Poésies érotiques (Parny)/7 — À Éléonore

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Poésies érotiquesIsle de Bourbon (p. 13-15).


À ÉLÉONORE.


T’en souviens-tu, mon aimable maîtresse,
De cette nuit où nos brûlans désirs
Et de nos goûts la libertine adresse
À chaque instant varioient nos plaisirs ?
De ces plaisirs le docile théâtre
Favorisoit nos rapides élans ;
Mais tout-à-coup les suppôts chancelans
Furent brisés dans ce combat folâtre,
Et succombant à nos tendres ébats,
Sur le parquet tombèrent en éclats.
Des voluptés tu passas à la crainte ;
L’étonnement fit palpiter soudain
Ton foible cœur pressé contre le mien ;
Tu murmurois, je riois de ta plainte ;
Je savois trop que le Dieu des Amans
Sur nos plaisirs veilloit dans ces momens.

Il vit tes pleurs ; Morphée, à sa prière,
Du vieil Argus que réveilloient nos jeux
Ferma bientôt & l’oreille & les yeux,
Et de son aîle enveloppa ta mère.
L’aurore vint, plutôt qu’à l’ordinaire,
De nos baisers interrompre le cours ;
Elle chassa les timides amours ;
Mais ton souris, peut-être involontaire,
Leur accorda le rendez-vous du soir.
Ah ! si les dieux me laissoient le pouvoir
De dispenser la nuit & la lumière,
Du jour naissant la jeune avant-courière
Viendroit bien tard annoncer le soleil ;
Et celui-ci, dans sa course légère,
Ne feroit voir au haut de l’hémisphère
Qu’une heure ou deux son visage vermeil.
L’ombre des nuits dureroit davantage,
Et les Amans auroient plus de loisir.

De mes instans l’agréable partage
Seroit toujours au profit des plaisirs.
Dans un accord réglé par la sagesse,
Au doux sommeil j’en donnerois un quart ;
Le Dieu du vin auroit semblable part ;
Et la moitié seroit pour ma maîtresse.