Poésies (Dujardin)/Chanson
CHANSON
Faut-il aimer si tendrement
Pour n’en avoir que du tourment ?
Faut-il si tendrement aimer
Et n’en être jamais payé ?
Faut-il aimer avec tant de tendresse
Et qu’on vous laisse et vous délaisse ?
Faut-il être si bon amant
Pour n’en avoir que du tourment ?
J’avais une chère amie ;
Hélas ! elle est partie,
Un soir que les rossignols
Chantaient comme des fols ;
Elle a quitté la maison,
Et zon, zon, zon !
Elle a pris la grand’route ;
Moi, j’étais aux écoutes ;
Les violoneux
Faisaient danser les gens heureux ;
La porte n’était point verrouillée ;
Mon âme n’était point troublée ;
Et des refrains
Chantaient dans les lointains ;
Lors le démon de l’inconnu
En son esprit s’est abattu ;
Et d’un coup d’aile
A son à me si frêle
Il a fait voir
Des soirs d’espoir,
Des plages délicieuses
Et tant de choses nébuleuses
Et si troublantes,
Si tentantes,
Que son petit cœur enfiévré
Là tout d’un coup s’en est allé…
Faut-il aimer si tendrement,
Faut-il être si bon amant.
Faut-il si tendrement aimer,
Faut-il être si enflammé,
Pour n’en avoir, de-ci, de-là,
Et cœtera… et cœtera…