Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/La Mouche
LA MOUCHE.
Voyageuse de l’air, mouche bleue et gentille,
Qui rafraîchis ton vol sur l’humide roseau,
N’es-tu pas un petit oiseau ?
Non ! tu ne chantes pas, légère volatille :
Tu n’as point de plumage, et ton rapide essor
M’en fait mieux admirer l’invisible ressort.
Tu ris de l’oiseleur, tu fais sauver sa joie ;
Ton piquant aiguillon le distrait de sa proie,
Et ton bourdonnement moqueur
Lui nomme impunément son agile vainqueur.
Tu montes jusqu’aux cieux les ailes étendues ;
Un rayon de soleil te guide et te soutient :
Ta famille dansante et s’y joue et s’y tient,
Comme un essaim de fleurs dans les airs répandues.
Qu’il est gai de te voir t’y balancer long-temps !
Descendre vers la terre, et remonter encore,
Y chercher, renaissante au souffle du printemps,
Sur ta robe de gaze un reflet de l’aurore.
Violette vivante ! à ce peu qu’il t’a fait,
Le ciel donna le monde, imprima la pensée,
Le sentiment, l’amour ! et sans remords blessée,
Pour toi, du moins pour toi, l’amour n’est qu’un bienfait.
Tu le bois en volant dans la pure lumière,
Qui de ta rapide carrière,
Comme un prisme éclairé des feux du diamant,
Forme un riant voyage, un vif enchantement.
Pourquoi te reprocher ton abjecte naissance ?
Tu t’élèves au moins par la seule puissance
Du Dieu qui nous créa pour le même séjour.
Mortels, en le quittant, que serons-nous un jour ?
Je m’amuse à rêver sur ton frêle édifice,
Soutenu de frêles piliers,
Si polis et si réguliers,
Qu’on les croirait mouvans par artifice.
Hélas ! dans l’âge le plus fort,
Comme toi l’homme tombe ; et ce maître du monde
N’a plus d’ami qui le seconde
Dans son duel avec la mort.
Ô mouche ! que ton être occupa mon enfance !
Combien, lorsqu’attristant mon paisible loisir,
Quelqu’enfant sous mes yeux accourait te saisir,
Mes larmes prenaient ta défense !
Petite philosophe, on a médit de toi :
J’en veux à la fourmi qui t’a cherché querelle.
Un printemps fait ta vie, en jouir est ta loi ;
Es-tu moins prévoyante, es-tu moins riche qu’elle ?
Esclave de la terre, elle y rampe toujours.
Ses trésors souterrains sont clos à l’indigence ;
Et, quand il a rempli son avare exigence,
Du ciron malheureux elle abrège les jours.
Pour toi, souvent rêveuse et souvent endormie,
Je t’observe partout avec des yeux d’amie.
Quand la nature est triste, il ne te faut plus rien,
Et tu romps avec elle un fragile lien.
Oh ! puisse l’âpre hiver épargner ta faiblesse !
Que l’aquilon jamais ne te soit rigoureux !
Que ton corps délicat qu’un rien détruit ou blesse,
Trouve contre la brume un foyer généreux.
Pauvre petite chose ! en passant les montagnes,
Les ruisseaux, les chemins, les cités, les campagnes,
Que Dieu te sauve, hélas ! et du bec d’un oiseau,
Et de l’insecte au fin réseau.