Poésies (Alice Vega, 1915)

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Poésies (Alice Vega, 1915)
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 28 (p. 915-922).
POÉSIES


AUX ABSENS BIEN-AIMÉS


Un murmure furtif interrompt le silence,
Un chuchotement tendre autour de moi grandit :
Est-ce vous ? Sur le mur une ombre se balance ;
Vers elle tout mon cœur s’élance…
Vous m’appelez. Qu’avez-vous dit ?

Est-ce ta voix mélodieuse qui soupire ?
J’entends sur les carreaux le choc d’un doigt léger :
La porte s’ouvre…. ô Dieu ! J’ai cru voir ton sourire,
Clair visage que je désire…
Des pas errent dans le verger.

C’est vous, chers absens… Non… Ce sont des froufrous d’ailes
Un rayon de soleil qui subitement luit,
Des chansons de fauvette et des cris d’hirondelles ;
Le vent dans les feuilles nouvelles
Et l’herbe haute fait ce bruit.

Une glycine en fleurs qui joue avec la brise
Se heurte à la fenêtre où s’est évanoui
L’épais rideau du givre et de la brume grise ;
Comme autrefois, — quelle surprise ! —
Le printemps s’est épanoui.


Et vous n’êtes pas là ! Vaine magnificence
Où le cœur solitaire et lourd saigne en secret,
Et compte tristement les longs jours de l’absence :
A quoi bon cette renaissance
De la plaine et de la forêt ?

Vous êtes loin… Parfois notre âme en deuil est lasse
D’attendre sans savoir la date du retour…
Sommes-nous séparés pourtant ? L’épreuve passe.
Sont-ils divisés par l’espace,
Ceux que rassemble un même amour ?

Votre pensée autour de moi plane sans cesse,
Et la mienne vers vous vole à travers les cieux :
Jamais au plus beau temps de l’ancienne allégresse,
Quand me charmait votre tendresse,
Nous ne nous sommes aimés mieux :

Vous reviendrez ; nous reverrons votre visage,
Mais vous vers qui j’irai, vous qui vivez plus haut,
Monte-t-il jusqu’à vous mon terrestre message,
Jusqu’au mystérieux rivage
Où je vous rejoindrai bientôt ?

Vos pas silencieux n’effleurent plus nos routes ;
Parmi les voyageurs, nous vous cherchons en vain.
Vous êtes là pourtant, triomphant de nos doutes,
Et de nos pleurs séchant les gouttes
Avec un sourire divin.

Invisibles amis que ma détresse implore,
Vous êtes toujours là ! Des pays inconnus
Où pour vous aux rayons d’une plus douce aurore,
Un autre au printemps vient d’éclore,
Déjà vous êtes revenus.



LE TOMBEAU VIDE


I. — LES PORTEUSES DE PARFUMS


L’aube luit, fraîche et claire, après l’horreur des jours
Où, le Juste expirant sous les cieux noirs et sourds,
Notre espérance fut brisée ;
Nous suivons de nouveau le chemin de douleurs ;
En tremblant, en pleurant, nous moissonnons des fleurs
Dans la printanière rosée.

Avant que parût le matin,
J’ai coupé la menthe et le thym,
L’hysope, la rouge anémone ;
J’ai cueilli près de ma maison
Les violettes du gazon
Et l’odorante cinnamome.

Voici les lys pourprés que le Seigneur trouvait
Plus beaux dans la splendeur dont le ciel les revêt
Que le plus grand de nos monarques ;
Sur le front du Martyr, leurs calices soyeux
Et leurs baumes, mêlés aux larmes de nos yeux,
Laveront les sanglantes marques.

Dans l’albâtre et l’argent, j’ai pris
Les aromates de grand prix,
Le nard pur, l’aloès, la myrrhe,
Pour en oindre ces pieds troués,
Qui sur la croix furent cloués,
Ce corps plus pâle que la cire.

Nous voulons, ce matin, l’embaumer de nouveau,
Mais le roc est si lourd qui ferme le caveau,
Si faibles sont nos mains de femme !
Qui roulera pour nous cette pierre aujourd’hui ?
Reverrons-nous Jésus et pourrons-nous sur lui
Répandre le dernier dictame ?

Sans force, dans l’ombre, à présent,
Le Christ immobile est gisant.
Qui roulera pour nous la pierre,
La lourde pierre du tombeau,
Et dans la grotte quel flambeau
Nous guidera de sa lumière ?


II. — L’APPARITION DES ANGES


La tombe ouverte est vide ; avec l’air du matin,
Le jour librement y pénètre ;
Ce n’est pas un mirage, un reflet incertain,
Rien ne nous reste plus du Maître.

C’en est donc fait, ô Christ ! Nous ne les verrons
Vos mains dont le geste délivre,
Vos yeux dont le regard guérit, Seigneur Jésus,
Vous sans qui nous ne saurions vivre !

Heureux les affligés qui pleurent sur un corps !
Nous n’avons qu’une pierre nue ;
Le Seigneur est perdu dans la foule des morts,
Englouti par l’ombre inconnue.

Hommes vêtus de blanc, redoutables et beaux,
Dont l’épée au jour étincelle,
Ayez pitié de nous, ô gardiens des tombeaux !
Voyez notre angoisse mortelle.

Puisque le Christ n’est plus, une dernière fois
Laissez-nous adorer ses restes,
Et demander encore à sa bouche sans voix
L’écho des paroles célestes.

Par pitié, rendez-nous son corps martyrisé,
Afin que notre amour l’embaume,
Et qu’à genoux autour de lui, le cœur brisé,
Nous chantions le funèbre psaume !


En contemplant ses traits apaisés par la mort,
Nous oublierons enfin peut-être
Les affres du supplice et nous dirons : Il dort,
Il ne souffrira plus, le Maître.

Au soleil levant,
La tombe est ouverte,
La crypte est déserte :
Le Christ est vivant !

Il n’est pas resté
Dans le noir mystère ;
Il n’est plus sous terre,
Le Ressuscité.

Triomphant il sort
Du funèbre abîme :
La sainte victime
A vaincu la mort.

Ne le cherchez plus
Parmi la poussière :
C’est dans la lumière
Qu’habite Jésus.


LES VOYANS


Quand vers les vains trésors d’autres tendaient la main,
Poursuivant le plaisir comme on chasse une proie,
Eux portaient les fardeaux sous lesquels l’âme ploie
De l’aurore à la nuit, du soir au lendemain.

S’immolant chaque jour, ils ont pris le chemin
De la mort héroïque et sans gloire, la voie
Du sacrifice obscur ; ils ont cherché la joie
Au-delà de la vie et de l’amour humain.


Ils ont passé… Déjà, sans doute, on les oublie,
Mais vous que fit pleurer leur divine folie,
Vous qui savez que rien ne s’achève ici-bas,

Qui dans l’ombre entendez souvent frémir une aile,
En vous penchant sur ces martyrs, n’avez-vous pas
Vu dans leurs yeux mourans poindre l’aube éternelle !


L’APPEL


Avec notre bonheur, très vite, ils sont partis,
Malgré nos yeux noyés de larmes, nos mains jointes,
Et le temps vainement efface leurs empreintes.
Lequel de nous a cru qu’ils sont anéantis ?

Chère joie envolée, ô morts grands et petits,
Qu’invoquent malgré nous nos regrets et nos plaintes,
Vous que nous bénissons chaque jour, âmes saintes
Qui de l’aile effleurez nos fronts appesantis,

Il m’a fallu sans vous m’attarder sur la terre,
Mais je ne pus rester dans ma nuit solitaire
Lorsque vous franchissiez le seuil mystérieux.

Tremblante, j’approchai de cette porte noire,
Une voix m’appela, je vis de loin vos yeux,
Et le Seigneur me dit alors : Si tu peux croire !…


LA RÉVÉLATION


Sur la route que j’ai péniblement suivie,
Tu marchais devant moi d’un pas vif et léger,
Tu chantais, tu riais à l’heure du danger,
Et tu rouvrais le ciel à mon âme asservie.


Combien de fois à la douleur tu m’as ravie !
Contre moi-même tu savais me protéger ;
Tu me semblais souvent un divin messager ;
Je t’appelais tout bas ma lumière et ma vie.

Et cependant, ô mon trésor, je t’ignorais,
Je ne pressentais pas mon deuil et mes regrets ;
Mais aujourd’hui mon cœur est clairvoyant et sage,

Il fut illuminé par l’ange au glaive ardent :
Amour, je te connais et j’ai vu ton visage,
Car on ne t’aperçoit jamais qu’en te perdant.


L’UNION SUPRÊME


Dieu ne veut pas que pour toujours notre espoir meure,
Que les liens les plus puissans et les plus doux
Soient rompus sans pitié par un destin jaloux ;
Vous l’avez appris, vous dont la flamme demeure.

Vous fûtes à ce monde arrachés avant l’heure,
Ou condamnés au deuil solitaire… Sur vous,
Mère ou sœur délaissée, infortunés époux,
Plus d’une âme attendrie et pitoyable pleure.

Mais ces riches d’un jour qui plaignent votre sort,
Ceux qui n’ont point passé par l’ombre de la mort,
Ni gravi comme vous la douloureuse voie,

Que peuvent-ils savoir de votre amour si beau,
De votre surhumaine et triomphante joie,
Cœurs à jamais unis par-delà le tombeau !



EN SILENCE


Vous pleurez un héros, une sainte au cœur tendre :
Ne pleurez pas trop fort ceux que le ciel vous prit !
Peut-être qu’ils sont là, qu’ils peuvent vous entendre,
Que sur vous plane leur esprit.

Si vous les chérissiez vraiment plus que vous-même,
Ayez pitié ! N’affligez pas de vos sanglots,
De vos pleurs déchirans, leur âme qui vous aime
Dans la lumière et le repos.

Songez qu’ils ont souffert, que leur lutte est finie ;
O vous qui respectiez leur sommeil ici-bas,
Par votre angoisse aveugle et vos cris d’agonie,
A présent ne les troublez pas !

Que leur regard, s’il vous contemple, en vous ne lise
Point de révolte impie ou d’âpre désespoir ;
Que leur paix se reflète en votre âme soumise
Ainsi que dans un pur miroir.

Vous entendrez leur voix, si vous savez vous taire,
Vous suivrez leur élan dans l’espace étoile,
Et vous ne serez plus triste ni solitaire
A votre foyer désolé.


VEGA.