Poésies (Gérard D’Houville, 1919)

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Poésies (Gérard D’Houville, 1919)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 54 (p. 873-881).
POÉSIES


LE VIEUX RONSARD


C’était un vieux Ronsard. Lorsque je sus bien lire,
Mon père, entre mes mains, le mit comme une lyre
Oh ! quel immense livre entre mes petits doigts !
J’épelais lentement les anciens caractères,
Leurs entrelacs touffus m’ombrageaient de mystère
Je me perdais en eux ainsi qu’au fond des bois.

Une odeur de forêt montait d’étrange sorte
De cette reliure aux tons de feuille morte,
Au dos rugueux et roux comme celui des cerfs,
A la tranche pourprée... — O soleil sur les sentes !
Une odeur de forêt montait, double et puissante
De l’aspect du vieux livre et du parfum des vers.

Pour la première fois, sous ta fraîche verdure,
Ronsard, j’ai vu l’amour aux pieds de la nature
Et l’ai, dans tes taillis, guetté, faunesse enfant ;
Pour la première fois en effeuillant tes roses
Je l’entendis gémir de ce que toutes choses
Subissent cette mort dont rien ne les défend...

Et pourtant les bourgeons tettent encor ta sève ;
Tu nous as couronnés des pampres de tes rêves,
Le chêne de Gastine a d’immenses rameaux ;
Et ton humaine et toujours jeune poésie
Retrouve à tout printemps l’allégresse et la vie ;
Avec les aubépins refleurissent tes mots.


Voilà pourquoi de toi je suis à jamais ivre,
O verdoyant Ronsard ! Et quand j’ouvre ton livre
De nouveau je me perds au cœur de ta forêt :
Et le temps, que tu vaincs, m’arrête dans ma course
Pour boire à ta fontaine ou plonger en ta source,
Au fond du bois sonore, où tout enfant j’errai...


O CHER TRISTAN


O cher Tristan, si fol, si doux,
Il n’est pas une d’entre nous,
Qui ne vous pleure à deux genoux.

Si doux, si fol, ô cher Tristan,
Vous que les femmes aiment tant,
Et qu’à jamais leur cœur attend !

Vous qu’elles cherchent dans ces bois
Tout pareils à ceux d’autrefois
Où s’enfuit l’amour aux abois...

Vous que, du haut du balcon noir,
Parmi tous les parfums du soir,
Vous, qu’elles voudraient tant revoir.

Car c’est vous qui chantez toujours,
Quand elles veillent sur les tours,
Les plus belles chansons d’amours...

O cher Tristan que l’on croit mort,
Vous êtes plus présent encor
Que le plus jeune et le plus fort.

Quand, sous l’étoile qui reluit,
Vole une écharpe dans la nuit,
C’est vers vous que l’air la conduit.

Quand la dame effeuille en pleurant
Quelque bouquet bien odorant,
Vers vous, va le pétale errant.


Et l’appel des plus blanches mains
Fait toujours signe que demain,
Vous soyez là, sur le chemin...

C’est que vous, vous saviez qu’il faut
Mourir d’aimer, lorsque trop haut
Pur et clair brûle le flambeau,

Et n’en demandiez pas merci ;
Car mieux vaut trépasser ainsi,
Que de vivre en morne souci.

O cher Tristan, si doux, si fol,
Où dormez-vous ? et sous quel sol ?
Afin que s’y pose le vol

De ces chercheuses de bonheur
Dont vous fûtes le serviteur
Jusqu’au tombeau, d’un loyal cœur..


LE TORRENT


Un cœur libre ressemble au torrent des montagnes
Impétueux et pur, qui bondit en riant ;
Loin du sommet natal tout le ciel l’accompagne,
Il mire tour à tour la nuit et l’orient ;
Toujours alimenté par les neiges du rêve
Sous l’écume des jours à jamais transparent,
Limpide, irrésistible, et sans halte et sans trêve,
Un libre cœur ressemble au sauvage torrent.
Que le passant y boive ou que l’azur y sombre,
Toujours renouvelé par sa claire candeur,
Par lui-même lavé des aubes ou des ombres,
Il emporte sans fin sa force et sa fraîcheur.
Toujours précipité d’inaccessibles sources
Seul, quelquefois l’hiver maintient sa belle course,
Mais lorsque un printemps neuf libère tout effort,
Sa puissance innocente en ravage les fêtes,
Et tout gonflé d’orage et de grandes tempêtes,
Il ne se calmera qu’en ta paix, vaste mort !



PROMENADE DANS LA BRUME


Paris, ville bien aimée,
Ce matin dans la fumée
A cligné ses doux yeux gris :
Un soleil d’un jaune sobre
Comme une rose d’octobre
S’est effeuillé sur Paris.

Partons dans le brouillard rose !
Toutes les maisons moroses
Ont l’aspect mystérieux :
Et des vapeurs clandestines
S’enfoncent les mousselines
En bonnets, jusques aux yeux.

Les passants les moins folâtres
Ont pris des airs de théâtre
Et de héros de roman :
D’illusions revenues,
Que nous croyons inconnues,
Nous peuplons Paris charmant.

Tout le long des quais, s’allongent
Des chalands chargés de songes
Sous les arbres orangés
Et dans le brouillard qui fume ;
Les feuilles fendent la brume
D’un frisson d’or propagé...

Au beau Pavillon de Flore
Une vitre se colore
D’une précoce clarté...
Dis, qui sait si cette chambre
Où tremble une lampe d’ambre
N’est pas un monde enchanté ?

Au loin, vois-tu Notre-Dame
Vague, monter comme une âme

Vers le ciel d’un mol argent ?
Et les monuments austères
Ne refléter que mystères
Dans le fleuve au gris changeant ?

Près des ponts fantomatiques
Vois, en boîtes, en boutiques
Tous ces grimoires anciens
Que tu prends pour de vieux livres,
Et que gardent, pour revivre,
Des marchands nécromanciens.

La brumeuse mascarade
D’un turban couleur de jade
A coiffé le Panthéon,
Dont le dôme, sous sa ouate,
Fait la figure béate
D’un sultan de l’Odéon.

Nous avons quitté les rives
Pour les terrasses déclives,
Les rampes et les gradins,
Du Luxembourg qui verdoie
Dans la nue où il se noie,
Limbes d’irréels jardins.

Pour y voir les jeunes rêves
Dépenser toutes leurs sèves
En joyeux jeux enfantins,
Pendant qu’une vieille idée,
Telle une aïeule ridée,
Les guette dans le lointain.

Le lourd Sénat léthargique
Est un grand palais magique
Qu’assoupit un enchanteur...
Des pelouses nuageuses,
Rouge autant que Bételgeuse,
Emerge la sauge en fleur.


Près des touffes éclatantes,
Une passante que tente
Le massif aux tons de feu,
Lui tend ses mains réchauffées
Et sans doute est une fée
Qu’enlève le brouillard bleu…

Viens ! De mirage en mirages,
Nous atteindrons ces rivages.
Dont nul n’a quitté les bords :
Toutes les choses humaines
Sont des apparences vaines,
Qui nous guident chez les morts.


L’ERMITE

D’UN TABLEAU DE VÉRONE


Usant ses genoux joints sur des rochers étranges,
L’Ermite, au front courbé par les soucis pieux,
Avait, loin des humains et loin des mauvais anges,
Cherché dans les déserts la présence des dieux.

À jamais séparé des choses périssables,
Il lançait vers l’azur sa foi pleine d’appels :
Mais ses longs cris, trouant l’immensité des sables,
D’un vol découragé redescendaient du ciel.

En réponse, venaient tentations, mirages…
— Il avait vu les pieds de Balkis de Saba ! —
Et, le roulant aux plis de foudroyants orages,
Le tourmentaient les feux du rut et du sabbat.

Mais son cœur était pur, et son âme était pleine
D’une mélancolique et tendre austérité ;
Et la tentation demeurait toujours vaine
De l’orgueilleux bonheur et de sa volupté.

C’est alors qu’Elle vint, toute faible et très lasse
D’avoir longtemps marché sur un âpre chemin ;
Elle prit tout de suite une petite place
Et puis parla, tenant son pied nu dans sa main.


Elle dit : « Hâte-toi de m’aimer. Vois, j’arrive
« Et s’efface déjà l’empreinte de mes pas...
« Car je suis éphémère et je suis fugitive ;
« Je ne suis qu’un instant... Viens dormir dans mes bras.

« Je ne t’apporte rien qu’un mensonge et qu’un leurre ;
« Je ne suis qu’un reflet qui danse sous le ciel,
« Une beauté que change et que dévore une heure...
« Je ne t’apporte rien de pur ni d’éternel.

« Je ne suis qu’un moment de flamme parfumée ;
« Bientôt je serai cendre entre tes bras déçus,
« Je ne t’apporte rien... et pour m’avoir aimée
« Tes paradis futurs seront des cieux perdus.

« Je suis, sous l’aube pâle et sous la lune courbe,
« Le fantôme charmant de la félicité.
« Tu vois, d’autres crieront que je suis fausse et fourbe...
« Mais je te dis, cher saint, toute ma vérité.

« J’ai la limpidité des eaux sombres et pures ;
« Et pourtant, tout au fond de mon œil innocent,
« Brille le feu sans fin des antiques luxures...
« Je t’offre ma sueur, mes larmes et mon sang...

« La forme de mon ombre est ta tombe... Ton âme,
« Déjà, cherche au delà des portes de mon corps
« Tout un ciel étoile de tourments et de flammes...
« Entre dans ta prison. C’est moi qui suis la mort... »

— Et lui, qui dédaignant la joie et la puissance
N’avait jamais aimé que d’humbles paradis,
Tendit ses bras tentés vers ton rêve, ô souffrance !
Et déjà torturé, cria : Je te choisis !................
…………………

C’est un très vieux tableau que l’on voit à Vérone
Dans une salle froide et de jour orangé ;
Le dessin est mauvais, la couleur n’est pas bonne,
Et l’Ermite si laid, que je m’en suis vengé.



LA PRIÈRE


Pareille aux formes que l’on voit sur les verrières,
Les mains étroitement rejointes, la Prière,
Longue et haute, plongeur inverse, pur élan
D’esprit insexué vers ce gouffre de grâce,
L’élément violet de son nouvel espace
Où déjà sa ferveur la soutient en tremblant,
Hésite, monte, souffre en l’ombre d’améthyste ;
Elle s’égare et pleure, inconsolable et triste,
Car l’ange encore humain ne connaît pas son ciel...
Quand, perdu dans l’espoir des choses étoilées,
Soudain, s’ouvrent en lui des puissances ailées,
Qui divisent son être, et le font immortel !


DIALOGUE


Résignez-vous, mon âme, aux choses imparfaites ;
Transformez-vous, changez, passez avec le temps ;
Quittez vos anciens biens pour de neuves conquêtes
Et dans l’oubli, les deuils, les travaux et les fêtes
Reflétez l’univers aux rythmes inconstants.

— Pourquoi ? J’ai le dégoût de ces grâces d’une heure ;
De ce monde où tout change afin de vivre encor ;
Je voudrais ce qui dure avec ce qui demeure
Et fixer, haut et loin de tout ce qui vous leurre,
Le vol resplendissant d’un immobile essor...

— Ma dernière saison va s’effeuiller... Mon âme,
Il me faut en cueillir les suprêmes beautés.
Taisez votre rumeur, votre ordre et votre blâme :
Je veux me défleurir dans mes jardins de femme
Parmi la passion des défaillants étés.

— Il n’est point de bonheur dans les amours mortelles ;
Détournez vos regards de ces sombres plaisirs.
Il est terrible d’être aimée et d’être belle ;
Tout ce qui crie en vous, éphémère et rebelle,
Impitoyablement, écoutez-le finir.


— Mon âme, il faut jouir de tout ce qui nous quitte
L’attrait de ce qui passe est amer et divin.
Tout fuit et tout renait pour expirer plus vite...
Encore un jour ! avant que ce cœur qui palpite
Soit cendre, puisque tout, ô ma chère âme, est vain !

— Mais alors, quelle est donc cette flamme immortelle
Qui, partant d’un grand cœur, dépasse son destin ?
Et que tout alimente et que tout renouvelle
Et dont la force vive et si brûlante, est telle
Qu’elle brille le soir plus haut que le matin ?

Quel est donc ce tourment tout rempli d’espérance ?
Ce jaillissant élan, ce désir d’un bonheur,
D’une félicité sans heure et sans souffrance,
Que les voix de la terre ayant fait le silence,
Un ciel de certitude emplisse notre cœur ?

Non, non I tout n’est pas cendre au creux morne de l’urne ;
Tu me dis que tout sombre en des gouffres obscurs...
Non ! tout n’est pas promis au néant taciturne
Et hors de sa corolle infiniment nocturne,
L’irrésistible espoir dresse ses pistils purs.

Non ! tout ne finit pas aux plis des derniers langes...
Et malgré le passé dévorant l’avenir,
Triomphe pour jamais des tristesses étranges
Et contemple, éblouie, avec les yeux de l’ange
Ce quelque chose en toi, qui ne peut pas mourir.


GÉRARD D’HOUVILLE.