Poésies érotiques (Parny)/27 — Ma mort

La bibliothèque libre.
Poésies érotiquesIsle de Bourbon (p. 51-54).


MA MORT.


De mes pensers confidente chérie,
Toi, dont les chants faciles et flatteurs
Viennent par fois suspendre les douleurs
Dont les amours ont parsemé ma vie,
Lyre fidelle, où mes doigts paresseux
Trouvent sans art des sons mélodieux,
Prends aujourd’hui ta voix la plus touchante,
Et parle-moi de ma maîtresse absente.

    Belle Aglaé, pourvu que dans tes bras
De mes accords j’amuse ton oreille,
Et qu’animé par le jus de la treille,
En les chantant, je baise tes appas ;
Si tes regards, dans un tendre délire,
Sur ton ami tombent languissamment ;
À mes accens si tu daignes sourire ;

Si tu fais plus, & si mon humble Lyre
Sur tes genoux repose mollement ;
Qu’importe à moi le reste de la terre ?
Des beaux esprits qu’importe la rumeur ?
Et du Public la sentence sévère ?
Je suis Amant, & ne suis point Auteur.
Je ne veux point d’une gloire pénible ;
Trop de clarté fait peur au doux plaisir :
Je ne suis rien, & ma muse paisible
Brave, en riant, son siècle & l’avenir.
Je n’irai pas sacrifier ma vie
Au fol espoir de vivre après ma mort.
Belle Aglaé, lorsque la main du sort
Viendra fermer ma paupière affoiblie ;
Lorsque tes bras entourant ton ami
Soulageront sa tête languissante,
Et que ses yeux soulevés à demi
Seront remplis d’une flâme mourante ;

Lorsque mes mains tâcheront d’essuyer
Tes yeux fixés sur ma paisible couche,
Et que mon cœur s’échappant sur ma bouche
De tes baisers recevra le dernier ;
Je ne veux point qu’une pompe indiscrète
Vienne trahir ma douce obscurité,
Ni qu’un airain à grand bruit agité
Annonce à tous le convoi qui s’apprête.
Dans mon azile, heureux & méconnu,
Indifférent au reste de la terre,
De mes plaisirs je lui fais un mystère ;
Je veux mourir comme j’aurai vécu.
Peut-être alors tu répandras des larmes ;
Oui, tes beaux yeux se rempliront de pleurs ;
Je te connois ; & malgré tes rigueurs,
Dans mon amour tu trouves quelques charmes.
Peut-être hélas ! vous gémirez aussi,
Belle Euphrosine ; & toi que j’aime encore

Plus que jamais, ingrate Éléonore,
Premier objet que mon cœur a choisi !
Lorsque la mort aura coupé la trame
De ces momens qu’elle rendit heureux ;
Lorsqu’un tombeau triste & silencieux
Renfermera ma douleur et ma flâme ;
Ô mes amis, vous que j’aurai perdus,
Allez trouver cette Beauté cruelle,
Et dites-lui : c’en est fait ; il n’est plus !
Bientôt du ciel la justice éternelle
Me vengera… Mais, non, Dieu des amours !
Je lui pardonne ; ajoutez à ses jours
Les jours heureux que m’ôta l’infidelle.