du néant,
Des maux de l’existence heureux délassement,
Tranquille oubli des soins où les hommes se noient ;
Et vous, qui nous rendez à nos plaisirs passés,
Touchante illusion, Déesse des mensonges,
Venez dans mon azile, & sur mes yeux lassés
Secouez les pavots & les aimables songes.
Voici l’heure où trompant les surveillans jaloux,
Je pressois dans mes bras ma maîtresse timide.
Voici l’alcove sombre où d’une aîle rapide
L’essain des voluptés voloit au rendez-vous.
Voici le lit commode où l’heureuse licence
Remplaçoit par dégrés la mourante pudeur.
Importune vertu, fable de notre enfance,

Et toi, vain préjugé, phantôme de l’honneur,
Combien peu votre voix se fait entendre au cœur !
La nature aisément vous réduit au silence ;
Et vous vous dissipez au flambeau de l’amour
Comme un léger brouillard aux premiers feux du jour.

    Momens délicieux, où nos baisers de flâme,
Mollement égarés, se cherchent pour s’unir !
Où de douces fureurs s’emparant de notre ame
Laissent un libre cours au bizarre désir !
Momens plus enchanteurs, mais prompts à disparoître,
Où l’esprit échauffé, les sens, & tout notre être
Semblent se concentrer pour hâter le plaisir !
Vous portez avec vous trop de fougue et d’ivresse ;
Vous fatiguez mon cœur qui ne peut vous saisir,
Et vous fuyez sur-tout avec trop de vitesse ;
Hélas ! on vous regrette, avant de vous sentir !
Mais, non ; l’instant qui suit est bien plus doux encore.

Un long calme succède au tumulte des sens ;
Le feu qui nous brûloit par dégrés s’évapore ;
La volupté survit aux pénibles élans ;
Sur sa felicité l’ame appuie en silence ;
Et la réflexion, fixant la jouissance,
S’amuse à lui prêter un charme plus flatteur.
Amour, à ces plaisirs l’effort de ta puissance
Ne sauroit ajouter qu’un peu plus de lenteur.