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Poésies (1820)/Élégies/Philis

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PoésiesFrançois Louis (p. 12-18).


PHILIS.


Presse-toi, vieux berger, tout annonce l’orage.
Le vent courbe les blés, détruit la fleur sauvage.
Un murmure plaintif circule au fond des bois,
Et l’écho me répond en attristant ma voix.
De ton chien prévoyant la garde est plus austère ;
Il rôde, en haletant, d’un air triste et sévère ;
Du fond de la vallée il ramène un agneau,
Et le chasse en grondant jusqu’au sein du troupeau.
L’ouragan tourbillonne et ravage la plaine.
L’éclair poursuit l’éclair ! il tonne ! il va pleuvoir ;
Tout s’efface ; il fait nuit long-temps avant le soir ;
Et le toit de Philis ne se voit plus qu’à peine…
Laisse-moi te guider ! Si tu ne peux courir,
Je soutiendrai tes pas : ne crains point ma jeunesse ;
J’ai déjà quatorze ans ; j’honore la vieillesse,
Et je suis assez grand, du moins, pour la chérir.
La petite Philis t’ouvrira sa chaumière ;
Son père m’a vu naître ; il m’appelle son fils !
Peut-être qu’autrefois tu connaissais sa mère ;
Elle n’est plus !… mais viens ; tu connaitras Philis !

Oui, berger, c’est Philis qui m’a dit tout à l’heure :
« Olivier, le ciel gronde ; on s’enferme au hameau.
« Nous sommes à l’abri ; mais au pied du coteau
« Je vois un vieux berger… Qu’il vienne en ma demeure.
« Regarde sur son front voler ses cheveux blancs !
« Comme il lève les yeux vers le ciel en colère !
« Il se met à genoux… C’est qu’il a des enfans,
« Et qu’il demande au ciel de leur garder un père ! »
Et Philis de mes mains a retiré sa main ;
Et jusqu’au fond du cœur j’ai cru sentir ses larmes !
Et j’ai couru vers toi… Mais, au bout du chemin,
Tu verras s’il est doux de calmer ses alarmes !

Berger, voilà Philis ! — Elle nous tend les bras ;
Vois comme son sourire est mêlé de tristesse !
Elle songe à sa mère, et pleure de tendresse :
Sa mère lui sourit… mais ne lui répond pas !
Entrons — Le vieux berger rêve à ton doux langage,
Philis ! il te regarde, il est moins abattu.
On est calme avec toi, même au bruit de l’orage ;
Ô Philis ! on est bien auprès de la vertu !
Tandis que ses moutons sous la feuillée obscure
Arrachent à la terre une humide verdure,
Je lui raconterai, pour charmer ta frayeur,
Le plus beau de mes jours, le jour où je t’ai vue !

Si tu crains d’un éclair la lueur imprévue,
Tant que je parlerai, cache-toi sur mon cœur.

La petite Philis n’avait pas dix années,
Quand le hasard lia nos âmes étonnées.
Je l’aimai plus que moi, plus qu’un petit agneau
Que j’offris à Philis, et qu’elle trouvait beau !
C’était un jour de fête, et cet agneau volage
S’enfuit, malgré mes cris, loin de notre village.
Sous ce bouquet de houx qui cache une maison,
L’agneau vint se jeter… Hélas ! qu’il eut raison !
J’y rencontrai Philis ; je crus la reconnaître ;
Je crus l’avoir aimée avant même de naître !
Je sentis que mon cœur s’enfuyait vers le sien,
Et je vis dans ses yeux qu’elle attendait le mien.
Elle avait à ses pieds sa guirlande effeuillée ;
Elle pleurait… C’était une rose mouillée !
Saisi de sa douleur, je ne pouvais parler ;
Je ne pouvais la joindre, hélas ! ni m’en aller.
Son œil noir dans les pleurs brillait comme une étoile,
Ou comme un doux rayon quand il pleut au soleil.
On eût dit que mes yeux se dégageaient d’un voile,
Et que ce doux regard enchantait mon réveil !
J’oubliai mon hameau, mes parens, ma chaumière ;
Mon âme pour la voir venait sous ma paupière :
J’oubliai de punir l’agneau capricieux ;

Je regardais Philis, et je voyais les cieux,
« Qui alarme, lui dis-je, ô petite bergère ?
« As-tu peur d’un bélier caché dans la bruyère ?
« Ou quelque méchant pâtre, en grossissant sa voix,
« Ose-t-il tempêcher de courir dans le bois ?
« Je voudrais… je voudrais savoir comme on l’appelle ?
« Moi, je suis Olivier. — Je suis Philis, dit-elle.
« Je n’ai vu qu’un agneau qu’appelait un enfant,
« Et je n’ai pas eu peur à la voix d’un méchant.
« Mais, en cueillant des fleurs pour couronner ma tête,
« Je disais : Ce fut donc encore un jour de fête,
« Puisqu’on m’avait parée avec de blancs atours,
« Que ma mère en priant s’endormit pour toujours !
« Elle avait demandé le pasteur du village :
« Le pasteur avait dit : Espérance et courage !
« Il bénit son sommeil ; et, pleurant avec nous,
« Parlait bas à mon père immobile à genoux.
« Les bergers pour la voir entouraient la chaumière ;
« Son nom, qu’ils aimaient tous, unissait leur prière.
« Sous le même rideau je voulus me cacher…
« Mon père, en gémissant, put seul m’en détacher.
« Vers le soir, dans son lit un ange vint la prendre ;
« Il emporta ma mère, et je la vis descendre
« À travers le sentier qu’éclairaient deux flambeaux :
« On chantait… mais ce chant m’arrachait des sanglots !
« Je lui tendais les bras, du haut de la montagne,

« Quand je vis des hiboux voler dans la campagne :
« Je n’osai plus crier : ma voix me faisait peur ;
« Son nom, qui m’étouffait, s’enferma dans mon cœur !
« L’ombre m’enveloppa : le reste, je l’ignore :
« On me trouva plongée en un profond sommeil ;
« Hélas ! dans ce sommeil on pleure, on aime encore !
« Il en est un, dit-on, sans amour, sans réveil !
« Depuis ce jour de fête on n’a pas vu ma mère ;
« Au sentier, chaque soir, elle appelle mon père ;
« Mais, quand je veux savoir s’il l’a vue en chemin,
« Il soupire et me dit : Je la verrai demain !
« Voilà, petit berger, la cause de mes larmes.
« À mon père attristé je cache mes alarmes ;
« Pour lui plaire, souvent je me pare de fleurs ;
« Et j’apprends à sourire, en retenant mes pleurs. »

Son père l’écoutait à travers la fenêtre ;
Je le pris pour le mien, en le voyant paraître ;
D’un air triste et content il sourit à Philis,
Et depuis ce moment il m’appela son fils !
L’agneau sautait près d’elle et broutait sa couronne ;
Hors de moi, je saisis ce précieux larcin ;
En tremblant de plaisir, je le mis dans mon sein.
« Si mon agneau te plaît, prends-le, je te le donne,
« Dis-je alors à Philis. Chaque jour, chaque soir,
« Si ton père y consent, je reviendrai le voir.

« Il semble qu’il demande et choisit sa maîtresse ;
« Comme il me caressait, je vois qu’il te caresse.
« Les nœuds pour l’arrêter sont déjà superflus ;
« Tu lui parles, Philis, il ne m’écoute plus ! »

Son père, en l’embrassant, nous permit cet échange.
Il fallut m’en aller !… Je courus sous la grange,
À mes tendres parens raconter mon bonheur ;
Je montrai la guirlande encore sur mon cœur :
Je parlais de Philis, et j’embrassais ma mère !
Je brûlais que le jour nous rendît sa lumière !
En respirant les fleurs enfin je m’endormis,
Et mon rêve disait : Philis ! Philis ! Philis !
Ce nom charme en tous lieux mon oreille ravie ;
Il a doublé mon âme et commencé ma vie ;
Mes lèvres en dormant le savent prononcer,
Et, dans l’ombre, ma main essaie à le tracer ;
C’est pour l’unir au mien que j’apprends à l’écrire
Éveille-toi, Philis ! je n’ai plus rien à dire.
Tu peux ouvrir les yeux, le calme est de retour ;
Le soleil épuré recommence un beau jour ;
Avant de les quitter, il sèche nos campagnes,
Et de ses derniers feux redore les montagnes.

Ô berger ! si le ciel ici t’a fait venir
C’est que le ciel nous aime, et qu’il va nous bénir !

Mais tes moutons joyeux se jettent dans la plaine ;
La pluie et la poussière ont pénétré leur laine ;
Demain, dans le ruisseau qui baigne le vallon,
J’irai aider moi-même à blanchir leur toison ;
J’irai… de ma Philis tu vois venir le père ;
Elle court dans ses bras, et l’atteint la première.
Ô berger ! si jamais, seul et loin de ton fils,
L’orage te surprend… souviens-toi de Philis !